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Section 1. Le fait générateur du
dommage
La définition du fait générateur du dommage susceptible d'engager la responsabilité de la Communauté
obéit à deux régimes parallèles : le régime général dans lequel se retrouve la problématique de la définition
du fait générateur dans tout système de responsabilité de la puissance publique : le recours au concept de
faute de service ou à celui d'illégalité mais la C.J.C.E. a progressivement mis en place une définition du fait
générateur, particulièrement adaptée à son activité principale, qui est normative : ce sont ses actes normatifs
(règlements le plus souvent) qui peuvent causer des dommages aux opérateurs économiques.
Sa responsabilité s'apparente à ce que l'on appelle dans certains systèmes nationaux : « la responsabilité de
l'Etat législateur » mais il s'agit ici d'une législation économique.
Elle résulte d'un concept transposé du droit allemand par la Cour : le concept de « norme protectrice
»(Schutznormtheorie).
Le fait générateur des dommages résultant d'actes normatifs de la Communauté impliquant des choix de
politique économique est la « violation suffisamment caractérisée d'une règle supérieure de droit protégeant
le particulier ». Ce concept adopté par le juge communautaire dans le domaine de la législation économique
a récemment été étendu au domaine des droits fondamentaux.
La jurisprudence de la Cour a rencontré le problème de la responsabilité sans faute (ou pour risque) sans
l'adopter vraiment.
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Jurisprudence
Les premiers arrêts de la Cour mentionnaient expressément l'exigence d'une faute pour l'application de
l'article 215 C.E.E. (devenu l'actuel article 288 CE, puis 340 TFUE).
La Cour a d'abord voulu rester dans le cadre de la jurisprudence qu'elle avait élaborée sur la base de l'article
40 du traité CECA qui mentionnait expressément la « faute de service ».
Dans l'affaire Plaumann l'avocat général K. Roemer indiquait qu'il fallait d'abord ' renvoyer à la jurisprudence
sur l'article 40 du traité CECA, donc à cette règle générale sur la faute de service qui correspond à celle de
l'article 215 alinéa 2 (C.J.C.E., 15.07.1963, Plaumann 25/62, 197, concl. K. Roemer).
C'est encore sur la base expresse de la faute (en l'occurrence une illégalité précédemment constatée) que
la Cour devait faire reposer la responsabilité de la Communauté dans un autre arrêt fondateur du régime de
responsabilité non contractuelle (C.J.C.E. 14.07.1967, Kampffmeyer, 5/66, 317).
Par la suite la Cour n'a plus, sauf exception (C.J.C.E. 4.02.1975, Cie Continentale France 1969/73,117),
mentionné la faute. Par contre, le Tribunal de première instance est resté fidèle à la notion de faute de
service comme fait générateur (T.P.I. 14.09.1995, Lefebvre et a, T 571/93 ; 18.09.1995 Detlef Nölle, T.167/94 ;
18.09.1995, Blaxkspur, T.168/94).
B. La référence à l'illégalité
Jurisprudence
A partir de l'arrêt Lütticke (C.J.C.E. 1.03.1966, Lütticke, 48/65,28 concl. J. Gand). La Cour n'a plus mentionné
la « faute » et lui a substitué le concept d'illégalité du comportement sans doute préféré pour son caractère
objectif.
Les mots voisins sont utilisés : illicéité (C.J.C.E. 1.03.1983, Deka.getreideprodukte.co kg und cokg
c/C.E.E., 250/78, 421), irrégularité (C.J.C.E. 21.05.1976, Roquettes Frères, 26/74,677) ou même erreur
(C.J.C.E. 29.03.1979, Nippon Seiko et c/Conseil 119/77/1303).
L'illégalité décelée est souvent une faute manifeste, une faute grave, dont la Cour s'attache à souligner
tous les éléments (Voir les arrêts précités : Lesieur, Bayerische HNL, Amylum, Ireks-Arkady, Dumortier et
CNTA 14.05.1975. 74/74, 533) et qu'elle apprécie en tenant compte des circonstances dans lesquelles s'est
manifestée l'illégalité (C.J.C.E. 28.10.1978, Denkavit c/Commission 14/78,2497.) et notamment de la situation
d'urgence (C.J.C.E. 28.10.1982, Faust c/Commission 52/81,3745 et 13.12.1984 Gaarm, 289/83,4295).
Dans ce cas limite, on peut aussi expliquer cette solution par l'absence de lien de causalité directe entre le
comportement de la Communauté et le dommage (cf supra).
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Certains systèmes de responsabilité de la puissance publique (et en particulier le droit administratif
français) admettent une responsabilité dite « pour risque » qui n'exige pas que la victime prouve
l'existence d'une faute imputable à la puissance publique.
Cette responsabilité repose en dernier lieu sur la rupture de l'égalité devant les charges publiques à laquelle
conduit le fait de faire supporter à la future victime un risque anormal et spécial. C'est pourquoi ces régimes
de responsabilité pour risque exigent que le préjudice subi soit anormal et spécial.
Dans la CE et la CEEA les traités n'interdisent pas ce type de responsabilité (alors qu'elle était écartée par
l'article 40 du Traité CECA qui exigeait explicitement la « faute de service »).
La Cour de Justice n'a pas écarté l'hypothèse d'une responsabilité pour risque mais a considéré, jusqu'à
maintenant que les conditions de la responsabilité pour risque n'étaient pas réunies dans les affaires qu'elle
a eu à connaître.
Elle a, par exemple, jugé qu'une société requérante n'avait pas « supporté au profit de l'intérêt général une
charge qui ne lui incombe pas (C.J.C.E. 24.06.1986, Société Développement et Clemessy c/Commission,
267/82, 1907) ». Le T.P.I. a adopté la même attitude (T.P.I. 28.04.1998 Dorsh. Consult Ingenieur Gesellschaft
c/Commission, T-184/95, II, 667).
Elle a seulement indiqué que la Communauté (CECA) pourrait avoir « une certaine responsabilité » à l'égard
d'une catégorie particulière d'entreprises de distribution de produits sidérurgiques s'il était prouvé que les
entreprises de cette catégorie avaient supporté « une partie disproportionnée des charges résultant de la
restriction des marchés d'exportations (C.J.C.E. 29.09.1987, De Boer Buizen, 81/86, 3677) ».
Les arrêts Dorsch Consult de 1998 et 2000 ont pu faire naitre au moins dans une partie de la doctrine,
l'hypothèse d'une responsabilité sans faute de la Communauté. Cette société avait introduit devant le T.P.I. un
recours en responsabilité contre le Conseil et la Commission pour le dommage subi du fait des actes établissant
un embargo contre l'Irak. Ce recours était introduit à titre principal sur le fondement de la responsabilité du
fait d'un acte licite et à titre subsidiaire sur celui de la responsabilité d'un acte illicite. Statuant sur le moyen
principal (responsabilité du fait d'un acte licite) le TPI a jugé que «dans l'hypothèse de l'admission en droit
communautaire d'un tel principe, l'engagement d'une telle responsabilité supposerait, en tout état de cause,
l'existence d'un préjudice anormal et spécial » (TPI, 28.4.1998. Dorsch Consult / Conseil et Commission,
T-184/95, p.II 667- pt 59). Le Tribunal jugea par ailleurs que cette double condition n'était pas remplie
et débouta la requérante. Statuant sur pouvoir la Cour de justice (C.J.C.E. 15.6.2000 Dorsch Consult c/
Conseil et Commission, C.237/98, P, I-4599) devait reprendre intégralement le point 59 et l'arrêt du TPI :
' dans l'hypothèse où le principe de responsabilité de la Communauté du fait d'un acte licite devrait être
reconnu en droit communautaire... ' (pt 18) et préciser les conditions bien connues de l'engagement de la
responsabilité : préjudice anormal et spécial, lien de causalité avec le comportement de la Communauté...
conditions qu'elle jugea non réunies, et débouta la requérante. Il n'en fallu néanmoins pas plus pour que
cette simple éventualité ouverte incidemment soit analysée par certains commentateurs comme étant l'origine
dune nouvelle jurisprudence admettant l'existence d'une responsabilité sans faute de la Communauté mais
jusqu'à ce jour ni la Cour, ni le Tribunal n'ont reconnu l'existence des conditions exigées pour ce type de
responsabilité : l'existence d'un préjudice anormal et spécial (TPI 6.12.2001 Area Cova e.a. c/Conseil et
Commission, T-196/99 p.I 3597 ; TPI 10.5.2006 Galilleo International Technology e.a. /Commission T-279/03 ;
TPI 10.2.2004 Afrikamische Frucht Compagnie.../ Conseil et Commission, aff jtes T- 64/91 et T- 66/01, pI -521)
L'admission d'une responsabilité sans faute de la Communauté reste encore une hypothèse.
Cette responsabilité, qui s'apparente à la responsabilité de'' l'Etat législateur'', doit obéir à des règles d'autant
plus particulières que la responsabilité de l'Etat législateur en matière économique est, partout, régie par des
principes qui limitent la possibilité de l'engager.
La Cour de Justice, faisant ici le premier usage de l'invitation qui lui était faite par l'article 215 CEE (devenu
article 228CE) d'avoir recours aux « principes communs aux droits des Etats membres » pour créer un
régime de responsabilité non contractuelle de la Communauté, a sélectionné et transposé un concept du droit
allemand, la norme productrice'' (Schutznormtheorie''), principe qui lui a paru le mieux adapté à la responsabilité
de la Communauté pour ce type d'actes impliquant des choix de politique économique.
Elle a choisi la violation suffisamment caractérisée d'une norme protégeant les particuliers comme définition du
fait dommageable dans les domaines impliquant des choix de politique économique. La jurisprudence récente
tend à étendre ce concept au domaine des droits fondamentaux.
Jurisprudence
Dans un arrêt de principe, après avoir confirmé que le fait générateur du dommage devait être l'illicéité, elle a
précisé que « s'agissant d'un acte normatif qui implique des choix de politique économique (la) responsabilité
de la Communauté pour le préjudice que des particuliers auraient subi par l'effet de cet acte ne saurait
être engagée, compte tenu des dispositions de l'article 215, al 2 du traité (désormais article 288 al 2) qu'en
présence d'une violation suffisamment caractérisée d'une règle supérieure de droit protégeant les particuliers
» (C.J.C.E., 2.12.1971, Aktien Zuckerfabrik Shöppenstedt, 5/71, 975, concl. K.Roemer).
Par cette formule souvent reprise dans les arrêts ultérieurs (13.06.1972,Cie d'approvisionnement 391-, CNTA
15.06.1976, 74/74, 197 ; Bayerishe HNL, 25.05.1978, 83/76, 1209 ; Dumortier 4.10.1979, 64/76, 3091 ;
Amylum, 5.12.1979, 116/77, 397 ; Sofrimport, 26.06.1990, C-152/88, I, 2477 ; Mulder, 19.05.1992, C104/89,
I, 3061) la Cour a fait entrer dans le domaine de la responsabilité de la Communauté, des actes relevant
de la législation économique, qui dans certains Etats membres, ne peuvent engager la responsabilité de la
puissance publique que sur la base de la responsabilité sans faute reposant sur la rupture de l'égalité devant
les charges publiques.
Le Tribunal de Première Instance a retenu le même concept (T.P.I. 13.12.1995, Vereiniging Van Exportateurs
in Levende Varkens, T 481/93 et T 483/93). La formule désormais le plus souvent employée par la Cour
comme par le Tribunal est "règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers".
Cette jurisprudence identifie nettement quatre conditions pour que le fait dommageable engage la
responsabilité de la Communauté :
• il doit résulter d'un « acte normatif impliquant des choix de politique économique »
• la norme violée doit être une « règle supérieure de droit »
• cette règle doit être « destinée à protéger les particuliers » ou à leur « conférer des droits »
• sa violation doit être « suffisamment caractérisée »
L'acte le plus aisément classable dans cette catégorie est le règlement du Conseil et ou de la Commission
(qu'il s'agisse d'un règlement de base, d'un règlement d'exécution ou d'un règlement arrêté par codécision du
Parlement européen et du Conseil). Mais il peut être aussi individuel.
Il s'est agi, par exemple, dans le cadre de la CECA, de décisions individuelles (T.P.I. 27.06.1991, Stahlwerke
Peine-Salzgitter, T, 120/89, III, 279).
L'institution qui a pris cet acte doit avoir disposé d'un large pouvoir discrétionnaire qui lui a permis de choisir
entre plusieurs options dans la détermination ou dans l'application d'une politique de la Communauté dans
le domaine économique.
A contrario, lorsque l'institution ne dispose que d'une marge réduite d'appréciation, la responsabilité de la
Communauté relève du régime général, la "simple" illégalité est susceptible de l'engager (T.P.I. 15.04.1997,
Schröder c/Commission T-390/94, II, 501C.J.C.E. 04.07.2000, Bergaderm, c- 352/98).
La formule « règle supérieur de droit » ne désigne pas obligatoirement la norme immédiatement supérieure à
l'acte dommageable, mais la norme qui occupe une place imminente dans l'ordre juridique communautaire.
La formule retenue par la Cour n'emploie pas le terme « principe » mais, dans la plupart des cas, il s'agit de
principes généraux du droit communautaire ou de dispositions fondamentales des traités communautaires.
L'emploi de la formule "règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers" élargit désormais
la catégorie des normes dont la violation est susceptible d'engager la responsabilité de la Communauté. Il
doit toujours, néanmoins, s'agir d'un texte destiné à produire des effets de droits. Une résolution à caractère
politique du Parlement européen ne peut faire naître un principe ou une règle dont la violation serait susceptible
d'engager la responsabilité extracontractuelle de la Communauté. Le Tribunal de Première Instance a jugé
que l'instauration du partenariat pour l'adhésion dont bénéficie la république de Turquie, fut-il contraire à
la résolution du Parlement européen du 18 juin 1987 sur la solution politique de la question arménienne,
ne constituerait pas la violation d'une règle de droit protégeant les particuliers. Cette résolution contient
des dispositions à caractères purement politique qui peuvent etre modifiés par le Parlement, et ne saurait
dès lors produire des effets juridiques obligatoires à l'égard des institutions communautaires et faire naître
une confiance légitime dont la rupture constituerait la violation d'une règle de droit communautaire (T.P.I.,
Ordonnance du 17.12.2003, Krikorian e.a./Parlement e.a., T-346/03). Cette analyse a été confirmée par la
Cour de Justice : une résolution de ce type ne peut faire naître une confiance légitime dans l'alignement des
institutions communautaires sur cette position ; le fait de s'en écarter ne constitue pas la violation d'une règle
de droit (C.J.C.E. Ordonnance du 29.10.2004, Krikorian e.a./Parlement C-18/04).
Toute règle supérieure de droit n'est pas destinée à protéger les intérêts des particuliers. Le principe de
l'équilibre des pouvoirs entre les Institutions communautaires, principe de nature constitutionnelle, par
exemple n'a pas été rosé pour protéger les intérêts des particuliers. Sa violation n'est donc pas de nature à
engager la responsabilité de la Communauté (C.J.C.E. 13.3.1992, Vreugdenhil, C-282/90, p I.1937).
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La liste des principes que le juge communautaire qualifie de règle supérieure de droit destiné à protéger les
intérêts des particuliers s'allonge au fil des années. Aux principes déjà anciens, la jurisprudence récente en a
ajouté bien d'autres. Cette jurisprudence est actuellement la partie la plus évolutive du régime de responsabilité
extra contractuelle de la Communauté.
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• L'obligation de diligence dont la Cour relève qu'elle est « inhérente au principe de bonne
administration » est pour l'administration communautaire, celle « qu'elle aurait du et aurait pu
respecter compte tenu de ses qualités, de ses connaissances et de ses aptitudes » (C.J.C.E.
16.12.2008, Masdar (U.K.) / Commssion, C-47/07, P) Le même arrêt fixe aussi les limites de
l'obligation de diligence qui implique que l'administration communautaire doit agir avec soin et
prudence et non pas qu'il lui incombe d'écarter tout préjudice qui découle pour les opérateurs
économiques de la réalisation de risques commerciaux normaux '.
• L'obligation de confidentialité fait aussi partie du principe de bonne administration. Elle est
désormais souvent invoquée dans les affaires liées aux enquêtes financières de l'Office de
lutte antifraude (O.L.A.F.) ou à l'activité du Médiateur. La confidentialité d'une enquête a pour
but de sauvegarder ce droit fondamental qu'est la présomption d'innocence. Le respect de
cette présomption est une obligation et l'Administration communautaire ne dispose « d'aucune
marge d'appréciation s'agissant du respect de cette obligation » (TPI 8.7.2008, Franchet et
Byk / Commission, T-48/2005) le même arrêt reconnaît cependant l'existence au bénéfice de
l'administration, mais sous le contrôle du juge communautaire, d'une « marge d'appréciation »
pour concilier la présomption d'innocence de la personne concerné, par l'enquête et les intérêts
de la Communauté. Un communiqué de presse de l'Administration communautaire laissant
entendre sans preuve l'implication d'un agent dans une irrégularité engage la responsabilité
de la Communauté « l'O.L.A.F. viole le principe de présomption d'innocence lorsque, au cours
d'une procédure d'enquête à l'encontre d'un fonctionnaire reflétant le sentiment que celui-ci
est coupable... avant qu'une juridiction ne se soit prononcée à cet égard » (TPI 8.7.2008,
Franchet et Byk / Commission, T-48/05. La simple divulgation par cet organisme de contrôle de
données à caractère personnel lors d'une enquête engage la responsabilité de la Communauté
(TPI 12.9.2007, Nikolau / Commission T-259/03, P II - 99). Le non respect de l'obligation de
confidentialité par le médiateur européen engage aussi la responsabilité de la Communauté, tel
fut jugé le cas de la publication sur internet d'une décision du Médiateur constatant un cas de
mauvaise administration imputable à la Commission et désignant nommément un fonctionnaire de
la Commission (TPI 24.9.2008 M/Médiateur, T-412/05)
• L'obligation d'informer les personnes concernées par l'enquête d'une autorité administrative
communautaire est l'autre face de la présomption d'innocence : l'obligation de confidentialité
concerne l'information des tiers tandis que l'obligation d'informer concerne les personnes
concernées par l'enquête. Le TPI a jugé que les personnes qui font l'objet d'une enquête de l'Office
de lute contre les fraudes 'OL.A.F.) ont le droit d'être informées et mises à même de s'exprimer sur
les faits qui les concernent, l'office disposant, d'ailleurs d'une marge d'appréciation sur la durée de
la période de secret des investigations (TPI 8.7.2008, Franchet et Byk / Commission, T-48/05.
• L'obligation d'impartialité s'impose à tous les organes communautaires, en particulier dans
l'accomplissement de leurs missions d'enquête. Le TPI a jugé que « la règle d'impartialité (...)
constitue une règle ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers » (TPI 6.4.2006, Camos
Grau / Commission, T-309/03, P.II -01173). En l'espère l'existence d'un conflit d'intérêt dans le chef
d'un enquêteur qui avait exercé une influence déterminante dans l'enquête de l'O.L.A.F. a permis
de mettre en cause la responsabilité de la Communauté pour violation d'une règle supérieure de
droit protégeant les intérêts des particuliers.
• L'indépendance de la qualification judiciaire par rapport à la qualification du Médiateur européen.
Un autre organe de l'Union européenne a vocation à se prononcer sur la qualité du comportement de
l'administration communautaire c'est le Médiateur européen. Mais cette « voie alternative extrajudiciaire
» n'a pas le même objectif que celui d'un recours en justice et ses critères d'appréciation sont différents.
La qualification du comportement de l'administration communautaire donnée par une juridiction comme
le TPI est totalement indépendante de celle donnée par le Médiateur. ' ... la qualification du comportement
d'une institution communautaire d' ' acte de mauvaise administration ' par le Médiateur européen ne
signifie pas, par elle-même, que ce comportement constitue une violation suffisamment caractérisée
d'une règle de droit ' (TPI 4.10.2006, Tillack / Commission, T-193/04 ; II 3995)
• Le principe de respect des droits acquis (C.J.C.E. 10.12.1975 Union des coopératives de céréales,
95/74.1615)
• Le principe de non rétroactivité (C.J.C.E. 15.5.1975 Néderlandse Vereniging Voor Fruit, 71/74, 563).
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• Le principe de la prohibition de l'enrichissement sans cause ne relève pas du régime de la
responsabilité extracontractuelle de la Communauté mais ouvre cependant la possibilité d'un
recours qui trouve son fondement dans l'impératif de la protection juridictionnelle effective des
destinataires du droit communautaire affirmé par la jurisprudence communautaire et dans l'article
47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union. Une jurisprudence récente distingue désormais
nettement l'action en responsabilité de la Communauté du recours fondé sur l'enrichissement sans cause
de la Communauté.
• Il y a enrichissement sans cause lorsqu'il y a accroissement sans base licite du patrimoine d'une personne
au détriment du patrimoine d'une autre personne. De nombreux systèmes juridiques prohibent cet
enrichissement sans cause. Lorsqu'il est le fait de la Communauté, il n'est pas possible de considérer qu'il
relève du régime de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté dont les éléments (illiceité du
comportement imputable à la Communauté, réalité du dommage, lien de causalité) ne sont pas réunis. Le
requérant ne peut apporter la preuve d'un acte illégal de la Communauté. Il ne peut apporter que celle de
l'enrichissement « sans base légale valable » de la Communauté et du lien de causalité avec son propre
appauvrissement. Une interprétation stricte des articles 235 et 288 C.E. ne pouvait lui permettre d'intenter
une action en responsabilité contre la Communauté si ce n'est, éventuellement à titre subsidiaire. La juge
communautaire s'est orientée vers une solution spécifique. Le TPI en 2004 (TPI 28.11.2004, Cantina
Sociala di Dolianova e.a. / Commission, T-166/98) puis dans une autre affaire la Cour de justice statuant
sur pourvoi ont ouvert la possibilité d'un recours différent mais permettant l'indemnisation de la victime.
Ce recours est fondé sur le principe de la protection juridictionnelle effective issu de la jurisprudence
de la Cour et, désormais expressément affirmé dans l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux
de l'Union européenne. Dans une affaire où l'enrichissement état lié à l'application d'un contrat ' ...
la possibilité d'introduire un recours fondé sur l'enrichissement sans cause contre la Communauté ne
saurait être refusée au justiciable au seul motif que le traité ne prévoit pas expressément une voie de
recours destinée à ce type d'action. Une interprétation des articles 235 et 288 deuxième alinéa, CE
qui exclurait cette possibilité aboutirait à un résultat contraire au principe de protection juridictionnel
effective ' (C.J.C.E. 6.12.2008, Masdar (U.K.) c/Commission, C-47/07, P, pt 49-50 ; voir aussi l'arrêt du
TPI 16.11.2006, Masdar (U.K.) / Commission, T-333/03, p.II-4377, pt 93,97,99,100).
• La constatation de la violation d'une règle supérieure de droit protégeant les intérêts des particuliers
ne suffit pas à engager la responsabilité de la Communauté. Encore faut-il que cette violation soit
suffisamment caractérisée (C.J.C.E. 4.10.1979, Dumortier 64/76, 3091).
• La protection des droits fondamentaux, tels qu'ils résultent de la jurisprudence déjà ancienne, de la
Cour de justice et de l'interprétation qu'elle est, désormais, amenée à donner de la Charte des droits
fondamentaux de l'Union, va progressivement constituer un nouveau corpus de ces règles supérieures de
drit destinées à protéger les particuliers et dont la violation peut engager la responsabilité de l'Union. Ces
principes nouveaux éclos hors du contexte de la législation économique qui a vu naitre le concept, auront
un contenu spécifique. Le Tribunal de l'Union a déjà précisé certaines particularités de la responsabilité
que peut encourir l'Union dans la lutte contre le terrorisme (Trib. 23.11.2011, T-341/07, Sison c/Conseil
soutenu par Pays-Bas, Royaume-Uni, et Commission com. D.Simon, "Europe" 1/2012)
Leur jurisprudence ne donne aucune liste préfixée de facteurs objectifs permettant de mesurer la gravité de
la violation.
Jurisprudence
Certaines expressions employées par les arrêts permettent cependant d'en percevoir le degré : une
formule fréquemment utilisée est que l'institution à laquelle est imputable le fait générateur du dommage a «
méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s'imposent à l'exercice de ses pouvoirs » (C.J.C.E.
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25.05.1978 Bayerische HNL 83/76, 1209 4.10.1979, Dumortier et a, 64/76, 3091 15.09.1982, Kind, 106/81,
2885 19.05.1992, Mulder et a, c-104/89, I, 3061).
Dans les cas extrêmes la Cour relèverait que le comportement de l'Institution communautaire « confinerait à
l'arbitraire (C.J.C.E. 5.12.1979, Amylum et Tunnel 116/77,397) ».
On trouve dans les conclusions des avocats généraux des expressions telles que « violation particulièrement
flagrante des règles de droit (K. Roemer sous l'arrêt Werhann 13.11.1973, 63/72, 1229) » ou « violation
qualifiée » et « infraction très caractérisée (Reischl sous l'arrêt Holtz et Willemsen, 2.07.1974, 53/73, 675) ».
Dans la jurisprudence du Tribunal de Première Instance cette méconnaissance est devenue le ''critère
décisif'' (T.P.I. 25.2.2003, Renco/Conseil, T-4/01, II-171).La méconnaissance manifeste et grave peut revetir
la forme d'un acte positif mais aussi celle d'une abstention illicite, d'une carence : le Tribunal a jugé que
l'abstention de la Commission de prendre des mesures permettant d'utiliser certains produits thérapeutiques
constituait une violation caractérisée du principe de bonne administration (T.P.I., 26.2.2003, Ceva et
Pharmacie entreprises/Commission, T-344/00 et T-345/00, II-229).
De même en s'abstenant d'enquêter sur l'existence d'un éventuel conflit d'intérêt dans une procédure de
passation d'un marché public (en l'occurrence une coordination entre l'un des soumissionnaires et un membre
du comité d'évaluation) la Commission dépasse la marge d'appréciation qui lui appartient dans ce domaine et
« méconnait de manière manifeste et grave les limites qui s'imposent à ce pouvoir d'appréciation » et engage
la responsabilité de la Communauté (TPI 17.3.2005, A F Corr management Consultants e.a. / Commission,
T-160/03, p.II - 981).
La prise en compte simultanée par le Tribunal de l'étendue de la "marge de manoeuvre" de l'institution et des
contraintes de totues natures qui pèsent sur l'exercice de ses compétences s'étend aux analyses économiques
sous-jacentes aux décisions que prend la Commission dans certains domaines très techniques comme celui
de l'apolitique de concurrence l'arrêt My Travel du 9 septembre 2008 donne une liste détaillée des éléments
pris en compte par le juge communautaire. Dans cette affaire concernant une décision de la Commissoin
déclarant une opération de concentration incompatible avec le marché unique, le Tribunal a considéré que
ces analyses économiques sous-jacentes étaient élaborées à partir d'énoncés intellectuels complexes, que
des insuffisances, approximations, omissions, pouvaient s'y glisser d'autant plus facilement qu'elles ont un
aspect prospectif et, qu'en conséquence, la gravité d'une insuffisance documenaire ou logique pouvait ne pas
toujours être considérée comme une violation "suffisamment caractérisée" d'une norme protectrice, susceptible
d'engager la responsabilité extracontractuelle de l'Union. Si l'on ajoute que la Commission dispose de la plus
grande lattitude dans le choix des angles d'approche et des instruments économétriques, on conçoit que la
tâche du requérant sera ardue. Il ne disposera que de l'ultime protection que lui assure le juge de l'Union lorsque
le Tribunal exige cependant que ces choix des instruments économétriques et des angles d'approche ne soient
pas "manifestement contraires aux règles admises de la discipline économique" et osient mise en oeuvre "de
manière conséquente" (Trib.Arrêt 9.09.2008 My Travel/Commission T-212/03, pII - 1967, pts 80-83,95)
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La recherche de la méconnaissance manifeste et grave par l'institution des limites qui s'imposent à l'exercice
de ses pouvoirs, constitutive d'une violation suffisamment caractérisée d'une norme proectrice et susceptible
d'engager la responsabilité extracontractuelle de l'Union, occupe aussi une place dans le contentieux du
manquement d'Etat l'"avis motivé" de la Commission qui termine la phase pré-contentieuse de la procédure
de constatation du manquement d'un Etat membre ou les divers agissements de la Commission au cours
de cette procédure peuvent-ils constituer une méconnaissance manigeste et grave par la Commission des
limites qui s'imposent à l'exercice de ses pouvoirs ? La Commission peut, par exemple faire, dans l'avis
motivé une analyse du droit communautaire et par conséquent des obligations de l'Etat qui s'avèrera, par
la suite, erronée. Le tribunal s'appuyant sur une jurisprudence bienétablie qui laisse à la Communauté le
pouvoir de juger de l'opportunité de toutes les étapes de la procédure de constatation du manquement, a
considéré qu'une prise de position, même erronée, de la Commission dans l'avis motivé ne dépassait pas sa
marge de manoeuvre et ne constituait pas une méconnaissance manifeste et grave des limites qui s'imposent
à son pouvoir d'appréciation. Les obligations que les traités mettent à la charge des Etats membres. Mais
dans le cas où l'avis motivé contiendrait des appréciations qui iraient au-delà de ce qui est nécessaire pour
établir l'existence du manquement, et dans le cas où d'autres agissements de la Commission au cours de
la procédure (divulgation illicite de secrets d'affaire, information attentives àla réputation d'une personne
par exemple), il y aurait méconnaissance manifeste et grave des limites qui s'imposent à l'exercice des
pouvoirs de la Commission, constitutive d'une violation caractérisée d'une norme protectrice des particuliers
susceptibles d'engager la responsabilité extracontractuelle de l'Union (Trib, arrêt 18.12.2009 Arizmendi ea/
Conseil et Commission T-440/03, T-121/04, T-171/04, T-208/04, T-365/04 et T-484/04, p II - 4883 et pts 74-78)
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Section 2. L'imputabilité du fait
générateur à l'Union
L'obligation qui pèse sur chacune des Communautés européennes, conformément aux principes
communs aux droits des Etats membres, de réparer les dommages causés par leur comportement,
exige que le fait générateur du dommage, quel que soit sa nature, lui soit imputable par l'organe de
l'une de ses Institutions ou de l'un de ses agents agissant dans l'exercice de ses fonctions.
Cependant, dans la mise en œuvre des politiques communes, l'action de la Communauté et celle de
ses Etats membres sont étroitement imbriquées. Cette imbrication rend, parfois, difficile la détermination
de ce qui est imputable à l'Union, relève de la compétence du juge communautaire, de l'application du
régime communautaire de la responsabilité non contractuelle et met l'indemnisation à la charge du budget
communautaire, et ce qui est imputable à l'Etat membre et relève du droit et du contentieux national de la
responsabilité de la puissance publique et met l'indemnisation à la charge du budget national.
Dans les cas où il peut y avoir cumul d'imputabilité, la jurisprudence communautaire s'efforce d'éviter le
cumul abusif d'indemnisation. Le comportement de la victime du dommage peut empêcher l'imputabilité du
dommage à l'Union. La force majeure, restrictivement définie, peut constituer une cause d'exonération de toute
responsabilité.
Le fait générateur du dommage doit pouvoir être imputé au comportement illicite d'une institution
communautaire, au sens large du terme, à son mauvais fonctionnement, à sa carence ou à celui d'un de ses
agents individualisé lorsqu'il agit dans le cadre de ses fonctions.
Lorsque la Communauté a été condamnée à réparer le dommage causé par l'un de ses agents, elle peut
exercer à son encontre une action récursoire.
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Jurisprudence
Elle ne vise pas seulement les 'Institutions'' communautaires, organes principaux de la Communauté
(Parlement européen, Conseil, Commission, Cour de justice, Cour des comptes) mais doit aussi être comprise
comme recouvrant également, eu égard au système de responsabilité non contractuelle établi par le Traité,
tous les autres organismes communautaires institués par le Traité et destinés à la réalisation des objectifs de
la Communauté (T.P.I., 10.4.2002, Lamberts/Médiateur, T-209/00, II-2203). Il s'est agit d'abord de la Banque
européenne d'investissement (C.J.C.E. 2.12.1992, S.G.E.E.M., c/B.E.I., C-370/89, I, 6211).
La solution retenue par la Cour est d'autant plus intéressante que la B.E.I. a une personnalité juridique distincte
de celle de la Communauté européenne et qu'elle n'est pas, au sens juridique, un organe de la Communauté.
Or, la responsabilité est étroitement liée à la personnalité juridique. Mais la Cour a considérée que la B.E.I.
a été créée par le Traité de Rome, qu'elle contribue à la réalisation des objectifs de la Communauté, qu'elle
est contrôlée par la Commission et que l'on peut considérer qu'elle agit pour la Communauté.
La question de l'imputabilité ne se posera pas pour les dommages causés par la Banque centrale européenne,
créée par le traité de Maastricht, ou par ses agents agissant dans le cadre de leurs fonctions puisque l'alinéa
3 de l'article 288 CE (ex.article 215 CE) impute expressément leurs actes à la Communauté.
Les actes du médiateur sont imputables à la Communauté et sont susceptibles d'engager sa responsabilité
non contractuelle. Les compétences du Parlement européen à son égard ne s'apparentent pas à un pouvoir
de contrôle juridictionnel. Il appartient donc à la Cour d'exercer ce contrôle juridictionnel (C.J.C.E. 23.03.2004,
Médiateur/Lamberts, C-234/02, I, 2803). Le médiateur disposant cependant d'une large marge d'appréciation
quant au bien fondé des plaintes, et, n'étant lié par aucune obligation de résultat, le contrôle de la Cour ne
peut être que limité. La Cour n'a cependant pas exclu, qu'à titre exceptionnel, un citoyen puisse démontrer
que le médiateur a commis une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire de nature à lui
donner droit à réparation. Par contre, le Conseil européen n'est pas considéré par le T.P.I. comme une
institution de la Communauté : l'attribution par le Conseil européen d'Helsinki à la Turquie du statut de candidat
à l'adhésion à l'Union européenne ne saurait engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté
car elle résulte d'un acte du Conseil européen qui n'est pas une institution de la Communauté au sens de
l'article 7 CE (T.P.I., Ordonnance du 17.12.2003, Krikorian e.a./Parlement e.a., T-346/03).
Certains actes des Institutions intergouvernementales de l'Union européenne (le Conseil européen, par
exemple), même lorsqu'ils causent des dommages, n'engagent pas la responsabilité extracontractuelle de
la Communauté. Il en va ainsi, selon l'article 46 T.U.E., des actes accomplis dans le cadre de la politique
étrangère et de sécurité commune (P.E.S.C.) pour lesquels l'article 46 T.U.E. exclut tout recours en indemnité.
Le Tribunal de Première Instance s'est ainsi déclaré incompétent pour connaître d'un recours en indemnité
consécutif au dommage causé par une position commune fondée sur l'article 34 T.U.E. et pour connaître
d'une déclaration inscrite au procès-verbal de sa réunion. Le T.P.I. se reconnaît en revanche compétent pour
connaître d'un tel recours en indemnité si les requérants invoquaient une méconnaissance des compétences
de la Communauté (Ordonnance du 7 juin 2004, Segi e.a / Conseil, T-338/02).
A contrario, le comportement d'un organisme qui n'agit pas pour le compte de la Communauté n'est pas
imputable à la Communauté (C.J.C.E., 22.03.1990, J-M Le Pen et le Front National c/Puhl, C-201/89, I, 1183).
Le fait générateur imputable à la Communauté n'est pas sans rappeler la "faute du service'' du droit
administratif français. Dans la CECA, l'article 40 du Traité de Paris exigeait expressément que le préjudice
soit « causé par une faute de service de la Communauté ».
La jurisprudence a fréquemment imputé à la CECA des fautes de service de la Haute Autorité. Il s'agissait
d'actes individuels illégaux, comme la résiliation fautive du contrat d'un agent (C.J.C.E. 12.07.1957, Algera
et consorts, 7/56, 81), de l'inexécution d'une obligation (C.J.C.E. 14.07.1961, Vloeberg c/Haute Autorité, 9 et
12/60, 391), de la mauvaise organisation du service, ou du défaut de surveillance d'organismes auxquels la
Haute Autorité avait confié des taches relevant de sa compétence (C.J.C.E., 10.05.1960, FERAM, c/Haute
Autorité, 1/60, 351).
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Dans la C.E., comme on l'a vu, les arrêts de la Cour ne font, parfois, plus référence expresse à une faute
mais s'appuient sur la notion d'illégalité ou d'illicéité, quitte à donner à ces notions un contenu particulier.
En tout état de cause, divers comportements ont été, selon la Cour, des faits générateurs de dommages
imputables à la Communauté : la violation des règles de fonctionnement internes de l'institution (C.J.C.E.,
12.07.1976, Di Pillo c/Commission, 10 et 47/72, 763), l'abus des pouvoirs attribués à l'institution (C.J.C.E.,
14.07.1967, Kampffmeyer, 5/66, 317), la communication aux opérateurs d'informations erronées (C.J.C.E.,
10.02.1972, Richez-Parise, 40/71, 73).
La C.E.E.A. a connu, au tout début de son existence, un cas dans lequel le comportement d'un agent identifié
(en l'occurrence l'utilisation par un agent de la Communauté de sa voiture personnelle pour se déplacer lors
de l'accomplissement de son service) aurait pu engager sa responsabilité.
En l'espèce, la Cour a retenu une conception restrictive "de l'exercice des fonctions'', transposée du
droit allemand : seuls les actes de l'agent, accomplis en vertu d'un rapport interne et direct, constituant le
prolongement nécessaire des missions assignées à l'institution communautaire peuvent être imputés à la
Communauté. Ce choix excluait donc, en l'espèce, l'imputabilité du fait générateur à la Communauté.
La responsabilité personnelle de l'agent est réglée par les dispositions du statut des fonctionnaires et
notamment par son article 22, 1 qui dispose que « le fonctionnaire peut être tenu de réparer en totalité ou
en partie le préjudice subi par la Communauté en raison de fautes personnelles graves qu'il aurait commises
dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ».
Il revient dans ce cas à l'agent de se pourvoir contre la décision devant la juridiction communautaire. Pour des
raisons de procédure (nécessité de requêtes parallèles de la victime contre l'agent et contre la Communauté),
le droit communautaire n'a pas organisé d'action récursoire de l'agent contre la Communauté.
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D'une jurisprudence très nuancée on peut dégager quatre propositions :
• La responsabilité de l'Union ne peut être engagée lorsque le dommage est imputable au seul
comportement d'un Etat membre. Pour que la responsabilité puisse être engagée, il est nécessaire que
le dommage résulte " d'un acte ou d'une omission de la Communauté (C.J.C.E., 26.11.1975, Société des
Grands Moulins des Antilles, 99/74, 1531) ". Ce principe ne souffre exception que dans le cas ou l'autorité
nationale agissait dans l'exercice d'une compétence liée et qu'elle était donc juridiquement obligée de
suivre les instructions d'une institution de l'Union.
• Les dommages causés par des mesures nationales prise dans l'exercice, par un Etat membre, d'une
faculté offerte par un acte communautaire l'autorisant à déroger aux règles communautaires de droit
commun, et qui ne crée pas une obligation d'utiliser cette dérogation, ne sont pas imputables à l'Union,
sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur la légalité de la mesure communautaire autorisant la
dérogation (T.P.I., 17.12.03., D.L.D.Trading c/Conseil, T. 146/01).
• Le comportement illicite d'un Etat membre dans l'application de décisions communautaires légales ne
peut engager la responsabilité de la Communauté, les dommages qui en résultent ne peuvent faire l'objet
d'une action devant la Cour de justice.
• Dans les cas où le dommage résulte à la fois du comportement illicite d'un Etat membre dans l'application
de dispositions communautaires illégales et d'un comportement illicite des institutions communautaires,
il y a cumul de responsabilités et la responsabilité de la Communauté peut être engagée devant la Cour
de justice (C.J.C.E., 24.06.1986, Développement S.A. et Clemessy, 267/82, 1907 ; C.J.C.E., 8.04.1992,
J.Cato, C-55/90, I, 2564), tandis que celle des autorités nationales peut l'être devant les juridictions
nationales.
• Dans le cas de cumul de comportements illicites, la préoccupation de la Cour de justice est d'apprécier
aussi précisément que possible la responsabilité de la Communauté et d'évaluer avec précision
l'obligation de réparation qui pèse sur elle. La jurisprudence Kampffmeyer (C.J.C.E., 14.07.1967,
Kampffmeyer, 5/66, 317) l'incite à être d'abord informée des résultats de l'action en responsabilité
intentée par la victime devant la juridiction nationale et de la réparation qu'elle a obtenue, de manière
à éviter l'enrichissement sans cause que le parallélisme des actions en responsabilité procurerait à la
victime en permettant une indemnisation globale supérieure à la valeur du dommage.
§ 3. L'influence du comportement de la
victime sur l'imputabilité à l'Union
Bien que le comportement illicite d'une institution communautaire ait contribué à engendrer le
dommage, le comportement de la victime peut rompre la chaîne de causalité : dommage-fait générateur-
imputabilité à la Communauté et faire disparaître ou atténuer la responsabilité de la Communauté.
Dans ce domaine comme dans d'autres (par exemple dans l'application du principe de respect de la confiance
légitime), la Cour de justice, comme le Tribunal de première instance, exigent de la victime, qui est avant tout
un opérateur économique qui doit avoir une bonne connaissance du fonctionnement du marché unique, "un
comportement averti''.
Jurisprudence
Le Tribunal de première instance a, par exemple, jugé que le comportement de la victime qui n'avait pas
fait preuve d'une "diligence raisonnable" faisait disparaître l'imputabilité du fait générateur à la Communauté
(T.P.I., 15.03.1995, Cobrecaf, T-514/93, II, 621 ; T.P.I, 11.07.1996, International Procurements Services,
T-175/94, 729 ; T.P.I., 24.10 2000, Fresh Marina/Commission, T-178/98, II, 3331).
Jurisprudence
La Cour souhaite l'utiliser en faisant varier son contenu « en fonction du cadre légal dans laquelle elle est
destinée à produire ses effets ». (C.J.C.E., 11.07.1968, Schwarzwaldmilch, 4/68, 549 ; C.J.C.E., 30.01.1974,
Kampffmeyer, 15/73, 101)
Le noyau central de la notion de force majeure retenue par la Cour de justice est l'existence de causes
extérieures à la Communauté ou à la victime du dommage imprévisibles et dont les conséquences sont
inévitables (C.J.C.E. 18.03.1980, Valsabbia, 154/78, 907).
Sur cette base, la Cour a précisé la notion dans le domaine particulier de la politique agricole commune et en
particulier des règlements agricoles, en donnant une définition très complète des causes et des conséquences
de la force majeure dans ce domaine : la notion « n'est pas limitée à celle d'impossibilité absolue, mais doit
être entendue dans le sens de circonstances étrangères à l'opérateur concerné, anormales et imprévisibles ».
Les conséquences de la force majeure doivent être telles qu'elles « n'auraient pu être évitées qu'au prix de
sacrifices excessifs malgré toutes les diligences employées ».
L'exigence que les circonstances soient extérieures à la victime du dommage causé par le règlement a pour
conséquence que la victime, pour être indemnisée, doit s'être comportée en "opérateur prudent'' (notion
voisine de celle de "l'opérateur averti'') en prenant les précautions adéquates : par exemple, en contractant
une assurance ou en incluant une clause adéquate dans le contrat qui n'a pu être exécuté (C.J.C.E.,
13.10.1993, Inter-Agra S.A., C-124/92, I, 5061).
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