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Sciences de la société

Le management de la qualité dans l 'industrie automobile. Figures


de la coordination clients -fournisseurs
Peggy Louppe, Peter Digby-Smith, Michel Vert

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Louppe Peggy, Digby-Smith Peter, Vert Michel. Le management de la qualité dans l 'industrie automobile. Figures de la
coordination clients -fournisseurs. In: Sciences de la société, n°46, 1999. Organisation et qualité. pp. 135-152;

doi : https://doi.org/10.3406/sciso.1999.1418

https://www.persee.fr/doc/sciso_1168-1446_1999_num_46_1_1418

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Résumé
Les équipementiers sont depuis quelques années confrontés à une contrainte toujours plus présente :
la mise en place de systèmes d'assurance qualité exigée par leurs clients. Y répondre est d'autant plus
difficile que, dans la pratique, le client qu'il faut satisfaire se démultiplie, émettant des exigences parfois
contradictoires. Les équipementiers ont alors tendance à adopter deux types différents de stratégies
pour la mise en place de ce système. Cet article se propose de les décrire et de tirer quelques
conclusions sur le rôle que tient et que peut tenir l'assurance qualité dans les relations clients-
fournisseurs.

Abstract
Quality management in the automobile industry : figures of customer-supplier coordination
The suppliers in the automobile industry have been confronted in the last few years by constraints
more and more present : the implementation of quality assurance systems demanded by their
customers. To fulfill this requirement is even more difficult in that, practically, the customer they have to
satisfy is multiple, emitting some¬ times contradictory requirements. In this situation, the suppliers tend
to adopt two different types of strategy concerning the implementation of this system. This article
intends to describe them and to draw a few conclusions about the role quality assurance has and can
have in the relationships between customers and suppliers.

Resumen
La gestion de la calidad en la industria de la automociôn : figuras de la coordinación clientes-
proveedores
Los proveedores de la industria de la automociôn han sido confrontados en los ultimos anos a una
obligación cada vez mas présente : la implementación de sistemas de garantfa de calidad, exigida por
sus clientes. Cumplir esta obligación es aun mas diffcil porque, en la prâctica, el cliente, que hay que
satisfacer, es multiple, y sus exigencias son a veces contradictorias. Entonces, los proveedores
tienden a adoptar dos tipos diferentes de estrategia para la implantación de dicho sistema. Este
articulo se propone describirlos y sacar algunas conclusiones sobre el papel que desem-pena y que
puede tener la garantfa de la calidad en las relaciones clientes-proveedores.
SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ n° 46 - Février 199

LE MANAGEMENT DE LA QUALITÉ DANS


L'INDUSTRIE AUTOMOBILE

Figures de la coordination clients-fournisseurs

Peggy LOUPPE

L/es contraintes qui pèsent sur l'industrie, notamment du fait de l'inter


nationalisation des marchés, sont de plus en plus fortes. Les entreprises son
donc très impliquées dans des politiques de réduction des stocks, de produc¬
tion en juste-à-temps et de production « maigre », unifiant et standardisan
par ailleurs leurs méthodes de management. Ces politiques entraînent ce
pendant une forte augmentation des risques : fragilisation des chaînes d
production, par exemple, où un défaut sur un lot de composants peut entraî
ner un arrêt complet de chaîne chez le client. La tension des flux rend tou
événement imprévu plus critique.

L'enjeu est alors de fiabiliser au mieux les processus et l'ensemble de l


chaîne productive, que ce soit au niveau de l'entreprise elle-même ou de se
fournisseurs. C'est dans ce cadre qu'intervient l'assurance qualité, et plu
généralement le management de la qualité. L'assurance qualité, outil d
rationalisation, constitue le moyen pour les clients de s'assurer que le
fournisseurs mettent en œuvre les structures nécessaires à la fourniture régu¬
lière de produits de qualité, condition première d'un processus fiable
l'aval.

L'assurance qualité est, dans le secteur automobile, un prérequis indis¬


pensable pour traiter directement avec les constructeurs. Ceux-ci, en effet
ont entrepris, à la fin des années 1980, de réduire fortement le nombre d
136 Peggy Louppe

fournisseurs. Avec les fournisseurs sélectionnés s'établissent des relatio


privilégiées, quelquefois qualifiées de partenariales. C'est dans ce cadre q
l'assurance qualité est devenue nécessaire aux yeux des clients, pour le
garantir un minimum de confiance dans la solidité des fournisseurs. E
correspond en fait à la construction de règles du jeu stabilisées constitua
une assise pour l'ensemble des interactions. D'un autre point de vue,
s' appuyant sur les normes ISO 9000, normes universelles permettant théo
quement un partenariat « ouvert » (Segrestin, 1996), les clients peuvent al
ger la coordination inter-firmes et surtout sa dimension domestique, invest
sement spécifique coûteux, pesant dans un contexte de concurrence de p
en plus acharnée.

Dans le secteur automobile, cette nécessité s'est traduite, en Europe, p


la création de plusieurs référentiels propres, dont le VDA 6 pour l'Allem
gne et l'EAQF pour la France, ces référentiels se superposant à la nor
ISO 9001 et la complétant. Récemment, l'Amérique du Nord a emboîté
pas à l'Europe, avec le référentiel QS 9000, mis au point par les trois gran
constructeurs américains. Ainsi, ce mouvement de rationalisation n'est p
un phénomène périphérique. Il fait partie intégrante des relations entre do
neurs d'ordres et fournisseurs et modèle le paysage industriel du secteur
constitue en outre un enjeu certain dans le contexte actuel, y compris ch
les fournisseurs qui suivent un mouvement de concentration et sont amen
de plus en plus souvent à faire collaborer des usines de pays différents, tr
vant là éventuellement une base de repères communs utile à la coordinatio

Comment se structurent, dans ce cadre, les relations entre clients


fournisseurs ? Régulation de contrôle (Reynaud, 1988) créée et portée
les clients, venue « d'en haut »1, l'assurance qualité constitue une fo
contrainte pour les équipementiers. Les fournisseurs se voient d'autre p
confrontés à d'autres contraintes plus locales de réactivité et de flexibili
de satisfaction d'interlocuteurs locaux. Ce niveau fait lui davantage appe
la régulation autonome que l'entreprise du fournisseur construit (éventuel
ment avec ses interlocuteurs clients locaux) face à la spécificité de sa sit
tion. Comment ces régulations s'articulent-elles ? A quels niveaux retrou
t-on la régulation de contrôle et comment se traduit-elle pour les fourn
seurs ? Quelle est, dans cette situation d'interaction fortement contrainte,
stratégie adoptée par les fournisseurs, la régulation autonome qu'ils utilis
et la régulation conjointe qui en résulte, si elle se construit ? Nous tenter
de répondre à cette série de questions à partir d'observations réalisées en
1995 et 1997 chez un équipementier français, un équipementier tchèque,
deux équipementiers allemands, appartenant tous au même groupe.

1. Nous utilisons ici les concepts développés par J.-D. Reynaud, dans le sens où « très gé
Le management de la qualité dans l'industrie automobile 137

LE SYSTÈME DE CONTRAINTES : UNE CONTRADICTION QUI


GAGNE DU TERRAIN

Dans les relations inter-firmes, on assiste en fait, dans certains cas, à


une sorte de dédoublement du client, qui présente deux faces : un client
« formel » et un client « concret ».

LA RÉGULATION DE CONTRÔLE IMPOSÉE PAR LE CLIENT


FORMEL

Le client formel, représenté par la direction de l'entreprise et surtout sa


branche qualité, est le client « rationalisateur », qui impose sa régulation de
contrôle. En quoi consiste-t-elle ?

Aujourd'hui, que ce soit en Allemagne, en République Tchèque ou en


France, pour un fournisseur de l'industrie automobile, il est indispensable
pour obtenir un contrat de s'être fait certifier ou qualifier, par une tierce
partie, selon la norme ISO 9001 (ou ISO 9002 si le fournisseur n'est pas
concepteur), ou un des référentiels déjà cités, l'EAQF, le VDA 6 ou le
QS 9000. Dans certains cas, les deux types de qualification sont même
exigés (norme et référentiel) (Gorgeu, Mathieu, 1996). Soulignons d'autre
part que ces référentiels ne cessent d'évoluer, le client formel indiquant par
là sa volonté de perfectionner cet outil de rationalisation et de stabilisation
des règles du jeu avec les fournisseurs.

Que signifient ces exigences pour les fournisseurs ? Il s'agit ici de for¬
maliser ces pratiques, et de s'y tenir ensuite. Le tout doit pouvoir être
prouvé, notamment lors des audits effectués par les clients ou plutôt, actuel¬
lement, par une tierce partie, par l'existence de documents se rapportant à
ces pratiques et à l'enregistrement d'actions et des résultats de ces actions.
D'autre part, dans les référentiels automobiles, les exigences se précisent et
incluent l'utilisation de méthodes standards dans cette industrie, à appliquer
par exemple lors de la conception du produit1, de la fabrication, de la livrai¬
son... Cela implique pour les fournisseurs l'établissement de règles qui
conditionnent également la coordination avec les interlocuteurs clients quo¬
tidiens, les clients concrets, ainsi qu'une certaine transparence vis-à-vis de
ceux-ci, puisque l'enregistrement de toute action ou résultat, nécessaire pour
rieure.
la preuve, implique aussi davantage de lisibilité pour toute personne exté¬

Voilà donc un aperçu rapide de la régulation de contrôle s' imposant aux


équipementiers, celle du management de la qualité et donc du système qua
138 Peggy Louppe

lité dont l'existence et l'application sont exigées par les constructeurs aut
mobiles, avec un niveau de généralité et de formalisation propre au clie
formel. Mais à quelles contraintes locales les fournisseurs doivent-ils réagi
face à leurs clients « concrets », leurs interlocuteurs quotidiens, qui form
lent eux des exigences d'un faible niveau de généralité et de formalisatio
ne s' accordant
formel ? pas forcément avec les exigences émises par le clie

LES CONTRAINTES LOCALES : DES CLIENTS « CONCRETS


BROUILLONS MAIS EXIGEANTS

Dans certains cas, on peut constater que les règles du jeu mises en pla
par l'intermédiaire de l'assurance qualité ne sont pas vraiment prises
compte par les clients concrets. Il faut, d'une part, souligner que les dispos
tifs mis en place par le client formel autour de ces normes, pour « intére
ser » (Callon, 1986) le fournisseur (de type audit de système, échange ent
directions qualité, etc.) sont peu nombreux. D'autre part, le client concre
dans ses relations avec le fournisseur, a tendance à négliger cette régulati
de contrôle, à la bousculer, l'ignorer même, formulant des exigences contr
dictoires (en délai ou en contenu) avec l'application du système qualité m
en place par le fournisseur. Il possède en effet sa propre régulation aut
nome, sa propre logique d'action, située sur un autre plan (elle fait écho à
régulation de contrôle développée dans l'entreprise du client, et non enve
les fournisseurs). Or cette régulation autonome, qui est utilisée dans
coordination envers les fournisseurs, ne reprend pas toujours, loin s'en fa
dans les cas évoqués, la régulation de contrôle du client formel. Comme
cela se traduit-il au quotidien, pour les équipementiers ?

Les règles malmenées

Dans l'une des entreprises concernées, par exemple, il est difficile


savoir quels sont les critères de cotation et de réclamation par le client.
démarrage série officiel, qui marque le début de la production en série
pour lequel un représentant du client doit être présent, est souvent effect
des mois, voire des années après le démarrage effectif de la production.
arrive également aux agents du service développement chez le client de
servir de leurs interlocuteurs fournisseurs pour retrouver des données qu'
ont eux-mêmes égarées, ce qui montre le chemin à parcourir pour la gesti
des documents si chère aux certificateurs. Il n'est par ailleurs pas rare
constater que des sous-fournisseurs sont imposés par les constructeurs
qu'ils ne sont pas certifiés (la sélection de sous-fournisseurs certifiés ou qu
lifiés est imposée par les clients à leurs fournisseurs de premier rang).
Le management de la qualité dans l'industrie automobile 1

cations, mais les délais ne sont pas repoussés. [...] Si tous ont la mêm
démarche, alors les documents, c 'est bien. Mais le client doit être le premie
à le faire. Et il ne le fait pas. Le client appelle le matin à dix heures, et veu
à midi une offre complète, ou alors il envoie un fax et demande l'offre dan
les deux heures. Et nous, on court, on ne suit pas du tout le système [le
règles], parce que sinon il se passerait quatre semaines avant qu'on ai
donné la réponse, ce qu'on n'a pas le droit de faire officiellement. Mais
cause de la pression du client, on doit le faire. Et le même client nous écr
que nous devons nous faire certifier ISO 9000, que nous devons avoir l
certificat. Voilà de nouveau les contradictions. »

Il semble donc que les contraintes de flexibilité et de réactivité au jour l


jour aillent a priori à l'encontre du système mis en place chez le fournisseur
suite à la certification ISO 9000. Le client concret se superpose au clien
formel. Un responsable commercial commente : « Nos clients sont trè
brouillons en ce qui concerne les documents. Ils sont peut-être certifiés
mais. . . Nous faisons les papiers pour eux. Sans commande, nous n 'avon
théoriquement le droit de rien faire. Mais ils nous passent la commande u
an plus tard ! C'est pour cela que nous confirmons par écrit après un
conversation téléphonique... Mais nous dépendons de ça, et nos démarche
ne sont pas nettes [...] Ils nous rendent la vie dure. »

A nouveau, on assiste à une contradiction entre la volonté de pratique


conformes à la régulation de contrôle, et leur mise en œuvre difficile dans u
contexte de coordination moins régulée avec les interlocuteurs clients. Ceu
ci portent de plus un intérêt limité au système qualité et à la documentation
dans leurs interactions quotidiennes avec leurs fournisseurs, nous dit-on
« L'important, c'est l'oral, c'est l'expérience avec le client. Il nous dit
vous savez bien ce qu 'on veut, on n 'a pas besoin de tout ça [documents]
(équipe projet). « Les clients ne s 'attachent pas aux exigences du référentie
Et même, en ce qui concerne les concepteurs et les acheteurs, il y a un cer
tain ressentiment vis-à-vis du référentiel. Il y a toujours la menace : celu
qui n'est pas certifié, n'a pas de contrat. Mais moi je dis que même san
qualification [référentiel] je peux avoir des contrats. Et même sans certifi
cation ISO 9000 » (responsable commercial). Il y a donc une tendance d
client concret à éviter la régulation de contrôle imposée par le client forme
dans les interactions quotidiennes avec son fournisseur, voire même
l'ignorer complètement.

Des exigences subjectives et multiples

Mais ce peu d'intérêt, voire ce rejet par les interlocuteurs clients de


règles globales valant dans le secteur automobile n'est pas la seul
contrainte locale que rencontrent les équipementiers. Ils ont d'abord affaire
pour trois d'entre eux, à un produit dont la conformité ne se juge pas d
140 Peggy Louppe

tomique de la qualité du produit). Suivons l'explication d'un membre d'u


équipe projet : « Pour la conception de ces pièces, nous avons été obligés
fixer des produits par soudure. Mais chaque point se voit de l'autre côté
la pièce. Donc ce qui pour le développement était normal, acceptable da
la conception est ensuite refusé catégoriquement par le service qualité
usine. On parle de marques qui ne sont visibles qu'avec un éclaira
extrême, précis [...] La question, c'est : est-ce que ce jugement est si proc
de la réalité, de la réalité du client ? [...] Je veux dire : il y a une certa
technique, qui permet une certaine performance, et c 'est clair pour tous.
je veux appliquer une autre technique, pour optimiser cette surface,
coûte aussi de l 'argent. Nous sommes toujours en discussion entre le serv
qualité de l'usine de production et la conception, au siège. Nous devo
essayer de répondre aux exigences de tous. » Un responsable de product
confirme : « Chez tel client, il y avait un produit avec différents pet
défauts qui étaient acceptés par le développement, nous avions fait la p
sentation à l'équipe. Nous leur avions aussi indiqué [à l'équipe] les cara
téristiques des défauts. C'était signé par le développement. Et quand le p
duit est arrivé dans l'usine, nous avons constaté qu'il y avait d'autres c
tères de jugement. »

Bien sûr, la subjectivité des exigences renforce la multiplicité des jug


ments concernant le produit. Les équipementiers ont en effet en face d'eu
tout au long du développement mais aussi de la production en série, d
interlocuteurs chez leurs clients qui ont des fonctions et donc des préocc
pations, des critères différents. Il y a non seulement un client formel et
client concret, mais il y a aussi plusieurs clients concrets. Et la coordinat
interne chez les constructeurs concernés ne semble pas suffire à égaliser
niveau des exigences entre les différents clients concrets, entre les différe
sites de production ou fonctions.

Un membre d'une équipe projet résume bien les multiples aptitudes q


doivent acquérir les équipementiers s'ils veulent satisfaire leur client, ce
est, rappelons-le, le but premier de toute démarche d'assurance qualité
« Lorsque vous regardez en direction des achats et du développement c
..., l'histoire des documents ce n'est pas si important. Il s'agit plus
mettre vite en place, de réagir vite... C'est sûr, de temps en temps, il f
aussi documenter. Sinon ça ne fonctionne pas. S'il s'agit du service quali
là, c'est plus strict. Ils y attachent une grande importance ».

La pression sur les prix

Il faut contenter à la fois le client technique, qui veut toujours le mê


produit, et l'acheteur, qui veut des baisses de prix, explique un membre d

1. Les normes ISO 9000 sont présentées comme le moyen d'obtenir « la satisfaction du cl
Le management de la qualité dans l'industrie automobile 14

direction. Ce dernier point est lui aussi une donnée importante des contrain¬
tes, dans ce cas à la fois globales et locales : guerre des prix sur le marché
guerre des coûts et des prix entre constructeurs et fournisseurs.

Cette caractéristique des clients est souvent soulignée chez les équipe¬
mentiers. Le client fait pression, menace éventuellement « d'aller voi
ailleurs ». Son ingérence est relativement importante, puisqu'il va jusqu'

imposer des Nous


fournisseur. baisses
avons
de prix,
eu l'occasion
par l'intermédiaire
d'assister du
à une
fournisseur,
réunion entre
au sou
de

interlocuteurs clients, des personnes de l'entreprise du fournisseur et u


sous-fournisseur, où les questions des clients permettaient de décortiquer u
à un les éléments du prix du sous-fournisseur afin de les faire baisser. L
client présent allant jusqu'à piéger le sous-fournisseur en mesurant le temp
dont celui-ci eut besoin pour monter les différents composants. Cette pres¬
sion constitue elle aussi une contrainte qui ne s'accorde pas forcément trè
bien avec l'obligation d'une organisation structurée. Qui dit baisse des pri
dit aussi baisse des coûts chez le fournisseur et donc réduction des effectifs
réduction qui rend quelquefois difficile, semble-t-il, la prise en charge de
diverses démarches imposées et la gestion de la documentation qu'impli¬
quent ces démarches.

Nous avons donc jusqu'ici dessiné à grands traits la situation d'inter


action fortement contrainte à laquelle sont confrontés les équipementiers. L
client formel impose une régulation de contrôle dont il faut tenir compte
puisqu'il faut le satisfaire, au titre du principe du client roi. Ne dit-on pa
que la satisfaction du client est le premier objectif de l'entreprise. Mais, pa
ailleurs, le client concret, multiple, a tendance à se prévaloir de l'autorité d
client formel, porte-parole de ce dogme du client roi. Fort de ce principe e
de sa position de client à satisfaire, le client concret s'affranchit alors d
cette rationalité que le client formel impose. Celle-ci implique, en effet, de
servitudes mutuelles qui s'accommodent mal des contraintes de court term
de plus en plus prégnantes et du retour en force du critère prix. Face donc
ces contraintes globales qui leur imposent une certaine structure, et au
contraintes locales qui, allant souvent à l' encontre des premières, metten
davantage l'accent sur la réactivité, les équipementiers doivent mettre a
point une stratégie permettant de tirer le meilleur profit des règles du jeu
explicites et implicites mises en place.

QUELLES STRATÉGIES FACE À LA CONTRADICTION ?

Une première stratégie observée est la suivante : face à la régulation d


contrôle imposée par le client formel, le fournisseur s'en saisit pour la trans
former en ressource. S 'attachant au principe du client roi, il répond au clien
formel en fabriquant le juste nécessaire pour satisfaire les exigences de l
142 Peggy Louppe

autonome. Mettant cet élément en avant, il évite ainsi les contrôles rappr
chés (audits) des clients et applique un tout autre mode de fonctionneme
en interne. Les règles définies dans le système qualité restent très général
difficilement mobilisables dans une situation pratique. La marge de manœ
vre des destinataires des règles édictées par la direction qualité est large.

Le client concret, de même, s'impose comme un client à satisfaire.


qui est fait par le biais de relations personnelles poussées, d'arrangemen
locaux toujours préférés à la dureté des arrêts formels. La qualité en t
qu'état d'esprit, en opposition avec la qualité système, la qualité du serv
sont privilégiées, orientant les acteurs vers le résultat plutôt que vers
méthode, peu décrite. Ainsi, le fournisseur satisfait à la fois le client form
et le client concret, et défait la toile qu'ils tissent ensemble : il contourne
contradiction. C'est la régulation autonome des clients concrets qui devie
règle chez le fournisseur, la régulation de contrôle étant finalement peu p
sente dans la réalité de l'entreprise.

La deuxième stratégie, face à ce client « double », consiste pour le fo


nisseur à surmonter la contradiction. La régulation de contrôle que consti
la norme est reprise par un porte-parole chez le fournisseur. Elle est véri
blement une régulation de contrôle pour les acteurs de terrain, elle f
l'objet d'une certaine pression et devient alors l'objet d'ajustements no
breux dans l'entreprise. Elle est traduite dans les faits. Ces ajustements s
douloureux car le client concret est toujours là pour imposer d'autr
contraintes qui ne s'accordent guère avec les principes de la norme. C
entraîne donc de forts conflits et dysfonctionnements à l'intérieur même
l'entreprise du fournisseur. Les acteurs de terrain, confrontés au clie
concret, ont mis au point une régulation autonome du même type que ce
présente dans la première entreprise (ajustements locaux et relations perso
nelles). Mais le fournisseur (sa direction) persiste dans cette voie de ration
lisation, misant sur la règle ressource dans l'avenir, règle investissement
forme entre le client et son fournisseur, et qui, à terme, doit permettre
substituer la coordination industrielle à la coordination domestique. Po
caricaturer, le fournisseur se met dans la position d'éduquer son clie
concret, de ne pas céder à tous ses caprices, parce que ceux-ci sont pour
source de dysfonctionnements et donc d'inefficacité. Il veut en quelque so
imposer au client concret la rationalisation que le client formel ne réussit p
à obtenir directement, et faire de cette régulation une régulation conjointe

Voilà donc deux stratégies radicalement différentes, l'une misant sur u


coordination centrée sur les relations interpersonnelles et sur une régulat
autonome entre les différents interlocuteurs, l'autre sur une coordinat
plus globale et s' appuyant sur une régulation de contrôle reprise par
porte-parole, qui peut donc être la base d'une régulation conjointe. Anal
Le management de la qualité dans l'industrie automobile 143

L'ENTREPRISE El : RÉPONDRE À LA CONTRADICTION PAR LA


CONTRADICTION

Afin de répondre aux multiples exigences d'assurance qualité que lui


imposent ses différents clients, l'entreprise a pris le parti de construire un
système qualité très général. Les règles qui y sont définies restent très larges,
tout en répondant aux différents référentiels dont nous avons déjà parlé.
Grâce à ce système documentaire, elle se fait certifier ISO 9001 relativement
tôt par rapport à ses concurrents et prend le parti d'en tirer l'avantage de
l'image d'une entreprise performante, réactive et anticipant sur les deman¬
des de ses clients. C'est pour elle un « signal de confiance » (Baudry, 1994),
ici amplifié par un effet d'anticipation ou de « précurseur ». Cela correspond
à une stratégie générale de l'entreprise dans le domaine de la qualité : obte¬
nir tous les prix qualité et distinctions qualité des clients divers, qui sont en¬
suite soigneusement affichés dans les halls d'entrée des différents sites. La
direction de l'entreprise a mis en place un projet de qualité totale, autour
duquel il est fait beaucoup de publicité. Le personnel, fier de cette image,
persuade toute personne extérieure de la valeur de son entreprise.

Forte de cette bonne image donc, et finalement peu soumise au contrôle


rapproché des clients, qui ont presque abandonné les audits de système, l'en¬
treprise adopte alors la stratégie suivante : elle a répondu aux exigences glo¬
bales du client, au client formel ; elle veut également répondre aux exigen¬
ces locales, au client concret. Que ceci soit contradictoire importe peu. Il
tout
suffitrentrera
de déconnecter
dans l'ordre.
le système qualité de la réalité du travail quotidien, et

La qualité-idée, plutôt que la qualité-système

En mettant en place un projet de qualité totale, la direction a aussi intro¬


duit une sorte de partition concernant le management qualité dans l'entre¬
prise, suivant deux registres. Il y a la qualité-système, celle du manuel, celle
des documents, et il y a celle qui est « état d'esprit ». Dans le manuel qualité
lui-même, on trouve cette affirmation d'une autre qualité : ce n'est « ni un
domaine, ni un service, ni une fonction, mais une idée » et « une tradition ».
Et dans le cadre de cet état d'esprit, « l'objectif le plus important est la satis¬
faction du client ». Mais l'entreprise a choisi son camp. Elle n'est plus sou¬
mise à un contrôle rapproché des clients (audit système), et les audits effec¬
tués par les tierces parties, du fait de la bonne image de l'entreprise, sont
plutôt bienveillants. Certes, elle satisfait aux exigences globales et même en
tire parti pour renforcer sa bonne image à l'extérieur, comme elle le fait
d'ailleurs pour le projet de qualité totale. Elle a un manuel qualité, des pro¬
cédures, très générales. Mais elle refuse de se laisser enfermer dans le sys¬
tème au quotidien. Elle a, face à une régulation de contrôle qui n'en est plus
144 Peggy Louppe

client. Parce que le système c'est le papier, et que le papier « c'est admini
tratif»,
leure méthode
c'est «est
du la
formalisme
collaboration
» « ».
inutile dans de petites usines où la me

Le papier ne suffit pas face aux machines, face aux hommes et à le


expérience, face à une « philosophie ». Le papier ne permet pas de maîtri
la machine. Et il ne remplace pas l'homme. Alors les AMDEC, par exemp
sont citées par certains comme importantes mais théoriques et ne remplaça
pas la pratique. Et dans certaines usines, on utilise l'argument de la stabil
du personnel, de son savoir-faire et de son expérience pour n'entretenir a
cun document aux postes de travail (fiches d'instructions, de contrôle, et
Le manuel qualité et les procédures, envoyés aux usines par le siège, rest
dans les placards.

La qualité-idée : la conscience du produit et du client

Dans ce contexte, la qualité-idée, c'est la qualité du produit et la perce


tion de son importance par les opérateurs. Ainsi, la compétence du perso
nel, notamment des opérateurs, est sans cesse mise en valeur, citée lors d
audits, lors des conversations avec les personnes extérieures. En outre, ceu
ci manifestent une certaine fierté quant à leur faculté de jugement de la qu
lité du produit et à la responsabilité de rebuter les pièces non conformes.

Ici, c'est la qualité du produit qui compte, le résultat, et non, par exem
ple, les moyens documentaires qu'on met en œuvre pour produire de la qu
lité. C'est en ce sens que l'on privilégie le local, le concret. De même,
relations locales avec le client sont particulièrement importantes et mises
valeur dans l'entreprise, à tous les niveaux et pour un grand nombre
fonctions. « Les relations personnelles avec le client sont devenues enco
plus déterminantes . [...] Les personnalités, les relations... Cela joue
grand rôle chez nous » (chef de projet) ; « la direction nous le dit toujou
et le directoire au siège aussi : nous devons prendre soin des relations av
le client » (service qualité) ; « il faut être présent chez le client, il faut
persuader que nous livrons de la bonne qualité » (agent logistique) ; «
clients demandent le contact. S'il y a un problème et qu 'on n 'a pas entrete
le contact, alors c'est difficile » (chef d'équipe) ; « il faut entretenir u
bonne collaboration avec le client. Comme ça on connaît mieux
défauts » (opérateur) ; « le contact direct avec le client, c 'est mieux, com
ça l'information n'est pas déformée » (régleur). Certains rapportent que
priorité donnée aux clients a même pour conséquence de faire se vider
réunions, du fait de leurs appels téléphoniques. Enfin, il est à noter qu'
indicateur du nombre de visites spontanées au client a été mis en place par
direction, dans le même esprit.
Le management de la qualité dans l'industrie automobile 145

usine l'exaerbe encore en expliquant : « Ils nous disent : nous allons mettre
ça en place, et alors il faut qu 'on adopte telle chose, telle autre. Je pense
qu'on est une usine qui livre à tel client, et nous devons le satisfaire. Et ce
que demande tel autre client dans une autre usine, ce n 'est pas important
pour nous. Je dois satisfaire le client ici. Et quand on met en place des
structures valables pour toutes les unités, on fait beaucoup plus que ce
qu'on devrait faire localement. Ou alors le client a des souhaits localement,
et on n 'y répond pas par ces structures. »

On peut résumer ainsi la première stratégie : l'entreprise, ayant estimé


qu'elle avait peu d'intérêt à s'engager véritablement dans la démarche impo¬
sée officiellement par les constructeurs, joue le jeu en sauvant les apparen¬
ces, et même plus, puisqu'elle profite sans doute de cette déconnexion entre
système et réalité pour aller plus vite, et donc gagner dans ce domaine
l'image d'une entreprise réactive. Mais elle se dispense d'aller jusqu'au bout
de la démarche en interne, préférant d'autres modes de coordination, et évite
toute remise en cause extérieure en déplaçant l'évaluation sur les résultats.
Elle se place sur un mode de coordination domestique (Boltanski, Thévenot,
1987) avec ses clients concrets, et sur un mode de coordination par le mar¬
ché avec ses clients formels. Cette prise de position, facilitée en partie par
un contexte produit-process différent des autres entreprises, est cependant
pour beaucoup le fait d'une orientation de la direction, qui, pour résumer,
abhorre le papier.

ENTREPRISE E2 : SURMONTER LA CONTRADICTION

Répondant aux exigences de ses clients, l'entreprise a elle aussi, bien


sûr, construit un système qualité. Plus tardivement, il est vrai, que l'entre¬
prise El . Il semble que le projet de certification, depuis longtemps prévu par
la direction qualité, n'ait reçu que sur le tard le soutien de la direction géné¬
rale de l'entreprise. Le système est certes présenté comme un atout dans un
marché concurrentiel, mais c'est avant tout parce que « l'application consé¬
quente de méthodes de travail et de planification évitant les erreurs est la
clef de la maîtrise des process, de l'amélioration continue de la qualité et de
la baisse continue des coûts » (manuel qualité). Ainsi, on veut clairement
faire le lien, au niveau de la direction qualité, entre les exigences globales
des clients formels et l'application locale, interne de ces exigences. Le sys¬
tème qualité est un outil de gestion, détaillé, précis, complété lorsque les
règles qu'il contient sont contournées.

Une relative légitimité de ces règles en interne

Même si la pression concernant ces règles vient essentiellement de la


direction qualité, et très peu du client, cela a été vu, on observe un certain
146 Peggy Louppe

qui se fait en quelque sorte porte-parole du client formel. Ainsi, un des o


jectifs d'une usine réside dans « des processus organisationnels sûrs
optimaux ». Par ailleurs, dans les documents distribués aux opérateurs,
peut lire : « des process fiables sont la base d'une qualité durable. Leu
fondements sont l 'ordre, la propreté et la discipline quant au respect de n
propres règles ». Un directeur d'usine reprend le même discours : « il fa
considérer la régulation [le système qualité] comme une aide. C'est du t
vail, lorsqu'il faut définir des structures dans une usine. Mais les process
organisationnels, c 'est le plus important. »

La volonté de définir des règles et de s'y tenir est souvent liée à la per
pective de réduire les coûts. « La certification, ce n'est pas seulement
argument de vente. Ça aide aussi à éviter les erreurs dans l'entreprise
donc à assurer sa position concurrentielle. Quand on supprime des défau
on peut diminuer les coûts en conséquence » (service achats).

Il y a donc une certaine volonté de décliner le système défini pour


clients dans le fonctionnement interne de l'entreprise, notamment pour d
raisons de réduction des coûts et de meilleure maîtrise des processus, au
bien techniques qu' organisationnels. Cela se traduit par exemple par la pr
sence de documents au poste, remplis, et par une connaissance relative d
procédures (inexistante dans l'entreprise précédente en usine). Mais
contraintes locales imposées par les interlocuteurs clients concrets, et
régulation autonome que ces interactions induisent sont toujours là, et el
ont souvent la priorité.

Relations personnelles et prix serrés

La direction qualité se plaint souvent du manque de réactivité des pe


sonnes à qui elle impose des règles, celles-ci s 'exécutant beaucoup plus v
lorsqu'il s'agit d'une demande d'un client. Satisfaction du client oblige !
plus, comme pour l'entreprise El, on soigne aussi les relations personnel
avec le client. Dans certaines usines clientes, des fournisseurs sont présen
tous les jours : « si c'est négocié à l'amiable, pas de réclamation officiel
pas de ppm}. Le client est beaucoup plus calme si quelqu'un y va. Et com
ça, les réclamations ne deviennent pas toujours officielles... Le client ne
compte pas dans ses ppm. Heureusement, d'ailleurs, parce que sinon il n
aurait aucun fournisseur qui respecterait les accords ppm. Ils seraient to
mauvais ! De toute façon, 80% des problèmes se résolvent parce que
gens se connaissent. . . Et puis le client donne des informations sur ce qui
va pas, c'est plus facile de le voir directement sur la pièce ».

De plus, les acteurs soulignent que le système ne fait pas tout, revend
quant leur compétence relationnelle et technique pour la plupart, et son i
Le management de la qualité dans l'industrie automobile 147

portance dans le jeu actuel avec les clients (et avec les fournisseurs) : « la
personnalité des interlocuteurs, ça compte beaucoup. Il faut avoir des exi¬
gences mais savoir laisser un peu d'air. Pour le service achats, il faut avoir
le sens du contact. Et les documents, c ' est bien joli, mais ça ne suffit pas »
(service achats). « Nous avons tous les mêmes systèmes, tous les mêmes ma¬
chines. Le facteur de succès déterminant, c'est le facteur homme. Les quali¬
fications. J'ai des personnes qui ont des faiblesses sur le plan administratif
[les documents liés au système], mais d'un autre côté, elles font un très très
bon travail. Une très bonne relation au client. [...] Sans certification, c'est
sûr, vous ne tenez pas longtemps la pression. Mais du fait que les organisa¬
tions sont les mêmes, le critère déterminant, ce sont les hommes »
(responsable commercial). On peut facilement rapprocher ce type de remar¬
ques de celle-ci, plus générale aux outils de gestion : « combien de fois n 'en¬
tend-on pas tel ou tel responsable se méfier des calculs et des modèles [tout
comme des procédures !], et exprimer le sentiment que la gestion est avant
tout affaire d'intuition ou de qualité des relations humaines » (Moisdon,
1997, p. 11).

Par ailleurs, et nous y avons déjà fait allusion, les documents peuvent
parfois trahir dans des relations de négociation avec les clients. Un commer¬
cial nous explique : « il y a des choses où... Nous essayons toujours d'at¬
teindre ce qui est valable sur le marché et non pas forcément ce qui corres¬
pond à nos coûts. C'est donc difficile d'utiliser [pour les montrer] des don¬
nées telles quelles. Dans certains documents du système, par exemple ».

Ainsi, le respect des règles n'est pas toujours compatible avec des rela¬
tions, d'une part, presque personnelles, et d'autre part, conditionnées par une
négociation incessante sur les prix. La direction qualité a choisi une straté¬
gie, les acteurs de terrain l'acceptent pour partie mais rencontrent des diffi¬
cultés. De plus, du fait du peu d'appui des clients concrets, le porte-parole
que veut représenter la direction qualité a peu de légitimité.

La tenaille « global-local », source de conflit

En effet, tout se passe comme si les acteurs de terrain étaient pris en


tenaille entre le respect du système et les volontés locales du client à satis¬
faire. Et, même si on observe une certaine volonté de respecter le système, il
faut souligner que la pression pour ce respect vient avant tout de la direction
qualité, notamment au travers des audits internes, relativement sévères. Elle
voit d'autre part son rôle comme celui d'un législateur, le processus de
création des règles rendant difficile l'appropriation par les acteurs. De ce
fait, les tensions se concentrent à son égard, et provoquent quelquefois le
rejet pur et simple des règles : « définir, c 'est une chose. Appliquer, c 'en est
une autre » ; « le problème, c'est qu'il y a beaucoup trop de papiers. Et le
tout beaucoup trop loin de la pratique. [...] Et puis, celui qui écrit la procé¬
148 Peggy Louppe

avec ça, il doit trouver le personnel. [...] Entre la théorie et la pratique,


a un monde. [...] La documentation n'est pas inutile, mais elle est trop la
et ne fait pas l'objet de discussions ». Ces tensions se répercutent d'aille
entre services. La question est alors de savoir pourquoi choisir cette stra
gie, dans une situation vis-à-vis des clients très semblable à celle de l'ent
prise El, lorsque cela provoque des conflits forts au sein de l'entrepr
Certaines personnes nous donnent une piste de réponse.

Les règles comme ressource face au client

La direction qualité, en effet, défend fermement l'idée que le systè


qualité, fondé sur le référentiel, est un outil de résistance face au client, p
mettant de juguler quelque peu ses exigences, et donc d'y mettre un
d'ordre et de cohérence, a priori producteurs de rationalité et d'efficaci
« le client ne peut pas jouer au yoyo avec nous. Le référentiel, ça sert à
Et quand on l'écrit dans notre manuel qualité, on peut dire au client : n
avons telles règles. Point ». A un responsable qualité qui se demande co
ment mettre les clients au pas pour certains problèmes : « vous leur mont
le petit livre [référentiel] et vous leur dites qu 'ils exigent ça de nous, d
on le fait ». Ce type de raisonnement n'est pas isolé : « au début, j'av
l 'impression qu 'on ne mettait pas assez en avant notre système qualité. B
que nous ayons décrit notre manuel qualité, nous n 'avons pas encore tro
de système pour le mettre en avant au client et dire : c 'est notre entrepr
Nous vérifions ça comme ça, nous l 'avons mis en place de façon génér
dans toutes les usines et nous nous y tenons. Le client vient et dit : Je v
drais un autre formulaire, on se laisse persuader, et on s 'adapte à n
veau » (responsable de production).

En utilisant ces arguments, ces personnes tiennent le raisonnement s


vant. L'entreprise a mis au point un système qui, selon elle (et surtout se
la direction qualité, le reste de l'entreprise étant partagé), est rationne
donc efficace. Ses clients ne s'y tiennent pas. Mais si, par la persuasion
en s' appuyant sur des relations locales fortes, on parvient à les amener
respect de ces règles, alors d'une part, chacun y gagnera par des proces
plus efficaces, et d'autre part, le fournisseur se sera placé de façon décis
dans un marché actuellement plus concurrentiel que partenariat. C'est a
que ces règles deviendront la véritable base d'un partenariat, actif spécifi
pour le fournisseur concerné et représenteront un avantage concurren
indéniable. La régulation de contrôle aura donné lieu à une régulat
conjointe, et les importants conflits actuels dans l'entreprise seront lar
ment atténués. Les clients concrets seront plus proches du client form
Cela constituerait donc la stratégie de l'entreprise E2.

DES STRATÉGIES PÉRENNES ?


Le management de la qualité dans l'industrie automobile 149

temps au sein de l'ensemble des entreprises étudiées. Quoi qu'il en soit, ces
deux stratégies ne vont pas sans poser problème. Pour l'entreprise El, deux
questions se posent : quel serait son avenir si un événement quelconque
venait ébranler la confiance aveugle du client ? Quels seraient ses recours si
la pression qui s'exerce par ailleurs sur son personnel (de façon quantitative
et qualitative) poussait celui-ci à quitter le navire, emmenant avec lui une
grande partie du savoir-faire de l'entreprise, placé dans les hommes et non
dans les procédures ?

Pour la deuxième entreprise, les conflits occasionnés par la confronta¬


tion entre les contraintes du client formel et celles du client concret consti¬
tuent sans aucun doute un élément de fragilité, et le durcissement de la posi¬
tion de certains acteurs pourrait constituer un obstacle significatif à la flexi¬
bilité nécessaire aujourd'hui face à ces mêmes clients concrets. « La qualité
d'un fournisseur au niveau central ne correspond pas à sa qualité réelle
puisqu'elle dépend non pas de son niveau de fiabilité organisationnelle, par
rapport aux engagements formellement contractualisés, mais de la qualité
de la coopération des acteurs locaux, c'est-à-dire d'un niveau de fiabilité
individualisée au regard d'engagements formels et moralement contractua¬
lisés » (Neuville, 1998, p. 100). En outre, l'emprisonnement dans les règles
pourrait également engendrer une insatisfaction du personnel préjudiciable à
clients.
l'image de marque de l'entreprise, y compris à nouveau vis-à-vis de ses

Après la description de ces deux stratégies, nous pouvons effectuer les


observations suivantes. Pour l'entreprise El, la norme, utilisée comme outil
de marketing, est la base d'une logique concurrentielle. On serait bien alors
dans le cadre du partenariat ouvert décrit par D. Segrestin. Mais le paradoxe
est bien là : la fonction du certificat comme assurance pour le client n'est
plus du tout assurée, puisque, même si les objectifs sont tenus, même si les
résultats sont là (essentiellement en termes d'indicateurs de niveau de qua¬
lité livré), l'obligation de moyens que constitue la norme, une fois l'entre¬
prise certifiée, ne correspond plus à rien, le certificat étant déconnecté de la
réalité. Pour l'entreprise E2, l'assurance ne vient pas du client mais de la
volonté du management, qui se trouve par ailleurs confronté à la contra¬
diction toujours présente sur le terrain.

Les normes ISO 9000 et les référentiels correspondants jouent donc peu
leur rôle de dispositif assurantiel et sont davantage pour les fournisseurs
l'occasion d'acquérir une nouvelle autonomie vis-à-vis de leurs clients,
autonomie mise à profit pour jouer leur propre jeu, ou, dans le deuxième cas,
affirmée avant tout dans un but de normalisation des relations avec le client,
150 Peggy Louppe

dination domestique poussée, qui seule permet de retrouver une situation


partenariat, cependant a priori fragile.

Quel est alors, dans ce cadre, l'avenir de ce mouvement de rational


tion que constitue l'assurance de la qualité ? Sans le rôle de fiabilisation
chaînes productives dans une coordination de marché, dans une relative
régulation des relations clients-fournisseurs, rôle qu'on lui assigne,
devient l'assurance de la qualité ? On peut supposer, à la lumière de cer
nescombiner1.
se observations, que les deux stratégies décrites pourraient avoir tendan

Nous avons pu observer dans certaines situations l'apprentissage qu


fectue l'entreprise face à cette situation duale que lui imposent client for
et clients concrets. Elle apprend à croiser coordination globale et coordi
tion locale, à concilier régulation de contrôle et rationalisation, d'une p
autonomie et ajustements locaux, d'autre part, en développant des ou
fondés à la fois sur une logique domestique et une logique industrielle.
exemple simple est constitué par l'instauration de visites systématiques c
les clients, pour mettre en place des plans d'actions, qui s'intègrent dire
ment dans une démarche de rationalisation, que ce soit en interne ou dan
cadre des relations avec les clients. Ceci bien sûr est conditionné par l'
toire de l'entreprise et les « contraintes des sentiers » (Dosi et al, 19
qu'elle a empruntés au cours du temps.

L'assurance qualité, introduite pour laisser davantage de place au m


ché dans les relations entre clients et fournisseurs, trouverait alors son s
dans la participation à la régulation de ces relations, et non dans la dérég
tion voulue initialement. Reste à savoir si ces exemples d'apprentissage
l'entreprise d'une régulation conjointe se feront de plus en plus nombreu
Le management de la qualité dans l'industrie automobile 151

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152 sciences DE la société n° 46 - Février 1999

Peggy LOUPPE, Le management de la qualité dans l'industrie automobile. Fig


de la coordination clients-fournisseurs

Les équipementiers sont depuis quelques années confrontés à une contrainte


jours plus présente : la mise en place de systèmes d'assurance qualité exigé
leurs clients. Y répondre est d'autant plus difficile que, dans la pratique, le c
qu'il faut satisfaire se démultiplie, émettant des exigences parfois contradicto
Les équipementiers ont alors tendance à adopter deux types différents de strat
pour la mise en place de ce système. Cet article se propose de les décrire et de
quelques
les relations
conclusions
clients-fournisseurs.
sur le rôle que tient et que peut tenir l'assurance qualité

Mots clés : relations clients-fournisseurs, assurance qualité, apprentissage orga


tionnel, régulation, coordination.

Peggy LOUPPE, Quality management in the automobile industry : figures of


tomer-supplier coordination

The suppliers in the automobile industry have been confronted in the last few
by constraints more and more present : the implementation of quality assur
systems demanded by their customers. To fulfill this requirement is even more
cult in that, practically, the customer they have to satisfy is multiple, emitting s
times contradictory requirements. In this situation, the suppliers tend to adopt
different types of strategy concerning the implementation of this system. This a
intends to describe them and to draw a few conclusions about the role quality
rance has and can have in the relationships between customers and suppliers.
Key words : relationships between customers and suppliers, quality assurance,
nizational learning, regulation, coordination.

Peggy LOUPPE, La gestion de la calidad en la industria de la automociôn : fig


de la coordinaciôn clientes-proveedores

Los proveedores de la industria de la automociôn han sido confrontados en los


mos anos a una obligaciôn cada vez mas présente : la implementaciôn de sist
de garantfa de calidad, exigida por sus clientes. Cumplir esta obligaciôn es aun
diffcil porque, en la prâctica, el cliente, que hay que satisfacer, es multiple,
exigencias son a veces contradictorias. Entonces, los proveedores tienden a ad
dos tipos diferentes de estrategia para la implantaciôn de dicho sistema. Este
culo se propone describirlos y sacar algunas conclusiones sobre el papel que de
pena y que puede tener la garantfa de la calidad en las relaciones clientes-pro
dores.

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