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FORMATION

HMONP
2016-2017

ECOLE NATIONALE SUPERIEURE


D'ARCHITECTURE
PARIS LA VILLETTE

MEMOIRE
PROFESSIONNEL

La Polyvalence de l'Architecte
une garantie pour l'Architecture ?

ADE : MORGAN WALDUNG


MSP : BURNOD ARCHITECTE tutrice Odile Burnod
DIRECTEUR D'ETUDES : YVES MAHIEU
J'adresse mes sincères remerciements à :

Odile Burnod pour la confiance qu'elle m'accorde depuis le début de notre collaboration, qui m'a
permis de vivre cette formation dans les meilleures conditions,
Yves Mahieu pour sa pédagogie, ses conseils et son soutien à ma réflexion,
Aurélie, Marion et Maïté pour la qualité de nos échanges, je leur souhaite le meilleur,
Bernard Vivet, Pierre Guignard, Yosuke Igarashi et Vincent Saulier pour avoir accepté de
répondre à mes questions,
Ma famille et mes amis pour les relectures assidues.

2
La Polyvalence de l'Architecte

Sommaire

Introduction 5

I – L'architecte, un pédagogue 9

a – Partager les connaissances, c'est partager le savoir-faire 9


b – Comprendre pour expliquer, écouter pour proposer 11
c – Diffuser l'Architecture 13

II – L'architecte, plus qu'un dessinateur 15

a – Élargir sa palette d'outils 15


b – Participer à l'innovation 17
c – Produire l'Architecture 18

III – L'architecte, un entrepreneur 21

a – Se former en permanence 21
b – Assumer l'étendue de son rôle 23
c – Vivre de l'Architecture (projet professionnel) 25

Conclusion 29

Bibliographie 31

Entretiens en annexes 33

Fiche d'évaluation

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Introduction

'' L'Architecture c'est quoi, aujourd'hui ?'' 1

C'est ainsi que Jacques Herzog conclut l'interview donné à Richard Copans en 1999

pour la série de films documentaires Architectures. L'Architecture pourrait se définir par la


manipulation du matériel pour créer l'immatériel. Les premières structures mégalithiques de la
préhistoire ne constituent-elles pas les premiers gestes architecturaux de l'Homme ? Installer
une table de pierre sur deux autres revient à déplacer un plan zéro vers un plan supérieur afin
de présenter quelqu'un ou quelque chose au ciel, et lui donner une certaine valeur. Voilà une
manipulation du réel pour créer une signification symbolique.

Mais qui fait l'architecture ? Comment assurer ce lien entre usage et conceptualité, et
qui pour endosser ce rôle ? La question posée par Jacques Herzog reste intemporelle car
l'architecture, indissociable des gens, évolue avec la société.

Aujourd'hui, nous vivons une période de changements considérables. Les modes de


consommation sont remis en question. Les moyens de communication sont omniprésents.
L'information est accessible partout. La protection de l'environnement est devenue un enjeu du
quotidien. Le progrès technologique transforme les villes et modifie les modes de vies... Aussi,
de plus en plus d'individus cherchent à s'impliquer dans ces changements et aspirent à
comprendre les questions, qui poussent la société à évoluer, et à participer aux réponses, qui
sont données.

Face à cette situation inédite, la place de l'architecte a également évolué. Il n'est plus
celui qui portait le projet avec une prétention rarement dissimulée. Aujourd'hui, la fabrication de
la ville est conduite à plusieurs échelles par des équipes composées de plus en plus d'acteurs
aux rôles spécifiques. La loi des marchés, la réglementation, ou encore la normalisation des
outils de travail ont encadré le processus de production de l'architecture.

Les cartes sont peu à peu redistribuées et paradoxalement l'image de l'architecte peine
à suivre le mouvement. L'Architecture est médiatisée mais le travail de l'architecte reste
méconnu. Je suis allé visiter l'exposition « L'architecte, portraits et clichés » à la Cité de

1 - Jacques Herzog, Architectures par Richard Copans, Arte France, 1999

5
l'Architecture. Cette exposition destinée au grand public dresse un portrait trop caricatural d'un
personnage important, parfois drôle malgré lui mais toujours attaché à son image pour briller en
société. Je trouve dommage de véhiculer ces vieux clichés au public, qui n'a pas l'occasion de
comprendre l'étendue de la profession et le travail de fond d'un architecte.

Un phénomène nouveau commence, lui aussi, à toucher la profession d'architecte,


''l'ubérisation''. Ce néologisme, tiré de l'entreprise Uber, consiste en une nouvelle répartition du
travail avec un rapport très direct entre le client et le prestataire grâce aux nouvelles
technologies (plate-formes numériques, applications smart phone, géolocalisation, paiement en
ligne, …). Dans un article publié sur le site Les Architectes, Patrick Texier, architecte, explique
que ''depuis les années 80 et l'apparition du premier dessin DAO, les entreprises de logiciels
ont révolutionné l'organisation des agences d'architecture […] Les catégories
socioprofessionnelles (dessinateur, compositeur, projeteur, chef d'agence) décrites dans la
convention collective des architectes ont disparu en quelques années au profit des suivantes :
stagiaire, diplômé ou en cours, ou architecte HMO. Leur statut tend aujourd'hui comme pour les
taxis vers celui de l'indépendant''. 1

Cette tendance à la pratique du ''free-lance'' ou auto-entrepreneuriat pourrait se lire


comme un signe positif mais entraîne également un isolement de la pratique et une certaine
précarité. Il devient difficile de développer une agence seul, en imaginant pouvoir innover avec
ses propres ressources souvent limitées. La conception stagne et les prestations sont réalisées
de plus en plus rapidement à faibles coûts. L'ubérisation met à mal le concept ''d'architecte''
dans la mesure où cela tend à normaliser davantage des prestations clé en main, réalisées
rapidement, au détriment d'une réflexion aboutie et du travail de terrain qui caractérisent la
prestation d'un ''bon architecte''.

Enfin, la notion même de maître d’œuvre, souvent liée à l'architecte, commence à


disparaître. Il se retrouve au milieu d'une série d'opérateurs économiques au service de
l'acheteur, qui a remplacé le maître d'ouvrage.

Face à ces constats, la place et le rôle de l'architecte dans la société est à questionner.
Ce mémoire ne veut pas faire échos à l'ouvrage de Philippe Trétiack, qui demande '' s'il faut
pendre les architectes''. Au contraire, en tant qu'architecte diplômé en cours de formation

1 - Patrick Texier, L'ubérisation du métier d'architecte, lesarchitectes.com

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HMONP, je souhaite affirmer la nécessité de l'architecte pour garantir l'architecture.

J'ai l'opportunité de réaliser la formation HMONP quelques années après la sortie de


l'école et surtout au sein d'une structure qui me pousse à être de plus en plus polyvalent. Cette
qualité est un point essentiel du métier d'architecte. Même s'il n'est jamais vraiment seul,
l'architecte est un sachant qui doit apporter des solutions, des réponses à tous les problèmes
posés lors d'un projet. L'architecte n'est pas seulement là pour créer l'architecture, mais aussi
pour la rendre accessible aux moins initiés. Ce rôle nécessite la maîtrise d'une palette d'outils
étendue du concret au plus abstrait. Lors de sa remise du prix Pritzker en 1998, Renzo Piano
définit l’architecture comme ''une science, un art et un reflet de la société à la fois. C'est un
1
métier polyvalent car il demande du courage et de la curiosité, de l'émotion et de la créativité.''

La polyvalence de l'architecte, une garantie pour l'Architecture ?

Afin de développer cette question à travers ce mémoire, je souhaite aborder différents


thèmes qui seront mis en relation avec ma mise en situation professionnelle au sein de l'agence
Burnod Architecte (voir journal de bord pour la présentation de l'agence).

Dans un premier temps, j'analyserai la dimension pédagogique de l'architecte. Je


tenterai de mettre en lumière l'importance de la transmission aussi bien au sein de l'agence
qu'en dehors.

Dans un second temps, je questionnerai la position de l'architecte et son attitude face


aux modes de production de l'architecture. L'objectif sera de comprendre quels sont les atouts
de l'architecte pour se maintenir dans le processus de production, et savoir ce que signifie
réellement ''produire l'architecture''.

Enfin, je développerai mon projet professionnel en posant un regard critique sur le rôle
de la formation HMONP, dernière passerelle qui permet à l'architecte d'être un entrepreneur
dont l'objectif est de garantir l'utilité publique de l'architecture.

1 - Renzo Piano, Discours de remise du prix Pritzker, 1998

7
8
I - L'architecte, un pédagogue

''Les gens ne veulent pas admettre que leurs besoins sont de la responsabilité de
quelqu'un d'autre. C'est presque honteux de penser qu'on fait quelque chose pour les autres si
on ne leur donne que ce dont ils ont besoin. Ce qu'on doit donner aux gens, c'est l'occasion de
sentir leurs propres désirs, ce qui n'est pas encore exprimé, ce qui n'a pas encore été fait. C'est
ainsi qu'on connaît ses nouveaux désirs.'' 1

Cette pensée de Louis Kahn, extraite de Silence et Lumière, définit exactement ma


notion de la pédagogie, donner envie à l'autre d'aller au delà de ce qu'il sait déjà.

a - Partager les connaissances, c'est partager le savoir-faire

''A propos des premières colonies grecques en Espagne, je lisais que quelques
hommes, des marins, des aventuriers, attirés par la beauté, la merveille de toutes choses
alentour, voulurent aller plus loin, faire d'autres découvertes. Leur bateau était une école […]
L'un possédait un talent, un autre en possédait un autre ; ils acceptèrent de les échanger.'' 2

A la sortie de l'école d'Architecture, lors de nos premiers entretiens d'embauche, il n'est


pas rare d'entendre qu'après cinq années d'études au minimum, nous ne savons rien. Fier de la
culture et de la sensibilité architecturale acquises tout au long du cursus, cela demeure à juste
titre insuffisant pour appréhender la complexité de la profession. Il nous reste en effet beaucoup
de choses à apprendre alors que nous devons nous montrer productifs, efficaces et
disponibles. Le chef d'agence et employeur que j'aspire à devenir doit bien sûr avoir conscience
de cette formation inachevée après le Diplôme d'État en Architecture. Une pédagogie, telle que
peut la définir Louis Kahn, doit alors s'installer au sein d'une agence et je pense qu'il est
important qu'elle puisse fonctionner à double sens.

Un bon chef d'agence doit être capable d'assumer son rôle de transmetteur qui donnera
envie au jeune diplômé d'acquérir les compétences lui permettant d'exprimer ses capacités de
conception tellement mises à l'épreuve à l'école. Mais un bon employeur doit également être
prêt à embaucher quelqu'un qui saura apporter un renouveau et qui sera à même d'établir des

1 - Louis I Kahn, Silence et Lumière, éd. du Linteau 2006, p.204-205


2 - Louis I Kahn, Silence et Lumière, éd. du Linteau 2006, p.201

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échanges réciproques au service du développement de l'agence.

Depuis l'obtention de mon diplôme, j'ai connu deux expériences professionnelles


complètement différentes sur le plan de la pédagogie. Ma première expérience en agence post-
diplôme n'est pas un bon exemple de pédagogie selon moi. Entre le chef d'agence trop absent
et des employés tous sortis de l'école donc peu expérimentés, le manque de communication
était un frein à toute chose. Malgré la qualité architecturale des projets, il n'y avait pas de
dynamique permettant de faire prospérer l'agence. Aujourd'hui chez Burnod Architecte, sans
prétendre à une situation parfaite, la relation pédagogique est beaucoup plus présente et profite
au travail produit à l'agence.

Je pourrais illustrer la différence entre mes deux expériences par l'exemple du rapport à
l'erreur. Dans ses Réflexions sur la pédagogie de l'architecture, Gabriel Bardos explique qu'en
''s'interrogeant moi même sur nos pratiques, je suis arrivé à des « conseils » théoriques de la
pédagogie, comme « l'éloge des erreurs » que je considère comme outil évident de base dans
l'apprentissage et dans la pratique de la conception architecturale. Je crois même que toute
notre structure mentale s'édifie à l'aide de nos erreurs qui nous conduisent à la compréhension
des phénomènes.'' 1

L'erreur fait progresser, l'essentiel est de se relever, certes, mais encore faut-il
comprendre son erreur, savoir pourquoi nous sommes tombés. Au cours de ma première
expérience, le manque de dialogue et de pédagogie ne nous permettait même pas de
comprendre que nous pouvions être dans l'erreur. Les situations s'enlisant, seules les réactions
d'urgence pouvaient les débloquer sans enrichir personne. Je pense que la communication
permet de mettre le doigt sur un problème suffisamment tôt pour le régler intelligemment.
Expliquer la solution, ou laisser le temps de la trouver par soi-même, les deux méthodes sont
bonnes et dépendent de différents facteurs comme le degré de complexité. L'important est
d'accompagner celui qui est en difficulté.

Ce principe amène à une relation de confiance qui peut paraître évidente dans une
structure minimale comme Burnod Architecte, un employeur un employé, mais peut s'appliquer
partout. Cela entraîne une réaction en chaîne bénéfique pour l'agence et pour la conception
architecturale. En partageant son savoir-faire et ses méthodologies, chacun est motivé à faire

1 - Gabriel Bardos, Réflexions sur la pédagogie de l'architecture, éd. Publibook 1970, p.11

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au mieux et à assumer les responsabilités qui lui sont confiées. L'échange de connaissances
crée une cohésion au sein de laquelle chaque sensibilité peut renforcer la personnalité d'une
agence d'architecture.

Ce partage du ''pouvoir faire'' permet au jeune architecte en devenir de développer une


des capacités indispensables à la profession, qui consiste à être un pont entre les différents
interlocuteurs d'un projet architectural.

b – Comprendre pour expliquer, écouter pour proposer

'' Pour bâtir, l'architecte est celui vers qui on se tourne spontanément. En effet, son rôle
est de concevoir un bâtiment en s'occupant de toutes les facettes du projet […] En accord avec
ce rôle « multitâche », l'architecte régit également tous les niveaux du projet […] L'architecte
est un référent du chantier, que ce soit pour son client ou les ouvriers. Autant de métiers avec
lesquels il entretient des contacts étroits.'' 1

Ce caractère polyvalent ne peut pas s'acquérir du jour au lendemain. Le métier


d'architecte nous met en permanence face à de nouvelles situations qui nous poussent à nous
ouvrir à tous les champs de la construction et de la gestion d'un bâtiment. L'enjeu est alors
d'emmagasiner, au fur et à mesure de nos expériences et de nos échanges avec les différents
acteurs d'un projet, toutes les nouvelles informations qui nous permettront par la suite
d'anticiper un problème, d'avoir du recul sur la situation, et de développer un sens critique sur
ce qui nous est dit. Aussi, fort de la diversité des domaines explorés, l'architecte sachant doit
entretenir son rôle de pédagogue au-delà du fonctionnement de son agence.

Au cours de ma MSP chez Burnod Architecte, j'ai été chargé de l'étude et du suivi de la
construction d'un ascenseur pour l'Institut Protestant de Théologie dans le cadre d'une mise en
accessibilité PMR. Ce projet situé dans le 14e arrondissement de Paris au-dessus des
anciennes carrières, nous a conduit à étudier le renforcement des galeries au droit de l'emprise
de notre projet. Partant avec une connaissance très limitée du sujet voire inexistante, je me suis
plongé dans ce domaine particulier qui touche de nombreux projets de la capitale. J'ai eu
l'opportunité de descendre dans les galeries pour en constater l'état. C'est une des joies qui me
fait aimer ce métier, ce côté ''explorateur'' qui nous amène parfois dans des endroits que nous

1 - Vincent Coliatti, Polyvalence et esthétisme : le petit plus des architectes en passif, lamaisonpassive.fr

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n'aurions pas imaginés en commençant un projet. Mais au-delà de ce plaisir personnel, la
phase la plus intéressante a été de comprendre les solutions apportées par les différents
prestataires consultés. Suite à l'avis de permis de construire de l'Institut Général des Carrières,
un appel d'offre a été lancé et quatre devis ont été reçus, tous différents. Après l'analyse de la
notice de l'IGC, j'étais en mesure de dialoguer avec les différentes entreprises pour comprendre
précisément leur devis et les comparer correctement. J'ai donc acquis des connaissances
techniques que je me suis efforcé de restituer au mieux à notre client. Car il ne suffit pas de
comprendre une nouvelle information et de s'en satisfaire, la plus grande satisfaction est de
pouvoir l'expliquer clairement à celui qui va en avoir besoin pour faire avancer le projet. En
l’occurrence ici, le client, qui n'a pas forcément le temps de se plonger dans des analyses
techniques, devait avoir suffisamment d'informations pour choisir tel ou tel devis.

Voilà un exemple parmi tant d'autres permettant d'appuyer la nécessité de la


polyvalence de l'architecte. Il est celui qui, par sa vision d'ensemble, peut diriger le débat sans
jamais nuire à l'intérêt de chaque parti en étant capable d'expliquer à chacun les contraintes de
l'autre. Cette capacité d'écoute, l'architecte doit la mettre en œuvre tout au long d'un projet pour
se montrer réactif et proposer les meilleures solutions.

C'est même dès les premiers instants d'un projet que l'architecte doit appliquer la
pédagogie selon Louis Kahn, qui consiste à faire ''connaître les nouveaux désirs'' de celui qui
vous sollicite. Cela me permet d'évoquer une autre carte à jouer de l'architecte pédagogue, la
programmation.

Lorsque l'architecte rencontre son futur client pour la première fois, il l'écoute, intègre
sa demande, et par son expérience le pousse à améliorer ou aller au-delà de ses premières
idées. J'ai pu le vérifier à plusieurs reprises au cours de mon expérience chez Burnod
Architecte dans le cadre des projets de petite échelle avec une maîtrise d'ouvrage privée qui
fournit rarement un programme. Comme un médecin qui écoute les symptômes énoncés par
son patient afin d'établir son diagnostic, l'architecte doit analyser les besoins présents et futurs
du client, pour proposer le projet qui correspond au mieux à ses modes de vie. Concernant les
''grands projets'' partant d'un programme précis et rédigé, l'architecte a toujours un plus à
apporter afin de l'enrichir. Je pense par exemple au concours de la rénovation du Grand Palais
remporté par l'agence LAN et présenté par Umberto Napolitano lors de notre première session
de cours HMONP. Il nous expliquait l'importance de savoir lire entre les lignes de ce qui est

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demandé pour se montrer fort de solutions qui viennent compléter les objectifs initiaux.

Cette force de proposition permet à l'architecte d’œuvrer pour l'architecture. C'est en


apportant le petit plus inattendu que l'architecte participe au développement de sa vision de la
discipline. Plus l'architecte se présentera comme défenseur de sa réflexion, plus l'architecture
sera accessible et rayonnera.

c – Diffuser l'Architecture

''L'enseignement est dans l'histoire de la construction le lien même de l'élaboration


doctrinale, l'occasion par les obligations pédagogiques de résumer, d'abstraire, de décrire, de
convaincre […] L'enseignement ne saurait être simplement réservé aux élèves, il faut répandre
1
la doctrine, en diffuser les énoncés et recueillir l'approbation du public.''

Jean-Pierre Epron nous explique ici qu'il faut porter l'enseignement au-delà des limites
d'une école. La pensée architecturale doit se répandre le plus largement possible pour que
l'opinion publique comprenne et évalue les enjeux et les combats menés par l'architecture.
C'est sur ce terrain que la pédagogie de l'architecte doit être la plus efficace.

Il faut amener les gens à appréhender l'espace, les volumes qui façonnent les villes et
influent sur leur quotidien. La culture architecturale est également nécessaire. L'architecture a
suivi le cours de l'Histoire en étant étroitement liée aux enjeux sociaux, économiques ou encore
environnementaux. Nous pouvons prendre l'exemple du Bauhaus, mouvement créé par Walter
Gropius en 1919, qui au-delà de considérations esthétiques a émergé en parallèle de
préconisations sanitaires portées par le corps médical. Le leitmotiv ''air, lumière et soleil'' du
Bauhaus a conduit à la création de nouveaux programmes en lien direct avec la médecine
comme les sanatoriums, et a influencé plus largement nos modes de vie.

L'architecture est liée à notre société et il faut accompagner le plus tôt possible les
jeunes esprits à se préoccuper de ce lien fondamental. Il existe aujourd'hui des organismes
comme Archipédagogie qui se chargent de faire découvrir aux enfants les bases de notre
discipline. ''Cette démarche permet d’aider l’enfant à maîtriser la dimension spatiale du monde
qui l’entoure et à comprendre que l’espace est autant social que physique. C’est surtout pour

1 - Jean-Pierre Epron, L'architecture et la règle, éd. Mardaga 1995, p.233

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1
les enfants l’occasion de développer leur esprit critique.'' Cette association propose des
ateliers maquettes, dessins, jeux et expositions permettant un accès facile aux questions
urbaines. Des exercices semblables sont pratiqués ailleurs comme à l'école d'Architecture de
Nancy qui organise les ''Folles Journées de l'Architecture'' invitant le grand public à imaginer,
créer, explorer, comprendre et bricoler autour de l'architecture. J'ai moi-même participé à cette
pédagogie au cours de mes études en installant un atelier de découverte pour des élèves
volontaires d'une classe de 6e qui venaient deux fois par mois s'ouvrir à l'architecture et
préparer une exposition sur leurs nouvelles connaissances pour les portes ouvertes du collège.

D'autre part, et pour un public plus expérimenté, il en revient aux architectes de


reprendre la main sur la médiatisation de l'architecture qui peine de plus en plus à délivrer un
regard critique sur la production actuelle. A l'image d'expositions superflues comme
''L'architecte, portraits et clichés'' à la Cité de l'Architecture, le regard du public est trop souvent
maintenu en surface malgré les nombreux niveaux de lecture que peut couvrir l'architecture.
L’hégémonie de l'image comme support de communication dessert la pensée de fond et qui
plus est, '''internet a fini par étouffer les revues papier en apportant encore moins d'infos, ajoute
David Trottin […] Parfois, l'article n'est plus qu'une simple légende chez quelques paresseux
médias.'' 2 Limité à une présentation de la forme, le public se limite à un jugement esthétique et
est trop rarement invité à prendre conscience du travail effectué ou des combats d'éthique
menés pour améliorer la société. Voilà une autre casquette que peut porter l'architecte, celle du
journaliste ou de l'éditeur le rendant responsable de la diffusion de sa pensée. Heureusement le
bilan n'est pas si sombre que je le laisse à penser, et nous pouvons partir sur une base positive
car ''l'architecture intéresse les gens, il suffit juste de trouver le ton, souligne Eric Justman..'' ³

La curiosité indispensable de l'architecte l'amène à acquérir des connaissances


multiples qu'il doit utiliser au mieux pour développer sa pensée et la rendre accessible. Il peut
consacrer sa vie à exercer ce rôle de pédagogue et enraciner une culture architecturale forte
dans la conscience collective, une autre forme de pédagogie toute aussi louable sera
d'exprimer ses convictions en dessinant et transformant les villes. L'architecte se présente alors
à la fois pédagogue et acteur principal de la construction d'un ouvrage. Là aussi, sa
polyvalence doit lui assurer une place majeure dans ce processus au-delà du simple
dessinateur comme le laissent croire certaines idées reçues.

1 - Extrait de l'édito du site Archipedagogie.org


2 et 3 - Emmanuelle Borne, Buzz Buzz le ronron des architectes, lecourrierdelarchitecte.com 2012

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II - L'architecte, plus qu'un dessinateur

''Le disegno est comme la forme ou idée de tout objet de la nature, toujours originale
dans ses mesures. Qu'il s'agisse d'un corps humain ou de celui d'un animal, d'une plante ou
d'édifices, de sculptures ou de peintures, on saisit la relation du tout aux parties, des parties
entre elles et avec le tout. De cette appréhension se forme un concept, une raison engendrée
par l'objet, dont l'expression manuelle se nomme dessin. Il est l'expression sensible, la
formation explicite d'une notion intérieure à l'esprit ou mentalement imaginée par d'autres et
élaborée en idée.'' 1

Dans son article sur la théorie du dessin, Jacqueline Lichtenstein cite Vasari qui définit
le dessin comme la représentation d'une idée à l'époque où les mots dessein et dessin étaient
réunis sous le même terme italien, ''disegno''. Le dessin est donc déjà un projet en soi dans la
mesure où il traduit l'idée formelle de ce que nous percevons. Nous comprenons alors que le
dessin soit l'outil premier de l'architecte qui l'utilise comme un langage universel pour
communiquer à tous les intervenants d'un projet. Mais l'évolution du métier et des modes de
construction demande la maîtrise d'outils variés, qui doivent enrichir la polyvalence de
l'architecte.

a – Élargir sa palette d'outils

''Le dessin est un langage de la mémoire, la façon de communiquer avec soi-même et


avec les autres la construction. L'architecte ne dessine pas parce que l'architecture l'exige, il
2
suffit de penser, d'imaginer, il dessine pour le plaisir, par nécessité, par vice.''

Alvaro Siza insiste ici sur le dessin en tant que témoin de notre mémoire, c'est là selon
moi la fonction première d'un outil de conception, laisser une trace. Quel que soit l'outil utilisé
par un architecte, l'important est que l'information donnée par cet outil soit le marqueur d'une
idée à un instant t. Plus les outils seront variés, plus les informations seront complètes et
chaque idée sera représentée par autant de moyens employés pour l'exprimer.

1 - Les vies des meilleurs peintres sculpteurs et architectes, éd. Berger-Levrault 1981-89, citation de
Giorgio Vasari reprise dans un article de Jacqueline Lichtenstein, Théorie et Pratique du dessin
2 - Alvaro Siza, L'importance du dessin, exposition à l'ENSA Nancy 2000

15
Au-delà de l'ensemble des outils de représentation graphique (DAO, CAO,
modélisation, montage photo,...) que les architectes maîtrisent instinctivement de par leur
formation universitaire, je pense qu'une agence d'architecture doit également se munir d'outils
complémentaires lui permettant de s'ouvrir à différents domaines liés à l'élaboration d'un projet.

Dans le cadre de ma MSP, je me suis occupé de la requalification de l'ancienne salle de


projection de la Société Nationale d'Horticulture de France en bibliothèque ouverte au public
rassemblant sa grande collection d'ouvrages. Le client nous demandait des images
d'ambiances pour la salle de lecture aveugle qui tenait place dans l'ancienne salle de cinéma.
L'éclairage de cette salle de consultation était un point important pour ces propositions
d'ambiances. En outre des critères esthétiques de mise en valeur de l'espace, il fallait proposer
un éclairage respectant la réglementation quant à la quantité de lumière apportée dans les
rayonnages ou au niveau des espaces de travail. Une modélisation et un simple montage photo
n'étaient pas suffisants pour un tel espace dépourvu d'éclairage naturel. J'ai alors demandé
l'aide à un prescripteur en luminaires de qualité, qui par l'intermédiaire d'un devis pour ses
luminaires a pu me fournir une simulation d'éclairage de la salle de lecture avec des données
quantifiées précises du nombre de lux à tel ou tel endroit de la salle en fonction du
positionnement des luminaires que je lui avait donné. Cette simulation a été réalisée par un
logiciel qui m'a manqué cruellement à ce moment de la conception alors qu'il s'agit d'un logiciel
techniquement accessible (Dialux). Si j'avais eu ce logiciel en ma possession, j'aurais gagné du
temps d'une part sur la réponse à transmettre au client et j'aurais pu d'autre part tester
plusieurs solutions. Il m'était en effet difficile de demander gratuitement au prescripteur une
multitude de solutions.

Je peux évoquer un autre exemple encore une fois en rapport avec la présentation du
concours de la rénovation du Grand Palais par Umberto Napolitano de LAN. Il nous racontait
qu'à un certain stade de la conception, ils ont employé un outil leur permettant de simuler la
circulation aléatoire du flux massif de personnes susceptibles de fréquenter un tel endroit. En
rentrant différents paramètres, ils ont été en mesure d'anticiper le déplacement de dix mille
visiteurs et de hiérarchiser les différentes entités constituant leur projet.

Ces exemples illustrent la nécessité pour l'architecte d'être à l'origine d'un maximum
d'informations techniques qui servent à la conception d'un ouvrage. Aujourd'hui le dessin plan,
coupe, façade n'est plus systématiquement adapté aux nouveaux modes de construction et de

16
gestion d'un projet. Le progrès technologique a bouleversé nos moyens de conception et
l'architecte polyvalent doit participer pleinement à ces nouvelles avancées.

b – Participer à l'innovation

''Aujourd'hui, les nouvelles idées se multiplient face aux mutations techniques,


économiques et sociales qui influent sur l'architecture et les architectes […] Ces idées doivent
s'élaborer à partir des connaissances internes à la discipline architecturale, mais s'ouvrir aussi
à d'autres champs, comme les ingénieries techniques, la sociologie, l'anthropologie, le design
industriel. Car même si l'architecture n'appartient pas qu'aux architectes, ils sont les seuls
formés à cette discipline et les mieux placés pour opérer une synthèse entre tous les champs
1
disciplinaires concernés par l'acte de bâtir.''

Dans cet article, publié dans AMC, Marc Barani appelle les architectes à se positionner
en première ligne de la révolution qui bouleverse actuellement notre société en insistant sur
leur polyvalence pour ''progressivement inventer une nouvelle culture architecturale.'' ²

Sur la question du progrès technologique, on pense spontanément à l'impact sur l'outil


premier de l'architecte dont je parlais plus haut. Mais la révolution numérique ne concerne pas
uniquement la transformation des moyens de représentation, à l'heure de la dématérialisation,
c'est l'ensemble des modes de fonctionnement d'une agence qui demande à être transformés.
Comme le propose Marc Barani, j'estime que les architectes doivent être à les moteurs de ce
tournant majeur.

L'exemple que je souhaite aborder pour appuyer mon propos concerne les usages de
l'économie numérique qui commence à influencer la profession de l'architecte. J'évoquais, dans
l'introduction de ce mémoire, l'apparition du phénomène ''d'ubérisation'' des métiers qui selon
moi est encore mal géré par les architectes. Dans les Cahiers de la Profession n°57, Benoît
Gunslay dresse un premier bilan de ce nouveau phénomène. Il rappelle d'abord les avantages
de ces plates-formes numériques qui ''recherchent une économie de temps sur la transaction,
la collecte immédiate d'informations sur le professionnel, ainsi qu'un accompagnement sur le
juste prix de prestations que les consommateurs achètent rarement'' 3, il questionne ensuite la

1 et 2 – Marc Barani, L'innovation est en partie une désobéissance qui a réussi, AMC n°247 déc 2015
3 - Benoît Gunslay, Nouveaux usages de l'économie numériques et impact sur la profession, Les Cahiers
de la Profession n°57 2016, p. 11-12

17
compatibilité de ces plates-formes avec les professions réglementées comme celle de
l'architecte. Il explique en effet que ces plates-formes ne peuvent être tenues responsables des
pratiques illégales de certains utilisateurs. Malgré ''la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la
confiance dans l'économie numérique considérées comme éditeurs pour la structure du site et
comme hébergeurs pour les annonceurs, les plates-formes ne peuvent être mises en cause
qu'à condition d'avoir délibérément mis en ligne un contenu illicite ou de l'avoir maintenu après
signalement.'' 1

On comprend alors l'importance, pour les architectes de prendre ce sujet en main afin
de protéger leur profession. A ce titre, Benoît Gunslay rassure en expliquant que l'Ordre des
Architectes a déjà mis en place une démarche préventive afin d'assurer ''la protection du titre
de l'architecte sur l'espace numérique, la mise en place d'un cadre qui favorise le respect des
obligations déontologiques, et la garantie apportée en matière de propriété intellectuelle.'' ²

Cette attitude est un premier pas louable pour mettre les architectes en amont des
changements liés au numérique. Certains ont même déjà pris le train en marche comme la
startup Lacimenterie qui propose la première application de gestion d'agence entièrement
conçue par des architectes (entretien avec Bernard Vivet fondateur de Lacimenterie en annexe
du mémoire). L'intérêt est de découvrir que les architectes s'emparent de la création d'une
multitude d'outils pour ne pas se laisser dépasser par le progrès technologique mais au
contraire de faire évoluer leur profession pour rester au cœur de la production architecturale.

c – Produire l'Architecture

''Je suis un architecte inquiet qui essaye de produire du sens, de considérer le contexte
et qui considère la narration et le récit comme des nourritures utiles. La difficulté d'être de
l'architecte se heurte à la pornographie du global. Mais depuis quelques temps, il convient de
redevenir optimiste […] Les jeunes sont très avertis. Je m'en réjouis. Le défi de l'architecture
de demain est de continuer à être un récit compris par chacun et porteur d'un projet de société
3
[…] Au delà du style, c'est l'attitude qui importe.''

1 et 2 - Benoît Gunslay, Nouveaux usages de l'économie numériques et impact sur la profession, Les
Cahiers de la Profession n°57 2016, p. 11-12
3 - Rudy Riccitotti, L'architecture doit fabriquer du sens, propos recueillis par Nathalie Albar pour
revuetenten.com 2015

18
Le discours de Rudy Ricciotti résume ici les principaux objectifs que doit viser la
nouvelle génération d'architectes dont j'aspire à faire partie aujourd'hui. La production
architecturale n'est pas à réduire à l'élaboration de documents techniques, graphiques, ou écrits
permettant le bon déroulement d'un projet. L'architecte a pour rôle majeur de donner du sens à
tous ces processus complexes.

Par sa pédagogie, il doit s'assurer que les projets sont ''compris par chacun'' et par la
diversité de ses compétences sur le terrain, il se doit d'être ''averti'' des changements actuels
pour assurer sa plus-value. Par sa polyvalence, l'architecte peut être présent à tous les
échelons de la création d'un projet, des prémices du concept, à la diffusion de sa réalisation en
passant par le suivi de sa fabrication.

Produire l'architecture étant une affaire de société, il s'agit avant tout d'apporter une
intelligence à chaque étape dans l'intérêt de tous ceux qui participent à cette action sociétale.
Dessiner juste pour être compris, écouter et observer pour apprendre et restituer, optimiser les
outils pour plus d'efficacité, dialoguer pour avancer, innover pour développer la création,
comprendre les détails au profit d'une meilleure synthèse, … Voilà ce que représente le travail
de l'architecte dans la production architecturale.

Chacun de ses sujets peut faire l'objet d'un projet de vie. Il en revient à chacun
d'emprunter la voie qui lui semble la meilleure selon le contexte. L'important est d'adopter une
position de chef d'orchestre, et d'entreprendre tous les moyens nécessaires pour suivre la
partition qu'on s'est donnée. C'est alors à l'architecte d'assumer le rôle qui finalement lui
permettra d'exploiter au mieux sa polyvalence, celui d'entrepreneur.

19
20
III – L'architecte, un entrepreneur

''Si on travaille sur une réalité concrète, on participe à des forces de transformation très
complexes et l'on ne doit pas se fixer une image définitive de ce processus de transformation.
Quand on effectue un travail concret, il y a un temps pour ce travail, mais la transformation en
cours ne s'arrête pas, elle va toujours plus loin. Je suis sensible au moment qui va suivre, je
participe à cette transformation.'' 1

Alvaro Siza nous rappelle ce lien fort ente une architecture et son contexte en mutation
permanente. L'architecture nous forme à penser un objet mettant en jeu des données concrètes
qui évoluent au fil du temps. Ce rapport au concret place l'architecte face aux changements
possibles de toute chose. Cette humilité doit lui servir dans la conduite de ses projets en veillant
à suivre le mouvement des choses.

a – Se former en permanence

''Il est aujourd'hui unanimement admis que les activités d'éducation ne sont jamais que
des interventions qui agissent sur les constructions identitaires déjà en cours. La formation tout
au long de la vie participe de ces interventions en poursuivant la préparation de l'individu aux
changements. En effet, le but de toute formation est moins aujourd’hui d'adapter le sujet à
l'évolution de l'environnement que de lui donner les moyens d'assurer son propre changement
face aux mutations du milieu.'' 2

Dans son ouvrage, Michel Latchoumanin rassemble un corpus de textes mettant en


valeur le rôle important d'une formation continue dans la construction d'une identité. L'identité
forte d'une entreprise est un enjeu majeur. Une agence d'architecture construit son identité au
fur et à mesure de ses réalisations en se nourrissant des connaissances et des expériences
acquises à chaque nouveau projet. L'architecte poursuit ainsi sa formation en parallèle du
développement de son agence.

1 - Alvaro Siza, Une Question de Mesure, éd. Le Moniteur 2008 p.29


2 - Michel Latchoumanin, Formation permanente et constructions identitaires, ed. Karthala 2010

21
La formation de l'architecte en exercice est cadrée par le Code de Déontologie des
architectes qui rappelle dans son Article 4 que ''l'architecte entretient et améliore sa
compétence; il contribue et participe à cet effet à des activités d'information, de formation et de
1
perfectionnement, notamment à celles acceptées par l'ordre des architectes.'' Ce cadre est
même légiféré depuis l'arrêté du 12 janvier 2016, qui quantifie et rend obligatoire la formation
continue de l'architecte dans l'exercice de sa profession.

Au cours de mon expérience professionnelle, j'ai déjà pu profiter de ce droit à la


formation (CAO 3D et initiation au BIM) et Odile Burnod, tutrice au sein de ma MSP, veille
également à s'inscrire régulièrement à des programmes pédagogiques comme récemment
concernant la loi CAP. Cela permet bien sûr de rester à jour sur l'état du métier et de son
contexte et cela entretient également la diversité des connaissances et compétences
nécessaires à l'architecte qui souhaite donner de la crédibilité à sa structure. Cela permet
surtout de multiplier les possibilités de prestation que peut proposer un architecte. Un architecte
assidu dans sa formation comprend l'évolution du marché et sera capable d'adapter au mieux
son offre à une clientèle en réelle mutation.

Pour illustrer ce point , nous pouvons prendre l'exemple de la communication qui fait
parfois défaut aux architectes. La formation donnée dans les écoles d'architecture nous offre
des outils pour réaliser des rendus de qualité, synthétiser des idées à l'aide de procédés
graphiques efficaces. Cela nous laisse parfois penser que cela suffira pour se donner une
bonne visibilité mais ce n'est pas le cas. Le travail de communication est très important pour
une agence et ne se limite pas à la construction d'un ''joli'' site, d'un book soigné, ou encore la
mise à jour d'une page facebook. Une formation sur la communication serait un atout
considérable pour la mise en place de la stratégie d'une jeune agence. Dans son article pour le
courrier de l'architecte, Quoi ma com' qu'est-ce qu'elle a ma com', Emmanuelle Borne nous
donne l'exemple de AHA Consulting qui ''aide les architectes à prendre du recul sur leur
production, pour mettre en exergue une singularité via différents outils de communication et
2
pour savoir sur quoi il vaut mieux communiquer.''

L'importance d'une formation permanente est évidente pour l'architecte. La situation


actuelle exige même un certain retour à l'autodidaxie dans le sens où ''la post-industrialisation a
entraîné l’obsolescence des savoirs et oblige à un apprentissage à l'auto-documentation
1 - Code Déontologie des Architectes, Article 4, 1980
2 - Emmanuelle Borne, Quoi ma com' qu'est-ce qu'elle a ma com', lecourrierdelarchitecte.com 2012

22
1
génératrice de capacités à l'autoformation tout au long de sa vie.'' L'architecte entrepreneur
doit s'assurer d'être à la tête d'une structure en phase avec l'évolution de la société lui
permettant de revendiquer le rôle prépondérant qu'il joue pour l'architecture.

b – Assumer l'étendue de son rôle

''La pratique professionnelle en tant qu'architecte exige une expertise importante et


engage la responsabilité de celui qui l'exerce. S'agissant « d'une Habilitation à la Maîtrise
d’Oeuvre » il me semble préférable selon moi de justifier d'une certaine expérience
professionnelle pour connaître la réalité de la profession et les implications qui en découlent en
2
terme de mise en œuvre et de responsabilités.''

Je partage ce point de vue de Yoann Chaverot concernant la HMONP. Aucune des


questions traitées par la formation n'étant abordées durant le cursus universitaire, je jugeais
nécessaire de laisser passer quelques années post-diplôme. Mes différentes expériences
professionnelles m'ont permis de mettre le doigt sur un certain nombre de problématiques qui
m'ont amené à ressentir le besoin de suivre cette formation. Elle a pour avantage de venir
tantôt infirmer, tantôt confirmer nos envies sur la poursuite du chemin vers la pratique du métier.
C'est aussi l'occasion d'ouvrir les yeux sur une quantité de paramètres à maîtriser au mieux
pour endosser pleinement le rôle d'architecte.

Cela fait trois ans que j'évolue au sein de l'agence Burnod Architecte et la période de
MSP m'a permis de poser un nouveau regard sur l'agence et surtout sur le métier. Un des
sujets qui m'a amené à réfléchir sur l'étendue du rôle que je cherche à atteindre est celui de la
relation au client. Je souhaite développer trois exemples à ce propos auxquels j'ai été
confronté.

Le premier cas concerne l'extension d'un appartement au dernier étage d'un immeuble,
avenue Victor Hugo, par la réhabilitation des combles et la création d'une terrasse en toiture. La
complexité du projet quant à son impact sur la structure de l'immeuble nous a tout de suite
conduit à inviter le client à faire preuve de précaution en insistant plus que jamais sur le respect

1 - Michel Latchoumanin, Formation permanente et constructions identitaires, Texte de Georges Le Meur,


Apprendre à s'autoformer, ed. Karthala 2010 p.130
2 - Yoann Chaveret, Jeunes architectes et création d'entreprise, propos recueillis par Jérémy Berdou pour
Urbanews.fr 2014

23
fondamental des règles de l'art. Malgré tout, en cours de chantier le client nous a imposé une
entreprise sous qualifiée pour le projet et les risques pris ne permettaient plus à l'architecte de
remplir sa mission de maîtrise d’œuvre correctement. O. Burnod a décidé de rompre le contrat
en cours nous liant afin de se décharger de toute responsabilité que pouvait impliquer
l'incompétence de l'entreprise, dont le client ne voulait pas se séparer. Cet épisode, qui nous a
fait perdre brutalement un client, m'a fait prendre conscience que les exigences déraisonnables
du client ne doivent pas mettre son entreprise en danger et qu'il faut veiller à rester lucide sur
chaque situation.

Le second exemple (projet n°07 du JBD) dont je souhaite parler concerne un projet
dans lequel je suis totalement impliqué depuis janvier 2017. Il s'agit de la rénovation de deux
chambres de services au premier et deuxième sous-sol d'un immeuble avenue Raphaël. Nous
nous retrouvons ici face à un client qui est un véritable cas d'école comme je peux l'évoquer
dans le journal de bord. C'est le profil type du client privé chronophage qui appelle pour tout et
n'importe quoi et peut inonder la boîte mail en une matinée. La relation humaine est ici très forte
et l'enjeu est d'user de diplomatie et pédagogie pour ramener le client à la raison mais surtout
faire preuve de fermeté pour le tenir dans les limites de prestations fixées en amont du projet et
de ne pas emporter tout le fonctionnement de l'agence dans son omniprésence.

Le dernier projet évoqué (projet n°09 du JBD) concerne également une affaire en cours
dont le chantier a commencé en mars 2017 pour la réalisation d'un ascenseur extérieur dans le
cadre d'une mise en accessibilité PMR. Sans m'étendre sur la situation, mieux détaillée dans le
journal de bord, nous sommes confrontés à une entreprise qui sabote complètement le projet,
mettant en péril le chantier et l'ensemble des entreprises qui gravitent autour. Face à cela et au
delà des responsabilités fortes de l'architecte dans un tel cas, je découvre l'importance de
l'empathie dont l'architecte doit parfois faire preuve pour son client, qui se retrouve vite
désemparé devant les conséquences d'un tel comportement. A nous de l'accompagner au
mieux et de garder sa confiance pour lui garantir la maîtrise de son projet.

Ces différents cas de figure mettent l'accent sur l'ensemble des qualités humaines dont
l'architecte doit faire preuve afin de prendre pleinement conscience de l'étendue de son rôle.
Cette prise de conscience nous fixe un cadre précis nous permettant de gérer au mieux notre
projet de vie pour l'architecture.

24
c – Vivre de l'Architecture (projet professionnel)

J'ai voulu construire ce mémoire comme un pont entre mon diplôme reçu il y a bientôt
cinq ans et la vie d'architecte qui m'attend aujourd'hui. Ma vie étudiante, mon expérience en
agence, et mon projet professionnel m'ont permis d'articuler le sujet de la polyvalence de
l'architecte autour des thèmes de la pédagogie, de la production, et du rôle d'entrepreneur. Je
suis attaché à la continuité des choses. C'est une caractéristique propre d'une part à
l'architecture, qui a toujours participé à l'évolution de notre société, et d'autre part à l'architecte,
qui trace le chemin entre l'idée et sa réalisation.

La formation HMONP a débuté en nous dressant un portrait relativement pessimiste de


l'état de la profession. Ce sentiment, j'ai pu le partager au cours de ma première expérience
professionnelle, jusqu'à envisager une reconversion. Cela correspondait à l'image de l'agence
d'architecture qui n'a pas su suivre les changements de la société, se reposant sur une gloire
passée sans se redonner de nouveaux objectifs ni se soucier de la transmission de son savoir-
faire.

Puis, petit à petit, cette formation nous a ouvert les yeux sur toutes les manières de
faire l'architecture et a permis de redonner un sens à notre parcours universitaire aboutissant
sur un diplôme beaucoup trop dévalorisé aujourd'hui lorsqu'on sort de l'école. Si les écoles
d'architecture ne forment plus des architectes aux yeux des employeurs, la formation HMONP a
pour mission de combler un manque certain et de donner des pistes d'action propices à la mise
en valeur des compétences acquises en cinq ans d'étude.

C'est sur ce point que l'on peut questionner la formation HMONP, ne serait-ce que sur
son intitulé. En effet, il est apparu clairement que l'architecture peut s'exprimer de bien des
manières souvent en retrait de la maîtrise d’œuvre, et que le rôle de l'architecte pouvait très
bien se jouer au-delà de celle-ci. Parfois même, et c'est ce que j'ai voulu faire ressortir dans ce
mémoire, il était évident que l'architecte devait reprendre du terrain sur de nombreux domaines.
Je crois que cette formation nous offre avant tout la possibilité de porter le titre d'architecte, ce
qui doit nous permettre d'appuyer notre projet quelle que soit la voie entreprise pour garantir
l'intérêt général de l'architecture.

25
Aujourd'hui, j'ai la chance d'évoluer au sein d'une structure qui a su me faire
appréhender la réalité de la profession en tant que maîtrise d’œuvre. Suite à cette formation
HMONP, ma relation avec O. Burnod sera susceptible d'évoluer vers une association pour une
plus forte implication dans le fonctionnement de l'entreprise. La diversité des projets et des
problématiques abordés sont en accord avec la vision polyvalente que je me fais de la pratique.
Cela dit, même associé, je pense conserver dans un premier temps mon statut de salarié en
participant au renouvellement nécessaire de certains modes de fonctionnement de l'agence.
Aussi, lors de la seconde session de cours, Sophie Szpirglas nous questionnait sur la place que
l'on souhaitait donner à notre activité professionnelle dans notre projet de vie personnelle.
Actuellement, mes envies professionnelles sont à accorder avec celles de ma compagne qui
pourront potentiellement nous conduire à quitter Paris.

Par ailleurs, je souhaiterais développer une activité extérieure à mon travail en agence
en lien direct avec ce désir de transmission que je ressens depuis un certain temps. Quelle
qu'en soit la critique que nous pouvons en faire, la formation HMONP met en lumière ce besoin
d'une formation continue qui accompagne le jeune diplômé dans la poursuite de sa
professionnalisation et le pousse à penser un nouveau projet, celui de sa carrière.

Il est difficile de bouleverser les programmes d'enseignement des écoles d'architecture.


Cependant, je pense qu'on peut donner la possibilité aux étudiants d'en savoir un peu plus sur
l'après diplôme. J'aimerais être à l'origine d'un cycle de conférences permettant, pour ceux qui
le voudront, de se sensibiliser au plus tôt sur les questions du travail, de l'entreprise, des
responsabilités, de l'intégrité… Aux entrepreneurs de changer la donne, certes, mais je reste
persuadé que ce changement opérera d'autant plus si dans le même temps chaque nouvelle
génération se présente dans le monde du travail avec une meilleure connaissance de ce qu'il
est réellement. Ce projet me semble réalisable au sein de l'Ecole d'Architecture de Nancy, ou
en partenariat avec la Maison de l'Architeture de Lorraine, avec qui j'ai pu travailler au cours de
mes études.

Enfin, je pense que la situation actuelle peut nous permettre d'être optimiste pour notre
future vie d'architecte. A l'image de l'industrie du cinéma, où ce sont les petits films d'auteurs qui
parviennent de plus en plus à émouvoir et faire réagir les spectateurs alors que les grosses
productions s'enlisent dans des enjeux financiers qui ont de moins en moins de sens,
l'architecture peut trouver un souffle nouveau par les projets à petites échelles.

26
L'expérimentation de nouveaux matériaux, de nouveaux modes de vie, la sensibilisation par
des démarches participatives, la fidélisation par l'accompagnement de l'usager au-delà de la
réalisation du projet… ces nouveaux enjeux offrent de belles perspectives d'avenir pour notre
génération qui se doit de participer à l'évolution de notre profession.

27
28
Conclusion

On nous présente souvent l'architecture comme une discipline à exercer avec passion.
Il est bien sûr important d'aimer ce que l'on fait mais ce terme m'a toujours paru trop fort et
dangereux. Architecte, c'est avant tout un métier comme les autres exigeant un travail sérieux
et rigoureux. Mais il ne faut pas se limiter à la passion qui risque de nous perdre dans une
pratique désordonnée. Ce métier doit s'exercer avec des convictions fortes qui seront mises à
l'épreuve tous les jours. Les préserver demandera du courage, de la détermination et surtout du
temps. Il faut se battre pour valoriser le travail réfléchi, qui ne pourra que servir à tout le monde.
L'intérêt porté par l'architecte à tout ce qui l'entoure doit l'amener à respecter ceux qui lui
donnent accès à ces savoirs. A lui de faire communiquer ce respect pour l'autre afin que
l'architecture évolue au rythme d'une dynamique collective.

Dans son ouvrage, Le Regard des Sens, l'architecte finlandais Juhani Pallasma cite
Frank Lloyd Wright qui déclarait à l'âge de quatre-vingt cinq ans en 1954 :

''Ce dont on a le plus besoin aujourd'hui dans l'architecture est la chose même la plus
nécessaire dans la vie, l'intégrité. Exactement comme dans l'être humain, l'intégrité est la
qualité la plus importante pour un bâtiment... Si nous l'atteignons, nous aurons rendu un grand
service à la nature morale – la psyché – de notre société démocratique... Luttez pour l'intégrité
quand vous construisez, ainsi vous luttez pour l'intégrité non seulement de la vie de ceux qui
1
réalisèrent le bâtiment mais socialement une relation réciproque sera inévitable.''

Cette pensée résonne en moi depuis que j'ai quitté l’École d'Architecture de Nancy, et
ces conseils me semblent encore plus urgents à appliquer aujourd'hui. L'architecte est avant
tout un homme de savoir et cette responsabilité, parfois lourde à porter, doit être le moteur de
ses actions.

A l'heure où de moins en moins de personnes n'osent prendre le moindre risque,


contraints par le temps, couverts de parapluies disproportionnés, parqués derrières leurs
limites, refusant l'innovation par l'expérimentation, je pense que la polyvalence de l'architecte lui
permet d'avoir une vision suffisamment large pour passer outre ces obstacles. L'intérêt porté
par l'architecte pour chaque chose doit le libérer de tout frein pour développer un projet. Cette

1 - Juhani Pallasma, Le Regard des Sens, éd. du Linteau 2010, p.81

29
liberté doit être une source de motivation et d'inspiration pour tous les acteurs du projet.

Le monde évolue, les villes doivent se transformer, s'adapter, et l'effort de chacun pour
tout le monde est honorable. Dix-huit ans après la question posée par Jacques Herzog,
l'Architecture continue de se redéfinir chaque jour et l'architecte continue à être l'ambassadeur
le plus légitime pour porter les enjeux sociaux, politiques, et écologiques de cette discipline.
Frank Lloyd Wright nous somme de lutter, pour moi le combat ne fait que commencer...

30
Bibliographie

Par ordre d'apparition :

Jacques Herzog, Architectures par Richard Copans, Arte France, 1999

Patrick Texier, L'ubérisation du métier d'architecte, lesarchitectes.com

Renzo Piano, Discours de remise du prix Pritzker, 1998

Louis I Kahn, Silence et Lumière, éd. du Linteau 2006

Gabriel Bardos, Réflexions sur la pédagogie de l'architecture, éd. Publibook 1970

Vincent Coliatti, Polyvalence et esthétisme : le petit plus des architectes

Jean-Pierre Epron, L'architecture et la règle, éd. Mardaga 1995

Emmanuelle Borne, Buzz Buzz le ronron des architectes, lecourrierdelarchitecte.com

Jacqueline Lichtenstein, Théorie et Pratique du dessin

Alvaro Siza, L'importance du dessin, exposition à l'ENSA Nancy 2000

Marc Barani, L'innovation est en partie une désobéissance qui a réussi, AMC n°247 déc 2015

Benoît Gunslay, Nouveaux usages de l'économie numériques et impact sur la profession, Les
Cahiers de la Profession n°57 2016

Rudy Riccitotti, L'architecture doit fabriquer du sens, revuetenten.com 2015

Alvaro Siza, Une Question de Mesure, éd. Le Moniteur 2008

Michel Latchoumanin, Formation permanente et constructions identitaires, ed. Karthala 2010

Code Déontologie des Architectes

Emmanuelle Borne, Quoi ma com' qu'est-ce qu'elle a ma com', lecourrierdelarchitecte.com

Yoann Chaveret, Jeunes architectes et création d'entreprise, Urbanews.fr 2014

Juhani Pallasma, Le Regard des Sens, éd. du Linteau 2010

31
32
Annexes

Entretien réalisé le 12 Juin 2017 avec Bernard Vivet, architecte et fondateur de


Lacimenterie

MW - Comment est née Lacimenterie ?


BV - Après plusieurs expériences professionnelles, le véritable déclic a eu lieu en 2010 dans
une grosse agence parisienne où l'effectif et la masse de projets se sont vus tripler en l'espace
de six mois après mon arrivée. A ce moment j'ai constaté que l'information se dissipait
beaucoup trop rapidement au sein même de l'agence et c'est là que m'est venue l'envie de
créer un outil pour mieux gérer ce problème. J'ai fait d'autres choses par la suite, extérieures à
l'architecture, qui m'ont toujours amené à ce même constat du mauvais partage des
informations et du manque de vision globale des décisionnaires.
Et cela se vérifie à toutes les échelles. Les ''petites'' agences se disent qu'elles peuvent tout
gérer jusqu'au jour où... et les ''grosses'' agences délaissent la gestion dans l'idée que ''de toute
façon le boulot rentre.''
De fil en aiguille Lacimenterie s'est construite jusqu'à voir réellement le jour en 2015.
Lacimenterie se revendique avant tout comme une base de données accessible à tous pour
une meilleure vision synthétique des enjeux actuels. L'application qui en découle a pour
avantage d'être élaborée par des architectes qui sont familiarisés avec les contraintes d'une
agence d'architecture, ses priorités, le vocabulaire propre à la discipline, … on essaye de
rendre l'application la plus intuitive possible pour ces utilisateurs spécifiques.

MW – Tu es architecte, tu as également fait des études de management, monté une boîte


d'édition, exploré d'autres domaines encore. Quel est le point commun de tout ça, et qu'est-ce
que t'a apporté cette polyvalence dans ta pratique de l'architecture ?
BV – Le point commun est de savoir gérer un projet, un budget, des contraintes, …L'essence
même du chef de projet est d'ingurgiter un tas d'infos, de rester serein face à ça, et de savoir en
faire la meilleure synthèse possible pour que tout le monde suive derrière. Mes expériences
dans les agences d'architecture importantes m'ont permis de relativiser face aux données qui
peuvent paraître effrayantes de prime abord. Après avoir gérer des projets à 50 M€, je n'avais
plus de pression quand il s'agissait de gérer des budgets de 1 ou 2 M€. Le management nous
donne les codes pour gérer un projet et l'architecture nous apprend à penser un objet, il faut
maintenir une relation réciproque entre les deux. L'entreprise, ou l'agence, doit être pensée

33
comme un bâtiment mettant en jeu des ''vrais gens''.

MW – Lacimenterie donne accès à un tas de conseils, d'outils, met en avant les nouveaux
acteurs de l'architecture. Cette envie de transmettre est-elle propre à l'architecte ?
BV – Je n'ai pas vraiment d'avis tranché là dessus. L'important c'est qu'il y a un réel travail à
faire, pour certains, sur la communication. Il faut aller vers les gens pas seulement pour leur
expliquer des choses mais parfois avoir simplement l'humilité d'écouter leur avis sur ce qui a
été fait. On comprend mieux la demande en faisant ça, et on adapte notre offre en
conséquence.
Je crois aussi que c'est bien de ne pas faire que de l'architecture, cela permet de multiplier les
points de vue et d'apporter le petit plus inattendu pour celui qui te sollicite.

MW – Avec les changements actuels considérables de notre société, quels sont les clés pour
être un bon entrepreneur ?
BV – Sans être forcément lié aux changements actuels, l'important est avant tout de savoir
s'entourer. Le réseau c'est la clé. D'une manière générale, il y aura toujours une tâche sur cinq
qui te bloquera. L'architecture c'est ce qui est sensé être le plus facile quand tu crées ton
agence, pour tout le reste il ne faut pas avoir peur d'aller chercher l'information, de demander
conseil chez les autres. Bien sûr il faut veiller à sauvegarder chaque nouvelle connaissance ou
compétence pour éviter de faire deux fois exactement la même chose.

MW – Le progrès technologique, et les outils d'aujourd'hui peuvent-ils nous aider davantage ?


BV – Oui de toute évidence, de toute façon il faut faire avec et prendre la main là-dessus. Il faut
être capable de surfer sur cette vague pour innover dans la communication, dans le rendu de
notre production, dans la recherche de nouveaux matériaux et produits, dans notre façon de
gérer les projets. Tous ces nouveaux outils doivent nous permettre d'adapter au mieux notre
offre, la rationaliser, pour proposer un service de plus en plus sur-mesure. Certains sont
effrayés par ''l'ubérisation'', mais toutes ces plateformes sont en train de bouleverser les
mentalités en arrivant à vendre des services que les gens n'avaient pas l'habitude d'acheter. A
nous architectes d’emboîter le pas et de redorer la relation client qui nous fait encore trop
défaut.

34
MW – Selon toi, qu'est-ce qui manque à notre formation pour prendre pleinement conscience
de ce rôle d'entrepreneur ?
BV – Le problème majeur est qu'on est une génération face à un monde du travail qui change
et les codes de l'entrepreneuriat avec. Par contre, notre formation a été donnée par des
professeurs qui à nos âges n'ont pas connu les mêmes enjeux et les modèles qu'ils nous
donnaient était encore plus déconnectés de nos réalités actuelles. Toutes ces questions de
gestion de projet et de responsabilités ne sont pas évoquées avant la HMONP. Les stages
prévus dans le cursus ne sont pas suffisants, je pense qu'il faut se pencher à nouveau sur la
formation professionnelle avec des insertions plus longues mais aussi intégrer ces notions dans
les programmes enseignés dans les écoles d'architecture.
Cela dit, on peut être optimiste le changement générationnel va opérer, dans le bon sens
j'espère.

MW – Ta pratique t'a-t-elle amené à t'inscrire à l'ordre ? Que peux-tu me dire sur la formation
HMONP ?
BV – Oui je me suis inscrit à l'ordre en 2015, c'était nécessaire dans le cadre de mes projets
professionnels. La HMONP m'apparaît comme un pansement d'urgence à la suppression du
format des études d'architecte sur six années. C'est la solution qui semblait convenir le mieux
mais je crois que c'est loin d'être le cas sans vouloir m'étendre là-dessus. Je crois que le vrai
problème est la dévalorisation du diplôme d'état. Après cinq ans d'études, les écoles
d'architecture délivrent un diplôme d'architecte d'état, il faut que la valeur de ce diplôme soit en
accord avec son intitulé. Aujourd'hui, aux yeux de trop de monde, les écoles d'architecture ne
forment plus des architectes mais des dessinateurs/projeteurs. Il faut vite rectifier le tir avant
qu'il ne soit trop tard.

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36
Entretien réalisé le 12 Juillet 2017 avec Pierre Guignard et Yosuke Igarashi, co-
fondateurs et associés de l'agence Autenta créée en 2014. Cette agence est située dans
le même bâtiment que Burnod Architecte

MW – Racontez moi la genèse de l'agence ?


Autenta – Nous nous sommes rencontrés dans le cadre de nos études à Paris Malaquais lors
d'une semaine intensive sur le thème de la danse, en retrait de l'architecture à priori mais c'est
avant tout la complicité humaine qui nous a rapproché. Après des routes post-diplôme séparées
et des expériences variées (jamais en statut salarié) nous avons créé la SARL Autenta avec
une troisième personne qui avait validé son HMONP à la sortie de l'école (Pierre avait participé
à plusieurs concours d'idées avec elle auparavant). Malheureusement cette personne manquait
d'implication et surtout d'esprit entrepreneurial, au bout de deux ans nous nous sommes
séparés d'elle. C'est à ce moment que l'agence a commencé à se développer sérieusement
(actuellement 2 stagiaires, une auto-entrepreneuse, et recrutement prévu pour septembre).

MW – C'est au moment de la séparation, Pierre, que tu as suivi la formation HMONP ?


Comment tu l'as vécu alors que tu dirigeais une structure ?
Pierre – Oui, on a vite senti qu'on ne pouvait pas continuer ainsi donc il était évident que
Yosuke ou moi la validions. Je me suis inscrit en validation d'acquis à La Villette avec la
possibilité de suivre les cours, qui pour certains m'ont apporté beaucoup. Dans l'ensemble,
cette formation m'a permis de prendre un recul sur Autenta et de remettre en question certaines
choses. Aussi, le fait d'avoir mon agence m'a préservé de l'angoisse que peuvent ressentir
certains étudiants moins expérimentés lorsqu'on leur parle de responsabilité, contrats,
assurance,... tous ces sujets je les appréhendais déjà.

MW – Et toi Yosuke, la HMONP c'est pour quand, pourquoi ?


Yosuke – Je compte la valider très rapidement, pas simplement pour être co-gérant à 50/50
(actuellement Pierre est gérant majoritaire à 51%) mais simplement pour que chacun de nous
puisse garder la main mise sur Autenta au cas où il arrive quelque chose à l'autre. L'année
dernière, Pierre a eu un grave accident de la route, j'ai eu très peur pour notre boite... pour lui
aussi bien sûr ! (rires)

MW – La co-gérance à deux, pas trop de risque de blocage en cas de conflits ?


Autenta – On y a pensé mais jusqu'à aujourd'hui les cas ne se sont pas présentés. C'est vrai

37
que si on devait inclure une troisième voix décisionnelle, on est d'accord pour que ce soit
quelqu'un de détaché de l'architecture, qui pourra trancher de la façon la plus impartiale
possible, comme un rapporteur d'affaire par exemple.

MW – A ce sujet, comment sont arrivées les premières commandes, laquelle vous a


propulsés ?
Autenta – Nos expériences personnelles avant Autenta nous ont permis de tisser chacun un
réseau qui a porté ses fruits. Au début, c'était plein de petits projets en tous genres et un jour la
création d'un simple chien-assis s'est transformée en surélévation avec permis de construire à
la clé. Par la suite on a continué à se nourrir de la diversité des sujets et des échelles de
projets. Cela renforce notre capacité d'adaptation et nous permet d'affiner nos réponses car
plus on maîtrise des sujets différents, plus on assure une cohérence globale qui fonctionne
jusque là.

MW – Vous avez accueilli une ADE en formation HMONP cette année, comment ça s'est passé
et comment pensez vous que cette formation peut ou doit évoluer ?
Autenta – Ça s'est très mal passé, mais c'est en partie une erreur de notre part, notre agence
n'est pas encore adaptée à l'accueil d'étudiant HMONP. Elle sortait de l'école donc la différence
de compétences avec un stagiaire de fin d'études est minime alors que ça nous coûtait cinq fois
plus cher. Concernant la HMONP, on a tous les deux le même avis, il faut qu'elle se fasse
uniquement par validation d'acquis, avec une solide expérience professionnelle et un réel
besoin de la valider.

MW – On fini sur une pensée encourageante ?


Autenta – Autenta nous a appris la modestie. La complexité du métier d'architecte, liée à celle
de gérer une entreprise nous force à rester humble face à tous les sujets qu'on touche à peine
du bout des doigts pour l'instant. On pourra se la ramener quand on aura la certitude que tout
ce qu'on fait est maîtrisé de bout en bout. C'est le chemin qu'on entreprend, on a toujours cru
en l'importance de notre polyvalence mais il faut l'utiliser en adoptant une position de meneur et
non d'exécutant.

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Entretien réalisé le 21 Juillet 2017 avec Vincent Saulier, architecte indépendant,
récent lauréat du concours Réinventer Paris pour l'ilôt de la rue Piat. Il partage
également le plateau avec Burnod Architecte.

MW – Ton parcours en quelques lignes ?


VS – J'ai commencé mes études à Rennes. Pas assez satisfait de l'enseignement j'ai suivi en
candidat libre avec des amis pendant les trois premières années le programme de l'atelier UNO
de Paris Belleville, pour l'intégrer officiellement à partir de la quatrième année. J'ai obtenu mon
diplôme en 2002, non pas que j'ai traîné, mais j'ai fait plein de choses avant notamment de la
maîtrise d'ouvrage pour un important bailleur associatif de 1997 à 2005.
Par la suite j'ai obtenu une bourse de recherche de trois ans à Belleville en partenariat avec
l'IUAV de Venise, ce qui m'a permis de beaucoup voyager et entre autres d'être repéré en
Estonie pour la construction d'un séminaire à Tallinn qui s'est concrétisé lors de l'année France
Estonie. Il s'agit d'une semaine intensive sur le dessin à la main au service du projet.

MW – Quelles ont été tes premières expériences en tant que pédagogue ?


VS – A vrai dire cela remonte à longtemps. Quand j'avais 15 ans, et encore aucune idée de
devenir architecte, je participais à des chantiers de restauration archéologique. Nous étions en
contact avec des ACMH qui nous fournissaient des fascicules très enrichissants. Rapidement,
on m'a demandé de faire des petits cours de maçonnerie ou de charpente à des jeunes dans le
cadre du BAFA.
L'enseignement est devenu une chose sérieuse après mon diplôme quand j'ai été invité à
présenter mon travail de mémoire lors de diverses conférences, à la suite de quoi j'ai pu
participer à des jurys, organiser des workshops,...
Ma dernière expérience remarquable s'est faite avec un ami plasticien de l'Institut Français
dans le cadre d'un workshop itinérant en Russie faisant travailler des étudiants en art et en
architecture ensemble pour développer un projet proposant une intervention concrète sur
l'espace public.

MW – Comment cette pédagogie influe sur ta pratique de la maîtrise d’œuvre?


VS – Ma relation à la pédagogique est étroitement liée à l'enseignement de l'atelier UNO, qui
s'intéressait essentiellement au processus menant à la conformité du résultat par rapport aux
objectifs initiaux. Face à un étudiant, j'attends avant tout de comprendre son raisonnement, et
réciproquement qu'il comprenne le cheminement de mes explications quand je cherche à lui

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faire atteindre un certain résultat.
C'est la même chose avec tous les acteurs de la maîtrise d’œuvre. Tout se joue autour d'un
langage raisonné qui se soucie de l'intégrité entre ce qui est fait et ce qui a été dit. C'est comme
ça que l'autorité de l'architecte est garantie, pas par la force ou le pouvoir, mais par des
démonstrations irréfutables et des idées qui s'organisent de façon raisonnée.

MW – Je t'entendais parler parfois de cours donnés à des enfants, comment éveiller les jeunes
esprit à l'architecture ?
VS – Oui, c'était avec le CAUE, qui organisait des interventions dans des classes de primaire et
collège.
Il s'agit toujours de mettre l'accent sur les liens de causes à effets qui amènent à un résultat.
L'architecture traite de tout dans son art d'organiser les idées, et les enfants sont très réactifs là
dessus. L'approche des échelles est un bon exemple, si je leur dessine un cercle puis un
bonhomme debout à côté, ils voient un ballon, si je place le bonhomme dans le cercle, ils voient
une cabane, l'abstraction intellectuelle opère immédiatement. J'essaie aussi de leur ouvrir les
yeux, d'exercer leur œil, leur faire prendre conscience que notre culture géométrique nous
permet de percevoir des choses allant à l'encontre de la nature, on reconnaît un angle droit, un
carré parfait et petit à petit des proportions telles que le rectangle d'or... l’œil nous permet
d'appréhender l'espace et l'architecture se définit aussi par la capacité à pré/voir.

MW – Pour Réinventer Paris et le site de la rue Piat, j'ai cru comprendre que c'était en
partenariat avec les étudiants de Belleville, comment cela s'est-il passé ?
VS – Ce n'est pas tout à fait ça. En fait, j'organisais un workshop associant les étudiants de
Belleville à des étudiants japonais et coréens. On les a fait travailler sur ce site sans rapport
avec le concours et le projet je produisais.
Par contre, suite au gain de ce concours, je me suis entendu avec l'école de Belleville pour que
le projet devienne un outil à disposition des étudiants, un matériau observable, avec accès aux
plans et pièces écrites des différentes phases, des visites de chantier... Le studio de design
mobilier sera même amené à dessiner les meubles du projet.

MW – Je reviens un peu en arrière, qu'est-ce qui te manquait dans l'enseignement de


Rennes ?
VS – J'avais simplement l'impression de parfois perdre du temps à apprendre la maîtrise
d'outils qui ne me serviraient pas par la suite. La force d'UNO était de nous apprendre le projet

40
en le faisant, et ça, ça ne s'enseigne pas dans un amphithéâtre, seule la pratique compte. On
s'attardait aussi à chercher ce qui faisait la qualité exclusive de la discipline architecturale, en
déroulant un mode opératoire organisé autour d'enjeux spatiaux.

MW – Un avis sur la HMONP ?


VS – Je pense que sa force est d'amener les jeunes à savoir ce qu'ils veulent faire, trop d'archi
arrivent sur le marché sans se poser cette question.
Après sur la forme je comprends la difficulté des agences à choisir l'apprenti, car il s'agit de ça
en fin de compte, poursuivre la formation d'un jeune diplômé et le lancer professionnellement
parlant. Mais la notion d'habilitation en Nom Propre ne va pas de pair avec l'idée de former
quelqu'un dans l'objectif de continuer avec cette personne, je comprends la réticence de
certaines agences qui ne peuvent pas se permettre de salarier pendant six mois une personne
dont le projet est de partir de son côté. Donc c'est sûr que l'idée d'allonger la MSP n'est pas
qu'une bonne solution.
Après l'essentiel, comme lorsqu'on enseigne à des enfants, est de transmettre l'énergie qui
nous anime pour cette discipline si particulière.

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HMONP
2016-17
AVIS DU DIRECTEUR D’ETUDES

FICHE À INTEGRER AU MÉMOIRE

Nom et prénom de l’Architecte inscrit en formation à l’HMONP :


Madame x Monsieur...........................................................................................................................................
Morgan WALDUNG

Nom et prénom de l’enseignant directeur d’études:


Madame x Monsieur...........................................................................................................................................
Yves MAHIEU

Avis :

VALIDÉ
Morgan a très bien compris les enjeux de l’Hmonp. Outre la qualité de son travail, il a démontré
une capacité d’écoute et d’analyse lui permettant d’aider ses camarades.

fait à ...........................................................................
Paris
le ................................................................................
6 septembre 2017

Signature :

école nationale supérieure de paris-la villette - 144 avenue de Flandre - 75019 Paris - 01 44 65 23 15 - hmonp-ensaplv@paris-lavillette.archi.fr - www.paris-lavillette.archi.fr

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