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Séquence 1 texte 4 : « Icebergs » de Henri Michaux

Introduction : Problématique :
Ecrivain et poète du XXème siècle, Henri Michaux a Nous allons donc voir comment Michaux transfigure les
écrit de nombreux recueils qui mettent en scène la icebergs pour en faire les symboles de sa quête spirituelle.
parole poétique comme un voyage vers une quête de Plan du texte :
sens. Cette quête passe souvent par la description de Le poète commence par décrire les icebergs comme des
paysages extérieurs et de terres inconnues, mais elle ne paysages de l’au-delà et montre son admiration.
prend tout son sens que lorsque le lecteur admet que Ensuite, il évoque les icebergs comme des éléments religieux
cette aventure est d’abord et avant tout une quête avec lesquels il nourrit une grande complicité.
intérieure et spirituelle. Le poème « Icebergs », ce
poème écrit en tercets et vers libres, en est le parfait
reflet : ici, les paysages de l’extrême nord nourrissent
l’imaginaire du poète.

Texte Analyse/interprétation
Le poète commence par s’adresser directement aux icebergs,
Icebergs, sans garde-fou, sans ceinture, qu’il personnifie. Il commence par les qualifier par ce qui leur
manque (anaphore de l’adverbe privatif « sans ») et on voit qu’il
les qualifie comme un espace sans protection pour les êtres
humains
où de vieux cormorans abattus et les âmes des De fait, les seuls habitants de ce monde étrange sont les
matelots morts récemment viennent défunts : les oiseaux ont été abattus et les matelots sont réduits
à leurs âmes. L’allitération en « m » vient scander la phrase
comme s’il s’agissait de nous faire pénétrer dans un espace
mythologique qui ferait la jonction entre notre monde et celui
de l’au-delà (adverbe de temps « récemment »).
s'accouder aux nuits enchanteresses de l'hyperboréal. Pourtant, cette vision n’est pas angoissante, au contraire, le
geste des matelots semble indiquer une certaine familiarité
avec le lieu (ils s’y accoudent négligemment pour profiter du
spectacle) et l’adjectif hyperbolique « enchanteresses »,
renforce cette idée de magie qui donne le sentiment que les
matelots morts accèdent à un monde d’une beauté pure et
infinie.

Icebergs, Icebergs, cathédrales sans religion de l'hiver Le poète scande le mot « icebergs » à chaque début de strophe,
éternel, comme une incantation, une litanie qui nous ferait basculer
dans cet univers magique, d’autant que l’allitération en « s »
renforce ce sentiment de douceur et de sons feutrés. Le poète
semble prier ces nouvelles divinités qui n’ont pas besoin d’un
dieu pour incarner un voyage vers la spiritualité (oxymore placé
dans la métaphore « cathédrales sans religion ») – le poète
insiste sur la suspension du temps (« hiver éternel ») ce qui
renforce le sentiment d’être dans un espace qui échappe à la
finitude et la petitesse humaine.
enrobés dans la calotte glaciaire de la planète Terre. Le poète rappelle le lien qui unit les icebergs à la planète, au
sein de laquelle ils semblent protégés (« enrobés ») – on peut
cependant relever la possible ambivalence du mot « calotte »
qui peut désigner un chapeau religieux, comme si la Nature
générait elle-même sa propre religion.
Le poète exprime son admiration par la répétition de l’adverbe
de quantité « combien » puis l’utilisation de 2 adjectifs
mélioratifs qui soulignent la distance avec le monde humain :
Combien hauts, combien purs sont tes bords enfantés l’homme est petit face aux icebergs et son monde est
par le froid. contaminé par des déchets.
On voit que la Nature est de nouveau montrée comme celle qui
génère son propre univers poétique (emploi du participe passé
adjectivé « enfantés ».)

Icebergs, Icebergs, dos du Nord-Atlantique, augustes Le poète expose une notion purement géographique (« dos du
Bouddhas gelés sur des mers incontemplées. Nord-Atlantique ») tout en personnifiant les icebergs qui
semblent liés organiquement au reste du monde, mais dans la
même phrase, il lie les icebergs au monde religieux par le terme
hyperbolique « auguste » (l’empereur Auguste était déifié) et la
référence à « Bouddha » : Michaux était déçu de la spiritualité
Phares scintillants européenne et a préféré se tourner vers une religiosité plus
orientale qui inscrit davantage le sacré au cœur du monde.
Par le truchement d’une métaphore (« phares ») Michaux
projette sur les icebergs une fonction de guide mais inverse le
rôle des phares traditionnels qui permettent aux marins de
rentrer à terre vivants. Ici, le phare entraîne les marins vers une
de la Mort sans issue, mort certaine ( redondance de l’expression « Mort sans issue »),
dimension angoissante d’autant que leurs hurlements (« cri
le cri éperdu du silence dure des siècles. éperdu ») se perdent et se dissolvent dans cet espace infini :
l’oxymore « cri du silence » nous fait entrer dans cet univers
inhumain, au-delà de ce que notre imaginaire peut concevoir :
la pureté et la grandeur des icebergs sont telles qu’elles
étouffent tout bruit humain et leur temporalité écrase la
brièveté de la vie humaine ( « dure des siècles »). L’allitération
en « s » vient suggérer ce glissement feutré vers le néant.
Néanmoins, la mention de « Bouddha » peut faire penser que
cette lumière est aussi celle d’un haut-delà lumineux et donc à
terme paradisiaque (on remarquera l’important du champ
lexical de la lumière : « scintillants »).

Icebergs, Icebergs, Le poème s’achève sur une ultime anaphore du mot


« icebergs », que le poète qualifie de « solitaires », ce qui
correspond à un nom donné dans certaines religions à ceux qui
se retirent du monde pour méditer. La scansion du nom,
associée à l’allitération en « s » semble glorifier ces géants de
Solitaires sans besoin, des pays bouchés, distants, et glace auquel le poète semble vouer un culte.
libres de vermine. Le poète insiste ensuite sur l’éloignement géographiques de ces
lieux, indépendants du monde humain « sans besoin », et qui
ont su garder leur pureté originelle qui s’oppose à la corruption
des pays humains (« libres de vermine »).
Parents des îles, parents des sources, Néanmoins, le poète rappelle le lien inaltérable qui lie les
icebergs au reste du monde : ce lien se situe dans l’enfantement
(anaphore du mot « parents »), ainsi les icebergs sont tout
autant donneur de vie que de mort, leur suprématie sur notre
monde s’appuie sur ce pouvoir absolu qui renvoie l’homme à sa
petitesse et à son impuissance.
comme je vous vois, comme vous m'êtes familiers... Le poète achève son texte sur une ultime anaphore (adverbe
d’intensité « comme ») et se place à deux niveaux
grammaticaux dans cette ultime phrase : il est à la fois sujet « je
vous vois » et COD « vous m’êtes familiers ») ; il contredit ainsi
l’adjectif « incomtemplées » de la strophe précédente ; de
même, l’adjectif « familier » suggère une relation de proximité
quasi parentale. On peut donc estimer qu’il s’agit pour Michaux
d’affirmer ici son statut de poète élu, capable de voir ce qui
reste inatteignable au reste des mortels et d’être, comme le
disait Rimbaud, le suprême « voyant ». Les points de suspension
laisse le poème ouvert sur ce constat plein de promesses.
Conclusion Ouverture
Nous nous sommes donc demandé en quoi ce poème On pourrait faire la comparaison avec le poème de Rimbaud
reflétait la quête spirituelle du poète. A travers la « Le Bateau ivre » dans lequel le poète s’identifie à un navire
description élogieuse du paysage et les multiples sans amarre qui parcourt le monde et atteint la vérité : « et j’ai
références à un au-delà aussi tragique que poétique, vu ce que l’homme a cru voir… »
Michaux se montre ici comme le poète voyant,
capable de transcender la description du réel pour
nous ouvrir les portes d’un ailleurs transcendant.

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