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Louppe Peggy, Digby-Smith Peter, Vert Michel. Le management de la qualité dans l 'industrie automobile. Figures de la
coordination clients -fournisseurs. In: Sciences de la société, n°46, 1999. Organisation et qualité. pp. 135-152;
doi : https://doi.org/10.3406/sciso.1999.1418
https://www.persee.fr/doc/sciso_1168-1446_1999_num_46_1_1418
Abstract
Quality management in the automobile industry : figures of customer-supplier coordination
The suppliers in the automobile industry have been confronted in the last few years by constraints
more and more present : the implementation of quality assurance systems demanded by their
customers. To fulfill this requirement is even more difficult in that, practically, the customer they have to
satisfy is multiple, emitting some¬ times contradictory requirements. In this situation, the suppliers tend
to adopt two different types of strategy concerning the implementation of this system. This article
intends to describe them and to draw a few conclusions about the role quality assurance has and can
have in the relationships between customers and suppliers.
Resumen
La gestion de la calidad en la industria de la automociôn : figuras de la coordinación clientes-
proveedores
Los proveedores de la industria de la automociôn han sido confrontados en los ultimos anos a una
obligación cada vez mas présente : la implementación de sistemas de garantfa de calidad, exigida por
sus clientes. Cumplir esta obligación es aun mas diffcil porque, en la prâctica, el cliente, que hay que
satisfacer, es multiple, y sus exigencias son a veces contradictorias. Entonces, los proveedores
tienden a adoptar dos tipos diferentes de estrategia para la implantación de dicho sistema. Este
articulo se propone describirlos y sacar algunas conclusiones sobre el papel que desem-pena y que
puede tener la garantfa de la calidad en las relaciones clientes-proveedores.
SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ n° 46 - Février 199
Peggy LOUPPE
1. Nous utilisons ici les concepts développés par J.-D. Reynaud, dans le sens où « très gé
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Que signifient ces exigences pour les fournisseurs ? Il s'agit ici de for¬
maliser ces pratiques, et de s'y tenir ensuite. Le tout doit pouvoir être
prouvé, notamment lors des audits effectués par les clients ou plutôt, actuel¬
lement, par une tierce partie, par l'existence de documents se rapportant à
ces pratiques et à l'enregistrement d'actions et des résultats de ces actions.
D'autre part, dans les référentiels automobiles, les exigences se précisent et
incluent l'utilisation de méthodes standards dans cette industrie, à appliquer
par exemple lors de la conception du produit1, de la fabrication, de la livrai¬
son... Cela implique pour les fournisseurs l'établissement de règles qui
conditionnent également la coordination avec les interlocuteurs clients quo¬
tidiens, les clients concrets, ainsi qu'une certaine transparence vis-à-vis de
ceux-ci, puisque l'enregistrement de toute action ou résultat, nécessaire pour
rieure.
la preuve, implique aussi davantage de lisibilité pour toute personne exté¬
lité dont l'existence et l'application sont exigées par les constructeurs aut
mobiles, avec un niveau de généralité et de formalisation propre au clie
formel. Mais à quelles contraintes locales les fournisseurs doivent-ils réagi
face à leurs clients « concrets », leurs interlocuteurs quotidiens, qui form
lent eux des exigences d'un faible niveau de généralité et de formalisatio
ne s' accordant
formel ? pas forcément avec les exigences émises par le clie
Dans certains cas, on peut constater que les règles du jeu mises en pla
par l'intermédiaire de l'assurance qualité ne sont pas vraiment prises
compte par les clients concrets. Il faut, d'une part, souligner que les dispos
tifs mis en place par le client formel autour de ces normes, pour « intére
ser » (Callon, 1986) le fournisseur (de type audit de système, échange ent
directions qualité, etc.) sont peu nombreux. D'autre part, le client concre
dans ses relations avec le fournisseur, a tendance à négliger cette régulati
de contrôle, à la bousculer, l'ignorer même, formulant des exigences contr
dictoires (en délai ou en contenu) avec l'application du système qualité m
en place par le fournisseur. Il possède en effet sa propre régulation aut
nome, sa propre logique d'action, située sur un autre plan (elle fait écho à
régulation de contrôle développée dans l'entreprise du client, et non enve
les fournisseurs). Or cette régulation autonome, qui est utilisée dans
coordination envers les fournisseurs, ne reprend pas toujours, loin s'en fa
dans les cas évoqués, la régulation de contrôle du client formel. Comme
cela se traduit-il au quotidien, pour les équipementiers ?
cations, mais les délais ne sont pas repoussés. [...] Si tous ont la mêm
démarche, alors les documents, c 'est bien. Mais le client doit être le premie
à le faire. Et il ne le fait pas. Le client appelle le matin à dix heures, et veu
à midi une offre complète, ou alors il envoie un fax et demande l'offre dan
les deux heures. Et nous, on court, on ne suit pas du tout le système [le
règles], parce que sinon il se passerait quatre semaines avant qu'on ai
donné la réponse, ce qu'on n'a pas le droit de faire officiellement. Mais
cause de la pression du client, on doit le faire. Et le même client nous écr
que nous devons nous faire certifier ISO 9000, que nous devons avoir l
certificat. Voilà de nouveau les contradictions. »
1. Les normes ISO 9000 sont présentées comme le moyen d'obtenir « la satisfaction du cl
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direction. Ce dernier point est lui aussi une donnée importante des contrain¬
tes, dans ce cas à la fois globales et locales : guerre des prix sur le marché
guerre des coûts et des prix entre constructeurs et fournisseurs.
Cette caractéristique des clients est souvent soulignée chez les équipe¬
mentiers. Le client fait pression, menace éventuellement « d'aller voi
ailleurs ». Son ingérence est relativement importante, puisqu'il va jusqu'
autonome. Mettant cet élément en avant, il évite ainsi les contrôles rappr
chés (audits) des clients et applique un tout autre mode de fonctionneme
en interne. Les règles définies dans le système qualité restent très général
difficilement mobilisables dans une situation pratique. La marge de manœ
vre des destinataires des règles édictées par la direction qualité est large.
client. Parce que le système c'est le papier, et que le papier « c'est admini
tratif»,
leure méthode
c'est «est
du la
formalisme
collaboration
» « ».
inutile dans de petites usines où la me
Ici, c'est la qualité du produit qui compte, le résultat, et non, par exem
ple, les moyens documentaires qu'on met en œuvre pour produire de la qu
lité. C'est en ce sens que l'on privilégie le local, le concret. De même,
relations locales avec le client sont particulièrement importantes et mises
valeur dans l'entreprise, à tous les niveaux et pour un grand nombre
fonctions. « Les relations personnelles avec le client sont devenues enco
plus déterminantes . [...] Les personnalités, les relations... Cela joue
grand rôle chez nous » (chef de projet) ; « la direction nous le dit toujou
et le directoire au siège aussi : nous devons prendre soin des relations av
le client » (service qualité) ; « il faut être présent chez le client, il faut
persuader que nous livrons de la bonne qualité » (agent logistique) ; «
clients demandent le contact. S'il y a un problème et qu 'on n 'a pas entrete
le contact, alors c'est difficile » (chef d'équipe) ; « il faut entretenir u
bonne collaboration avec le client. Comme ça on connaît mieux
défauts » (opérateur) ; « le contact direct avec le client, c 'est mieux, com
ça l'information n'est pas déformée » (régleur). Certains rapportent que
priorité donnée aux clients a même pour conséquence de faire se vider
réunions, du fait de leurs appels téléphoniques. Enfin, il est à noter qu'
indicateur du nombre de visites spontanées au client a été mis en place par
direction, dans le même esprit.
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usine l'exaerbe encore en expliquant : « Ils nous disent : nous allons mettre
ça en place, et alors il faut qu 'on adopte telle chose, telle autre. Je pense
qu'on est une usine qui livre à tel client, et nous devons le satisfaire. Et ce
que demande tel autre client dans une autre usine, ce n 'est pas important
pour nous. Je dois satisfaire le client ici. Et quand on met en place des
structures valables pour toutes les unités, on fait beaucoup plus que ce
qu'on devrait faire localement. Ou alors le client a des souhaits localement,
et on n 'y répond pas par ces structures. »
La volonté de définir des règles et de s'y tenir est souvent liée à la per
pective de réduire les coûts. « La certification, ce n'est pas seulement
argument de vente. Ça aide aussi à éviter les erreurs dans l'entreprise
donc à assurer sa position concurrentielle. Quand on supprime des défau
on peut diminuer les coûts en conséquence » (service achats).
De plus, les acteurs soulignent que le système ne fait pas tout, revend
quant leur compétence relationnelle et technique pour la plupart, et son i
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portance dans le jeu actuel avec les clients (et avec les fournisseurs) : « la
personnalité des interlocuteurs, ça compte beaucoup. Il faut avoir des exi¬
gences mais savoir laisser un peu d'air. Pour le service achats, il faut avoir
le sens du contact. Et les documents, c ' est bien joli, mais ça ne suffit pas »
(service achats). « Nous avons tous les mêmes systèmes, tous les mêmes ma¬
chines. Le facteur de succès déterminant, c'est le facteur homme. Les quali¬
fications. J'ai des personnes qui ont des faiblesses sur le plan administratif
[les documents liés au système], mais d'un autre côté, elles font un très très
bon travail. Une très bonne relation au client. [...] Sans certification, c'est
sûr, vous ne tenez pas longtemps la pression. Mais du fait que les organisa¬
tions sont les mêmes, le critère déterminant, ce sont les hommes »
(responsable commercial). On peut facilement rapprocher ce type de remar¬
ques de celle-ci, plus générale aux outils de gestion : « combien de fois n 'en¬
tend-on pas tel ou tel responsable se méfier des calculs et des modèles [tout
comme des procédures !], et exprimer le sentiment que la gestion est avant
tout affaire d'intuition ou de qualité des relations humaines » (Moisdon,
1997, p. 11).
Par ailleurs, et nous y avons déjà fait allusion, les documents peuvent
parfois trahir dans des relations de négociation avec les clients. Un commer¬
cial nous explique : « il y a des choses où... Nous essayons toujours d'at¬
teindre ce qui est valable sur le marché et non pas forcément ce qui corres¬
pond à nos coûts. C'est donc difficile d'utiliser [pour les montrer] des don¬
nées telles quelles. Dans certains documents du système, par exemple ».
Ainsi, le respect des règles n'est pas toujours compatible avec des rela¬
tions, d'une part, presque personnelles, et d'autre part, conditionnées par une
négociation incessante sur les prix. La direction qualité a choisi une straté¬
gie, les acteurs de terrain l'acceptent pour partie mais rencontrent des diffi¬
cultés. De plus, du fait du peu d'appui des clients concrets, le porte-parole
que veut représenter la direction qualité a peu de légitimité.
temps au sein de l'ensemble des entreprises étudiées. Quoi qu'il en soit, ces
deux stratégies ne vont pas sans poser problème. Pour l'entreprise El, deux
questions se posent : quel serait son avenir si un événement quelconque
venait ébranler la confiance aveugle du client ? Quels seraient ses recours si
la pression qui s'exerce par ailleurs sur son personnel (de façon quantitative
et qualitative) poussait celui-ci à quitter le navire, emmenant avec lui une
grande partie du savoir-faire de l'entreprise, placé dans les hommes et non
dans les procédures ?
Les normes ISO 9000 et les référentiels correspondants jouent donc peu
leur rôle de dispositif assurantiel et sont davantage pour les fournisseurs
l'occasion d'acquérir une nouvelle autonomie vis-à-vis de leurs clients,
autonomie mise à profit pour jouer leur propre jeu, ou, dans le deuxième cas,
affirmée avant tout dans un but de normalisation des relations avec le client,
150 Peggy Louppe
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
DOSI (G.), TEECE (D.), WINTER (S.), 1990, « Les frontières des entre¬
prises : vers une théorie de la cohérence de la grande entreprise », Revue
d'Économie Industrielle, n° 51, p. 238-254.
MOISDON (J.-C.), dir., 1997, Du mode d'existence des outils de gestion. Les
Arslan.
instruments de gestion à l'épreuve de l'organisation, Paris, Éditions Seli
The suppliers in the automobile industry have been confronted in the last few
by constraints more and more present : the implementation of quality assur
systems demanded by their customers. To fulfill this requirement is even more
cult in that, practically, the customer they have to satisfy is multiple, emitting s
times contradictory requirements. In this situation, the suppliers tend to adopt
different types of strategy concerning the implementation of this system. This a
intends to describe them and to draw a few conclusions about the role quality
rance has and can have in the relationships between customers and suppliers.
Key words : relationships between customers and suppliers, quality assurance,
nizational learning, regulation, coordination.