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L'évolution de l'Algérie depuis l'indépendance

Julien Rocherieux
Dans Sud/Nord 2001/1 (no 14), pages 27 à 50
Éditions Érès
ISSN 1265-2067
ISBN 2865868648
DOI 10.3917/sn.014.0027
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Julien Rocherieux

L’évolution de l’Algérie
depuis l’indépendance

INTRODUCTION
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Le 3 juillet 1962, l’Algérie indépendante ferme dans la joie la douloureuse © Érès | Téléchargé le 30/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 87.88.175.181)
« parenthèse » de la colonisation. Tout reste à faire : sortir de l’état colonial, de cette
économie extravertie conçue uniquement par rapport à la métropole et en fonction
du million d’Européens qui y vivent, bâtir un État, ou, pour reprendre l’heureuse
expression de Benjamin Stora, « inventer » une Algérie qui, tant géographiquement
que culturellement, ne semble s’imposer que dans les esprits.
Nul doute que l’histoire de l’Algérie depuis l’indépendance est avant tout l’his-
toire de l’émergence d’une « identité algérienne », qui emprunte tout à la fois aux
modèles républicain, islamique et nationaliste. Devant les contradictions et les
doutes, la synthèse se révèle des plus difficiles pour le régime autoritaire qui parvient
rapidement au pouvoir. Après trente ans de cette transition menée par le FLN, la crise
actuelle que connaît l’ancienne colonie française témoigne de son échec. Se fondant
sur le mensonge d’un « peuple unanime » et revendiquant l’héritage exclusif du com-
28 algéries

bat pour l’indépendance, le FLN ne parviendra pas à pallier cette absence de légitimité
démocratique ou même à cacher l’ombre tutélaire et omniprésente de l’état-major.
Octobre 1988 marquera la fin d’une époque lorsque le régime vacille et semble
se libéraliser. Quatre ans plus tard, l’interruption du processus électoral à cause de la
trop forte poussée du FIS referme cette courte parenthèse pour plonger l’Algérie dans
une guerre civile larvée. Mais où va l’Algérie ? Comment comprendre cette histoire
que nombre d’historiens qualifient de « cyclique », croyant revivre une seconde fois
cette guerre d’indépendance qui marque si profondément l’identité algérienne ? Il ne
fait en tout cas aucun doute que cette crise place l’Algérie face aux choix qui furent
les siens depuis 1962.

« L’INDÉPENDANCE CONFISQUÉE » (FERHAT ABBAS)

L’été 1962 ou la prise du pouvoir par le FLN

Les accords d’Évian sont signés le 18 mars 1962. Le 26 septembre suivant, Ben
Bella prend le pouvoir avec l’appui de l’armée. Entre ces deux dates, l’unité de la
nation algérienne semble sérieusement menacée. La population, dans la misère la plus
totale, assiste désolée et inquiète aux « batailles » que se livrent les anciens chefs du
FLN.

La proclamation de l’indépendance
Le 1er juillet 1962, un référendum entérine, à une écrasante majorité, les accords
consacrant l’accession de l’Algérie à l’indépendance. Le GPRA, formé à Tunis en 1958
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et conduit par Ben Khedda, s’installe triomphalement à Alger dès le 3 juillet. Le pays
est en liesse, la population célèbre la victoire des maquisards dans une joie qui, très
tôt, s’accompagne de l’inquiétude des lendemains. La guerre civile menace le pays dès
lors que diverses forces politiques prétendent au pouvoir : le GPRA bien sûr, mais aussi
« l’armée des frontières », forte de 31 000 hommes stationnés au Maroc et en Tunisie,
le CNRA ensuite, organe suprême de la révolution et enfin les chefs des wilayas refu-
sant toute soumission à l’état-major général.
La situation sociale est tout aussi préoccupante que la situation politique. La
guerre d’indépendance a totalement désorganisé le pays, qui, déjà, se vide de ses
forces les plus productives : techniciens, cadres, fonctionnaires, médecins… Cette
perte est considérable dans un pays où seulement 10 % des enfants d’âge scolaire vont
à l’école. L’économie est totalement déséquilibrée : le secteur industriel ne représente
que 27 % de la production globale, la majorité de la population se consacre soit à un
artisanat local déjà déclinant, soit à l’agriculture traditionnelle, incapable d’assurer la
L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance 29

subsistance des populations locales. Dans les centres urbains, le chômage sévit et les
bidonvilles se multiplient.

La division des vainqueurs


Dès la proclamation de l’indépendance, les structures de l’État colonial s’effon-
drent. Le « wilayisme », ce régionalisme condamné pendant la guerre, sévit plus que
jamais, tout comme le clientélisme. La lutte entre les clans s’exacerbe. Le PPA, issu du
Mouvement national algérien de Messali Hadj, est interdit dès le 1er juillet, alors que
les maquis messalistes du Sud saharien de Si Abdallah Selmi sont éliminés par
l’« armée des frontières », qui fait son entrée sur le territoire algérien.
À l’intérieur du FLN, le rapport de force s’enclenche en juin 1962, lors du
congrès du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) réuni à Tripoli.
Ahmed Ben Bella, dont le prestige et l’influence ne cessent de croître, met en ques-
tion la légitimité du GPRA. C’est lors de ce congrès que le FLN affirme ses principes
idéologiques. « La Révolution démocratique populaire doit être menée par la pay-
sannerie, les travailleurs et les intellectuels révolutionnaires. » Nul doute que ce pro-
gramme d’inspiration marxiste pose les bases du socialisme algérien. Une révolution
agraire et la « socialisation des moyens de production » sont annoncées, tout comme
la promotion de la culture nationale arabo-islamique. Le consensus idéologique rela-
tif autour de ces valeurs ne parviendra pas cependant à créer une base suffisante pour
éviter les luttes de clan.
Le 22 juillet, Ahmed Ben Bella, entouré de Mohamed Khider et de Houari
Boumediene, chef d’état-major de l’Armée de libération nationale (ALN), annonce la
constitution du « bureau politique ». Alors que des chefs historiques comme
Mohamed Boudiaf ou Krim Belkacem s’insurgent contre ce coup de force institu-
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tionnel rapidement qualifié de « fasciste », les premiers affrontements ensanglantent © Érès | Téléchargé le 30/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 87.88.175.181)

le pays. Le « groupe de Tlemcen », alliance du FLN et de l’armée, scelle l’avenir du


pays et présente le vrai visage du futur pouvoir. Cette période d’anarchie favorise de
nombreux « règlements de comptes » qui aboutissent à l’exécution de nombreux har-
kis ou d’Européens.

Le peuple algérien, cette masse d’affamés et d’analphabètes, ces hommes et ces femmes plon-
gés pendant des siècles dans l’obscurité la plus effarante ont tenu contre les chars et les avions,
contre le napalm et les services psychologiques, mais surtout contre la corruption et le lavage de
cerveau, contre les traîtres et les armées « nationales » du général Bellounis. Ce peuple a tenu mal-
gré les faibles, les hésitants, les apprentis dictateurs. Ce peuple a tenu parce que pendant sept ans,
sa lutte lui a ouvert des domaines dont il ne soupçonnait même pas l’existence.
Frantz Fanon, Les Damnés de la terre
30 algéries

La victoire de Ben Bella


Rapidement, le GPRA doit s’incliner et Ben Khedda démissionner. Malgré
l’accord du 5 septembre faisant d’Alger une « ville démilitarisée », l’armée de
Boumediene investit la capitale le 9 septembre. Dans l’immédiat, seule la wilaya de
Kabylie résiste encore : l’appropriation du pouvoir est quasi complète et les contre-
poids potentiels éliminés. La liste unique des candidats à l’Assemblée nationale est
plébiscitée à 99 %, tandis que les différentes composantes de la coalition de Tlemcen
se répartissent le pouvoir. Ahmed Ben Bella devient chef du gouvernement, Ferhat
Abbas président de l’Assemblée. Déjà, les premières voix s’élèvent pour dénoncer la
« trahison » des premiers combattants de novembre. Ce sera la thèse de Ferhat Abbas,
celle de « l’indépendance confisquée ».

Ben Bella au pouvoir

Dans la société algérienne existe une puissante aspiration au changement, une


volonté forte d’amélioration des conditions d’existence. Le FLN de Ben Bella opte
alors pour une voie socialiste de développement, seule capable, selon les dirigeants,
de « rattraper le retard accumulé pendant cent trente ans de domination coloniale »,
c’est-à-dire de répondre à la demande de la population.

L’État-FLN
Le 25 septembre 1962, l’Assemblée nationale constituante proclame la naissance
de la République algérienne démocratique et populaire. Le FLN réorganisé s’affirme
rapidement comme un parti unique : toutes les autres formations sont interdites.
Tout va se jouer désormais à l’intérieur du Front. En janvier 1963, la puissante UGTA
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passe sous l’égide du FLN. Ce parti puise sa légitimité dans l’histoire encore très
récente de la guerre d’indépendance. Mais, paradoxalement, le pouvoir réel lui
échappe peu à peu, au profit de Ben Bella tout d’abord, mais surtout du colonel
Houari Boumediene, bientôt nommé premier vice-président du Conseil. Véritable
courroie de transmission des volontés de Ben Bella, le FLN sert essentiellement à la
création d’une inutile et coûteuse bureaucratie partisane. La constitution adoptée en
août 1963 se révèle en fait un « paravent juridique », incapable cependant de mas-
quer la concentration du pouvoir autour du seul chef de l’État.

Les débuts difficiles du socialisme algérien


Outre les premières mesures qui visaient à provoquer le départ des Européens
jugés inassimilables et dangereux, Ben Bella s’applique à poser les bases du socialisme
algérien.
L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance 31

En 1963, celui-ci se veut avant tout la poursuite d’une révolution paysanne. Les
dernières propriétés coloniales sont nationalisées tandis qu’apparaissent les premières
unités agricoles « autogérées ». En 1965, ce secteur s’étend sur deux millions d’hec-
tares et emploie 115 000 ouvriers. Cette politique improvisée et anarchique va se
révéler un échec catastrophique, accélérant l’exode rural. Combiné à un processus
d’appropriation des espaces laissés vacants par les « pieds noirs », ce mouvement d’af-
flux vers les villes marquera durablement le paysage urbain. Au déracinement s’ajoute
le chômage qui touche une grande partie de la population, notamment à cause de la
grave crise que connaît une industrie vétuste et totalement désorganisée. Le dérapage
démographique – la population augmente de 3 % par an – combiné au recul de la
production agricole laisse présager des difficultés à venir. L’émigration vers la France
constitue alors une « soupape » à même d’alléger la pression sur le marché du travail.
Au printemps 1965, le seuil des 450 000 Algériens en France est dépassé.

Les bases d’une politique étrangère audacieuse


Admise à l’ONU le 8 octobre 1962, l’Algérie et sa « diplomatie de maquisards »
se révèle vite un acteur très actif de la scène internationale. De cette époque datent
quelques-unes des constantes qui ont marqué ensuite la politique étrangère de
l’Algérie. Les dirigeants tentent alors de théoriser l’expérience acquise pendant les
années de lutte armée. On décèle ainsi trois postulats de base : la lutte contre l’im-
périalisme et le colonialisme, le soutien des mouvements de libération, la coopération
internationale tant avec les pays du tiers-monde qu’avec les puissances socialistes.
Partie intégrante du Maghreb arabe, l’Algérie pratique le « neutralisme positif et le
non-alignement » – article 2 de la constitution. Se posant en champion du panara-
bisme, elle obtient l’appui de l’Égypte et une aide militaire de l’URSS. Cela ne suffit
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cependant pas à contrebalancer ses relations commerciales avec la France, qui © Érès | Téléchargé le 30/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 87.88.175.181)

demeure le premier fournisseur de l’Algérie. La violation manifeste des accords d’É-


vian – confiscation des terres des agriculteurs européens – fit croire à une tension des
relations entre Paris et Alger. Les autorités algériennes, redoutant que la France ne
leur « coupât les vivres », tentèrent aussitôt de la désamorcer. L’accord de 1965 sur
l’exploitation du pétrole algérien, se voulant d’ailleurs exemplaire, témoigne des
« bonnes » relations entre les deux pays.
Malgré la volonté affirmée de réaliser le Maghreb arabe unifié, les relations s’en-
veniment rapidement avec Rabat et aboutissent même en octobre-novembre 1963 à
la « guerre des sables » au sujet du tracé de la frontière saharienne.
32 algéries

Isolement et chute de Ben Bella


Ancien adjudant de l’armée française, politicien habile et charismatique, Ahmed
Ben Bella n’est ni un intellectuel ni un théoricien de la Révolution et se coupe rapi-
dement des réalités économiques. Boudiaf, Abbas ou encore Khider, tous trois
anciens chefs historiques du FLN, prennent bientôt leurs distances avec le pouvoir.
Hocine Aït Ahmed fonde en septembre 1963 le FFS – front des forces socialistes – qui
passe aussitôt dans l’opposition – c’est-à-dire rejoint le maquis. Au premier congrès
du FLN, en avril 1964, c’est le clan Boumediene qui est visé. N’osant pas s’attaquer
directement à celui-ci, Ben Bella cherche à réduire son influence en renvoyant les
proches de l’armée au sein du gouvernement – notamment Abdelaziz Bouteflika.
L’armée décide alors de renverser le président de la République. Le 19 juin 1965 à
1 h 30 du matin, Ben Bella est arrêté, un Conseil de la Révolution assumant désor-
mais tous les pouvoirs.
Le gouvernement avait essayé d’imposer au peuple algérien un régime socialiste
autoritaire sans en avoir les cadres ni les moyens.

HOUARI BOUMEDIENE OU LA CONSTRUCTION DU « MODÈLE ALGÉRIEN »


(1965-1978)

L’État et les institutions

L’État-armée et le déclin du FLN


L’arrivée de Boumediene au pouvoir coïncide avec l’installation définitive des
militaires au pouvoir. Le coup d’État du 19 juin 1965, qualifié a posteriori de « sur-
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saut révolutionnaire », inaugure un régime où le pouvoir d’État se perpétue exclusi- © Érès | Téléchargé le 30/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 87.88.175.181)
vement par le haut, par la cooptation au sein d’un groupe détenant la force armée.
Dans l’immédiat, un gouvernement est formé le 10 juillet 1965, dirigé par l’austère
colonel Boumediene, ancien instituteur en Égypte ayant rejoint le FLN en 1954 et
promu, depuis 1960, chef d’état-major de l’ALN. Homme secret et inflexible, idéo-
logue volontaire, il a peu de considération pour le FLN qui, malgré sa réorganisation,
demeure sans pouvoir réel, et s’appuie sur l’armée pour gouverner. Grâce à la redou-
table sécurité militaire, il élimine peu à peu ses opposants : Mohamed Khider en
1967 et Belkacem Krim en 1970 – ce dernier avait annoncé la création en octobre
1967 du Mouvement démocratique de renouveau algérien. Aït Ahmed et Boudiaf
vivent en exil à l’étranger. Le Conseil de la Révolution lui-même est épuré : seul
Abdelaziz Bouteflika, inamovible ministre des Affaires étrangères, conservera ses
fonctions. L’accentuation du caractère autoritaire de l’État ne fait donc guère de
doute.
L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance 33

Une société encadrée


Les structures du nouveau pouvoir algérien sont rapidement renforcées de façon
à encadrer totalement la population. Ainsi, la Charte communale du 18 janvier 1967
confère aux assemblées populaires communales, élues au suffrage universel sur pro-
position du parti, le soin de gérer les affaires de chaque commune. La Charte de la
wilaya – département – du 25 mai 1969 crée sur le même modèle une assemblée
populaire de wilaya. Celle-ci est dirigée par le wali, une sorte de préfet nommé par le
pouvoir central.
Les entreprises constituent elles aussi un cadre adapté à la fois pour maintenir la
population dans le giron du pouvoir et pour servir d’instrument au « tournant socia-
liste » décrété en 1971. Des assemblées de travailleurs sont élues – mais le pouvoir
reste détenu par le conseil de direction. L’encadrement du « citoyen-travailleur » par
le syndicat et le parti est total.

1976 : l’achèvement de l’édifice constitutionnel


Le 19 juin 1975, Boumediene annonce un programme institutionnel précis :
une Charte est rédigée. Elle doit devenir le guide idéologique pour la décennie à
venir. Elle sera soumise à la discussion populaire et donnera lieu à des débats pas-
sionnés. Elle est adoptée le 27 juin 1976 avec 98,5 % de « oui ». L’Algérie est pré-
sentée comme un pays divisé en classes mais non en ethnies, le rôle de l’État est exalté
comme héritier de la lutte de libération nationale et expression du peuple. La Charte
prétend aussi à la fusion des sphères politique, économique et religieuse, l’islam étant
partie intégrante de l’idéologie de l’État. Le socialisme, enfin, est déclaré « option
irréversible ». La Constitution de novembre 1976 se veut alors la traduction juridique
des principes de la Charte. La première assemblée populaire nationale est élue le
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25 février 1977. Ces élus, sélectionnés par le parti, sont en fait davantage des fonc-
tionnaires que des représentants du peuple. L’objectif, de toute façon, n’est nullement
d’assurer les bases d’un État de droit mais « d’intégrer » la société au système édifié
par le régime.

Le « développementalisme » algérien

La théorie des « industries-industrialisantes »


Boumediene croit qu’il est possible de passer rapidement du sous-développe-
ment au stade industriel. La théorie des « industries-industrialisantes », inspirée par
les économistes François Perroux et Gérard Destannes de Bernis, devient la référence
majeure. Ainsi, l’industrialisation, proclamée « priorité des priorités », est censée être
la locomotive qui entraînera l’agriculture. Les industries de base, dites « industriali-
34 algéries

santes », doivent renforcer l’intégration de l’économie nationale par les effets qu’elles
exercent en amont (effets d’approvisionnements) et en aval (effets de débouchés).
L’idée que l’édification accélérée d’une industrie lourde est une base nécessaire au
développement est à cette époque partagée par nombre d’analystes. Soixante-dix
sociétés nationales sont créées, considérées comme la colonne vertébrale de l’écono-
mie et la base du programme de développement lancé par Belaïd Abdesslam.

La stratégie des hydrocarbures


Les accords d’Évian reconnaissaient la souveraineté de l’Algérie sur le Sahara et
ses richesses naturelles. L’État algérien ne détient pourtant, alors, que 4,05 % des
périmètres d’exploration contre 67,5 % à la France. Après la nationalisation des acti-
vités de Mobil et Esso à la suite du conflit israélo-arabe de juin 1967, le tournant
décisif vient de la nationalisation des richesses naturelles en 1971. C’est la « décolo-
nisation pétrolifère », tout de suite qualifiée « d’étape la plus décisive dans la marche
vers l’émancipation économique ». Une « loi fondamentale » est promulguée ; elle
précise les droits et les devoirs des partenaires étrangers. L’Algérie souhaite en fait
obtenir une juste rémunération de ses ventes d’hydrocarbures. En 1973, le premier
choc pétrolier multiplie par trois les recettes.
Mais la stratégie des hydrocarbures revient aussi à développer les capacités de
production de pétrole et de gaz. Au fil des années, la moitié des investissements
industriels est tournée vers ce secteur crucial pour l’économie algérienne. Ainsi, une
part importante des ressources pétrolières sert à forger les moyens de produire plus…
de pétrole et de gaz. En fait, le régime militaro-autoritaire tente aussi de réduire son
manque de légitimité politique par la redistribution de cette manne des hydrocar-
bures.
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Des résultats limités


Très rapidement, les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes initiales. Le
système productif a été largement bouleversé, suite aux différentes vagues de natio-
nalisation qui touchent même le secteur bancaire en 1966-1967. Malgré les énormes
investissements consentis, la croissante reste trop lente. La production intérieure
brute atteint 36,6 milliards de dollars en 1981, ce qui situe l’Algérie encore loin der-
rière la Libye mais devant la Tunisie et le Maroc – en production par habitant. La
production des industries lourdes ne dépassera pas 30 % des capacités. En effet, les
programmes sont surdimensionnés et les technologies sophistiquées difficilement
maîtrisées. La surconcentration des moyens de financement dans le secteur des biens
de production, enfin, l’appel systématique aux firmes étrangères se traduit par un fort
L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance 35

endettement : de 2,7 milliards en 1972, la dette extérieure atteint 23,4 milliards en


1979, accentuant l’étranglement budgétaire.

L’agriculture sacrifiée
La priorité est accordée à l’industrie au détriment de l’agriculture. Dès lors, la
« révolution agraire » engagée en novembre 1971 est vouée à l’échec. Transformation
autoritaire de l’agriculture, cette « révolution » a pour objectifs principaux de
répondre aux besoins alimentaires du pays et de développer la position de l’Algérie
sur le marché international pour l’exportation des produits agricoles. Débutée sans
enthousiasme, cette tentative de réforme articulée autour des coopératives et du sec-
teur autogéré s’enlise dans l’incohérence des choix réalisés. Le niveau d’autosuffisance
alimentaire, qui se situait à plus de 70 % en 1969, n’est plus que de 30 % en 1980.
La soumission certaine du monde paysan à la logique de l’industrialisation débouche
naturellement sur un échange ville-campagne inégal entraînant un exode rural crois-
sant de l’ordre de 100 000 personnes par an.

L’Algérie dans les relations internationales

Le grand dessein tiers-mondiste


Boumediene – et son inamovible ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz
Bouteflika – obtient ses plus importants succès sur la scène internationale. À la confé-
rence des non-alignés qui se tient à Alger en septembre 1973, l’Algérie apparaît
comme un État révolutionnaire qui apporte son soutien à tous les « mouvements de
libération » et entend bouleverser les rapports Nord-Sud. Elle y gagne un incontes-
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table prestige dans le tiers-monde. Cette recherche inlassable de solidarités entre États
du « Sud » se fonde sur une conception économique des relations internationales.
En fait Boumediene se place sur ce point dans la continuité de la politique étran-
gère amorcée par Ben Bella. Après l’annulation de la conférence d’Alger prévue pour
l’été 1965, la relance diplomatique s’opère par l’adoption de la Charte dite des « 77 »
en octobre 1967. Ce groupe, qui réunit les pays en voie de développement dans le
cadre de la CNUCED, insiste sur les efforts internes que doivent accomplir les pays.
Dans le même temps se pose l’épineux problème des relations avec la France.
Alors que les dernières bases françaises sont évacuées, la crise entre Paris et Alger
prend une nouvelle dimension, au moment de la nationalisation des hydrocarbures
en 1971. À la suite du conflit israélo-arabe d’octobre 1973, l’Algérie teste « l’arme du
pétrole ».
36 algéries

Le conflit du Sahara occidental


Le conflit du Sahara occidental envenime les rapports inter-maghrébins à partir
de la « marche verte » organisée par le roi du Maroc Hassan II, au début de 1976.
Alors que l’Algérie s’était appliquée à se réconcilier avec ses voisins maghrébins – par
le « traité de fraternité, de bon voisinage et de coopération » du 15 janvier 1969 –, la
situation se tend à nouveau à cause du territoire du Sahara occidental sur lequel
l’Espagne, le Maroc et le « Front Polisario » veulent avoir la haute main. L’Algérie sou-
tient le Front et accueille les réfugiés civils sur son territoire. Quelques escarmouches
ont même lieu entre les Forces armées royales et l’Armée nationale populaire algé-
rienne. À la mort du président Boumediene, en décembre 1978, le conflit n’est pas
réglé. Nul doute que cette crise va freiner la « progression tiers-mondiste » de
l’Algérie. Le gouvernement saura alors se replier, laisser passer l’orage et remonter len-
tement la pente.

Une société en pleine mutation

En à peine vingt années, le paysage culturel et social se modifie profondément.

Le lancinant problème démographique


Dans les années soixante, la révolution sanitaire provoque une chute de la mor-
talité au Maghreb, qui n’est pas accompagnée, en Algérie notamment, d’une chute de
la natalité. En 1974, lors de la Conférence mondiale de la population, ce pays se
classe parmi les pays anti-malthusiens et affirme que « le développement est le
meilleur contraceptif ». Enfermé dans une idéologie tiers-mondiste nataliste, l’Algérie
frôle un record mondial avec 8,1 enfants par femme en 1975. Il faudra attendre 1983
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pour que les autorités prennent conscience des effets pervers de ce dérapage et adop-
tent un programme national en vue de la maîtrise de la croissance démographique.
Cette baisse de la fécondité est aussi allée de pair avec la scolarisation féminine.
Nul doute que, pour le pouvoir, la formation et l’enseignement constituent un défi,
condition nécessaire à la réussite du programme de développement. De 700 000 en
1961, le nombre d’enfants musulmans inscrits dans les classes primaires, atteint
2 millions en 1970, et 4,5 millions en 1980. Pour les encadrer, des milliers de « moni-
teurs » sont recrutés, parmi lesquels 11 000 instituteurs français qui apporteront leur
aide.
Enfin, la vague d’émigration débutée depuis l’indépendance se poursuit. Même
si le contrôle aux frontières se veut plus sévère, plus sélectif que dans le passé, il existe
encore d’importants déplacements en direction de l’ancienne métropole. Malgré le
L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance 37

mythe du « retour » véhiculé par la propagande, une population d’origine algérienne


s’enracine en France, durablement, sans projet de retour.

Algérianité et arabisation
La révolution algérienne entendait réarabiser l’Algérie « dépersonnalisée par le
colonialisme ». Dès l’indépendance, cette volonté d’arabisation s’affirme progressive-
ment dans l’enseignement. Il s’agit évidemment de tourner définitivement la page du
colonialisme et de fonder une culture algérienne renouant avec la « tradition orale des
poètes errants ». Dès lors, la conception « du passé, faisons table rase », s’impose.
L’Algérie refuse donc de s’associer au mouvement de la francophonie et amorce un
combat contre la perpétuation de la langue française. Cette politique d’arabisation a
plusieurs conséquences. Tout d’abord, elle durcit les oppositions entre élites arabo-
phones et élites francophones que le système éducatif, paradoxalement, continue lar-
gement de reproduire. Ensuite, dans le domaine idéologique, la généralisation de la
langue arabe permet d’augmenter l’influence des courants panarabistes et des cou-
rants de l’islamisme politique.
La culture devient aussi un instrument de propagande pour légitimer le pouvoir.
La manipulation de la mémoire historique, lieu de la légitimation symbolique du
FLN, magistralement décrite dans l’essai de Benjamin Stora, participe à la frénésie
commémorative. L’historiographie officielle transforme ainsi la période coloniale
française en insurrection continue et fait disparaître les noms des principaux acteurs
de la guerre de libération.

L’étatisation de l’islam
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À la bataille pour l’arabité se superpose celle de l’islamité. La religion musul-
mane a échappé à la déstructuration provoquée par le colonialisme ; mieux, c’est elle
qui a constitué le pôle de résistance. L’idée de libération fut ainsi transcrite dans le
langage de la guerre sainte, du jihâd. On comprend alors pourquoi les autorités,
depuis l’indépendance, tentent de s’appuyer sur la politique d’arabisation, qui ferait
dériver sur l’État la légitimité dont l’islam est dépositaire. Le gouvernement de
Boumediene s’engage dans cette voie avec beaucoup plus de résolution qu’un Ben
Bella, dont les convictions progressistes le détournaient de s’appuyer sur un courant
trop marqué de traditionalisme social. Le 16 août 1976, le vendredi est décrété jour
de repos obligatoire. La constitution et la charte ainsi que les statuts du FLN définis-
sent la place et le rôle de l’islam dans les institutions. La religion est utilisée comme
instrument pour contenir une possible progression des courants laïques et démocra-
tiques, et surtout comme arme de légitimation du pouvoir.
38 algéries

En marge de cette centralisation du champ politico-religieux se développent dès


les années soixante-dix des mouvements islamistes cantonnés dans la clandestinité et
l’exclusion. L’option socialiste des dirigeants algériens, la dissolution des mœurs et les
« principes destructeurs importés de l’étranger » sont pêle-mêle dénoncés, notam-
ment par l’association Al Qiyam (les valeurs) constituée en 1964 autour de Hachemin
Tidjani.

LE BLOCAGE DU SYSTÈME (1979-1988)

Les années quatre-vingt sont marquées par une remise en cause, dans tout le
Maghreb, des États-nations construits sur des modèles importés, essentiellement sur
le modèle français, jacobin et centralisateur. Faut-il se réclamer du nationalisme
arabe ? De la Umma islamique (communauté des croyants) ? Dans cette ambivalence
du concept national, des brèches apparaissent, dans lesquelles les islamistes pourront
s’engouffrer.

Chadli Bendjedid ou l’illusion du renouveau

Une indéniable « décrispation »


À la mort de Houari Boumediene, le 27 décembre 1978, Chadli Bendjedid est
désigné à sa succession, en tant qu’« officier le plus ancien dans le grade le plus élevé ».
Devant sa place à un compromis au sein de l’armée davantage qu’à une quelconque
légitimité propre, ce nouveau président ne dispose pas de la marge de manœuvre de
son prédécesseur. Il obtiendra pourtant trois mandats et restera au pouvoir jusqu’en
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1992. Homme de l’Est comme Boumediene, ancien sous-officier de l’armée fran-
çaise, Bendjedid parvient à écarter les « barons » du boumedienisme, notamment
Bouteflika, en s’appuyant sur la puissante police politique et le bureau politique du
FLN.
Dès son arrivée, le nouvel homme fort s’attache à libéraliser tant le jeu politique
que la sphère économique. Si Ahmed Ben Bella est libéré, le FLN reste le parti unique.
La réorganisation du parti en 1980 tend même à renforcer le contrôle sur la société.
Le congrès extraordinaire du FLN en 1980 confirme la concentration du pouvoir au
bénéfice du chef de l’État et la multiplication des interventions sur la scène interna-
tionale – périple africain de mars 1981, négociation de la libération des otages amé-
ricains en Iran, médiation dans la guerre Iran/Irak… –, Bendjedid tente d’insuffler
un second souffle à un régime algérien qu’il sait déjà affaibli. Le rôle des services de
sécurité et de renseignement est réduit, l’armée modernisée. En matière économique,
Chadli élabore un plan quinquennal (1980-1984) qui donne la priorité aux secteurs
L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance 39

négligés (agriculture, hydraulique, habitat…) et à un début de réhabilitation du sec-


teur privé.

Un processus limité
L’ouverture n’aura été que timide. Le FLN, qui a perdu progressivement la légiti-
mité historique issue de la guerre d’indépendance, est depuis longtemps discrédité
par la bureaucratie, l’affairisme et le carriérisme. Même si les procès pour abus de
pouvoir ou concussion se multiplient, la plupart des procédures sont étouffées. La
corruption atteint des proportions inégalées. La pratique des « commissions » pour
l’implantation des sociétés étrangères sur le territoire algérien se développe à grande
échelle.
De même, le pouvoir tente de maintenir à tout prix un unanimisme de façade.
Il n’existe toujours qu’un seul syndicat et qu’un seul journal, El Moudjahid : aucun
débat n’est possible. L’histoire officielle elle-même a institué ses repères, construit sa
propre légitimité, effacé toute démarche pluraliste.

La montée des contestations

Devant l’aveu d’échec d’un pouvoir incapable de se réformer apparaissent les


premières contestations violentes de l’ordre établi depuis 1962.

Le choc du « printemps berbère »


Boumediene s’est appliqué à imposer une conception arabo-islamique de la
nation. La charte de 1976 avait ainsi omis toute référence à la langue et à la culture
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berbère au nom de l’unicité d’un mouvement fondé exclusivement sur l’islam et l’ara-
bité. En mars 1980, le gouvernement interdit une conférence de l’écrivain Mouloud
Mammeri à l’université de Tizi-Ouzou, à l’occasion de la parution de son livre Poèmes
kabyles anciens. Peu après, une grève générale éclate en Kabylie. Le « printemps ber-
bère », mené notamment par Salem Chaker et Saïd Sadi, secoue l’édifice institution-
nel et idéologique algérien, en remettant en cause le choix d’« identité algérienne »
réalisé par le pouvoir. L’effet de ce « printemps » produit un contre-discours public
d’une réelle ampleur dans un pays fonctionnant sur le principe de l’unanimisme. Les
émeutes déclenchées en Kabylie sont sévèrement réprimées.

Islam et fondamentalisme d’État


La soumission de l’islam à des valeurs officielles est réaffirmée dans la charte
nationale de 1986, nouvelle référence idéologique. Plus que jamais, l’État instaure
« un ordre public religieux » fondé sur l’islam comme religion du socialisme algérien.
40 algéries

C’est justement cette nationalisation de la religion qui est refusée par les mou-
vements islamistes, qui dénient à l’État algérien, contrairement au Maroc par
exemple, toute légitimité religieuse. Dès lors, les incidents se multiplient entre
groupes « laïques » et islamistes. Des maquis apparaissent en 1983, animés par des
combattants qui reviennent d’Afghanistan. En avril 1985, 135 islamistes accusés
d’appartenir à une organisation clandestine, le MIA, passent en procès.
Dans un premier temps, le régime semble multiplier les concessions aux inté-
gristes, non encore perçus comme une menace véritable. C’est ainsi que le « code du
statut personnel et de la famille » est adopté le 29 mai 1984. Celui-ci maintient la
polygamie et l’inégalité des droits entre les sexes, au mépris total de la constitution de
1976. Les islamistes en profitent pour revendiquer l’application intégrale de la
charia.

Une situation explosive

Une économie à la dérive


Les faiblesses béantes des plans successifs de développement apparaissent dès la
fin des années soixante-dix. Malgré une croissance relativement élevée – 7,5 % en
moyenne entre 1970 et 1980 –, de graves déséquilibres menacent l’ensemble du sys-
tème productif et obligent Chadli à une sorte de « pause », incarnée dans le plan
quinquennal adopté en 1980. Le secteur privé est encouragé, la privatisation de l’agri-
culture engagée. En fait, le pari de la nouvelle équipe gouvernementale est la relance
de l’industrie de biens de consommation, à partir du secteur privé.
Les résultats sont décevants. Le chômage n’est pas entamé sérieusement et les
rendements agricoles demeurent à un faible niveau. Le projet d’une indépendance
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économique doit laisser la place à un triste constat d’échec : le président Chadli ne © Érès | Téléchargé le 30/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 87.88.175.181)

peut que constater, à partir de 1984, la faillite économique du modèle algérien. La


chute des prix du pétrole, à partir de 1983, avait déjà sérieusement amenuisé une
rente énergétique devenue vitale pour l’économie algérienne.
La dette extérieure, qui avait permis au pays de lancer son programme de déve-
loppement, se transforme désormais en véritable fardeau. Celle-ci représente 40,2 %
du PIB en 1982 et atteint 68 % dix ans plus tard. Le service de la dette, en 1989,
absorbe à lui seul les trois quarts des recettes d’exportation. L’étranglement budgé-
taire, lié à la dette et à la chute des rentrées de devises, impose à l’Algérie d’énormes
sacrifices, à l’instar du plan d’austérité draconien adopté en 1985. Enjeu de politisa-
tion longtemps tabou, par nationalisme politique, le rééchelonnement de la dette est
désormais à l’ordre du jour.
L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance 41

La crise sociale
La société algérienne à l’aube des années quatre-vingt-dix ne ressemble que peu
à celle de 1962. Ainsi, le taux d’urbanisation atteint 50 % en 1988. Ce bouleverse-
ment est non seulement géographique, mais aussi social et culturel. Cependant, ce
brusque mouvement d’urbanisation se traduit vite, comme dans la plupart des pays
du tiers-monde, par une véritable « crise des villes ». La crise du logement, l’insuffi-
sance criante des équipements hydrauliques se conjuguent avec l’éclatement de la cel-
lule familiale traditionnelle et le chômage très élevé chez les jeunes, pour déboucher
sur une situation à bien des égards explosive.
Si l’Algérie échappe en 1984 aux « révoltes du pain » qui touchent le Maroc et
la Tunisie, la population n’en est pas moins excédée par l’étalage des richesses et l’ar-
rogance d’une nouvelle caste de privilégiés. Le fossé se creuse entre deux sociétés.
Dans la Casbah d’Alger, des manifestations éclatent pour réclamer l’amélioration des
conditions de logement. C’est cette mise en accusation du FLN et de la classe poli-
tique par les jeunes notamment, qui aboutit aux manifestations sanglantes d’octobre
1988.

DES ÉMEUTES D’OCTOBRE 1988 À LA « SECONDE GUERRE D’ALGÉRIE »

Le choc d’octobre 1988 et ses conséquences

Avec les émeutes d’octobre 1988 s’ouvre le « printemps d’Alger », marqué par la
disparition du système de parti-unique, la floraison des partis, mais aussi par l’engre-
nage tragique de la violence.
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« Octobre noir »
Dans la soirée du 4 octobre 1988, des manifestations, essentiellement compo-
sées d’enfants et de jeunes, éclatent à Alger, pour protester contre la hausse générali-
sée des prix et la raréfaction des produits de première nécessité. Le lendemain, le
centre commercial d’Alger est saccagé. Le 6 octobre, plusieurs bâtiments publics sont
incendiés. Alors que les troubles s’étendent bientôt aux principales villes algériennes,
l’armée réagit et tire sur la foule dès le 8 octobre. Le bilan officieux de ces émeutes
fait état de 500 morts. « Plus rien ne sera comme avant octobre 1988. » Jusque-là,
l’armée était restée relativement à l’abri du discrédit, notamment grâce au paraton-
nerre du FLN et au Service national qui laissait aux jeunes de l’ex-ALN l’image d’un
corps auquel ils n’étaient pas étrangers. En 1988, prise dans les luttes internes d’un
système où elle est, en vérité, le plus important partenaire, l’armée intervient massi-
vement en mitraillant la population. On comprend le poids de ces événements dans
42 algéries

les consciences. Dans ces émeutes, les activistes islamistes ont montré leur impor-
tance, même s’ils ne sont pas les initiateurs du mouvement, largement spontané. Le
séisme est tel que le passage au multipartisme s’organise rapidement.

Le « printemps d’Alger » ou la brève libéralisation du système


Chadli Bendjedid décide le 10 octobre 1988 de faire approuver par référendum
une nouvelle constitution qui abolit le rôle dirigeant du FLN. Le 27-28 novembre,
le 6e Congrès du parti avalise les réformes, en particulier la séparation du parti et de
l’État. La nouvelle constitution, qui est acceptée par le peuple le 23 février 1989, ne
fait plus référence au socialisme, ni au FLN.
L’éclosion des partis politiques est alors impressionnante. Les uns sortent de la
clandestinité : le Front des forces socialistes (FFS), fondé en 1963 et dirigé par Hocine
Aït Ahmed ; le Parti de l’avant garde socialiste (PAGS), créé en 1966 et continuateur
du Parti communiste algérien ; d’autres sont créés : le FIS ou le Rassemblement pour
la culture et la démocratie (RCD). Quant au MDA de Ben Bella, il apparaît au grand
jour avec la reconnaissance du multipartisme. Une course pour le pouvoir, laissé
vacant par un FLN en déclin, s’enclenche.
La libéralisation permet aussi l’apparition d’associations ou de journaux indé-
pendants qui se multiplient. Par la loi du 3 avril 1990, le gouvernement « réforma-
teur » de Mouloud Hamrouche met fin à près de trente ans de monopole de l’État
sur les médias écrits et audiovisuels. On dénombre alors pas moins de 169 pério-
diques, dont la moitié sont écrits en français : Le Quotidien d’Algérie, El Watan, Le
Soir d’Algérie, s’imposent sur le marché au détriment des journaux issus du secteur
public. Le processus de démocratisation est réel, même si le FLN reste le parti domi-
nant.
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Le gouvernement de Kasdi Merbah, mis en place dans la foulée des émeutes © Érès | Téléchargé le 30/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 87.88.175.181)

d’octobre 1988, entend par ailleurs réformer le fonctionnement des entreprises et


relancer la croissance. Le moyen choisi par le pouvoir est l’autonomie concédée aux
entreprises publiques et l’encouragement du secteur privé. Le passage à l’économie de
marché est un objectif clairement annoncé. La fin de la guerre du golfe en 1991 fait
baisser les cours du pétrole, ce qui remet à l’ordre du jour le problème du rééchelon-
nement de la dette. Le FMI conditionne son aide à un programme d’ajustement dra-
conien, qui risque de faire s’empirer une situation sociale déjà explosive. De même,
les réformes économiques se heurtent à d’énormes difficultés. La vieille garde du FLN,
tout d’abord, n’est pas convaincue de la nécessité des réformes. Ses militants s’oppo-
sent au changement au nom de la défense de « l’orthodoxie socialiste ». Ils n’ont
qu’un souci : préserver leurs privilèges. L’absence d’une culture démocratique et éco-
nomique, ainsi que le défaut de consensus social freinent la portée des réformes. Avec
L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance 43

le développement de la violence et le retrait des firmes étrangères, l’économie algé-


rienne s’enfonce peu à peu dans la crise.

La montée du FIS
Pour la première fois depuis son indépendance, l’Algérie s’engage en 1989 dans
un processus de démocratisation. Le Front islamique du salut, qui a pour but
annoncé l’instauration d’une « république islamique », profite du rejet massif du FLN
pour s’imposer comme la principale force politique algérienne. La stratégie du pou-
voir consiste alors à affaiblir au maximum les partis progressistes, notamment en s’ap-
puyant sur les islamistes. Le président Chadli fait venir d’Égypte des enseignants
religieux et des prêcheurs fondamentalistes, ou choisit même Abassi Madani, le futur
leader du FIS, pour prendre le contrôle de la mosquée d’Al-Argham. Le 12 juin 1990,
on assiste, lors des élections municipales et régionales, à un raz de marée du FIS. Il
rafle quasiment tous les conseils municipaux des grandes villes : c’est l’échec flagrant
de la stratégie de l’armée et de la classe politique au pouvoir. Il faut dire que les prin-
cipales forces de l’opposition démocratique, dont le FFS, n’étaient pas présentes pour
ces élections.
La guerre du golfe accentue les clivages au sein des forces politiques en Algérie.
Si tous les partis condamnent la réaction occidentale, la position à l’égard du régime
de Saddam Hussein ou de l’Arabie Saoudite, est loin de faire l’unanimité. On assiste
d’un côté au retour en force des accents populistes, tiers-mondistes et volontiers anti-
sémites des partisans de l’unité de « la nation arabe », et de l’autre à la montée d’un
message radical, prônant le Djihad et le refus de la démocratie, assimilée à l’Occident
et à l’irréligion.
Les premières élections législatives pluralistes sont prévues pour le 27 juin 1991.
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Le FIS, en désaccord avec le mode de scrutin, choisit l’affrontement dans la rue et © Érès | Téléchargé le 30/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 87.88.175.181)

appelle à la grève générale. Abassi Madani et Ali Benhadj, les deux leaders du FIS, sont
arrêtés : c’est un tournant majeur pour le régime en pleine recomposition. Malgré ces
événements, le processus électoral reprend. Le premier tour des législatives, le
26 décembre 1991, donne aux islamistes 188 sièges, laissant loin derrière le FFS et le
FLN. Bien que le FIS ait perdu plus d’un million de voix par rapport aux élections
municipales de juin 1990, l’armée « démissionne » le président Chadli qui s’apprêtait
à cohabiter avec le FIS. Un « Haut comité d’État » instaure l’état d’urgence le 11 jan-
vier 1992 et fait appel à Mohammed Boudiaf, l’un des chefs historiques du FLN.
Les spécialistes restent divisés pour expliquer cette montée du FIS. Son discours
passe en force dans une jeunesse en quête d’identité et de mémoire. Une explication
strictement électorale reviendrait à faire du FIS un parti ayant profité d’un triple phé-
nomène : le vote-sanction des Algériens voulant rejeter le FLN ; le vote par défaut, dès
lors que les principaux partis démocratiques ne se présentaient pas aux élections ; le
44 algéries

vote refuge, enfin, pour un parti ayant su capter le courant d’expression provoqué par
les sanglants massacres d’octobre 1988. Cette explication a cependant le défaut de
faire du FIS un parti nouveau, apparu ex nihilo. On recense diverses thèses cherchant
à comprendre plus profondément les raisons du phénomène islamique.
Une première analyse fait référence à l’inexorable montée, mondiale, du reli-
gieux dans l’espace public. Le FIS profiterait ainsi d’une dynamique internationale
que divers éléments permettent de fonder. C’est ainsi que le premier groupe armé
créé en Algérie, en 1985, dirigé par Mustapha Bouyali, n’avait aucune culture isla-
mique mais avait appris assez de slogans radicaux auprès de ses amis iraniens et
afghans pour se considérer comme une autorité en matière religieuse.
Une autre explication, de type économique, prenant plus en considération les
racines algériennes du « phénomène-FIS », est également avancée. Depuis 1988,
l’Algérie sort d’une économie centralisée, bureaucratisée et se dirige vers l’économie
de marché ; il s’agit de permettre aux acteurs économiques de s’émanciper du pou-
voir politique et de l’ordre social existant. En même temps qu’ils favorisent active-
ment ce passage à une économie de marché, les islamistes proposent des remèdes à
ses conséquences : éthique religieuse de la solidarité, entraide chaleureuse…
Une dernière explication, celle de Benjamin Stora, tend à faire des islamistes
les « nouveaux héritiers du nationalisme ». Les militants islamistes retrouvent ainsi
les intonations de l’arabo-islamisme introduites par les premières organisations
algériennes dans les années trente : les oulémas d’Abdelhamid Ben Badis, pour qui
« l’islam est ma religion, l’Algérie ma patrie et l’arabe ma langue ». Le FIS pousse la
logique populiste et anti-intellectualiste du FLN, en la colorant de religiosité. La force
de l’islamisme consiste à proposer une nouvelle rupture avec l’État actuel, en retrou-
vant les mots et le vocabulaire de l’ancienne fracture avec l’État colonial.
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L’Algérie dans la guerre

Le déchaînement de la violence
Après l’interruption du processus électoral, les islamistes tentent d’enfermer le
pouvoir dans la logique infernale du « tout sécuritaire ». En six mois, le pays a bas-
culé dans une guerre civile ouverte. Le 26 août 1992, une bombe éclate dans l’aéro-
port d’Alger, attribuée à des islamistes – en fait plus ou moins manipulés. Désormais,
le terrorisme frappe aussi la population civile. Lasse des exactions et du terrorisme, la
société algérienne a l’impression d’être prise en otage. Les années 1992-1995 auront
semblé les plus terribles du conflit. Pourtant, les tractations organisées début 1995
par la communauté catholique de San Ediglio pour tenter de mettre sur pied une
opposition algérienne ne donnent rien. En 1997, une grande opération de « net-
toyage » contre les maquis islamistes est lancée pour répondre aux massacres qui se
L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance 45

succèdent. Malgré le message répété des autorités selon lequel le terrorisme « vit ses
derniers soubresauts », la barbarie continue, comme en témoignent les massacres des
villages de Bentalha, Rhaïs ou Beni Messous en octobre 1997. Certaines sources n’hé-
sitent pas à avancer le chiffre de 100 000 victimes depuis le début du conflit en 1992.

Acteurs et divisions
Le « bloc » du pouvoir, s’il paraît aujourd’hui le plus solidement implanté, n’en
demeure pas moins la proie de crises internes régulières. Nul doute que ce « camp »
est lui aussi responsable de la situation et se livre à des violations massives des droits
de l’homme. Bien que l’opacité demeure la première caractéristique du régime, on
peut recenser trois pôles de pouvoir : les chefs de l’armée, la Sécurité militaire et une
apparence de pouvoir civil. La primauté de l’armée constitue évidemment une
constante depuis l’indépendance. Aujourd’hui, les officiers sont divisés en clans qui
se partagent le pouvoir – et les flux financiers, puisque les préoccupations du com-
mandement sont avant tout d’ordre matériel. La très puissante sécurité militaire, la
police politique du régime, constitue elle aussi un véritable État dans l’État. Héritière
du MALG, elle quadrille la société, infiltre les médias, la police, les partis politiques et
les groupes islamistes armés. L’organisation de ce système est difficile à cerner, car
fonctionnant sur des clans aux contours mouvants qui se font et se défont en fonc-
tion des rapports de force du moment. Il n’est pas rare que des attentats attribués aux
islamistes proviennent en fait de règlements de compte entre clans adverses. Pour cer-
tains observateurs, l’annulation des élections de janvier 1992 vise aussi à renvoyer le
président Chadli devenu dérangeant par sa politique de libéralisation et de réforme.
L’assassinat du président Boudiaf peut de même être mis au compte des « barons » du
pouvoir. Les faiblesses de ce système ne sont plus à démontrer. Ainsi, son fonction-
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nement même exclut une centralisation du commandement pourtant indispensable. © Érès | Téléchargé le 30/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 87.88.175.181)

La lutte contre les islamistes a permis de légitimer tout moyen : état d’urgence, sus-
pension des libertés, hégémonie politique de l’armée… Certes, les militaires ne sont
pas parvenus, en 1999, à éradiquer la violence, mais ils l’ont réduite à un niveau qui
ne les menace plus.
La guerre civile, depuis 1996, implique encore un peu plus la population dans
la lutte contre les islamistes. Ainsi, on assiste à la multiplication des groupes d’auto-
défense armés par le pouvoir. Ces « patriotes », comme ils se dénomment, n’hésitent
pas à riposter avec une terrible sauvagerie. Nul doute que le désarmement de la popu-
lation, après un très hypothétique retour de la paix, ne sera pas chose facile.
Dans ce cadre, il est impossible de comparer l’Algérie à une démocratie nais-
sante : le gouvernement « organise », sous haute surveillance, les scrutins présidentiel,
législatif et municipaux. La nouvelle loi fondamentale, adoptée en novembre 1996,
accorde les quasi-pleins pouvoirs au chef de l’État, lui-même un militaire. Après
46 algéries

l’élection présidentielle de novembre 1995 – remportée sans surprise par le candidat


de l’armée, Liamine Zeroual –, une nouvelle formation, le RND, créée pour jouer le
rôle de parti de pouvoir, remporte les législatives de juin 1997, après à peine quelques
mois d’existence. La démission surprise de Zeroual en septembre 1998 n’est que la
dernière péripétie en date au sein de cette démocratie de façade. C’est le général
Mohamed Lamari, chef d’état-major, qui a demandé et obtenu la démission d’un pré-
sident accusé de ne pas être assez docile et d’être trop favorable au FIS. Les dernières
élections présidentielles, qui ont mené Abdelaziz Bouteflika au pouvoir, sont révéla-
trices de ce blocage complet du système démocratique. Se fiant aux organisations
internationales, on a tout lieu de croire que les accusations de « bourrage des urnes »,
disparition de fichiers électoraux et autres fraudes massives sont fondées.
En face, le camp islamiste est en proie à une extrême division. Réunion de com-
posantes diverses, le FIS, créé en 1989, est avant tout un « front », c’est-à-dire une coa-
lition non homogène. Dès que l’administration Chadli ferme les yeux, le FIS lance son
propre organe, al-Munqidh, et met sur pied sa propre police. Le MIA (mouvement
islamique armé), créé par Makhloufi, devient rapidement le bras armé du FIS. En
1991, la scission du MIA devient inévitable, dès lors que les éléments les plus radicaux
rompent avec le FIS. Le MIA donne donc naissance à l’AIS, inféodé au FIS, et au GIA qui
commence à signer ses propres crimes à partir de 1992. Antar Zouabri prend alors le
commandement du groupe islamique armé.
C’est l’intervention des militaires contre le parti, en juin 1991, qui a marqué le
début de l’engrenage de la violence. Les islamistes se posent alors en champions de la
violence légitime, bien que l’utilisation de la lutte armée prenne des significations dif-
férentes dans les diverses mouvances fondamentalistes : instrument pour l’AIS, elle se
révèle à terme une fin en soi pour les membres des GIA. Cela reflète bien les contra-
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dictions de l’islamisme politique algérien. Les GIA, principalement composés des © Érès | Téléchargé le 30/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 87.88.175.181)
membres de l’organisation Tafiroua Hidjra, d’anciens « Afghans » ou de délinquants,
regroupent une multitude de groupuscules locaux, extrêmement cloisonnés, qui font
du Djihad une obligation religieuse. Les GIA entrent dans une course pour le leader-
ship de la mouvance armée qui pousse les différents groupes à multiplier les coups
d’éclat et les attentats spectaculaires. Dans les zones qu’ils contrôlent, ils terrorisent
la population et imposent un ordre social rigoriste et violent au nom de la charia. En
n’hésitant pas à s’en prendre aussi directement à la population, coupable de ne pas
avoir rejoint le maquis, les GIA ne tardent pas non plus à constituer des bandes délin-
quantes ou à adopter des comportements mafieux en recourant au racket ou à divers
trafics.
Au fil des mois, avec la montée en puissance du terrorisme et de la répression
militaire, le champ politique algérien se recompose. Deux grands groupes apparais-
L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance 47

sent : les « réconciliateurs », favorables au dialogue entre Algériens et les « éradica-


teurs » qui le refusent. Le clivage partage la société civile, comme l’armée.
Dans le camp des « réconciliateurs », on trouve le FLN, le FFS, le MDA de Ben
Bella… Lamine Zeroual, dès son arrivée au pouvoir, se pose en partisan d’un « dia-
logue sérieux », ce qui trouve un écho chez certains leaders islamiques modérés. Les
deux camps se rencontrent même en novembre 1993. Au cœur de l’été 1994, les
choses se précipitent quand les États-Unis pressent Alger « d’élargir sa base poli-
tique ». Les principaux créanciers de l’Algérie subordonnent l’aide économique et le
rééchelonnement de la dette extérieure à l’ouverture d’un dialogue.
Le camp des « éradicateurs » dénonce avec force ce dialogue, estimant qu’il s’agit
d’une capitulation devant les exigences islamistes. Mohamed Louari, considéré
comme un tenant de la « ligne dure », obtiendra ainsi la démission de Zeroual. Il est
soutenu par une partie de l’opposition démocratique, notamment le RCD de Saïd
Sadi, qui sait qu’elle risque d’être la grande perdante de futures négociations. Si le
mot d’ordre officiel reste le dialogue, la répression ne semble jamais avoir faibli.

Les répercussions à l’étranger


La dimension internationale de cette guerre civile vient complexifier encore un
peu plus les données du problème. L’entrée de la France dans l’engrenage a lieu dès
1994 lorsque Charles Pasqua assigne à résidence, à Folembray, des militants islamistes
avant de les expulser vers le Burkina Faso. Le 24 décembre de la même année, un
avion d’Air France est détourné par un commando du GIA. La vague d’attentats de
l’été 1995 et l’assassinat l’année suivante des sept religieux français du monastère de
Tibehrine, rapprochent un peu plus la France du drame algérien.
Face à la multiplication des massacres et aux protestations de l’opinion interna-
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tionale, le régime algérien autorise la venue de deux missions d’enquête, du © Érès | Téléchargé le 30/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 87.88.175.181)

Parlement européen et de l’ONU, en février et juillet 1998. Celles-ci ne mettront pas


en difficulté le pouvoir qui, malgré les rapports accusateurs des organisations inter-
nationales comme Amnesty International, continue d’être soutenu par les principaux
États étrangers – France et États-Unis notamment.

CONCLUSION : SORTIR DE LA CRISE

L’élection d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence de la République algérienne,


n’est que la dernière péripétie en date d’une démocratie de façade ; elle ne change en
rien les termes du problème si ce n’est qu’elle renforce le camp des « éradicateurs » à
l’origine de la démission de Zeroual : le processus de sortie de crise reste entièrement
à accomplir. Malgré une campagne menée sur le thème du rassemblement, le désis-
tement des autres candidats en lice et les révélations de nombreuses organisations
48 algéries

internationales sur les fraudes lors du scrutin, ont révélé le caractère superficiel de la
démocratie, en fait contrôlée par des hommes inconnus du grand public, et l’extrême
division d’une population en grande partie résignée.
Tout progrès devra passer dans l’avenir par une remise en cause de cette « cul-
ture de guerre » (Benjamin Stora) qui constitue le plus sérieux obstacle à l’apparition
d’un nationalisme à base d’esprit républicain et d’islam tolérant. La pluralité, tant
ethnique qu’idéologique, n’est pas compatible avec le langage manichéiste et outran-
cier tenu aux jeunes Algériens depuis des générations. Outre le défi de la crise éco-
nomique ou du poids écrasant de la dette, se dresse en Algérie le dilemme qui est de
savoir comment vivre son identité arabo-musulmane sans pour autant basculer dans
l’obscurantisme. Débat crucial pour l’ensemble des pays arabes, ce combat entre isla-
misme politique et républicanisme musulman se combine dans l’ancienne colonie
française avec les contradictions de la construction nationale.
À partir du moment où aucun des camps qui s’affrontent ne semble en mesure
de l’emporter militairement, peut-être la solution vient-elle des partisans du dialogue,
refusant la spirale de la violence des « éradicateurs » des deux bords. Cependant, tout
rapprochement des modérés, comme en 1995 ou même en novembre 1993, prêts à
accepter les règles contraignantes d’une démocratie pluraliste, se heurte aux intérêts
bien ancrés de certains clans du pouvoir : l’armée détient sans nul doute une grande
partie des réponses aux problèmes politiques.

BIBLIOGRAPHIE
ABBAS, F. 1984. L’Indépendance confisquée (1962-1978), Paris, Flammarion.
EVENO, P. 1994. L’Algérie, Paris, Le Monde-Marabout.
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LACOSTE, Y. et C. (sous la direction de). 1991. L’État du Maghreb, Paris, La Découverte.
MALTI, D. 1999. La Nouvelle guerre d’Algérie, dix clés pour comprendre, Paris, La Découverte.
MANCERON, G. (sous la direction de). 1996. Algérie, comprendre la crise, Paris, Éd. Complexes.
STORA, B. 1995. Histoire de l’Algérie depuis l’indépendance, Paris, La Découverte.
STORA, B. 1998. La Gangrène et l’oubli, Paris, La Découverte.

Revues et articles
« Algérie, 20 ans », Autrement, n° spécial 38, Paris, Le Seuil, 1982.
« Algérie, dix ans d’une guerre non dite », L’Express, dossier spécial, janvier 1998.
« Algérie, présidentielle 1999 », Jeune Afrique, 6-12 avril 1999, n° 1995.
« Algérie : violence et politique », Hérodote, 2e trimestre 1995.
« L’islam en Algérie », Grandguillaume Gilbert, Esprit, janvier 1995.
« La guerre sans fin », Stora Benjamin, L’Histoire, avril 1999, n° 231.
« La nébuleuse du pouvoir », Duteil Mireille, Esprit, janvier 1995.
« La prise du pouvoir par le FLN », Ageron Charles-Robert, L’Histoire, avril 1999, n° 231.
L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance 49

Sites internet utiles


La constitution algérienne :
http://pwl.netcom.com/~fouathia/algeria/cur const.html
L’office statistique officiel :
http://www.ons.dz/them.sta.htm
Le journal El Watan :
http://wwwelwatan.com
Le site du RCD :
http:/www.rcd.asso.fr/
La commission socialiste de solidarité internationale :
http:/www.multimania.com/troubles/algrie.htm

Chronologie
1962 18 mars : signature des accords d’Évian. Le lendemain intervient un cessez-le-feu en
Algérie.
7 juin : adoption du programme de Tripoli par le CNRA.
1er juillet : référendum en Algérie. Les accords consacrant l’accession à l’indépen-
dance de l’Algérie sont adoptés.
3 juillet : proclamation de l’indépendance de l’Algérie.
22 juillet : luttes intestines dans l’Algérie indépendante. Ahmed Ben Bella et ses
amis annoncent à Tlemcen la formation d’un « bureau politique ».
9 septembre : l’ALN commandée par Boumediene fait son entrée à Alger
1963 29 mars : décrets sur l’autogestion.
8 avril : Khider démissionne ; il est remplacé par Ben Bella.
8 septembre : la constitution est approuvée par référendum. Instauration du parti
unique.
1964 16 avril : le 1er Congrès du FLN adopte la « charte d’Alger ».
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1965 19 juin : Boumediene démet Ben Bella et déclare assumer tous les pouvoirs.
1968 20 mai et 12 juin : nationalisation de nombreux secteurs industriels.
1969 15 janvier : traité d’Ifrane qui établit des rapports de bon voisinage entre le Maroc,
l’Algérie et la Mauritanie.
23 mars : adoption de la charte de la Wilaya.
1971 24 février : nationalisation des pipe-lines, du gaz naturel et de 51 % des avoirs des
sociétés pétrolières françaises.
16 novembre : ordonnance sur la révolution agraire.
1973 9 septembre : le 4e sommet des pays non alignés se réunit à Alger.
1974 Avril, à l’ONU, Boumediene prône un « nouvel ordre économique international ».
1976 27 février : le Front Polisario proclame la « République arabe sahraouie démocra-
tique », avec l’appui de l’Algérie.
27 juin : référendum sur la charte nationale.
19 novembre : la constitution est adoptée par référendum.
1978 27 décembre : décès de Boumediene ; le 7 février, le colonel Chadli est désigné pré-
sident de la République.
50 algéries

1980 20 avril : trois jours d’émeutes à Tizi-Ouzou. Les insurgés réclament la reconnais-
sance de la culture berbère en Algérie.
1982 2 novembre : violents incidents à la cité universitaire Ben Aknoun entre « progres-
sistes » et « islamistes ».
1984 9 juin : adoption du « code de la famille » qui restreint les droits de la femme.
1985 Avril : procès des 135 islamistes du MIA.
1986 16 janvier : adoption de la nouvelle « Charte nationale » par référendum.
1988 16 mai : normalisation des relations diplomatiques avec le Maroc.
4-10 octobre : émeutes à Alger. Le bilan officieux fait état de 600 morts.
3 novembre : référendum pour la modification de la constitution.
27 novembre : le FLN accepte la séparation du parti et de l’État.
1989 14 septembre : légalisation du FIS, créé quelques mois plus tôt.
1990 12 juin : victoire du FIS aux élections municipales.
1991 5 juin : affrontements meurtriers entre islamistes et forces de l’ordre. L’état de siège
est instauré. Mouloud Hamrouche est nommé premier ministre.
15 juin : appel du FIS à la grève générale.
30 juin : Abassi Madani et Ali Benhadj sont arrêtés et emprisonnés.
26 décembre : le FIS obtient 188 sièges au premier tour des élections législatives.
1992 11 janvier : les blindés se déploient dans les principales villes. Chadli doit démis-
sionner, l’Assemblée est dissoute et les élections annulées.
14 janvier : un Haut Comité d’État présidé par Boudiaf prend le pouvoir.
Juin : assassinat de Boudiaf.
26 août : attentat à l’aéroport d’Alger.
1994 30 janvier : la présidence de l’État est confiée au général Zeroual.
1er juin : l’Algérie obtient un rééchelonnement de sa dette extérieure.
15 juillet : les USA pressent Alger d’élargir sa base politique.
5 août : 17 Algériens sont assignés à résidence, en France, à Folembray.
26 décembre : un airbus d’Air France est détourné par un commando du GIA.
1995 13 janvier : les principaux partis d’opposition signent une plate-forme commune
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sous l’égide de la communauté catholique de Sant’Egidio.
Juillet : une vague d’attentats frappe la France.
1996 15 novembre : adoption d’une constitution accordant des pouvoirs très étendus au
chef de l’État.
1997 5 juin : élections législatives remportées par le RND, parti du pouvoir.
1998 11 septembre : Zeroual annonce sa démission et la tenue d’élections législatives
anticipées.
1999 Avril : Abdelaziz Bouteflika est élu à la présidence de la République. Il était seul en
lice après le retrait des autres candidats pour fraude massive.

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