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Grands comptes : une prise de décision plus complexe
Si les écarts de performance de KAM entre les meilleurs et les autres se sont accrus, le
facteur principal est à chercher chez les clients eux-mêmes.
La manière dont les grands choix de fournisseurs sont réalisés a en effet largement
évolué. Ces décisions sont désormais prises de manière plus collégiale. Différents
prescripteurs s’expriment ou sont sollicités dans la définition du besoin, dans l’identité
des fournisseurs à consulter et dans la comparaison des offres elles-mêmes.
C’est évidemment le cas des directions Achat depuis longtemps, mais désormais aussi
des CFO, des CTO, des responsables « ESG » ou tout simplement des divers membres
du Comité Exécutif, qui n’hésitent pas à suggérer des alternatives aux fournisseurs ou
aux solutions en place.
Finie l’époque où un fournisseur majeur était choisi par un responsable de BU ou par le
siège de façon souveraine et sans explication.
Par ailleurs, le temps total du processus, depuis la définition du besoin jusqu’à l’émission
de la commande, est plus long, les critères de sélection sont plus nombreux dans
beaucoup de secteurs (par exemple : nouvelles exigences et normes liées à la sécurité
informatique, à la protection des données, aux engagements ESG, etc… ), et le
processus de négociation plus complexe.
La fonction KAM est stratégique, elle assure l’interface principale entre l’entreprise et
les principaux acteurs de son marché. Pourtant, beaucoup d’entreprises se contentent
d’une performance KAM correcte, alors que les enjeux sont considérables.
De manière schématique, le temps du KAM se répartit en général entre 3 objectifs :
10%-20%
Acquérir un ou plusieurs
nouveaux comptes clé
50%-60%
Développer le chiffre d’affaires
réalisé avec les comptes clés
30%-40% acquis, déployer les accords
cadre au sein du compte clé
Maintenir / renouveler le flux
d’affaires existant au sein de
ses comptes clé, veiller à la
satisfaction du client, et à la
résolution des problèmes
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Le benchmark inter-sectoriel : un outil précieux
Il est fréquent que les pratiques de KAM soient assez proches entre les divers
concurrents du même secteur. C’est assez logique : pour réduire leur time-to-value et
bénéficier de réseaux de contacts existants, les directions commerciales choisissent
souvent d’embaucher un responsable de comptes clé auprès d’un concurrent.
La conséquence de ce tropisme est que les KAM d’un même secteur ont des parcours
proches, et reproduisent d’une entreprise à l’autre les mêmes méthodes. Ainsi, des
secteurs d’activité entiers appliquent souvent des fonctionnements identiques et
obtiennent des performances comparables bonnes ou mauvaises.
Pour passer un cap de performance KAM, les meilleurs ont souvent choisi de se nourrir
de comparaisons avec d’autres industries ou services.
Certes, ils n’ont pas les mêmes clients ni exactement les mêmes facteurs de complexité,
mais pour autant (à condition de bien choisir la comparaison) ces benchmarks inter-
sectoriels fournissent des repères précieux.
Les interactions entre le KAM et son client (ou ses clients) d’un côté, et entre le KAM et
sa propre organisation de l’autre, sont en général définies par :
• La complexité des organisations respectives, leur géographie
• La diversité des offres à faire au client
• Les enjeux
• La durée du cycle commercial et la complexité des processus du client
• L’intensité concurrentielle
• L’existence ou non d’une équipe avant-vente pour réaliser la réponse aux appels
d’offres ou la proposition technique
Modèles d'organisation
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Il n’existe pas de modèle « meilleure pratique » ; chaque modèle présente des avantages
et inconvénients évidents. On peut néanmoins signaler que le multi-contact (un
décideur chez le client a plusieurs interlocuteurs, pas uniquement le KAM) est souvent
plus performant commercialement mais plus exigeant en matière d’exécution.
Les écarts entre les meilleurs et leurs concurrents ont tendance à s’accroître. En outre,
les écarts entre secteurs d’activité persistent.
A titre d’illustration, nous indiquons ici des évaluations de performance au sein de
différentes activités.
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Pour étayer ce constat, nous avons arbitrairement choisi trois points où les écarts entre
les pratiques de secteurs très performants et les autres sont souvent importants.
Ces faiblesses traduisent une organisation KAM trop majoritairement concentrée vers la
réalisation des objectifs commerciaux de la période et insuffisamment sur
l’établissement d’une position de long terme plus solide au sein du client. Assurer la
satisfaction du client, identifier et saisir les possibilités de développement sont des
objectifs essentiels, bien sûr, mais ils ne mettent pas à l’abri qu’un concurrent parvienne
à prendre la place.
Ceci est encore plus vrai lorsque la relation commerciale est ancienne. La durée de la
relation commerciale est un avantage en trompe l’œil ; dans de nombreux cas, elle pose
en fait trois types de problèmes :
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Trois types de problèmes liés à une relation
commerciale prolongée
1. 2. 3.
Des fissures se créent dans En interne, le KAM et les La durée de la relation
la relation commerciale. différents commerciaux commerciale peut faire naître
Les incidents même traités et peuvent pêcher par excès de des appétits de changement
compensés ne sont jamais confiance et se satisfaire de sans autre motif que celui de
totalement oubliés. bonnes relations modifier les habitudes ; les
Les « alliés » traditionnels chez interpersonnelles avec les concurrents ont l’avantage
le client sont parfois décideurs clé, sans penser à superficiel de la nouveauté
remplacés par de nouvelles faire preuve d’innovation ni à tandis que, dans l’entreprise,
têtes venues d’ailleurs, qui trouver des moyens de rester les soutiens du fournisseur
peuvent promouvoir des dans une posture de conquête. historique peuvent être
concurrents qu’ils apprécient. accusés de conservatisme,
défaut d’innovation, voire pire.
« Nous n’avons pas compris pourquoi notre client nous a remplacés après presque dix
années de relation commerciale solide, d’excellentes relations interpersonnelles et quasi-
ment aucun incident qualité. »
Pour pallier ce type de risque, l’expérience montre qu’il est utile de remettre en question
les aspects les plus concrets du métier : description de poste, pratique de management,
utilisation des outils, rôles du marketing, etc…
Pour l’illustrer, voici l’exemple d’une société qui commercialise des équipements
technologiques auprès de différents secteurs d’activité (clients nationaux ou
internationaux). Parmi les axes de travail qui ont permis de dégager des résultats
visibles, la modification de l’activité des KAM et été essentielle. Elle s’est traduite par
une révision de leur description de poste, des dashboards, des objectifs qualitatifs et
quantitatifs, et in fine de leur emploi du temps.
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Emploi du temps [%]
Activité Avant
RAO1), propositions, recueil de besoins 25
Interactions avec décideurs (acquisition, développement) et utilisateurs 20
Coordination interne, réunions >10
Résolution des problèmes qualitatifs, suivi qualité >10
Déplacements >10
Administratif, suivi des contrats en cours <10
Remplissage et exploitation du CRM >5
Réunions, activités internes <5
Autres <5
Interactions avec prescripteurs potentiels hors utilisateurs 0
Veille d’information marché 0
Les postes ont été réduits Les postes ont été augmentés
Deux activités prenaient trop de temps aux KAM et ont pu être réduites sans perte
qualitative ; en contrepartie :
• Le temps passé à exploiter l’outil CRM a été accru ; la qualité des informations saisies
et leur pertinence a considérablement amélioré la qualité de la « veille » et a ainsi
permis de devancer plusieurs besoins des clients
• Deux rôles nouveaux ont été formalisés et assortis d’objectifs : la veille
d’informations marché et les interactions avec les prescripteurs hors de la grille
relationnelle (soit +25% en moyenne d’interlocuteurs à couvrir)
Ces actions ont eu d’une part des effets directement mesurables, et d’autre part des
effets moins mesurables mais néanmoins tout à fait tangibles.
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parfois plus tentant de passer beaucoup (voire trop) de temps à finir une proposition
qu’à s’entretenir avec un interlocuteur peu familier qui n’a pas de pouvoir de décision
direct. L’impératif d’activité peut vite sembler moins impérieux, d’autant que le lien entre
le niveau d’activité du KAM et le chiffre d’affaires est moins direct.
Pour autant, les meilleurs Directions Commerciales n’ont pas renoncé à définir des
niveaux d’activité (appelés aussi des « quotas ») pour aider les KAM à résister aux
tentations d’allouer trop de temps aux priorités immédiates aux dépens du
développement de long terme.
4 impératifs pour définir des niveaux d’activité par client et par KAM :
• P
ondérer les activités selon le temps requis (ex : conversation téléphonique utile,
envoi d’information significative, déjeuner, proposition, entretien de suivi, …)
• Définir clairement ce qui est attendu de chaque type d’activité (ex : qu’est-ce qui
définit une « conversation téléphonique utile » ?)
• Permettre de réviser les quotas en cours d’année selon l’évolution des enjeux ou des
priorités
• Documenter dans le CRM le contenu des activités pour un suivi par le manager
Une pondération schématique des différentes catégories d’actions permet de définir les
ressources totales du KAM. En fonction de chaque plan de compte et de la grille
relationnelle, on peut ainsi définir un quota d’activité par compte et donc par KAM, sans
complexité excessive et en bonne adéquation avec les enjeux du compte :
Catégories d'actions
Stratégie d'entreprise /
axes de développement
Client A
Grille relationnelle
Plan de compte
du compte
Plan d'action
par type de contact
Quota d'activité
sur le compte
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Ainsi, le niveau d’activité n’est pas directement une fonction du CA réalisé sur le compte,
mais bien de la déclinaison de la stratégie dans le plan de compte.
La mise en place de niveaux d’activité n’est pas simple ; dans certaines entreprises, le
sujet reste un tabou, supposément incompatible avec le travail de KAM. Les objections
sont nombreuses. Le plan de transformation doit donc être bien anticipé et exécuté avec
doigté. Mais les enjeux sont importants. Outre ses effets directs et mesurables, la mise
sous tension de l’emploi du temps du KAM a de multiples effets vertueux dans
l’organisation du travail, la hiérarchisation et la culture commerciale.
Maintenir les portefeuilles de KAM pendant une période prolongée est une tentation
compréhensible, qui nuit néanmoins à la performance.
« Impossible de remplacer le KAM, il a mis des années à faire son trou et maintenant il
connaît trop bien le compte. »
Cette crainte fréquente résume les causes qui expliquent que les KAM conservent
souvent les mêmes clients pendant 4 années ou plus. Or, les effets indésirables sont
nombreux, que ce soit en termes de dynamique commerciale, de négligence côté KAM,
d’usure ou de lassitude côté client. L’anecdote ci-dessous l'illustre bien.
« Nous avons dû au pied levé remplacer [le KAM] qui a du prendre sa retraite anticipée
suite à un problème familial. Avec beaucoup d’hésitations, nous avons choisi de confier
son portefeuille à une KAM nettement moins expérimentée. Nous avions des craintes
fortes quant au maintien du chiffre d’affaires car beaucoup de clients étaient visés par
nos concurrents depuis longtemps. Finalement, nous avons eu l’heureuse surprise de
constater que non seulement la nouvelle KAM conservait le chiffre d’affaires, mais
qu’elle avait trouvé des pistes de croissance que son prédécesseur n’avait pas identifiées.
En fait, c’était tout simple : [la KAM] posait beaucoup de questions et faisait des
« découvertes » de comptes approfondies ; ainsi, elle a été amenée à rencontrer des
interlocuteurs que [son prédécesseur] ne voyait pas, et à comprendre en quelques mois
davantage sur ses clients. »
Le corollaire de cette erreur est de chercher des profils imparfaitement adaptés aux
réalités du poste. Longtemps, le portrait robot du KAM valorisait avant tout de bonnes
qualités relationnelles et une bonne expérience du marché.
Les changements de processus de décision ont induit un ajustement dans les profils
idéaux, comme on le voit dans les structures qui ont fortement progressé. Le nouveau
profil idéal du KAM est plus équilibré, et traduit la nécessité d’un profil davantage en
recherche permanente d’information.
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Compétences
Niveau Niveau
standard idéal
1 Expérience du marché
2 Qualités relationnelles
4 Talent de négociateur
Et l’Account-Based Marketing ?
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Conclusion
Que ce soit en matière de profils des titulaires, d’objectifs, d’emploi du
temps, de compétences à maîtriser ou de méthodes, la fonction KAM est
appelée à évoluer très significativement.
DOMINIQUE GAUTIER
Partner
Montreal Office +1 514 875 2000 212
dominique.gautier@rolandberger.com
Cette publication a été préparée à titre indicatif seulement. Le lecteur ne doit prendre de décision au regard
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