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Henri Gonnard*
À Jean-Marc Leblanc
On se propose d'aborder cette pièce constitutive de la suite pour piano qu'est Le Tombeau
de Couperin (1917) sur la base de ce que Ian Bent estime être le projet initial de la démarche
analytique : « se mettre aux prises avec un objet dans les termes mêmes de cet objet plutôt
que dans les termes de quoi que ce soit d'autre »'. Cette conception paraît être en adéquation
avec la spécificité technique de la forme fugue, André Gédalge, à qui Ravel disait devoir « l
plus précieux éléments de (son) métier »2, étant du reste circonspect vis-à-vis de ce qu'il ap
lait, dans son Traité de la fugue, le « commentaire esthético-littéraire »3.
Attendu que la démarche de Ravel s'inscrit ici à la fois dans la tonalité majeure-mineure
et le diatonisme modal - dans un contexte évidemment contrapuntique -, l'accent sera
sur le traitement des hauteurs et l'agencement structurel de l'œuvre, aux dépens des ques-
tions rythmiques, dynamiques, de timbre et de texture pianistiques. À propos de ce dernie
élément, néanmoins, on relèvera le choix du compositeur de ne pas orchestrer cette fugue
alors que, contrairement à la Toccata finale, elle s'y prêtait parfaitement. Nous reviendrons
donc un instant sur ce point intéressant.
* Maître de conférences à l'Université de Tours. Ce texte est issu d'une analyse présentée le 16 mai 200
l'Université Ca' Foscari de Venise dans le cadre du cours d'histoire de la musique de Mmc Adriana Guarnie
Que cette dernière soit remerciée de m'avoir invité à centrer cette intervention sur l'œuvre de Ravel.
1 Ian Bent et William Drabkin, Analysis, London, Macmillan, 1987 ; L'analyse musicale, histoire
méthodes, Nice, Éd. Main d' Œuvre, 1998, p. 9 pour la traduction française d'Annie Cœurdevey et de Je
Tabouret. Dans la pratique - et Bent est le premier à le reconnaître - on sait que tout analyste travaille en fai
fonction d'un certain nombre de présupposés, qu'ils soient d'ordre compositionnel ou autre.
2 « Esquisse biographique », Lettres, écrits, entretiens, éd. Arbie Orenstein, Paris, Flammarion, 1989, p. 4
Voir également la note 14 des p. 488-489 de l'ouvrage, qui apporte des informations complémentaires très écla
rantes. (Quant à la question de ses rapports avec Fauré, elle est bien brossée par Jean-Michel Nectoux dan
communication « Tous écoutent la parole du maître : Gabriel Fauré et ses élèves », Le Conservatoire de Pa
Deux cents ans de pédagogie, 1795-1995, Anne Bongrain et Alain Poirier éd., II, Paris, Buchet/Chastel, 199
p. 345-60).
3 Paris, Enoch, 1904, p. 239.
1. Les matér
1.1. Le sujet
Celui-ci, en
réduit de quin
groupes mélo
ristiques int
premier comm
faisant ainsi
Exemple 1 : Suje
© 1919. Co-propriété de Redfield
représentation exclusive par les Édit
Ces observations relatives au sujet de cette fugue conduisent à poser qu'il est, en tant
que tel, éminemment ravélien :
Or, quand on sait le rôle du sujet dans une fugue - puisque, compte tenu du caractère
unitaire de la forme, de lui dépend l'œuvre tout entière -, c'est la pièce dans son intégra-
lité qui s'annonce d'ores et déjà porteuse des particularités qui précèdent.
1.2. La réponse
Exemple 2 : Réponse
© 1919. Copropriété de Redfield et de Nordice,
représentation exclusive par les Éditions Durand, Paris
Cela dit, le mode mineur descendant de la utilisé aurait pu conduire Ravel à fonder cette
réponse non sur la dominante supérieure (tonale) si comme il le fait, mais sur la dominante
inférieure la. Cela signifie que la réponse, qui est ici en mode de la sur si, conformément
à la fonctionnalité de la tonalité majeure-mineure, aurait pu être en mode de la sur la. Nous
g Chacun sait que chez Ravel, la prise en compte de la norme fait partie du jeu compositionnel.
10 Nous ne faisons que rappeler, par ces mots, la donnée pré-compositionnelle majeure que représente le sujet
dans une fugue (ce qui explique que son élaboration résulte en fait de son potentiel contrapuntique, que le com-
positeur ne révèle qu'ultérieurement).
nous serions
Jean-Sébastie
modale indui
connu pour êt
rapport de qu
mineure en dé
On constate
que le sujet :
1.3. Le contre-sujet
Le contre-sujet, qui n'intervient qu'à partir du second groupe mélodique du thème prin-
cipal, commence, comme lui, sur la deuxième partie du premier temps de la mesure, et c'est
l'incidence en son sein d'un triolet de croches qui le spécifie. Par ailleurs, on remarquera
tout particulièrement que sa sensible descendante soP' qui prend place à l'intérieur de ce
triolet, s'inscrit dans une ligne mélodique conjointe de même direction : on retrouve donc
dans le cadre du contre-sujet (après l'avoir observé dans le sujet) ce traitement typiquement
ravélien de la modalité consistant à réinvestir les caractéristiques intrinsèques du mode de
la utilisé et non de s'en démarquer (exemple 4).
La mise en jeu de ces matériaux dans la fugue s'effectue au travers d'un dispositif à 3
voix - ici soprano, alto et basse (alors que l'on rencontre plus habituellement soprano, ténor
et basse) - selon un jeu d'exposition courant, de l'aigu au grave durant les six premières
mesures15. C'est ainsi que l'entrée initiale du sujet au soprano dans le registre aigu cristal-
lin du piano s'ajoute aux caractéristiques déjà dégagées précédemment - et notamment le
fait qu'il soit modal et non tonal - pour lui donner une magie poétique très ravélienne.
11 Par exemple dans la fugue de la Toccata en ré mineur BWV 565 pour orgue.
12 André Gédalge écrit {op. cit., p. 273) «(...) qu'au point de vue spécial de la réponse, la dominante du sujet
entendue dans le premier mouvement mélodique ou à la fin du sujet, doit toujours être considérée comme Ier
degré du ton de la dominante ». Or cette directive aurait pu être applicable dans le cadre du contexte modal en
question.
13 Une présentation synthétique de cette méthode d'analyse (mise en œuvre en particulier par Jean-Jacques
Nattiez dans ses Fondements d'une sémiologie de la musique de 1975) figure dans l'encadré prenant place dans
l'article de Nicolas Meeùs : « Robert Schumann : quatre Lieder du Dichterliebe op. 48 », Analyse musicale 21
(nov. 1990), p. 29.
14 Celle-ci est sol quand, associé comme c'est l'usage à la réponse lors de sa première intervention, le contre-
sujet est en mode de la sur si et do lorsque, accompagnant le sujet, il est en mode de la sur mi.
IS La réponse intervient mesure 3 à la voix d'alto, accompagnée, mesure 4, du contre-sujet au soprano, et
c'est donc à la basse que le sujet se refait entendre mesure 5, avec le contre-sujet à l'alto mesure 6.
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Exemple 3 : Analy
© 1919. Co-propriét
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© 1919. Co-propriét
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tonique.
Jusque là, la thématique de cette fugue a été traitée de façon courante, sans recherches
contrapuntiques particulières, son intérêt émanant principalement de sa spécificité modale.
Or, l'exposition à la sous-dominante en mode de la sur la (selon le plan tonal de la fugue,
étant entendu que l'on a déjà rencontré l'exposition au relatif mesure 15) qui prend place à
partir de la mesure 22, s'effectue avec le sujet en mouvement contraire ; le travail contra-
IK En ce sens, le compositeur est, de fait, plus proche de l'art d'un Couperin auquel il rend hommage dans le
titre générique de cette suite que de celui, plus abstrait, d'un Rameau. Par ailleurs, selon le témoignage de
Manuel Rosenthal lors d'une conférence prononcée le 29 mai 1991 à Tours, Ravel déclarait : « C'est au piano
queje trouve les couleurs queje vais mettre dans l'orchestre », ce témoignage se recoupant avec celui de Roland-
Manuel (Ravel, Paris, Gallimard, 1948, p. 171) qui note : « II composait, à son dire, tant au piano qu'à la table,
affirmant que le piano lui était surtout utile pour écrire son orchestre ».
19 Alfred Cortot, La musique française de piano, Paris, PUF, 1930-32, 2/1981, note de la p. 291.
20 À ce sujet, voir note 6. C'est donc de façon syntagmatique qu'il intervient ici.
puntique plus poussé qui s'effectue dès lors justifie, à notre sens, qu'en matière de seg-
mentation, on considère que s'ouvre en cet endroit un nouveau volet21.
Dans sa présentation nouvelle en mouvement contraire, le sujet est enrobé par les par-
ties libres confiées au soprano et à la basse, cette dernière, à cette occasion, commençant
par la note ré, la plus grave entendue jusque-là, ce qui contribue à marquer le passage dans
cette deuxième section. On remarquera que ces deux voix se complètent pour faire valoir
le mode de la sur la utilisé, le sujet étant quant à lui trop impliqué dans la dimension « obli-
gée » de l'écriture pour être en mesure de le faire. Notons en particulier le traitement des-
cendant de la sensible fa du mode, conformément à sa nature propre (la broderie tronquée
sol, au tout début, n'oblitère pas ce mouvement), de même que la septième diminuée du
quatrième temps de la mesure 23, qui associe dans le même accord la sensible tonale sol
dièse de la mineur et cette sensible descendante.
Sur cette pédale, prennent place successivement en mode de la sur mi, en mouvement
direct :
- le même dispositif encore mesure 32, le sujet et la réponse retrouvant leur formula-
tion modale du début ;
21 À ce sujet, voir Nicolas Meeùs, « De la forme musicale et de sa segmentation », Musurgia 1/1 (juillet
1994), p. 15, qui fait valoir «(...) que certains moments essentiels de plusieurs des modèles formels tradition-
nels de la musique occidentale sont déterminés d'une part par leur contenu thématique et d'autre part par le tra-
vail thématique qui y est opéré ».
- le contre-s
vement cont
Sur la réitér
retour du suj
l'idée que no
positeur chois
pour les deu
réponse retr
place dans so
sur si, elle es
ce qui le conc
la réponse.
- mesures 37-38, c'est le contre-sujet qui en fait l'objet, avec, toujours sur tonique mi,
une coloration du mode de ré apportée par le do dièse et qui s'efface ensuite ;
- mesures 39-40, le sujet est non seulement en strette mais énoncé en mouvement
contraire, le compositeur prenant le soin, pour qu'il puisse continuer à être appré-
hendé sans difficultés, de le confier aux deux parties extrêmes. Contrairement à ce
qu'il en était mesure 22 lors de l'exposition à la sous-dominante tonale, la qualifica-
tion de ses intervalles constitutifs n'est plus systématiquement conservée (la basse
commence par exemple par une seconde mineure et non majeure) ;
- mesures 41-42, le contre-sujet donne lieu à une strette associant le mouvement direct
au mouvement contraire, respectivement au soprano (mouvement direct), à la basse
(mouvement contraire) et à l'alto (mouvement contraire, dans le cadre d'une nouvelle
évocation du mode de ré), avant que la tête du sujet ne soit elle-même successivement
présentée, mesure 43, en mouvement direct puis à la fois en mouvement contraire et
en augmentation ;
- mesures 44-45, c'est au tour du sujet d'être énoncé en strette à la fois en mouvement
direct (soprano) et contraire (alto) dans la tonalité de la mineur. On pourra observer à
cette occasion la mise en œuvre caractérisée du mineur mélodique ascendant à la basse ;
- mesures 48-49, même dispositif que mesures 44-45, mais dans la tonalité de mi
mineur ;
- mesures 50-53, nouveau retour de ce dispositif, en mode de la sur mi, sous une forme
développée (on peut penser à un divertissement), bien que seul le premier groupe
mélodique du sujet soit d'abord exploité, au soprano (mouvement direct), à la basse
(mouvement contraire) et à l'alto (alternativement mouvement contraire puis mouve-
ment direct) et que l'élimination se poursuive avec l'énoncé de sa tête seulement
(mouvement direct et mouvement contraire conjointement au soprano et à la basse
puis mouvement direct au soprano, mouvement contraire deux fois de suite à la basse
pour déboucher finalement sur une cadence parfaite calquée sur le modèle tonal) ;
- mesures 54-57, prolifération du contre-sujet en strette (mouvement contraire exclusi-
vement), en mode de la sur mi puis en mode de la sur la, avant que soient réintroduits,
sur le quatrième temps de la mesure 57, le mode et la tonique d'origine ;
3. Pour conclure
Cette fugue tripartite dont les matériaux constitutifs et le dispositif à trois voix font
preuve d'une grande économie de moyens voit son écriture se complexifier au fur et à
mesure de ses trois sections : dans la première (mesures 1-21), l'alternance de trois expo-
sitions et trois divertissements s'effectue selon un jeu courant au plan contrapuntique ; la
deuxième (mesures 22-34) introduit le mouvement contraire et l'écriture en strette ; la troi-
sième, enfin (mesures 35-61) joue sur l'opposition entre mouvement direct et mouvement
contraire d'une part et, d'autre part, fait proliférer de façon savante le jeu sur l'écriture en
strette.
Du point de vue tonal (au sens large), Ravel reste imprégné par la fonctionnalité de la
tonalité majeure-mineure22 au plan structurel mais, simultanément, traite le système modal
en investissant ses caractéristiques propres au plan du détail :
Si l'on se place donc du seul point de vue de ce que Ravel a fait de cette vieille forme
qu'est la fugue - laquelle constituait l'apologie de la tonalité en son temps, mais ne lui est
en fait pas intrinsèquement liée24 - au travers du produit final qu'il nous propose avec la
22 Cette dimension de la démarche de Ravel, à l'œuvre ici au plan contrapuntique, est bien connue au plan
harmonique - notamment par comparaison avec Debussy -, l'exploitation du rapport de quinte continuant chez
lui à avoir un rôle structurel dans l'ordonnancement d'accords le plus souvent à l'état fondamental, ce qui ne
l'empêche pas de cristalliser de riches dissonances (telle l'appoggiature supérieure de la septième dans l'accord
de septième diminuée) ou de faire appel à l'extension de l'accord de quinte jusqu'à la treizième mineure.
23 Voir le chapitre VIII de La musique modale..., op. cit., p. 91 sq., consacré à « La "première" modalité et
la modalité "classique" ». Au point de vue du détail, Ravel met ainsi en œuvre ce que nous appelons la moda-
lité « classique ».
24 Voir à ce sujet Marcel Bitch et Jean Bonfils, op. cit., p. 75 sq.
fugue du Tom
rex de Strav
avec de vieille
si bien lui-m
musicale à frais nouveaux.
4. Références bibliographiques
Bent, L, et Drabkin, W., Analysis, London, Macmillan, 1987. Traduction française par Annie
Cœurdevey et Jean Tabouret : L'analyse musicale, histoire et méthodes, Nice, Éd. Main d' Œuvre,
1998.
Bitch. M., et Bonfils. J.. La fuQue. Paris. PUF. 1981 : 2e édition. Combre. 1993.
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Casini,
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Meeùs,
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