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Pratique Neurologique – FMC 2013;4:258–261

Pour la pratique

Comment j'examine et je gère les


troubles de la déglutition dans la
sclérose latérale amyotrophique ?
How I examine and manage swallowing disorders in
amyotrophic lateral sclerosis

Département de neurologie, pôle tête et cou, centre SLA, CHU Hautepierre, D. Griffet-Lecoeur
1, avenue Molière, 67098 Strasbourg, France M.-C. Fleury

RÉSUMÉ
Mots clés
Les troubles de la déglutition, fréquents dans la sclérose latérale amyotrophique avec atteinte
bulbaire, constituent un des facteurs de gravité de cette maladie notamment parce qu'ils peuvent Atteinte bulbaire
être la cause d'une dénutrition ou l'entretenir et parce qu'ils sont à l'origine de fausses routes, Sclérose latérale
sources d'infections respiratoires parfois graves. L'analyse régulière de la déglutition et de ses amyotrophique
différents temps fait partie du suivi régulier des patients atteints de SLA. Elle doit permettre de Gastrostomie
dépister d'éventuels dysfonctionnements avant que ne s'installent pénibilité des repas et trou-
bles nutritionnels. Dans un premier temps des ajustements de texture et de posture permettant Keywords
de contourner les difficultés pourront être proposés. Enfin, selon des critères cliniques parfois Amyotrophic lateral
aidés d'examens complémentaires comme la nasofibroscopie, seront parfois proposées des sclerosis
techniques d'alimentation alternative entérale ou parentérale. Bulbar syndrome
© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. Gastrostomy

SUMMARY
Swallowing disorders are common symptoms in the bulbar form of amyotrophic lateral sclerosis
and can worsen the prognosis of the disease due to the denutrition and the pulmonary infections.
Regular examination and evaluation of swallowing is needed to detect difficulties before the
occurrence of complications. Symptomatic treatments and enteral or parenteral nutritional
support can be proposed to overcome difficulties.
© 2013 Published by Elsevier Masson SAS.
1
SFN (Société française de
neurologie) (2005). Prise en
charge des personnes atteintes de
socialement embarrassant) (Paris et al.,

L
a sclérose latérale amyotrophique sclérose latérale amyotrophique.
(SLA), maladie neurodégénérative fré- 2013). Ils sont générateurs de stress et Conférence de consensus du 23 et
quente (incidence annuelle de 1,5 à d'anxiété pour le patient mais aussi pour 24 novembre 2005. Texte des
2,5 pour 100 000 habitants, prévalence de l'entourage et nécessitent une prise en charge recommandations
4 à 6 pour 100 000 habitants), se caractérise précoce, afin d'éviter au maximum les compli- professionnelles. HAS (Haute
par l'association de signes d'atteinte du moto- cations : perte de poids et dénutrition qui Autorité de santé).
neurone central et du motoneurone périphé- majorent la fonte musculaire, infection pulmo-
rique et touche, de façon variable, plusieurs naire liée aux fausses routes.
territoires (cervical, dorsal, lombo-sacré)1.
Les signes bulbaires (et/ou pseudobulbaires) Auteur correspondant :
peuvent inaugurer la maladie dans 20 à 35 % D. Griffet-Lecoeur,
des cas. Ils entraînent progressivement des Département de neurologie,
DÉGLUTITION ET SLA pôle tête et cou, centre SLA,
troubles de la phonation, de la parole et de la
CHU Hautepierre, 1, avenue
déglutition (Traynor et al., 1171). La déglutition assure la manipulation et le
Molière, 67098 Strasbourg,
Les troubles de la déglutition d'aggravation transport des aliments, de la cavité buccale France.
progressive vont être invalidants et impacter jusqu'à l'estomac. La déglutition doit se faire Adresse e-mail :
rapidement la qualité de vie du patient (impos- en protégeant les voies respiratoires en évi- griffetdelphine@yahoo.fr
sibilité de manger au restaurant, bavage tant toute stagnation de corps étrangers dans (D. Griffet-Lecoeur)

© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.


258 http://dx.doi.org/10.1016/j.praneu.2013.10.011
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Pour la pratique

Figure 1. Les 3 temps de la déglutition. D'après schéma http://app-asap.over-blog.com/categorie-11150228.html.

le pharynx : alimentation évidemment, mais aussi résidus Le temps pharyngé succède au temps oral dès lors que le bol
alimentaires, sécrétions nasales, salive, mucus bronchique, alimentaire franchit l'isthme du gosier (ouverture comprise
régurgitations en dehors des repas. entre les piliers antérieurs du voile du palais et marquant la
C'est un acte automatico-volontaire qui nécessite une syn- limite entre la bouche et la pharynx). Les récepteurs oro-
chronisation rapide et parfaite des organes effecteurs et un pharyngés situés sous la base de langue sont stimulés et
contrôle neurologique précis (Fig. 1). enclenchent le réflexe de déglutition, se traduisant alors par
Dans la SLA, ce sont les deux premiers temps de la déglutition une occlusion du vélo-pharynx (grâce à l'ascension du voile du
qui sont atteints. palais), une occlusion du larynx (adduction des cordes vocales
Le premier temps buccal regroupe deux phases : la phase et des bandes ventriculaires, bascule épiglottique) et son
préparatoire comprend la mise en bouche et la préparation du ascension en haut et en avant, une propulsion pharyngée liée
bol alimentaire (mastication/insalivation). Ce temps buccal est au péristaltisme des muscles constricteurs du pharynx et
un temps automatico-volontaire qui met en mouvement lèvres, l'ouverture du sphincter supérieur de l'œsophage. Le temps
langue, joues, mandibule, voile du palais. Lors de la seconde pharyngé est un temps automatico-réflexe.
phase, le bol alimentaire est rassemblé sur le dos de la langue Dans la SLA, nous noterons (Bianco-Blache et Robert, 2002 ;
puis propulsé vers le pharynx par un mouvement antéro-pos- Ertekin et al., 2000) :
térieur de la langue.  un retard du déclenchement du réflexe de déglutition, en lien
Dans la SLA, nous allons retrouver (Bianco-Blache et Robert, avec la paralysie linguale ;
2002 ; Ertekin et al., 2000) :  des stases oro-pharyngées avec sensation de blocage haut,
 une difficulté de mise en bouche avec bavage fréquent et liées à la paralysie des muscles constricteurs supérieurs et
écoulement passif aux commissures labiales, en lien avec la des muscles pharyngo-staphylins ;
paralysie de l'orbiculaire des lèvres ;  des stases dans l'hypo-pharynx (vallécules et sinus pirifor-
 des difficultés de formation du bol alimentaire liées à la mes) avec sensation de blocage bas, en gorge. Ces diffi-
paralysie linguale. Les mouvements latéraux étant dimi- cultés sont liées à la paralysie des muscles constricteurs
nués, les aliments ne sont plus conduits sous les dents moyens et inférieurs du pharynx ;
pour la mastication ;  des fausses routes pendant la déglutition par mauvaise
 des stases alimentaires liées aux difficultés de mobilité protection des voies aériennes inférieures (défaut d'accole-
linguale. Les aliments sont difficilement rassemblés sur le ment des cordes vocales et diminution de l'ascension
dos de la langue et provoquent des stases jugales, les laryngée) ;
difficultés d'élévation linguale et de recul de base de langue  des fausses routes secondaires à la déglutition, par mau-
entraînent quant à elles des stases au niveau palatal ; vaise ouverture du sphincter supérieur de l'œsophage et
 une mastication lente et peu efficace, liée à la paralysie des débordement des sinus piriformes ;
muscles masticateurs. Cependant, l'atteinte des muscles  un reflux nasal, lié à un défaut de fermeture vélo pharyngée
masséters, temporaux et ptérygoïdiens est en général plus par paralysie des muscles élévateurs du voile ;
tardive ;  un rejet alimentaire lié au réflexe nauséeux exacerbé.
 des morsures de la muqueuse jugale liée à la paralysie des Le troisième et dernier temps de la déglutition, le temps œso-
muscles des joues (buccinateur et risorius) ; phagien, est réflexe et permet au bol alimentaire de descendre
 des fausses routes avant déglutition par défaut de fermeture jusqu'à l'estomac, grâce au péristaltisme œsophagien. Ce
du sphincter buccal postérieur. temps n'est pas touché dans la SLA. Les fausses routes

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Pour la pratique D. Griffet-Lecoeur, M-C Fleury

touchent généralement en premier lieu les liquides ou la salive. gélifiée, éviction d'aliments à risque de fausse route, alimenta-
Les difficultés vont progressivement s'étendre aux solides tion mixée) afin de réduire autant que possible la survenue de
jusqu'à une impossibilité de s'alimenter ou de s'hydrater. fausses routes.
Les troubles de la déglutition vont être aggravés par les trou- Un suivi diététique est également recommandé pour évaluer le
bles respiratoires (toux inefficace, difficulté de coordination niveau des ingestas et fournir des conseils diététiques afin
respiration/déglutition), les fausses routes pouvant même être d'équilibrer au mieux la balance énergétique (Desport et Cour-
silencieuses (sans toux). tier, 2006). La complémentation orale sera nécessaire dès lors
que les apports per os ne couvrent pas les besoins énergé-
tiques du patient (Genton et al., 2011).
Les troubles salivaires sont fréquents dans les formes bulbai-
EXAMEN DES TROUBLES DE LA DÉGLUTITION res. Les patients se plaignent souvent d'une hypersialorrhée
avec bavage gênant et stases salivaires buccales et pharyn-
Au cours de la consultation neurologique, un examen rapide
gées. Ces troubles sont liés à une modification de consistance
de la déglutition peut mettre en évidence un trouble de la
salivaire (salive plus épaisse et collante, présence de glaires),
déglutition (qui comprend les fausses routes buccales, nasa-
au défaut de contention labiale (paralysie de l'orbiculaire des
les, et trachéales, et les gènes, douleurs et blocages) et
lèvres) et aux troubles de la déglutition.
indiquera la nécessité d'un bilan plus approfondi et une prise
Différents traitements pour lutter contre l'hypersalivation peu-
en charge par une orthophoniste et une diététicienne.
vent être proposés. Des traitements médicamenteux : l'ami-
L'interrogatoire du patient et de l'entourage est primordial.
triptyline (50 mg/mL) en gouttes, l'atropine 1 % en goutte sur la
Différents signes sont à rechercher et vont permettre d'établir
langue, la clomipramine per os, la scopolamine en dispositif
la gravité des troubles de la déglutition (Bouteloup, 2006) : la
transdermique, les injections de toxine botulique dans les
perte de poids et le délai de constitution de cette perte de poids
glandes salivaires (en cours d'évaluation) peuvent être pro-
(perte > 5 kg en 3 mois ou de 10 % du poids habituel), l'allon-
posées. La radiothérapie des glandes salivaires, à petite dose,
gement du temps des repas (> 45 min), les modifications des
est envisagée parfois en cas de non-réponse aux traitements
textures (nécessité de couper finement, de mixer, aliments
médicamenteux usuels, avec comme inconvénients princi-
évités), des épisodes bronchitiques fréquents, des épisodes
paux des effets secondaires locaux gênants (mucite) et son
de toux au cours des repas.
caractère irréversible.
Il est utile de demander au patient de décrire ses difficultés
À l'inverse, certains patients vont rapporter une sécheresse buc-
(difficultés de préhension labiale, de mastication, sensation
cale, survenant essentiellement la nuit ou au réveil, liée à une
d'aliments collés, de blocage pharyngé, toux, hypersialorrhée)
respiration bouche ouverte ou à la suppléance ventilatoire. La
(Bianco-Blache et Robert, 2002). Il est également intéressant
prise en charge va alors reposer sur des conseils d'humidification
d'être à l'écoute de la personne accompagnante, les avis
buccale (spray), de soins de bouche avec utilisation de cotons
contradictoires peuvent exister, les fausses routes minimisées
citronnés, l'acidité favorisant la production de salive. Dans les
ou même parfois niées par le patient.
stades bulbaires évolués, il sera nécessaire d'évoquer des
Les troubles de la déglutition sont à mettre dans la perspective
modes de nutrition alternative, parentérale ou entérale.
globale du patient : problèmes de préhension (prendre les
La nutrition entérale par sonde de gastrostomie est en général
couverts, porter à la bouche), troubles respiratoires ou encore
la technique privilégiée pour des raisons multiples (entre
troubles du comportement alimentaire (anorexie). Enfin, les
autres nutritionnelles et de simplicité d'utilisation notamment
notions de plaisir, de socialisation ou encore de culture diffè-
à domicile) (Bouteloup, 2006). S'il n'existe pas de critères
rent d'un patient à l'autre et ne sont pas à négliger.
objectifs déterminant le meilleur moment pour poser une
L'examen des nerfs crâniens (V, VII, IX, X, XII) et de la toux est
sonde de gastrostomie, l'insuffisance des apports protéino-
systématique. L'atrophie linguale et les fasciculations sont les
énergétiques, une perte de poids importante, les fausses
premiers signes de l'atteinte bulbaire. L'examen de la statique
routes fréquentes, mais aussi l'angoisse du patient et de
céphalique et de la musculature cervicale est aussi essentiel.
l'entourage sont autant d'éléments à prendre en considération
Outre l'examen clinique, l'utilisation d'échelles peut permettre
pour la proposer. Les bénéfices attendus (stabilisation voire
de quantifier les troubles de la déglutition et d'en suivre l'évo-
prise de poids, diminution de l'angoisse et donc globalement
lution. Les principaux scores utilisés en pratique sont le score
amélioration de la qualité de vie) doivent être clairement expli-
bulbaire de l'ALS-FRS et le score de Norris bulbaire (Benaïm
cités. La sonde de gastrostomie peut être mise en place par
et al., 2006).
voie radiologique, endoscopique ou chirurgicale ; le choix de
Enfin, il peut être utile de demander auprès d'un ORL une
la technique de mise en place peut dépendre de facteurs
nasofibroscopie, afin d'objectiver des troubles de la déglutition
intrinsèques aux patients (comme la nécessité d'une assis-
sur des textures particulières et ainsi guider la décision de
tance respiratoire pendant le geste, les possibilités d'anesthé-
l'arrêt de l'alimentation orale.
sie générale, la capacité à tolérer le fibroscope) et de facteurs
liés aux équipes interventionnelles et à leurs habitudes.
D'autres modes de nutrition peuvent être envisagés par voie
CONSEILS ET RECOMMANDATIONS parentérale (sur des voies veineuses centrales) mais néces-
sitent des règles d'asepsie strictes plus contraignantes.
Devant des troubles de la déglutition, il convient de prescrire Enfin, il est possible de diriger les patients atteints de SLA vers
un bilan et une prise en charge orthophonique afin d'assurer un l'un des 17 centres référents SLA2 qui assurent le suivi régulier
suivi régulier (Lévêque, 2006). L'orthophoniste travaillera tous
les temps de la déglutition, en trouvant des moyens de
compensation et/ou d'adaptation. Il s'agira de trouver la pos-
2
ture et les textures idéales (épaississement des liquides, eau Centres SLA: liste disponible sur portail-sla.fr.

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Pour la pratique

des patients auprès d'une équipe pluridisciplinaire. Les Déclaration d'intérêts


patients bénéficient de façon pluriannuelle d'un bilan avec Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation
tous les membres de l'équipe : neurologue, orthophoniste, avec cet article.
diététicien, kinésithérapeute, psychologue, assistante sociale,
ergothérapeute ainsi que bénévole d'associations.
RÉFÉRENCES
Benaïm C, Desnuelle C, Fournier-Méhouas M. Echelles fonctionnelles
et évaluation des fonctions motrices dans la sclérose latérale
amyotrophique. Rev Neurol (Paris) 2006;162(S2):131–4.
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quelle prise en charge orthophonique.Marseille: Solal; 2002.
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 Prise en charge orthophonique. (S2):309–19.
 Prise en charge diététique avec complémenta- Desport J-C, Courtier P. Évaluation de l'état nutirtionnel lors de la
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 Alimentation alternative entérale ou parenté- Ertekin C, Aydogdu I, Yüceyar N, Kiylioglu N, Tarlaci S, Uludag B.
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sivement évoluer de façon défavorable et nécessiteront la Escorial and Airlie House Diagnostic Criteria. Arch Neurol 1171;
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