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A.mansion Metaphysique
A.mansion Metaphysique
Mansion Auguste. Philosophie première, philosophie seconde et métaphysique chez Aristote. In: Revue Philosophique de
Louvain. Troisième série, tome 56, n°50, 1958. pp. 165-221;
doi : 10.3406/phlou.1958.4955
http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1958_num_56_50_4955
philosophie seconde
{2) Ilepl 8t*Se tyjç xaxà xô eîSoç àpffiz, udxepov |i£a ^ TtoXXaî xal xtç ^
ôax*
xfveç eJaÉv, dfcxpijkfaç xy); rcpt&TTjç tpiXoaocpÉaç Ipyov èaxiv SiopÉaal,
elç lyieïvov xôv xaipôv arcoxeEafra). IIspl 8è xwv cpuaixwv xat <pfrapxG>v
èv xoîç Qaxepov 8etxvu{iévoiç èpoOjisv.
(ï) 8'... uept xaOxa S. èaxi x^ptaxà^ |ièv eïSet, XÉ èv OXig e 81 ; (194
SÉ b 12-13) ...
(14-15).
168 Augustin Mansion
<4) On trouvera plus loin les raisons qui nous font négliger le passage parallèle
du livre XI (K), 7.
'*) Voir notre Introduction à la physique aristotélicienne, 2e éd. (Louvain-
Paris, 1945), chap. V, § 1, pp. 122-126, et l'article L'objet de la science
philosophique suprême d'après Aristote, Métaphysique, E, 1 (dans Mélanges de
philosophie grecque offerts à Mgr Diès, Paris, 1956, pp. 151-168), surtout les pages
161-164.
(t) (Saxe xpetç Sv elev yi\oaoyla.i
(1026 a 18-19).
Philosophie première et métaphysique chez Aristote 169
«1T> 1, 995 b 6-10; 2, 997 a 11-15: en fait de désignations il n'y est question
que de science de Yoàoiot, et de celui qui l'exerce, le Ç>t,A(5aOCpOÇ.
1 74 A ugustin Mansion
la physique serait alors la première des sciences, il est clair que cette
priorité de la physique lui reviendrait dans ce cas du fait qu'il
n'existerait aucun objet supérieur au sien. Quand, après cela,
l'auteur y oppose l'existence d'une substance immuable, entendez :
immatérielle, et en quelque sorte divine d'après les indications données
plus haut (1026 a 15-22), et qu'il en conclut, cette fois, que la science
qui s'en occupe a la priorité sur la physique et est vraiment la
philosophie première, il est non moins clair que la primauté attribuée à
celle-ci lui appartient à raison de la dignité de son objet.
D'ailleurs, avant d'en arriver à ce paragraphe final, qui paraît
être postérieur en date à l'exposé précédent relatif aux trois ordres
de « philosophies », Aristote avait énoncé de façon expresse, à
propos de la philosophie à la fois première et théologique (cf. 1026
a 16, 19) que la science la plus haute doit avoir aussi l'objet le plus
élevé (25), d'accord en ceci avec ce qu'il avait affirmé dans l'Ethique
à Nicomaque, VI, 6, où il use d'une terminologie plus lâche et sans
doute plus ancienne à propos de la aocpi'a, laquelle, dit-il, doit être
entendue comme science dominante ayant pour objet les réalités les
plus élevées (xwv xt|nu)xàxu)v, 1141 a 20).
Plus haut, toujours dans Meiaph., VI (E), 1, cette manière de
voir est déjà insinuée dans le passage où la science théorique qui
atteint l'éternel, l'immuable, l'immatériel est dite posséder une
priorité sur la physique et sur les mathématiques : pour le montrer, les
caractères distinctifs des objets des trois sciences en question sont
aussitôt rappelés et mis en quelque sorte en opposition les uns avec
les autres (1026 a 10-16). — Même insinuation dans la polémique
contre les systèmes dualistes ou pluralistes des prédécesseurs d'Aris-
tote, Metaph., XII (A), 10, b 20-22 : ils devraient admettre quelque
chose qui s'oppose comme contraire à la sagesse (aocpfa) et à la
plus élevée des sciences : cette nécessité n'existe pas dans
l'explication aristotélicienne, suivant laquelle il n'y a rien qui soit
contraire à l'être premier (x<j) npt&xw). (Et, dès lors, sous-entend l'auteur,
cet opposé de la sagesse, n'ayant pas d'objet, n'existe pas). — On
<25> 1026 a 21-22: xat TYjv xt{nu)xàxi]V 8eî rcepl xè xi|U(î>xaxov yivoç elvat.
— Au début de son commentaire au livre III (B) de la Métaphysique, Alexandre
(171, 5-9 Hayduck) reprend les termes mêmes d'Aristote pour justifier l'appellation
7tp(J)X7] CTOCpta, qu'il cite d'ailleurs à côté des autres dénominations
aristotéliciennes ou traditionnelles de la métaphysique, comme désignant la même
discipline (1. 7-8): Xeyet 8è aôxYjv %al Tcptoxirjv aotpfav ôxi xwv TrpuYxwv ocal
xijuwxdcxœv èaxï frVj
Philosophie première et métaphysique chez Ariatote 179
* * *
<"> J'omets à la 1. 5 les mots Xal xà ëv, mis entre crochets par Natorp,
Ross, Jaeger.
<27> Voir dans Metaph., IV (F), 1, l'opposition entre la science de l'être comme
tel et les sciences particulières, dont aucune ne fait porter ses recherches
universellement sur l'être en tant que tel, mais les limite à un genre de l'être (1003 a
21-26); idées reprises et résumées sous une forme moins nette dans le paragraphe
d'introduction du livre VI (E), 1, 1025 b 3-18.
180 Augustin Mansion
«*•> III (B), I, 995 b 12: ... îj xàç p.èv aoyLaç xàç Se àXXo xt. Cf. 1. 5:
■rcepl &v èv xoTç Tceçpotiuaajiivoiç.... ; 2, 996 b 6-10: èx jièv o5v xôv rcdcXai
5ui)pia[iivœv x£va XP"*) xaXelv xwv èmaxYjiiwv aotpt'av...
<29> Metaph., Ill (B), I, 995 b 6-10: énoncé de la deuxième aporie; de même,
troisième aporie (11. 10-13), quatrième (11. 13-18), cinquième (11. 18-25); Yousia n'est
plus nommée dans les énoncés ultérieurs. — Dans les exposés qui suivent, à partir
du chap. 2, on a d'abord, concernant la première aporie, que, si l'on s'en tient
à la description de la sophia comme science dominatrice, elle sera plutôt science
de la fin et du bien; mais comme science de ce qu'il y a de plus connaissable,
182 Augustin Mansion
<s0> Protrept. fr. 5a Walzer; fr. 52 Rose 1886, à partir de p. 60, 16; fr. 5 Ross
à partir de p. 32, 7 (Jamblique, Protrept. 6, p. 37, 22-41, 5 Pistelli). Notez surtout:
sîusp èaxiv ^ jièv cpiXoaocpfa xafràrcsp oidjis^a xxfjaÉç xe xart XP^at?
aOCpÉaç (p. 29, 1. ult.-30, 2 Walz.; p. 62, 7-8 Rose; p. 33, 21-22 Ross), où l'on
retrouve en résumé la doctrine et les termes de Platon, Euthydem. 288D, avec le
développement subséquent 288e - 290e mis en rapport avec ce qui précède 278e-
282d (où on relèvera ce qui a trait à la GOCfia, 280AB et 28 Ib).
<"' Fr. 8, extrait de Philopon, in Nicom. lsagogen I, 1, dans la collection
W. D. Ross (trad, anglaise de 1952; édition du texte de 1955). Le fragment, sur
lequel nous aurons à revenir plus loin, ne figure pas dans les collections
antérieures.
<") Pp. 172-173 avec la note 16.
184 Augustin Mansion
1003 b 21-22: Stô xai toO ovtoç f\ 8v 5aa e!8irj &ewp?jaai jn«ç è<xtlv
T(p yévet,Tà te SÎStJ XWV e?5â)V. A la 1. 21, § 8V est omis par les
mss. EJ1, le lemme d'Alexandre et une citation d'Asclépius; attesté seulement par
AbJ'mg. et repris dans une partie de la paraphrase d'Alexandre; l'omission rend
plus naturelle l'interprétation courante et n'est pas requise pour l'autre
interprétation, qui nous paraît préférable. A la 1. 22, TE est la leçon des mss. et
d'Asclépius (cit.), reprise par Ross et Jaeger; Bonitz et Christ lui ont préféré 8è, tiré
d'Alexandre (lemme et citation), mais Ross (Comment. I, p. 257, ad loc.) fait
remarquer que la leçon TS est compatible avec l'interprétation la plus ordinaire,
à laquelle il se rallie. Au contraire, l'autre interprétation exige cette leçon *CS.
(") G. COLLE, Aristote. La Métaphysique, Livre IV. Traduction et
commentaire (Louvain, 1931), p. 5.
<"> Metaph., IV (H, 2, 1004 a 2-6. — Le passage est cité ci-dessus, p. 179;
voir la note 26.
186 Augustin Mansion
<40> Cf. Bonitz, Index, p. 378 a 35-38. Il arrive toutefois que dans le même
sens Aristote emploie SÎSoç pour Y^V°Ç> Par ex-« Physique, III, 1, 201 a 8-9.
<41> Metaph., III (B), 3, 998 b 22-27; An. Post. II, 7, 92 b 14; Top., IV, 1,
121 a 14-19.
Philosophie première et métaphysique chez Aristote 187
("> Aux pages 223-224 (dans la section IV, Beitrdge zur ErkJdrang der Meta-
physik des Aristoteïes, pp. 217-252) il déclare se rallier complètement à l'exégèse
de W. SCHUPPE {Die aristoteliachen Kategorien, 1866). — Les discussions que
P. NATORP {Thema und Disposition der aristotelischen Metaphysi\, dans Philoso-
phische Monatshefte, Bd 24, H. 1, pp. 36-65, 1887) consacre (§§ 3 et 4, pp. 41-45)
à Metaph., 1003 b 19 - 1005 a 18 vont dans le même sens.
<47> J'omets, comme plus haut p. 179 (voir n. 26), les mots (1- 5): Xai xà 2v,
avec les meilleurs critiques.
190 Augustin Mansion
<"> Voir VII (Z), 3, fin, 1029 a 33-34 avec le paragraphe 1029 b 3-12, que tous
les éditeurs récents, depuis Bonitz, y ont joint, pour d'excellentes raisons d'ailleurs.
Philosophie première et métaphysique chez Aristote 193
Encore: 2, début, 1028 b 8-15, et 11, 1037 a 13-14. — W. JAEGER (A ristoteles, p. 205
avec la note, et n. I de la p. 206) considère que les passages 1028 b 8-15 (et sans
doute aussi 1029 a 33-34) ainsi que 1037 a 10-20 (et d'autres encore) sont des
additions postérieures de l'auteur, datant du moment où celui-ci aurait inséré dans son
grand cours de métaphysique (tel que nous le possédons en gros maintenant) un
exposé plus ancien 7t£(?£ OÙoitXÇ qu'il retrouve dans nos livres ZH actuels de la
Métaphysique. Mais cela n'infirme en aucune façon notre conclusion générale,
car de l'avis de W. Jaeger lui-même (Ibid., p. 207, n. 3) cet exposé primitif n'était
ni purement métaphysique, ni purement physique, mais présentait plutôt un
caractère composite et relevait à la fois de la physique, de la métaphysique et
même de l'analytique.
(*•) Au livre Vil (Z), 1 1, 1037 a 14-16, il est bien question d'une étude
philosophique de ces substances, mais à cet endroit Aristote vise de la façon la plus
expresse la physique.
194 Augustin Mansion
* * *
<"» L. 14: TÏJÇ (puaixfjÇ xal 8eutépaç cpiXoaOCpLOCÇ. Les deux épithètes de
cpiXoOOCpÉaç désignent — de façon différente — le même objet; car CpuatXY] est
ici pur adjectif déterminant tpiAOGOtpltt. ', l'article Xf\Ç n'est pas, en effet, répété
avant SsUXepSCÇ ', aussi le KCfX qui suit a-t-il valeur copulative et non explicative,
physique ou naturel n'étant pas un synonyme de second; mais c'est la philosophie
naturelle qui est identique à la philosophie seconde, parce qu'il n'y a qu'une seule
philosophie, la philosophie première ou théologique, qui soit supérieure à la
philosophie naturelle, laquelle de ce fait doit être dite seconde. — La plupart des
traducteurs rendent la phrase comme si le mot CpUaiXY) était pris ici
substantivement, en sous-entendant èTCiaT^JJLIfj ou ÇlXoaocpta, (comme Aristote le fait
maintes fois) ; mais dans ce passage il n'y a pas lieu de sous-entendre quoi que
ce soit: le substantif auquel se rapporte l'adjectif cpuatXY] est énoncé dans la
phrase même: c'est tpiAOQOtpiot,, les deux termes formant ensemble une expression
courante également chez Aristote. Cf. BoNITZ, Index, 821 a 43-45.
<"> 1028 b 8-32.
Philosophie première et métaphysique chez Aristote 197
proprement dite. Cette manière de voir marque chez lui une étape
décisive dans sa théorie de la connaissance et dans la
systématisation qui en résulte des diverses parties du savoir philosophique.
Toute la question est alors de savoir à quel moment il a cru pouvoir
ériger la physique en une science philosophique, entendue au sens
strict.
Il serait vain, sans doute, de vouloir retrouver déjà la mention
d'une telle philosophie naturelle, entendue comme une branche ou
une partie de la philosophie, dans lavant-dernier paragraphe du
texte de Philopon dans lequel le P. A. J. Festugière, après les
indications moins décisives de Bywater et de Bignone, a reconnu un
fragment du livre premier du Ilepl cpiXoaocpÉaç d'Aristote, repris
d'abord en traduction anglaise, puis dans le texte grec original, par
Sir David Ross, dans ses deux recueils de Fragments d'Aristote (65i.
Il n'y est question que d'un stade de la culture humaine, celui
auquel les hommes furent dits « sages » à raison de leurs études
concernant les phénomènes de la nature ; mais ce stade est
précisément destiné à être dépassé par un autre, celui où ils devaient
acquérir la sagesse suprême, consistant dans la connaissance des
êtres divins et immuables (paragraphe final du fragment). Même si
la physique à laquelle ils avaient atteint antérieurement devait
demeurer comme une partie de leur patrimoine intellectuel, à côté de
de la politique, des arts qui contribuent à l'embellissement de
l'existence et de ceux qui pourvoient aux nécessités élémentaires de
celle-ci, — toutes formes de « sagesse » acquises successivement
par l'humanité, — l'ensemble de ces diverses connaissances n'est
envisagé en aucune façon comme un tout structuré dont les
différentes disciplines seraient les parties s Dès lors, on ne peut pas non
plus identifier la « philosophie première » avec la philosophie tout
court dont traite, d'après son titre lui-même, le dialogue
aristotélicien Ilepl cptXoaocpÉaç. Sans doute a-t-on reconnu avec raison que,
parmi les fragments du dialogue, ceux qui ont trait à la divinité
doivent provenir du troisième livre de l'ouvrage où l'auteur exposait
(Voir
Aristoteles'
Tijdschrift
wijsgerige
ooor ontwtkkeling
Philosophie, ? VII,
pp. 127-140).
1945, Vooruitgang in de studie van
(") De gen. et corr., I, 3, 318 a 3-6.
<70> De partions animal, I, 1, 641 a 32 - b 2; Metaph., IV (D, 3, 1005 a 33 - b 2;
VI (E), 1, 1026 a 27-30; VII (Z), 11. 1037 a 10-17.
206 Augustin Mansion
phique, une étape assez bien définie, mais que au cours de cette
étape même ces conceptions ont subi encore un certain
développement. La distinction qui s'exprime par les dénominations qu'on
vient de rappeler, doit remonter au moment où Aristote, grâce à
la théorie de l'abstraction, a pu reconnaître à la physique une valeur
de science stricte, tout en mettant au-dessus d'elle une science
supérieure, philosophie au sens fort du mot, parce que, comme dans
le dialogue Sur la philosophie, elle s'élève jusqu'à l'Etre immatériel
suprême, Dieu, dans lequel elle trouve l'explication dernière de
toute réalité. — Plus tard, tout en respectant les positions acquises
de cette manière, Aristote a fait entrer les mathématiques dans sa
classification des science théoriques en vertu de ce qu'on a appelé
la théorie des trois degrés d'abstraction. — Et finalement, quand il
eut découvert que la science philosophique suprême devait assigner
les causes dernières à l'être en tant qu'être, c'est à dire à tout ce qui
est, considéré en tant qu'existant, il s'est employé à ramener à cette
métaphysique absolument générale sa philosophie première en se
fondant sur cette considération : que cette philosophie première,
ayant pour objet l'Etre absolument premier auquel tous les autres
se rapportent de quelque façon, doit fournir l'explication dernière
de tout ce qui est. A ce stade ultime, la philosophie première,
science de l'immatériel, se trouve assumée en quelque sorte dans la
métaphysique de l'être en tant qu'être ; c'est, sans doute, par un
souci d'unité qu' Aristote affirme sans restriction, mais au dépens
d'une exactitude absolument rigoureuse, que la philosophie
première est aussi la science philosophique pleinement universelle.
*« •
avant que le livre V(À) ait été inséré dans la série des livres
formant notre Métaphysique actuelle.
Peu après, en 1888, Paul Natorp, qui avait longuement étudié
la composition de la Métaphysique d'Aristote (76) publia un bref
article sur l'origine de K, 1-8 (77). Aux critères linguistiques qu'il ne
regarde pas comme décisifs pour dénier au Stagirite la paternité de
l'écrit, il n'accorde qu'une importance secondaire, mais il s'attache
surtout à une comparaison minutieuse du contenu du livre B et de
K, 1-2, notant toutes les différences et même les nuances dans
l'exposé de la doctrine et l'ordre dans lequel les idées sont présentées ;
la confrontation entre K, 3-8 et TE est plus sommaire. La conclusion
est très ferme : l'auteur est un membre ancien de l'Ecole
péripatéticienne qui a résumé de façon assez servile, s'adaptant même assez
bien au style du maître, les livres BPE de la Métaphysique, mais
qui par suite d'incompréhension de divers passages et d'un intérêt
bien plus marqué que chez Aristote pour l'existence de réalités
suprasensibles et d'une substance immatérielle et éternelle
subsistant en soi, a donné à l'ensemble de l'exposé une couleur assez
différente de celle de son modèle.
C'est à l'état de la question tel que l'avait laissé Natorp, qu'a
réagi ultérieurement W. Jaeger, et d'abord dans son livre de 1912,
sur la formation du recueil connu sous le titre de Métaphysique
d'Aristote (r8) : il y soumet notamment à une critique détaillée les
arguments de Natorp contre l'authenticité du livre K (79) ; nous ne
nous y arrêterons pas, vu que Jaeger lui-même a retiré en partie
ses critiques dans son Aristoteles de 1923 (80). C'est que, en effet,
dans ce dernier ouvrage il peut soutenir avec d'autant plus de
vraisemblance l'authenticité de K, 1-8, qu'il en considère le contenu
dans la perspective de l'évolution doctrinale d'Aristote et que si l'on
y rencontre maintes traces d'une tendance encore platonisante, c'est
que cet exposé est à placer chronologiquement avant la rédaction
définitive que nous possédons, des livres B, F, E. Cela suppose
<7*> Thetna und Disposition der aristotelischen Metaphysik, cité ci-dessus n. 46,
publié en 1887-1888.
<") Ueber Aristoteles' Metaphysik, K, 1-8, 1065 a 26, dans Archio fur Ge-
schichte der Philosophie, I (1888), pp. 178-193.
(78> W. JAEGER, Studien zur Entstehungsgeschichte der Metaphysik. des
Aristoteles, Berlin, 1912.
<"> Op. cit., pp. 64-86.
<••> Voir p. 217, note 2 à la fin.
212 A ugustin Mansion
toutefois que « l'être comme tel », tô 5v ^ 5v, qui est donné comme
objet à la métaphysique dans l'une et dans l'autre version ait une
signification différente dans chacune d'elles : dans la première (K),
l'expression désigne de façon exclusive ce qui est impérissable et
éternel, tandis que dans la version postérieure, il s'agit de tout ce
qui existe de quelque façon et qui à l'analyse répondra aux diverses
acceptions de l'être : on rejoint ainsi l'interprétation traditionnelle
de la formule. — Mais ici Jaeger ne fait pas la moindre tentative en
vue de montrer comment, au point de vue grammatical, cette
formule prise dans sa totalité peut désigner de façon exclusive l'être
absolument stable ; même si, à la suite de Platon, on ne veut
accorder la dénomination du être » qu'à ce qui est soustrait à tout
changement, on ne voit pas ce qui est visé par l'addition : % ÎV,
à moins qu'il ne s'agisse d'appuyer sur la plénitude d'être
appartenant à une telle réalité et excluant de ce chef tout devenir ; « l'être
en tant qu'être » signifierait alors « l'immuable en tant
qu'immuable » (81>. Nous aurons à examiner plus loin si une telle
interprétation est compatible avec les exposés des chapitres 3 et 4 de notre
livre K, qui rendent un son tout à fait différent. — En attendant,
notons que Jaeger se déclare d'accord avec Natorp, pour attribuer
à un disciple la rédaction du document litigieux : simple rédacteur
d'une série de leçons du maître, il a repris le style de celui-ci, mais
s'est trahi involontairement par l'emploi de tels petits mots, à peine
dignes d'être relevés quant au reste <82).
Cette concession, qui n'a l'air de rien, est en somme fort grave,
car si le rédacteur n'est pas Aristote, il peut aussi bien avoir trahi
la pensée de celui-ci, qu'il a pu commettre quelques infidélités sans
importance en ce qui concerne la langue de l'exposé qu'il prétend
reproduire.
Lou vain.