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Traduit du tibétain
par le Comité de traduction Padmakara
PADMAKARA
A u début de notre ère, lorsque se répandirent les enseignements du
Bouddha auxquels fut donné le nom de Grand Véhicule, apparurent nombre
de maîtres remarquables qui devinrent célèbres sous le nom sanskrit de
mahâsiddhas, “grands êtres accomplis”, parce qu’ils avaient atteint les
siddhis, ou “accomplissements”. La tradition a surtout retenu le nom de
quatre-vingt-quatre d’entre eux.
Couverture
Titre
Présentation
Copyright
Préface
Remerciements
Histoire de Lûhipa
Histoire de Lîlapa
Histoire de Virûpa
Histoire de Dombipa
Histoire de Shabaripa
Histoire de Saraha
Histoire de Kankaripa
Histoire de Mînapa
Histoire de Goraksha
Histoire de Chaurângi
Histoire de Vînapa
Histoire de Shântipa
Histoire de Tantîpa
Histoire de Chamaripa
Histoire de Khadgapa
Histoire de Nâgârjuna
Histoire de Kahanapa
Histoire de Karnaripa
Histoire de Thagana
Histoire de Nâropa
Histoire de Shâlipa
Histoire de Tilopa
Histoire de Châtrapa
Histoire de Bhadrapa
Histoire de Dukhandipa
Histoire d’Âjoki
Histoire de Kalapa
Histoire de Dhobipa
Histoire de Kankanapa
Histoire de Kambala
Histoire de Dingipa
Histoire de Bhandépa
Histoire de Tantépa
Histoire de Kukkuripa
Histoire de Kuchipa
Histoire de Dhamapa
Histoire de Mahilapa
Histoire d’Achintapa
Histoire de Babhahi
Histoire de Nalinapa
Histoire de Bhusuku
Histoire d’Indrabhûti
Histoire de Mekopa
Histoire de Kotalipa
Histoire de Kamparipa
Histoire de Jâlandhara
Histoire de Râhula
Histoire de Dharmapa
Histoire de Dhokaripa
Histoire de Medhini
Histoire de Pankaja
Histoire de Ghandika
Histoire de Jokipa
Histoire de Chaluki
Histoire de Godhûrapa
Histoire de Luchika
Histoire de Naguna
Histoire de Jayânandi
Histoire de Pacharipa
Histoire de Champaka
Histoire de Bhikshana
Histoire de Dhilipa
Histoire de Kumbharipa
Histoire de Charvaripa
Histoire de Manibhadrâ
Histoire de Mekhala
Histoire de Kanakhala
Histoire de Kilikilipa
Histoire de Kantali
Histoire de Dhaguli
Histoire d’Udîlapa
Histoire de Kapâlî
Histoire de Kîrâvala
Histoire de Sakara
Histoire de Sarvabhaksha
Histoire de Nâgabodhi
Histoire de Dârikapa
Histoire de Sutalipa
Histoire d’Upanaha
Histoire de Kokilipa
Histoire d’Anangapa
Histoire de Lakshmînkara
Histoire de Samudra
Histoire de Vyâlipa
Colophon
Glossaire
1 – Ces chants ont été traduits en français et publiés en 1992 par les
éditions Ewam.
Quelques remarques
sur le texte et la traduction
Notons qu’il existe déjà une traduction française de ces histoires, publiée
par Ngor Ewam Phende Ling. C’est pourquoi, lorsqu’on nous a demandé
d’entreprendre la présente traduction, notre première pensée a été que ce
n’était pas nécessaire. Mais en consultant l’original nous nous sommes
aperçus que le texte était si dense qu’il permettait d’autres lectures et qu’il
était possible d’apporter une contribution supplémentaire, aussi modeste
fût-elle, à son interprétation.
Certains récits donnent l’impression d’être incomplets, d’autres se
réduisent à quelques lignes, comme si des parties s’étaient égarées ou
altérées au fil des copies. Des détails utiles à la compréhension du récit
semblent faire défaut, alors que des faits dont l’intérêt semble minime se
trouvent dûment rapportés. Mais on aura compris en lisant les pages qui
précèdent que cela ne nuit point à la fonction essentielle de ces histoires.
Remerciements
Bouddhas des trois temps, maîtres de la lignée qui avez rejoint les
champs de l’espace,
Et vous, maîtres présents parmi nous qui avez atteint
l’accomplissement suprême, ô gloire de l’impavidité,
Clair et pur par le corps, la parole et l’esprit, je me prosterne
humblement devant les lotus de vos pieds :
Je vais à présent écrire la véritable histoire des quatre-vingt-quatre
mahâsiddhas en commençant par le seigneur Lûhi.
Achala
Histoire de Lûhipa
Lûhipa le “Mangeur de Rebuts” doit son nom au fait qu’il se nourrissait d’entrailles de poisson.
Un jour de marché, il entra dans une taverne dont la patronne était une
dâkinî de ce monde. A peine eut-elle vu le prince qu’elle s’exclama :
– En voici un qui aurait parfaitement nettoyé ses chakras si ce concept de
caste gros comme une lentille ne lui souillait plus le cœur !
Elle lui tendit une écuelle en terre où elle avait versé des restes pourris et
se mit en colère quand il la repoussa :
– Si tu ne te débarrasses pas des concepts de bon et de mauvais en
matière de nourriture, à quel Dharma oses-tu prétendre ?
Le prince vit alors que tous les concepts et les attributs font obstacle à
l’Eveil et il y renonça. C’est ainsi qu’il s’exerça pendant douze années en se
nourrissant exclusivement des déchets de poisson que les pêcheurs du Gange
jetaient sur le rivage. Les femmes des pêcheurs, qui le voyaient se nourrir
ainsi, l’appelèrent “Mangeur de Rebuts”, et sous ce nom il atteignit les
accomplissements tandis que son renom se répandait par tous les horizons.
Virûpa reprit donc la pratique pendant douze autres années, et cette fois
il parvint à l’accomplissement suprême du Grand Sceau. Son serviteur alla
lui acheter de la viande et du vin. Par la suite le maître abattit tous les
pigeons du monastère et les croqua jusqu’au dernier. Quand il n’en resta
plus un, les autres moines s’inquiétèrent :
– Qui a bien pu manger les bénéficiaires de nos offrandes ?
Chacun, alors, de se récrier :
– Ah non, ce n’est certainement pas moi !
Inspectant les cellules l’une après l’autre, ils se penchèrent à la fenêtre de
Virûpa pour découvrir qu’il se repaissait non seulement de pigeons, mais
aussi de vin.
On sonna le gong ; on décida d’expulser l’infâme : le voici qui dépose sa
robe et son bol à aumônes aux pieds d’une statue, se prosterne et rejoint la
grand-porte. Or près du monastère s’étendait un vaste lac. Un moine lui
ayant demandé quelle route il comptait prendre, Virûpa répondit :
– C’est vous qui m’avez chassé. Moi, je n’ai pas de destination
particulière.
Alors il traversa le lac en marchant sur les feuilles de lotus posées sur
l’eau sans que les fleurs s’enfoncent et sans cesser de chanter la louange des
bouddhas. Pris de regrets, les moines de Somapurî se précipitèrent à ses
pieds pour lui rendre hommage.
– Mais pourquoi avoir tué les pigeons ?
– Je ne les ai pas tués.
Le serviteur rapporta les fragments d’ailes que, d’un claquement de
doigts, le maître transforma en pigeons plus grands et plus beaux
qu’auparavant : tous virent les oiseaux s’envoler dans le ciel.
Virûpa renonça alors aux signes de la vie monastique pour adopter la
conduite des yogis. Il se rendit au bord du Gange et réclama à boire et à
manger à la déesse du fleuve. Elle refusa ; il s’emporta. Fendant
littéralement les flots, il passa à sec sur l’autre rive.
Arrivé dans le bourg de Kanasata, il acheta du vin à une marchande qui
lui en servit une coupe avec une assiette de riz dont il entreprit de se
repaître. Alors, dès cet instant et pendant deux jours et demi, le soleil
suspendit sa course dans le ciel, au point que, stupéfait, le roi local envoya
chercher par tout le pays celui qui était à l’origine d’un tel prodige. La
déesse du soleil lui apparut en rêve pour lui apprendre qu’un yogi l’avait
mise en gage chez une marchande de vin. Le roi et son conseil estimèrent la
dette : elle se chiffrait en millions. Chaque consommation dûment réglée,
Virûpa disparut.
Il se rendit ensuite en terre non bouddhiste, dans le pays appelé Indra, où
il y avait une statue du Grand Seigneur haute de quatre-vingt-une coudées,
devant laquelle on le pria de se prosterner.
– C’est moi l’aîné, dit le yogi, et je ne sache pas que l’aîné se soit jamais
prosterné devant ses petits frères.
– Alors nous te tuerons ! s’écrièrent le roi et ceux qui l’entouraient.
Le maître voulut se faire comprendre :
– Je ne me prosternerai pas devant cette statue, sinon je commettrais un
acte nuisible.
– Que les effets de cet acte retombent sur moi ! cria le roi.
Le maître joignit les mains et la statue du Grand Dieu se fendit en deux
par le haut. Une voix tomba du ciel qui disait :
– O maître, je respecterai mon serment !
– Jure-le !
– Je le jure.
La statue retrouva alors sa forme initiale et tendit à Virûpa les offrandes
qu’on lui avait faites. Celles-ci comblèrent les besoins d’autres pratiquants
bouddhistes, et l’on raconte qu’il en reste encore de nos jours.
Le maître se rendit ensuite en Devîkota, dans l’est de l’Inde, un pays où
tous les êtres humains s’étaient transformés en goules zoocéphales. Selon
la coutume, une goule vint se poster sur la grand-route pour ensorceler les
voyageurs, mais le maître, arrivé plus tôt, était allé dormir dans un temple.
Un jeune brahmane qui passa plus tard fut envoûté. En ville il trouva de quoi
manger mais nulle part où dormir. Des bouddhistes de rencontre lui
expliquèrent que dans le pays tout le monde était devenu goule, qu’il n’y
avait plus d’êtres humains et que tous étaient sources d’obstacles. Puis ils lui
montrèrent un temple où le jeune brahmane alla se réfugier.
Or c’est dans le même temple que Virûpa s’était endormi. Il bénit le
jeune homme et prononça des formules avant de prendre congé. Pendant ce
temps, les goules assemblées s’inquiétaient pour les offrandes.
– Nous avons toutes les viandes possibles, disaient-elles, mais pas de
chair humaine !
L’une d’elle déclara qu’elle avait attrapé deux hommes.
– Amène-les !
La voilà qui s’échine sur le jeune brahmane : il est tellement béni qu’elle
ne parvient pas à se saisir de lui. Les unes après les autres, elles échouent,
quand elles avisent Virûpa assis sur une grosse bûche. Homme et bûche,
elles emportent le tout dans les cuisines où le maître commence par boire
leur vin jusqu’à la dernière goutte. Les goules ricanaient à l’idée de le tuer,
mais celui-ci à son tour y alla de douze rires terribles qui toutes les
terrassèrent. Plus tard, il les lia par serment :
– Désormais, dit-il, vous ne nuirez plus aux êtres qui prennent refuge ni à
ceux qui ont foi en moi. Vous ne ferez pas de mal non plus à ceux qui ne
prennent point refuge ni ne cultivent l’esprit d’éveil, en ne leur volant pas
plus qu’une gorgée de sang ! S’il vous arrivait de désobéir à ce serment, que
votre tête tombe, tranchée par cette roue ! Et que cet ogre du septentrion
vienne s’abreuver de votre sang !
Dans le ciel de ces lieux se profilent encore la silhouette du monstre et la
forme de l’arme.
Le maître inclut les goules dans l’entourage de certains gardiens du
Dharma au titre de protectrices liées par serment, puis ses pas
l’emmenèrent ailleurs.
A l’occasion d’une autre visite en Devîkota, il rencontra chemin faisant
Mahâdeva et la déesse Umâ qui pour lui créèrent une cité magique peuplée
de quatre cent cinquante mille habitants. Ils se rendirent chez les Trente-
Trois Dieux et dans les autres sphères célestes pour en rapporter les
nourritures les plus exquises : ainsi le grand dieu Shiva et son épouse firent-
ils offrande au seigneur Virûpa.
Le maître chanta en langue versifiée :
Sept cents ans passèrent, puis le maître partit pour les champs de
l’espace.
Histoire
de Dombipa
Originaire du Magadha, maître Dombi appartenait à la caste des guerriers. Il atteignit les
accomplissements en pratiquant le tantra de Hevajra.
Saraha partit alors pour une autre contrée, emmenant avec lui une jeune
fille de seize ans, dont il fit sa femme. Il s’installa dans un lieu désert pour
pratiquer et envoya sa compagne mendier leur pitance.
Un jour, il lui réclama des radis, et elle lui prépara des radis au yaourt de
bufflesse. Quand elle vint le servir, elle le trouva absorbé en méditation. Il
ne mangea point et elle se retira. Ce qui dura douze ans, pendant lesquels le
yogi ne quitta pas son recueillement. Lorsqu’il en sortit, il réclama les radis.
– Voilà douze ans, dit la fille, que vous n’êtes pas sorti de votre
recueillement. De quels radis parlez-vous ? On est au printemps
maintenant ; ce n’est plus la saison des radis !
– Eh bien, dit Saraha, je vais aller pratiquer dans les montagnes.
– La solitude physique n’est pas la vraie solitude. La solitude suprême,
c’est un esprit libre de concepts et de croyance aux attributs. Vous êtes
resté profondément absorbé pendant douze années et vous n’avez pas trouvé
moyen de vous débarrasser d’un concept aussi insignifiant que les radis : à
quoi bon vous enfuir dans les montagnes ?
Saraha pensa que la jeune femme avait raison et renonça aux attributs et
autres concepts pour ne plus pratiquer que la simplicité originelle, si bien
qu’il atteignit l’accomplissement suprême du Grand Sceau. Il œuvra alors au
bien d’un nombre incalculable d’êtres puis, en compagnie de son épouse, il
partit pour les champs de l’espace.
Histoire
de Kankaripa
Originaire de Maghahûra, Kankaripa appartenait à la caste des shûdras. Il était laïc et avait
pris femme dans sa caste.
I L MENAIT UNE VIE TOUTE PROFANE EN JOUISSANT DES OBJETS DU DÉSIR sans
jamais penser aux vertus qui jalonnent la voie de la libération. Bref, il ne
s’intéressait qu’aux choses de ce monde quand son épouse, sujette à la loi de
tous les composés, passa de vie à trépas. Il l’emporta dans un charnier et,
incapable de s’en détacher, il restait à pleurer à côté de la dépouille.
Survint alors un yogi dûment réalisé qui lui demanda ce qu’il faisait là.
– Yogi, dit l’homme, ne voyez-vous pas dans quel état je suis ? Je suis
aveugle parce qu’on m’a arraché les yeux ; la lumière de ma bonne fortune
vient de s’éteindre : mon épouse n’est plus. Qui dans ce monde pourrait être
plus misérable que moi ?
– Ce qui est né finit par mourir ; ceux qui se sont unis finissent par se
séparer : tous les composés sont impermanents et tous ceux qui tournent
dans le samsâra n’ont d’autre choix que de souffrir. Alors dis-moi : n’en as-
tu pas assez de pâtir dans ce cercle vicieux ? A quoi bon veiller un cadavre
inanimé comme la terre et les pierres ? Pratique donc le Dharma et tu ne
souffriras plus !
– Si vous connaissez une méthode pour échapper aux souffrances de la
naissance et de la mort dans le samsâra, enseignez-la-moi, yogi, je vous en
supplie !
– J’en connais une : les instructions de mon maître.
– Transmettez-les-moi !
Le yogi initia l’homme et lui donna des instructions sur la goutte
quintessencielle de l’inexistence du soi.
– Comment méditerai-je ?
– Renonce au concept de ta femme défunte. Médite sur la femme
“inexistence du soi" dans la non-dualité de la félicité et de la vacuité.
Ainsi le yogi fit-il méditer Kankaripa.
Elle pria ceux qui l’entouraient d’aller tuer le prince, mais chacun
répondit que c’était impossible car le prince était pour le roi le trésor le plus
précieux. Elle imagina alors un subterfuge : elle se lacéra tout le corps
jusqu’au sang et se jeta sur son lit, les vêtements déchirés.
De retour de la forêt, le roi la trouva dans cet état et lui demanda quel
malheur lui était arrivé.
– Votre fils a abusé de moi !
– Si c’est le cas, dit le roi, il mérite la mort.
Il ordonna à deux bourreaux d’emmener le prince dans la forêt pour lui
couper les bras et les jambes, mais les bourreaux pensèrent qu’il vaudrait
mieux tuer l’un de leurs enfants que le prince.
– Nous ne pouvons pas vous tuer, lui confièrent-ils. Nous tuerons l’un de
nos fils à votre place.
– Ce ne serait pas juste, dit le prince. C’est moi que vous devez tuer. Sur
son lit de mort, ma mère m’a demandé de ne jamais commettre le moindre
mal, même au risque de ma vie. Exécutez les ordres du souverain !
Les bourreaux allongèrent le prince au pied d’un arbre solitaire, lui
coupèrent les bras et les jambes et s’en retournèrent.
Or le grand yogi Achinta, qui justement passait par là, vit le prince
mutilé, l’initia et lui donna des instructions. A une demi-lieue de l’arbre
quelques hommes paissaient leurs vaches ; le yogi les aborda.
– Là-bas, dit-il, sous les vautours qui tournoient se dresse un arbre
solitaire au pied duquel il y a un homme aux membres coupés. Qui d’entre
vous aurait le courage d’aller le voir ?
– Moi, dit un jeune garçon de la caste des vendeurs d’encens. Je veux bien
faire votre travail, yogi, si vous, vous faites le mien.
Il confia donc ses vaches au yogi et entra dans la forêt en se guidant sur
les vautours. Au pied d’un arbre solitaire il vit l’homme et revint le dire au
yogi Achinta.
– Comment te nourris-tu ? lui demanda celui-ci.
– Le propriétaire des vaches me nourrit copieusement le soir : je
pourrais partager avec le mutilé.
– Parfait ! dit Achinta. Prends donc soin de cet homme ! Il s’appelle
Chaurângi.
Le jeune garçon construisit une hutte de feuilles autour de l’arbre, donna
à manger au prince et nettoya ses plaies avec ses mains : cela dura douze
ans.
Un jour il découvrit que le prince s’était levé et se tenait debout sur deux
jambes. Au comble de l’émerveillement il interrogea l’homme qui lui
répondit par cette stance :
– Comme tu le vois : j’ai à nouveau des bras et des jambes. Veux-tu que je
te donne des instructions ? conclut-il en s’élevant dans les airs.
– Je ne veux pas d’instructions. Mon maître m’a demandé de vous servir
et c’est ce que j’ai fait.
Le jeune homme s’en retourna garder les vaches jusqu’au jour où le yogi
Achinta revint. Il lui raconta tout ce qui était arrivé et cela réjouit fort le
yogi. Achinta donna initiations et instructions au gardien de vaches avant de
partir pour une autre contrée. Le vacher médita et atteignit
l’accomplissement suprême du Grand Sceau. Réapparut alors le maître qui
lui dit simplement :
– Ne deviens bouddha qu’après avoir libéré cent fois cent mille êtres !
Dès lors, le vacher initia tous ceux qu’il rencontrait, jusqu’à ce jour où le
grand dieu Shiva lui-même le pria de ne plus initier n’importe qui.
– Initie seulement ceux qui t’en font la requête, car il ne convient pas
d’initier ceux qui manquent de foi ou de sagesse.
Ces propos allaient bon train quand un yogi dûment entraîné, du nom de
Buddha, se présenta qui voulait rencontrer le prince. Celui-ci eut foi en
l’homme : il se prosterna à ses pieds, le circumambula et lui confia tout ce
qu’il avait sur le cœur sans aucun détour. Le yogi resta quelque temps auprès
du prince jusqu’au moment où il jugea bon de le convertir.
– Prince, dit-il, ne pratiques-tu pas le Dharma ?
– Je le pratiquerais volontiers, mais je ne peux pas renoncer à la
musique : je pratiquerai le Dharma s’il existe un moyen de le faire sans
abandonner ma vînâ !
– Si tu es prêt à pratiquer avec foi et diligence, je détiens une méthode et
des instructions qui te permettront de pratiquer le Dharma sans abandonner
ta vînâ.
– Je vous en fais la requête !
Le yogi transmit alors au prince l’initiation qui amène à maturité l’esprit
qui n’était pas mûr, et il lui donna les instructions de méditation suivantes :
– Oublie l’idée que tu écoutes le son de ta vînâ. Médite dans l’unité de ce
que tu penses être ton esprit et de ce que tu penses être le son de ton
instrument.
Le prince médita neuf ans : toute impureté quitta son esprit ; il connut
une expérience semblable à la lumière d’une lampe et atteignit la réalisation
du Grand Sceau. Il acquit les connaissances directes et maintes autres
qualités positives, et son renom se répandit par tous les horizons. C’est
ainsi que sous le nom de “Yogi à la Vînâ”, il prodigua d’innombrables
enseignements à tous les habitants de la cité de Ghahura. Enfin, ayant
décrit sa réalisation spirituelle, il partit pour les champs de l’espace sans
quitter son corps.
Histoire
de Shântipa
Alors que Devapâla régnait sur le Magadha, l’université de Vikramashîla comptait dans ses
rangs un immense maître, expert dans les cinq sciences, en la personne de Ratnâkarashânti, un
moine d’origine brahmanique dont les qualités d’homme vertueux et d’érudit étaient célèbres en
tous lieux.
Maître et disciple ressortirent donc de leur méditation et, tandis que l’un
recevait les hommages de ses élèves, l’autre était consacré par toutes les
dâkinîs et par Indra, entre autres dieux d’importance, qui l’inondaient
d’ambroisie par l’orifice de Brahmâ.
– Cet être est Vajrasattva en personne ! chantaient les dieux et les
dâkinîs.
Kotalipa bénit les dieux et tous leurs désirs furent comblés.
– Tant que je n’avais pas reçu les instructions de mon maître, dit-il, je
creusais une montagne extérieure. Quand je les ai reçues, j’ai creusé la
montagne de l’esprit et atteint les accomplissements.
Indra et d’autres dieux l’invitèrent alors chez les Trente-Trois Dieux et
dans d’autres sphères divines, mais Kotalipa déclina leur invitation.
– Je rends hommage à mon maître spirituel, déclara-t-il, dont la bonté
excède la bonté du Bouddha puisque “le maître est bouddha, le maître est
dharma, le maître est la communauté”. En cela il est trois fois sublime et en
lui je prends refuge : ô être sublime, j’implore vos bénédictions !
Son œil de sagesse lui montra qu’il y avait six mois de marche entre
l’endroit où il se trouvait et Vikramashîla où il voulait se rendre, mais en un
seul instant il se retrouva à Vikramashîla où son corps de sagesse se
prosterna devant le maître et le circumambula avec respect sans que
Shântipa ni ceux qui l’entouraient le remarquent. Alors Kotalipa reprit le
corps qu’on lui connaissait, fruit de ses actes antérieurs, et recommença à
se prosterner devant le maître et à le circumambuler un nombre incalculable
de fois.
Comme il plaçait les pieds de Shântipa sur sa tête, celui-ci lui demanda
qui il était.
– L’un de vos élèves, maître.
– J’ai d’innombrables disciples ; je ne te reconnais pas.
– Je suis Kotalipa.
Maître et disciple se reconnurent alors et échangèrent maints propos
amènes.
– Quelles qualités positives as-tu acquises ? demanda le maître au
disciple.
– J’ai pratiqué vos instructions, maître, et j’ai atteint le Grand Sceau, le
suprême corps absolu.
– Moi, dit le maître, j’ai préféré la théorie à la pratique et je n’ai pas
encore trouvé la réalité absolue. Toi, tu as placé l’accent sur la pratique plus
que sur la théorie et tu l’as trouvée. J’ai même oublié les instructions que je
t’avais données. Donne-moi ces instructions et montre-moi toutes tes
qualités !
I L MARIA SES FILS À DES FILLES DE LEUR CASTE ET DANS LA RÉGION la lignée du
tisserand se propagea au-delà de tout nombre. Quand son épouse mourut,
il n’avait pas moins de quatre-vingt-neuf ans : c’était un vieillard tout
décrépit, incapable de prendre soin de lui-même, dont les belles-filles
s’occupaient tour à tour. Ses manières de vieil homme provoquaient leur
mépris, si bien qu’un jour elles tinrent conseil :
– Notre vieux beau-père dégoûte tous ceux qui le voient : il nous fait donc
accumuler des actes nuisibles. Nous devrions construire une hutte dans le
jardin et l’y installer. Nous lui porterons à manger à tour de rôle.
Toutes convinrent et il fut fait comme elles avaient dit.
Survint alors maître Jâlandhara qui venait d’arriver à Sindhunagara. Il se
présenta chez le fils aîné du tisserand pour lui demander à manger.
– Attendez un instant, dit le fils aîné tandis que, à l’intérieur, son épouse
préparait différents mets.
– Fais-le entrer maintenant, dit-elle une fois prête.
Le maître entra et mangea. Comme il allait repartir, l’épouse du fils aîné
le retint.
– Ne partez pas, maître ! Vous pouvez dormir ici.
– Je ne dors pas chez les gens, dit Jâlandhara.
– Alors dormez dans le jardin !
Elle l’emmena dans le jardin et son mari apporta une lampe, de l’huile et
tout ce qu’il fallait. Quand Jâlandhara fut installé, le vieux tisserand, qui
avait entendu des voix et d’autres bruits, demanda qui était là.
– Je suis un invité, dit Jâlandhara, un pratiquant du Dharma. Et vous, qui
êtes-vous ?
– Moi, je suis le père de tous ces tisserands. Cette maison et toutes ces
richesses m’appartenaient quand j’étais jeune, mais aujourd’hui mes fils et
mes brus me méprisent et redoutent qu’on me voie. C’est pour cela qu’ils
m’ont caché dans le jardin. Tout est vain dans le samsâra !
– Tous les composés, répondit Jâlandhari, sont impermanents. Tout ce
qui vient au monde souffre. Tous les phénomènes sont dépourvus de soi. Le
nirvâna est paisible et bienheureux. N’aurais-tu pas besoin des provisions de
route d’un enseignement pour le moment de ta mort ?
– Que si ! s’exclama le vieux tisserand.
Cette histoire montre que la foi dans un maître et la dévotion pour lui
combinées à la pratique de ses instructions permettent même à un vieillard
d’atteindre l’accomplissement suprême du Grand Sceau avant de mourir.
Histoire
de Chamaripa
Voici l’histoire de maître Chamaripa le cordonnier.
– Tout ce qui est né finit par mourir, dit Nâgârjuna ; tous les composés se
décomposent ; tout ce qu’on a accumulé s’épuise : l’impermanence est la
limite de tous les phénomènes composés. A quoi bon t’attrister ? Emporte
l’élixir et rentre chez toi !
– Si je peux prendre l’élixir auprès de vous, maître, je le prendrai ; mais
si vous n’êtes plus là, je n’en veux pas.
Ayant dit, le roi resta.
Comme le sublime maître donnait aux autres tout ce qu’il possédait, le
dieu Brahmâ prit l’apparence d’un brahmane et vint lui réclamer sa tête. Le
maître la lui promit. Ne pouvant supporter l’idée que son maître allait
quitter la vie, le roi Sâlabhanda se précipita aux pieds de Nâgârjuna : il les
toucha de son front et passa de vie à trépas. Tous ceux qui étaient là
blâmèrent le brahmane.
Le maître lui avait certes offert sa tête mais personne ne parvenait à la
lui couper. Il la coupa donc lui-même à l’aide d’une herbe kusha et la tendit
au dieu Brahmâ. Alors, tous les arbres se desséchèrent et le mérite de la
race humaine déclina. Huit des mères-élémentaires que le maître avait
subjuguées se chargèrent de garder sa noble dépouille et de nos jours elles
le font encore.
Karnaripa resta donc dans la forêt, mais la déesse d’un arbre entra dans
la maison chargée de mets exquis et lui montra son apparence. Elle se
prosterna devant lui et lui parla. Karnaripa alla porter cette aumône à son
maître.
– Où as-tu encore trouvé cela ? demanda Nâgârjuna.
– C’est une dryade qui me l’a apporté.
Le sublime maître voulut en avoir le cœur net. Il alla près de l’arbre mais
ne vit pas de déesse. Ou plutôt, il ne vit d’elle qu’un bras, jusqu’à l’épaule.
– Tu te montres tout entière à mon disciple mais pas à moi : qu’est-ce
que cela veut dire ?
Une voix sortit de l’arbre :
– Toi, tu ne t’es pas encore libéré de certaines émotions négatives. Ton
élève, lui, m’a vue parce qu’il s’est libéré de toutes ses émotions.
Maître et disciple se consultèrent et convinrent qu’il fallait absorber
l’élixir. Le maître l’offrit à Karnaripa et il en but lui-même. Karnaripa
oignit d’élixir un arbre sec qui se couvrit de feuilles. Maître Nâgârjuna
sourit :
– Si tu utilises mon élixir sur les arbres, rends-le-moi !
– Comme vous voudrez.
Ce disant, Karnaripa urina dans une jarre d’eau et brassa le tout avec un
bâton, produisant de l’élixir qu’il alla offrir à son maître.
– Il y en a beaucoup, dit Nâgârjuna en renversant la jarre sur un arbre
mort qui reverdit.
Il voulait s’assurer que son disciple avait réellement atteint la réalisation.
Comprenant que c’était le cas, il s’écria :
– Ne reste pas dans le samsâra !
Il n’en fallait pas plus à Karnaripa pour prendre son envol, quand parut
une femme qui le suivait depuis un certain temps pour l’honorer et le
servir.
– Que cherches-tu en me suivant depuis si longtemps ? lui demanda
Karnaripa.
– Je vous suis, dit la femme, simplement parce que j’aime vos yeux.
Offrez-moi l’un de vos yeux !
Karnaripa s’arracha l’œil droit et l’offrit à la femme. Dès lors, on le
connut en tous lieux sous le nom d’Aryadeva le Borgne. En intégrant les
instructions pratiques de son maître Nâgârjuna il avait purifié son esprit de
toute souillure et s’était entièrement libéré. A peine, alors, entendit-il la
voix de son maître qu’il s’éleva dans les airs à une hauteur de sept palmiers
d’où il enseigna le Dharma à un grand nombre d’êtres qu’il mena tous à
maturité parfaite.
Il s’éleva ensuite toujours plus dans les airs, la tête en bas, les mains
jointes et les pieds tournés vers le haut par respect pour son maître qui se
trouvait sous lui : il lui rendit hommage dans une pluie de fleurs que les
dieux du ciel faisaient tomber, puis il disparut.
Histoire
de Thagana
Thagana signifie “qui ment constamment”. Originaire de l’est indien, il appartenait à la caste
des shûdras et vivait de viles besognes.
Shâlipa suivit ces instructions et médita. Il réalisa que tous les sons
étaient inséparables de la vacuité et le hurlement des loups ne le terrifia
plus. Sa peur se libéra d’elle-même tandis qu’il éprouvait la grande félicité
parfaitement intrépide. Au bout de neuf ans son corps et son esprit se
trouvèrent purs de toute tache, et il atteignit l’accomplissement du Grand
Sceau. Les épaules couvertes d’un cadavre de loup, ses activités devinrent
celles du “Maître aux Loups” qui dispensa maintes instructions sur
l’inséparabilité des apparences et de la vacuité à ceux qui avaient un lien
avec lui. Pour finir, il partit dans son corps pour les champs de l’espace.
Histoire de Tilopa
Dans le pays de Vishnunagara vivait un grand sage qu’on appelait “Maître Tilopa”.
O BJET DES OFFRANDES DU ROI, IL RECEVAIT CHAQUE JOUR CINQ cents pièces
d’or, et c’est à d’innombrables disciples qu’il enseignait le Dharma. Un
jour il songea : “A quoi bon une existence aussi vaine que la mienne ?”
Maintes fois il tenta de s’enfuir et chaque fois on l’en empêcha, jusqu’au
jour où il jeta la robe, se vêtit de haillons et envoya au palais une lettre qui
disait : “Cette fois je ne reviendrai plus : n’essayez pas de me faire changer
d’avis !” A la faveur de la nuit il s’enfuit et alla vivre dans le charnier de la
ville de Kâñchi. Se nourrissant d’aumônes, il pratiquait. C’est alors qu’il fit
la connaissance de Nâropa qui le servit et pourvut à ses besoins en
mendiant pour lui.
Quand il eut ainsi vécu et pratiqué pendant dix ans, Tilopa se trouva pur
de toute souillure et atteignit l’accomplissement du Grand Sceau. Il se
rendit dans les contrées divines où les dieux eux-mêmes le nourrirent. Il
était maître des accomplissements du corps, de la parole et de l’esprit, et
son renom se répandit par tous les horizons. Se consacrant au bien des
autres, il amena d’innombrables êtres sur la voie de l’Eveil. Pour finir, il
partit dans son corps pour les champs de l’espace.
Histoire
de Châtrapa
Le terme châtrapa désigne un personnage qui, chargé d’un texte, mendie.
Le yogi lui donna alors les instructions suivantes, qui emportent les
pensées sur la voie :
Dukhandipa médita dans cette ligne : ses pensées de couture, les déités
et les mantras se dispersèrent dans l’essence du réel, il réalisa l’union des
phases de création et de perfection, et en douze ans il parvint à
l’accomplissement du Grand Sceau. Ayant œuvré au bien d’êtres sans
nombre, il partit pour les champs de l’espace.
Histoire d’Âjoki
Âjoki signifie “paresseux”. Or donc, il y avait à Pataliputra une famille dont l’un des fils,
parfaitement obèse, restait toujours endormi, qu’il fût couché, assis, debout, voire qu’il
marchât.
Ayant dit, Kalapa s’éleva dans les airs à une hauteur de sept palmiers et
manifesta toute une variété de prodiges. On le connut dès lors sous le nom
de “Maître Fou”. Pour finir, il partit pour les champs de l’espace.
Tous purent alors voir que le linge sale qu’on lui confiait se lavait de lui-
même, et ils comprirent que l’homme avait acquis des qualités
extraordinaires. Le nom de “Blanchisseur” se répandit alors par tous les
horizons. Après avoir abondamment œuvré au bien des êtres, il partit dans
son corps, âgé de cent ans, pour les champs de l’espace.
Histoire
de Kankanapa
Il était une fois, dans le pays de Vishnunagara, un roi dont le royaume était parfait et qui
jouissait continuellement de tous les plaisirs.
Etna !
Que les sages toujours s’en remettent
A un très-admirable maître !
Tantépa médita selon ces instructions et toutes ses pensées des trois
mondes s’abîmèrent dans l’essence du réel. Le pur éveil qui connaît cette
réalisation se révéla lui-même dépourvu d’existence réelle et le yogi parvint
à l’accomplissement du Grand Sceau. Il s’exclama alors :
Tantépa s’éleva alors dans les airs et partit dans son corps pour les
sphères de l’espace.
Histoire
de Kukkuripa
Il y avait à Kapilashatru un brahmane qui, ayant foi dans les tantras du Bouddha, adopta le
mode de vie des yogis et finit par errer de lieu en lieu.
Elle lui montra alors les symboles de l’union des méthodes habiles et de
la connaissance transcendante : dans l’esprit du brahmane surgit
l’immuable vue dégagée de toute distorsion. Il parvint à l’accomplissement
suprême et, dès lors, le renom du “Maître à la Chienne” se répandit à
Lumbinî et partout alentour. Ayant abondamment œuvré au bien des êtres,
il partit dans son corps pour les champs de l’espace, suivi de toute la
population de Kapilashatru.
Histoire de Kuchipa
Maître Kuchipa, dont le nom signifie “goitreux”, était originaire de Kahari ; il appartenait à la
caste des shûdras et gagnait sa vie en travaillant aux champs.
A ces mots, Dhamapa réalisa que les multiples enseignements qu’il avait
écoutés avaient tous la même saveur dans l’essence de son esprit. Il parvint
à l’accomplissement du Grand Sceau et, sous le nom de “Sage par l’écoute”,
établit maints êtres qu’il pouvait aider sur la voie de la libération. Après
quoi il partit dans son corps pour les champs de l’espace.
Histoire
de Mahilapa
Mahilapa le “Vantard” appartenait à la caste des shûdras du Magadha.
As-tu réellement vu
La nature de l’espace ?
Elle n’a ni forme ni couleur ni rien :
Comment s’y attacher ? Comment méditer dessus ?
Babhahi mit ces paroles en pratique et, se purifiant pendant douze ans
des souillures qui disparaissent sur la voie de la vision, il parvint à
l’accomplissement. Ayant abondamment œuvré au bien de ceux qu’il pouvait
aider, il partit dans son corps pour les champs de l’espace.
Histoire
de Nalinapa
Nalinapa, dont le nom signifie “racine de lotus”, appartenait à la caste des kshatriyas de
Saliputra mais, pauvre à l’extrême, il vivait de la vente des racines de lotus qu’il ramassait
dans les étangs.
Nalinapa médita de la sorte et, de même que le lotus naît dans la boue
sans que la boue le souille, il médita sur les quatre joies dans les quatre
roues sans se laisser contaminer par les concepts ni par les maux du
samsâra. Il lui fallut neuf ans pour atteindre la réalisation et se purifier de
toutes ses souillures. Il parvint à l’accomplissement du Grand Sceau et
œuvra au bien des êtres de Saliputra. Enfin, à l’âge de quatre cents ans, il
partit dans son corps pour les champs de l’espace en compagnie de quatre
cent cinquante disciples.
Histoire
de Bhusuku
Bhusuku, alias Shântideva, était un homme bon. Il vivait à Nâlanda et appartenait à la caste
des kshatriyas.
Le marchand de petits plats comprit que les apparences étaient son esprit
et que, dans son état naturel, cet esprit n’allait ni ne venait. Il s’établit alors
dans l’immuable essence de l’esprit et, en six mois, ses pensées erronées
s’éteignirent et il réalisa l’esprit en soi présent depuis toujours. Il se mit
alors à errer comme les fauves dans les charniers. Agissant parfois comme
un fou, il traversait les villages et les villes les yeux exorbités en distribuant
des regards effrayants à la ronde, si bien qu’on le surnomma “Maître aux
Terribles Regards”, et son renom se répandit par tous les horizons. Il aida
un grand nombre de ceux qu’il pouvait aider en leur enseignant le Dharma
profond, puis il décrivit sa réalisation et partit dans son corps pour les
champs de l’espace.
Histoire
de Kotalipa
En t’épuisant physiquement
A faire un tel travail,
Tu crées un très mauvais karma
Et pervertis les six transcendances.
Pour toi, défricher le sol, c’est la générosité ;
Sans nuire aux autres, la discipline ;
En supportant la douleur, la patience ;
Sans lésiner sur l’effort, la diligence ;
Sans distraction, la concentration ;
Et ce savoir, la connaissance.
Le forgeron médita donc sur le modèle de son art et en six ans parvint à
l’accomplissement du Grand Sceau sans que nul ne s’en doutât. Mais les
habitants de Saliputra proclamèrent, émerveillés, que leur forgeron avait
acquis toutes les qualités lorsque de son enclume ils virent jaillir mille et un
objets qu’il avait façonnés sans le moindre effort. Le renom du “Maître
Forgeron” se répandit par tous les horizons.
Il œuvra dès lors au bien des êtres en recourant à la lecture et pour finir
décrivit sa réalisation avant de partir pour les champs de l’espace.
Histoire
de Dhokaripa
Dhokaripa, dont le nom signifie “porteur de jarre”, appartenait à la caste des shûdras de
Saliputra.
Ecoute, Dhokaripa !
Dans la jarre de la dimension absolue
Place les ingrédients du pur éveil
Et médite sur leur inséparabilité.
Dhokaripa médita et il ne lui fallut que trois ans pour, ayant réalisé le
sens de ces instructions, atteindre les accomplissements. Comme par la
suite il mendiait encore chargé de sa jarre, on lui demanda ce que celle-ci
contenait et il répondit :
Medhini médita sur ces instructions et en douze ans les pensées qui le
liaient au samsâra s’éteignirent toutes. Il atteignit alors les
accomplissements et s’éleva dans les airs à une hauteur de sept palmiers
d’où il décrivit sa réalisation. Ensuite, il œuvra immensément au bien des
êtres de Saliputra et partit dans son corps pour les champs de l’espace.
I L ÉTAIT NÉ DANS UN LIEU DÉSERT, COMME UN PÉTALE SUR UN LOTUS. Non loin
de là, au bord d’un étang couvert de ces fleurs, il y avait une statue
d’Avalokita. Or Pankaja, qui avait beaucoup de dévotion pour le grand dieu
Shiva, pensait que cette statue le représentait et pendant douze années
l’honora et lui offrit des fleurs. La coutume locale voulait qu’on offrît
d’abord les fleurs à trois reprises, puis qu’on les plaçât sur sa propre tête. Ce
jour-là, maître Nâgârjuna vint offrir des fleurs au dieu, mais c’est la statue
qui s’en empara pour les placer elle-même au sommet de sa tête.
Pankaja s’indigna : “Voilà douze ans que je lui offre des fleurs, pensa-t-
il, et le dieu ne me les a jamais prises. Cet individu ne l’honore qu’une seule
fois et la statue lui prend ses fleurs !”
La statue parla :
– Tu ne penses pas comme il faut, Pankaja. Je n’ai pas mal agi.
L’homme fut pris de regrets. Il se précipita aux pieds de maître
Nâgârjuna pour les placer sur sa tête en le suppliant de le prendre pour
disciple. Le maître alors l’initia et l’instruisit sur l’union de la vue et de
l’action.
Dès lors, le roi et tous les autres cessèrent de porter sur le maître des
jugements faux et irrespectueux. Ils furent gagnés par la même foi en lui et
d’innombrables êtres se retrouvèrent sur la voie de la libération. Désormais
le moine était le “Maître à la Clochette”, et c’est sous ce nom que sa
célébrité gagna tous les horizons.
Dans ses vies antérieures, la jeune fille avait déjà empêché le maître de
respecter ses vœux à six reprises, mais cette fois le maître était parvenu à
dissiper toutes ses pensées dualistes dans l’essence du Réel : son esprit était
parfaitement mûr pour emporter ce dernier obstacle sur la voie. Il déclara
que son fils était Vajrapâni et que sa compagne s’était, pour l’avoir servi
auparavant, purifiée dans cette vie de toutes ses souillures.
Ayant décrit sa réalisation, il partit dans son corps pour les champs de
l’espace.
Histoire
de Godhûrapa
Ayant dit, il partit dans son corps pour les champs de l’espace. Du haut
des cieux, il décrivit sa réalisation, puis il disparut.
Histoire
de Naguna
Naguna, dont le nom signifie “sans qualités”, appartenait à la caste des shûdras de
Pûrvadesha.
Pendant sept cents ans il œuvra richement au bien des êtres puis il partit
pour les champs de l’espace.
Histoire
de Pacharipa
Pacharipa vendait des petits pains dans la ville de Champaka ; il était si pauvre qu’il n’avait
d’autre vêtement qu’un pagne de coton écru. Il allait chercher ses beignets chez un homme riche
et vivait de les revendre.
champakas il s’était fait construire un pavillon de fleurs dont les tapis et les
coussins consistaient tous en fleurs de champaka jaunes dégageant un
parfum exquis.
C’est là qu’il vivait et là qu’un jour un yogi vint lui demander l’aumône.
Le jeune roi lava les pieds de l’homme, lui offrit un siège, lui donna à boire
et à manger, et le yogi lui enseigna le Dharma. Alors le roi et la cour firent
du yogi l’objet de leurs offrandes et celui-ci resta parmi eux.
– Yogi, dit le roi, vous qui avez visité beaucoup de pays, avez-vous jamais
vu des fleurs comme celles-ci, ou encore un roi comme moi ? Le yogi
répondit :
La fleur du champaka dégage un parfum sublime ;
Il n’en est pas de même des odeurs de votre corps.
Ô roi, votre royaume passe de haut tous les autres,
Mais lorsque vous mourrez, vous partirez sans rien.
Le roi réfléchit et l’attachement qu’il portait à son corps le quitta
spontanément. Il réclama d’autres instructions. Le yogi lui enseigna d’abord
les lois de la causalité karmique, puis il l’initia et l’instruisit sur la voie des
phases de création et de perfection. Or, toujours obsédé de fleurs et d’autres
plaisirs, le roi perdit l’envie de méditer. Le yogi lui donna alors les
instructions suivantes sur l’art d’emporter les pensées sur la voie :
Puisque tout est vide dès le départ,
Pose l’abeille de ton esprit
Sur la fleur des instructions de ton maître
Et extrais le miel de l’ambroisie immaculée.
Ces trois choses n’en sont qu’une : médite-le bien
Et tu cueilleras le fruit de la grande félicité.
Voilà les conseils du grand Vajradhara,
Le sixième : médite-les sans hésiter !
C ’ÉTAIT UN POTIER QUI PASSAIT SON TEMPS À FABRIQUER DES POTS pour
gagner sa vie, et sa condition le lassait. Un jour, il fit l’aumône à un
yogi qui mendiait et lui dit :
– Je me tue à la tâche pour pas grand-chose : j’en ai assez de ce travail qui
n’en finit pas !
– Ne comprends-tu pas, toi mon bienfaiteur, que les êtres qui tournent
dans le samsâra ne connaissent que la souffrance et jamais le moindre
bonheur ? Il en est ainsi depuis la nuit des temps et cela n’aura jamais de
fin : n’est-ce pas plutôt de cela que tu devrais te lasser ?
Plein de foi, le potier demanda au yogi une méthode de libération. Celui-
ci l’initia et lui donna des instructions sur les phases de création et de
perfection.
Des ingrédients de l’ignorance émerge la glaise
Des émotions négatives et des pensées discriminantes.
La roue de la soif et de l’appropriation façonne les pots
Des six sphères d’existence : cuis-les au feu de la sagesse !
Le potier comprit ces instructions lui présentant l’essence de la pensée
discriminante. Il médita six mois et se trouva purifié des souillures de la
méprise samsârique jusqu’à atteindre l’accomplissement. Pendant qu’il
méditait, sa roue tournait d’elle-même et il en jaillissait tous les pots qu’il
voulait. Les habitants de Jomanashrî, reconnaissant là les qualités d’un être
accompli, l’appelèrent “Maître Potier” : ayant décrit sa réalisation, il partit
dans son corps pour les champs de l’espace.
Histoire
de Charvaripa
Il y avait dans cette ville du Magadha un éleveur inestimablement riche qui possédait un millier
de buffles et un nombre incalculable de chevaux et de moutons.
A ces mots, Manibhadrâ s’éleva dans les airs et instruisit les habitants
d’Agachi pendant vingt et un jours avant de partir pour les champs de
l’espace.
Histoire
de Mekhala
Kilikilipa médita avec assiduité jusqu’à ce que les bruits de voix furieux
d’autrui et tous les sons se dissipent d’eux-mêmes. Sa propre voix se perdit
dans une pluie de fleurs, l’idée de fleurs se perdit dans l’espace et toutes les
apparences se présentèrent comme le Grand Sceau. Ses perceptions se
libérèrent spontanément et Kilikilipa atteignit les accomplissements. Le
renom du “Maître Braillard” se répandit par tous les horizons et de maintes
façons il aida ceux qu’il devait aider. Ayant décrit sa réalisation, il partit
pour les champs de l’espace en compagnie de trois cents disciples.
Histoire de Kantali
Kantali le “chiffonnier” était balayeur à Manidhara. Ne possédant ni argent ni bien, il rapiéçait
et mendiait.
Il médita ainsi et réalisa que tout était vide en éprouvant une grande
compassion pour ceux qui ne l’ont pas réalisé. Ainsi parvint-il à
l’accomplissement du Mahâmudra, le grand sceau de la vacuité inséparable
de la grande compassion. Le renom du “Maître Chiffonnier” se répandit
par tous les horizons ; il fit abondamment le bien des êtres et pour finir
décrivit sa réalisation avant de partir dans ce corps même pour les champs
de l’espace.
Histoire
de Dhaguli
Dhaguli appartenait à la caste des shûdras de Dhokara ; il gagnait sa vie en vendant des
cordes qu’il tressait avec des herbes.
U N JOUR QU’IL TORDAIT UNE CORDE AVEC TROP DE FORCE, UNE grosse
cloque apparut sur sa main, lui procurant une vive douleur. Dhaguli se
terra dans un coin, les larmes aux yeux. C’est alors qu’arriva un yogi qui lui
demanda ce qui n’allait pas. Dhaguli lui raconta son histoire.
– Si tu ne supportes même pas cette douleur, dit le yogi, à te voir pleurer,
qu’est-ce que tu pourras bien faire quand tu renaîtras dans les mondes
inférieurs ?
– Puis-je vous demander, maître, un moyen d’y échapper ?
Le yogi commença par le bénir en l’initiant, puis il lui donna les
instructions suivantes sur l’art d’emporter les pensées sur la voie :
Médite que l’herbe kusha des perceptions habituelles
Et les réalités imaginaires1 qui flottent dans l’espace
Ont, dans leur essence originairement irréelle,
Le pouvoir de se manifester sans interruption.
Douze années durant, l’homme médita diligemment sur ce qu’il venait
d’entendre et atteignit les accomplissements en réalisant que les
désignations infondées, les entités soumises à la production
interdépendante et la réalité complètement existante ont une seule et même
essence dans la dimension absolue. Dès lors, le renom du “Yogi aux Cordes
d’Herbe” se répandit par tous les horizons. Il œuvra pendant sept cents ans
au bien des êtres dans toutes les régions de l’Inde. Puis, ayant décrit sa
réalisation, il partit pour les champs de l’espace en compagnie de cinq cents
disciples.
I L AVAIT UNE FEMME ET CINQ ENFANTS, MAIS LE KARMA DE SON épouse était
de mourir jeune, et il porta sa dépouille au charnier. Il n’en était pas
ressorti et pleurait encore la défunte qu’on vint lui porter la nouvelle de la
mort soudaine de ses cinq enfants. Il alla chercher leurs dépouilles et resta
là à pleurer de plus belle. C’est alors qu’apparut le yogi Krishnâchârya qui lui
demanda ce qu’il faisait dans ce charnier.
– Yogi, dit l’homme, je viens de perdre ma femme et mes enfants. Ma
douleur est trop grande : je ne puis me détacher de leurs dépouilles.
– Ce qui t’arrive, dit Krishnâchârya, est le lot de tous les êtres qui
peuplent les trois mondes ; tu n’es pas le seul dans ce cas. Ne te lamente
pas ! Cela ne sert à rien. Pratique plutôt le Dharma ! N’as-tu pas peur de
constamment naître et mourir dans ce cercle vicieux ?
– J’en suis effrayé. Si vous connaissiez une méthode pour s’en libérer,
vous devriez me l’enseigner.
Le maître l’initia au mandala de Hevajra et lui donna des instructions sur
les phases de création et de perfection, puis il lui donna une conduite à
suivre. Il lui demanda de confectionner six parures avec les ossements de
ses enfants et de s’en revêtir ; puis de trancher la tête de sa femme pour
faire de sa calotte crânienne une coupe. Il lui enseigna que le crâne était la
phase de création et le vide à l’intérieur du crâne la phase de perfection.
L’homme s’exécuta. Pendant neuf ans il médita jusqu’à atteindre l’union
des deux phases et les accomplissements. Alors il chanta :
Je suis le Yogi à la Calotte Crânienne.
J’ai compris que par nature les choses
Ressemblaient à ce crâne, et désormais
Ma conduite est spontanée.
Ayant dit, il se mit à danser dans le ciel et tous eurent foi dans le “Maître
à la Calotte Crânienne” dont le renom se répandit par tous les horizons. Il
décrivit alors sa réalisation et œuvra au bien des êtres pendant cinq cents
ans avant de partir, en compagnie de six cents disciples, pour les champs de
l’espace.
Histoire
de Kîrâvala
Kîrâvala signifie “qui déteste tout”.
sixième mois, elle rêva que le soleil et la lune se levaient sur ses épaules,
qu’elle buvait les océans, dévorait le mont Meru et foulait au pied les trois
mondes. Elle raconta son rêve au roi.
– Je ne sais pas ce que cela veut dire, fit le roi. Interrogeons les pandits et
les brahmanes qui reçoivent nos offrandes.
Les sages furent conviés à un festin sacré. Ils reçurent des offrandes et
on les consulta. Ils répondirent qu’un bodhisattva, un souverain du Dharma,
allait naître et que, puisque cela ne plairait pas aux mondains, il naîtrait un
deuxième fils qui, lui, serait une mine de perfections mondaines. Tel était
le sens du rêve de la reine et tous se réjouirent.
Après neuf mois et quelques jours, l’enfant vint au monde à minuit, dans
une fleur de lotus, sur un grand lac produit par le karma et les mérites. Sur
toute la région il se mit à tomber des pluies de bienfaits qui émerveillèrent
la population. On se demanda qui manifestait son pouvoir de la sorte. Il
fallut attendre midi pour savoir que ces merveilles émanaient de celui qu’on
appela dès lors le “Prince Né au Lac”. Ce prince avait le pouvoir de
permettre à tous et à chacun d’avoir des plaisirs et des biens.
Un deuxième fils naquit, puis le roi et la reine moururent et l’aîné hérita
du royaume. Mais il le confia à son jeune frère et prit les vœux
monastiques. Sur la route de Shrîdhana, il rencontra un moine en qui il ne
reconnut pas une manifestation du sublime Avalokita, mais qui lui posa des
questions et auquel il répondit avec franchise.
– Est-ce que tu veux rencontrer le Bouddha en corps de jouissance ?
– Je n’en ai pas les moyens, moine, mais pour sûr je le veux !
– Si tu me prends pour maître et me respectes, je sais ce qu’il faut faire.
Le prince se prosterna et le pria de l’instruire. Alors le moine manifesta
pour lui les déités du mandala de Hevajra ; il l’initia et lui donna des
instructions avant de disparaître d’un coup. Le prince rejoignit Shrîdhana et
se mit à la pratique. Un homme à l’allure de yogi lui demanda ce qu’il faisait
et le prince lui raconta son histoire.
– Dans ce cas, dit l’homme, je serai votre serviteur, et quand vous aurez
atteint les accomplissements, vous me donnerez vos instructions.
Le prince accepta. Il s’installa dans une grotte inoccupée et pratiqua
pendant douze ans, servi par cet homme.
Entre-temps, une terrible famine frappa en répandant la mort. Craignant
que la situation interrompe les progrès de son maître, le serviteur ne parla
de rien et se contenta, pour survivre, des restes de son maître. Un jour qu’il
avait mendié sans succès, il passa devant le palais d’un roi où l’on remplit
son bol de riz. Il avait le ventre trop vide et, de retour à la grotte, il fut pris
d’un éblouissement et s’écroula en renversant le riz.
– Tu as bu ? demanda le maître.
– Où donc aurais-je bu ? J’ai été pris de faiblesse parce que j’avais faim et
je suis tombé.
– Pourquoi ne manges-tu pas ?
– Je ne voulais pas vous le dire pour ne pas interrompre votre pratique,
mais pendant ces douze ans, il y a eu une grande famine qui a fait beaucoup
de morts, et les survivants n’ont pas fini de souffrir.
– Pourquoi ne m’en as-tu rien dit ? s’exclama le maître Né au Lac. J’ai le
moyen d’arrêter la famine. Allons !
Le maître ramassa le riz qui s’était renversé, se rendit au bord de la
rivière et confectionna un gâteau rituel, après quoi il dirigea contre les huit
grands nâgas la puissance de ses mantras, de ses moudrâs et de sa
concentration, et les nâgas eurent l’impression qu’on leur écrasait la
cervelle. Ils accoururent pour savoir ce qu’on attendait d’eux.
Le maître leur dit :
– Il ne pleut plus sur le monde par votre faute et les êtres se meurent.
Faites donc pleuvoir de la nourriture pendant un jour et une nuit ; ensuite,
pour la même durée, faites pleuvoir des céréales ; ensuite, des maisons ;
ensuite, des pierres précieuses ; et enfin, de l’eau !
Les nâgas s’exécutèrent et les êtres furent libérés de leurs souffrances.
Dès lors, la renommée du maître se répandit par tous les horizons. Tous
évoquaient la puissance du Maître Né au Lac et chacun eut foi en lui.
Celui-ci initia Râma, son serviteur, et lui donna des instructions qui le
menèrent aux accomplissements mondains. Ces instructions portaient sur
les phases de création et de perfection de Hevajra, auxquelles le maître
ajouta ceci :
– Ne pars pas pour les champs de l’espace sans œuvrer au bien des êtres !
A présent, va au mont de Gloire et, en suivant mes instructions, tu
atteindras les accomplissements.
Sur ces mots, le maître partit pour les champs de l’espace.
Comme il approchait du mont de Gloire, Râma subjugua la fille du roi.
Ensemble ils érigèrent le “Temple de Râma” et, après avoir accompli
d’autres œuvres, ils partirent finalement pour les champs de l’espace.
Histoire
de Sarvabhaksha
Sarvabhaksha, dont le nom signifie “goinfre”, était un sujet du roi Singhachandra d’Abhira.
L’homme médita avec une telle conviction que le soleil et la lune prirent
peur et se cachèrent dans le mont Meru.
– La lumière a disparu, s’écrièrent les hommes : quel malheur !
Les dâkinîs implorèrent Saraha, le grand brahmane, qui alla voir son
disciple et lui dit simplement :
– A présent que tu as tout mangé, médite qu’il n’y a plus rien !
Ce que l’homme fit avec la même ardeur jusqu’à réaliser l’union des
apparences et de la vacuité. Il atteignit l’accomplissement, le soleil et la
lune sortirent de leur cachette et chacun se réjouit. Il lui avait fallu quinze
ans pour atteindre l’accomplissement lorsqu’il décrivit sa réalisation et se
mit au service des êtres pour six cents ans. Finalement il partit, en
compagnie de mille disciples, pour les champs de l’espace.
Histoire
de Nâgabodhi
Alors que le sublime Nâgârjuna vivait dans l’ermitage de Suvarna, un brahmane arrivé de l’est
indien par étapes, en volant tout ce dont il avait besoin, regarda par la porte du maître.
I L LE VIT SE DÉLECTER D’UN METS PARFAIT DANS UN PLAT D’OR, ET l’envie lui
prit de s’approprier le tout. Or Nâgârjuna, qui connaissait la pensée du
brahmane, jeta le plat dehors. Le brahmane se demanda pourquoi l’homme
agissait ainsi. Il entra et lui dit :
– J’avais l’intention de vous voler cet objet. A présent, ce n’est plus
nécessaire. Pourquoi me l’avez-vous lancé ?
– Je m’appelle Nâgârjuna. Mes richesses sont destinées au bien des
autres. Tu n’as donc pas besoin de me les voler. Reste pour boire et manger,
et quand tu partiras, emporte tout ce que tu veux : je te l’offre.
Le comportement du maître inspira le brahmane : il eut confiance et lui
demanda un enseignement. Le maître l’initia à Guhyasamâja et lui donna
les instructions suivantes sur la libération spontanée de la croyance à la
réalité des choses :
Renonce à toute activité et médite
Que sur ta tête ont poussé des cornes
Imaginaires : des cornes d’émeraude
Etincelantes de lumière.
1 – Traduction incertaine.
2 – Traduction incertaine.
Histoire de Sutalipa
Cet individu de la caste des shûdras vivait au Bengale avec sa femme quand, un jour, un
maître yogi vint lui demander l’aumône : il lui servit maints aliments et boissons suaves, puis,
gagné par la foi, fit de lui son maître spirituel.
– Tu n’es pas de ceux que je peux aider vraiment, lui dit-elle encore.
Parmi ceux qui te servent, il y a un balayeur qui est mon disciple et a atteint
les accomplissements. C’est lui ton maître spirituel, ton ami de bien.
– J’ai beaucoup de balayeurs : comment le reconnaîtrai-je ?
– Tu le reconnaîtras à ceci : quand il a fini de balayer, il donne à manger
aux animaux.
Le roi observa les balayeurs et trouva son homme. Il l’invita à prendre
place sur un trône, se prosterna à ses pieds et lui demanda ses instructions.
Le balayeur le bénit en l’initiant et lui enseigna les phases de création et de
perfection de Vajravârahî la Laie Adamantine.
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