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L’acte opérant cession des droits d’auteur

et transformation digitale

Riadh TRABELSI

Plan :
I- Les manifestations du formalisme dans les contrats d’auteur :
A- Du Formalisme de l’acte vers celui de la mention
B- Formalisme de preuve ou de validité ?
II – La licence du droit d’auteur et transformation digitale
A- La digitalisation de la création littéraire :
B- L’électronisation de l’édition et du contrat d’édition
III- Sanctions du non établissement de l’écrit :
A- Sanctions civiles
B- Sanctions pénales

Considérant que la propriété figure au nombre des droits de


l’Homme consacrés par l’article 2 de la déclaration de 1798.
Considérant que les finalités et les conditions d’exercice du droit
de propriété ont subi depuis 1798 une évolution caractérisée
par une extension de son champ d’application
à des domaines nouveaux, que parmi ces dernier,
figurent les droits de propriété intellectuelle
et notamment le droit d’auteur et les droits voisins1

1.La technique juridique à l’épreuve de la technique numérique- Du fait de son intime


liaison avec les mutations intellectuelles ou sociales et aux bouleversements techniques, le
droit d’auteur apparaît comme une matière sujette à évolution. L’impact des nouvelles
technologies de la communication et de l’information, l’universalisation des exploitations et
la multiplication des intervenants, sont autant d’éléments qui empêchent de considérer que la
discipline vit aujourd’hui dans une sérénité rassurante2.

Traditionnellement, le droit d’auteur tunisien s’organise autour de la personne de l’auteur. Ce


dernier bénéficie d’une protection assez particulière par un droit spécifique qui ne s’applique
qu’à lui. Cette protection apparaît comme une nécessité impérieuse lorsque l’auteur veut

1
Cons. Const.fra., déc. 2006-540 DC, 27 juill. 2006, sur la loi française relative au Droits d’auteur et droits
voisins dans la société de l’information : JO 3 août 2006, p. 11541, texte n° 2, considérant 14 et 15.
2
V. P. Sirinelli, Brèves observations sur le raisonnable en droit d’auteur, in Mélange en l’honneur de André
Françon, Propriété intellectuelle, Dalloz, p. 397 et s.

1
exploiter son œuvre. En effet, même avec le développement fulgurant des technologies de la
communication et de la diffusion ainsi que sa vulgarisation, l’auteur n’étant généralement pas
en mesure d’exploiter lui-même sa création, il doit s’adresser à des tiers, éditeur, entrepreneur
de spectacles, dont la profession consiste précisément à communiquer au public les œuvres
des créateurs. Il s’en suit, que pour l’exploitation de son œuvre, l’auteur doit conclure des
contrats en vertu desquels il les autorise à reproduire et ou représenter son œuvre. Dans ces
hypothèses le souci de la protection de l’auteur présumé en position de faiblesse juridique et
économique par rapport à son contractant à conduit le législateur tunisien à travers la loi du 24
février 1994 relative à la propriété littéraire et artistique3, à réduire le champ de la liberté
contractuelle4 en subordonnant l’efficacité du contrat au respect de certaines conditions de
formes5. En effet dans l’exploitation de l’œuvre, la loi ne veut pas que l’auteur lui-même soit
exploité et la forme est devenue l’instrument privilégié de toute protection de la partie faible
et l’impératif de protection ayant été perçu comme primordial, s’en est suivi un
développement sans précédent du formalisme. Il convient de constater dés l’abord qu’en
matière contractuelle le consensualisme est le principe (l’article 2 du COC ne cite pas la
forme parmi les conditions de validité du contrat6), et les règles de forme doivent être
envisagées comme des règles d’exception. La loi de 1994 ne contient pas de dispositions
expresses leur sont relatives ainsi qu’à la nécessité de consentement de l’auteur ni de règles
relatives à sa capacité, c’est le droit commun qui se doit donc d’être appliqué. Cependant et
tout au long de cette étude nous adopterons une vision consensualiste du formalisme, ce
dernier étant alors relégué au rang de simple technique destinée à favoriser la protection du
consentement de l’auteur. Si on exige la forme c’est en réalité pour lutter contre tout ce qui
pourrait comporter des dangers non mesurés ou non mesurables pour le consentement de
l’auteur.

Le formalisme juridique peut se définir comme la technique selon laquelle la validité et


l’efficacité des actes sont subordonnées à l’observation de certaines formes, ou de formalités.
Au sens juridique, les formes sont des procédés techniques consistant en des manifestations
extérieures et sensibles destinées à envelopper les circonstances telles que les actes de volonté
3
JORT n° 17, du 1 mars 1994.
4
A. Françon, La liberté contractuelle dans le domaine du droit d’auteur, D. 1976, p.55.
5
La règle découle de l’article 3 de la loi de 1994 ; V. dans ce sens, J. Flour, Quelques remarques sur l’évolution
du formalisme, Etudes offertes à Georges Ripert, Le droit français au milieu du XXe siècle, Vol.I, LGDJ 1950,
p. 93, n°4.
6
Cet article dispose : « Les éléments nécessaires pour la validité des obligations qui dérivent d’une déclaration
de volonté sont : la capacité de s’obliger, le consentement, l’objet et la cause ». Les formalités n’entrent pas
parmi ces éléments.

2
ou les faits de la vie sociale. « La forme est comme un vêtement qui habille un acte, ou encore
comme un passeport qui lui donne accès dans le groupe social »7.
Si dans les civilisations archaïques, l’exigence des formes était essentiellement inspirée par un
sentiment religieux et la crainte de la colère divine, ce formalisme mystique a disparu dans les
sociétés modernes, les systèmes juridiques actuels, pour d’autres raisons et de manière
différente, ont néanmoins abondamment recours au formalisme.
Le formalisme juridique contemporain est essentiellement pragmatique et utilitaire. Il se
donne pour but de faciliter les relations sociales en mettant à la disposition de chacun des
instruments de protection, dont la protée, est connue de tous, et ne prête pas à équivoque.
C’est devenu un formalisme de sécurité. On le voit même se développer de nos jours. Dans la
mesure où le législateur prend davantage en compte un rôle de protection des plus faibles
(l’auteur d’une œuvre par exemple) par des règles impératives8, il utilise les bienfaits du
formalisme.
Ihering soutenait que le formalisme protège le faible contre la violence ou l’astuce du plus
fort9 : le respect des formes rigoureuses, précises et publiques constituent une garantie contre
des manœuvres frauduleuses. Il impose une meilleure information des parties, les contraint à
ne s’engager qu’après mûre réflexion, et permet l’information du public.
Enfin, en précisant la nature de l’acte accompli, il écarte toute équivoque quant aux
obligations assumées en éveillant l’attention contre les pièges et en obligeant à plus de
précision et de certitude.

Selon M. Mahfoudh, « le formalisme exprime un système dans lequel la validité des actes est
strictement soumise à l’observance de formalités. Ceci vise des opérations prescrites par les
dispositions juridiques sans lesquelles un acte ne saurait être valable ».10
En droit contemporain, le formalisme parait exceptionnel, le principe général semble y être
celui du consensualisme et la liberté des formes étaient fondés sur l’idée que le pouvoir
créateur de la volonté et la pleine liberté des individus, consacrés par le principe de
l’autonomie de volonté dans le COC, devaient dominer le système juridique.
D’autre part, cette liberté était fondée sur le postulat d’un équilibre des parties au contrat. On
sait combien la société industrielle et la société de consommation ont maintenant sécrété de

7
H. Lévy-Brhul, Aspects sociologiques du droit, Librairie Marcel Rivière et Cie, 1955, p. 94.
8
Notamment en droit de la consommation.
9
R. Von Ihering, L’esprit du droit Romain dans les diverses phases de son développement, trad. O. De
Meulenaere, éd. 1887, t. III, p. 164.
10
M. Mahfoudh, Formalisme et théorie générale du contrat, RTD. 2005, p. 155 et s.

3
déséquilibre entre les agents économiques et les particuliers et plus généralement, entre les
cocontractants. Il est donc apparu nécessaire de protéger les plus faibles pour rééquilibrer le
contrat, en subordonnant leur engagement à des formes protectrices.
On observe ainsi dans le droit contemporain une renaissance du formalisme, c’est dans les
formes dites solennelles, qu’apparaît, au plus haut point et pour ainsi dire, dans toute sa
plénitude, le sens profond de la théorie juridique de la forme. Il s’agit, en effet, ici, de
manifestations extérieures, que le droit positif impose à un fait interne (généralement un
mouvement ou une rencontre de volontés), et en l’absence desquelles, ce fait n’atteint pas son
but dans le domaine juridique, à tel point qu’il serait comme n’existant pas.

Il existerait aussi un formalisme souple, qui est essentiellement celui des titres en droit
commercial, la forme ici est un facteur de rapidité de simplicité et de sécurité : or sur le plan
économique c’était là les avantages que les classiques attribuaient au consensualisme.
Formalisme ne signifie pas forme compliquée mais forme impérative, c'est-à-dire imposée
sans équivalent possible, pour donner valeur juridique à la manifestation de volonté11. Le
formalisme provoque donc l’attention des particuliers qui consentent et protège leur
intelligence et leur volonté contre les défaillances possibles. Elles peuvent aussi parfois
assurer mieux le diagnostic ultérieur des violations et garantir leur conservation, en vue de la
preuve éventuelle à en fournir.
Demogue observait que le formalisme « est un embarras quant il n’est qu’une pompeuse
escorte le panache des actes juridiques, mais il devient un moyen de rendre les affaires plus
rapides et sûres lorsqu’il ne contient que l’indispensable »12.

On trouve plusieurs objectifs pour le formalisme, il a principalement pour objet d’assurer le


respect des droits de la collectivité ou de protéger les plus faibles. Certaines formes sont
exigées au nom de l’ordre social (formalisme du mariage par exemple) ou pour l’expression
de la volonté et la garantie des droits privés individuels ou familiaux (adoption donation
testament). Ce sont des formes ad solemnitatem dont le défaut est normalement sanctionné
par la nullité absolue.
D’autres formes sont destinées seulement à protéger certaines personnes que l’on considère
comme vulnérables. C’est le cas de la protection des incapables : ce sont des formes
« habilitantes » consistant dans la nécessité d’obtenir le consentement de diverses personnes

11
J. Flour, Quelques remarques sur l’évolution du formalisme, op.cit.
12
R. Demogues, Notions fondamentales de droit privé, p. 111 et s.

4
(tuteur curateur) ou de certains organismes. Ce formalisme est sanctionné par une simple
annulabilité et non une nullité absolue (nullité relative ou de protection). On observe que ce
formalisme relatif à la validité des actes, ce formalisme ad validitatem est devenu l’exception
dans le droit moderne, même s’il existe de nombreuses exceptions de cet ordre.
Plus souvent le droit exige certaines formes non pour l’existence même des actes, mais pour
en constituer une preuve ou assurer la protection de certains intérêts tels que ceux des tiers, les
besoins du commerce ou ceux de crédit, il s’agit alors d’un formalisme ad probationem ou
d’un formalisme de publicité. La méconnaissance de ce formalisme porte seulement atteinte à
l’efficacité des actes et non à leur validité. Il y a en effet des formes qui ne sont exigées que
pour constituer des preuves. Quand le droit civil impose un écrit pour la preuve des actes
juridiques relatifs à des obligations excédant une certaine somme13, cette exigence de forme
n’a pas de caractère substantiel et tend seulement à exclure des preuves inférieures à la preuve
par écrit. En réalité, l’existence juridique d’un fait dépend tellement de sa preuve, que celle-ci
en est la première condition d’efficacité. Ce sont les particularités de l’acte authentique qui en
justifie la force probante particulière et cela explique qu’en pratique, il arrive que des
conventions qui n’ont pas à être conclues par acte notarié, comme des cessions de fonds de
commerce ou des baux, le soient, simplement parce que les parties cherchent plus de sécurité,
de certitude et de précision.

Mais la reconnaissance juridique d’un fait dépend tellement de sa preuve que celle-ci en reste
la première condition d’efficacité et qu’il faut intégrer les exigences légales de la preuve dans
le formalisme. On est donc conduit à distinguer nettement le formalisme de validité et le
formalisme de preuve.

2. La théorie tunisienne du droit d’auteur- cette théorie repose sur l’idée que deux sortes de
droits doivent être reconnus aux auteurs, à savoir d’une part un droit moral destiné à
sauvegarder leurs intérêts spirituels qu’engage leur création, et d’autre part des droits
pécuniaires qui consistent en un monopole d’exploitation accordé aux créateurs et destiné à
leur permettre de monnayer la communication de leur œuvre au public. En général l’auteur
n’est pas en mesure d’exploiter l’œuvre lui-même. Il doit conclure des contrats, en vertu
desquels il autorise des tiers, en général moyennant finances, à reproduire ou représenter ou
plus largement diffuser son œuvre.

13
Voir les articles 422, 423 et 424 du code des obligations et des contrats.

5
Quelques remarques d’ordre général peuvent être présentées à propos des dispositions de la
loi de 1994, concernant le domaine des contrats. D’abord on observera que cette loi
s’intéresse essentiellement aux contrats portant sur le droit d’auteur lui-même, elle ne traite
guère des conventions ayant pour objet le support matériel de l’œuvre. D’autre part, si la loi
tient en la matière une place importante en tant que source du droit, cela n’exclut pas que la
multiplicité des questions juridiques qui se pose au grès des situations particulières laisse
encore au créateur un rôle non négligeable à la jurisprudence et à la doctrine.
Si l’on cherche à ordonner les nombreuses dispositions de la loi de 1994 qui ont trait aux
contrats, on peut semble-t-il les regrouper en deux catégories. D’abord un certain nombre de
mesures sont prises, qui tendent à limiter la portée des cessions que l’auteur pourrait faire de
ses droits14. Puis dans tous les cas où la loi permet à l’auteur de céder ses droits, la loi édicte
un certain nombre de règles en ce qui concerne la forme et le contenu des contrats de cession.

On sait que certains pays comme la république fédérale d’Allemagne, pour protéger les
auteurs contre les cessions de leurs droits, qui pourraient leur être défavorable, il est posé en
principe que leurs droits sont incessibles. La loi prévoit seulement qu’il leur est permis de
concéder à des tiers des licences en vertu desquelles les tiers peuvent licitement reproduire ou
représenter l’œuvre sans pour autant devenir cessionnaire du droit de reproduction ou de
représentation. Il ne saurait être question, en droit d’auteur allemand, de cessions du droit
d’auteur, dans la mesure où le droit d’auteur tout entier, et non pas seulement le droit moral,
est considéré comme inaliénable. Les contrats conclus par l’auteur pour l’exploitation de son
oeuvre ne peuvent donc avoir pour objet que la concession d’un droit d’utilisation15.
Tel n’est pas le point de vue du droit tunisien ni d’ailleurs du droit français, qui admettent que
le droit d’auteur puisse faire l’objet de véritables cessions. Mais les limites dont est assorti ce
principe permettent de penser qu’il ne risque pas de préjudicier aux auteurs.

Qu’en droit tunisien ou même français, le droit d’auteur puisse faire l’objet de véritables
cessions, tout le monde en est bien d’accord. D’une part la doctrine note que nulle part dans la
loi de 1994 ou de la loi française de 1957, il n’est question de licence. D’autre part dans les
14
E. De Sainte Marie, « L’objet des cessions de droits d’auteur : l’interprétation des contrats entre droit
commun et droit spécial », RTD.com sept/déc 2013 p. 669 et s.
15
Il s’agit là de la conséquence la plus importante de la conception moniste des droits de l’auteur qui prévaut
outre-Rhin, selon laquelle les prérogatives morales et patrimoniales sont inextricablement liées et forment un
tout indissociable, le droit d’auteur. Sur le rapprochement entre monisme allemand et dualisme français, V. A.
Dietz, Französischer Dualismus und deutscher Monismus im Urheberrecht – ein Scheingegensatz ?, Mélanges
W. Erdmann, éd. Carl Heymann, 2002, p. 63 sq V. aussi dans le même sens, A. Françon, La liberté contractuelle
dans le domaine du droit d’auteur, op.cit.

6
textes légaux, le législateur tunisien ainsi que français n’hésitent pas d’utiliser le terme
cession des droit pécuniaires. En effet, le législateur tunisien dans l’article 22 de la loi de
1994 prévoit que la cession des droits patrimoniaux peut être totale ou partielle. De même
l’article 30 al 1er de la loi de 1957 dispose que « le droit de représentation et le droit de
reproduction sont cessibles à titre gratuit ou à titre onéreux », l’article 35 al 1er, précise même
que « la cession par l’auteur de ses droits sur son œuvre peut être totale ou partielle ».
Le droit tunisien ainsi que français ne poussaient pas jusqu’à ses conséquences extrêmes
l’adoption de la théorie de la cessibilité des droits d’auteur. En effet, la logique du système
voudrait que le cessionnaire soit traité comme l’auteur lui-même, c'est-à-dire que le droit
d’auteur soit, entre ses mains, exclusif, absolu, discrétionnaire comme il l’était entre les mains
de l’auteur. D’où il devrait s’en suivre que le cessionnaire aura toute latitude pour exploiter le
droit qu’il a acquis, au moment de son choix, selon les modalités qui lui conviendront, sous
réserve du respect qu’il doit à l’intégrité de l’œuvre. En d’autres termes, nulle obligation
d’exploiter ne devrait peser sur le cessionnaire d’un droit d’auteur.

Le contrat est la principale modalité d’exploitation du droit d’auteur, expression de la liberté


de l’auteur le contrat fait distinguer le droit d’auteur du brevet, tant il est vrai que l’inventeur
est astreint d’exploiter son invention16. A travers le contrat, l’auteur exerce en toute liberté ses
droits patrimoniaux : il y va du droit de reproduction de représentation et non point des droits
moraux qui sont incessibles17.

3. Le positionnement central du contrat en la matière- On peut définir donc le contrat de


cession de droits d’auteur comme l'acte juridique par lequel une personne appelée auteur,
ayant créé une oeuvre originale sur laquelle elle est titulaire d'un droit patrimonial et d'un
droit moral, cède à un tiers appelé exploitant, dans des conditions à préciser, le droit de
reproduire et/ou de représenter l'oeuvre créée moyennant rémunération, que l'on appelle
communément le droit d'auteur.
Le contrat de cession est normalement obligatoire à chaque fois qu’il s’agit de l’exploitation

16
L’article 51 de la loi du 25août 2000, relative au brevet d’invention, « le titulaire du brevet à l’obligation
d’exploiter l’invention objet du brevet, dans un délai de quatre ans…à compter du dépôt de la demande ou de
trois ans à compter de la délivrance du brevet ».
17
V. P. Sirinelli, Le droit moral de l’auteur et le droit commun des contrats, Thèse Paris II 1985. ;

7
des droits d’auteur. La loi de 1994 en régit les dispositions de forme et quelques dispositions
de fond18 touchant notamment l’objet du dit contrat19.
La plupart des auteurs doivent recourir à ce contrat pour exploiter leurs œuvres. Stevenson
écrivait à ce propos qu’« un auteur est généralement un homme avec un petit capital ou pas de
capital du tout. Cela lui prend beaucoup de temps pour peaufiner son œuvre, pendant lequel il
faut bien vivre, et payer son dû. Ses ressources ont tendance à s’épuiser les petites factures à
grossir et à s’accumuler. Et c’est alors, s’il n’y avait pas d’éditeur, qu’il aurait à faire face à de
nouvelles dépenses, autrement plus sérieuses pour l’impression, la reliure de son livre et sa
publicité…L’éditeur le sauve de tout cela. Il rend le métier possible aux écrivains pauvres. Il
libère les riches des soucis, des responsabilités et du risque »20.
Inopportunément la parfaite concorde contractuelle entre l’auteur d’une part et l’exploitant
d’autre part relève en droit d’auteur de l’utopie, d’où la nécessité de rédiger un écrit afin de
préciser les droits et les obligations des uns et des autres.

Le souci de protection de l’auteur présumé en position de faiblesse juridique et économique


par rapport à son contractant, a conduit le législateur tunisien a réduire le champs de la
liberté contractuelle21 en subordonnant l’efficacité des contrats d’exploitation des droits
patrimoniaux de l’auteur au respect de certaines formes : en effet les contrats d’exploitation
des droits d’auteurs doivent nécessairement être établis par écrit, la règle découle de l’article 3
de la loi de 1994 selon lequel : « aucun exploitant autre que le propriétaire de l’œuvre ou son
représentant ne peut procéder à l’exploitation des travaux cités par l’article 2 s’il ne justifie
d’une autorisation préalable de l’auteur de l’œuvre ou de son représentant sous forme d’un
contrat écrit ».
Le législateur tunisien rajoute que l’écrit doit comporter un certain nombre de mentions
obligatoires, ces mentions sont au nombre de quatre :
- Le nom du responsable de l’exploitation,
- Le mode d’exploitation (forme, langue, lieu),
- La durée de l’exploitation

18
Pour les autres conditions de fond notamment : le consentement express de l’auteur ou sa capacité ainsi que la
cause du contrat, ce sont les règles du droit commun qui demeurent applicables. La rémunération de l’auteur
n’occupe pas non plus une grande place dans la loi de 1994, en effet l’article 3 se limiter à exiger que le contrat
mentionne le montant de la rémunération dû à l’auteur.
19
L’objet du contrat a été réglementé d’une manière plus détaillée, c’est ainsi que l’article 22 de la loi de 1994
prévoit que la cession peut être partielle ou totale, et l’article 3 prévoit les modes d’exploitation du droit d’auteur
doivent nécessairement être déterminés : qu’il s’agit de représentation ou de reproduction.
20
R-L. Stevenson, Auteurs et éditeurs, in Essai sur l’art et de la fiction, Payot, 1992, p. 283.
21
A. Françon, La liberté contractuelle dans le domaine du droit d’auteur, D. 1976, p. 55.

8
- Le montant de la rémunération due à l’auteur.
Ces mentions ont pour objectif de préciser l’objet du contrat et de protéger ainsi l’auteur.

D’un autre coté, l’article 32 de la loi de 1994 rappelle que « l’exploitant ne peut fabriquer ou
faire fabriquer dans un but commercial un certain nombre d’exemplaire d’œuvres protégés …
sauf par contrat écrit établit avec l’auteur de l’œuvre ou son représentant ». L’absence d’écrit
peut même entraîner la responsabilité pénale de l’exploitant de l’oeuvre22 prévue par l’article
52 de la loi de 1994.
A première vue, les intentions du législateur sont excellentes, car c’est en rédigeant un écrit
que les cocontractants précisent exactement, la protée de leurs engagements, et l’existence
d’un document facilite l’administration de la preuve. Mais malheureusement les choses ne
sont pas aussi évidentes que ça, puisque les rédacteurs de la loi de 1994 n’ont pas pensé à
préciser la nature du formalisme qui est exigé dans ces contrats de cession, ainsi qu’ils ont
omis de déterminer les conséquences juridiques du défaut de son respect23.

I- Les manifestations du formalisme dans les contrats d’auteur :

4. La philosophie du droit des contrats d’auteur- elle repose sur l’idée de protection des
auteurs. Au cours des débats législatifs portant sur l’adoption de la loi française de 1957
(constituant une source principale d’inspiration pour législateur tunisien) le rapporteur J.
Isorni s’exprimait ainsi « l’esprit dominant de ce texte, la pensée directrice qui l’anime, c’est
avant tout la protection de l’artiste »24. L’auteur est considéré à l’instar du salarié, du

22
Exemple : l’article 52 de la loi de 1994 puni quiconque qui aura sciemment accomplit ou fait accomplir un
acte quelconque en infraction aux dispositions des articles…32 de la présente loi sera passible d’une amende de
500 à 5000 Dinars.
23
Ce n’est que dans l’article 33 al 2 de la loi de 1994 où le législateur prévoit la sanction de la nullité pour les
contrats de fabrication d’exemplaires d’une œuvre protégée, établi avec l’organisme tunisien chargé de la
protection des droits d’auteur, lorsque celui-ci ne respecte pas les formalités visées par l’alinéa 1 du même
article.
24
J. Isorni, JO AN, séance 19 avril 1956, p. 1404. ; P-Y Gautier, Propriété littéraire et artistique, p. 488, 5ème éd.
PUF ; C. Colombet, La portée des autorisations d’exploitation en matière de contrats relatifs au droit d’auteur, in
Mélange en l’honneur de André Françon, Propriété intellectuelle, Dalloz 1995, p. 63 et s. ; Ch. Caron, Abus de
droit et droit d’auteur, n° 250, p. 223, Publications de l’IRPI Henris Desbois, Litec 1998. ; C. Castets-Renard, Le
formalisme du contrat électronique ou la confiance décrétée, Défrénois n° 38464, p. 1529. ; P. Foriers,
Introduction au droit de la preuve, Communication présentée au CNRS le 12 novembre 1977. ; J-L Goutal,
Multimédia et réseaux : L’influence des technologies numériques sur les pratiques contractuelles en droit
d’auteur, D. 1997, p. 357. ; A. Françon, La liberté contractuelle dans le domaine du droit d’auteur, D. 1976, p.
55. ; R. Savatier, La loi du 11 mars 1957 sur la propriété intellectuelle, JCP. 1957, I, n° 1398. ; J-L Bergel,
Méthodologie juridique, p. 61 et s., Thémis, PUF. ; M. Chorfi, Formalisme et protection du consentement,

9
consommateur ou du locataire comme la partie faible du contrat qui comme telle doit être
protégée. Il n’est donc pas très surprenant de constater que le formalisme qui est
habituellement protecteur, occupe une place importante dans les contrats d’auteur.
S’il est regrettable que le législateur tunisien ainsi que français n’aient pas poussé leur
sollicitude jusqu’à exiger expressément que tous les contrats relatifs aux droits patrimoniaux
soient constatés par écrit en cas de leur cession, une question reste encore sans réponse
notamment en droit tunisien, celle de savoir si l’écrit est exigé à titre de validité ou
simplement à titre de preuve. Il s’agit donc d’étudier ici la forme que peut prendre le
formalisme dans les contrats de droits d’auteur, ainsi que sa nature.

A- Du Formalisme de l’acte vers celui de la mention


Le législateur n’exige pas seulement l’établissement d’un écrit mais exige aussi d’y inscrire
certaines mentions obligatoires.

1- Formalisme de l’acte

5. Le formalisme de l’acte est un artifice- il est susceptible d’assurer une protection efficace
du consentement, la forme solennelle est une forme obligatoire qui n’a accepte aucun
substitut. En effet les solennités obligent à mieux spécifier et préciser le consentement, alors
qu’un acte consensuel verbal risque de créer des obligations pesant sur les parties sans que ces
dernières aient consenti véritablement à ces obligations. Selon J. Flour, « le formalisme ne
signifie pas forme compliquée mais forme impérative »25.
L’article 3 de la loi tunisienne du 24 février 1994 et l’article 131-2 al 1er du CPI français, sont
le siège d’un formalisme de l’acte. Au terme du premier : « aucun exploitant autre que le
propriétaire de l’œuvre ou son représentant ne peut procéder à l’exploitation des travaux cités
par l’article 2, s’il ne justifie d’une autorisation préalable de l’auteur de l’œuvre ou de son
représentant sous forme d’un contrat écrit ». Quant au second il dispose que les « contrats de
représentation, d’édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être
constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d’exécution ».

L’acte formel peut prendre la forme d’un acte sous-seing privé ou d’un acte authentique.

Mémoire en vue de l’obtention du DEA droit des affaires, FSJPS de Tunis, 2001. M-A Guerriero, L’acte
juridique solennel, Bibliothèque de droit privé, Paris 1975.
25
J. Flour, op. cit, 101, n°9.

10
Le code des obligations et des contrats ne nous donne pas une définition de l’acte sous-seing
privé bien qu’il lui consacre 12 articles et ce de l’article 449 du COC à l’article 460 du même
Code. Faute de définition légale, on peut alors faire appel à la doctrine. En effet, selon le
doyen Cornu, « l’acte sous-seing privé est un écrit établi par les parties elles mêmes sous leur
signature (seing privé) sans l’intervention d’un officier public »26. De point de vue de ses
caractéristiques, l’acte sous seing privé ne présente aucune complication, c’est en effet un
écrit simple, rapide qui présente beaucoup de souplesse par rapport à l’acte authentique. La
date de l’acte y joue un rôle éminemment important permettant de savoir si l’auteur de l’acte
de cession était sujet à des pressions ou victime de manœuvres frauduleuses de la part de
l’exploitant.
L’écriture personnelle de l’acte de cession des droits d’auteur est aussi une caractéristique de
l’acte sous seing privé et qui constitue un élément important assurant au consentement un
meilleur éclairage27.
L’acte sous-seing privé doit être aussi signé par les deux parties, la signature est définie par
l’article 453 al 2 du COC, en tant que signe graphique prouvant l’adhésion du signataire au
contenu de l’acte.
Contrairement à l’acte sous seing privé, dans l’acte authentique la présence de l’officier
public est de l’essence même de la notion d’authenticité. Vu ses conséquences juridiques
graves, l’acte authentique ne sera pas élaboré d’une manière rapide. En effet dans un acte
notarié par exemple le délai long peut avoir une certaine incidence sur le consentement de
l’auteur dans la mesure ou cette partie faible du contrat peut disposer d’un délai réflexion de
nature à l’aider à faire mûrir son consentement et -avec le temps- à mieux comprendre la
portée de son acte.
L’acte authentique trouve sa force dans la qualité de témoin privilégié de l’officier public28
qui atteste la signature, la date, mais aussi le contenu de l’acte, d’où les effets particulièrement
forts que peuvent lui être attachés29. L’apport de l’officier public dans la protection du
consentement de l’auteur dans le cas où celui-ci vient à rédiger son contrat de cession sous

26
Vocabulaire juridique, 2ème éd. 1987, PUF, p. 18.
27
Cette idée on peut être déduite de la rédaction de l’article 452 du coc.
28
Selon l’article 20 de la loi du 23 mai 1994 portant organisation de la profession des notaires, (JORT, n° 42 du
31 mai 1994), l’établissement de l’acte notarié exige de la part du notaire un travail minutieux qui éclairera
mieux le consentement des parties, en effet le notaire procède à la vérification de l’identité des parties, de leur
capacité ect… il doit rédiger l’acte lisiblement sans abréviation, ni intervalle, ni surcharge, le notaire est obligé
de lire l’acte à haute voix afin que les parties soient certaines que l’acte notarié a respecté leur volonté et que cet
acte là qu’ils ont voulu consentir. Les deux parties et le notaire doivent signer l’acte pour qu’il n y ait aucun
doute sur leur adhésion au contenu de l’acte.
29
Force probante, force exécutoire, date certaine.

11
forme authentique, constitue un apport certain, puisque l’acte sera clair et suffisamment précis
pour les deux parties (cédant et cessionnaire), tant il est vrai que le notaire veillera à la
protection du consentement des deux parties en lisant l’acte et toutes les mentions qu’il risque
de contenir.

Malgré ce formalisme poussé à son paroxysme, l’acte authentique ainsi que l’acte sous seing
privé, ont engendré des déficiences remarquables au niveau notamment de l’objectif de la
protection du consentement de l’auteur, et le formalisme s’est vu aujourd’hui contraint de se
remettre en question et d’évoluer sur le plan qualitatif pour instaurer ce qu’on appelle
aujourd’hui le formalisme de la mention.

2- Le Formalisme de la mention :

6. Le contenu informatif du contrat- En effet, il s’est de plus en plus avéré que l’écrit
solennel n’est pas assez protecteur et il lui faut un certain contenu solennel30 afin que l’auteur
puisse être informé sur les droits qu’il va céder quant à leur étendue et leur destination ainsi
que leur lieu et leur durée.
Ce contenu informatif, remplace d’une certaine façon, les conseils que prodigue le notaire
(dans un acte authentique par exemple) et assure « l’exécution d’une obligation
précontractuelle d’information d’une des parties à l’égard de l’autre par le contenu obligatoire
de l’acte »31. Cependant, le législateur tunisien dans l’article 4 de la loi de 1994 regroupe
d’une manière méthodique les mentions obligatoires que l’acte de cession doit contenir afin
de mieux protéger le consentement de l’auteur32 et de préciser le contenu de l’acte, ce
formalisme vise donc à déterminer l’objet du contrat d’auteur33.

La politique législative visant à obliger l’auteur à ne pas céder ses droits à la légère a conduit
les rédacteurs de la loi de 1994 à prévoir un certain nombre de précisions que doivent
nécessairement comporter les écrits constatant les contrats de cession par l’auteur de ses droits
d’exploitation sur son œuvre. Selon l’article 3, si l’on veut que la cession porte sur un mode
30
C’est en fait la nouvelle dimension de la forme solennelle, dimension plutôt moderne et contemporaine.
31
B. Nuytten et L. Lesage, Formation du contrat, regards sur les notions de consensualisme et de formalisme,
Répertoire Notariat Défrénois, 1998, article 36784, n° 25.
32
Selon X. Lagarde, (dans son article : Observations critiques sur la renaissance du formalisme, JCP. G, n°40, p.
1767), Le formalisme de la mention met en exergue une des caractéristiques fondamentales du formalisme
moderne : le caractère parcellaire de la forme.
33
Le siège de la matière en droit français est l’article L131-3 al 1er du Code de propriété intellectuelle français ou
CPI.

12
d’exploitation de l’œuvre, il faut que ce mode d’exploitation soit prévu, c'est-à-dire mentionné
dans le contrat au triple point de vue de sa forme, sa langue d’expression, ainsi que le lieu de
son exploitation. Sans oublier de déterminer au préalable le nom du responsable de
l’exploitation ainsi que la durée de cette même exploitation.
Dans l’article 131-3 du CPI français, après qu’il a été indiqué que les contrats de
représentation, d’édition et les autorisations gratuites d’exploitation doivent être constatées
par écrit, l’al 3 déclare que « la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la
condition que chacun des droits cédés soit délimité quant à son étendue, et sa destination,
quant au lieu et à la durée ». L’al 4 précise que ces indications sont nécessaires même quand
les circonstances spéciales justifient que l’écrit soit remplacé par un échange de télégrammes.

Bien qu’une cession des droits d’exploitation à titre gratuit ne soit pas interdite, c’est en
général à titre onéreux qu’elle a lieu. En ce cas, la rémunération à laquelle peut prétendre
l’auteur qui cède ses droits d’exploitation a intéressé les rédacteurs de la loi tunisienne de
1994 mais elle a surtout préoccupé le législateur français dans la loi de 1957.
En effet, l’article 35 al 1er de la loi de 1957 organise le système dit de la participation
proportionnelle. Cela signifie que la loi française rejette en principe le système du forfait dans
lequel le cocontractant de l’auteur est quitte envers ce dernier, dés lors qu’il lui a versé une
rémunération globale au moment de la conclusion du contrat. On a voulu éviter que l’auteur
cède pour somme dérisoire des droits d’exploitation dont il apparaîtrait, en fin de compte,
qu’ils ont procuré des grains substantiels aux cessionnaires. La loi exige en conséquence, que
l’auteur jouisse de quote-part « sur les recettes provenant de la vente ou de l’exploitation », la
première expression se réfère à l’exercice du droit de reproduction, la seconde à celui du droit
de représentation.34
Des incertitudes subsistent quant au champ d’application exact de la participation
proportionnelle. Ainsi la loi ayant énoncé le principe dans son titre II relatif à l’exploitation de
l’œuvre sous sa forme originaire par voie de représentation ou de reproduction, la question
était posée est de savoir si ledit principe s’applique aussi en cas d’utilisation dérivée de
l’œuvre, par exemple en cas d’adaptation. Une réponse affirmative est en général donnée à
34
Tout en posant le principe de la participation proportionnelle, les rédacteurs de la loi française de 1957 ont
omis d’en fixer le montant, sans doute pour crainte de devoir élaborer un système complexe de solutions
adaptées à la multiplicité des situations particulières susceptibles de se présenter. L’absence du minimum légal
entraîne évidemment le risque pour les auteurs de voir la participation proportionnelle établie à un taux trop bas
par leur cocontractant. Il semble cependant que la jurisprudence française veille à ce que soient respectés non
seulement la lettre, mais aussi le système de participation proportionnelle et qu’elle soit disposée en conséquence
à annuler toute clause qui fixerait ladite participation à un taux que les tribunaux estimeraient insuffisant. En ce
sens, TGI de Paris, 16 mai 1969, Rev.int.dr. auteur, janvier 1970, n°LXIII, p. 213, note Schmidt.

13
cette question. En revanche la question de la rémunération de l’auteur demeure jusqu’à
présent sans réponse en droit tunisien.

7. L’étendu du formalisme de la mention- On peut se demander aussi si le formalisme de la


mention s’applique à l’ensemble des contrats d’auteur ou au contraire il est limité aux contrats
pour lesquels un écrit est exigé : Il s’agit des contrats : de reproduction, de communication de
l’œuvre au public, de traduction et d’adaptation de l’œuvre en droit d’auteur tunisien (article 2
de la loi de 1994), et les contrats : d’édition, de représentation et de production audiovisuelle
en droit français (L131-3 al 1er du CPI).
Avant la codification de la loi française du 11 mars 1957 la doctrine française était divisée.
Pour certains auteurs, l’alinéa 3 de l’article 31 de la loi du 11 mars 1957 (l’actuel article
L131-3 al 1er du CPI) n’intéressait que les contrats visés à l’al 1er du même article (art.L.131-2
al 1er CPI)35. Pour une autre partie de la doctrine, en raison des termes généraux de l’al 3 de
l’article 31, cette règle valait bien pour les cessions des droits visés à l’al 2 (CPI, art L131-2,
al 2) que pour celles concernées par l’al 1er de l’article 31 de la loi du 11 mars 1957.
Aujourd’hui la majorité de la doctrine retient la seconde solution36. D’ailleurs depuis la
codification de la loi de 1957, l’article 31 a été scindé en deux. Nul besoin de lire l’article
L131-3 du CPI à la lumière de l’article précédent, il s’agit de deux articles indépendants. Or
l’article L131-3 figure dans le chapitre intitulé « dispositions générales », par contraste avec le
chapitre suivant qui énonce des dispositions « particulières à certains contrat ». De même il n
y a aucune distinction liée à la nature du droit cédé ou à celle de l’objet du contrat, là où la loi
ne distingue pas, il n y a pas lieu de distinguer. Donc, selon un principe d’interprétation
exégétique, toutes les transmissions de droits d’auteur sont concernées par l’article L131-3 al
1er du CPI. Enfin l’expression « la transmission des droits d’auteur » est traditionnellement
utilisée par le législateur pour englober toute forme de transmission de droits.37
Pourtant, un arrêt récent de la Cour de cassation française a décidé qu’une cour d’appel a
« justement énoncé que les dispositions de l’article L131-3 du CPI, qui ne visent que les seuls
contrats énumérés à l’article L131-2 al 1er, à savoir les contrats de représentation d’édition et
de production audiovisuelle, ne s’appliquent pas aux autres contrats »38. Cet arrêt s’inscrit

35
A. Huguet, op.cit., n°277.
36
A. H. Lucas, op.cit., n°577.
37
En ce sens, G. Cornu, Linguistique juridique, Montchrestien, 3éd 2005, n°69 et 70.
38
Cass. 1er civ., 21 nov. 2006, n° 05-19.294, Chaussade c/SA Eos : Jurisdata n° 2006-036062 ; Com.com.électr.
2007, comm. 3, obs. Ch. Caron.

14
dans le courant jurisprudentiel favorable à la minimisation du formalisme. Néanmoins sa
portée demeure incertaine. En effet, cette décision reste isolée et on considère que les
dispositions de l’article L131-3 du CPI ainsi que ceux de l’article 2 de la loi tunisienne de
1994, concernent tous les contrats d’auteurs39.
Ainsi les parties devront préciser les droits cédés par le contrat d’auteur et délimiter le
domaine d’exploitation des droits transmis au quadruple point de vue de l’étendue, de la
destination, de l’espace et du temps. Le contrat se doit donc de répondre aux questions
suivantes : Quoi ? Comment ? Pour qui ? Où ? Quand ? A défaut, la cession encoure en
principe la nullité. Le contrat devra d’abord énumérer de façon positive et précise chacun des
droits cédés. Il s’agit du corollaire de la règle de l’interprétation stricte in favorem auctoris
énoncée à l’article L. 122-7 al 4 du CPI « tous ce qui n’a pas été expressément cédé par
l’auteur est retenu de plein droit »40 ce qui conduit normalement à la prohibition des cessions
tacites.
Il devra en outre préciser l’étendue des droits cédés : désigner les procédés d’exploitation
envisagés. Par exemple il sera indiqué que la reproduction de photographies est autorisée par
l’illustration d’un ouvrage, en un nombre d’exemplaires ou de l’adaptation d’une pièce de
théâtre est autorisée en opéra, ce qui ne permet pas d’en tirer une version
cinématographique41.

L’article 3 de la loi tunisienne de 1994 ainsi que l’article L131-3 du CPI requièrent également
de préciser l’usage des modes d’exploitation autorisés par le contrat. L’auteur pourra ainsi
moduler les autorisations qu’il accorde à des tiers pour l’utilisation de son œuvre. A titre
d’illustration, un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation française en date du 12
juillet 2006 a décidé que la cession des droits par un photographe, portant sur un reportage
photographique destiné à illustrer une brochure publicitaire des termes de Vittel-
Contrexéville, n’emporte pas cession du droit de reproduction des photographies de ce
reportage sur des étiquettes de bouteilles d’eau minérale.42
Toujours en application de l’article 3 de la Loi de 1994 (et de l’article L131-3 du CPI
français), le domaine des droits d’exploitation transmis devra être délimité quant au lieu. La
clause stipulant que les droits sont transmis « pour le monde entier », « en tous lieu », voire

39
En ce sens, CA Paris 4ème ch. Sect.A 13 décembre 2006, Dadone c/ Sté union technique de l’automobile du
motocycle et du cycle : Jurisdata n° 2006-326741 contrat de cession portant sur un logiciel.
40
CA Paris, 28 mars 1997, Gaz. Pal. 1998, somm. p. 1744.
41
Cass. 1er civ. 22 juin 1959 : D. 1960, p. 129 note H. Desbois.
42
Cass 1ere civ 12 juillet 2006, RTDcom 2007, p. 92, obs F. Pollaud-Dulian

15
pour l’univers, répond à cet impératif43. Les parties pourront aisément circonscrire l’étendue
des territoires lorsque la création sera exploitée via un site internet, qui a vocation à être
consulté par les internautes du monde entier44.
Enfin, il conviendra de préciser la durée de l’autorisation d’exploiter (toujours selon le même
article 3). Certains contrats stipulent que « la cession est consentie pour la durée de la
propriété littéraire d’après les lois tunisiennes et étrangères et les conventions internationales,
actuelles et futures ». Il convient tout de même de constater que cette cession n’est pas
perpétuelle car son objet tombe dans le domaine public cinquante ans après la mort de
l’auteur45.
Reste à savoir maintenant la nature de ce formalisme.

B- Formalisme de preuve ou de validité ?

8. Le silence du législateur- Le législateur n’a pas précisé dans la loi de 1994 la sanction qui
s’attache à l’exigence d’un écrit. Quelle est la sanction du défaut d’écrit ? S’agit-t-il d’un
formalisme probatoire ou d’un formalisme de validité ? On a pu soutenir que, dans le silence
de la loi, l’exigence d’un écrit est une règle de validité. Mais on peut aussi considérer que
l’écrit n’est exigé que pour la préconstitution de la preuve et non ad validitatem.

Il est unanimement admis, qu’un acte juridique est solennel, lorsque le consentement doit être
extériorisé non dans une forme quelconque librement choisie par l’auteur ou les auteurs de
l’acte juridique, mais dans une forme impérativement déterminée par la loi46. Le
consensualisme étant le principe, il faut pour qu’un acte soit solennel, qu’un texte impose une
forme pour l’expression de volonté. De tels textes dérogeant au droit commun, doivent être
interprétés restrictivement.

9. Faire parler la loi malgré son silence- Du point de vue des textes, la loi de 1994 exige une
forme, mais sans dire pour quoi elle l’exige. La forme ainsi imposée à l’extériorisation de la
volonté, est-elle requise pour la validité et l’efficacité de l’acte juridique ou pour d’autres
43
TGI Paris 30 nov 1999, Comm.com.électr. 2001, comm. 87, obs Ch. Caron.
44
V. en ce sens, Ch. Nguyen Duc Long, La numérisation des œuvres, aspects des droits d’auteur et de droits
voisins, Litec, 2001. ; R. Trabelsi, Contrats d’affaires et fonds de commerce dans le monde électronique, étude
de droit comparé tunisien et français, p. 221, Thèse, Grenoble 2008.
45
En effet, selon l’article 18 de la loi de 1994, « le droit d’auteur dure pendant toute la vie de l’auteur et pendant
les cinquante années grégoriennes à compter du premier janvier de l’année d’après son décès ou de la date
retenue par le jugement déclaratif de décès en cas d’absence ou de disparition ».
46
V. en ce sens M-A Guerriero, L’acte juridique solennel, Bibliothèque de droit privé, Paris 1975.

16
raisons : pour la preuve ou la publicité de l’acte juridique ? Le problème est alors de
déterminer le sens de l’exigence légale relative à la forme. Cette question qui intéresse le
problème de la distinction des formes solennelles et des formes requises pour la preuve, et des
rapports entre ces diverses formes sera traitée normalement avec l’étude de cette distinction.

Des difficultés d’interprétation d’un ordre différent se présentent puisque la loi de 1994 n’a
pas exigé littéralement une forme solennelle mais l’a présupposé.
En effet, cette la loi ne se contente pas d’exiger la volonté de l’auteur de l’acte juridique, elle
exige une volonté expresse47. On a pu s’interroger sur le sens de cette exigence. La loi n’a-t-
elle pas entendu ainsi imposer une forme déterminée pour l’expression de la volonté
contractuelle ?

Il résulte du principe du consensualisme, que la volonté peut être manifestée selon une forme
quelconque, elle n’a pas besoin d’être expresse. Elle peut être tacite et résulter de tout fait, de
toute attitude impliquant qu’une personne a voulu s’engager. Certains textes se montrent
cependant plus exigeants. Ils imposent une manifestation expresse de volonté48. Est-ce que
cette loi de 1994 apporte une exception au consensualisme instauré par la théorie générale des
contrats voilà il y a déjà un siècle49 ?
Nous pouvons affirmer dés l’abord que le formalisme est une exception que seul un texte
exprès peut imposer. Mais la question qui se pose est de savoir ce que la loi de 1994 exige
exactement, est ce seulement que la volonté de l’auteur de l’acte juridique soit sans
équivoque, ou que cette volonté soit extériorisée dans un écrit.

L’exigence d’une volonté expresse, est, selon les expressions utilisées par les auteurs, « un
formalisme négatif », atténué. Les actes juridiques pour lesquels la loi exige une manifestation
expresse de volonté ne sont pas solennels qu’aucune forme déterminée n’est imposée à la
manifestation de la volonté de leur auteur, mais ils ne sont pas non plus consensuels puisque
leurs auteurs n’ont plus l’entière liberté de choix du mode d’extériorisation du consentement,
seuls les modes exprès sont admis : il s’agit dans cette opinion d’un consensualisme assoupli à

47
En effet l’article 3 de la loi de 1994 dispose qu’« aucun exploitant …ne peut procéder à l’exploitation de
l’œuvre…s’il ne justifie d’une autorisation préalable du propriétaire de l’œuvre sous forme d’un contrat écrit… »
48
C’est le cas par exemple de la solidarité entre débiteur en matière civile qui ne se présume point elle doit être
stipulée expressément dans un contrat (article 170 du coc).
49
L’article 2 du COC promulgué en 1906, cite à titre limitatif les éléments constitutifs du contrat : la capacité le
consentement l’objet et la cause et ne cite point la forme, celle-ci est clairement exclue des éléments pouvant
présider à la formation du contrat.

17
mi-chemin de l’acte juridique solennel. Ce qui conduit ces auteurs à une conception très
restrictive de la volonté expresse. Il faut, soutiennent-ils, une volonté positive se traduisant
par une affirmation nette et caractérisée partant incontestable50.
Cette conception est très critiquable, un acte juridique est solennel ou consensuel selon qu’une
forme est ou n’est pas imposée à la volonté, or il y a ceux qui pensent que ce qu’exigent la loi
de 1994, ce n’est pas une forme déterminée mais une volonté nettement exprimée. Ceci relève
de l’exigence d’une volonté certaine (condition de fond de l’article 2 du COC), sous réserve
de l’interprétation si elle n’est pas manifestée clairement, mais qui n’intéresse pas la forme de
cette manifestation.51

Ainsi les textes qui exigent une volonté expresse ne doivent pas être interprétés comme
imposant une forme, ni même comme excluant une ou plusieurs formes déterminées. La loi,
lorsqu’elle exige une volonté expresse veut une volonté manifestée clairement et sans
ambiguïté : c’est donc une question d’existence et d’interprétation de volonté (question de
fond et non de forme), peu importe la manière dont elle est extériorisée. Les parties ont donc
l’entière liberté de choix du mode d’expression du consentement, on demeure dans la sphère
du consensualisme. Voyons maintenant les arguments militants en faveur du formalisme de
preuve et ceux militant en faveur du formalisme de validité.

10- Arguments militants pour le formalisme de preuve- Selon une première thèse, l’écrit
n’est requis que pour la préconstitution de la preuve. On invoque d’abord en ce sens la lettre
de l’article 3 de la loi de 1994 qui dispose que le contrat doit être constaté par écrit. Si le
législateur avait voulu subordonner la formation du contrat à la rédaction d’un écrit, il l’aurait
dit expressément en instituant la nullité comme sanction à l’absence de l’écrit. D’autre part on
peut considérer que la loi de 1994 est un texte spécial qui déroge aux règles ordinaires de
preuve du droit civil instauré par les articles 427 et suivant du COC en faveur de l’auteur, et
cela concernant notamment la preuve des actes de cession dont le montant est inférieur à 1000

50
V. M-A Guerriero, L’acte juridique solennel, op.cit.
51
C’est bien en ce sens que s’est prononcée la jurisprudence française. Ainsi décide t-elle pour la solidarité par
exemple : il n’est pas nécessaire qu’elle soit exprimée en termes formels pourvu qu’elle soit certaine, résultant
certainement de l’acte et de ses circonstances et il n’est même pas nécessaire qu’elle soit écrite, les juges ont un
pouvoir souverain pour apprécier l’intention des parties, la solidarité est en effet valable dès lors qu’elle résulte
clairement et nécessairement du titre constitutif de l’obligation solidaire, on admet ainsi les modes purement
implicites d’extériorisation du consentement. Req. 4 aout 1896, DP 1896, I, 465.

18
dinars. On peut aller, d’ailleurs, assez loin dans cette voie et considérer que l’écrit requis pour
la préconstitution de la preuve constitue le seul mode possible de preuve des contrats de
représentation et de reproduction.
En l’absence d’écrit la convention est inefficace puisque la transmission des droits d’auteur
est subordonnée à la description détaillée des droits cédés et de leur étendue52.
La Cour de Paris n’a pas admis cette dernière conséquence mais a consacré cependant
l’analyse selon laquelle l’écrit n’est exigé qu’ad probationem : deux auteurs qui avaient rédigé
un fascicule d’une œuvre qui avait été éditée en plusieurs fascicules formant un cours,
réclamaient à l’éditeur un pourcentage sur les recettes produites par la vente du fascicule
qu’ils avaient écrit. L’éditeur rétorquait, qu’en l’absence d’une preuve écrite du contrat
d’édition, l’œuvre devait être considérée comme un élément d’une œuvre collective et non
comme une œuvre indépendante de collaboration. La cour a rejeté ce raisonnement et admis la
présentation des deux auteurs en faisant valoir que l’article 31 de la loi du 11 mars 1957
(l’équivalent de l’article 3 de la loi de 1994) n’a envisagé la convention que sous son aspect
civil53, pour conférer à l’auteur protégé par cette loi spéciale une garantie supplémentaire au
cas ou il contesterait l’existence du contrat d’édition alléguée par le commerçant. Mais quand
la contestation émane du commerçant, la preuve du contrat reste libre conformément à
l’article L110-3 du code de commerce (équivalent de l’article 598 du c.com tunisien), texte de
droit commun auquel la loi 11 mars 1957 n’a pas dérogé. En conséquence les auteurs ont été
déclaré recevables à prouver l’existence du contrat par indices, présomptions et témoins. Les
motifs de l’arrêt sont très nets. L’article 31 ne prévoit qu’une règle de preuve.
La solution a été reprise par le tribunal de grande instance de Paris, statuant à propos d’un
contrat autorisant la publication de photographies, dont l’existence était nié par l’auteur. Selon
le tribunal, « il résulte de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique et
notamment des articles 31 al 1 et 53 al 1 de ladite loi, qui déroge en ce cas aux articles 1341 et
1348 du Code civil que doit être refusée l’offre de prouver autrement que par un écrit, un
contrat autorisant la publication de photographie »54.

Néanmoins, une autre partie de la doctrine et notamment française remarque qu’à défaut
d’indication par le législateur quant à la nature de l’écrit, les magistrats français analysent
d’une façon quasi systématique l’écrit comme une règle de preuve, par faveur pour le

52
R. Savatier, Commentaire de la loi du 11 mars 1957, JCP 1957, I, n°1938, n° 70.
53
Le contrat d’édition et le contrat de représentation ont, en effet, un caractère civil à l’égard de l’auteur et
commercial du coté de l’éditeur ou de l’entrepreneur de spectacles.
54
TGI de Paris 16 mai 1968, D. 1969, p. 72.

19
consensualisme55. Ces auteurs approuvent cette analyse car elle respecte le principe du
consensualisme, toute disposition qui lui porte atteinte doit être expressément formulée.56
La jurisprudence française du droit d’auteur considère pour sa part, que l’exigence de l’écrit
prévue à l’article L131-2 al du CPI français (l’équivalent de l’article 3 de la loi tunisienne de
1994) est une règle de preuve. Les décisions sont nombreuses et constantes sur ce point. Par
exemple la cour d’appel de Paris a décidé, le 13 janvier 2003 que « si l’article L131-2 du CPI
invoqué par l’appelant dispose que les contrats de représentation d’édition et de production
audiovisuelle doivent être constatés par écrit, cette exigence concerne seulement la preuve du
contrat et non sa conclusion qui n’obéit à aucun formalisme, s’agissant de contrats
consensuels »57. Cette solution est conforme à l’analyse intrinsèque de l’article L131-2 du
CPI. En effet, selon cet article, les contrats doivent être « constaté par écrit » ce qui permet à
Desbois d’écrire que « constater c’est constituer un mode de preuve, alors que si la formule
comprenait une expression telle que « stipulé par écrit », ce serait la naissance, et non la
constatation de l’obligation, qui serait subordonnée à la rédaction d’un acte »58.
Par ailleurs l’al 2 de l’article L131-2 du CPI renvoie aux articles 1341 à 1348 du Code civil
qui posent des règles de preuve. Il est donc juste de penser que l’al 1er renvoie aussi à des
règles de preuve.59

En application de l’article L131-2, al 1er du CPI les contrats de représentation, d’édition de


production audiovisuelle, ainsi que les autorisations gratuites d’exécution, doivent être
constatées par écrit. Il convient d’ajouter à cette énumération le contrat d’adaptation
audiovisuelle qui selon l’article L131-3 CPI doit être conclu par écrit sur un document distinct
du contrat relatif à l’édition proprement dite de l’œuvre imprimée. L’écrit peut être une
télécopie60 ou un e-mail61.
L’article L131-2 al 1er du CPI est une règle dérogatoire aux dispositions du Code civil
relatives à la preuve des contrats. Il doit donc être interprétés de façon restrictive62. La

55
J. Flour, Quelques remarques sur l’évolution du formalisme, article précité.
56
J. Flour, ibid.
57
CA de Paris, 1er ch, sect A 13 janvier 2003, Duchassaing de Fontebressin c/Sté la Gazette du Palais : Jurisdata
n°2003-206140 ; dans le même sens CA Paris, 1er juillet 1968 : D. 1968, p. 719., Cass 1ere Cic, 12 avril 1976,
RTDcom. 1978, p. 103, obs H. Desbois, RIDA oct 1976, p. 164 ; Cass 1ere Civ 20 novembre 1979, D. 1981,
somm. P. 86, obs. Colombet ; TGI Paris, 9 janvier 2002, P.c/Tempsport : JurisData n°2002-217920.
58
H. Desbois, Commentaire de la loi du 11 mars 1957, D. 1957, législ. p. 362.
59
CA Aix-en-Provence, 7 février 2006, Eurl Ferrari c/ Rinaudo Gualchierotti : Jurisdata n° 2006-299145.
60
La télécopie est assimilée au télégramme expressément admis par l’article L131-3, al 2 du CPI, d’ailleurs elle
est aujourd’hui proposée par les services de poste
61
P-Y Gautier, L’E mail in Clé pour le siècle, D. 2000, p. 380.
62
En application de l’adage Exceptio est strictissimae interpretationis.

20
jurisprudence française se prononce en ce sens, estimant que la liste des contrats visés par l’al
1er de l’article L131-2 est limitative.63
Ainsi peuvent par exemple être conclus sans qu’un écrit soit nécessaire : les contrats de
cession pure et simple du droit de reproduction64, les contrats à compte d’auteur et les contrats
de compte à demi65, les contrats de traduction ou encore les contrats d’adaptation autre
qu’audiovisuelle66…
Enfin, l’intention du législateur français étant de protéger l’auteur, l’écrit prévu à l’article
L131-2 du CPI ne peut être exigé, à titre de preuve, que du contractant de l’auteur67. Bien
souvent, le caractère mixte du contrat d’auteur, en principe civil pour l’auteur et commercial
pour le cessionnaire commerçant, permet à l’auteur de prouver par tous moyens le contrat à
l’égard du commerçant (art 110-3 du code de commerce français l’équivalent de l’article 598
du code de commerce tunisien)68.
Les moyens de preuve prévus par les articles 1341 à 1348 du code civil (l’équivalent de
l’article 427 et suivant du code des obligations et des contrats), s’ils sont applicables à propos
des contrats de l’al 2 de l’article L.131-2 du CPI, sont irrecevables, a contrario, pour les
contrats de l’al 1er. En conséquence, la preuve du contrat de représentation, d’édition, de
production audiovisuelle et des autorisations gratuites d’exécution ne peut pas être faite par
témoin69.
De même, le commencement de preuve par écrit de l’article 1347 du code civil ne peut pas
remplacer l’écrit de l’article L131-2 al 1er du CPI70. En outre, toutes les exceptions prévues
par écrit de l’article 1348 du Code civil sont irrecevables. Il en est ainsi de l’impossibilité
physique et morale que les intéressés peuvent alléguer pour avoir accès à la libre
administration de la preuve. Par exemple, un éditeur ne peut pas prétendre tirer partie des
relations d’intime confiance entretenues avec l’auteur pour se dispenser de la production
d’écrit.

63
Cass. Civ 12 nov 1980, RIDA oct 1981, p. 192. Une partie de la doctrine regrette cette solution et considère
que « l’écrit devrait s’imposer pour tous les contrats, car la raison de protection de l’auteur est la même partout.
64
CA. Paris, 6 mai 1980 : RIDA janvier 1981, p. 157, RTDcom 1980, p. 551 obs. A. Françon.
65
R. Savatier, Commentaire de la loi du 11 mars 1957, article précité, n° 70.
66
CA Paris, 10 mai 1973 : D. 1973, p. 548, concl. Cabannes.
67
TGI Paris, 9 janvier 2002, CA Paris 17 juin 1976 : RTD.com 1978, p. 105, obs H. Desbois.
68
TGI Pars, 25 mars 1972 : RIDA juillet 1972, p. 232 ; CA Paris, 6 mai 1980 : RTDcom 1980, p. 551, obs. A.
Françon.
69
A. Huguet, L’ordre public et les contrats d’exploitation du droit d’auteur, étude sur la loi du 11 mars 1957,
LGDJ 1961, n° 240.
70
A. Huguet, ibid.

21
Cependant, le cessionnaire des droits d’auteur peut recourir à des preuves non préconstituées.
En effet, l’article L131-2 al 2 du CPI rend seulement irrecevables les modes de preuve prévus
aux articles 1341 à 1348 du code civil, il ne se prononce pas sur les autres. On voit mal
comment déduire de ce silence une volonté du législateur d’exclure l’ensemble des preuves du
droit commun.
L’auteur pourra donc recourir au serment décisoire71 mode de preuve en pratique peu courant
et à l’aveu judiciaire72. Certaines décisions ont admis, par une interprétation a contrario de
l’article 1355 du Code civil, la possibilité d’un aveu judiciaire tacite73. Ce faisant les
magistrats amoindrissent le formalisme probatoire. Toutefois cette minimisation semble
relative car le formalisme de la mention posé par l’article L131-3 du CPI implique, en
pratique la rédaction d’un écrit afin de prouver le contenu de l’acte et de déterminer
l’utilisation de l’œuvre autorisée.

Cette exigence d’un écrit suscite maints problèmes. Certes, il est bien en général admis que
l’exigence en question n’est pas posée, dans ce contexte, qu’ad probationem non ad
validitatem. Mais même si l’on écarte l’idée selon laquelle le législateur aurait voulu faire des
contrats d’exploitation du droit d’auteur des contrats solennels, même si l’on réduit la règle de
l’articles 3 de la loi de 1994 à une simple règle de preuve, toutes les difficultés ne sont pas
aplanies pour autant. Il s’agit en effet de préciser d’une part quelle est au juste, la portée de la
règle de preuve posée par cette loi et d’autre part dans quels cas elle s’applique.

La portée de la règle de l’article 3 est aisée à dégager. Le texte signifie que, dans le cadre des
contrats qu’il vise, la preuve par témoins ou par présomption est interdite est ce même dans
les cas où, d’après le COC, elle serait admise. En d’autres termes dans l’hypothèse des
contrats de l’article 3, le recours à la preuve par témoins ou par présomption n’est pas permis,
dans l’hypothèse où il aurait existé, pour celui qui doit faire la preuve, une impossibilité
physique ou morale de se procurer un écrit.

On peut regretter la brièveté de la liste de l’article 2 de la loi tunisienne de 1994, dans la


mesure où la nécessite d’un écrit aurait été utile pour garantir la protection des auteurs dans

71
H. Desbois, op.cit, op.cit., n°514. En revanche, le serment judicaire supplétoire parait privé d’effet car l’article
1367 du code civil exige, au préalable, que « la demande ne soit pas totalement dénuée de preuve » : Cass. Civ
12 juillet 1924 cité par H. Desbois ibid.
72
TGI Paris, 12 janvier 1988 : RIDA juillet 1988 p. 116, note P-Y Gautier.
73
TGI Paris 28 février 1973, RIDA avril 1974, p. 88.

22
d’autre cas que ceux qu’énumère l’article. Mais en présence d’une règle dérogatoire au droit
commun de la preuve, tel qu’il résulte des dispositions du Code civil, la jurisprudence
française refuse d’appliquer le texte à d’autres contrats que ceux qu’il nomme. Ainsi la cour
de Paris d’un arrêt du 10 mai 197374, a jugé « qu’on ne saurait étendre cette exigence d’un
écrit au cas où des difficultés opposent deux auteurs quant à l’existence ou la portée d’une
autorisation de reproduire, dans l’ouvrage de l’un, une partie de l’ouvrage de l’autre ». La
cour en a déduit que la preuve de cette autorisation pouvait être rapportée « selon les
dispositions de l’article 1341 et suivant du c.civ ».

Pour revenir plus spécialement à l’article 3 de la loi de 1994, il faut dire que l’exigence qu’il
formule d’une preuve par écrit ne suppose pas seulement qu’on se trouve en présence d’un
contrat d’exploitation qu’il vise. Le jeu de cet article implique aussi qu’une autre condition
soit remplie. L’on ne doit pas en effet perdre de vue que les contrats d’exploitation et
notamment le contrat d’édition sont des contrats mixtes, c'est-à-dire des contrats civils pour
l’auteur et commerciaux pour leur cocontractant.
Raisonnons sur le cas du contrat d’édition. S’il s’agit pour l’auteur de prouver contre
l’éditeur, par exemple d’établir le contenu des obligations souscrites par l’éditeur, la preuve
est libre, car l’auteur est autorisé à se prévaloir contre un commerçant de l’article 598 du code
de commerce tunisien qui prévoit cette liberté de la preuve75. Si au contraire l’éditeur désire
prouver contre l’auteur, c’est-à-dire contre celui pour qui l’acte est civil, si, en particulier,
l’éditeur veut établir que ce dernier a autorisé l’édition, la règle de l’article 3 jouera. L’éditeur
devra produire un écrit pour que son édition soit regardée comme licite. Donc la seconde
condition pour que s’applique l’article 3 est que ce soit le cocontractant de l’auteur qui ait à
faire la preuve contre celui-ci et non l’inverse.

12. Arguments militants pour le formalisme de validité- Dans une conception différente on
considère que l’écrit exigé par l’article 3 de la loi tunisienne de 1994, l’est non seulement
pour la preuve, mais pour la validité du contrat76. La doctrine française invoque en ce sens
l’article 53 de la loi de 1957 pour le contrat d’édition, et l’article 44 pour le contrat de
représentation. Ces textes imposent un consentement écrit, or comme en la matière le

74
D. 1973.548, concl. Cabannes.
75
R. Savatier, Commentaire de la loi du 11 mars 1957, JCP, 1957, 1398, n°70.
76
V. en ce sens not. H.L.J Mazeau et de Juglart, T. II, 6ème éd., n° 69 (le consentement personnel de l’auteur doit
ad validitatem être écrit), cité par M-A Guerriero dans sa thèse précitée.

23
consentement ne peut être donnée que par écrit, l’écrit est une condition de formation de
l’acte juridique. On invoque aussi l’al 4 de l’article 31 de la loi française de 1957 qui parait
postuler que l’écrit est une condition de formation du contrat, puisque ce texte dispose que
« si les circonstances l’exigent, le contrat peut valablement être conclu par télégramme ». Il
semble donc que le contrat doive, pour la validité, être conclu par écrit, et qu’à titre
exceptionnel un échange de télégrammes, suffise pour que le contrat soit valablement formé
(à condition cependant qu’il contienne les mentions précisées par ce même texte).
Cependant cette deuxième thèse est peut-être plus conforme à l’esprit de la loi dont les
dispositions ont été inspiré par le souci de protéger l’écrivain ou l’artiste, souvent mal
renseigné ou insoucieux de ses droits, contre l’habileté d’une pratique parfois excessive de
certains exploitants. Ces motifs ne doivent-ils pas conduire à donner à l’écrit sa fonction la
plus protectrice, c'est-à-dire à le considérer comme une condition de validité du contrat ?
D’autre part la nature particulière du droit d’auteur et ses rapports étroits avec le droit de la
personnalité font de ce contrat un acte juridique grave77, nécessitant des garanties
particulières.

On peut d’autre part invoquer un argument d’analogie : la loi française du 2 janvier 1968
relative au brevet d’invention ainsi que tunisienne ayant le même objet du 24 août 2000
exigent un écrit ad solemnitatem pour la cession d’un brevet d’invention78.
Mais il n’en demeure pas moins que le législateur tunisien n’a pas suffisamment manifesté sa
volonté de déroger au principe de consensualisme. Dans ces conditions, même si de bonnes
raisons incitaient à considérer que les contrats d’éditions et de représentation sont des contrats
solennels, on peut en dernière analyse douter de cette solution en droit positif.

Les tenant de la théorie selon laquelle l’écrit est en principe requis à peine de nullité fondent
leur analyse sur l’intention du législateur. Selon ces auteurs, en l’absence d’écrit la sanction
doit être la nullité car, au cas contraire, la disposition spéciale exigeant un écrit (article 3 de la
loi tunisienne de 1994) ferait double emploi avec la règle de l’article 427 du COC, et cette
disposition spéciale de la loi de 1994 s’en distinguerait seulement des règles du COC que par
l’obligation de prouver au moyen d’un écrit quelque soit le montant de l 'acte en jeu (en
dessous ou en dessus des 1000 dinars). Or il est difficile de concevoir que le législateur ait

77
On oppose le caractère personnel du contrat au caractère patrimonial, ce dernier et moins dangereux car il
touche le patrimoine, alors que le premier est plus dangereux car il touche la personne même de l’auteur.
78
En effet l’article 62 de la loi de 2000 dans son alinéa 3 dispose que « la cession ou la transmission des droits
découlant du brevet sont constatées par écrit, sous peine de nullité ».

24
pris la peine d’exiger la rédaction d’un écrit pour certains contrats dans le seul but d’écarter la
preuve testimoniale, même si les actes juridiques en cause mettent enjeu des intérêt inférieurs
à 1000 dinars, alors que l’article 427 du COC pose de façon générale que la preuve écrite est
nécessaire pour tous les actes juridiques mettant en jeu des intérêts supérieur à 1000 dinars.
L’article 427 COC prévoit clairement le principe général selon lequel le contrat doit être
prouvé par écrit sans qu’il soit besoin de le rappeler spécialement pour tel ou tel contrat. Par
conséquent l’écrit de l’article 3 de la loi de 1994 serait exigé ad validitatem et non point ad
probationem.
Certains rajoutent que lorsque le législateur impose la rédaction d’un écrit, il parait difficile de
ne pas conclure qu’il fait de l’acte concerné un acte solennel. Certes il s’agit le plus souvent
d’un formalisme protecteur, donc finalisé. Ce même formalisme multiplie les apparitions
notamment dans les contrats spéciaux d’exploitation de droit d’auteur. En effet s’agissant
d’une affaire opposant la Société Tunisienne d’Edition d’une part et l’auteur Mohamed
Karrou et la Société Tunisienne de Diffusion d’autre part, le Tribunal de 1ère instance de Tunis
dans un jugement inédit rendu le 29 décembre 1975, a évoqué cette exigence à la lettre79 et
avait déclaré le contrat qui liait la STD aux héritiers du poète Chebbi nul, car n’étant pas
rédigé par écrit, l’absence d’écrit veut donc dire selon la cour, « l’absence d’un élément
déterminant dans la formation du contrat et conditionnant donc sa validité »80.

D’un autre côté, on peut dire que le formalisme de la mention confirme la thèse selon laquelle
l’écrit est requis ad validitatem- L’article 3 de la loi de 1994 exige-t-il pour que les contrats
d’auteur soient valablement conclus, qu’ils soient passés par écrit ? Une partie de la doctrine
répond par l’affirmative à cette interrogation. Elle considère que l’article 3 de la loi de 1994
présuppose implicitement une forme déterminée. En vertu de cette disposition, « la
transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés
fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation
des droits cédés soit délimité quant à son étendue et sa destination, quant au lieu et quant à la

79
La société Tunisienne d’Edition se prévalait de deux contrats d’édition d’un recueil de poème intitulé « Les
chansons de la vie » datant de 1966, et l’autre de 1973 et conclu avec les héritiers du poète Chebbi, la STD se
présentait également titulaire du droit d’auteur sur ce recueil car elle s’était chargée de vérifier le texte intégral
des poèmes et de chercher leur date. M. Karrou avait également écrit un livre intitulé « Abou El Kassem Chèbbi,
sa vie ses poèmes », livre qui a été édité par la STD, la STE les a assigné en violation de son droit d’auteur et de
droit d’édition cédé par le biais du contrat qui l’a lié aux ayants causes de Chebbi, le Tribunal de 1ère Instance a
estimé que la recherche de la date des poèmes et des circonstances de leur création ne pouvait être considérée
comme une création originale donnant droit à la protection par le droit d’auteur . Le tribunal a également débouté
du deuxième chef de la demande parce qu’il a considéré que le contrat qui l’a lié aux héritiers de Chebbi était nul
car n’étant pas rédigé par écrit.
80
Tribunal de 1ère instance de Tunis dans un jugement inédit rendu le 29 décembre 1975.

25
durée », en effet l’article 3 de la loi de 1994 dispose que l’écrit doit comporter nécessairement
les éléments suivants : « le responsable de l’exploitation, le mode d’exploitation (forme,
langue et lieu), la durée de l’exploitation et le montant de la rémunération revenant au
propriétaire de l’œuvre ».
Les mentions prescrites par ce texte nécessiteraient un écrit sur lequel elles devraient être
apposées, car comment imaginer les mentions sans écrit ? De plus, on a relevé que l’article 3
contient le terme contrat ou acte, c'est-à-dire l’exigence d’un écrit. Pour M-A Guerriero : « Il
est hors de doute qu’un écrit est exigé ad solemnitatem, les termes acte, titre, s’entendant de
l’exigence d’un instrumentum. L’acte juridique est solennel puisque la volonté de son auteur
doit être extériorisée selon une forme imposée »81.
Pourtant il apparaît que le législateur n’a pas suffisamment manifesté sa volonté de déroger au
principe du consensualisme et d’exiger un formalisme ad validitatem pour les contrats
d’auteur. Mais si l’écrit n’est pas expressément requis comme une condition de validité,
l’exigence d’une mention distincte dans l’acte de cession, pour chaque droit cédé, et la
nécessité de délimiter leur domaine d’exploitation avec précision, imposent en pratique que la
cession soit écrite. Par conséquent « cette disposition capitale, protectrice de l’intérêt de
l’auteur, imprime un caractère formaliste très marqué aux cessions de droits d’auteur »82.

Si nous avons tendance à dire à la fin de cette analyse que d’après les dispositions de la loi
tunisienne de 1994 et en les comparant avec la loi française sur la propriété intellectuelle de
1957 récemment codifiée dans le CPI français, l’écrit dans les contrats de droit d’auteur est
plutôt nécessaire pas seulement pour des raisons de preuve mais surtout pour des exigences de
validité, il est tout de même important de signaler une position d’un courant doctrinal tendant
vers la suppression pure et simple de cette distinction historique entre la forme en tant que
condition de preuve et la forme en tant que condition de validité, puisque les règles de forme
et de preuve protègent le consentement de la même manière et que finalement, le formalisme
probatoire est largement suffisant pour protéger le consentement83.

81
M-A Guerriero, L’acte juridique solennel, LGDJ 1975 p. 96.
82
A. H. Lucas, Traité de propriété littéraire et artistique, n° 577, Litec 3ème éd 2006
83
Ce courant est mené par M. P-Y Gautier se fondant dans son analyse sur la pensée de Bartin et de Gény, V. en
ce sens l’article de ce même auteur : La révolution internet : le dédoublement de l’écrit juridique, D. 2000, n°12,
p. 5, n° 3.

26
II – La licence de droit d’auteur et transformation digitale :
Le droit d’auteur tunisien a été construit à partir d’une vision humaniste, l’auteur est au centre
de la matière. Cependant cette approche, est de plus en plus remise en cause sous l’influence
d’un important courant doctrinal et législatif qui tend à appréhender --de plus en plus- les
créations d’une façon plutôt économique plutôt financiarisée. C’est ainsi que le formalisme se
trouve légitimement amoindri tant par le législateur que par les magistrats pour faire de la
licence de droit d’auteur une licence « presque consensuelle ». D’un autre côté et sous
l’influence du développement des nouvelles technologies de la communication, le formalisme
s’est dédoublé ces derniers temps pour donner naissance à ce que l’on appelle aujourd’hui le
formalisme électronique.
12. Transformation digitale- Le Web a rendu possibles -après la vulgarisation de l’internet
et des réseaux numériques- des formes de publication tout à fait inédites et surtout ayant un
cout extrêmement réduit voire dans certain cas, presque nul. Un tel contenu, peut en effet, être
publié, tout en évitant les frais d’impression (qui représentent une part importante des frais
éditoriaux). De façon plus radicale encore, un chercheur peut aujourd’hui déposer un texte sur
un dépôt ouvert (comme HAL.science, ou les dépôts numériques des universités, ou encore
des dépôts privés comme Academia.edu ou ResearchGate.com) et ce, sans même avoir à
payer un hébergement. C’est le cas, par exemple, de la plate-forme « WordPress » (la plus
utilisée dans les années 2010 dans le domaine de la recherche scientifique). Les frais
éditoriaux en l’occurrence, sont presque réduits à zéro. Certains observateurs ont même noté,
que le digital, qui a peine avoir tué l’édition, tente déjà de la raviver, sous une autre forme, la
forme numérique.
Cette transformation est d’autant plus radicale que les grands diffuseurs numériques (Elsevier,
Springer, Wiley-Blackwell, Taylor & Francis), plutôt que de corréler la baisse des prix de
production à une baisse des prix d’achat, ont au contraire augmenté ces derniers. Les profits
de ces grands diffuseurs sont donc passés de 665 millions de dollars en 1991 à environ deux
milliards en 201284. La transformation digitale du secteur de l’édition, n'est donc pas un
mouvement technologique statique où l'on passerait d'une phase A à une phase B.… mais
s'inscrit plutôt au coeur d'un processus dynamique qui change et s'améliore au fil du
temps...c'est la ou l'innovation n'est pas un choix mais une véritable obligation ; une question
de vie ou de mort pour tous les éditeurs85. De façon plus générale, la transformation digitale

84
V. Larivière, S. Haustein, P. Mongeon, PloS one, « The oligopoly of academic publishers in the digital
era », 2015 - journals.plos.org.
85
V. Ocèane Mignot, La transformation digitale des entreprises, Maxima, Paris, 2019.

27
de l’entreprise, est « l’intégration graduelle de la technologie du numérique et de l’internet
dans tous les secteurs d’une entreprise pour changer la façon dont celle-ci fonctionne et offre
de la valeur à ses clients »86.

Si avec l’invention de l’imprimerie, le manuscrit mettait sur le même plan la valeur de l’objet
(le livre papier) et la valeur de son contenu (l’enchainement des idées) : les deux étaient
difficilement dissociables, avec le numérique le livre c’est totalement désarmé de son support
papier pour s’installer sur le Web mettant en crise et l’industrie du livre et les lois relatives au
droit d’auteur : c’est ce que l’on appelle « la déterritorialisation des contenus »87.

A- La digitalisation de la création littéraire :

13. Crise culturelle du « livre imprimé »88 - L’invention de l’imprimerie89 a créé une certaine
séparation entre le contenu et le support sur lequel il est publié – une séparation auparavant
moins évidente et plutôt impensable. La mécanisation de la copie, rendue possible par la
presse à caractères mobiles, permettait en effet d’imprimer un même contenu pratiquement
sans effort et à un coût réduit. Au contraire, le manuscrit mettait sur le même plan : et la
valeur de l’objet (le papier, l’encre et la couverture…) et la valeur de son contenu (les idées
originales) : les deux étaient indéfectiblement rattachés. Dans le cas du « livre papier », il est
devenu plus aisé de distinguer le contenu « reproductible » de l’objet « unique ». C’est
comme ça que s’est constituée la logique sur laquelle se structurait au paravent le « droit
d’auteur » : l’auteur n’est pas propriétaire de « l’objet-livre » (qui peut donc passer d’une
main à une autre comme n’importe quel bien meuble corporel) mais plutôt de son contenu,
voire propriétaire d’une certaine manière de formuler des idées, qui s’inscrit ensuite dans le
texte imprimé.
L’idée contemporaine de droit d’auteur vient donc répondre à un besoin économique et social
bien précis, lié surtout à une technologie singulière de production et de diffusion des textes à
savoir : l’imprimerie90.

86
Ibid.
87
V. Dacos M., Mounier P, L’édition électronique. Paris : La Découverte, 2010.
88
« Car l’environnement numérique est avant tout le lieu d’une nouvelle culture qui, dans ses pratiques,
fragilise et déconcerte les modèles actuels ainsi que leurs institutions. » Milad Doueilhi, in « Le livre à l’ère du
numérique, objet de résistance, objet fétiche », - Les cahiers de la librairie, 2009.
89
Johannes Gutenberg est l’inventeur allemand de la presse mécanique à caractère alphabétique mobile
métallique à partir de 1450.
90
Ibid

28
L’immersion des technologies numériques, a mis en crise les lois relatives au droit d’auteur et
avec elles tout le système déjà établit par la convention de Berne. Celle-ci s’appuyait sur
l’idée que les livres circulent physiquement dans un État ou dans un autre, chacun suivant ses
propres données territoriales. Avant l’éruption du digital, la diffusion d’un livre dans un État
n’impliquait point sa diffusion dans l’autre. Le fait qu’un livre soit tombé dans le domaine
public au Canada par exemple, mais pas en Tunisie ne posait donc que peu de problèmes : les
tunisiens n’auraient pu accéder à l’ouvrage qu’en allant s’approvisionner physiquement sur le
territoire canadien ! Or, avec l’expansion mondiale des réseaux numériques, le transfert d’un
fichier contenant un manuscrit devient un simple jeu d’enfant et d’une simplicité
déconcertante : ce qui fait que la mise à disposition gratuite du fichier sur un serveur au
Québec, implique automatiquement pour un tunisien, par exemple, la facilité de son
téléchargement sur le territoire tunisien, même si ce fichier est encore sous droit d’auteur en
Tunisie. Cet exemple montre le premier défi posé au droit d’auteur à l’ère du numérique à
savoir : « la déterritorialisation des contenus »91. Un contenu mis sur le Web, est
systématiquement et potentiellement accessible aux quatre coins du globe. Le premier défi
posé au droit d’auteur par la transformation numérique est donc, la reconfiguration des
frontières de circulation des contenus, une reconfiguration que ne peut être juridiquement
gérée que par le droit international privé de la propriété intellectuelle...

La transformation numérique a largement réduit le coût de reproduction des ouvrages.


Pratiquement inexistant, un fichier informatique, peut être démultiplié, sans que cela ne coute
pour le producteur digital aucun coût réel. C’est justement, de cette possibilité de reproduction
à un coût assez bas, qu’était née l’idée moderne de droit d’auteur. La tendance est donc
renversée, si au paravent, un lecteur était prêt à payer pour posséder un livre, (lui
reconnaissant à la fois, une valeur objective en tant qu’objet physique et textuel, en tant que
produit commercial et en tant que médium culturel) pour ce qui est des fichiers, le lecteur sait
que l’objet en tant que tel n’a presque aucune valeur et ce dont il en payera vraiment le prix,
c’est plutôt le contenu c’est-à-dire les idées et rien que les idées.
Ce renversement de tendance, a profondément bouleversé l’économie même du droit d’auteur.
Dans l’ancienne économie, l’édition papier était fondée sur l’idée de la rareté : l’information
acquière de la valeur grâce à sa rareté. Alors que l’économie numérique est par essence une
économie de l’abondance : les informations y déferlent d’une façon ininterrompue et en temps

91
V. Dacos M., Mounier P, L’édition électronique. Paris : La Découverte, 2010.

29
réel. Dans une telle économie, on ne cherche plus l’information en tant que telle mais plutôt
sa structuration, son tri, sa hiérarchisation, son accessibilité, sa lisibilité, sa visibilité voire son
intelligibilité. Telle est la mission presque messianique du célèbre moteur de recherche
américain Google : « Our mission is to organize all the information in the world … » 92

14. Mouvement de numérisation- Il s’agit d’un mouvement d’adaptation de matériaux,


conçus et diffusés initialement pour le papier, dans l’environnement numérique. Ce processus
est appelé « numérisation ». Au sens propre, la numérisation est l’opération qui consiste à
transformer un signal analogique en un signal numérique. Ce processus implique une
discrétisation93 du signal analogique – qui est continu – réalisée grâce à un échantillonnage.
On peut numériser n’importe quel type d’information : du son, des images, des vidéos ou,
évidemment, des textes. Le processus de discrétisation permet une simplification de
l’enregistrement qui est réduit à une série de chiffres entiers, plus précisément de 0 et de 1. Ce
processus permet de transformer une page imprimée en un fichier numérique94. La page
imprimée – analogique et continue – est discrétisée via un échantillonnage et transformée
d’abord en image, ensuite en texte, pour être finalement diffusée dans l’environnement
numérique.
Tous les contenus produits aujourd’hui, sont normalement destinés à une double diffusion
papier et numérique – par exemple un article de revue qui sera imprimé et en même temps
diffusé par un diffuseur numérique (comme OpenEdition en France, Érudit au Québec ou
Muse aux États Unis), ou encore un roman qui sera imprimé, mais aussi diffusé en format
ePub ou Kindle (Amazon.com).
Ce processus implique des choix techniques concernant la résolution, le type de structuration
et de format, les informations à baliser, etc. – (qui sont loin d’être neutres95). En
effet « chaque forme de numérisation porte des valeurs, des interprétations de ce qu’est le

92
V. Barbara Cassin, « Google-moi : La deuxième mission de l'Amérique », Albin Michel, 10 janvier 2007
93
La discrétisation est le processus d’échantillonnage qui permet de transformer le continu du réel en une série
de chiffres. Cette caractéristique du numérique est à la base de la facilité de gestion des objets numériques et de
leur transformation. Ce processus d’échantillonnage et de discrétisation est à la base de toutes les technologies
électroniques qui fonctionnent à partir de chiffres discrets en base 2, à savoir, à partir d’une série de 0 et de 1.
Concrètement, ces deux chiffres sont représentés par un circuit électrique où passe le courant (le 1) ou bien où le
courant ne passe pas (le 0)
94
Ces quatre dernières années, le célèbre moteur de recherche Google, a numérisé et mis en ligne des millions
d’ouvrages puisés dans les fonds des plus grandes bibliothèques universitaires. Google se hisserait au rang de
plus grand libraire commercial de la planète – son empire numérique reléguerait Amazon au rang de boutique de
quartier.
95 Dominique Cardon, Le pouvoir des algorithmes, Pouvoirs, 2018/1 (N° 164), pages 63, cairn.info.

30
contenu, de son sens, de son contexte, de la manière dont il doit être lu et compris, de ses
possibilités de circulation et de réception »96 .
Ce mouvement irréversible, est en passe de mettre en crise tout le dispositif de gestion des
droits d’auteur structuré au tour de modèles économiques fondés essentiellement sur le
modèle papier. En effet, limiter ou stopper la circulation ou la démultiplication d’un fichier,
devient une tache très ardente dans le monde numérique, d’autant plus que de tel fichier peut
se multiplier « à volonté », ainsi qu’avec la possibilité de transfert à la vitesse de la lumière
d’un point du globe à un autre est tout ceci sans presque engendrer aucun coût (donc une
diffusion à la fois bien plus facile et à une échelle internationale, abstraction faite des
barrières linguistiques). Ce qui risque met en péril aussi le modèle de rémunération des
auteurs qui s’est stabilisé depuis le 18 siècle avec le « Statute of Anne » du 10 avril 1710.

Pour ce qui est des contenus qui sont produits d’emblée en version numérique97, les premiers
logiciels de traitement de texte apparaissent dans les années 1960 et leur utilisation s’est
diffusée rapidement auprès des auteurs. « Microsoft Word » est lancé en 1983 et conquiert
rapidement le marché en s’imposant comme l’un des outils d’écriture les plus utilisés et les
plus performants. Dans les années 2000, il est rare de trouver des auteurs qui n’écrivent pas
leurs textes en format numérique.

Aujourd’hui, le numérique est l’espace dans lequel nous vivons. Il ne s’agit plus d’outils au
service des pratiques anciennes, mais d’un environnement dans lequel nous sommes plongés,
qui détermine et façonne notre monde et notre culture. Voilà pourquoi le numérique n’est pas
seulement une technique de reproduction qui s’oppose à l’analogique, mais il devient une
véritable culture, une véritable civilisation, avec des enjeux sociaux, politiques et éthiques
fondamentaux et qu’il est urgent d’analyser et de prendre en compte.

15. Le livre numérique : un livre augmenté, un livre enrichi- Le livre numérique ou le


« livre-texte » est défini légalement comme « une œuvre de l'esprit créée par un ou plusieurs
auteurs et qu'il est à la fois commercialisé sous sa forme numérique et publié sous forme

96
Benoît Epron, Marcello Vitali-Rosat, « L’édition à l’ère numérique », p 47, éd. La Découverte 2018.
97
L'homothétie est la qualité de ce qui est similaire. Le livre numérique est dit homothétique lorsqu'il prend la
forme d'une image de la version sur papier. Il présente le double intérêt du plaisir des yeux et de la commodité de
la navigation électronique. Le format est variable : pdf, xml (extensible markup language), epub (electronic
publication), formats créés par la société Mobipocket : mobi et prc, etc

31
imprimée ou qu'il est, par son contenu et sa composition, susceptible d'être imprimé, à
l'exception des éléments accessoires propres à l'édition numérique. »98
« Chroniques d’un désastre annoncé Tel le pharmakon, promesse et poison à la fois, le livre
numérique suscite enthousiasme et méfiance »99. Il est vrai que l’expérience de la migration
d’autres industries culturelles vers le numérique a affaibli la santé économique des entreprises
en place et avec elles la rémunération des auteurs/créateurs. En six ans, l’industrie du disque a
perdu la moitié de son chiffre d’affaires.
Même si toute la chute n’est pas imputable au numérique et aux pratiques illégales de
téléchargement qu’il permet, c’est la difficulté de l’industrie dans sa globalité à s’adapter aux
changements technologiques, qui a plutôt suscité les inquiétudes du monde éditorial. Tétanisé
par les enjeux et les risques encourus, celui-ci hésite à se lancer dans la mise à disposition
d’une offre dont il est sur qu’elle sonnera le glas du livre papier, puisque les prix seront
nécessairement plus faibles et avec des modèles économiques qui peinent à se stabiliser.

Publie.net se présente comme figure de proue en ce domaine et propose plus de cinq cents
livres numériques en ligne en différents formats adaptés à la variété des matériels (pdf pour
les ordinateurs, ePub pour les liseuses et tablettes, prc pour Kindle), dont certains sont
multimédias. Il est possible de payer à l’unité ou de s’abonner.
Le modèle économique de Google constitue le summum de la simplicité digitale. La gratuité
de l’accès permet de créer du trafic et d’affiner ainsi la connaissance des utilisateurs et
d’établir ainsi leur « profil socio-comportemental », dans une logique de marché-biface :
Google propose des contenus d’un côté et vend en même temps de l’espace publicitaire de
l’autre côté, le prix de cet espace étant d’autant plus élevé que le nombre des internautes dont
les requêtes transitent par ce moteur de recherche est élevé : c’est ce qu’on appelle le modèle
du gratuit-payant. L’entreprise s’emploie à mettre en œuvre une logique de diversification des
services, dont le livre n’est que l’une de ses prestations, mais se positionne aussi de façon
verticale à travers une implémentation sur toute la chaîne de valeur du Web.
En 2011, Google ouvre sa librairie en ligne au Canada, proposant des centaines de milliers de
livres électroniques à acheter et deux millions d’autres à télécharger gratuitement. Le chiffre
d’affaires est de 37,88 milliards de dollars en 2011.

98
Art 1 loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique : www.legifrance.gouv.fr/
99
Bianca Tangard, « L’édition de livres numériques : un défi technique, économique et culturel » Mémoire,
Master 2, Publication numérique, Université de Montréal 2016/017.

32
Bref, si éditer des livres numériques pose aujourd’hui problème, c’est parce qu’il s’agit d’une
pratique novatoire qui pousse à repenser le modèle économique de nos entreprises et surtout à
revoir nos toutes petites « habitudes culturelles ».

16. Dispositif technique et lisibilité du livre numérique- Dans les années 2000, les
expériences de développement de dispositifs techniques de lecture numérique se sont
multipliées avec notamment le lancement du CyBook par la société Cytale en 2001100. Ce
dispositif, consistant en un écran d’ordinateur portable, tactile, intégré à une coque recouverte
d’un rabat en cuir, défraye la chronique. Tout d’abord, il soulève le problème du matériel
nécessaire à une activité de lecture numérique. Ensuite, le rétroéclairage de l’écran, ses
performances d’affichage, la taille ou le poids du dispositif… tous ceux-ci deviennent des
problématiques auxquelles il apparaît urgent de répondre avant d’imaginer la naissance et le
développement de tout un marché consacré uniquement au livre numérique.
Amazon.com en garantissant un prix relativement bas pour ses « liseuses » (de tablettes et de
téléphones intelligents Ipad, Note, Bookeen, Nook, Kindle et Kindlefire et autres Kobo…),
c’est plutôt la croissance de sa base de clients qui est l’objectif final de sa stratégie marketing.

Ainsi, en investissant dans les potentialités du digital, les éditeurs se trouvent aujourd’hui
confrontés à la fois à : l’embarras des choix stratégiques, à l’exigence de l’interopérabilité des
formats techniques, à la complexité des circuits de distribution de diffusion et finalement à
des nouvelles habitudes de lecture et d’étude de textes. Ce sont même ces choix complexes
qui vont déterminer l’avenir de l’ensemble du secteur de l’édition. En effet, le choix du format
(ePub ou application) par exemple, est nécessairement allié à un modèle économique
spécifique et à une diffusion par les acteurs du livre ou par des plates-formes d’applications
(iTunes Store ou Google Play)101.

17. Droit et économie de l’édition numérique- On assiste aujourd’hui à un changement


radical dans le cheminement éditorial, se dirigeant ainsi vers une logique de structuration des
processus de production éditoriale, qui ne vise plus à produire un objet mais plutôt à
« structurer un contenu ».

100 Dominique Nauroy L'échec du livre électronique Cybook : une innovation en mal de traduction, Hermès, La Revue 2006/2 (n° 45),
,
pages 183 à 191, cairn.info.
101
Il est à noter aussi que les services sont liés aux machines, dans des écosystèmes fermés : ainsi, la liseuse
Kindle donne accès exclusivement aux fichiers Amazon, Kobo à ceux de la FNAC, et l’Ipad aux applications
Apple…

33
Du fait de la séparation entre le contenu et le support du livre, les éditeurs et les auteurs se
trouvent confrontés à des problématiques économiques et juridiques tout à fait inédites. Ainsi,
se pose la question du modèle de rémunération et de gestion des droits utilisés ; Quels seront
les statuts des différents contributeurs dès lors qu’un projet peut rassembler un auteur, un
illustrateur, un animateur ou un développeur… ? et surtout qu’elle forme peut-il prendre le
contrat unissant l’auteur à son éditeur numérique ?

B- Electronisation de l’édition et du contrat d’édition

18. L’éditeur électronique- L’éditeur littéraire est présenté par le droit français comme « celui qui
est chargé de fabriquer en nombre les exemplaires de l’œuvre (livres, journaux, etc.) et de les diffuser
auprès du public. Personne physique ou morale, il prend l’initiative, contrôle et édite sous son
propre nom les articles ou écrits sur lesquelles il est investi des droits de l’auteur, conformément aux
dispositions de l’article L 113-5 du code de la propriété intellectuelle français.
Les droits dont il est investi, sont une contrepartie du travail de mise à disposition de l’œuvre au
public. En échange, il est tenu de certaines obligations. »

La notion d’édition électronique ne fait l’objet quant à elle, d’aucune définition précise et
rigoureuse ni en droit tunisien ni même en droit français. A priori l’édition électronique
devrait se définir par opposition à l’édition fondée sur des supports imprimés. L’édition
électronique serait donc un mode d’édition consistant à fixer les œuvres écrites par le procédé
technique de la numérisation. Cette définition est évidemment très réductrice, dans la mesure
où elle laisse de côté l’aspect le plus important qui est celui des modes de diffusion de l’écrit.
Beaucoup plus que le procédé technique utilisé pour reproduire les textes, ce sont les procédés
utilisés pour les diffuser qui constituent une véritable mutation, en particulier sur le plan
juridique. L’édition électronique, doit s’entendre de l’ensemble des procédés d’édition,
permettant de reproduire l’écrit, de telle sorte qu’il puisse être communiqué à distance sans
l’intermédiaire d’un support physique. En ce sens, la spécificité de l’édition électronique
résulte de la conjugaison entre les techniques de numérisation et les techniques de
télécommunication, conjugaison qui permet de détacher le contenu (l’œuvre) du contenant (le
support de lecture).

Beaucoup de maisons d’édition ont opté pour le « tout numérique », elles ne proposent en
effet, que des e-books et ne travaillent en fait, avec aucun imprimeur. D’autres maisons

34
d’édition, produisent simultanément des livres imprimés et des livres numériques. Le principe
consiste à proposer une version électronique de chaque publication imprimée, (ex maison
d’édition Larmatthan .com)102. Certaines maisons ont pris le parti de ne faire ne point faire de
l’édition version papier, elles ne connaissent que le numérique. Elles proposent des
documents numérisés ou nés numériques. Toutefois, la version papier est envisageable
uniquement avec le concept de l’impression à la demande103.

Dans le cadre de l’édition traditionnelle, seul le droit de reproduction était vraiment mis en
œuvre de façon importante : le texte avait vocation ici à être diffusé sur un support imprimé.
La cession du droit de représentation quant à lui, n’avait d’intérêt que pour des exploitations
relativement marginales ou peu fréquentes par rapport au nombre de titres publiés (ex : lecture
publique, adaptation au théâtre, adaptation audiovisuelle…). Alors que dans le cadre de
l’édition électronique, au contraire, le droit de représentation acquiert une importance inédite.
En effet, le fait d’autoriser la consultation d’un texte sur l’écran d’un ordinateur relève surtout
du droit de représentation, alors que le téléchargement d’un fichier, relève quant à lui du droit
de reproduction ou la « télé-reproduction ».

Dans la continuité du mouvement de numérisation, qui visait à tout son début, à transformer
l’information inscrite sur un support physique en une information numérique, on a assisté
petit à petit à l’apparition des « pure players de l’édition » dont accessibilité ne se fait
qu’online, sans présence physique d’aucune sorte, pour accueillir le public, leur travail
consiste à éditer des livres sur les réseaux, suivant une chaine de production numériques, une
chaine totalement digitalisée, de bout en bout. De nos jours, la chaîne de fabrication du
secteur de l’édition est, justement, entrain de subir ce phénomène de passage au numérique,
bon gré mal gré.
En effet l’invention des premiers logiciels de traitement de texte, mais surtout l’arrivée, dans
les années 80, sur le marché professionnel des premiers logiciels de « publication assistée par
ordinateur » (PAO), ont constitué une petite révolution interne à ce secteur.

102
Éditions L'Harmattan - vente livres, ebooks (édition numérique) : https://www.editions-harmattan.fr
1er rang de l'édition française en nombre de titres - Au carrefour des sciences et du savoir.
103
V. Dacos M., Mounier P, L’édition électronique. Paris : La Découverte, 2010. V. aussi Vitali-Rosati M.,
Epron, B, L’édition à l’ère numérique. Paris : la Découverte, 2018. Bernard LEGENDRE (dir.) Les Métiers de
l’édition. Paris : Éditions du Cercle de la Librairie, 2012. Christian ROBIN, Le Livre et l’édition. Paris : Nathan,
2003. Alvaro GARZON, La politique nationale du livre. Paris : UNESCO, 1997. Rama FOFANA ; Beaudry, G.,
Boisemenu, G., Simard, M. et al.. (2007). Les enjeux de l’édition du livre dans le monde du numérique ; Kulesz,
O. L’édition numérique dans les pays en développement, 2011.

35
En dépit de l’intrusion de l’ordinateur personnel dans la plupart des foyers, ce dernier a
toujours été conçu comme une machine à écrire plutôt qu’à lire, il a été toujours vu comme un
instrument mal commode pour une lecture sereine de textes prolongés.

C’est ensuite que la lecture sur écran LCD rétro-éclairé et à faible résolution qui a pris place
dans le paysage éditorial mais elle aussi a engendré une fatigue oculaire excessive pour la
majorité des lecteurs sur machine.
La révolution des supports de lecture a été enclenché aux alentours des années 2000 avec
l’apparition de tablettes de lecture électroniques, mais cette apparition fut un échec cuisant en
termes d’usages. A partir de 2008, les tablettes redeviennent sur le devant de la seine. Avec
des liseuses s’appuient sur des technologies d’encre électronique plus mature et moins chère.
Mais c’est l’évolution des téléphones portables, transformés en « smartphone » par le
Blackberry et l’iPhone, qui a constitué un tournant dans cette évolution des supports de
lecture.
L’édition numérique s’est bâtie sur un modèle économique tout à fait inédit qui a fait le
malheur des éditeurs classique dont le modèle économique se fondait jadis, sur la maîtrise
juridique, technologique et industrielle de la copie matérielle des œuvres. En effet, ces
éditeurs se sont vus littéralement déstabilisés par des technologies qui rendent « la copie »
triviale et quasiment sans le moindre coût et par le développement du « piratage », la
« contrefaçon » et plus généralement de la cybercriminalité104…

Les technologies numériques sont donc souvent pensées comme une véritable transformation
fondamentale, contraignant tous les modèles économiques des entreprises à se repenser. Dans
un tel environnement digital, les frais sont bien plus importants pour la production et
l’organisation de l’information que pour sa reproduction. C’est dans cette perspective que
s’inscrit la théorie de « la longue traîne » popularisée par le journaliste Chris Anderson105.
Cette théorie économique montre que la dématérialisation des supports de diffusion des biens

104
La diffusion illicite d’œuvres protégées par le droit d’auteur est, pour certains sites de téléchargement, de
streaming ou de référencement, une activité exercée à l’échelle industrielle et une source importante de profits,
générés par les paiements des utilisateurs et par les revenus publicitaires. Le marché français de la contrefaçon
en ligne s’élèverait par ex, selon certaines estimations, à plusieurs dizaines de millions d’euros. Puisqu’ils ne
versent aucune rémunération aux créateurs, les sites qui font de la contrefaçon leur cœur de métier sont souvent
très rentables. Beaucoup d’entre eux entretiennent des liens étroits avec la criminalité organisée…

105
Chris Anderson, La Longue Traîne - Comment Internet a bouleversé les lois du commerce, éd : Clés des
Champs, Paru le 16/05/2018 :

36
informationnels rend possible l’édition et la diffusion d’un très grand nombre de produits
touchant chacun d’eux un faible nombre de consommateurs, pourvu que celle-ci soit
concentrée sur des plateformes centralisées106.
Devant la déferlante de l’information, ce sont les lecteurs qui se font plutôt rares et non point
les informations mises à leur disposition et c’est vers la gratuité d’accès107 sur les biens
informationnels (toutes sources confondues) que l’on se dirige tous.
La presse par ex, peine aujourd’hui à se préconstituer un modèle économique rentable et
durable dans cet environnement empreint de « gratuité », et qui n’est en fait que la
conséquence de la longue traîne… (le Newyork Times par exemple a cessé de produire des
journaux en papier depuis 2016)
Certaines plateformes, comme Immatériel.fr ou Dilicom.fr, se positionnent comme
intermédiaire de distribution vers les plates-formes de commercialisation, tandis que d’autres
se focalisent sur des secteurs spécifiques, comme Cairn.info pour le secteur universitaire.

L’édition numérique ou « l’éditorialisation » (comme certains préfèrent l’appeler)108 est un


processus de mise en forme et de structuration d’un contenu dans un environnement
numérique. En ce sens, on dira que l’éditorialisation qualifie ce que devient l’édition sous
l’influence des technologies numériques. Cette définition rapproche l’éditorialisation de ce
qu’on appelle aussi « curation de contenu » qui consiste à choisir, mettre en relation et mettre
en forme une série de contenus dans un environnement numérique afin d’en faire une unité
cohérente et compréhensible pour les lecteurs. C’est la définition de l’éditorialisation que
donnaient en 2010 Dacos et Mounier : « La valorisation d’un corpus par la sélection des
textes, par la mise en œuvre des collections, par l’établissement d’index thématiques, par la
mise en place régulière de focus éditoriaux en fonction du type de public »109.

Cette première définition comprend cependant un inconvénient majeur, en négligeant le fait


que, dans notre culture numérique (si nous en avons une), tout devient « presque édition » : un

« Le phénomène de la longue traîne est source de nombreuses difficultés pour les éditeurs traditionnels : ils se
retrouvent concurrencés par une multiplicité de nouveaux acteurs, professionnels ou non, qui bénéficient de
l’abaissement des barrières d’entrée sur le marché. Le phénomène « tous auteurs », « tous journalistes », « tous
éditeurs », les contraint à se repositionner dans le contexte d’une explosion documentaire qui entraîne une
inversion de la relation de rareté entre les consommateurs et les produits disponibles », toujours selon
Andreson.
107
Nous avons déjà démontré que c’est une gratuité apparente… une gratuité en trompe l’œil, puisque tous les
éditeurs électroniques font du business et ils ne veulent en sortir que gagnants, grâce justement au système
gratuit-payant, largement facilité par le web.
108
V. Dacos M., Mounier P, L’édition électronique. Paris : La Découverte, 2010.
109
Ibid

37
restaurant est « éditorialisé » sur TripAdvisor.com ou sur Google Maps, notre identité est «
éditorialisée » sur Facebook.com… voire sur des milliers d’autres plates-formes (que l’on
connait ou que l’on ne connait même pas). En d’autres termes, on est capable de dire
aujourd’hui que tout objet, toute personne, n’existe que parce qu’il est présenté, structuré,
éditorialisé dans l’environnement numérique de quelque façon que ce soit.

Par conséquent, nous pouvons formuler une définition plus large de l’éditorialisation, qui
vient alors désigner « l’ensemble des dynamiques – soit les interactions des actions
individuelles et collectives avec un environnement numérique particulier – qui produisent et
structurent l’espace numérique »110. Cette définition s’appuie sur une hypothèse préalable : à
savoir l’existence d’une interaction, d’un mixage entre l’espace numérique d’une part et
l’espace non numérique (ou analogique) d’autre part. Structurer l’espace numérique risque de
signifier en définitive, structurer l’espace tout court !

19. Vers l’auto-édition électronique111- Les acteurs du livre classique,112 se retrouvent donc
confrontés à de nouveaux types d’interlocuteurs avec d’un côté, les fabricants de dispositifs
techniques de lecture qui conditionnent de façon logicielle ou matérielle l’expérience de
lecture et, de l’autre, les plates-formes dédiées au livre numérique, qui sont des sites de
commercialisation et surtout « d’auto-édition ». L’édition classique est ainsi confrontée à de
multiples formes émergentes de diffusion du savoir. Cette transformation de la diffusion se
structure autour d’une tension entre désintermédiation et ré-intermédiation dont les plateforme
thebookEdition.com113 et lulu.com114 en constitue une parfaite illustration. Certains se sont

110
Ibid
111
Sarah Torricelli-Chrifi, « Nouvelles technologies, nouvelle ère : vers une désintermédiation du droit ? » in
Les professions dérèglementées, ss dir.. Hélène Simonian-Gineste, Sarah Torricelli-Chrifi, Presse de l’Université
de Toulouse ;2019. Openedition. Selon Jaque Michon, « L’éditeur fait son apparition dans la société au moment
où se crée un espace public pour la littérature » in Histoire de l’édition littéraire au Québec au xxe siècle. 1- La
naissance de l’éditeur, 1900-1939, Fides, 1999, p. 25.
112
Marin Dacos, Pierre Mounier, « L’édition électronique » HAL Id: sic_00595927,
https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00595927 Submitted on 26 May 2011. L’édition est une activité économique :
« …ce qui définit d’un point de vue fonctionnel un éditeur, c’est sa capacité à mobiliser des ressources
économiques qu’un auteur ne peut ou ne veut mobiliser pour diffuser, donner à connaître son œuvre. Depuis la
seconde moitié du XIXe siècle, l’édition est une activité industrielle ; elle appartient au secteur des industries
culturelles », Marin Dacos « Le livre inscriptible » p. 114, 2ème éd. Cléo, Openedition Press 2010.
113
Un éditeur pure-player : est un entrepreneur-startuppeur qui publie des livres exclusivement par voie
électronique dans des formats numériques à destination des nouveaux dispositifs de lecture qui leurs sont
appropriés. Depuis plus de 15 ans, TheBookEdition.com est le premier site d’auto-édition de
livres français permettant de révolutionner le monde de l’édition pour le rendre plus simple, flexible et accessible
à tous. Vous pouvez auto-éditer un livre gratuitement en version papier ou numérique et le vendre directement
sur notre catalogue en ligne, en librairie traditionnelle ou encore sur Amazon ou Rakuten. Grâce à notre service
d'impression de livres à la demande, nous vous offrons une grande flexibilité pour réussir votre projet
d’autoédition.

38
même sérieusement demandés : que reste-il encore du rôle l’éditeur classique « birks and
mortar » à l’époque de la plateformisation éditoriale ? La facilité de publication a mené vers
la naissance de l’auto-publication qui a progressivement rendu totalement inutile, l’éditeur
classique ?

C’est ainsi que l’éditeur se numérise progressivement pour maintenir, tant bien que mal, son
rôle d’intermédiaire qui fait de lui un pont entre l’auteur d’une part et le lecteur d’autre part,
un tandem qui rend les contenus lisibles et les savoirs accessible. L’éditeur numérique a
d’autant plus de beaux jours devant à l’ère du web, tant il est patent, que dans la surabondance
des contenus (ou infobésité)115, le lecteur risque de se perdre s’il n’est pas aiguillonné par une
fonction éditoriale plutôt « intelligente », qui elle aussi, en cours de transformation profonde,
pour pouvoir s’adapter voire survive à la nouvelle donne digitale.

Cette divergence en termes d’enjeux stratégiques, complique d’autant plus la relation de


coopération entre les éditeurs classiques et diffuseurs numériques. Elle s’inscrit aujourd’hui
dans un rapport de forces nettement à l’avantage des plates-formes de diffusion numérique.
Des tentatives de reprise en main de la distribution numérique par les éditeurs classiques
existent cependant : certaines, comme Immatériel.fr116 ou Dilicom.net117, se positionnent
comme des intermédiaires de distribution vers les plates-formes de commercialisation, tandis
que d’autres se focalisent sur des secteurs plus spécifiques, comme Cairn.info pour le monde
universitaire.

20. Editeurs électroniques VS hébergeurs d’information- L’absence de définition légale de


« l’éditeur en ligne » peut avoir pour conséquence de faciliter l’attribution de la qualification
« d’éditeur » à un n’importe quel intermédiaire électronique, même un simple hébergeur internet,

114
Lulu.com est une start up américaine d’autoédition- « is dedicated to making the world a better place, one
book at a time, through sustainable practices, innovative print-on-demand products, and a commitment to
excellent service » V. la page de garde du site.

115
Caroline Sauvajol-Rialland, Infobésité, gros risques et vrais remèdes, L'Expansion Management
Review 2014/1 (N° 152), pages 110 à 118.

116
Ce site offre de nouveaux supports de lecture numérique appellent de nouveaux moyens de diffusion pour vos
catalogues, sans qu’il soit nécessaire de bouleverser les fondements de la chaîne du livre. Si les moyens
d’accéder au texte se diversifient, l’objectif reste le même : rendre vos livres visibles par le plus grand nombre,
en tenant compte de toutes les situations de lecture.
117
Le site de Dilicom.net permet à tous de consulter en libre accès, le Fichier Exhaustif du Livre, l'une des bases
de données de référence les plus importantes en France pour rechercher des informations sur un livre imprimé ou
numérique.

39
mettant à la disposition du public des œuvres éditées en ligne. On peut citer à titre d'exemple les
plateformes tel que « TheBookEdition.com », ou encore « Lulu.com ».
Il va sans dire qu’un hébergeur n’a pas le même rôle, ni même la même responsabilité qu’un éditeur,
la responsabilité sur les contenus accessibles en ligne et les nombreuses décisions contradictoires en
la matière, accentuent le flou juridique sur la distinction hébergeur/éditeur (un flou qui a persisté a
cause de la loi trop controversée, pour la confiance dans l’économie numérique de 2004)118.

La méconnaissance de la définition de l’hébergeur et de sa fonction, peut amener à qualifier


l’hébergeur d’éditeur de contenu, tout en maintenant les obligations qui sont à sa charge en sa qualité
d’hébergeur. Là où cela pose problème, c’est que l’édition en ligne permet maintenant à quiconque
de mettre un article ou même un livre à disposition du public, par l’intermédiaire d’un véritable
éditeur ou même d’un simple hébergeur.

En effet, un auteur n’a pas vraiment besoin d’un véritable éditeur électronique, s’il accepte de mettre
son œuvre gratuitement à la disposition du public, la diffusion de son œuvre pourra être assurée par
un hébergeur. Cet hébergeur n’a aucune obligation de contrôle de contenu, il n’est qu’un
intermédiaire qui ‘stocke’ des informations pour les rendre accessible au public. Pour cette utilisation
personnelle, tout particulier doit pouvoir publier sous sa propre responsabilité, sans censure d’un
prestataire de stockage qui interviendrait sous crainte d’un risque judiciaire que connaît dans ce
même cas l’éditeur, l’hébergeur bénéficie en quelque sorte d’une certaine immunité informationnelle
(V. Loi pour la confiance dans l’économie numérique 2004).

En effet, contrairement à l’hébergeur, l’éditeur est titulaire de droits sur les œuvres, par cession des
droits par l’auteur (Voir infra). Il devra alors assurer l’exploitation de l’œuvre, mais également en
supporter la responsabilité à l’égard de tous ceux qui pourraient s’en trouver atteints, pour quelque
motif que ce soit.

Certains proposent ainsi de d’établir un statut intermédiaire précisant de nouvelles responsabilités par
rapport aux hébergeurs et qui serait un peu trop actifs dans le secteur de l’édition en ligne. La notion
de « L’éditeur de service » serait donc un statut intermédiaire entre l’hébergeur et l’éditeur, ne serait
assimilable ni au premier, puisqu’il va au-delà du simple hébergement technique, ni aux second
puisqu'il ne détermine pas les contenus qu'ils hébergent.

118
Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Legifrance.fr

40
Le malaise de l’édition en ligne s’est révélé aussi à travers le droit fiscal et notamment en matière de
TVA, appliquée au livre numérique constitue également un bon exemple de ces tâtonnements en la
matière, montrant qu’il est difficile de bien situer l’édition en ligne. Après avoir appliqué un taux de
TVA sur le livre numérique de 19,6%, la France a décidé de rabattre ce taux à 7% depuis janvier
2012, avec pour objectif d’uniformiser l’édition numérique avec l’édition physique au 1er janvier
2013 et ainsi taxer uniformément le livre, qu’il soit électronique ou physique à un taux à 7%. Ironie
de l’histoire : la France est actuellement sommée par avis motivé de la Commission européenne
d’augmenter ce taux à 19,6%, considérant que ce « service fournit par voie électronique ne peut pas
bénéficier du taux réduit »119.

L’édition en ligne a un intérêt pratique qui n’est plus à prouver pour l’acheteur (mise à disposition
rapide de l’ouvrage, flexibilité d’utilisation, etc.), mais elle a également un intérêt économique certain
pour les éditeurs. Elle permet de réduire les frais de production et de distribution qui représentent
parfois jusqu’à 65 % du prix d’un ouvrage.120.

L’écriture et la littérature en général, ont certes pris plus de temps à mettre un pied dans le monde
numérique que d’autres créations de l’esprit comme la musique par exemple, d’où les redondances et
les atermoiements législatifs en la matière. Il est en tout cas aujourd’hui certain que le livre
numérique est déjà sur les rails ; s’il est certes, trop tôt pour annoncer la fin du « livre physique », il
est du moins urgent, de le pousser à s’adapter aux évolutions technologiques et à leurs usages121.

119
Lukasz Stankiewicz, Le livre numérique en quête de neutralité fiscale, Juris. Art. Tec. 7, p. 31, Dalloz-
revue.fr
120
Ainsi en France par ex, l’édition numérique évolue d’heure en heure vers de plus en plus de digitalisation : ses revenus
sont en hausse de + 7,2% passant de 52,9 à 56,8 millions d’euros en 2011 bien que ne représentant encore que 2 % du
chiffre d’affaires des éditeurs en 2011.
Dans les tendances actuelles, on voit s’accélérer la substitution du numérique sur support physique par le numérique en
ligne. On passe déjà dans une deuxième phase du livre numérique. Le livre numérique sur support physique, est dépassé
pour la première fois par le livre numérique en ligne, qui double ses ventes à 34,8 millions d’euros (+ 98 %). Bien que les
évolutions soient impressionnantes, le livre numérique en ligne ne représente encore également que 1,2 % du chiffre
d’affaires de l’édition en 2011.
Au chiffre d’affaires de 56,8 millions d'euros de l’édition numérique stricto sensu (hors revenus de diffusion numérique),
s’ajoutent les ventes d’applications de lecture sur smartphones et tablettes, qui augmentent rapidement également :+ 129,3
% en un an, et encore une fois, ces ventes ne représentent que 800 000 € euros de chiffre d’affaires pour le panel numérique
du SNE. On voit ainsi des habitudes se créer et évoluer à toute vitesse ; La part du numérique dans l’édition générale reste
faible, mais connaît un taux de croissance prodigieux.

121
Quid des liens hypertextes renvoyant à d’autres œuvres ? Les commentaires possibles sur des œuvres en ligne ? La part
de rémunération des auteurs peut-elle être augmentée afin de tenir compte que les frais de production et de diffusion sont

41
21. Du formalisme électronique en général- Il va sans dire que le contrat d’auteur doit
maintenant pouvoir être conclu, au moins, par Email122. C’est en effet l’article 453 bis alinéa
2 du COC123 qui est venu instituer dans notre paysage juridique l’acte sous-seing privé
électronique, et qui a désarmé enfin l’écrit de son support ancestral : le papier, désormais
l’écrit peut avoir comme nouveau support l’immatériel : il devient alors l’écrit électronique124.
Si cet écrit est envisagé par le droit tunisien comme un moyen de preuve par l’article 453 bis
puisqu’il dispose que « le document électronique fait preuve comme acte sous-seing privé ».
Néanmoins la version arabe de l’article 453 bis n’indique point la volonté du législateur de
consacrer l’acte sous-seing privé seulement comme une exigence de preuve et puisque c’est la
version arabe qui prime on pourra alors conclure que rien n’interdit de parler de l’acte sous-
seing privé électronique comme une solennité pouvant être valablement le siège d’une cession
de droits d’auteur.
Mais en tout état de cause, qu’il soit perçu comme une exigence de validité ou une exigence
de preuve, l’acte sous-seing privé électronique obéit à deux conditions complémentaires
d’élaboration posées par l’article 453 bis du COC. La première a trait à la nécessité de la
conservation de l’acte dans sa forme définitive par un procédé fiable, qui doit être
accompagnée par la signature électronique.
En effet l’article 453 bis du COC exige que « l’acte soit conservé dans sa forme définitive par
un procédé fiable ». L’exigence d’un procédé de conservation fiable permet au formalisme de
préserver son rôle de mécanisme protecteur du consentement. L’article 471 du COC s’est
intéressé de manière plus détaillée au procédé de conservation, et il a instauré un régime de
liberté de choix de la modalité de conservation. Cette liberté est certes positive pour les
parties puisque ces derniers peuvent choisir la modalité parmi d’autres qui leur inspire
confiance, mais cette liberté peut se révéler nuisible et contraire à l’objectif de protection du
consentement que le formalisme poursuit puisque tous les supports ne présentent pas les
mêmes garanties. C’est pourquoi l’article 4 de la loi du 9 août 2000125 est venu tempérer cette
liberté en disposant dans son al 2 que « l’émetteur s’engage à conserver le document

plus faibles que pour l’édition du livre physique ? Le droit doit accompagner cette évolution pour offrir aux auteurs
littéraires la même protection que celle accordée aux autres branches de la création artistique.
122
V. l’article 9 de la directive européenne commerce électronique du 8 juin 2000 et la loi française du 21 juin
2004 sur l’économie numérique. Dans le même sens, V. M. Bag Bag, La vente électronique, RTD 2005, p. 23.
123
Cet article est ajouté par la loi n° n 2000-57 du 13 juin 2000, modifiant et complétant certains articles du code
des obligations et des contrats, JORT, ° 48 du 16 juin 2000.
124
V. P-Y Gautier, L’équivalence entre support électronique et papier, au regard du contrat, in Mélange offert à
X-L de Bellefonds, Litec, Paris, 2007, p. 195 et s.
125
Loi n° 2000-83 du 9 août 2000, relative aux échanges et au commerce électronique, JORT, n° 64 du 11 août
2000, p. 1887.

42
électronique dans la forme de l’émission. Le destinataire s’engage à conserver ce document
dans la forme de la réception ». D’un autre coté cette même loi a introduit pour la première
fois en droit tunisien la fonction du tiers archiveur126, nécessaire pour la protection du
consentement, et renforçant la fiabilité de l’acte sous-seing privé électronique.

L’avènement de la signature électronique constitue aussi à son tour une réelle innovation en
droit tunisien. En effet, l’article 453 du COC disposait clairement que la seule signature
recevable était la signature manuscrite et que ni le timbre ni le cachet ne pouvaient la
remplacer. Mais cette vision ne pouvait empêcher que soit reconnu un procédé de
manifestation de consentement qui peut être suppléé par un mot de passe ou par un code. Ce-
ci est d’autant possible que le droit tunisien ne donne pas de définition à la notion de signature
en général, ce qui constituait une bonne opportunité pour la consécration de la signature
électronique.127 Pour un autre courant de la doctrine, le fondement permettant de légitimer la
reconnaissance de la signature électronique est celui de la méthode de l’équivalence
fonctionnelle qui essaie de bien déterminer les réelles fonctions de la signature manuscrite à
savoir l’identification de la personne et surtout la manifestation claire du consentement, si la
signature électronique respecte les rôles de la signature manuscrite, alors la consécration de la
signature électronique ne doit pas poser problème128.
En tout état de cause, pour que la signature électronique puisse effectivement jouer ce rôle de
protecteur du consentement de l’auteur, « il faut alors un procédé d’identification fiable qui
garantit le lien entre ladite signature et le document électronique » selon la formule de
l’article 453 alinéa 2 nouveau et ce contrairement à l’acte écrit où le lien entre la signature et
le contenu est appréhendé facilement.
Mais la rédaction de l’article 453 alinéa 2 est insuffisante surtout si on la compare avec celle
de l’article 1316-4 du code civil français, qui lui pose une présomption simple de fiabilité du
procédé de l’identification qui peut être combattu par la preuve contraire, car rien ne permet
en vérité d’affirmer que le procédé d’identification en question soit parfait. Toutefois la
rédaction lacunaire de l’article 453 alinéa 2 se trouve corrigée par l’article 6 alinéa 2 de la loi
du 9 août 2000, article qui admet implicitement que le procédé d’identification peut ne pas
être fiable.

126
V. E.A Caprioli, Variation sur le thème du droit de l’archivage dans le commerce électronique, Petites
Affiches, n° 105 du 19 août 1999, p.10
127
V. A. Brahmi, La conclusion du contrat par voie électronique, RJL, février 2000, p. 18.
128
V. Loi type de la CNUDCI sur le commerce électronique du 27 janvier 1997.

43
D’une façon générale, la signature électronique protège le consentement de l’auteur d’un
contrat de cession électronique, mais cela est surtout tributaire de la favorisation des
mécanismes de la cryptographie et de la certification.

En effet l’avènement de la signature électronique exige l’utilisation indispensable de la


cryptographie afin que les rôles accomplis par la signature manuscrite et surtout le rôle
protecteur du consentement puisse l’être par la signature électronique. Sans la cryptographie
la signature électronique est tout à fait inopérante.
L’article 2 de la loi du 9 août 2000 relative aux échanges et au commerce électronique définit
certains concepts fondamentaux du commerce électronique dont le concept de cryptage. Ce
dernier « consiste en l’utilisation de codes ou signaux non usuels permettant la conservation
des informations à transmettre en des signaux incompréhensibles aux tiers ou l’utilisation des
codes et de signaux indispensables à la lecture de l’information »129. Appliquée à la signature,
cette définition du cryptage130 vise à rendre la signature illisible grâce à des clés ou des
conventions secrètes par rapport à la personne qui ne possède pas la clé du décryptage.

Le deuxième pilier de la signature électronique est la certification, la loi du 9 août 2000 ne


définit pas la certification mais plutôt le certificat électronique : qui est un document
électronique sécurisé par la signature électronique de la personne qui l’a émis et qui atteste,
après constat, la véracité de son contenu »131. Il constitue un message qui informe sur les
caractéristiques qui identifie la personne signataire sur sa clé publique et sur le tiers
certificateur qui signe le certificat132.
La certification électronique a donc pour objectif l’amélioration de la sécurité technique de la
signature puisque cette sécurité technique constitue la condition fondamentale pour une
protection efficace du consentement de l’auteur et de tout signataire d’un acte électronique en
général.

129
La même définition a été reprise par la loi n° 2000-1 du 15 janvier 2001 portant promulgation du code des
télécommunications, et ce dans son article 2.
130
Il existe deux approches dans la technique de la cryptographie : la première utilise les clés secrètes, c'est-à-
dire les clés personnelles confidentielles et uniques. La second fait appel à des clés publiques, en Tunisie c’est ce
dernier système qui prévaut : c’est ce qu’on appelle la signature électronique à clé publique fondée sur la
cryptographie asymétrique. V. J-M Oudot, La signature numérique, Les Petites Affiches, n°54 du 6 mai 1998, p.
32 ; T. Piette-Coudol, Les errances de la signature électronique ou comment résister à la convergence de la
technique et le droit, in Mélange offert à X-L de Bellefonds, Litec 2007, p. 395,.
131
Article 11 et suivant de la loi du 9 août 2000.
132
Le certificat sert donc à connaître l’identité du titulaire de la clé privée ou secrète qui correspond à la clé
publique mentionnée dans le certificat pour la signature, V. E. Hannachi, L’administration de la preuve de la
conception classique au commerce électronique, RJL, avril 1999, p. 125.

44
Conscient du rôle de la certification dans la protection du consentement du signataire, le
législateur tunisien a créé par la loi du 9 août 2000133, l’Agence nationale de certification
électronique, à qui il a confié la mission de contrôle des activités des tiers certificateurs afin
de remédier à tout abus vis-à-vis des titulaires du certificat.
En définitive, l’acte sous-seing privé électronique grâce au procédé de conservation et à la
signature électronique, remplis largement sa mission de technique protectrice du
consentement de l’auteur.
Reste à rappeler que le droit tunisien et ce contrairement au droit français134, ne reconnaît pas
l’acte authentique électronique, cela veut donc dire, qu’un contrat conclu par voie
électronique de cession de droits d’auteur, ne peut prendre la forme que d’un acte sous-seing
privé électronique.

22. Le contrat d’édition numérique : prototype du contrat d’exploitation du droit


135
d’auteur- Le nouvel article L.132-1 du CPI français définit le contrat d’édition
électronique comme étant « Le contrat par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit ou ses
ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur… …le droit
de la réaliser ou de la faire réaliser sous une forme numérique, à charge pour elle d’en
assurer la publication et la diffusion ». Grâce à cet ajout, les exploitations au format
numérique de l’œuvre sont ainsi expressément couvertes par la nouvelle définition du contrat
d’édition. Ce type d’exploitation doit être expressément spécifié dans le contrat par une clause
spéciale très détaillée ; c’est ce que l'on appelle « la spécialité des cessions ». En d’autres
termes, une clause vague et floue indiquant par exemple une cession de « l’exploitation sur
internet », ne saurait être valable en ce qu'elle manquerait de précision.

133
Article 8 et suivant de la loi du 9 août 2000.
134
V. L’article 1317 du code civil français, introduit par la loi du 13 mars 2000 relative à l’adaptation du droit de
la preuve aux nouvelles technologies de l’information, cet article dispose que « l’acte authentique peut être
dressé sur support électronique s’il est établi et conservé dans les conditions fixées par un décret en Conseil
d’Etat ».
135
En effet, ce sont cinq textes de droit français, aux portées normatives distinctes qu’il faut relever :
- L’accord-cadre du 21 mars 2013 signé entre le Conseil permanent des écrivains (ci-après CPE) et le Syndicat
national de l’édition (ci-après SNE), consacré à la préconisation de réformes du Code de la propriété
intellectuelle (ci-après CPI) et à l’édiction d’usages ;
- La loi n°2014-779 du 8 juillet 2014, habilitant le Gouvernement à modifier par voie d’ordonnance les
dispositions du CPI relatives au contrat d’édition en référence à cet accord-cadre ;
- L’ordonnance n°2014-1348 du 12 novembre 2014, entrée en vigueur le 1er décembre 2014 ;
- L’accord du 1er décembre 2014 sur le contrat d’édition dans le secteur du livre, signé entre le CPE et le SNE,
adoptant un « Code des usages » en application du nouvel article L.132-17-8 du CPI ;
- L’arrêté du 10 décembre 2014, également pris en application de l’article L.132-17-8 du CPI, portant extension
de l’accord du 1er décembre 2014. Il confère donc une valeur règlementaire à ce « Code des usages ».

45
La formule « forme numérique » est nettement préférable à celle de « livre numérique », en ce
sens qu’elle demeure capable d'évoluer au fil des évolutions techniques. Le terme de «
réalisation » a pour fonction de couvrir toutes les situations dans lesquelles il y a exploitation
numérique : livre numérique homothétique136, mais aussi toute forme électronique, hors ligne
ou en ligne, que l'on appelle livre enrichi ou « hyperlivre ».

Dans le cadre d’un contrat d’édition, l’auteur ne cède en général ses droits à l’éditeur qu’en
contrepartie de la publication de l’œuvre et le CPI précise qu’à défaut de convention spéciale,
l’éditeur doit réaliser l’édition dans un délai fixé par les usages de la profession. Pour l’édition
numérique, l’accord-cadre du 21 mars 2013137 adapte l’obligation de publication par la mise
en place de délais de publication spécifiques et par la possibilité pour l’auteur, sous certaines
conditions, de résilier de plein droit son contrat d’édition en cas de manquement par l’éditeur
à cette obligation.

L’article 4.2 du Code des usages138 vient préciser utilement les contours de l’obligation de
l’éditeur électronique qui doit : assurer l'exploitation permanente et suivie, « d'assurer une
diffusion active de l'ouvrage pour lui donner toutes ses chances de succès auprès du public »
(art. 4). Pour cela, il doit exploiter l'œuvre dans sa totalité sous une forme numérique ; de la
présenter à son catalogue ; de la rendre accessible dans un format usuel et au moins un format
« non-propriétaire »139, c'est-à-dire qui soit interopérable ; enfin, de la rendre accessible en
ligne sur un site web (art. 4.2). Concrètement, il faudra prévoir une adaptation du livre
numérique aux nouveaux formats de fichiers informatiques et aux nouveaux matériels de
lecture qui sont en constante évolution. (Une interopérabilité permanente).
Tous les intérêts se trouvent ainsi conciliés : les intérêts de l’auteur, le lecteur et ceux de
l’éditeur, qui ne se verront plus imposer des contraintes techniques intempestives par un
distributeur.

136 Un livre numérique “homothétique” désigne un livre numérique qui reproduit à l’identique un livre papier
par opposition à “livre augmenté” qui lui propose du son ou de la vidéo. V. https://blogs.univ-
poitiers.fr/glossaire-mco/2017/02/26/livre-numerique-homothetique/.

137
Cet accord est le fruit de quatre années de négociations entre le SNE et le CPE, marquées par la création le 15
septembre 2011 d’une commission de réflexion présidée par le Professeur Pierre Sirinelli, l’accord-cadre a été
présenté au Salon du livre le 21 mars 2013, sous l’égide de la ministre de la Culture d’alors. Il est consacré à la
préconisation de réformes du Code de la propriété intellectuelle (CPI) et à l’édiction d’usages.
138
L’accord du 1er décembre 2014 sur le contrat d’édition dans le secteur du livre, signé entre le CPE et le SNE,
adoptant un « Code des usages » en application du nouvel article L.132-17-8 du CPI ;
139
V. C. Caron, « Vingt ans après : le contrat d’édition passe officiellement au numérique », JCP G. 2015, n° 7,
177.

46
Signalons que la disponibilité ou l’épuisement des exemplaires (indication devenue obsolète
en matière de livre imprimé) n’a désormais aucun sens en matière numérique.

L’accord du 21 mars 2013 propose que lorsqu’il prévoie l’édition d’un livre sous une forme
numérique, le contrat d’édition doit déterminer, dans une partie distincte, les conditions
relatives à la cession des droits d’exploitation numérique de l’œuvre, à peine de nullité de la
cession de ces droits. Outre le principe de la partie distincte, peu de nouveautés sont à noter
quant aux mentions qui devront figurer dans le contrat (V. chapitre premier). Un auteur faisait
remarquer que : « Le comble d’un formalisme à bout de souffle aurait été d’ajouter un second
contrat au premier. En intégrant une partie numérique au contrat, c’est pourtant bien à un
alourdissement du contrat d’édition que la réforme convie son rédacteur »140. C’est ainsi
qu’un nouvel article L. 132-17-1 du Code de la propriété intellectuelle est venu disposer que,
« lorsque le contrat d'édition a pour objet l'édition d'un livre à la fois sous une forme
imprimée et sous une forme numérique, les conditions relatives à la cession des droits
d'exploitation sous une forme numérique sont déterminées dans une partie distincte du
contrat, à peine de nullité de la cession de ces droits ». Cette disposition est destinée à
garantir à l'éditeur, que l'auteur n’aura pas à confier l'édition numérique à une tierce personne.
Pour l'auteur, cela permet d'attirer son attention sur l'étendue de la cession, tel un
consommateur, pour ne point être engagé si la forme écrite (sur support numérique ou papier)
et expresse n'est pas respectée141, non seulement dans son principe mais aussi avec tous les
détails que fixe le Code des usages. Ainsi, devront figurer dans cette partie spéciale : la durée
de la cession des droits numériques, la rémunération et les conditions de son réexamen, les

140
Alexis Boisson « La réforme du contrat d’édition en France » ; HAL Id: hal-01966712
https://hal.science/hal-01966712. Submitted on 29 Dec 2018.
141
Dans un jugement du 26 mai 2020, le tribunal judiciaire de Lille a annulé la cession des droits numériques
d’un livre, faute de spécifications expresses dans le contrat d’édition, comme l’impose le code de la propriété
intellectuelle. Une autrice avait conclu avec une maison d’édition un contrat d’édition d’une durée de 10 ans
renouvelable par tacite reconduction, qu’elle jugeait déséquilibré. La société avait rompu le contrat au motif
qu’elle n’était pas « d’accord avec sa manière de procéder ». Malgré cette rupture, la société avait continué de
commercialiser l’ouvrage, tout en s’abstenant de verser des redevances à l’autrice. Cette dernière a assigné la
maison d’édition en nullité du contrat et en contrefaçon. Le tribunal considère comme nul ab initio le contrat car
il ne prévoit ni un nombre minimum d’exemplaires à imprimer ni un à-valoir, mentions pourtant imposées par le
code de la propriété intellectuelle. En plus de l’absence de spécifications des droits numériques, le tribunal a
prononcé la nullité partielle du contrat car le droit de préférence au profit de l’éditeur sur les œuvres à venir
n’était limité ni en genre ni en nombre d’exemplaires. Le tribunal a par ailleurs jugé contrefaisante l’exploitation
commerciale papier et numérique de l’ouvrage sans l’autorisation de l’autrice. Il a condamné la société à lui
verser 1 000 € de dommages-intérêts et 2 000 € au titre des frais de défense qu’elle a dû engager. La maison
d’édition doit retirer l’ouvrage papier et numérique de tous les sites internet et physiques et justifier de l’état des
ventes et des stocks. Enfin, elle doit verser les redevances sur l’exploitation commerciale, jugement disponible
sur Legalis.net.

47
formes d'exploitation autorisées, la périodicité et les formes de la reddition de comptes par
l'éditeur ou encore les conditions de reprise du droit d'exploitation numérique.
L’exploitation numérique du livre (par représentation en ligne ou télé-reproduction)142 ne sera
pas stipulée dans un acte séparé et indépendant du document contractuel, satisfaisant ainsi à la
stratégie d’exploitation globale du livre, donc un instrumentum unique contenant une partie
distincte pour exploitation143. Ceci témoigne aussi du réalisme du législateur français
profondément convaincu que le droit d’auteur est déjà suffisamment alourdi par le «
formalisme » contractuel !

Alors que la non-publication numérique entraînera seulement la résiliation de la cession des


droits numériques (art. L.132-17-5 CPI), la non-publication du livre imprimé entraînerait la
résiliation partielle du contrat dans sa partie relative à la publication matérielle (art. L.132-17-
2 CPI). Par la divisibilité de la partie relative au numérique, le législateur français a voulu ne
pas lier nécessairement le destin de celle-ci au reste du contrat d’édition, qui continue à
survivre juridiquement si, bien sûr, l’exécution de la publication du livre imprimé se fait
conformément aux stipulations contractuelles.

Enfin, et pour ce qui est de la stipulation écrite de la rémunération de l’auteur et face aux
modalités nouvelles de commercialisation des œuvres induites par le numérique (bouquets,
abonnements, streaming… par exemple), le législateur a pris le soin en 2011 (Loi 26 mai
2011 relative au livre numérique) d’adjoindre à l’article L. 132-5 du CPI français un
paragraphe qui dispose généralement que « Le contrat peut prévoir soit une rémunération
proportionnelle aux produits d'exploitation, soit, …une rémunération forfaitaire ». L’art 132-
17-6 rajoute que « Le contrat d'édition garantit à l'auteur une rémunération juste et équitable
sur l'ensemble des recettes provenant de la commercialisation et de la diffusion d'un livre
édité sous une forme numérique. En cas de vente à l'unité, la participation proportionnelle
aux recettes au profit de l'auteur est calculée en fonction du prix de vente au public hors
taxes. Dans les cas où le modèle économique mis en œuvre par l'éditeur pour l'exploitation de
l'édition sous une forme numérique repose en tout ou partie sur la publicité ou sur toutes
autres recettes liées indirectement au livre, une rémunération est due à l'auteur à ce titre. »

142
V. Ph. Gaudrat, « Edition numérique : une actualité législative édifiante », RTD.com 2012 p. 577 et s.
143
V. P. Sirinelli, « Réforme du contrat d’édition, commentaire de l’ordonnance du 12/11/2014 », Dalloz 2015,
n°9 p.498.

48
La rémunération de la diffusion numérique, est calculée sur la base du prix payé par le public
au prorata des consultations et des téléchargements de l’œuvre. En l’absence de prix payé par
le public, la rémunération de l’auteur s’effectue, dans ce cas bien précis, sur les recettes
encaissées par l’éditeur au prorata des consultations et des téléchargements.

III- Sanctions du non établissement de l’écrit :


Comme il ne saurait exister une obligation sans sanction144, il ne saurait exister une forme
obligatoire sans sanction, pour certains auteurs « un contrat ne peut être qualifié de solennel
que lorsque l’omission de la formalité requise est sanctionnée par la nullité »145
malencontreusement la loi de 1994 parait muette sur la question ou du moins avare en
précisions. Face à ce silence, la nullité de droit commun s’impose comme une sanction
naturelle du formalisme. A côté de cette sanction civile, le législateur de 1994 a prévu une
sanction pénale pour l’absence d’écrit en matière de contrat de cession de droits d’auteur.

23. Les sanctions civiles- S’il n’y a pas de problèmes relatifs à la sanction qu’on doit prévoir
en cas d’incapacité de l’auteur ou de son consentement vicié, puisqu’ils sont
traditionnellement sanctionnés par la nullité relative146. Et si l’inexistence pure et simple du
consentement est sanctionnée par la nullité absolue147, l’absence d’une condition de forme
reste toujours problématique.
L’on se souvient que selon la doctrine classique, la nullité devrait normalement être cette fois
absolue, et c’est ce que décide la jurisprudence française en droit d’auteur148, avec les
conséquences que cela peut engendrer, de point de vue de la qualité pour se prévaloir de la
nullité, de la confirmation du contrat et de la prescription de l’action.
Le motif de l’invocation d’une telle nullité est le caractère d’ordre public de tout ce qui touche
aux fondements mêmes du contrat : mais cette idée a été farouchement critiquée, après la
puissante position de Ripert distinguant à l’intérieur de l’ordre public une subdivision
économique elle-même ventilé en « protection » et « direction », celle-ci seule correspondant
aux anciennes nullités absolues. L’idée est que, même si l’un des éléments de base du contrat
est atteint, il faut rechercher quel est le but de la nullité fulminée par le législateur ou déduite

144
H-L Lévi Brhul, Sociologie du droit, PUF, Collection que sais-je ? 6ème éd. 1981, p. 23.
145
P. Guiho, Cour de droit civil, Les obligations, volume IV, 1983, édition l’hermès, 2ème éd. p. 28, n° 37.
146
V. article 330 du COC.
147
V. l’article 2 et 325 du COC.
148
TGI Paris, 12 janvier 1988.166 RIDA juillet 1988, note de P-Y. Gautier sur la nullité d’un pacte de
préférence, n’ayant précisé ni le prix ni l’étendu des droits cédés : « attendu que cette nullité absolue n’est pas
susceptible de confirmation ».

49
par le juge. S’agit-il de réserver les intérêts de la société, la nullité doit appartenir à tout le
monde et être la plus ouverte possible. S’agit-il, au contraire, de protéger l’un des
contractants, c’est à lui seul qu’il faudra réserver l’action, dans de strictes conditions149.
De ce point de vue, il semble que l’exemple du contrat de cession des droits d’auteur est au
cœur de la distinction entre nullité relative et nullité absolue, il peut être un bon terrain
d’élection des « nullités d’ordre public de protection des créateurs » : le cédant est en effet en
position d’infériorité économique et juridique dans un contrat qu’on qualifie volontiers
d’adhésion. Il a donc la faveur de la loi150. C’est ainsi que la Cour de cassation française a
jugé (à propos de l’article L131-4 du CPI relatif à l’objet du contrat de cession mais aussi peut
valablement être appliqué à sa forme) que « c’est à bon droit que la cour d’appel a considéré
que les dispositions de l’article L131-4 ont été prises dans le seul intérêt patrimonial des
auteurs et qu’ainsi, leur violation ne donne lieu qu’à une nullité relative. »151 Cette solution de
principe doit normalement valoir pour toutes les nullités protégeant l’auteur.
S’agissant d’une nullité relative, l’auteur peut confirmer l’acte nul et renoncer à intenter
l’action, en effet selon la cour de Paris : « considérant que la nullité édictée dans l’intérêt de
l’auteur est susceptible d’être couverte par une ratification de l’intéressé, agissant en pleine
connaissance de ses droits. »152

24. Les sanctions pénales- La sanction civile s’est rapidement révélée, surtout avec les
mutations socioéconomiques que connaît aujourd’hui le droit d’auteur153, insuffisante,
inefficace ou inadaptée154pour protéger efficacement le consentement de l’auteur de l’œuvre
protégeable, la sanction pénale est devenue d’une exigence impérieuse pour assurer une
protection efficace de l’auteur et de la création.
Il faut tout de même rappeler que le droit pénal est un droit moralisateur par essence155, mais
ce-ci ne l’a pas empêché de porter sa contribution à garantir la paix sociale et surtout à
protéger les droits de l’auteur : Le droit pénal rapporte en effet avec lui : rapidité, intimidation
et individualisation.

149
V. Ph. Malaurie, Travaux de l’association Henri Capitant, t. VII 1952, p. 764.
150
Couturier, L’ordre public de protection, heures et malheurs d’une vielle notion neuve, Etudes Flour, p. 102,
n°20 et 22.
151
Cass. Civ 1ère, 6 février 1973 affaire Dhéry, Bull. civ, I, n° 47, GP, 1973. I. 1973. 1. 406 rejetant le pourvoi
contre Paris, 3 mars 1971, D. 1972, 109.
152
Affaire Dhéry précitée.
153
V. A Luca, Droit d’auteur et multimédia, in Mélange en l’honneur de André Françon, Propriété intellectuelle,
p. 324 et s. Dalloz 1995.
154
R. Ottenhof, Le droit pénal et la formation du contrat, LGDJ, 1970, p. 80, n° 82.
155
R. Ottenhof, ibid, n°82.

50
En tout état de cause, l’article 52 de la loi de 1994 punit d’une amende allant de 500 à 5000
dinars, quiconque aura sciemment accomplit ou fait accomplir, un acte quelconque en
infraction aux dispositions des articles 29, 31, 32, 34, 35, 36, 37, 39, 44, 46 et 50 de ladite loi.
De tous ces article156, c’est l’article 32 qui est susceptible de nous intéresser tout
particulièrement, puisqu’il dispose que « aucun exploitant ne peut fabriquer ou faire fabriquer,
dans un but commercial, un certain nombre d’exemplaires d’une œuvre protégée par le biais
d’enregistrement mécanique sur disques ou sur bande magnétique ou audio-visuelle ou par
n’importe quel autre procédé d’enregistrement sauf par contrat écrit, établi avec l’auteur de
l’œuvre ou son représentant ». Il résulte du jumelage entre cet article et l’article 52 de la loi
1994 et de leur analyse conjointe, que le non-respect des dispositions de l’article 32 c'est-à-
dire le non-respect de l’exigence de l’écrit peut entraîner la responsabilité pénale de
l’exploitant.
S’agissant d’un texte pénal, son interprétation demeure restrictive seules les atteintes
expressément visées par l’article 52 de la loi qui sont toutes des atteintes aux droits de
reproduction de l’auteur, donnent lieu à une action pénale. Le droit de représentation n’est pas
sanctionné.157L’action pénale en matière de droit d’auteur s’appelle l’action en contrefaçon.
Selon certains auteurs en effet, la contrefaçon serait à la propriété intellectuelle ce que le vol
est à la propriété matérielle.158
Pour que le délit de contrefaçon soit constitué, il faut un élément matériel à savoir la
reproduction illicite (c'est-à-dire une reproduction sans autorisation par un contrat écrit), mais
aussi un élément moral intentionnel puisque l’article 52 utilise l’adverbe sciemment. En plus
des peines de l’article 52, l’article 55 prévoit des peines complémentaires. En effet « le juge
pourra ordonner d’office ou à la requête de l’auteur ou de l’organisme tunisien de droits
d’auteur, la confiscation ou la destruction des copies, ou la fermeture temporaire ou définitive
de l’établissement où l’infraction a été enregistré ».
Bref la loi de 1994 dépénalise les atteintes au droit de représentation, au droit de suite, et au
droit moral et n’incrimine que certaines atteintes au droit de reproduction.

156
La liste de l’article 52 ne vise que les contrats d’édition graphique ainsi que les contrats d’édition
phonographique et audiovisuelle (art 29 à 37), les contrats cinématographiques (art 39) et les contrats
d’exploitation de logiciel (art 44 et 46).
157
S’agissant d’un texte pénal ne pouvant être interprété que d’une façon stricte, on peut dire que la violation du
droit de suite ainsi que du droit moral n’est pas sanctionné pénalement, mais la sanction peut être d’ordre civil.
D’un autre côté la liste de l’article 52 ne vise que les contrats d’édition graphique ainsi que les contrat d’édition
phonographique et audiovisuelle (art 29 à 37), les contrats cinématographiques (art 39) et les contrats
d’exploitation de logiciel (art 44 et 46). sins, Dalloz, coll. Cours 2002, n°115.
158
X-L de Bellefonds, Droit d’auteur et droits voisins, Dalloz, coll. Cours 2002, n°115.

51
Pour compléter la sanction civile, la sanction pénale reste tributaire d’un élément important
qui consiste dans la volonté de l’auteur à poursuivre l’exploitant qui n’a pas respecté le
caractère formel de son consentement, sinon cette sanction perd sa raison d’être.

Au terme de cette étude on peut constater que le formalisme n’est pas exempt de dangers. On
lui reproche souvent de multiplier abusivement les complications, les gênes, les retards et les
frais et d’opposer à l’action des hommes des entraves inutiles. Certes on ne peut admettre de
nos jours la forme pour la forme, sans autre justification, ni que la forme prime le fond, ni
même que la forme absorbe purement et simplement le fond159. Mais le recours au formalisme
peut être une nécessité160. Les formalités sont souvent des instruments de protection et de
sécurité juridique161.
Le formalisme dans les contrats de droit d’auteur, est nécessaire voire inéluctable, mais il doit
être contenu dans de justes limites. En effet, tout système juridique comporte une part de
formalisme irréductible, ne serait-ce que parce que la volonté ne peut être réellement, elle
seule, créatrice de droits qu’à la condition d’être extériorisée sous une forme déterminée par la
loi.162
Le formalisme de la mention imposé par l’article 3 de la loi de 1994 n’est pas lui aussi sans
risques pour le consentement, en effet ce dernier peut fort bien être sujet à perversion, en effet
si ces mentions de l’article 3 empêche un engagement irréfléchi et impulsif de l’auteur, elles
risquent de pénaliser l’exploitant des droits, si d’aventure une de ces mentions vient à faire
l’objet d’un oubli au sein de l’acte de cession, (puisque le contrat qui le lie avec l’auteur reste
à la merci d’une éventuelle action en nullité de la part de l’auteur) et sans que cela ne soit le
fruit d’une manœuvre délibérée de la part de l’exploitant ou que cela ait pour effet
d’influencer le consentement de l’auteur ou de l’induire en erreur163. Dans ce cas l’auteur peut

159
C'est-à-dire l’absorption du consentement par les mentions obligatoires que doit contenir l’acte de cession. Ici
le formalisme fait vider le consentement de toute sa substance, et curieusement il acquière une nouvelle
dimension qu’on ne lui a jamais connue auparavant : il devient une technique nuisible au consentement.
160
La procédure constitue, elle aussi, une autre terre d’élection pour le formalisme, car le respect des formes et
des délais y apparaît comme la garantie nécessaire d’une bonne justice.
161
C’est pourquoi un certain nombre d’actes juridiques touchant à l’état civil et d’actes unilatéraux publics ou
privés ou de contrats paraissant particulièrement graves ou complexes sont soumis à des solennités spéciales
consistant, selon les cas, dans une intervention de l’autorité publique, des formalités ou des formes spéciales,
des mentions particulières, l’exigence d’un écrit sous seing privé ou authentique, des mesures de publicité, des
habilitations préalables, des délais, des formules sacramentelles.
162
J. Flour, op.cit, n° 4, p. 92 et s.
163
En effet, dans beaucoup de cas la partie protégée a généralement une connaissance suffisante sur la mention
omise ou inexacte, c’est pour cette raison que le juge peut bien refuser de prononcer la nullité de l’acte s’il
constate que l’auteur lui-même est un professionnel de la création littéraire ou artistique connaissant très bien les
risques d’un tel engagement. C’est ce qu’a fait en tout cas le juge français concernant l’omission d’un certains

52
abuser de cette protection en se retranchant derrière cette omission pour ne pas tenir ses
engagements envers le cessionnaire des droits. Transparaît alors la mauvaise fois de la partie
protégée et le formalisme de la mention aboutira par conséquent à la perversion du
consentement164.

25. Conclusion- Mais qu’il s’agisse de formalisme de validité ou de formalisme de preuve, la


problématique du formalisme est la même : il faut choisir entre la meilleure sécurité juridique,
qui suppose un système fondé sur le strict respect des formes de droit mais une complexité
souvent abusive, et une grande liberté d’accomplissement des actes juridiques mais une
insuffisante sécurité. Aucune de ces deux alternatives ne peut désormais l’emporter à elle
seule et un point d’équilibre entre formalisme et consensualisme doit être trouvé. Leur dosage
respectif varie selon les systèmes de droit et, dans chaque système, selon les matières. Mais
c’est généralement par une modulation des sanctions du formalisme selon ses diverses
fonctions que l’on peut parvenir à d’heureuses solutions. Finalement seul l’avenir nous dira si
le digital fera le bonheur ou pas du formalisme contractuel, quant au droit d’auteur lui-même
sera certainement condamné à la métamorphose, surtout avec ce que nous annoncent, les
promesses actuelles, de « l’intelligence artificielle générative »165.

nombres de mentions dans l’acte de cession d’un fonds de commerce : Cass.civ, 18 janvier 1984, Bulletin civil,
IV, p. 19 n°23. Selon J. Flour le juge s’est montré ici antiformaliste.
164
Selon M. P-Y Gautier, « même super protégé par l’article L131-2 du code de propriété intellectuelle français
(l’équivalent de l’article 3 de la loi tunisienne de 1994), l’auteur ne saurait se retrancher de mauvaise foi derrière
l’absence d’écrit, par conséquent, son cocontractant sera admis à faire sa preuve à l’aide des reine du droit
probatoire privé : l’aveu et le serment, émanant de l’auteur, dont on sait qu’ils sont si puissant, qu’ils peuvent
suppléer dans tous les cas l’écrit », Propriété littéraire et artistique, p. 489, 5ème éd. PUF
165
Créé par OpenAI, « cet outil est un ChatBot, comprenez un robot conversationnel, capable de comprendre et
de répondre à des questions en langage naturel... Animé par l’algorithme GPT-3 d’OpenAI, ChatGPT
impressionne par sa rapidité d’exécution et sa capacité à fournir des réponses qui, bien que parfois assez
mécaniques, sont la plupart du temps, tout à fait pertinentes. Le robot peut répondre à peu près à toutes vos
requêtes, à l’exception bien évidemment des demandes qui toucheraient à quelque chose d’illégal. Surtout,
ChatGPT est capable de traiter vos demandes dans de nombreuses langues, dont le français et couvre tous les
sujets possibles et imaginables » : V. ttps://www.01net.com/actualites/5-choses-a-essayer-avec-chatgpt-lia-qui-
discute-avec-vous-presque-naturellement.html

53

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