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Mathilde Reichler, HEMU, Analyse 1

Aide-mémoire FUGUE

Rappel (généralités) :

 Genre polyphonique, basé sur l’égalité et l’interdépendance des voix, la fugue met à l'honneur le
principe d'imitation.
 On peut ainsi dire que la définition minimale d’une fugue implique uniquement la présence d'un
sujet traité en imitation par une deuxième voix au moins, mais souvent par plusieurs autres voix (à
l’unisson, à la quarte inférieure ou à la quinte supérieure), entrant tour à tour dans une première
section nommée exposition.
 L’exposition d’une fugue peut être suivie de divertissements (appelés parfois « épisodes »), dans
lesquels domine un principe d’imitation libre entre les voix. Modulants, les divertissements sont
construits, thématiquement, sur des éléments tirés du sujet et/ou de son contresujet (s'il y en a un).
Ils sont caractérisés par la présence de travail séquentiel et de marches d'harmonie.
 Les divertissements aboutissent parfois au retour de passages d'imitation stricte, sur la base du sujet
et de sa réponse, dans une nouvelle tonalité. On peut alors parler d'entrées intermédiaires du sujet.
Si, après l'exposition, les divertissements et les entrées intermédiaires se succèdent régulièrement,
nous obtenons alors un schéma décrit sous le nom de « fugue d'école ».
 Il faut se garder toutefois d'avoir une vision trop normative de la forme d'une fugue : chaque fugue
est particulière, et très peu de fugues, chez Bach, correspondent à la fugue dite « d'école ».
 En tous les cas, le parcours tonal est fondamental pour pouvoir proposer un « découpage » de la
fugue.
 Visant l'unité et la cohérence, la fugue est en outre un genre très « analytique », qui fait du sujet (et
du contresujet, s'il y en a un) la matière de toute la construction qui va suivre. En le fragmentant et
en le variant de différentes manières (bribes de sujet/contresujet travaillées en séquences,
renversements, ornementations, ou au contraire : « abstraction » d’un profil mélodique, etc.), la
fugue se déploie sans jamais quitter de vue, pour ainsi dire, son sujet. Lorsqu’on analyse une fugue, il
importe donc d’être attentif à ce type de travail thématique.
 Une fugue comprend par ailleurs toujours des procédés contrapuntiques qui permettent de varier le
sujet, en le faisant apparaître sous de nouveaux aspects : renversements, augmentations et
diminutions peuvent ainsi masquer les retours du sujet, qui se trouve souvent caché dans la
polyphonie, sous une forme qui le rend plus difficilement perceptible à l'oreille. Strettes et autres
superpositions contrapuntiques, rappelant les principes du canon, viennent compléter la panoplie
des procédés fréquemment rencontrés dans la fugue : la virtuosité de l'écriture fait en quelque
sorte partie des lois du genre.
NB : si le procédé de strette (= entrées rapprochées du sujet qui se superpose à lui-même) fait partie
intégrante de la fugue d'école, qui préconise de construire la dernière section de la forme sur ce
principe, il faut mentionner que Bach utilise très souvent des strette dès le début de ses fugues.
 Il est à noter que si un nouveau sujet apparaît en cours de route, traité dans une nouvelle section
d'imitation stricte entre les voix, il est fort probable qu'il s'agisse d'une double fugue (fugue à deux
sujets), voire d'une triple fugue (fugue à trois sujets). Dans un tel cas, chaque sujet bénéficiera de sa
propre exposition, avant de se superposer aux autres dans un savant travail de contrepoint.

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Que faut-il observer en particulier lorsqu'on analyse une fugue ?

- Puisque c’est lui qui va déterminer le caractère de la fugue, il faut prendre le temps d’observer
de façon approfondie le sujet : sur quoi le mélodisme est-il construit ? Le sujet est-il conjoint,
disjoint ; diatonique, chromatique ? Comment met-il en avant la tonalité de la fugue ? Est-il
modulant, ou stable harmoniquement ? Un élément mélodique se distingue-t-il (arpège,
gamme, broderie écrite, etc.). Couvre-t-il un large ambitus, ou au contraire, reste-t-il dans un
ambitus réduit ? Est-il bref (quelques notes seulement ?) ou long (voire très long !) ? (A noter
que la brièveté ou la longueur d’un sujet aura forcément un impact sur la forme de la fugue et
sur l’effet de la polyphonie.) D’autre part, comment le sujet est-il caractérisé rythmiquement
(est-il binaire ou ternaire ? présence d'un rythme pointé, de syncopes, etc.) ? Est-il stable,
instable, complexe ou « simple » ? Que pouvez-vous en dire au niveau stylistique (rappel d’un
rythme de danse, d’un style typique à la française, ou d’un caractère très solennel, liturgique,
etc.) ? Peut-on le découper, et si oui, en combien de parties ? La tête du sujet est-elle très
caractéristique, et si oui, pourquoi ? Le sujet comprend-il des figures de rhétorique éventuelles
(gradations, soupirs, chromatismes descendants,…) ? En bref, quelle est sa physionomie, sa
spécificité, son caractère (à mettre en relation avec la tonalité choisie) ? Est-ce qu’il suggère un
« clavier » ou un autre en particulier ? N'hésitez pas être imaginatifs en analysant le sujet de
votre fugue, car beaucoup d'éléments peuvent être convoqués pour le décrire.
Ceci étant dit, il peut aussi arriver que le sujet soit de nature assez « neutre ». Dans ce cas, on
peut s'interroger sur l'effet que cela a sur la fugue, et sur son déroulement général. Il y a en
effet souvent une relation étroite entre la nature du sujet, ses caractéristiques mélodiques,
rythmiques et harmoniques, et la forme de la fugue et/ou le type de procédés contrapuntiques
que Bach va exploiter.

- Déterminer la nature de la réponse (réelle ? tonale ? plagale ?1). Et éventuellement, la raison


des mutations d’intervalles que vous observez dans la réponse (éviter une dissonance ?
rétablir la tonique dans la réponse ? éviter de moduler à la dominante de la dominante?).

- Déterminer le nombre de voix, et l’ordre d’entrée des voix dans l’exposition, ainsi que les
symétries éventuelles provoquées par le jeu des alternances entre le sujet et sa réponse (S R S
R ou S R R S, etc.). S’il y a lieu, commenter l’effet produit par l’entrée des voix (densification
rapide de la polyphonie, effets de symétrie, dialogues particuliers entre les voix, entrées du
grave vers l’aigu, etc.).

- Toujours dans l'exposition, déterminer s’il y a un contresujet, en gardant à l'esprit que ce n'est
pas un élément obligatoire de la fugue. Il se peut très bien qu'à l'entrée de la deuxième voix, la
première fasse entendre un contrepoint libre, « complétant » le sujet, sans que n’apparaisse
pour autant un élément thématique à part entière que l’on retrouvera tel quel au cours de la
fugue, régulièrement présent sous/sur les entrées du sujet. A noter qu'il peut aussi arriver qu’il
y ait plusieurs contresujets, pour un seul sujet.

- Décrire et découper, s’il y a lieu, le contresujet comme vous l’avez fait avec le sujet. Observer la
relation qui lie le sujet et le contresujet (continuité / rupture, contraste / proximité, etc.).

1 Réponse réelle : aucune mutation d'intervalle. Le sujet est transposé littéralement sur la dominante. Réponse tonale :
présence d'une mutation d'intervalle, qui a souvent pour effet de faire rétablir la symétrie Tonique / Dominante.
(Exemple : une quinte devient une quarte dans la réponse.) Réponse plagale : transposition du sujet sur la sous-
dominante. (Rare dans les expositions de fugue, la réponse plagale est souvent présente dans la dernière section de la
fugue, lorsqu'on est revenu au ton principal pour les dernières entrées du sujet.)

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- A l’aide des observations précédentes, situer la fin de l’exposition. Déterminer en particulier si
l'exposition comprend un ou plusieurs conduits, soit des sections qui travaillent un segment du
sujet ou du contresujet de façon séquentielle, souvent en marches, à la manière d'un mini-
divertissement, mais au sein de l'exposition (les voix ne sont pas encore toutes entrées, et la
polyphonie n'est pas encore complète).

- NB : Si, à la fin de l'exposition – éventuellement après une brève section de travail thématique
ressemblant à un conduit ou à un mini-divertissement –, on observe le retour du sujet à toutes
les voix de la polyphonie sur le ton principal et sa dominante, on parle d'une contre-exposition.

- Dans la suite de la fugue, déterminer les cadences principales et analyser le parcours tonal de
la façon la plus complète possible. Repérer les retours du sujet au cours de la fugue (entrées
isolées ou groupes d’entrées, soit entrées intermédiaires avec de nouveaux couples S / R), qui
coïncideront certainement avec l’articulation du parcours tonal.
NB : Il peut être utile de faire un petit schéma de la fugue, en faisant apparaître le parcours
tonal et en mentionnant les relations entre les tonalités visitées (SD, relative,...). Un schéma
peut aussi être l'occasion de faire apparaître les éventuelles symétries entre les voix, dans les
retours du sujet, si ceux-ci structurent la forme.

- Isoler les éventuels passages de divertissements (soit les « épisodes ») qui mènent à ces
cadences, et déterminer sur quoi se basent ces divertissements (tête ou queue du sujet,
éléments du contresujet, etc.).

- S’il y a lieu, déterminer où commence la coda (soit la dernière section de la fugue, lorsque
revient la tonalité principale et que l’on sent approcher la fin de la pièce).

- NB : S'il apparaît un élément (ou des éléments) thématique(s) nouveaux au cours de la fugue, il
faut observer comment se comportent les voix les unes par rapport aux autres : imitation
libre ? imitation stricte ? Ce critère sera très utile pour déterminer s’il s’agit d’un divertissement
ou de l’entrée d’un nouveau sujet (= double ou triple fugue).

o Dans un tel cas, on devrait en principe observer l'entrée de toutes les voix, tour à tour,
avec le nouveau sujet et sa réponse. On aura ainsi l'impression d’une nouvelle
exposition, en cours de fugue.
o Si l’imitation est libre entre les voix, et que l’on a, de plus, un travail de séquence et/ou
de marches harmoniques, il y a fort à parier que ce que l’on ressent comme
« nouveau » soit dérivé du matériau thématique de l’exposition (sujet / contresujet).
Dans ce cas, il s’agit probablement d’un divertissement, et non d’un nouveau sujet.
o NB : il se pourrait aussi que l’on rencontre un nouveau contresujet, en cours de fugue,
se superposant au sujet initial. Dans un tel cas de figure, la situation entre double (ou
triple) fugue et fugue à deux contresujets peut devenir très ambiguë...

- Au cours de l'analyse, relever si l’on trouve des procédés contrapuntiques de type strettes,
renversements, augmentations, diminutions, superpositions 2, et les mettre en valeur dans la
partition. Commenter l'effet produit par ces procédés, s'ils sont audibles (cela peut aussi se

2 Renversement : tous les intervalles du sujet sont renversés ; le sujet apparaît donc en miroir. Augmentation : toute les
valeurs rythmiques sont doublées (la noire devient une blanche, etc.), plus rarement quadruplées. Diminution : toutes
les valeurs rythmiques sont divisées par deux (la noire devient une croche, etc.), éventuellement par quatre. Strette : le
sujet se superpose à lui-même, parfois de façon de plus en plus rapprochée.

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produire de façon assez « secrète »). Bien souvent, Bach exploite dès le début de la fugue un
procédé ou un autre (ou même une combinaison de différents procédés). Il semble ensuite
travailler plus particulièrement sur le procédé en question, comme s’il s’agissait d’une
contrainte, plus ou moins cachée, qu'il se serait donnée.

En conclusion :

A l’aide de tous les aspects évoqués ci-dessus, essayez de réfléchir à la particularité de « votre » fugue.
Chaque fugue use en effet de façon très personnelle des différentes notions et des outils que nous
avons définis en cours. Il faut les utiliser pour discuter de ce qui se passe dans le cas particulier que
vous avez sous les yeux. Attention : ils ne seront pas toujours tous opérationnels... Mais c'est souvent
justement cela qui nous permet de mettre le doigt sur le type de travail proposé par Bach dans telle ou
telle fugue. (Exemple : s'il n'y a pas de contresujet, c'est peut-être parce que Bach prépare une double
fugue, ou qu'il travaille surtout sur des strette ; dans un tel cas, il n'a peut-être pas besoin de
contresujet. S'il n'y a pas de divertissements, c'est peut-être parce qu'il exploite une caractéristique de
son sujet pour moduler. Etc. etc. Il ne faut pas hésiter à faire des hypothèses.)
Enfin, comme évoqué ci-dessus, il se peut que Bach travaille en particulier sur un aspect, qu'il se soit
donné une sorte de « contrainte ». L'analyse essaie de le mettre en lumière. Et si certaines choses vous
étonnent, n’hésitez pas à les commenter à haute voix. Il est très important de se poser des questions –
c’est à partir de cela qu'on avance dans l'analyse, et qu'on parvient peu à peu à interpréter les
observations techniques que l'on a pu faire, pour en arriver à des considérations touchant à
l'esthétique de la pièce.

HEMU (Lausanne), 26 mars 2019, Mathilde Reichler

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