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Science Politique

Licence 1 Economie, Semestre 1, 2021 – 22

Éric SAVARESE, Professeur de science politique


Introduction générale
Ce cours est destiné à présenter une discipline, la science politique. Ici il
s’agit d’un cours d’initiation, non d’un enseignement de spécialisation.
1/ L’association entre « science » et « politique »
Associer « science » et « politique » ne va pas de soi : l’objectif est de
rechercher une approche scientifique des enjeux/problèmes « politiques ».
Par exemple en expliquant le vote par la CSP, la religion, l’âge ; où encore en
étudiant le « métier d’élu » en l’observant sur le terrain pour comprendre
les savoirs faire investis, les relations avec les citoyens, les terres d’élection …
La science politique se pratique, comme les autres sciences (sociales), à
partir de « données » ou matériaux empiriques, et d’outils théoriques
(modèles d’analyses, concepts, énoncés théoriques) :
• les matériaux d’enquête peuvent être collectés dans des archives (apport
des historiens), par entretiens et questionnaires (apport des sociologues),
par observation participante (apport des anthropologues) ;
• les outils théoriques (vote de classe, légitimité, modèle du « traumatisme
historique ») sont forgés à partir de l’analyse de ces matériaux.
2/ La science politique parmi les autres sciences sociales
Selon le découpage traditionnel (Immanuel WALLERSTEIN), on trouve :
• L’économie pour l’analyse du marché, qui existe depuis le XVIII e ;
• La sociologie pour l’analyse du social, qui existe fin XIX e ;
• La science politique pour étudier, fin XIX e, essentiellement l’État, le
pouvoir, les régimes politiques (surtout occidentaux) ;
• L’histoire pour étudier l’activité des hommes saisie au passé (Marc BLOCH) ;
• L’anthropologie pour étudier les sociétés primitives (sans État, sans
écriture), et l’orientalisme pour étudier les anciennes civilisations (Egypte).
1/ Toutes ces discipline sont récentes, et n’existent pas dans les universités
médiévales, où l’on trouve 4 facultés (Médecine, Droit, Théologie,
Philosophie). Dès lors, il faut placer les nouvelles disciplines, notamment les
sciences (maths, physique) et les sciences sociales (science politique,
sociologie, histoire …) dans les nouvelles universités où l’on trouve aussi 4
facultés, dont deux nouvelles : Médecine, Droit, Sciences, Humanités.
La science politique dans la nouvelle organisation des universités

LES 4 FACULTÉS DES LES 4 FACULTÉS DES POSITION DES NOUVELLES


UNIVERSITES MEDIÉVALES UNIVERSITÉS POST RENAISSANCE DISCIPLINES DANS LES NOUVELLES
ET SIÈCLE DES LUMIÈRES FACULTÉS
MEDECINE MEDECINE MÉDECINE
DROIT, SCIENCE POLITIQUE ET
DROIT DROIT ÉCONOMIE (OU AUTONOME AVEC
LA GESTION)
MATHÉMATIQUES, PHYSIQUE,
THEOLOGIE SCIENCES SCIENCES DE LA NATURE, SCIENCES
EXPÉRIMENTALES …
LETTRES, PHILOSOPHIE, LANGUES,
PHILOSOPHIE HUMANITÉS SOCIOLOGIE, HISTOIRE,
ANTHROPOLOGIE, THÉOLOGIE

Facultés et discipline existantes / Facultés et disciplines nouvelles


2/ Une discipline existe scientifiquement en produisant des savoirs (État,
partis, citoyenneté), et par une implantation institutionnelle et une
communauté savante (Pierre FAVRE). Avec PLATON, ARISTOTE, MACHIAVEL,
TOCQUEVILLE, existent des travaux sur le politique, mais pas de discipline
implantée. Ca commence avec l’Ecole Libre des Sciences Politiques (Paris,
1872), la Scuola Cesare Alfieri di Scienze Sociale (Florence, 1875), la School
of Political Science (Columbia, 1880), et la London School of Economics and
Political Science (Londres, 1895). Même implantée, une discipline n’est pas
« propriétaire » de ses objets : le chômage est traité en économie (O/D de
travail), en sociologique, (Paul LAZARSFELD, Les Chômeurs de Marienthal), en
science politique (politiques de l’emploi), en droit (régimes d’indemnisation).
Enfin la démocratie et la sécularisation (séparation du politique et du
religieux) favorisent le développement de la science politique et des
sciences sociales ; à l’inverse les régimes autoritaires freinent l’éclosion des
sciences sociales, comme l’explication biblique (Espagne franquiste) …
• Bonaparte : Mais que faites vous de Dieu ?
• Laplace (Mathématicien) : Sire je n’avais plus besoin de cette hypothèse…
3/ Faire de la science politique : une discipline, une démarche et des
savoirs fondamentaux
Parmi les savoirs fondamentaux en science politique, on peut distinguer :
• Des savoirs à priori pré-identifiés par les citoyens, comme la différence
entre régimes démocratiques et autoritaires ;
• D’autres plus éloignés d’eux (démocratie/vote, tirage au sort, délibération)
• D’autres enfin en rupture avec les connaissances spontanées – « les
sondages et les médias font les élections » … ca n’a jamais été démontré.
Faire de la science politique, c’est donc investir un terrain occupé par
l’opinion, qui traduit des besoins en connaissances (Gaston BACHELARD).
Or, il s’agit de fournir, au-delà des prénotions (Emile DURKHEIM), des
connaissances objectivées (administration de la preuve). Comment ?
1/ En s’efforçant de mettre à distance ses convictions - la « neutralité
axiologique » (Max WEBER). Faire de la science politique n’est ni militer,
(justifier l’action), ni faire de la politique (homme politique tiraillé entre
éthique de la conviction et éthique de la responsabilité - Max WEBER)
2/ En admettant que les résultats de l’action politique ne sont pas toujours
conformes aux motivations des acteurs (Genèse de État, Norbert ELIAS).
3/ En s’efforçant d’expliquer ce que les individus font (les pratiques) et
pensent (les représentations, idéologies, opinions) par des propriétés
sociales (MARX, DURKHEIM, dotations en capital économique, social,
culturel chez Pierre BOURDIEU) et des contextes (les protestants votent à
droite aux EU, à gauche en France). Des contextes non figés, car les sociétés
étudiées se transforment : les sciences sociales sont des sciences historiques
(Jean Claude PASSERON), des science sociales historiques (I. WALLERSTEIN).
4/ En proposant un regard sur le politique qui n’a d’autre but que de
dévoiler la réalité : il ne sert que la connaissance (même si à la suite il
pourra être mobilisé au service de causes), et n’est là que pour expliquer et
comprendre, pas juger - ce qui n’empêche pas de condamner la violence…
5/ Il ne fait sens que pour répondre à des questions de science politique. Se
demander qui est responsable du 11 septembre à New York est une question
pour les services secrets, se demander si les riches ont raison de quitter la
France une question « people », se demander si l’Islam est soluble dans la
République est une questions mal posée (Iran, Sénégal, Turquie, « islams »)
4/ « Politique », un terme androgyne et polysémique
La complexité vient du fait que le terme « politique » est à la fois androgyne
- il se décline au masculin (« le » politique) et au féminin (« la » politique), et
polysémique : un mot en français pour désigner ce que les anglo-saxons
désignent avec trois (Policy, Polity, Politics).
1/ D’abord le terme policy, qui désigne une politique (économique, de
l’environnement, de l’éducation …). Une branche de la science politique est
consacrée à l’analyse des politiques publiques.
• Elle émerge aux EU, où il s’agit de savoir comment la formation et la
défense des intérêts peut aboutir à de bonnes politiques (efficaces/peu
couteuses) – dans un pays ou l’intervention de l’État est toujours suspecte,
car la société est moins « étatisée » qu’en Europe (TOCQUEVILLE et la
démocratie aux EU).
• Aujourd’hui ces analyses sont présentes en Europe, où la théorie de l’État
(ce qu’il est) était privilégiée, plutôt que l’action publique (ce qu’il fait). Les
politiques publiques ne dépendent enfin pas que de l’État puisque d’autres
acteurs sont impliqués (entreprises, associations, forums, lobbys …).
De plus, la définition d’une politique publique n’est plus sectorielle
(agriculture, éducation) ; elle n’est plus limitée à l’État, car il existe plusieurs
échelles d’analyse (« multi level governance ») : local, national,
supranational. Il s’agit d’un programme d’action porté par des autorités
publiques, seules ou en partenariat - qui peut être précisé via 5 éléments.
• Elles prennent la forme de mesure portées par les autorités (décisions,
production d’un droit, plusieurs « instruments » possibles – Pierre
LASCOUMES et Patrick LE GALES)
• Elles concernent des pratiques matérielles (allocation logement) ou
immatérielles (légion d’honneur, discours de commémoration)
• Elles peuvent concerner prioritairement un public cible (« SMIC jeune »),
mais pas forcément (« pollution de l’air »)
• Elles rendent compte d’un processus de politisation (passage au politique)
• Elles peuvent toujours être évaluées, au moyen de questionnements
multiples, même si l’évaluation peut être plus ou moins dépendante d’une
« commande », donc d’un commanditaire.
2/ Le terme politics signifie « vie politique » (to come in politics pour entrer
en politique), dépendante du régime politique. En démocratie, 3 éléments.
• La vie politique renvoie à des règles : des principes généraux (souveraineté
nationale) ; des règles juridiques générales, inscrites dans la constitution
(le président élu au SUD), ou particulières (loi sur le financement des
campagnes électorale) ; des règles sociologiques et historiques (système
bipartisan ou multipartisan), liées à des logiques de situation.
• Elle renvoie aussi à des acteurs - des citoyens aux élus, en passant pas les
partis, associations, institutions, lobby, médias, et autres.
• La vie politique c’est également des enjeux variables, mais orientés vers la
conquête du pouvoir. Certains sont propres au « champ politique », aux
professionnels de la politique (la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5
ans pour supprimer la « cohabitation »). D’autres concernent les citoyens
(chômage, santé, logement).
La vie politique est une compétition entre différents acteurs pour l’accès
aux positions de pouvoirs, régulée par des règles, et organisée autour
d’enjeux que les acteur en compétition tentent d’imposer (cadrage).
3/ Polity, ou communauté ou société politique. Les termes de « polis »
(cité) et de « politis » (citoyen), en grec, mènent à la politéia, la politique
comme gestion des affaires de la cité/l’économie qui concerne les affaires
domestiques. La réflexion sur la cité se déploie dans plusieurs directions.
• Sur les caractéristiques de la cité (démocratie, aristocratie, monarchie) et
de l’ordre social et politique, donc sur l’étude des régimes politiques : ils
sont classés à l’origine selon le nombre de dirigeants, aujourd’hui selon
leur nature – démocratique, autoritaire, totalitaire. Dans le contexte
occidental, la réflexion concerne aussi l’étude de l’État, mais la Polity ne s’y
réduit pas. D’abord parce qu’il existe des sociétés sans État (sociétés
antiques, sociétés autrefois dites « primitives ») ; ensuite parce que dans
les sociétés à État l’univers politique déborde le cadre formel de l’État (Roi
par la grâce de Dieu, commémoration, …).
• En Europe la réflexion sur la théorie de l’État se développe avec
l’émergence de l’État occidental, et dans le cadre de plusieurs traditions
théoriques, parmi lesquelles Friedrich HEGEL, Karl MARX et Max WEBER.
Des analyses fondamentales pour comprendre comment – dans quelles
perspectives - l’État a pu être analysé.
• Pour HEGEL, l’État moderne est l’accomplissement de la raison dans
l’histoire : tandis que la société civile est le lieu des conflits et des intérêts,
l’État transcende les clivages car il gouverne au nom de l’intérêt général.
• Pour MARX, à l’inverse, l’État moderne gouverne au service de la
domination d’une classe (aristocratie avant la RF, bourgeoise après) - celle
qui contrôle l’État (le parlement conseil d’administration de la classe
dominante). Il est aussi un phénomène transitoire (il n’a pas toujours
existé, et a vocation à disparaître) : révolution prolétarienne, phase
socialiste (les biens de production appartiennent à l’État), puis phase
communiste (où ils appartiennent à la société) ; et comme il n’y a plus de
classes sociales, plus besoin d’un État qui doit « s’auto – supprimer ».
• Enfin WEBER définit l’État comme le groupement politique qui revendique
avec succès, sur un territoire donné, le monopole de la violence physique
légitime.
• L’étude des Polities porte également sur des sociétés anciennes (l’empire
Ottoman, la République Romaine), et très contemporaines (l’UE, les
nouvelles « constellations post-nationales » au sens de Jürgen HABERMAS).
4/ « Le » politique (the political)
Définir « le » politique au masculin, c’est se demander ce qui relève du politique
(quels faits/enjeux sont politiques) ; comme se demander ce qui relève du social,
de l’historique (pourquoi tel évènement est historique ?). Jouer au ping pong n’a
rien de politique, mais un tournoi organisé (1971) pour rétablir les relations
diplomatiques entre Chine et EU … du politique !
• Ici on a besoin de théorie, pour identifier d’abord ce qui relève du social, puis
préciser ce qui au sein « du » social peut relever « du » politique. Pour définir le
social, on aura recours à deux traditions sociologiques : DURKHEIM et WEBER.
• Pour Emile DURKHEIM (« père fondateur »), la sociologie est l’étude des « fait
sociaux », à aborder (rigueur) comme les phénomènes physiques. Le cas du
« suicide » permet de comprendre, DURKHEIM soulignant qu’il est toujours
expliqué par les dépressions nerveuses, les maladies mentales
(médecine/psychologie), donc par des états individuels. Or, il observe que les
taux de suicides nationaux sont stables : dans certains pays ils sont
régulièrement élevés, dans d’autres ils sont historiquement faibles.
Ce « taux social de suicide » (suicides/population) stable invite à chercher
des facteurs sociaux (religion, statut social, matrimonial) susceptibles
d’expliquer l’inégale probabilité de se donner à la mort. Le suicide est un
« fait social » (la monnaie, le crime, la religion). Ce sont des faits extérieurs
aux individus (taux de suicide forts ou faibles indépendamment d’eux) et
contraignants/individus (plus de chances statistiquement de se donner la
mort selon le taux social de suicides). Le social se définit (fait sociaux) par
l’extériorité et la contrainte.
• WEBER traite « d’activité sociale ». Il indique que la collision entre deux
cyclistes, si elle est le fait du hasard, ne concerne pas le sociologue qui n’a
rien à en dire. Par contre, s’ils se relèvent, s’entraident à réparer leur vélos,
se disputent … là il y a des individus qui agissent (activité sociale) et le
travail du sociologie est de comprendre leurs motivations à agir. Pour cela
il établit 4 « idéaux -types » (tableau de pensée) d’action, selon les
motivations à agir : action rationnelle en finalité (1), action rationnelle en
valeur (2), action liée aux affects (3), action liée à la tradition (4). L’activité
sociale se définit ici comme le produit des actions individuelles motivées.
Passer « du » social « au » politique
Il faut comprendre comment, et dans quelles conditions, certains faits sociaux ou
activités sociales deviennent politiques. L’exemple en France de l’avortement
permettra de définir « le politique » et quelques propriétés essentielles.
Dans les années 1960, l’avortement est passible d’une peine de prison. Considérant
la loi inadaptée, une forte mobilisation (MLF, …) se déclenche : 343 femmes
reconnaissent publiquement avoir avorté, et risquent la prison en publiant le
« manifeste des 343 », dans le Nouvel Observateur (5 avril 1971).
La mobilisation contribue à la politisation de l’enjeu : à la suite d’un long débat
l’avortement est dépénalisé - loi Veil adoptée le 17 janvier 1975 (remboursé en
1982). Le problème n’est plus politique, une grossesse non désirée pouvant être
interrompue (IVG), ou non. Mais en 1995, des commandos anti- avortements se
mobilisent et tentent de faire obstacle à cette pratique dans les hôpitaux. Le
gouvernement d’Alain Juppé doit mobiliser la force publique pour les faire évacuer
: le problème est redevenu politique.
Archives du Nouvel Observateur, en 2011, pour les 40 ans du « manifeste des 343 salopes »
https://collab.its.virginia.edu
Il est alors possible de définir « le » politique
• Le politique, c’est la régulation de la conflictualité sociale (la loi Veil, force
publique/conflit sur l’avortement). Les modes de régulation sont variables,
depuis la médiation d’un chef sans pouvoir dans une société acéphale (le
chef « peau de Léopard » des Nuers, EVANS PRITCHARD), jusqu’à l’État
occidental. Mais toutes les sociétés produisent du conflit et de la
régulation sociale, toutes produisent du politique (Georges BALANDIER).
• Un « problème » ou un « fait » social est politique (relève « du » politique)
parce qu’il est pris en charge par le pouvoir politique (l’avortement) : il n’y
a donc pas de problèmes politiques par nature.
• Il n’y a pas non plus d’enjeu politique de façon permanente (avortement
1975, puis 1995), ce qui implique de repérer des processus de politisation.
Certaines questions relevaient jadis de la sphère privée (la santé) et sont
devenues politiques parce qu’elles font l’objet de politiques publiques ;
dans certaines conditions (plein emploi) le chômage cesse d’être un
problème politique – il cesse d’être pris en charge par le pouvoir politique.
5/ La science politique comme science sociale
• Ces définitions (« la » et « le » politique) permettent de présenter le
développement de savoirs en science politique. Une science non dédiée
spécifiquement à l’activité des hommes saisies au passé (histoire), aux faits
sociaux ou à l’activité sociale (sociologie), à la production, la
consommation et la répartition des richesses (économie).
• La science politique c’est ainsi l’étude du politique, (« The political », la
régulation de la conflictualité sociale) par le biais de politiques publiques
(policy) ; d’une vie politique (politics) définissant la cadre d’une
compétition pour participer à cette activité de régulation ; régulation qui se
réalise dans des conditions variables selon les formes prises par les
sociétés politiques (polity).
• Comme science sociale ou science de l’enquête (Jean Claude PASSERON)
elle ne produit pas de théories générales et universelles (E = MC2), mais
des théories dont l’espace (historique, géographique) de validité doit
toujours être précisé et soigneusement délimité.
Chapitre 1.
Les modèles d’analyse du vote
Remarques introductives
Il y a plusieurs façons d’interroger le vote, parmi lesquelles
1/ Le vote comme technique de régulation applicable à une grande pluralité de
situations : élections de délégués de classe ou de délégués étudiants, de
représentants de l’ordre des médecins ou des dentistes, de délégués du personnel ;
mais aussi poursuite ou non d’une grève ou d’un mouvement. Cela suppose une
acceptation du principe de majorité, donc accepter que la décision en relève.
2/ Le vote comme opération matérielle symboliquement investie lorsque le
bulletin de vote vise – par exemple en France sous la III e République - à remplacer
le fusil. Les Français sont devenus électeurs progressivement et on appris la
démocratie électorale tandis qu’évoluait la technique de vote (bulletins vierges
sur lesquels on inscrit de nom de son candidat, puis bulletin pré-imprimés, l’urne
homogénéisée, le « secret de l’isoloir »).
3/ Enfin le vote comme variable à expliquer : qui vote quoi, pourquoi, et comment
comprendre la montée depuis un demi siècle de l’abstention électorale. On se
limite ici à cette question classique de sociologie électorale.
Vote et forclusion de la violence, une illustration

Source : Web - archive


1. La diversité des modèles classiques
Les premiers modèles d’analyse sont élaborés en France et aux EU, dans des
conditions très différentes, et dans des sociétés diverses.
A/ Les paradigmes fondateurs
En France, les premiers travaux sur le vote ne sont pas produit en sociologie
électorale. Ils sont l’œuvre d’un géographe (André SIEGFRIED) et d’un
historien (Paul BOIS), alors que la science politique était alors focalisée sur
l’État, la souveraineté … mais pas encore sur l’électeur ou le citoyen.
a/ les modèles écologiques
1/ André SIEGFRIED publie en 1913 un Tableau politique de la France de
l’Ouest qui passera d’abord inaperçu puis deviendra un classique plus tard
(Pierre FAVRE), quand les spécialistes de sociologie politique s’intéresseront
au vote. Il y analyse un site géographique, l’Ouest de la France de 1871
(restauration du SU) au début du XX e siècle. A travers l’observation des
votes dans la durée (30 ans), il note que les comportements électoraux sont
stables. D’où le problème : comment expliquer cette stabilité ?
Les modèles écologiques, suite
« D’après une opinion courante, les élections ne sont qu’un domaine d’incohérence et de fantaisie. En
les observant à la fois de près et de haut, je suis arrivé à une conclusion contraire. Si, selon le mot de
Goethe, l’enfer même a ses lois, pourquoi la politique n’aurait pas les siennes ? » (SIEGFRIED)
Testant ses hypothèses sur un département, la Vendée, il annonce :
« Le granit vote à droite, le calcaire vote à gauche »
Le granit ? Zones (sol granit) avec de grandes propriétés foncières, des pays
de bocage où l’habitat est dispersé, la religion catholique dominante, les
structures sociales hiérarchisées, les figures du noble et du prêtre sont
centrale. Les grands propriétaires terriens catholiques votent à droite.
Le calcaire ? Zones avec de petites propriétés, l’eau est rare, l’habitat
regroupé, les individus déchristianisées et les relations sociales plus
égalitaires. Les petits propriétaires ni croyants ni fortunés votent à gauche.
SIEGFRIED découvre le rôle des variables lourdes (religion et catégorie
sociale) qui permettent de montrer que le vote est socialement pré-orienté :
il s’explique par des variables, la religion et la catégorie sociale, que l’on
appellera à la suite les « variables lourdes ».
Les modèles écologiques, suite : les variables lourdes découvertes explicatives
du comportement électoral (André SIEGFRIED)

La catégorie sociale
La religion comme
comme variable
variable explicative
explicative ou
ou variable
variable
indépendante
indépendante

Le vote comme
variable à
expliquer ou
variable
dépendante
Les modèles écologiques, suite
Bien entendu tous les électeurs ne rentrent dans le modèle (probabiliste).
Mais cela permettra d’observer des sensibilités politiques locales variables
selon les contextes (Yves LACOSTE) : la même sensibilité « socialiste » peut
renvoyer au radicalisme (Midi – Pyrénées) ou au catholicisme social
(Bretagne).
2/ Paul BOIS reprend dans Paysans de l’Ouest (1960) l’analyse de SIEGFRIED,
et souligne qu’il met notamment en évidence le lien entre religion et vote.
Mais il critique d’une part les exceptions dont le modèle ne rend pas compte
(à compléter) ; et d’autre part une analyse tautologique : la corrélation
entre catholiques et vote à droite, et déchristianisés et vote à gauche est
établie, mais cela ne dit pas pourquoi – il faut établir la relation de causalité.
En bon historien il pense que la cause précède les effets. Il cherche ainsi
l’explication du clivage dans le passé (au présent on ne peut que le
constater). Il choisit alors un département témoin, la Sarthe, où coexistent
depuis longtemps des catholiques et des populations déchristianisées.
Remontant jusqu’à la RF, dans les archives, il trouve l’explication :
Les modèles écologiques, fin
• Les révolutionnaires ont nationalisé les biens du Clergé. Quand ils veulent
revendre ces terres (guerre, besoins de financement), des paysans de
l’Ouest de la Sarthe, riches et catholiques souhaitaient les racheter. Or,
elles seront revendues à des bourgeois : les propriétaires terriens
catholiques passent alors dans la contre révolution (à droite) que la
bourgeoisie continue de soutenir (gauche).
• C’est le modèle du « traumatisme historique » : à l’origine du clivage, un
évènement particulier qui structure durablement les choix électoraux.
• C’est « l’évènement congelé en structure » (Emmanuel LE ROY LADURIE),
au sens où l’analyse ne vaut que si l’évènement traumatique, qui se produit
dans le temps court (entre 1789 et 1793), est transmit dans les familles, les
Eglises, les milieux sociaux. Autrement dit s’il y a une mémoire, ce qu’il faut
établir. Un évènement traumatique comme la guerre d’Algérie peut
expliquer des comportements électoraux de pieds - noirs ou de harkis qui
sont vivants ; un évènement qui se produit sous la RF ne peut orienter les
comportements actuels que s’il y a une transmission, une mémoire.
b/ Des modèles sociologiques produits aux EU
Deux grandes écoles américaines ont aussi produit des travaux pionniers.
1/ D’abord l’école de Columbia, avec l’équipe dirigée par Paul LAZARSFELD,
qui publie ses travaux dans un ouvrage : The people’s choise (1944). Ils
mènent en 1940 une enquête par entretiens (qualitatif) auprès d’électeurs
pour analyser l’influence de la campagne électorale sur les choix électoraux,
et valident deux séries de résultats :
• « On pense politiquement comme on est socialement » : les positions
sociales des électeurs expliquent leurs opinions politiques. Ainsi les
électeurs républicains seraient plutôt aisés, protestants, ruraux, fermiers,
et les démocrates dans les « classes populaires », catholiques, et urbains.
• La campagne électorale change peu les chois des électeurs, car ceux qui
pourraient changer d’avis n’écoutent pas les campagnes électorales, tandis
que les autres – intéressés qui écoutent – ont déjà fait leur choix de façon
ferme. Ici c’est la toute puissance des médias qui est mise à mal puisque
la campagne électorale ne fait surtout que renforcer les choix existants.
Résultats des élections présidentielles aux EU, 6 novembre 2020
Des modèles sociologiques produits aux EU, suite
2/ La thèse sera critiquée par les auteurs du paradigme du Michignan
(CAMBELL, CONVERSE, MILLER) publiant The american voter. Selon eux ce
modèle déterministe (position sociale de l’électeur) ne peut expliquer les
fluctuations à court terme de l’électorat.
• Ils réalisent une enquête quantitative portant sur un échantillon
représentatif de la population américaine. Les électeurs sont interrogés
avant et après les élections présidentielles de 1948, 1952 et 1956, avec des
séries de questions portant sur deux variables principales.
• L’identification partisane. « Comme l’acheteur d’une auto qui n’y connait
rien aux voitures sinon qu’il préfère une marque donnée, l’électeur qui sait
seulement qu’il est démocrate ou républicain réagit directement à son
allégeance partisane » - mesurer l’influence de l’identification à un parti
(démocrate ou républicain) sur le vote.
• Le contexte électoral. Il s’agit ici de mesurer les effets de contexte (guerre,
crise économique …), de la personnalité du candidat sur les votes.
Des modèles sociologiques produits aux EU, suite
En combinant les effets de ces deux variables ils dégagent trois types
d’élections
• Les élections de maintien : en l’absence d’enjeux particuliers, c’est
l’identification partisane qui est centrale (élection de Truman en 1948)
• Les élections déviantes, avec une contradiction temporaire entre les choix
des électeurs et leur identification partisane. Ici c’est l’effet contexte qui est
décisif : Eisenhower, républicain, élu par une Amérique majoritairement
démocrate qui se détourne de Truman (irrégularités de l’administration)
• Les élections de réalignement, avec un changement durable des
identifications partisanes (Roosevelt après la crise de 1929, 4 mandats).
Cette analyse a constitué le « paradigme dominant » un temps, mais elle
sera contestée à la suite en raison d’une part de la crise des identifications
partisanes (concerne de moins en moins d’électeurs), d’autre part de
l’émergence du vote sur enjeu - choix dicté par la capacité supposée à
apporter des solutions à un problème spécifique (électeurs instruits).
B/ Prolongements et renouvellement des problématiques
Dans ces approches classiques la stabilité de l’électeur est la règle, la
volatilité l’exception. A la suite les travaux portent sur les variables lourdes
(pour expliquer la stabilité), et sur les préférences individuelles (pour
expliquer la volatilité).
a/ Vote et position sociale : le rôle des variables lourdes
Guy MICHELAT et Michel SIMON (1977) mettent en évidence le rôle de la
classe sociale et de la religion, et soulignent que :
• la classe ouvrière et les non croyants votent plutôt à gauche : ce vote de
classe est central quand un ouvrier sur deux vote pour le PC, qui alimente
avec certains syndicats (CGT) et organisations (Secours Populaire) une
« conscience de classe », encadrent les ouvriers sur les territoires où ils
sont implantés (la « banlieue rouge » parisienne). Ils peuvent subvertir les
règles du recrutement politique avec des candidats ouvriers (Bernard
PUDAL), et défendre localement et nationalement les ouvriers (Julian
MISHI).
• les catholiques et les milieux plus aisés votent plutôt à droite.
Vote et position sociale : le rôle des variables lourdes

Classe ouvrière Classes supérieures

Orientation très probable Probabilité de vote à


Non croyants du vote à gauche droite moins forte (cadres
du public à gauche)

Probabilité de vote à Orientation très probable


Catholiques gauche moins forte du vote à droite
(ouvriers catholiques
gaullistes)
Vote et position sociale : le rôle des variables lourdes, suite
Les catholiques appartiennent plutôt aux classes moyennes et supérieures,
même si des ouvriers catholiques sont gaullistes (Mattei DOGAN).
• A la suite, des critiques, considérant que le modèle a vieilli : les ouvriers de
moins en moins à gauche (abstentionnistes) ; les partis sociaux démocrates
plus proches de classes moyennes ; des formations de droite « populaires »
(Forza Italia) courtisent les classes populaires. Faut-il alors abandonner les
variables lourdes ? Il est possible de continuer à les utiliser, mais dans une
société qui a changé (Patrick LEHINGUE), avec :
1/ La tertiarisation de l’économie (des « cols bleus » aux « cols blancs »,
Wright MILLS), les employés devenant le premier groupe d’actifs). De plus la
crise sociale réduit le poids du vote de classe des ouvriers (qui ne sont plus
le « groupe dominant ») et la « conscience de classe » est érodée.
De plus le croisement des votes avec les PCS des électeurs(1. Agriculteurs, 2.
Artisans, commerçants, chefs d’entreprises, 3. Cadres, 4. Professions
intermédiaires, 5. Employés, 6. Ouvriers) ne suffit plus, car, au sein de
plusieurs de ces groupes, des transformations se sont produites.
Vote et position sociale : le rôle des variables lourdes, suite
• Les ouvriers massivement précarisés ont déserté la gauche, certains (pas
tous) vers le FN (RN), beaucoup dans l’abstention : ainsi la « classe » (milieux
populaires) reste la principale explication de l’exit électoral. Or, on parle
moins aujourd’hui de « classe ouvrière » que de « classes populaires », qui
ne sont pas homogènes : ouvriers, employés, avec des situations diverses -
les employés du privé votent plutôt à droite, ceux du public à gauche.
• Olivier SCHWARTZ a pu définir une conscience triangulaire au sein des
classes populaires. Les plus précarisés se sont réfugiés dans l’abstention.
Mais les segments les plus élevés (accès à un petit pavillon, emploi stable)
se définissent à la fois par opposition aux classes supérieures (eux/nous) et
par opposition aux segments précaires des classes populaires dont ils
veulent se distancier … ainsi ils peuvent être tentés par le vote à droite.
• Comprendre le vote suppose de saisir l’électeur dans son milieu social mais
aussi dans son environnement (lieu d’habitation, sociabilité),et ces effets de
contexte sont d’autant plus forts que la sociabilité des classes populaires est
souvent sur leurs lieux de résidence (Patrick LEHINGUE).
Vote et position sociale : le rôle des variables lourdes, suite
Il s’agit donc de renouer avec les approches écologiques, pour saisir les sens
du vote (SPEL, 2016) dans des milieux sociaux et des environnements. Guy
MICHELAT a montré que selon la coloration idéologique d’un département
(gaulliste ou communiste) le vote était d’autant plus gaulliste ou communiste
dans toutes les PCS : l’effet de contexte ne supprime pas les variables
lourdes, mais il en diversifie les effets.
• Enfin le clivage indépendants/salariés perdure et se renforce, les
indépendants rejetant de plus en plus la gauche ; mais il s’exprime d’autant
plus que les individus sont bien intégrés à leur milieu (famille, syndicats),
et que joue l’effet patrimoine (qui renforce le vote probable à droite).
2/ La baisse de la pratique religieuse (moins de catholiques pratiquants)
contribue à distendre le lien entre religion et vote et à affaiblir l’influence de
l’Eglise en matière de socialisation politique. Mais d’une part la religion n’a
pas disparu, et d’autre part le lien entre catholiques pratiquants et vote à
droite reste repérable statistiquement : plus la pratique est forte, plus le
vote à droite est fort. De plus, les catholiques intégristes votent souvent FN.
Vote et position sociale
Pour conclure :
• Les variables lourdes continuent à expliquer le vote, mais ce ne sont plus
celles utilisées par Guy MICHELAT et Michel SIMON (classe ouvrière/classes
supérieures et catholiques/non catholiques). La société française a changé,
les outils se sont adaptés pour analyser en contexte le vote dans des
« classes populaires » et des « classes moyennes » non homogènes comme
dans d’autres segments de la société (indépendants …).
• Le vote à gauche se trouve essentiellement dans les classes moyennes du
salariat et les agents du secteur public ; le vote à droite se trouve plutôt
chez les indépendants, les professions libérales, les personnes âgées ; et
l’abstention se trouve surtout dans les milieux populaires. En caricaturant
à peine, il y a 50 ans c’était les ouvriers et les non croyants à gauche, les
classes supérieures et les catholiques à droite ; à la suite ce serait les
classes populaires dans l’abstention, les classes moyennes à gauche, les
vieux à droite.
Conclusion : pas de requiem pour les variables lourdes !
Les variables lourdes et le cas de la LREM devenue « Ensemble ! »
• Une enquête réalisée sur des intentions de vote, en juin dernier, entre les
présidentielles et les législatives confirme les analyses réalisées il y a 5 ans
avec l’apparition de LREM. On raisonne sur des intentions, et non des vote,
mais sur des données fiables car proches du scrutin législatif et portant sur
des citoyens certains d’aller voter.
• Deux principales variables sont mobilisées : les effets de l’âge et du sexe
d’une part, les effet de la Catégorie Socioprofessionnelle d’autre part. Le
résultat est dépourvu d’ambiguïté, comme le montrent les deux tableaux
suivants.
• L’effet de la variable sexe est nul, celui de l’âge est plus important, celui de
la Catégorie Socioprofessionnelle également. Le vote « Ensemble »
progresse ainsi comme progressait il y a 10 ans le vote « à droite », à savoir
chez les personnes âgées et les mieux dotées en capital économique et
culturel.
b/ Individualisme et modèles économétriques d’explication du vote
Un constat de départ : si des électeurs changent d’avis (électeurs flottants)
sans avoir changé de catégorie sociale, les propriétés sociales (variables
lourdes) ne peuvent expliquer l’instabilité électorale. A la suite :
1/ Anthony DOWNS (1957), via l‘individualisme méthodologique, fait
l’hypothèse de la rationalité (en finalité) du choix électoral. L’approche est
empruntée à la microéconomie : le choix de l’électeur est comparable à un
choix de consommation ou d’investissement. D’où le modèle de l’électeur
consommateur, qui vote pour maximiser son utilité. DOWNS construit un
modèle mathématique (fonction) pour rendre compte du comportement
électoral. L’électeur est supposé choisir selon les programmes des partis, les
habitudes de vote (allégeance partisane) et les effets escomptés des
politiques publiques proposées.
2/ Or un tel choix implique une grande quantité d’information, mais la
propension de l’électeur à s’informer est faible ; plus faible que pour un
choix de consommation qui ne dépend que de lui (donc il s’informe). Mais il
sait parce qu’il est rationnel que son vote est peu influent (une voix/Millions)
Individualisme et modèles économétriques d’explication du vote
Il perd donc peu de temps à s’informer et se contente d’informations
sélectives : c’est ce que DOWNS appelle l’ignorance rationnelle de l’électeur.
3/ Cette faible information incite KRAMER à modifier le modèle. Il suppose
que ce n’est pas sur les programmes ou les effets des politiques proposées,
mais sur l’évaluation des sortants, que l’électeur fait son choix. Si la situation
est jugée bonne (PIB, emploi « It’s economy stupid ! » - Bill Clinton), les
sortants sont reconduits (prime au sortant), sinon ils sont remplacés :
l’élections est ici comprise comme un référendum sur l’équipe dirigeante.
4/ D’autres ont voulu gommer les lacunes du modèle. Il n’est pas sur que les
électeurs attribuent aux sortants la responsabilité de la situation qui dépend
aussi (le savent) de facteurs externes (COVID, crise financière). De plus ils
peuvent faire des choix prospectifs (vote pour un candidat qui promet de
juguler l’inflation) et des choix rétrospectifs (la jugule mais battu/chômage).
Une théorie alternative aux variables lourdes, qui peine à expliquer le choix
électoral (modèle souvent changé car peu opératoire). L’électeur rationnel
est postulé mais non démontré (« J’ai voté Kennedy parce qu’il est beau » !).
2. Nouveaux électeurs ou nouveaux modèles
d’analyse ?
Aucun modèle n’explique tout. Depuis que Lamartine accorde le SU en 1848,
avant que les nouveaux électeurs ne s’en aillent élire Bonaparte, l’électeur
reste pour partie mystérieux en dépit des tentatives de le comprendre
(politistes) ou de le domestiquer (candidats, élus). Restent de nouveaux
terrains à explorer, comme l’abstention et « l’électeur flottant ».
A/ Le développement de l’abstention
Ancienne aux EU (1 électeur sur deux), l’abstention est plus récente en
Europe où elle est devenue le phénomène majeur des dernière années.
a/ Un phénomène ancien, des explications multiples
1/ L’explication classique est sociologique, fondée sur des variables lourdes.
• L’abstention était plus forte chez les femmes que chez les hommes. Les
données récentes montrent que le phénomène est inversé (Gender gap) –
mais avec des écarts non significatifs : le genre est donc devenu inopérant
pour expliquer l’abstention .
Un phénomène ancien, des explications multiples
• L’abstention s’explique aussi par l’âge, elle est forte chez les jeunes, baisse
ensuite pour remonter dans le 4e âge (courbe en « U »)
• L’abstention s’explique par les propriétés sociales : elle est surtout forte
dans les « classes populaires ». Depuis les travaux de Daniel GAXIE (Le cens
caché) on sait que le verdict des urnes traduit surtout le choix des mieux
dotés en capital culturel. Les plus démunis intériorisent un sentiment
« d’incompétence politique », s’estiment inaptes à choisir. Ils usent des
stéréotypes (« tous pourris »), cherchent à déchiffrer l’univers politique
selon des catégories empruntées ailleurs (le sport - « c’est un gagneur », la
morale - « il a l’air honnête »).
2/ L’explication stratégique fait de l’abstention une attitude de défiance à
l’égard de l’offre politique. Il s’agit d’un choix politique de ne point voter en
s’estimant non représenté, et non d’un sentiment d’incompétence politique.
Cette attitude concerne surtout une minorité instruite et attachée au droit
de vote.
Un phénomène ancien, des explications multiples
3/ L’explication politique. Les électeurs se mobilisent d’autant plus qu’ils
perçoivent l’utilité d’un scrutin (élections présidentielles et municipales), et
d’autant moins qu’ils ne la perçoivent pas : exemples du référendum sur la
Nouvelle Calédonie en 1991, ou du second tour de l’élection présidentielle
en 1969 entre Pompidou et Poher (le « bonnet blanc, blanc bonnet » du PC).
b/ Un phénomène en hausse, de nouvelles explications
1/ L’abstention en chiffres. Elle a doublé depuis le début des années 1970.
Elle progresse deux fois plus vite dans les milieux populaires que dans la
moyenne nationale. On n’a jamais été aussi peu inscrit sur les listes
électorales, avec les mêmes écarts : 25 % de non inscrits dans les milieux
populaires, 10% ailleurs. Les taux de mobilisation (votants/électeurs
potentiels) confirment la tendance des taux de participation
(votants/inscrits) : 15 point de % d’écart entre les milieux populaires et la
moyenne nationale.
2/ L’inscription est fondamentale : les « mal inscrits » (sur l’ancien lieu de
résidence) votent moins que les « bien inscrits » (sur le lieu de résidence).
Un phénomène ancien, des explications multiples
Quand le coût de l’acte électoral (déplacement, temps, argent) est faible, il y
a de l’abstentionnisme intermittent qui peut devenir récurrent (plus inscrit
sur les listes) : pas de divorce irrémédiable entre les classes populaires et le
SU, mais un vrai éloignement (Céline BRACCONIER, Jean-Yves DORMAGEN).
3/ Reste l’abstentionnisme intermittent des « bien inscrits » le noyau dur des
votants se réduisant de manière drastique dans les milieux populaires. Il
s’explique par l’intensité variable des scrutins : les scrutins de forte intensité
(élection présidentielle) avec des conditions exceptionnelles de mobilisation
peuvent produire une forte participation ; avec les scrutins de faible
intensité (élections européennes) la participation décroit.
4/ La démobilisation électorale des classes populaires s’explique aussi par la
moindre force des clivages idéologiques et religieux. Mais la participation
dépend des propriétés sociales : cela n’explique donc pas tout. La
compétence politique explique les moindres disposition à la participation
quand il n’y a pas ou peu d’intérêt pour la politique, de connaissance des
programmes, des enjeux, des candidats et de leurs positions (droite/gauche).
Un phénomène ancien, des explications multiples
5/ Le recul général de la norme participationniste peut aussi dépendre de :
• La désacralisation de l’ordre politique et la politique perçue dans le
registre du cynisme et de la corruption ;
• Les alternances multiples (1981 – 2002) sans recul du chômage et de la
crise sociale qui peuvent suggérer des politiques publiques inefficaces … de
la marche des beurs (1983) aux émeutes de 2005 (Gérard MAUGER). Le
faible sentiment d’appartenance à une Polity est accentué dans les milieux
populaires avec des sentiments d’exclusion et de relégation ;
• La décomposition des structures d’encadrement (PC, Eglise, Syndicats) et
l’incorporation de valeurs individualistes : hausse de l’abstention (ex EU).
Vit peut être toujours sur l’idéal républicain du vote exprimant une opinion
politique individuelle alors que la participation suppose des incitations ;
• Le déclin du travail comme espace de mobilisation (abstention corrélée à
la précarité : le travail reste un espace de socialisation politique). La
démobilisation, liée à des causes structurelles, a toute chance d’être
durable : plus que des slogans pour que le pays légal = pays réel.
B/ La redécouverte de l’électeur flottant
a/ Stabilité et instabilité du comportement électoral
1/ Un effet de théorie. Selon certains sondeurs les électeurs sont devenus
insaisissables (quand ils se trompent !) ; ils changeraient d’avis régulièrement
alors que les anciens électeurs seraient prévisibles et fidèle au parti. Or, le
problème est que les analyses classiques montraient plutôt la stabilité, alors
qu’aujourd’hui les modèles permettent de mieux voir les électeurs flottants,
qui ont toujours existé. Ce n’est pas l’électeur qui a changé, c’est le modèle.
2/ Les transferts de voix ont toujours existé, d’une élection à l’autre
(évolution du rapport droite/gauche) ; du premier au second tour (reports
de voix, par ex FN au premier tour, Mitterrand au second tour en 1988) ;
dans un sens et dans l’autre (peuvent s’annuler et faire croire à la stabilité).
3/ Ces transferts s’analysent d’abord à partir des itinéraires individuels, en
admettant que le changement d’orientation du vote peut avoir plusieurs sens
• Il peut traduire le changement de stratégie d’une minorité d’électeurs
informés et calculateurs, fortement dotés en capital culturel (élites)
Stabilité et instabilité du comportement électoral
• Il peut aussi traduire une fidélité aux mêmes convictions. Passage du MRP
des années 60, qui disparaît, au PS des années 80 : pour des chrétiens
sociaux soutenant les plus démunis, rejoindre le PS (devenu moins
anticlérical) leur parait propice pour continuer à défendre leurs convictions.
3/ Dans la vie politique actuelle, l’instabilité électorale peut correspondre
• À l’absence d’identification partisane
• Au faible intérêt pour la politique/pas de maitrise de l’offre (compétence)
• À des critères de jugement qui varient entre élection locales/nationales
• Au changement de l’offre électorale imposant un ajustement (2e tour 2002)
• A la « popularité » / la « personnalité » de candidats que les programmes
ne permettent pas de distinguer (Alain GARRIGOU)
• Au vote sur enjeux et à donc aussi à la capacité des candidats à imposer le
cadrage des débats (élection de 2002 sur l’insécurité).
b/ Des électeurs aux électorats, des questions en suspens
1/ Certains comportements électoraux échappent à la fois aux variables
lourdes et au modèle de l’électeur consommateur ou du vote sur enjeux :
l’ouvrier non catholique qui vote pour les partis libéraux/conservateurs. Ces
cas impliquent de passer d’une démarche explicative (DURKHEIM - variables,
corrélations) à une démarche compréhensive (WEBER) en cherchant à
rendre compte du sens que l’électeur donne à son vote (récemment SPEL).
Ce qui peut permettre de comprendre des choix paradoxaux (Jean Marie
DONEGANI) : un électeur au 1er tour de l’élection présidentielle de 1995
hésite entre Robert Hue (candidat du PC, pour accroitre les impôts des plus
aisés, l’aide sociale) et Edouard Balladur (candidat RPR, libéral, économie de
l’offre, baisse des impôts). Il hésite donc entre deux tendances opposées.
• Première solution : l’électeur est frappé d’incompétence politique, ne sait
identifier l’offre politique, lire les programmes
• Deuxième solution, chercher un peu plus : fils de militants communistes et
socialisation primaire de gauche, devenu chef d’entreprise avec des
revenus élevés. Se joue ici un conflit entre socialisation primaire et
secondaire, et non un problème de compétence politique.
Des électeurs aux électorats, des questions en suspens
2/ La notion d’électorat peut être sujette à caution. En effet, entre 1984 et
2002, les scores du FN de JM Le Pen progressent, et l’on parle alors de
l’implantation d’un électorat FN – des électeurs qui partagent des
convictions politiques et des propriétés sociales. Or Patrick LEHINGUE montre
• Que d’une élection sur l’autre les taux de renouvellement des électeurs du
FN sont toujours supérieurs à 50 %
• Que ces électeurs défient les lois de la statistique électorale : des libéraux,
des anti libéraux anti mondialisation, des catholiques, des non croyants,
des commerçants, des employés, des cadres
• Que cet électorat n’est pas toujours populiste d’extrême droite, plus de la
moitié des électeurs n’ayant pas les prédispositions idéologiques associées
à ce vote (autoritarisme, xénophobie, ethnocentrisme)
• Que cet électorat n’est pas un transfert des anciens électeurs du PC, de
nombreuses terres d’élection du FN là où la vote pour le PC est insignifiant.
L’électorat du FN est donc un électorat « de papier » !
Chapitre 2.
Action collective et mobilisations politiques
Investir une autre forme de participation politique
1/ Comment un groupe d’individus, quelles que soient les propriétés qui le
définissent (PCS comme « les cadres », victimes de l’amiante) peut-il émerger
comme un collectif en luttant ensemble ?
2/ Quelle est la capacité des mouvements sociaux à transformer des
revendications en problème politique (politisation) ; l’étude des mouvements
sociaux permet de mieux comprendre les politiques publiques ;
3/ Certains mouvements génèrent des processus d’institutionnalisation et
peuvent se transformer en syndicats, lobbies, partis politiques (les « verts »
en France nés du mouvement social) ;
4/ Ces mouvements sont longtemps délaissés par les sciences sociales, la
seule participation politique reconnue légitime étant le vote. Aujourd’hui les
mouvements sociaux constituent un objet canonique de la science
politique. L’étude de ces mouvements, via notamment des théories de
l’action collective, a permis de montrer que la participation politique prend
des formes plurielles (vote, grève, manifestation, occupation de locaux …).
1.La participation saisie par les mobilisations
Il s’agit de surmonter le vieil obstacle de la marginalisation des mouvements
sociaux pour comprendre la protestation comme une forme de participation
A/ La protestation comme forme de participation
a/ La marginalisation initiale des « mouvements sociaux »
Dépasser les réticences initiales à l’analyse suppose :
1/ De sortir d’un regard simpliste consistant à faire des mouvements sociaux
des formes de pathologies collectives. Ils étaient autrefois associés à la peur
des foules et à des comportements irrationnels (Psychologie de foules de
Gustave Le Bon) et dangereux (Commune de Paris, mobilisation fasciste).
2/ Les réticences viennent aussi de ce qu’Oliver FILLIEULE appelle les
conventions de la démocratie représentative : la demande sociale s’exprime
à travers des filtres (partis, syndicats …), et se réalise à travers un vote où
l’électeur délègue à des élus le soin de le représenter. Il y aurait donc une
modalité de participation légitime, le vote, et une modalité illégitime, la
protestation (faire triompher dans la rue les intérêts de minorités/SU).
La marginalisation initiale des mouvements sociaux, suite
3/ Enfin la difficulté liée à l’héritage marxiste. L’analyse de MARX est
professée en déclin, mais elle reste la première tentative d’investigation des
mouvements sociaux dans le cadre de la lutte des classes – passage de la
classe en soi (qui existe sur le papier) à la classe pour soi (dotée d’une
« conscience de classe »). Peu de textes y renvoient, par défiance/marxisme,
mais c’est bien la première tentative.
b/ Le continuum de la participation politique
Avec le mouvements des noirs pour les droits civiques aux EU, il va être
nécessaire d’intégrer la protestation à la participation politique.
1/ Cela suppose de nouveaux outils d’analyse, car les outils existant ne sont
pas opératoires. La coupure entre légalité et illégalité ne fait pas toujours
sens : certaines actions, parfois illégales, sont peu « avouables ». Les
techniques de mesure des motivations, où les sondages appliquées à
l’analyse des votes, ne peuvent donc pas être utilisés tels quels (idem
Howard BECKER – « comment on devient fumeurs de marijuana »). De plus,
il est difficile de comprendre, via ces méthodes, comment un groupe
manifeste son existence en agissant (lutte contre le déclin des agriculteurs,
exister dans la confrontation aux autorités pour les homosexuels, lutter
Le continuum de la participation politique, suite
contre la marginalisation pour les groupes à faibles ressources- sans papiers).
Ces identités en construction ne peuvent être déchiffrés via les outils
classiques.
2/ La manifestation va être saisie par le droit. Elle est soumise à sa
déclaration préalable en préfecture (trajet …), qui peut l’interdire (rare). Les
manifestations sont déclarée à Paris, moins en province : les autorités gèrent
ces questions autrement que par le strict respect du droit. Le CC a reconnu le
droit à l’expression collective des opinions (1995), qui doit être concilié avec
le respect de l’ordre public (sécurité des personnes et des biens).
3/ La distinction entre participation conventionnelle (vote) et participation
protestataire (manifestation, grève) est contestable : les mêmes individus
peuvent voter, manifester, militer, signer une pétition. La participation
politique doit ainsi s’analyser en terme de continuum : certains groupes sont
plus enclins à la manifestation (étudiants) que d’autres (dentistes), mais au
sein de chaque groupe existent des pratiques variées. Il n’y a donc pas d’un
coté des groupes ou individus protestataires, et de l’autre des gens qui se
limiteraient à la participation « conventionnelle ».
B/ Comment se saisir des mouvements sociaux ?
a/ L’espace des mouvements sociaux
Charles TILLY et Sydney TARROW se demandent dans quel type de société les
mouvements sociaux, qui ne constituent qu’une forme de lutte politique
parmi d’autres, constituent-ils la modalité privilégiée de la protestation. Pour
y répondre, ils construisent une typologie des cas en croisant deux variables
(démocratie et capacité de l’État) ayant chacune deux modalités (+ et -).

Régime politique non Régime politique


démocratique démocratique
État à forte capacité Chine, Iran Japon, France

État à faible capacité Somalie, Soudan Belgique, Chypre


L’espace des mouvements sociaux, suite
Ces quatre cas permettent de faire une typologie des luttes politiques même
si l’on peut ajouter des nuances entre régime démocratique et non
démocratique, et État fort ou « fragile state », et que certains pays seraient
parfois dans une zone grise (Espagne État fort ou faible capacité ?)
1/ Les Etats non démocratiques à forte capacité (Chine) connaissent une
résistance clandestine, des conflits et affrontements brefs, et une répression.
2/ Les Etats non démocratiques à faible capacité sont souvent les terrains
d’élection des guerres civiles, voir de milices ou armées concurrentes à celle
de l’État (parfois au service de narco- trafiquants comme en Colombie).
3/ Les États démocratiques à faible capacité font parfois l’objet de coups
d’Etats, de conflits ethniques et de mouvements séparatistes.
4/ Les Etats démocratiques à forte capacité sont la terre d’élection des
mouvements sociaux, donc d’une protestation exprimée dans des formes
légales et pacifiées.
b/ Qu’est-ce qu’un mouvement social ?
On peut définir le mouvement social à partir d’un travail de Hanspeter
KRIESI, qui essaie d’isoler (typologie) la dimension spécifique à l’action des
mouvements sociaux/ autres formes d’organisation collective. Il utilise deux
variables, le degrés de participation et l’orientation de l’action, et chacune a
deux modalités (pas de participation, participation militante ; action orientée
vers les adhérent ou vers les autorités). Permet une typologie à 4 cas :

Action orientée vers Action orientée vers


les adhérents les autorités
Pas de participation Travail de formation Lobbies, groupes
militante dans un syndicat d’intérêts
Participation militante Mutuelles Mouvements sociaux
Qu’est-ce qu’un mouvement social, suite
1/ Cela permet une définition du mouvement social à partir des caractéristiques
qui lui sont propres : un mouvement social est une organisation militante qui
met en œuvre des stratégies d’action principalement orientées vers les
autorités (recours privilégiée aux répertoires d’action protestataire).
2/ La typologie permet également de passer à une approche dynamique visant
à reconstruire des trajectoires (passage d’un espace à un autre) : des
organisations du mouvement pour les droits civiques des noirs aux EU se sont
transformés en groupes d’experts (retour au mouvement si nouveau conflit).
3/ L’analyse fait aussi l’objet de critiques, car :
• Le mouvement social ne se limite pas aux organisations : les groupes
élaborent des stratégies et puisent dans les répertoires d’action
(manifestation par exemple) en fonction de leurs ressources (le nombre).
• L’analyse ne dit rien des stratégies des mouvements, pouvant être fondées sur
le nombre (rapport de force), la science (expertise et contre expertise), la
vertu (techniques de scandalisation, grève de la faim cf Joana SIMEANT).
2. Les mobilisations saisies par l’activité protestataire
A/ Des outils théoriques pour l’analyse des mouvements
sociaux
Dans les années 1960-70, aux EU, se dégagent deux modèles qui portent sur
les comportements collectifs, mais avec des approches qui divergent : l’un
aborde la frustration collective, l’autre les calculs rationnels.
a/ De la frustration collective aux calculs rationnels
1/ La théorie du comportement collectif, fondé sur la frustration collective,
renouvelle l’analyse en abandonnant les vieilles idées (mouvements sociaux
pathologiques, foules irrationnelles) pour passer au potentiel créateur des
mouvements sociaux : ils participent (mai 1968) au changement social. Ces
analyses, à la fois sociologiques et psychologiques, sont illustrées par le
travail de Ted GURR (Why men rebel ?), fondé sur la notion de frustration
relative - l’écart entre les espérances et la satisfaction réelle des attentes. Le
potentiel de mobilisation est d’autant plus fort que la frustration relative
est forte. Trois cas de frustration relative peuvent être isolés.
Les trois modèles de frustration relative

Source : Erik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux


Les trois modèles de frustration relative, fin
• Le modèle de la « frustration du déclin » (espérances stables, satisfaction
des attentes en baisse) correspond assez bien à celui des groupes sociaux
ou des élites déclassées rejoignent des formes radicales de luttes. Par
exemple la petite bourgeoisie italienne ou les anciens combattants dans la
mobilisation fasciste.
• Le modèle de la « frustration des aspirations montantes » (espérances en
hausse, satisfaction des attentes stable) renvoie par exemple aux soldats
indigènes démobilisées qui aspirent à la citoyenneté française. Redevenus
non citoyens, ils passent à la mobilisation pour l’indépendance (guerre
d’Algérie)
• Le modèle de la « frustration progressive » (espérances en hausse,
satisfaction des attentes en baisse) correspond à la veille de la RF : la
prospérité a suscité des espérances en hausse, mais la crise économique va
faire baisser la satisfaction des attentes. D’où le potentiel de mobilisation
d’autant plus fort que la frustration (écart, frustration relative) est grande.
Cette analyse a comme d’autres fait l’objet de commentaires et critiques :
Son intérêt est de ne pas aborder la souffrance en fonction de normes
préconstruites : les médecins peuvent parfois éprouver des frustrations
supérieures à celles éprouvées au sein de groupes moins dotés. Ce point
apparait par exemple dans le portrait de la société française dirigé par Pierre
BOURDIEU (La misère du monde). Mais la frustration relève des sentiments,
voir des émotions, ce qui rend difficile l’objectivation (l’administration de la
preuve). D’où le développement de l’approche fondée sur les calculs
individuels.
2/ Dans le cadre de l’individualisme méthodologique (les phénomènes
sociaux/politiques s’expliquent par les choix rationnels en finalité des
individus), Mancur OLSON publie en 1966 La logique de l’action collective. Il
soutient que si un ensemble d’individus (par exemple les résidents d’une
petite commune) a intérêt à se mobiliser (le maire est en campagne
électorale et devrait être compréhensif) pour obtenir des avantages (par
exemple la baisse des impôts locaux), le sens commun est de penser qu’ils
vont se mobiliser. Or, dans un certain nombre de cas, il n’en feront rien !
Les rendements de la mobilisation/stratégie du passager clandestin
En effet, la mobilisation risque de se heurter à des stratégies de « passager
clandestin » (free rider) consistant à s’abstenir, laisser les autres se mobiliser,
donc supporter les coûts de la mobilisation, tout en bénéficiant des
avantages qui pourraient être obtenus. C’est l’accumulation de stratégies de
free rider qui peut faire échouer un mouvement social. Dans l’exemple qui
suit (Erik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux) on suppose :
• une taxe d’habitation de 5000 francs/personne, et un gain théorique si le
mouvement obtient la baisse qui est fonction du nombre de citoyens
mobilisés (à dix c’est une réduction de 2000 francs, seul c’est 200).
• Les gains sont estimés selon les couts (forfaitairement 500 francs par
personne), supportés par les seuls mobilisés (/passagers clandestins).
• Le résultat est dépourvu d’ambiguïté : un individu rationnel qui veut
maximiser ses gains a intérêt à adopter la stratégie du free rider.
Les rendements de la mobilisation/stratégie du passager clandestin
La théorie d’OLSON a été abondamment commentée et critiquée.
• Sa portée explicative tient à ce qu’en individualisant les carrières
professionnelles, on individualise les stratégies et favorise les free rider,
pour faire échouer les revendications collectives.
• Sa portée explicative tient d’ailleurs notamment à l’explication de l’échec,
plutôt que du succès, des mobilisations. OLSON admet lui-même les
limites de son modèle, plus appliqué aux mobilisations pour l’allocation de
biens collectifs qu’aux groupes religieux et aux mobilisations identitaires.
• Sachant que les syndicats connaissent les stratégies de free rider, il ajoute
que pour les éviter les organisations distribuent des incitations sélectives :
ils accordent des prestations comme des revues professionnelles, des
assurances avantageuses, du conseil juridique aux individus qui adhèrent et
se mobilisent.
• Enfin non seulement rien ne prouve que les mobilisations ne dépendent
que d’actions rationnelles en finalité, mais le refus de se mobiliser peut
avoir des coûts plus importants (mise à l’écart du groupe) que de
participer.
b/ Des organisations aux ressources
L’école de la mobilisation des ressources peut être illustrée, parmi d’autres,
par les travaux de Charles TILLY (La France conteste de 1400 à nos jours) - qui
est aussi « l’inventeur » de la notion de répertoire d’action collective.
Pour cette école, il s’agit de renouveler l’analyse des mouvements sociaux
dans plusieurs directions :
1/ Adopter une focale large pour prendre en compte des groupes dont la
dimension de l’action n’est pas explicitement politique (sectes) ;
2/ Déplacer la question fondatrice de l’analyse des mouvements sociaux, en
se demandant comment les acteurs se mobilisent plutôt que pourquoi ;
3/ Proposer une approche dynamique intégrant les organisations
(institutionnel) et les ressources (relationnel) : l’organisation structure le
groupe et rassemble les ressources pour la mobilisation. Il s’agit de
comprendre ce qui fait qu’un mouvement « prend », tandis que d’autres,
tout aussi plausibles, ne peuvent exister comme acteurs collectifs.
A partir de cette approche, il est possible de montrer
1/ Qu’un groupe se mobilise d’autant plus qu’il dispose d’une forte identité
(CATNESS), à l’image des instituteurs sous la III e République, socialisés dans
les écoles normales et intégrant le discours de la « vocation » ;
2/ Qu’un groupe est d’autant plus enclin à se mobiliser qu’il dispose d’une
solide organisation, par exemple de relais syndicaux, qu’il est structuré
(NETNESS) – la encore le cas des instituteurs sous la III e y correspond ;
3/ La contraction des deux – CATNET – désigne les groupes à forte identité et
organisés, qui se mobilisent parce qu’ils disposent des ressources
nécessaires à l’action collective (contrairement aux groupes à « faibles
ressources » comme les sans papiers, les prostituées) ;
4/ En ajoutant une dimension historique essentielle on peut montrer que la
perte de l’une ou l’autre de ces ressources (identité, organisation), voir les
deux, peut expliquer le déclin (parfois relatif) de la mobilisation. Ainsi les
mêmes instituteurs perdent à la fois leur organisation (crise du syndicalisme)
et leur identité collective (métier qui n’est plus défini dans le registre de la
vocation) et ainsi la mobilisation collective est aujourd’hui sensiblement
moins forte.
TILLY a également forgé la notion de répertoire d’action collective, et
a montré comment on passe, au milieu du XIXe, d’un répertoire
« patronné et local » à un répertoire « autonome et national »

Echelles de mobilisation Cadres de la mobilisation Modes d’action


Locale (à proximité des Communautés Protestation inscrite dans
Répertoire localisé et lieux de vie de ceux qui constituées (villages) qui des rites sociaux
patronné protestent) sollicitent le soutien des détournés comme les
puissants (notables fêtes religieuses, le
locaux, prêtres) carnaval

Coordination nationale Organisations Action visant


Répertoire national et des mouvements de spécialisées (syndicats) spécifiquement à porter
autonome protestation (à des revendications via les
destination du pouvoir grèves, les manifestations
central)
A la suite, il est possible d’ajouter
1/ Que le passage d’un répertoire à un autre s’explique par le
développement des moyens de communication, la centralisation accrue du
pouvoir, et la concentration des populations (exode rural) qui favorise
l’émergence d’organisations spécialisées et de dimension nationale ;
2/ Que les grèves et les « manifs » ne sont plus comme au XIXe l’apanage du
mouvement ouvrier. D’autres modalités d’action existent (act up et le
préservatif géant sur l’obélisque de la concorde, grèves de la faim, etc)
3/ Que certains auteurs s’interrogent sur l’éclosion ou non d’un troisième
répertoire d’action (chez TILLY il y a une hésitation sur ce point) qui serait
internationaliste et fondé sur l’expertise (Erick NEVEU), international et
solidariste (Robin COHIN et Shirin RAI)
4/ Que le succès de certains mouvements dépend aussi de la structure des
opportunités politiques (Doug Mc ADAM) : selon les conjonctures un
système politique peut être plus ou moins ouvert aux revendications. Sydney
TARROW ajoute qu’elles dépendent aussi des régimes politiques (Chine).
B/ Continuités et ruptures des mouvements sociaux
a/ La continuité de l’action manifestante en France
La manifestation est l’une des formes privilégiées de la protestation
collective en France. Elle se définit comme « l’expression physique collective
d’une opinion avec la présence d’un ensemble d’individus dans l’espace
public ». Ce qui exclu par exemple les AG dans une entreprise ou un
amphithéâtre, mais conserve les « micro – mobilisations » (manifestations
de 50 personnes, voir moins). En terme de morphologie :
1/ La manifestation s’adresse à l’État ou à ses représentants (rectorat,
préfet) et la plupart sont des micro – manifestations – ce qui infirme la thèse
de « dépolitisation » ;
2/ En dépit certains pics, historiquement la violence est en déclin, d’autant
que les groupes les plus manifestants (enseignants) sont les moins violents.
De plus le comptage est délicat : la violence subie par la police est toujours
déclarée (accident du travail), celle subie par les manifestants bien moins.
3/ Le défilé de rue associé à la « loi du nombre » et à l’identité du groupe
manifestant est l’un des répertoires d’action les plus utilisés en France.
La manifestation implique une dynamique des interactions entre
manifestants et forces de l’ordre, au sens où
1/ Il existe un impératif d’ordre public, dont le respect est toujours présenté
comme un élément fondamental de la sécurité des manifestants
2/ Il existe un impératif de confiance entre organisateurs de la manifestation
et forces de l’ordre, que les forces de l’ordre rappellent en permanence aux
organisateurs de la manifestation.
3/ Les policiers s’efforcent de faire sentir aux manifestants qu’ils sont
responsables de leur action, doivent coopérer et éviter les casseurs !
Si elles sont estimées nécessaires il existe des techniques pour « tenir la
rue », comme l’agression des sens (gaz lacrymogènes, canons à eau), la mise
à distance (bouclage de voies, fermeture de certains accès), la symbolisation
de l’agression (policiers avec casques, visières, etc). Dans certains cas, c’est le
recours à la charge et la répression, comme fut le cas le 17 octobre 1961.
L’ordre de tirer sur la foule a été donné mais pas appliqué en mai 1968. Enfin
des cas, aussi, de tolérance extrême (agriculteurs contre l’Espagne et le
Portugal dans la CEE déversent 116 hectolitres de vin en gare de Narbonne).
La répression de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris
b/ Les mouvements sociaux dans les sociétés postindustrielles
Où en sont les mouvements sociaux aujourd’hui ? Une controverse :
1/ Selon certains auteurs (Gilles LIPOVESTKI, Olivier MONGIN, Ronald
INGLEHART), les années 1980/1990 sont marquées par le déclin de la lutte
des classes, des clivages idéologiques, et les « nouveaux mouvements
sociaux » (NMS) défendraient des valeurs « post-matérialistes ». Pourquoi ?
• L’action protestataire classique ne concernerait plus que les couches
moyennes du salariat, surtout dans le secteur public, et non les « ouvriers »
• Les valeurs défendues (écologie, féminisme, dépénalisation du cannabis…)
ne concerneraient plus la distribution des richesses (lutte des classes) mais
des valeurs post-matérialistes, au temps de l’ère du vide (LIPOVETSKI)
• Ces mouvements seraient dans un autre rapport à l’État, au politique, qu’il
s’agit moins d’affronter que de défier – pour obtenir des espaces
d’autonomie
• Ils ne se définiraient plus par des identités de classe (mouvement ouvrier),
mais par d’autres propriétés (Gay, descendants d’esclaves, antillais…)
Manifestation contre le port du masque à Paris, le 29 Aout 2020
Manifestation contre les mesures sanitaires à Francfort, le 14 novembre 2020
2/ Toutefois, cette thèse des NMS post-matérialistes a fait l’objet de
sérieuses réserves avec les travaux d’Olivier FILLIEULE sur les manifestations.
• D’abord au regard de la grande stabilité des acteurs dans la durée, toutes
les PCS étant représentées. Les répertoires d’action varient, les étudiants
manifestent, moins les pilotes d’avion, mais les pilotes peuvent le faire par
ailleurs comme parents d’élèves refusant la fermeture d’une classe ;
• Ensuite 2/3 des mots d’ordre des manifestations concernent quelques
items sur l’emploi, le revenu, l’éducation, la protection sociale, donc des
enjeux… matériels/matérialistes … La pauvreté et le chômage n’ont pas
disparu, ce qui permet de comprendre qu’il serait difficile de ne se
consacrer qu’à des causes post-matérialistes ;
• Depuis le début des années 1990 sont apparus de nouvelles minorités
actives (Isabelle SOMMIER selon l’expression de Serge MOSCOVICI), soit
des groupes restreints, actifs, idéologiquement cohérents, et qui peuvent à
l’occasion de certains conflits impulser le changement social. Il s’agit du
mouvement altermondialisation dont le succès rapide a surpris !
Manifestations contre la réforme des retraites à point en 2019
Comment expliquer ce succès, en décalage avec ce qui était écrit ?
1/ Ces groupes (ATTAC, Confédération Paysanne) connaissent un renouveau
avec la contestation de la mondialisation libérale. Le contexte marqué par :
• la crise du syndicalisme ( caractéristique en France), avec des taux de
syndicalisation très faibles dans le privé et dans le public
• La baisse des conflits dans l’entreprise entre 1968 (pic de grèves) et 1990
• le déclin du militantisme dans les partis politiques (pas les associations
qui constituent un nouvel âge de la participation – Martine BARTHELEMY)
2/ Dans ces contexte, émergent de nouvelles structures militantes avec
• Des structures qui se veulent peu ou pas hiérarchisées, qui luttent contre
la professionnalisation, valorisent la démocratie directe, sont autonomes,
et travaillent en réseau (militants multi-positionnés)
• Des structures qui s’appuient sur les anciens réseaux du PC et qui ont
permis certains miracles (mobilisation de chômeurs, sans papier, jeunes).
Depuis le mouvement des Gilets Jaunes, tout sauf post-matérialiste
Manifestations de gilets jaunes en France, 2018 - 2019
Chapitre 3.
Les partis politiques
Remarques liminaires
• Les partis politiques sont l’un des objets les plus anciens de la discipline :
il y a un siècle et demi qu’ils sont observés, analysés. Un moment au cours
duquel ils ont triomphé des organisations concurrentes (ligues, syndicats,
associations professionnelles, mutuelles) pour obtenir un quasi monopole
de la représentation politique.
• Ainsi il sont devenus l’une des institutions centrales des démocraties
représentatives. Le Général De Gaulle, qui dénonçait le « régime des
partis », est lui-même à l’origine d’un parti – le RPF – et (belle parabole) à
l’origine d’une V e République qui est un système partisan parmi d’autres –
stable et équilibré/IV e… Car rien ne peut se faire sans les ressources que
procurent les partis politiques : l’investiture du parti (« l’entreprise
Macron ») est indispensable pour avoir une chance d’être élu !
• Ils sont devenus tellement indispensables au fonctionnement des régimes
représentatifs que les abolir revient peu ou prou à supprimer la
démocratie représentative (les démocraties avec des désignations par
tirage au sort peuvent se passer de partis politiques).
1. Les partis politiques, des structures aux acteurs
A/ Les partis comme organisations : des questions revisitées
a/ Définir les organisations partisanes
Selon Joseph LA PALOMBARA et Myron WEINER, 4 critères permettent de
définir les partis et de les distinguer des autres organisations.
1/ Ce sont des organisations durables capables de survivre à la mort de leurs
dirigeants (les partis gaullistes et socialistes ont survécu au décès de De
Gaulle, de Jaurès …) ;
2/ Il s’agit d’organisations unifiées sur tout le territoire contrairement aux
groupes parlementaires (AN) ou aux anciens comités de notables locaux ;
3/ Les partis ont la volonté d’accéder au pouvoir, pas de l’influencer ;
4/ Les partis recherchent des soutiens populaires (sympathisants,
adhérents, militants, électeurs).
Reste que la définition est a – historique (Daniel Louis SEILER), et qu’elle ne
dit rien de l’organisation, de l’ancrage social. Mais c’est un point de départ.
D’autres se demandent ce que font les partis (pas ce qu’ils sont) et les
définissent par les fonctions assumées dans un « système social ». On peut
alors distinguer : 1/ La fonction de recrutement du personnel dirigeant, 2/ la
fonction programmatique, 3/ la fonction de coordination et de contrôle des
organes gouvernementaux (encadrement des élus), 4/ la fonction
d’intégration sociale, et 5/ la fonction « tribunicienne » de canalisation de la
contestation (Georges LAVAU).
Robert MERTON distinguait les fonctions manifestes, explicitement
revendiquées par les partis (ci-dessus les fonctions 1, 2 et 3), et les fonctions
latentes, ni revendiquées ni forcément conscientes (ci-dessus n° 4 et 5).
Ainsi les partis peuvent être définis par leur apport au système politique, à la
fois comme des agents du conflit (compétition politique) et de l’intégration
sociale. Cette analyse est contestée par Michel OFFERLE pour lequel elle se
résume à reprendre ce que disent les élus, et ainsi se trouve insuffisamment
coupée du sens commun. D’où le retour à la définition de Max WEBER, pour
lequel les dirigeants se servent des partis pour conquérir le pouvoir, et
pour distribuer des avantages matériels aux militants.
b/ Classer les partis politiques
La typologie classique de Maurice DUVERGER (1951), devenue obsolète…

Partis de cadres Partis de masses


Composés de notables qui Ils sont crées également avec le
s’organisent après le passage au passage au SU pour favoriser
SU (en France 1848), les dirigeants l’accès aux mandats électifs de
Naissance et composition sont des élites dotés de ressources dirigeants qui sont des militants
personnelles (argent, notoriété). sans ressources personnelles, et
Leur activité est centrée sur les qui vont se professionnaliser.
élections

Il s’agit d’organisations peu Ces partis sont hiérarchisés, la


hiérarchisées, les élus bénéficient discipline partisane y est forte, la
Organisation et relations entre d’une large autonomie / militants discipline de vote également. Les
militants et dirigeants et d’une grande liberté de vote. Le élus dépendent du travail
rôle des militants (peu nombreux) bénévole et des cotisations des
est peu valorisé militants (nombreux) dont le rôle
est valorisé.
Pourquoi cette typologie est-elle obsolète ? Et par quoi la remplacer ?
DUVERGER pensait que les partis de cadres allaient disparaître, et être
remplacés par des partis de masses (communistes, démocrates chrétiens).
Or, les partis de cadres ont bien disparus, mais les partis de masse aussi,
avec la crise du militantisme « classique » (don de soi au parti) : c’est la thèse
de la fin des militants (Jacques ION), pour lequel :
• Le militant dévoué et engagé dans la durée, fidèle à des organisations où
existe une forte sociabilité militante comme les anciens partis ouvriers
(« militantisme affilié ») n’existerait pratiquement plus ;
• Les militants actuels seraient plus individualistes, critiques, intermittents,
multi-positionnés, dans des organisations plus démocratiques (associations
caritatives) mais à faible sociabilité militante (« engagement distancié »).
La thèse reste discutable, parce que le militant très dévoué à toujours été
minoritaire et que le financement public de la vie politique a restreint le rôle
des militants, dont les taches ont été confiées à des prestataires rémunérés.
Ce qui a poussé des militants vers la désaffection des partis politiques.
La thèse de la fin des militants de Jacques ION

Rapport du militant à Structure Exemple type


l’organisation organisationnelle
Militant dévoué, avec un Organisation partisane Partis ouvriers
Modèle du militantisme engagement durable, et avec une forte sociabilité
affilié l’individu dissout dans un militante
« nous collectif » (don de
soi au parti)
Militant affranchi, Organisations plus Organisations caritatives
Modèle de l’engagement critique et multi- démocratiques, mais avec
distancié positionné, engagement des sociabilités militantes
intermittent. Le « je » plus limitées
prend le pas sur le
« nous »
Dès lors que la typologie de DUVERGER est reconnue obsolète, il s’agit de
trouver d’autres outils d’analyse des partis. Sur ce point, quatre tentatives
de renouvellement des catégories d’analyse peuvent être présentées.
1/ D’abord la notion de « catch all parties » (parti attrape tout) de Otto
KIRCHHEIMER. Elle désigne des organisations qui diversifient leur offre
idéologique (sociale et libérale par exemple) et délaissent les références
dites « de classe » trop marquées pour puiser des électeurs dans de
multiples groupes sociaux. En outre le rôle des leaders, spécialistes de
communication politique, y est plus valorisé que les militants.
Mais l’analyse est discutable, en ce sens que :
• d’une part le recentrage pour disputer des voix aux partis concurrents
concerne tous les partis de gouvernement (Daniel Louis SEILER) - tous
catch all parties ? Et ainsi cela ne les distingue que des « partis outsiders ».
• d’autre part il s’agit d’une catégorie fourre tout qui enjolive le sens
commun politicien – « ratisser large » selon Michel OFFERLE.
Les nouvelles catégories d’analyse des partis politiques… suite
2/ Selon Richard KATZ et Peter MAIR la tendance serait au « parti cartel »,
partis nés du regroupement de plusieurs partis (RPR + composantes de l’UDF
= UMP en 2002, devenus LR à la suite). Avec le financement public de la vie
politique en Europe, la seule façon d’exister est de capter les ressources de
l’État en se regroupant pour former des partis de gouvernement.
La formation de partis cartels (après les partis de cadres, de masses, et
attrape tout) serait aussi à l’origine de réaction anti - cartel, anti - système,
anti-establishment (montée de l’extrême droite et de partis « populistes »).
Mais le modèle n’est pas pleinement validé (Yann AUCANTE, Alexandre
DEZE), car d’une part le financement public n’a pas partout les mêmes
effets ; d’autre part la cartellisation a pu précéder ou suivre le financement
public des campagnes électorales ; enfin la cartellisation n’a pas toujours
lieu. Il est donc possible de parle de semi – cartellisation, sans généraliser
une explication loin de s’appliquer partout.
Les nouvelles catégories d’analyse des partis politiques… suite
3/ Le modèle dominant jusqu’à récemment est celui du parti électoral
professionnel (Angelo PANEBIANCO), avec deux caractéristiques :
• les militants bénévoles sont en nombre réduit, comme dans les partis de
cadres, et la discipline y est forte comme dans les partis de masses ;
• la compétition pour les investitures (fonction de sélection du personnel
dirigeant) se réalise toujours selon une logique sociale (inégales dotation
de capital, de genre) : plus on s’élève dans la hiérarchie, moins on
ressemble (sociologiquement) aux militants.
Toutefois, l’émergence de nouvelles organisations partisanes qui ont connu
des succès électoraux et parfois exercé des fonctions de gouvernement
(PODEMOS en Espagne, CINQUE STELLE en Italie, LREM en France) suppose
de réfléchir à un nouveau type d’organisation partisane, qui ne correspond
pas pleinement au modèle du parti électoral professionnel (PANEBIANCO).
Les nouvelles catégories d’analyse des partis politiques… fin
4/ Il n’existe pas de classification stabilisée pour ces nouveaux partis, parfois
appelés « partis mouvements », « partis professionnels démocratiques »,
« partis contestataire professionnalisé ». Que sont ces nouveaux partis ?
• Ils rejettent le label partisan et préfèrent le « mouvementisme » : ils
refusent (stratégiquement) de se définir comme des partis envers lesquels
la confiance des citoyens est parfois érodée ;
• Ils cherchent à concilier horizontalité participative (militants connectés,
PODEMOS) et efficacité décisionnelle (la direction centralisée qui rétribue
les militants via les investitures). Ils sont crées par le haut (LREM) avec un
leader qui crée une organisation pour le soutenir ;
• Ils refusent d’afficher une doctrine et entendent représenter le peuple
hors du clivage droite / gauche ;
• Il se caractérisent par une forte centralisation : pas de courants, aucun
débat sur le leadership qui apparaît naturel. En interne peuvent être
valorisées des modèles variables (entrepreneurial à LREM, activisme
militant à la FI).
B/ La participation politique dans les organisations partisanes
a/ Leadership et division du travail politique
Max WEBER distinguait le chef charismatique (dont la position est liée à la
confiance suscitée par sa personne et aux qualités qui lui sont prêtées) et
l’entrepreneur politique (qui cherche à contrôler le parti pour contrôler ses
ressources). Roberto MICHELS a montré que, les organisations partisanes
ayant besoin d’élus et de permanents disposant de la compétence, passent
d’une organisation démocratique à une organisation oligarchique - la loi
d’airain de l’oligarchie. Ces analyses classiques sont aujourd’hui prolongées :
1/ Etre leader c’est contrôler les ressources (financières, symboliques, label,
investitures) d’une « entreprise partisane » pour la conquête des mandats.
Mais ces ressources sont fragiles parce qu’elles dépendent des résultats du
SU. Le leadership en dépend également, surtout lorsqu’il s’agit d’un
leadership omnipotent, avec un parti identifié au nom du leader.
2/ La position se conquiers par étapes (cursus militant, filière notabiliaire,
expériences politiques ou para politiques), mais les chances du leadership
varient avec certaines caractéristiques sociales.
b/ Engagement et mutations du militantisme
Deux analyses de l’investissement et du désinvestissement dans les partis :
1/ La première est fondée sur la distinction entre partis de gouvernement et
partis outsiders : les premiers peuvent avoir des militants ambitieux qui
savent profiter des rétributions du militantisme (postes de permanents,
investitures, autre), les seconds, sans ressources, devant se contenter de
rétributions symboliques (estime de soi) ; en outre l’engagement dans ces
partis dépend du cycle de vie, et il s’agit de gérer un « turn over » militant.
2/La seconde sur les transformations du militantisme depuis l’après 1968.
Le fort investissement de ces années s’explique par la résistance à la
domination gaulliste, la massification de l’enseignement supérieur qui fait
baisser le rendement des diplômes et tarit les espoirs de promotion sociale
des nouveaux entrants (socialisation militante et cohérence idéologique via
le marxisme). Avec la hausse du chômage (1973), l’entrée de ces militants
dans la vie active et l’alternance (1981), c’est plutôt le désinvestissement
militant contrarié par l’ éclosion du mouvement altermondialisation.
2. Sociologie historique du phénomène partisan
A/ L’émergence des partis politiques
a/ Partis politiques et clivages sociaux
Nos sociétés sont traversées par des clivages (travail/capital, laïcs/cléricaux)
qui peuvent s’exprimer diversement selon les lieux, les époques, les sociétés.
Ces clivages peuvent être définis comme des principes de division durables
des comportements politiques et de la compétition électorale, fondées sur
des valeurs, des intérêts, des structures sociales.
Selon Stein ROKKAN, dont l’analyse est reprise en France par Daniel Louis
SEILER, il existe dans les sociétés occidentales deux conflits historiques
majeurs – la construction nationale et la révolution industrielle, chacun
ayant engendré deux clivages. Et les partis politiques seraient nés pour
représenter les groupes sociaux (laïcs, cléricaux, patronat, ouvriers, paysans,
urbains…) nés de ces clivages.
On présente l’analyse de ROKKAN dans le tableau qui suit :
Les clivages à l’origine des partis politiques selon Stein ROKKAN

CONSTRUCTION NATIONALE REVOLUTION INDUSTRIELLE


Clivage État / Eglise (Laïcs/cléricaux), par exemple Clivage Urbain / Rural, qui a pratiquement disparu en
très fort en France sous la IIIe République (partis France en dépit de candidats dits de la « ruralité »
cléricaux situés à droite et partis anticléricaux situés (CPNT). Le clivage, né de la révolution industrielle,
à gauche), étape capitale en matière de laïcisation de provoque un exode rural qui brise les anciennes
la société (loi de 1905 relative à la séparation de solidarités villageoises (passage de la solidarité
l’Eglise et de l’Etat). mécanique à la solidarité organique chez
DURKHEIM).
Clivage Centre / Périphérie, qui historiquement Clivage travail / capital. Historiquement les partis
traverse, en France, la droite (gaullistes et libéraux) et ouvriers représentent ceux qui louent leur force de
la gauche (jacobins et girondins) autour de la travail, les partis libéraux représentant ceux qui
question de la centralisation. possèdent la propriété privée des moyens de
Dans un pays comme l’Espagne, le clivage reste très production. C’est le clivage « de classe » (MARX), qui
actif, avec des partis autonomistes en Catalogne et au distingue les groupes sociaux selon l’origine de leurs
Pays Basque notamment. revenus (revenus du travail, du capital, de la terre).
Application de l’analyse des clivages à l’origine des partis (ROKKAN)
L’analyse de ROKKAN en question : prolongements et critiques
1/ Avec la naissance des « partis attrape tout » et des programmes mixtes,
les partis occidentaux naissent de ces clivages puis se réalignent et
modifient leurs programmes (SEILER, ROKKAN) ;
2/ De nouvelles valeurs sont portées par les partis modernes : post –
matérialistes pour des partis écologistes ou sociaux démocrates, autoritaires
et ultralibérales pour des partis comme Forza Italia ;
3/ Certains clivages peuvent perdre de leur vigueur sans disparaitre (Laïcs et
Cléricaux en France), d’autres peuvent perdurer et être moins visibles
(travail et capital) ;
4/ La typologie n’est pas fondée sur 1 variable (droite/gauche) mais sur
plusieurs, ce qui permet une lecture plus sophistiquée du phénomène
partisan ;
5/ La critique vient de Michel OFFERLE selon lequel la typologie est fondée
sur les étiquettes que se donnent à elles mêmes les organisations
partisanes (CDU démocrate chrétienne ? Ou placer le FN où les « ni droite ni
gauche » ?).
b/ Partis, suffrage universel et professionnalisation de la politique
1/ Les partis peuvent être considérés comme les enfants du SU (WEBER),
même si parfois, comme dans les pays scandinaves, ils existent avant.
2/ Le SU, et les indemnités aux élus, favorisent l’émergence de
professionnels qui remplacent des notables – qui faisaient de la politique en
amateurs : on retiendra la distinction entre « vivre pour » ou « vivre de » la
politique (WEBER). D’où le passage du « dilettante au spécialiste » (Jean
JOANNA), et à la suite le besoin du soutien des partis pour des élus qui se
professionnalisent, s’implantent et à leur tour se notabilisent (fiefs, barons
locaux).
3/ Avec la professionnalisation les partis deviennent des acteurs centraux
de la vie politique, et la professionnalisation des élus est progressivement
étendue aux auxiliaires (assistants parlementaires, instituts de sondages,
agences de communication). Le métier suppose aussi des compétences
pratiques (droit, économie, lobbying, communication…).
B/ Les partis, du système politique à l’ancrage social
a/ Les systèmes partisans
Définition : « Un ensemble structuré de relations d’opposition ou de
coopération qui existent entre les partis au sein d’une société politique » -
ce qui exclu le « parti unique » en position monopolistique.
1/ Ces relations sont variables, puisqu’un parti « centriste » sert parfois
d’arbitre (la « démocratie chrétienne » participe à toutes les coalitions
pendant 40 ans en Italie) ; ailleurs ont longtemps existé des coalitions à
droite et à gauche (France).
2/ Pourquoi certains systèmes sont-ils bipartisans (deux grands partis
alternent au gouvernement), comme aux Etats – Unis ou en Grande
Bretagne, d’autres sont multi-partisans avec un plus grand nombre de partis
en compétition, comme en Italie, en France, en Belgique, etc. Maurice
DUVERGER pensait que le bipartisme était la conséquence logique du clivage
droite / gauche, un parti devant finir par s’imposer pour représenter chaque
tendance. Surtout, il a établi une « loi » sur les systèmes partisans.
Une explication exemplifiée de la « loi » de DUVERGER
ORGANISATION SCRUTINS ET RÉSULTATS COMMENTAIRES
L’électeur choisit parmi Candidat A : 35 % Le candidat A est élu à
des candidats. Est élu au Candidat B : 25 % l’issue du premier tour.
SCRUTIN MAJORITAIRE premier tour celui qui a la Candidat C : 15 % Les partis outsiders (C, D
UNINOMINAL À UN majorité des voix – donc Candidat D : 10 % et E) sont laminés, les
TOUR élection possible à la Candidat E : 5 % partis de gouvernement
majorité relative. (A et B) surreprésentés
L’électeur choisit parmi Candidat A : 35 % Un second tour permet
SCRUTIN MAJORITAIRE des candidats. Est élu Candidat B : 25 % de départager A et B, qui
UNINOMINAL À DEUX celui qui a la majorité Candidat C : 15 % vont chercher les reports
TOURS absolue, au premier ou Candidat D : 10 % des voix de C, D et E. La
au second tour. Candidat E : 5 % distorsion est moins forte
L’électeur choisit parmi Liste A : 35 % A doit avoir autours de
des listes de candidats. Il Liste B : 25 % 35 % des élus, B 25 %,
SCRUTIN s’agit ensuite de Liste C : 15 % etc. Les listes C, D et E
PROPORTIONNEL représenter les listes, à Liste D : 10 % sont représentés. Les
proportion des résultats Liste E : 5 % alliances dans les
obtenus, au parlement. assemblées font, ici, les
majorités.
La « loi » de DUVERGER

Les modes de …les propriétés


scrutin… des systèmes
partisans
Majoritaire
uninominal à un …expliquent
tour Système bipartisan
Majoritaire Système de
uninominal à deux coalitions
tours Système multi-
Proportionnel partisan
Commentaires, critiques et prolongements de la « loi » de DUVERGER
Maurice DUVERGER établit une « loi » : les modes de scrutin expliquent les
propriétés des systèmes partisans. Mais d’une part cette corrélation ne
« colle » pas toujours à la réalité (législatives de 2010 en GB avec l’irruption
des libéraux, plus tard recomposition autours de la question du Brexit) ;
d’autre part la relation peut être inversée, pour considérer que les systèmes
partisans expliquent les choix des modes de scrutin. En effet aux EU ni les
républicains ni les démocrates n’ont intérêt à l’adoption d’un autre mode de
scrutin (ils perdraient leur hégémonie) ; et dans des pays comme la Belgique
un scrutin majoritaire à un tour aurait pour effet d’écarter une grande partie
des citoyens (résultats abérants).
3/ Giovanni SARTORI a repris et affiné ce travail, en reprenant les mêmes
catégories (bipartisme et multipartisme) mais en modifiant la définition.
Une assemblée peut compter 5 partis représentés et correspondre à un
système bipartisan si, quel que soit le nombre de partis qui ont des élus, il
fonctionne avec l’alternance au gouvernement de deux grands partis. Le
bipartisme parfait (EU) est d’ailleurs rare car des « partis outsiders » peuvent
survivre en captant le mécontentement populaire (sans accéder au pouvoir).
b/ Une approche relationnelle des partis politiques
1/ Le travail de représentation des groupes sociaux par les partis varie selon
les sociétés. En France les droits sociaux des ouvriers sont défendus par le
PC. Il s’implante dans des bastions à forte main d’œuvre ouvrière et tente de
produire une vision unifiée de la « classe » ; aux EU, les droits sociaux des
ouvriers d’origine européenne (classe constituée avant l’émancipation des
noirs) sont défendus par des syndicats et des partis sociaux démocrates, les
mouvements plus radicaux soutiennent les droits civiques pour les noirs.
D’où l’absence de PC aux EU (SOMBART).
2/ La construction des partis dépend donc des réseaux sur lesquels ils
s’appuient : les partis sont ainsi des réseaux objectivés de relations sociales
existant via la mobilisation de groupes hétéroclites. Après la chute de l’URSS,
le PCF s’effondre électoralement, mais ses réseaux (CGT, SNES, UNEF SE,
Secours populaire) restent ; ils sont investis dans le succès de la mobilisation
« alter mondialisation ». De même, Frédéric SAWICKI et Remy LEFEBVRE
expliquent les insuccès électoraux du parti socialiste (2002 – 2012) par le fait
de s’être coupé de ses réseaux !
Chapitre 4.
Du pouvoir politique à l’État occidental
1. Du pouvoir à la légitimation
A/ Des outils conceptuels pour saisir le pouvoir
a/ Des approches institutionnelles aux approches relationnelles
1/ L’approche institutionnelle fait du pouvoir le synonyme du gouvernement
- l’institution qui exerce le pouvoir. Analyse juridique, formelle qui décrypte
la production du droit, indispensable mais ne suffit pas (loi du 23/02/2005).
2/ L’approche substantialiste identifie le pouvoir à une sorte de capital. Or,
l’on ne peut disposer que de ressources qui permettent d’exercer le pouvoir :
le pouvoir ne se possède pas, il s’exerce.
3/ L’approche relationnelle, dite aussi interactionniste, est privilégiée en
science politique. Il s’agit d’aborder le pouvoir dans le cadre des relations ou
interactions sociales dans lesquelles il s’exerce et s’observe. Ainsi
appréhendé, le pouvoir est défini par Max WEBER comme « toute chance de
faire triompher au sein d’une relation sociale sa propre volonté, même
contre des résistances : peu importe sur quoi repose cette chance ».
Développements et implications de l’approche relationnelle
1/ Le pouvoir comme restriction à la liberté d’autrui. L’équilibre État et
individu aboutit aux droits de l’homme et à l’État de droit. Ce qui suppose
que l’État protège les libertés individuelles, et que le pouvoir repose sur le
consentement (et sous réserve de vérifier qu’il n’y ait pas pas de
consentement par crainte).
2/ Robert DAHL (Qui gouverne ?) produit une définition comportementaliste
(behaviorism) : A exerce un pouvoir sur B s’il obtient de B une action qu’il
n’aurait pas effectué sans l’intervention de A. Mais il reste :
• l’effet Caméléon : bien informé, tel leader d’un groupe parlementaire sait
que les députés qui le composent vont déposer une proposition de loi ; il la
dépose lui-même et donne une impression de leadership. La politique est
aussi une activité symbolique qui consiste à « donner impression » ;
• si A et B ont les mêmes intérêts, comment prouver le rôle de A dans la
décision de B ? Ici, l’analyse prend une autre dimension en intégrant ne
notion fondamentale, celle d’idéologie.
Développements et implications de l’approche relationnelle, suite
En effet :
• si A modifie la perception par B de ses intérêts au point que B identifie ses
intérêts à ceux de A (Steven LUKES), le pouvoir s’exerce de manière invisible
• si les classes dominées adoptent les aspirations des classes dominantes
(Ralph DARENDORF), même si cela peut aller contre leurs intérêts objectifs,
cela peut signifier qu’il existe des instances de production et de diffusion
(État, partis, forums, fondations, médias, think tanks) d’une idéologie
dominante ; d’une conception du monde qui traduit les intérêts des
classes dominantes susceptible d’être adoptée par des classes dominées.
3/ L’exercice du pouvoir peut aussi traduire la manifestation d’un échange
inégal (Peter BLAU). Ici c’est le déséquilibre de l’échange qui traduit le
pouvoir exercé, en raison de l’asymétrie des ressources disponibles (François
CHAZEL) : en période de fort chômage, les salariés peuvent rarement obtenir
des hausses de salaire, qu’ils obtiennent assez facilement en situation de
plein emploi.
b/ Pouvoir d’injonction, pouvoir d’influence et violence symbolique

POUVOIR D’INJONCTION POUVOIR D’INFLUENCE


S’exerce via l’ordre, la prescription. S’exerce par la suggestion, la
Doit émaner d’une autorité séduction, repose sur la
FORME crédible. La règle juridique est persuasion et l’autorité légitime. Il
l’injonction la plus fortement peut être lié au charisme ou à la
institutionnalisée compétence

Sanction négative qui inflige un Sanction positive qui consiste a


dommage à celui qui refuse d’obéir accorder une récompense en cas
SANCTION (usage de la force par la police, d’acceptation. La sanction positive
sanctions infligées par les améliore la situation en cas de
tribunaux) consentement

Contrainte, coercition, ressources Persuasion via l’usage de


FONDEMENT pour imposer l’application de la ressources matérielles et
décision symboliques.
Injonction, influence et l’alternative de la « violence symbolique »
1/ Il en ressort que le pouvoir politique, sous sa forme étatique, est un
pouvoir d’injonction : la « loi » dispose, je juge « ordonne », l’administration
« contraint » au paiement de l’impôt (« à payer avant le »). A l’inverse le
pouvoir syndical, ou le pouvoir médiatique sont des pouvoirs d’influence :
des acteurs qui peuvent utiliser leurs ressources pour tenter de convaincre,
influencer, persuader.
2/ Pierre BOURDIEU estime également que la coupure entre injonction et
influence peu être réductrice, voir naïve, et qu’il existe des cas où elle peut
être dépassée. Ce sont les situations dites de « violence symbolique » où le
pouvoir s’exerce de manière invisible, car ceux qui se trouvent en position
dominante et ceux qui se trouvent en situation dominée partagent la
même vision de l’ordre social/politique. Par exemple quand d’anciennes
élites colonisées partagent la vision, déployée au sein de l’État colonisateur,
selon laquelle sa civilisation est supérieure à la leur ; où lorsque des femmes
estiment que les taches ménagères sont des taches féminines. Repérer la
violence symbolique suppose donc d’aborder des cadres mentaux (Habitus
chez BOURDIEU) et de voir comment ils se construisent, se transforment …
B/ Pouvoir, domination, légitimation
a/ Du pouvoir à la domination
Il s’agit de passer des interactions sociales situées (relations de pouvoir) aux
relations entre des groupes sociaux (classes, castes…), donc aux structures
sociales. La domination au sens de WEBER signifie toute chance pour des
ordres spécifiques (ordre bourgeois en classes, aristocratiques avec des
corps) de trouver obéissance de la part d’un groupe d’individus. Comment
analyser la domination de certains groupes sociaux sur d’autres ?
1/ Dans toute société existe une part de contrôle social : les individus se
contraignent eux même à l’obéissance parce qu’ils incorporent des règles
explicites (juridiques) ou socioculturelles (endogamie), à travers leur
socialisation : processus d’inculcation et d’incorporation de valeurs et de
codes culturels d’une communauté par des individus, qui façonne leur
système de représentation, leurs comportements, leurs pratiques. Processus
actif pendant l’enfance (socialisation primaire) qui se poursuit au cours de la
vie (socialisation secondaire) dans des espaces variés (travail, église …).
La socialisation politique recouvre trois dimensions de compréhension de
l’univers politique : 1/ l’identification du politique et l’intériorisation de la
contrainte considérée normale ou indispensable à la vie sociale, 2/
l’acquisition d’une compétence politique variable selon l’âge, le sexe, les
dotations en capital, et 3/ la formation des préférences politiques (libéral,
social, autorité, liberté) qui peuvent s’exprimer dans le vote.
2/ Mais les individus n’intègrent pas tous les mêmes règles, parce qu’ils sont
situés dans des espaces sociaux différenciés – les champs (P. BOURDIEU). La
définition d’un « bon livre » dans le « champ scientifique » repose sur la
reconnaissance des pairs, sur les ventes dans le « champ journalistique ». Le
« champ » est un espace social qui fonctionne avec ses propres règles
intériorisées par des agents en compétition pour des positions de pouvoir ;
elles sont intériorisées sous la forme d’habitus, système de pensée
impensés.
3/ De plus, les individus endossent des rôles (Bernard LAHIRE) qui peuvent
expliquer leurs comportements au sens ou le militant idéaliste, qui devient
un élu peut endosser l’habit du notable ou du gestionnaire : il a changé de
« rôle ».
4/ Quelles que soient les sociétés et les structures sociales, ceux sont
chargés de la régulation de la conflictualité sociale (« le » politique)
disposent essentiellement de la force et de persuasion (Georges BAILEY)
5/ Les sociétés « anciennes » sont segmentées en groupes homogènes
(tribus, clans, villages, ethnies), dotés d’une forte cohérence interne sur le
modèle de la communauté (Gemeinschaft, Ferdinand TONNIES), de la
solidarité mécanique (DURKHEIM). L’intégration politique est faible car le
pouvoir central, qui ne peut imposer un ordre politique (féodalité), n’est pas
un agent de socialisation (Norbert ELIAS, Ernst GELLNER). La régulation
sociale peut se faire dans les « communautés ».
Les sociétés « modernes » (Gesellschaft, TONNIES), à solidarité organique
(DURKHEIM), sont « sécularisées » (le politique autonome/religieux) et
fondées sur des liens contractuels. Ici disparaissent les solidarités anciennes,
l’État devient un centre politique qui régule la conflictualité sociale et
devient un agent de socialisation. L’intégration politique est plus forte.
Reste que si la domination, c’est bien la capacité de certains groupes à
rendre d’autres dépendants, encore faut-il que les groupes dominés
l’acceptent. Se pose alors la question de la légitimité.
b/ De la domination à la légitimation
A l’inverse de la question Why men rebel ?, il s’agit d’interroger pourquoi la
domination est acceptée, donc la légitimité ou l’acceptabilité sociale de la
domination. Part d’une typologie fondatrice de Max WEBER qui identifie 3
manières d’expliquer l’acceptation de l’autorité, 3 types de légitimité.
Tout d’abord l’autorité de l’« éternel hier », celle des coutumes sanctifiées par leur validité
immémoriale et par l’habitude enraciné en l’homme de les respecter. Tel est le « pouvoir
traditionnel » que le patriarche ou le seigneur terrien exerçaient autrefois. En second lieu l’autorité
fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d’un individu (le charisme) ; elle se caractérise par
le dévouement tout personnel des sujets à la cause d’un homme et par leur confiance en sa seule
personne en tant qu’elle se singularise par des qualités prodigieuses, par l’héroïsme ou par d’autres
particularités exemplaires qui font le chef. C’est là le pouvoir « charismatique » que le prophète
exerçait ou – dans le domaine politique – le chef de guerre élu, le souverain plébiscité, le grand
démagogue ou le chef d’un parti politique. Il y a enfin l’autorité qui s’impose en vertu de la
« légalité », en vertu de la croyance en la validité d’un statut légal et d’une « compétence » positive
fondée sur des règles établies rationnellement, en d’autres termes l’autorité fondée sur l’obéissance
qui s’acquitte des obligations conformes au statut établi.
Weber (M.), Le savant et le politique, Paris, Plon, 1959, p. 102.
Les trois types de légitimité de WEBER
1/ L’autorité de l’éternel hier correspond à ce que l’on nomme la légitimité
historique, celle qui repose sur l’habitude d’obéir, la routine, la durée : avec
le temps, certaines règles finissent par paraitre naturelles, comme la
dévolution du pouvoir royal selon la règle de succession héréditaire
socialement admise ; c’est le processus de naturalisation de la domination.
Reste que tout régime politique a besoin de temps pour acquérir une
légitimité : la IIIe République, instaurée en 1875 au sein d’une France
majoritairement monarchiste, acquiers progressivement une légitimité.
Egalement associée à la tradition (transmission de la culture), la légitimité
historique repose sur l’oubli des origines de la domination, donc sur une
forme de brouillage par méconnaissance. C’est la raison pour laquelle
l’histoire (discipline) peut permettre de dénaturaliser la domination. Le sud
Italien, que des gens du nord disent peuplé de terroni, a été appauvri par le
système fiscal mis en place au moment de l’unité italienne (1865).
Les trois types de légitimité de WEBER, suite …
2/ La légitimité en vertu du charisme (« grâce ») du chef. Des qualités
exceptionnelles sont prêtées aux « chefs charismatiques » (Napoléon,
Mussolini, De Gaulle, Gandhi, Moïse). C’est le chef qui est éclairé par les
projecteurs, mais c’est du peuple que vient la lumière qui le grandit
(BURDEAU) - cette autorité vient « d’en bas ». Peu importe que ces qualités
existent ou non, l’important est que la croyance peut produire des effets
réels (De Gaulle fait remonter le Franc) au point qu’un chef charismatique
peut parfois aller contre la tradition (c’est écrit, je vous dit !). Ici le message
importe moins que celui qui le délivre : entre le peuple et le chef, le lien est
affectif (« communauté d’amour », « communauté émotionnelle », dévotion
quasi religieuse des paysans qui voient Napoléon III comme un demi Dieu -
MARX). Le Charisme peut disparaître à la mort du chef (lié à sa personne –
Hitler), se transformer en tradition (sert le prestige de l’institution – du
prophète au prêtre) ou en domination légale (De Staline à Khrouchtchev).
Les trois types de légitimité de WEBER, suite …
3/ Reste la légitimité dite « légale rationnelle », qui s’impose en vertu de
l’acceptation de règles légalement établies. Celle dont se prévalent les
dirigeants élus dans les démocraties où le consentement à la domination
repose sur l’acceptation collective du « verdict des urnes ». Deux conditions :
• d’une part que le principe du vote, comme modalité de régulation de la
conflictualité sociale, soit reconnu et accepté ; aux EU, plusieurs présidents
assassinés (Lincoln 1965 ; Garfield 1881 ; Mac Kinley 1901, Kennedy 1963),
ce qui montre que la socialisation des principes démocratiques est longue.
• d’autre part que les procédures légalement en vigueur pour accéder aux
mandats électifs soient respectées – en excluant la fraude électorale, …
La légitimité « légale rationnelle » correspond à ce que WEBER appelle la
domination bureaucratique (État occidental), par distinction avec la
domination traditionnelle et la domination charismatique.
Les trois types de légitimité de WEBER, fin
L’idéal – type est un « tableau de pensée », un outil intellectuel destiné à
apprécier la complexité de la réalité. Le « type pur » n’existant pas, la
légitimité d’un pouvoir, d’un chef ou d’un régime s’analyse en se demandant
dans quelle mesure elle correspond au charisme, à l’histoire ou à la légalité
(De Gaulle). De plus les sciences sociales et historiques (PASSERON) portent
sur des sociétés qui se transforment ; il s’agit donc aussi d’aborder les
changements (transitions démocratiques, arrivée de Hitler par les urnes…).

LEGITIMITE HISTORIQUE LÉGITIMITE LIEE AU CHARISME LÉGITIMITÉ LÉGALE RATIONELLE


De Gaulle dans le registre du De Gaulle dans le registre de la De Gaulle dans le registre du chef
sauveur via l’appel à la résistance prophétie auto réalisatrice. Il de l’État élu, accédant à la
française, depuis Londres, le 18 annonce que le franc ne sera pas présidence de la République selon
juin 1940 (« La France a perdu une dévalué, les opérateurs en les normes constitutionnelles et
bataille mais n’a pas perdu la achètent, sa valeur remonte légales en vigueur, au SUI en 1958,
guerre … ») (confiance) et il sera admis que De puis au SUD en 1965
Gaulle a fait remonter le franc …
Il est possible de prolonger l’analyse, de la légitimité à la légitimation
Passer de la légitimité (analyse synchronique) à la légitimation qui s’inscrit
dans la durée (analyse diachronique), permet d’envisager deux situations :
1/ La première : les processus de légitimation - processus par lequel une
domination devient légitime, dépendant de différents facteurs tels que
l’histoire (la durée nécessaire à la socialisation d’une croyance, à
l’acceptation progressive de la domination), les structures sociales ( un
régime politique a besoin de soutiens dans la société), et l’idéologie (où la
capacité de production et de diffusion d’une idéologie dominante).
2/ La seconde : les « crises » de légitimité, qui dépendent des mêmes
facteurs, mais en sens inverse : érosion des croyances ou des idéologies qui
rendent la domination acceptable, érosion des soutiens dans la société,
enfin un évènement dans le « temps court » (le printemps arabe fin 2010,
suite d’un jeune tunisien qui s’immole) qui, hors crise, ne déclencherait rien.
Processus de légitimation et crises de légitimité : quelques exemples
PROCESSUS DE LEGITIMATION CRISES DE LÉGITIMITÉ

HISTOIRE ET ACCEPTATION DE LA III e République née au sein d’une


DOMINATION DANS LE « TEMPS AN monarchiste, légitimée via
LONG » - « TEMPS SOCIAL » AU l’histoire officielle, la mémoire
SENS DE FERNAND BRAUDEL collective, la promotion d’un
modèle de citoyenneté
STRUCTURES SOCIALES ET Soutiens de Napoléon III par des Perte progressive de tous ses
SOUTIENS D’UN RÉGIME classes en concurrence - paysans, soutiens car il prend aux uns ce
bourgeois, ouvriers (MARX) qu’il donne aux autres (MARX)
PRODUCTION ET DIFFUSION L’idéologie libérale réformiste L’idéologie libérale retrouve des
D’UNE IDÉOLOGIE DOMINANTE (changements consentis),bouclier/ concurrents après la chute du mur
(MARX, BOURDIEU, DARENDORF) forces anti-systémiques - fascisme de Berlin et une économie monde
et bolchévisme (WALLERSTEIN) capitaliste unique (WALLERSTEIN)
ELEMENT DÉCLENCHEUR DE LA 13 mai 1958 (fin de la IVe
CRISE DANS LE « TEMPS COURT » - République), immolation d’un
TEMPS INDIVIDUEL DE BRAUDEL jeune tunisien (printemps arabe)
2. L’État occidental ou la sociogenèse d’un pouvoir politique
A/ Un processus « multifactoriel »
La naissance de l’État occidental s’explique la conjonction de plusieurs
facteurs ; il s’agit d’un processus qui ne relève pas de l’intention des acteurs.
a/ Economie, politique, religion : l’enchevêtrement des facteurs
Les facteurs économiques et religieux sont primordiaux, l’émergence de
l’État étant favorisé en Europe par deux facteurs (ROKKAN) : 1/ la distance à
l’Eglise catholique de Rome, dont l’influence freine le développement de la
bureaucratie (unité italienne en 1865), et 2/ la distance aux riches « cités –
État » indépendantes (République de Florence) qui protègent leur autonomie
et freinent l’éclosion de l’État. Ainsi, un centre fort dominant d’autres villes, à
distance de Rome, constitue un contexte favorable à la construction de l’État
(France) ; un réseau fragmenté de cités indépendantes et une forte influence
de l’Eglise rend l’étatisation plus difficile (Italie, Espagne).
Economie, politique, religion : l’enchevêtrement des facteurs, suite
Comment rendre compte du rôle de chacun des facteurs ?
1/ Les facteurs économiques sont mis en évidence par Immanuel
WALLERSTEIN, et d’autres (Fernand BRAUDEL), en s’inspirant de MARX et
ENGELS précisant que le mode de production de la vie matérielle conditionne
les formes de domination politique – l’économique conditionne le politique.
WALLERSTEIN montre que dès la seconde partie du XV e siècle, la plupart
des sociétés européennes sont insérées à des espaces économiques (et
politiques) élargis qui prennent la forme :
• des empires monde, contrôle militaire et fiscal de l’ensemble des sociétés
• des économies monde, zones d’interdépendance économique ou les
échanges commerciaux se développent plus vite qu’ailleurs. En Europe, à la
fin du XV e siècle, il existe une économie monde avec, au centre, un mode
de production capitaliste avancé, et à la périphérie des sociétés agraires qui
fournissent les céréales et les matières premières transformées au centre.
La loi de ces économies monde ? Les richesses convergent vers le centre,
vers les sociétés au centre qui captent la plu value.
Economie, politique, religion : l’enchevêtrement des facteurs, suite
• Au centre se trouvent l’Angleterre, la France septentrionale, les Flandres,
les Provinces Unies. L’afflux de richesses permet de prélever des impôts,
financer des bureaucraties spécialisées, constituer des flottes (deux
guerres au XVII e entre la GB et les Provinces Unies pour la suprématie) ; à
la périphérie l’Espagne où la Russie, des sociétés agricoles et des modes de
domination traditionnels pour intensifier la production, approvisionner le
centre – dont les élites de ces pays, gendarmes du système, sont les alliées.
L’État occidental nait au centre de cette économie monde capitaliste, et ses
caractéristiques dépendent des situations (Pierre BIRBAUM, Bertrand BADIE)
• Ceux (France, Prusse) où la résistance au capitalisme est forte (aristocratie)
développent des Etats absolutistes, des bureaucraties fortes pour l’imposer
• Ceux (Angleterre, Provinces Unies) où les résistances au capitalisme sont
faibles peuvent se passer d’un État très centralisé et bureaucratisé.
Economie, politique, religion : l’enchevêtrement des facteurs, suite
2/ Les facteurs culturels sont également décisifs pour deux raisons :
• La différenciation du politique et du religieux (BIRNBAUM et BADIE). L’État
moderne émerge en Europe parce que c’est là qu’est progressivement
affirmé l’autonomie de deux champs d’activité, le spirituel (la religion, les
affaires célestes) et le temporel (le politique, les affaires terrestres) – à la
suite de Saint Thomas d’Aquin annonçant au XIII e la sécularisation du
politique (le pouvoir vient de Dieu mais s’exerce par l’intermédiaire du
peuple). Le pouvoir politique va pouvoir défendre ses prérogative (/Eglise),
la société politique devient un espace régit par ses propres lois qui ne
dépendent progressivement plus de la morale religieuse (la « fin de la
morale religieuse » pour Jürgen HABERMAS) mais d’un « contrat » (donc de
la volonté des hommes).
En France l’autonomisation du politique/religieux prend la forme du
Gallicanisme (XVIIe) : le Pape n’a qu’un pouvoir spirituel et l’organisation de
l’Eglise en France doit être autonome du Vatican.
Economie, politique, religion : l’enchevêtrement des facteurs, suite
• Les conséquences de l’éclatement dans le monde chrétien (protestants /
catholiques). Max WEBER montre parfaitement qu’il existe un lien entre
l’implantation du protestantisme et les conditions du développement du
capitalisme – lui-même indispensable à l’émergence de l’État : l’esprit du
capitalisme - comment concevoir qu’un revenu puisse n’être ni consommé
ni épargné mais investi - précède un peu partout le mode de production.
WEBER débusque dans la prédication de Luther que le summum de la morale
chrétienne n’est pas de gagner de l’argent pour en profiter ostensiblement,
mais pour montrer à Dieu sa capacité de réussite terrestre : ce qui favorise
le processus d’investissement et d’accumulation capitaliste.
Ainsi le protestantisme n’a pas crée le capitalisme. Cet ascétisme religieux
permet de penser autrement (concevoir un enrichissement), crée les
conditions mentales à l’apparition de motivations à l’enrichissement. Le
protestantisme sera aussi réprimé : le 24/08/1572, 30 000 morts protestants
massacrés à Paris sur ordre du Roi (la Saint Barthélemy).
b/ Processus de monopolisation et trajectoires d’étatisation
Le processus de formation d’un État disposant du monopole de la violence
(WEBER), du monopole fiscal (ELIAS), voir de l’éducation (GELLNER), repose
sur la destruction de la féodalité. Il est théorisé par Norbert ELIAS via le cas
de la France.
1/ La féodalité est caractérisée par l’existence de petites unités territoriales.
L’ordre social repose sur des liens de loyauté au Seigneur local (serment),
sur des liens culturels (religion). Le pouvoir central est incapable d’imposer
un arbitrage pour limiter la violence (territoires que le Roi ne contrôle pas).
La noblesse exalte les qualité guerrières, et les Seigneurs locaux sont en
concurrence : ils veulent conquérir les terres du voisin pour s’approprier ses
ressources (militaires, économiques), ne pas être éliminé de la compétition
par un voisin expansionniste : « qui n’avance pas recule » (ELIAS)
2/ La construction du Royaume de France illustre (XII e) le processus de
monopolisation (profit du Roi) : Louis XI impose (guerre) son autorité aux
Seigneurs d’Ile de France, capte leurs ressources, entre en compétition/autres
Les Capétiens vont ensuite s’imposer /maisons de Maine, de Blois, de
Normandie, des Flandres … et contrôler tout le territoire (Monopoles) - avec
l’appui financier de l’Eglise. Mais les trajectoires d’étatisation varient :
1/ La destruction de la féodalité engendre la construction de l’État si un
centre politique est capable de l’imposer (France) : quand la féodalité se
disloque, l’empereur Charles Quint est incapable d’imposer un ordre
centralisé.
2/ La construction de l’État génère des Etats absolutistes, bureaucratisés,
d’autres moins, selon la résistance au capitalisme – BADIE et BIRNBAUM.
3/ Enfin Charles TILLY a pu identifier trois trajectoires d’étatisation.
• L’État fort et centralisé, avec une faible différenciation avec l’Eglise, allié à
la noblesse (maintien de la féodalité) - Europe Orientale, Pologne, Russie
• L’État mise sur le commerce, la construction d’un État fort limitée par une
faible différenciation/Eglise + la puissance des cités (Italie, Provinces Unies)
• L’État fort, bureaucratisé, différencié/l’Eglise : le développement de
l’économie fourni les moyens au centre d’imposer un ordre social (France)
B/ Domination bureaucratique, pacification de la société et
transformations de l’Etat
a/ De la domination bureaucratique à la pacification de la société
L’État occidental, né en Europe à partir du XV e, est celui qui correspond le
mieux à l’idéal type de la domination bureaucratique (Max WEBER).
1/ L’activité de l’administration et des fonctions publiques est continue ;
2/ Il existe un principe de hiérarchie administrative (A, B, C) en vertu duquel
toute autorité est contrôlée (contrôle hiérarchique du donneur d’ordre) ;
3/ Les rôle politiques sont spécialisés, et les agents chargés de faire appliquer
les règles sont recrutés selon le principe de la compétence ;
4/ Un pouvoir institutionnalisé, non exercé à titre de prérogative personnelle ;
5/ La gestion administrative doit reposer sur des documents écrits (lisibilité) ;
6/ Le pouvoir est dépatrimonialisé (le patrimoine de l’État est distinct de celui
des dirigeants).
De la domination bureaucratique à la pacification de la société, suite
L’émergence progressive de ce nouvel État (où le monopole fiscal permet une
activité de l’administration continue, hiérarchisée et contrôlée, où le
recrutement des fonctionnaires n’est pas le fait du Prince mais repose sur la
compétence, où les rôles politiques sont spécialisés, où un centre politique
monopolise la coercition et impose un ordre à la société, ou le pouvoir est
dépatrimonialisé) va avoir des implications.
1/ Le passage à un nouvel ordre social où la compétition économique
remplace les affrontements par l’épée : l’État produit et fait appliquer les
règles de la compétition (pacifiée) entre les hommes :
• Les échanges se développent, de nouvelles couches sociales (commerçants,
fonctionnaires) émergent. L’activité productive est favorisée par l’État qui
sécurise les transactions, pour le développement de l’économie marchande ;
• L’État arbitre les conflits qui ne peuvent plus se régler par les acteurs : la
violence est prohibée dans les relations privées, et son usage sanctionné.
De la domination bureaucratique à la pacification de la société, suite
• Le monopole fiscal et le monopole de la violence physique légitime sont
liés : l’impôt finance l’État, donc un appareil de contrainte (justice, police)
qui lui assure la capacité à prélever l’impôt
• Les transformations se réalisent sur fond de concurrence entre Noblesse et
Bourgeoise, variable selon les trajectoires des Etats / des nations.
En Allemagne la bourgeoisie, méprisée par la Noblesse, est exclue de la
société de cour ; devenue la « classe dominante », il s’agit de promouvoir sa
conception du monde par des « œuvres de l’esprit », où se trouve
notamment valorisé le « comportement national allemand ».
En France, la bourgeoisie, depuis longtemps intégrée à la « société de cour »,
s’appui sur les mêmes codes sociaux (manières de table, politesse) déjà
incorporés et déjà considérés constitutifs du « caractère national ».
En Espagne, le centre (Castille) fortement étatisé, pas certaines périphéries
comme la Catalogne – et pas de construction nationale : Juan LINZ distingue
ainsi le « state building » et le « nation building » via le cas espagnol.
De la domination bureaucratique à la pacification de la société, suite
2/ La pacification de la société est liée au processus de civilisation (ELIAS).
• La spécialisation des fonctions rend les hommes interdépendants
(échanges) : leurs comportements doivent s’accorder, l’arbitrage des
conflits par l’État les pousse au contrôle, au refoulement des pulsions.
• L’État sanctionne la violence dans les relations privées : les hommes
apprennent à se surveiller, vivre en fonction des conséquences de leurs
actes : ils intériorisent la contrainte (autocontrainte), refoulent l’agressivité
(et les plaisirs associés). La vie devient moins pulsionnelle, plus sécurisée.
• La diffusion du processus, 1. dans l’ensemble des couches de la société,
depuis la noblesse (curialisation des guerriers) aux autres, et 2. hors de
l’Occident à travers l’expansion coloniale. Psychique et social, le processus
s’accompagne d’un déplacement du seuil de la pudeur et de la formation
d’un surmoi - les comportements reposant sur des normes sociales
intériorisées. Mais il n’est peut être jamais achevé (FREUD, Malaise dans la
civilisation).
b/ Les transformations de l’État occidental
Cet État émerge au centre de l’économie monde européenne, grâce aux
richesses générées par le capitalisme, et les échanges internationaux
(WALLERSTEIN). Il est donc à la fois le produit de la mondialisation (J.F.
BAYART), qui a 5 siècles (comme l’État occidental), et aujourd’hui se trouve
en transformation dans le contexte de la mondialisation actuelle (financière).
1/ L’État gendarme est limité aux fonctions régaliennes (Justice, Sécurité). Il
s’est construit dans le cadre d’un modèle westphalien - Traité de Westphalie
de 1648, par lequel les Etats reconnaissent leurs frontières et leur
souveraineté, un différend se réglant pas une guerre. La construction de
l’Europe vise à y mettre fin.
2/ L’État stabilisateur, influencé par la théorie keynésienne, est celui qui, à
partir de la crise de 1929, entend réaliser les grands équilibres
macroéconomiques (croissance, plein emploi, balance des paiements,
inflation) par des combinaisons de politiques monétaires et et de politiques
budgétaires (Policy Mix).
Les transformations de l’État occidental, suite
3/ L’État stabilisateur se construit de façon concomitante avec l’État
providence, qui recherche le « bien être collectif » en procédant à des
prélèvements (impôts, cotisations sociales) et à de la redistribution
(prestations sociales, services publics). Il s’agit de modifier la répartition des
richesses et assurer l’universalité de certaines prestations (éducation) et
droits sociaux (sécurité sociale : famille, retraites, maladie).
4/ La tendance actuelle est à l’État régulateur, illustré par les EU (loi anti-
trust, loi sur la protection du consommateur), aujourd’hui par l’UE. Il s’agit :
• D’élaborer les règlementations nécessaires au fonctionnement de
l’économie de marché le plus proche possible de la concurrence « pure et
parfaite » (transparence de l‘information, lutte /monopole, externalités,
etc)
• Il s’agit moins de faire que de « faire faire » en donnant des prérogatives à
des agences de régulations ou aux autorités indépendantes auxquelles les
gouvernants assignent les objectifs à atteindre. Robert DAHL parle du
passage d’un système de participation citoyenne à « l’effectivness system ».
Chapitre 5
Les régimes politiques
Définition de la notion de régime politique : l’ensemble des éléments
d’ordre idéologique, institutionnel et sociologique qui concourent à la
formation d’un gouvernement, dans un pays donné à un moment donné
(Jean Louis QUERMONNE). Ce qui appelle précisions et commentaires :
• idéologique : l’idéologie libérale soutient les démocraties libérales,
l’idéologie socialiste soutenait les anciens régimes des pays de l’est ;
• institutionnel : un régime parlementaire est un régime de séparation
souple des pouvoirs, un régime présidentiel est fondé sur la séparation
stricte ; le régime politique de l’UE serait plutôt un régime de partage des
pouvoirs – entre Commission, Parlement, et Conseil (Paul MAGNETTE) ;
• sociologique : un régime politique ne peut exister durablement sans le
soutien de groupes sociaux. La France dirigée par les gaullistes s’appuie à la
fois sur les anciens résistants, les catholiques, la bourgeoisie et une partie
de la classe ouvrière catholique ; la France des notables (début XIXe)
décrire par André – Jean TUDESQ s’appuie essentiellement sur les
propriétaires terriens et la bourgeoisie (urbaine).
Une fois définie la notion, reste le problème de la classification des régimes.
1. Comment classer les régimes politiques ?
A la suite de la définition, reste le problème de l’historicité :
• Les partis politiques ou les élections sont abordés depuis + ou - un siècle,
un siècle et demi en science politique, soit pratiquement depuis qu’ils
existent ; Les mouvements sociaux depuis un demi siècle - ici un décalage
entre leur existence et leur étude (les obstacles à l’analyse déjà évoqués) ;
Enfin L’État (la souveraineté) fait l’objet de travaux anciens en philosophie
politique, histoire des idées politiques, théorie de l’État, et cela
indépendamment de l’existence d’une science politique (fin XIXe).
• Les régimes politiques sont, eux, étudiés depuis l’antiquité. Leur analyse
ne peut pas donc pas être présentée indépendamment de cela, même si
c’est pour dépasser les classifications anciennes. Que sait-on ? Que dans
l’antiquité les grecs (à Athènes) et les romains (à Rome) inventent
respectivement, et sans réellement communiquer, la démocratie et la
république. Or ces deux polities anciennes renvoient très directement à la
modernité politique (Philippe SEGUR) – c’est-à-dire aux sociétés actuelles.
A. Démocratie et République, des notions fondées dans l’antiquité
a/ La République
Inventée à Rome dans l’antiquité, la République prend fin avec l’arrivée de
Jules César (63 avant JC). Cette forme de gouvernement disparait pendant
plus d’un millénaire avant de réapparaître à la renaissance dans des cités-
État italiennes (République de Florence des Médicis). A la suite la forme
républicaine va être abondamment reprise. Ainsi il existe aujourd’hui des
républiques associées à des régimes, institutions et sociétés variables :
• La République Française est unitaire, tandis que la République Fédérale
d’Allemagne adopte la forme fédérale de l’État.
• La République islamique d’Iran est fondée sur l’islam (dans sa version
Chiite), tandis que la République Française, comme la République Turque,
adoptent la laïcité dans leur constitution. Mais la laïcité en Français (liberté
de conscience et neutralité de l’État) n’a pas le même sens que le terme
« Laiklik » en Turc (l’islam comme ciment culturel, mais sous le contrôle de
l’État). A noter que le terme n’existe pas en langue anglaise …
• La République existe dans une société « confrairique », à 90 % musulmane,
au Sénégal, comme dans une société d’immigration multiculturelle - les
Etats - Unis d’Amérique. Comment expliquer cette diversité ?
La République, suite

Sources :
Web - archives

Proclamation de la République du 21 septembre 1792, Loi fondamentale de la République Fédérale d’Allemagne,


République du Sénégal, Proclamation de la République romaine, organisation de la République islamique d’Iran
La République, suite
Les romains inventent la République dans une société où il existe un fort
conflit entre des classes sociales – entre l’aristocratie, représentée au Sénat,
et la plèbe, représentée aux Comices. Il s’agit, à travers l’adoption des lois, de
rechercher un équilibre entre des intérêts sociaux divergents.
• Sa stabilité pendant 5 siècles suscite l’admiration de MACHIAVEL. Selon lui la
République est stable parce qu’elle a su rendre productif le conflit social, et
en tirer de bonnes lois. A la demande du peuple les lois sont gravées dans
le marbre et visibles par tous les citoyens. La République, autrefois comme
aujourd’hui, consacre la primauté du droit.
• Le régime reste aristocratique mais les riches assument leur statut : ils
paient seuls des impôts, financent les conquêtes, leurs uniformes et leurs
armes (Claude NICOLET). La République impériale cherche à apaiser les
tensions sociales par la produit des conquêtes (Paul VEYNE, Moses FINLEY) .
• De cette expérience centrale il reste que la République est le régime du
bien commun par l’adhésion collective à la loi. Si la loi est adoptée par le
peuple où ses représentants, elle est démocratique ; si elle l’est par d’autres
voies, la République n’est pas démocratique.
b/ La démocratie
La démocratie est née à Athènes, cité de la spéculation philosophique sur la
théorie des régimes politiques. A Rome, à l’inverse, la devise était : « vivre
d’abord, philosopher ensuite » : des philosophes grecs ont été éconduits …
• Elle se définit comme le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le
peuple. Mais cela cache des disparités : la démocratie peut reposer sur les
principes de l’élection (démocraties occidentales) ; du tirage au sort (les
Grecs combinent vote et tirage au sort) ; de la délibération (philosophie
politique amérindienne où la recherche du consensus est préférée au
principe de majorité lié au vote).
• Historiquement elle est directe lorsque les citoyens votent les lois qui les
concernent. Selon ROUSSEAU, s’il y avait 10 000 citoyens, chacun devrait
exercer 1/10 000e de la souveraineté (Théorie de l’électorat droit). Reste
qu’à Athènes la citoyenneté est restreinte. La démocratie peut aussi être
représentative lorsque les citoyens élisent des représentants qui votent les
lois (démocraties actuelles). Ici l’électorat est une fonction qui n’est pas
forcément exercée par tous (Théorie de l’électorat fonction). Aujourd’hui
le SU a peu à peu remplacé les anciens suffrages restreints (censitaire,
capacitaire, sexiste, ethnique) dans les démocraties représentatives.
L’institutionnalisation des régimes
politiques démocratiques

Souveraineté nationale et séparation


des pouvoirs (souple régime Souveraineté populaire et
parlementaire, stricte présidentiel). hiérarchie des pouvoirs. Théorie
Théorie de l’électorat fonction de l’électorat droit

Démocratie semi-
Démocratie représentative représentative. Le
Démocratie directe Démocratie semi directe et
où le peuple désigne le référendum à
et vote des lois par représentants sous contrôle
titulaire des charges . l’initiative des élus.
le peuple sans (révocation, référendum
Mandat représentatif. Mandat
intermédiaires. Ici d’initiative populaire).
représentatif.
un exécutif commis Mandat impératif
B/ L’évolution de la classification des régimes politiques
Les sociétés antiques ont ainsi connu la démocratie, la république, mais aussi
la monarchie, l’aristocratie, la tyrannie … Comment les classer ?
a/ Du classement selon le nombre des dirigeants aux évolutions
Les premières classifications se fondent sur le nombre de dirigeants :
• La monarchie (Mono + Arché) est le commandement d’un seul ;
• L’aristocratie (Aristo + Cratos) est le gouvernement d’un petit nombre, les
meilleurs ;
• La ploutocratie (Ploutos + Cratos) est le gouvernement d’un petit nombre,
les riches ;
• La démocratie (Demos + Cratos) est le gouvernement du peuple, c’est-à-
dire de tous, de la multitude.
Progressivement vont être ajoutés de nouveaux critères pour perfectionner
les classifications : la nature du régime, la façon dont le pouvoir est exercé, le
principe du gouvernement … Deux exemple à la suite
Elaborée en observant l’existant, la classification d’ARISTOTE incorpore deux
critères : le nombre de dirigeants d’une part, et la façon dont le pouvoir est
exercé d’autre part (recherche de l’intérêt commun ou celui des dirigeants).
Ainsi avec les mêmes constitutions formelles, un régime peut adopter une
forme « pure » et une forme « dégradée » selon les usages du pouvoir.

Gouvernement Gouvernement Gouvernement du


d’un seul d’une minorité peuple
Recherche de Monarchie Aristocratie Politéia
l’intérêt commun
Recherche de
l’intérêt des Tyrannie Oligarchie Démocratie
dirigeants
Plus près des sociétés modernes dans le temps, MONTESQUIEU considère
que la question classique du nombre de dirigeants est secondaire, et utilise
deux critères : 1/ la nature de chaque gouvernement (comment le pouvoir
est exercé) et 2/ le principe de chaque gouvernement (ce qui fait agir les
dirigeants, les sentiments qui les animent).
République : Monarchie : Despotisme :
gouvernement du gouvernement d’un gouvernement d’un
peuple (démocratie) seul seul
ou d’une minorité
(aristocratie)
Nature du Loi respectée mais
gouvernement soumise à des Loi respectée Loi bafouée
transgressions
Principe du
gouvernement La vertu L’honneur La crainte

Conséquences Risques de Rôle modérateur des Ecrasement des corps


prévisibles débordements populaires corps intermédiaires intermédiaires
b/ Un classement selon la nature des régimes et l’exercice du pouvoir
Les classifications anciennes ne sont plus opératoires, car :
• La France et l’Allemagne sont des républiques, l’Espagne et l’Angleterre des
monarchies ; mais il s’agit aussi de démocraties représentatives ;
• La France et l’Iran sont des républiques, mais la République islamique
d’Iran n’est pas une république démocratique (l’approbation de la loi
dépend du Conseil des Gardiens de la Révolution - à sa tête le « guide »).
• Dans ces conditions, c’est d’abord la démocratie qui fait sens pour classer
les régimes, parfois en deux catégories : régimes démocratiques et
régimes non démocratiques.
• Toutefois cela consiste à classer certains régimes par ce qu’ils ne sont pas
(non démocratiques). C’est la raison pour laquelle il existe différents types
de démocraties, et différents types de régimes non démocratiques : les
régimes autoritaires (dictatures des colonels en Grèce, Pinochet au Chili)
et les régimes totalitaires (catégorie forgée au XX e siècle pour désigner
l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et l’URSS pendant la période stalinienne).
2. Les régimes politiques démocratiques
La démocratie ayant été définie, il s’agit ici de montrer :
A/ L’émergence de la démocratie représentative
La démocratie est plus ancienne (antiquité grecque) que le principe
représentatif (1688 en GB). L’expérience grecque permet de comprendre
comment la démocratie se transforme avec l’éclosion de la représentation.
a/ Les leçons de l’histoire, où le triomphe de l’élection
Deux obstacles à la démocratie directe sont souvent évoqués :
• Il n’est pas possible de convoquer l’assemblée des citoyens dans des Etats
de grande taille. Mais cette préoccupation n’a jamais été centrale chez les
théoriciens du gouvernement représentatif (SIEYES, MADISON)
• Le principe du tirage au sort présente le risque d’être gouverné par des
incompétents ou des malhonnêtes. Or les grecs l’utilisent pendant deux
siècles, sans dommages.
Les leçons de l’histoire ou le triomphe de l’élection, suite
En effet, les grecs utilisent conjointement deux techniques :
1/ Le vote des citoyens en assemblée, et l’élection pour certaines fonctions ;
2/ Le principe du tirage au sort pour les compétences non confiées à
l’assemblée du peuple. Mais la procédure est assortie de trois garde fous :
• Pour pouvoir être tiré au sort il faut que le citoyen subisse un contrôle de
moralité (vérifier s’il se comporte bien avec ses parents, s’acquitte de ses
obligations militaires et fiscales) ;
• Seuls les noms de ceux qui le souhaitent (s’estiment aptes) figurent sur les
listes à partir desquelles il est procédé au tirage au sort. Chaque citoyen a
une chance égale d’exercer l’une des fonctions concernées (une chance sur
deux au cours d’une vie compte tenu de la population et des magistratures
concernées) ;
• Au sein de l’assemblée du peuple, tout citoyen peut demander un vote
destiné à suspendre quelqu’un désigné par le tirage au sort. La procédure
est connue de tous et quelqu’un qui est tiré au sort sait qu’il aura à rendre
des comptes.
Les leçons de l’histoire ou le triomphe de l’élection, suite
En cumulant vote et tirage au sort, les grecs entendent associer rotation des
fonctions (tirage au sort), faculté de voter les lois, enfin liberté d’élire et de
réélire (pas de limitation des mandats). Il faut éviter une professionnalisation
de la politique via le caractère égalitaire de la désignation par tirage au sort.
Ainsi, selon Bernard MANIN, la distinction fondamentale entre démocratie
directe et démocratie représentative tient moins au vote direct des lois ou
au contrôle de l’élu, qu’à ceci : les démocraties représentatives ne vont
retenir, comme principe de désignation des dirigeants, que le principe de
l’élection, à l’exclusion du tirage au sort. Parmi les théoriciens :
• Pour HARRINGTON le tirage au sort désigne des citoyens non éclairés ;
• Pour MONTESQUIEU, le tirage au sort est un principe démocratique,
l’élection un principe aristocratique. Mais si le peuple est admirable pour
désigner qui doit le gouverner, il ne l’est pas pour se gouverner lui-même.
De la sorte il réfute aussi le principe du tirage au sort ;
• Pour ROUSSEAU enfin le pouvoir de légiférer appartient au peuple, mais il
se montre indifférent pour l’exécutif qui doit être « commis ».
Les leçons de l’histoire ou le triomphe de l’élection, suite
Le tirage au sort est ainsi écarté en GB (1688), aux EU (Convention de
Philadelphie, 1787) et en France (1789). Il s’agit de régimes révolutionnaires
où l’élection est jugée plus juste que l’hérédité (monarchie), et plus efficace
que le tirage au sort (légitimation de nouveaux régimes politiques).
La rupture est conséquente avec la démocratie directe : le citoyen n’est plus
celui qui décide, mais celui qui désigne le titulaire des charges. Ainsi avec le
triomphe de l’élection comme seul mode de désignation des dirigeants (à
l’exclusion du tirage au sort, le régime représentatif s’affirme en Grande
Bretagne (1688), aux Etats – Unis (1787) et en France (1789). Il est
aujourd’hui étendu aux grandes « démocraties occidentales » (pays de
l’Union Européenne, Etats-Unis, Canada), mais également à la plupart des
pays ayant adopté un régime politique démocratique.
Selon Bernard MANIN, le régime représentatif peut être définit à partir de
quatre principes communs à toutes les démocraties représentatives.
b/ Les principes du gouvernement représentatif
Les quatre principes du gouvernement représentatif sont :
• Les gouvernants sont désignés selon le principe des élections, qui se
déroulent à intervalle régulier (en se faisant élire premier Consul à vie
Bonaparte met fin à ce principe) ;
• Les gouvernants possèdent une réelle autonomie par rapport à leurs
électeurs : ils disposent d’un mandat représentatif selon lequel ils ne sont
ni contrôlables ni révocables par leurs électeurs, et peuvent exprimer leurs
idées (non celles des électeurs) dans les assemblées parlementaires ;
• Les gouvernés peuvent exprimer leurs opinions sans contrainte (ils sont
donc libres de critiquer les décisions des dirigeants) ;
• Les décisions publiques sont soumises à l’épreuve de la discussion, et les
gouvernés sont libres de ne pas renouveler les mandats des dirigeants s’ils
n’approuvent pas leurs décisions (des élections qui se déroulent à intervalle
régulier).
Les principes du gouvernement représentatif, suite
Rapidement s’affirme le fait que les élus se situent à un rang social plus élevé
que celui des électeurs et la distinction représentant/représenté fait débat.
• En GB la mentalité est très aristocratique et la hiérarchie sociale est très
respectée. Il existe un suffrage censitaire pour être électeur, et bien plus
élevé pour être éligible : il est admis qu’il n’est pas raisonnable de confier la
richesse de la nation à des pauvres qui ne possèdent pas de richesses ;
• En France le suffrage censitaire date de la RF. SIEYES distingue les citoyens
actifs, qui sont électeurs (ils ont du temps pour les affaires publiques, et un
niveau de revenu qui prouve leur autonomie) et les citoyens passifs, non
électeurs (faute d’avoir prouvé leur autonomie via un revenu suffisant et
par manque de temps à consacrer aux affaires publique) ;
• Aux EU les conventionnels voulaient limiter le droit de vote aux seuls
propriétaires, pour que le droit de propriété soit toujours défendu. Mais ne
pouvant s’entendre sur un seuil valable pour le sud (protectionniste) et le
nord (économie ouverte), ils y renoncent.
Ainsi dans les trois cas triomphe l’idée que les représentants seraient les
plus vertueux, que les « meilleurs » devaient gouverner, tout en devant
solliciter régulièrement le renouvellement de leurs mandats. Le régime
représentatif conserve le label d’aristocratie démocratique : l’on se tourne
vers le peuple pour lui demander qui sont les meilleurs pour gouverner.
B/ La démocratie représentative en questions
Il s’agit d’aborder la compétition politique dans les régimes représentatifs.
a/ Compétition politique et sélection des enjeux par les représentants
1/ Il s’agit d’une compétition pacifique où la lutte pour les mandats électifs
ne sollicite aucun usage de la force : elle se fait par imposition de sens. Cette
compétition vise a obtenir des positions centrales (mandats nationaux,
professionnalisation accrue ) ou périphériques (mandats locaux).
2/ Cette compétition suppose la rencontre d’une « offre » formulée par des
candidats et d’une « demande » formulée par des électeurs – donc la
formation d’un « marché politique ». La capacité à mobiliser des soutiens
dépend de la capacité à être reconnu légitime à parler au nom des autres
pour les représenter, d’un « capital politique ». Les discours peuvent porter :
• Sur des enjeux spécifiques au « champ politique » (réduction du mandat
présidentiel) qui retiennent rarement l’attention des électeurs ;
• Sur des enjeux sociaux qui deviennent politiques (politisation)
susceptibles de représenter des intérêts sociaux (pouvoir d’achat,
chômage, fiscalité).
La sélection des enjeux portés par les candidats peut dépendre d’au moins 3
facteurs fondamentaux :
• De leur rentabilité, soit de leur capacité supposée à capter des suffrages
(éthique de la responsabilité de Max WEBER) ;
• De croyances idéologiques, les candidats pouvant défendre des
propositions auxquelles ils croient (éthique de la conviction chez WEBER),
en fonction de leur propre socialisation politique ;
• De positions dans le champ politique : sont d’autant plus pris en compte
les questions générales que l’on vise des positions centrales (élection
présidentielle), et d’autant moins que l’on vise une position périphérique.
Conséquence : certains enjeux (sans abris) risquent de ne jamais être pris en
compte : certaines populations parfois dépossédées de représentation.
b/ Le gouvernement représentatif est-il démocratique ?
Cette question a fait l’objet d’une controverse entre Bernard MANIN et
Daniel GAXIE, présentée à la suite :
1/ Pour Bernard MANIN, le régime représentatif a été conçu contre la
démocratie (suffrage censitaire, aristocratie démocratique), mais il s’est
progressivement démocratisé :
• D’abord avec l’extension du droit de vote et le passage au SU (en France
SU masculin en 1848, SU en 1944) ;
• Ensuite parce que même s’il n’existe aucun contrôle sur l’élu, qui n’est pas
révocable et n’est pas tenu par ses promesses, ce dernier n’est pas sans
obligations : les électeurs peuvent exprimer leur insatisfaction dans les
circonscriptions ; l’émergence d’une « opinion » freine la possibilité aux
représentants de pouvoir ignorer la volonté des électeurs ; et ainsi les élus
courent toujours le risque que les électeurs ne leur renouvellent pas leur
confiance.
2/ Daniel GAXIE interroge, lui, les moyens effectifs, mais différentiels, d’être
représenté : les « professionnels » (élus) choisissent les enjeux, mais, du coté
des « profanes » (les électeurs), la possibilité de les influencer varie :
• Selon le sexe, on prend d’autant plus position que l’on est un homme ;
• Selon le niveau culturel, autorisant à s’estimer compétent pour reconnaitre
les problèmes politiques et les traiter comme tels ;
• Selon la position sociale : plus elle est proche du pouvoir politique (hauts
fonctionnaires, chefs d’entreprises cotées en bourse, patrons de médias
centraux), et plus une opinion a de chance d’être formulée et entendue.
Résultat : les préoccupations des mieux dotés en « capital » économique,
social et culturel peuvent être prises en charge, celle des plus démunis sont
peu formulées, et rarement prises en compte. La démocratie représentative
suppose que la capacité à formuler des opinions et des demandes soit
ouverte à l’ensemble des citoyens, or elle est très inégalement répartie. Ce
qui ce traduit par la dépossession des plus démunis.
C/ La démocratie représentative saisie par des idéaux - types
a/ Saisir les transformations de la démocratie représentative
Selon Bernard MANIN trois idéaux-types de gouvernement représentatif se
sont historiquement succédés.
1/ Le parlementarisme (ancienne Angleterre, Monarchie de Juillet)
• Les candidats suscitent la confiance par leur personnalité (et non un parti)
et l’élection sanctionne la constitution d’une élite de notables ;
• Ces derniers votent selon leur conscience, non en fonction d’engagements
pris devant les électeurs ;
• L’épreuve de la discussion ne se déroule qu’au parlement sans aucune
discipline de vote, les clivages peuvent être mobiles, fluctuants.
2/ La démocratie des partis (France fin XIX e, début XX e)
• Les candidats sont choisis pour leur appartenance à un parti, les électeurs
votent pour un parti, un programme. C’est le temps des partis de masses
et d’un vote comme traduction de l’identité sociale (clivage de classe). Les
comportements électoraux sont à priori stables.
• Les gouvernants sont les porte parole des partis et se soumettent à une
forte discipline de vote dans des assemblées où se cristallisent les rapports
de force entre les intérêts sociaux (paysans, ouvriers, salariés, patronats) ;
• L’épreuve de la discussion a lieu au parlement, et dans certaines
institutions de concertation entre les intérêts sociaux (syndicats,
patronat). L’opinion est structurée par les clivages entre les partis.
3/ La démocratie du public
• Les résultats des élections sont variables (alternances), les partis sont des
machines au service d’un leader expert en communication. Avec le
renforcement des exécutifs la discussion au parlement est moins centrale
• Les gouvernants restent indépendants. L’élection ne se fait plus sur des
programmes mais sur des slogans – ils adaptent les décisions à la situation.
• L’opinion se forme par de nouveaux canaux, distincts des partis, avec une
presse d’opinion en déclin. Il y a toujours une discussion au parlement,
mais avec des relais d’opinion ailleurs (mouvement social, associations,
fondations, think tanks).
Le rapprochement entre représentants et représentés n’a donc pas eu lieu.
Les trois idéaux types de la démocratie représentative de Bernard
Manin : une synthèse
Parlementarisme Démocratie des Démocratie du
partis public
Elections et L’élection sanctionne la L’élection sanctionne le L’élection sanctionne le
construction d’une élite choix d’un parti, d’un choix d’un leader expert
sélection des de notables choisis selon programme, et le vote en communication
dirigeants l’adhésion à leur traduit une identité soutenu par un parti
personne sociale (clivage de classe) « machine électorale »
Relations entre Vote au parlement selon Forte discipline de vote Les dirigeants restent
leur conscience et dans les assemblées où indépendants. Elus sur
élus et électeurs indépendamment les élus défendent les des slogans, ils adaptent
d’engagement devant les intérêts sociaux soutenus leurs décisions à la
électeurs par leurs partis situation
Epreuve de la Discussion au parlement, Discussion au parlement La discussion au
pas de discipline de vote, et dans certaines parlement est moins
discussion et avec des clivages souvent instances de concertation. centrale pour structurer
structuration des fluctuants dans les Opinion structurée selon l’opinion (relais d’opinion
opinions Hémicycles les clivages partisans extérieurs aux partis)
Enfin, avec l’emprise croissante des partis sur la vie politique Daniel GAXIE
souligne également 4 évolutions :
• La nationalisation des arènes électorales : ce sont les mêmes partis et les
même clivages à l’échelle locale et nationale – autrement dit un « marché
politique » unifié. A noter qu’il y a toujours des exceptions : en Espagne les
élections législatives opposent le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE)
au Parti Populaire, mais à l’échelle locale (Catalogne) se sont souvent des
partis indépendantistes en position dominante (micro-nationalismes) ;
• L’intensification de la compétition électorale : plus de candidats, des
écarts plus serrés, un rôle croissant des sondages, de la communication, du
marketing politique ;
• La personnification des activités politiques, les principaux partis incarnés
par un petit nombre de dirigeants et les résultats des élections interprétés
comme une désignation quasi directe des dirigeants par le peuple (premier
ministre en GB) ;
• La collectivisation de la vie politique, le petit entrepreneur disparaissant
au profit de ceux soutenus par les grands partis, devenus indispensables
(labels nationaux, notoriété …).
b/ Saisir les principales catégories de démocratie représentative : démocratie
majoritaire et démocratie de concordance

La démocratie majoritaire (Westminster) possède 3 caractéristiques :


1/ L’efficacité d’un gouvernement appuyé sur une majorité cohérente et
stable. Le citoyen est supposé le juger en fonction de sa capacité à réaliser ce
pour quoi il a été élu, et se trouve libre de réélire ou non (M. Tatcher 18 ans).
2/ Les majorités parlementaires sont dégagées au scrutin majoritaire (1/2
tours), au prix de certaines distorsions en terme de représentation des
électeurs : les grands partis surreprésentés, les partis outsiders sont laminés.
3/ La majorité (51% ?) impose ses choix à la minorité (49% ?). Mais quand il
y a un électeur sur deux qui s’abstient, un gouvernement ne représente
qu’autours de 20 % des électeurs … La où ce modèle est utilisé, les groupes
sociaux ou de pression ne peuvent agir efficacement que dans la discrétion,
et l’exécutif est en position de force (France, Grande Bretagne).
La démocratie de concordance possède également 3 caractéristiques :
1/ Il s’agit de privilégier la représentativité et le consensus entre les
différents intérêts sociaux sur l’efficacité (Belgique, Italie, Pays Bas). Il est
rare qu’un seul parti gouverne : les gouvernements s’appuient sur des
coalitions. Mais si un des partis la quitte plus de majorité = instabilité. En
Italie la démocratie chrétienne participé à tous les coalitions (40 ans).
2/ Ce modèle repose sur un scrutin proportionnel qui ne lamine pas les
petits partis et représente toutes les tendances. Les coalitions majoritaires
qui soutiennent un gouvernement se forment après les élections et sont
parfois difficiles à constituer - mais un meilleur équilibre exécutif/législatif.
3/ Les groupes sociaux ou de pression peuvent agir de manière plus visible,
puisqu’il d’articuler la représentation des intérêts sociaux (compromis).
Ces deux expressions étant posées, il faut remarquer :
• Stabilité et efficacité (Westminster) se paient d’un déni de représentation
d’une grande partie des électeurs ; le modèle de concordance est instable
mais les gouvernements peuvent représenter 2/3 des électeurs.
• La gouvernance suppose une concertation entre gouvernement et acteurs
de la société civile : elle est plus facile avec le modèle de la concordance.
Démocratie majoritaire et démocratie de concordance, une synthèse
Démocratie Démocratie de
majoritaire concordance
Stabilité et efficacité du Le gouvernement soutenu par Le gouvernement, soutenu par
gouvernement une majorité parlementaire une majorité de coalition,
cohérence et stable. Motion de recherche le compromis. Cette
censure très rare majorité est plus instable
Modes de scrutin et Les majorités désignées lors Les majorités parlementaires
représentation des élections au scrutin désignées lors d’élections au
majoritaire à un (GB) ou deux scrutin proportionnel pour une
(France) tours qui lamine les meilleure représentation des
« partis outsiders » tendances dans « l’opinion »
Relation gouvernement / Les groupes sociaux ou de Les groupes sociaux ou de
groupes d’intérêts pression ne peuvent agir pression agissent ouvertement
efficacement que de manière : recherche d’une médiation
discrète. Exécutif en position des intérêts sociaux. Equilibre
de force entre exécutif et législatif
3. Régimes autoritaires et régimes totalitaires
1/ Contrairement aux régimes démocratiques, pas de compétition ouverte et
d’élections pluralistes dans les régimes autoritaires (les désaccords sont au
mieux tolérés dans une certaine mesure). Ces régimes limitent l’organisation
libre de la participation politique (créer un parti), contrôlent la vie politique
(candidat unique, élections qui ne concernent le titulaire du pouvoir …) ainsi
que les institutions de l’État et l’information. Ils sont souvent conservateurs.
2/ La notion de régime totalitaire émerge dans l’entre deux guerres avec le
fascisme, le nazisme, le stalinisme … et le projet de transformer l’homme, la
société, abolir tous les clivage culturels et spirituels au profit d’une sorte
d’unité fusionnelle autour du chef. Il s’agit là de régimes révolutionnaires.
3/ La distinction entre les deux fait débat (exemple au sujet du classement
du fascisme), mais elle vaut quelles que soient les approches. Juan LINZ les
distingue selon le caractère plus ou moins moniste du pouvoir (une
opposition convenue parfois admise en régime autoritaire), la mobilisation
ou non de la population (les régimes autoritaire acceptent l’indifférence et
la faible participation), la place et le contenu de l’idéologie (conservatrice en
régime autoritaire, révolutionnaire/omniprésente en régime totalitaire).
A/ Les régimes autoritaires
Il s’agit de régimes au pluralisme limité, sans responsabilité politique, sans
idéologie nouvelle élaborée (on évoque une mentalité), sans mobilisation
politique intensive, mais avec un leader exerçant le pouvoir dans le cadre
de limites mal définies. Mais d’une part la définition renvoie à des régimes
très divers, et d’autre part elle en fait une sorte de catégorie résiduelle.
a/ Les principaux traits distinctifs des régimes autoritaires
Il s’agit des régimes caractérisés par trois éléments :
1/ Les gouvernants exercent un véritable contrôle sur les institutions de la
vie politique, qui se repère à deux indicateurs :
• Les gouvernants ne sont pas choisis librement pas les gouvernés :
élections supprimées (Algérie années 1990), les élus ne sont pas les
détenteurs du pouvoir (Maroc), élections truquées, candidat unique … ;
• La contestation est réduite par la violence (enfermement des opposants
dans les stades au Chili, prisonniers politiques à Cuba, disparitions,
intimidations massives, répression de la contestation en Chine).
2/ Seul le pouvoir central peut accorder le droit d’exister à l’opposition.
Dans l’Espagne franquiste quelques groupements d’opposition sont reconnus
par Franco, mais l’opposition n’est que de façade et sert surtout à brouiller
le caractère autoritaire du régime (Juan LINZ)
3/ Ils s’accommodent de l’indifférence des gouvernés à la vie politique ; ils se
satisfont de l’apathie politique. C’est l’ordre public, via l’ordre moral et les
valeurs traditionnelles, qui est valorisé, pas la transformation de la société.
Juan LINZ parle de mentalité plutôt que d’idéologie : le contenu idéologique
est souvent pauvre et ne correspond pas à un système de pensée organisé.
La contestation provoque le recours à la violence. La différence avec les
régimes totalitaires ne réside pas dans l’intensité de la violence ou la
cruauté des châtiments, mais dans son usage : elle ne sert ici qu’à juguler la
contestation, et non à organiser la mise en mouvement de la société contre
un ennemi toujours redéfini comme dans les régimes totalitaires (Hannah
ARENDT) …
Reste à classer les régimes autoritaires, par ailleurs divers.
b/ Classer les régimes autoritaires
La typologie de Juan LINZ distingue ces régimes selon 1/ que le pluralisme
est plus ou moins limité, et 2/ que la population est plus ou moins mobilisée.
1/ Les régimes autoritaires traditionnels : l’appareil d’État est le domaine du
Prince qui attribue les ressources publiques aux courtisans : bureaucraties
patrimoniales (Max WEBER), néo-patrimonialisme pour les monarchies du
Golfe selon Samuel EISENSTADT. La domination repose sur la légitimité
historique ou (régimes sultaniques) sur un mélange de peur des opposants et
de gratifications aux soutiens. A la différence des régimes totalitaires pas de
mobilisation de la population vie l’idéologie, et le pluralisme est très limité.
2/ L’autoritarisme bureaucratico – militaire. Le pouvoir aux mains de hauts
fonctionnaires ou de l’armée (Amérique du Sud, Algérie). Le parti unique n’a
pas de projet mobilisateur mais pour fonction d’empêcher la mobilisation de
la population. En l’absence de légitimité historique, liée au charisme ou à la
légalité, toute érosion des soutiens dans la société les rend fragiles, instables.
3/ L’Etat organique : régime organisé autour d’une idéologie corporatiste
(Estado Novo - Salazar). Les intérêts sociaux doivent collaborer dans des
corporations et la participation limitée à la sphère productive (pas politique).
4/ Les régimes autoritaires mobilisateurs, qui succèdent aux démocraties,
parmi lesquels figurent :
• Plusieurs mouvements d’inspiration fasciste dans l’entre deux guerres
(Vichy), qui sollicitent une forte mobilisation populaire et suscitent une
forte adhésion ;
• Le bonapartisme, fondé sur la mobilisation populaire contre les élites, et
dont l’existence repose sur l’adhésion populaire ;
• Les régimes issus de la décolonisation, avec une population mobilisée
derrière les anciens partis indépendantistes au pouvoir ; avec l’instauration
du parti unique, ce dernier devient une institution au service des intérêts
des couches dirigeantes.
Ces régimes peuvent évoluer vers l’État organique, vers des régimes néo-
patrimoniaux (anciennes colonies), voir vers la poursuite de la mobilisation
dans le cadre de régimes totalitaires (cas de l’Italie fasciste).
5/ L’autoritarisme post-totalitaire des anciens régimes totalitaires qui
deviennent autoritaires (URSS de Staline à Khrouchtchev). La figure du
dissident souligne la transition, tandis que l’idéologie demeure centrale pour
susciter l’adhésion.
Une synthèse sur les régimes autoritaires à partir de Juan LINZ

Pluralisme très limité, voir Pluralisme moins limité,


totalement jugulé reconnaissance d’une
opposition de façade
Pas de projet idéologique Régimes autoritaires traditionnels État organique (Espagne de Franco
Bureaucraties patrimoniales et Portugal de Salazar)
de mobilisation de la Néo-patrimonialisme
population Autoritarisme bureaucratico-
militaire

Projet idéologique de Gouvernement de Vichy URSS avec la transition de Staline


Régimes à parti unique issus de la (régime totalitaire) à Khrouchtchev
mobilisation de la décolonisation (régime autoritaire)
population Bonapartisme
B/ Les régimes totalitaires
a/ Les principaux traits distinctifs du régime totalitaire
Trois caractéristiques centrales aux régimes totalitaires :
1/ La mobilisation des masses. Ils recherchent l’adhésion active et sans
réserve de tous. Le projet idéologique, seul à même de justifier les
conduites, se trouve partout : l’idéologie est sacralisée, voir élevée au rang
de dogme religieux. Pour autant ils peuvent être construits autours
d’idéologies très diverses, comme l’idéologie communiste (vise
l’émancipation et le progrès social) ou le national socialisme (projet raciste et
antisémite au cœur duquel on trouve un darwinisme social).
2/ Un contrôle d’une intensité sans égale de l’ensemble de la société. Nul
ne saurait s’y soustraire, et aucune résistance organisée ne saurait exister. Un
tel contrôle suppose la participation active de la population : le pouvoir est
partout parce qu’il est exercé par tous, à tous les interstices de la société
(contrôle, délation). La distinction entre sphère publique et privée est abolie,
les individus sont isolés, et le sentiment d’insécurité est généralisé.
3/ Ces régimes reposent sur la terreur généralisée (Hannah ARENDT) :
Staline élimine tous ceux qui sont allés à Londres après avoir annoncé que le
métro à Moscou est une invention socialiste … c’est la terreur donne une
réalité au mensonge en éliminant ceux qui pourraient le révéler. Dans ces
conditions, la terreur rend le message crédible : elle précède quasiment la
contestation, et se trouve généralisée - contestation ou pas. Tandis que dans
les régimes autoritaires, elle ne fait « que » sanctionner la contestation.
Hannah ARENDT conserve ainsi la notion de totalitarisme à l’URSS de
Staline et au régime nazi : là ou la relation terreur/idéologie est renversée.
Mais le risque est double :
• En mettant le régime nazi et celui de Staline dans les régimes totalitaires,
et tous les autres dans les régimes totalitaires, cette dernière catégorie
devient inutilisable, car tout le reste s’y mélange
• Le risque d’occulter que de nombreuses dictatures instituent, comme les
régimes totalitaires, des mécanismes de contrôle social et politique de la
population (Comité de Défense de la Population à Cuba). C’est pourquoi le
critère du contrôle politique de l’ensemble de la population peut être
préféré à celui de la relation terreur/idéologie pour les distinguer (J. LINZ).
b/ Le système totalitaire de contrôle de la population
1/ Le parti unique rempli la fonction de socialisation politique des masses.
L’expérience totalitaire repose sur une société de masses (H. ARENDT) : les
clivages traditionnels ont disparu au profit d’une masse d’exclus, une petite
bourgeoisie déclassée. Les adhésions au parti sont imposées et toutes les
structures existantes sont dédoublées pour tout contrôler .
2/ Le régime s’incarne dans un chef, dont le leadership est lié à la fin du
pluralisme : aucune voie pour mettre en doute le petit père des peuples, le
duce, le führer. Avoir toujours raison fait partie du chef charismatique qui
élimine ses rivaux ; n’accorde d’autonomie à aucun lieu d’exercice du
pouvoir (dédoublés) ; ne nome que des fidèles avec lesquels il entretien une
relation féodale. Comme ils ne tiennent leur légitimité que de lui, sa faillite
serait la leur. Ses pouvoirs ne cessent de croitre : il désigne sans cesse ses
ennemis (complot) et mobilise les masses pour les éliminer.
3/ L’idéologie, centrale, et liée au message du chef et se substitue à tous les
espaces d’élaboration culturelle : élimine livres, théâtre, et tout ce qui pourrait
pervertir la « pureté »de l’idéologie. Mais là réside son point faible, toute nouvelle
naissance pouvant être considérée comme un nouvel ennemi à combattre …
Comment les éléments du contrôle « total » de la société font système

Chef charismatique
d’une « communauté
d’amour »

Incarne l’idéologie, Contrôle de la société en


délivre le message, nommant des fidèles à la
désigne l’ennemi tête des structures qui
pour mobiliser les dédoublent l’existant
« masse »/terreur

Structures sociales
Idéologie qui remplace
dédoublées via le parti
tous les espaces
unique avec adhésion
d’expression culturelle
obligatoire

L’idéologie officielle validée par la terreur avec la participation de toute la société

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