Vous êtes sur la page 1sur 10

30/11/2023 12:00 Tout pouvoir est-il nécessairement c?

- SAMABAC

Tout pouvoir est-il nécessairement c?


5 mai 2020

Tout pouvoir est-il nécessairement répressif ?

Analyse du sujet
Les mots du sujet
Les deux mots à souligner ici sont « pouvoir » et « répressif »
Pouvoir : ce mot se dit en deux sens :

Pouvoir de : capacité d’accomplir certains actes.


Pouvoir sur : capacité fondée sur une inégalité ou une différence de contraindre un individu ou un
groupe.
C’est le second sens qui nous intéresse. Ce qui caractérise le pouvoir est le fait d’imposer des règles.
Il exerce une pression morale (obligation) ou matérielle. Tout groupe qui exerce une pression et par
conséquent une contrainte est un pouvoir et donc tout pouvoir est par définition contraignant (ce qui
ne constitue donc pas le problème à examiner).
Il existe des pouvoirs un peu partout, dans l’usine, dans la famille, dans l’école etc., qui imposent des
devoirs de la part de ceux à qui il s’impose. Il faut cependant distinguer les micro-pouvoirs du
pouvoir politique :

Les micro-pouvoirs sont dispersés, disséminés dans la société. Il s’agit du pouvoir de certains
individus sur d’autres (parents, professeurs, médecins, etc.), du pouvoir de certains organismes ou de
certaines institutions (asiles, prisons, casernes etc.), de certains discours (autrefois le discours du
prêtre qui définissait le bien et le mal, aujourd’hui celui du médecin qui définit le normal et le
pathologique etc.). Ces pouvoirs sont divers et n’ont pas forcément d’intérêt commun. Ils ont
tendance à s’opposer et la hiérarchie des pouvoirs ne suffit pas à régler tous les conflits. Il faut donc
un pouvoir supérieur qui fixe les droits et devoirs de ces différents groupes et possède les moyens de
les faire respecter.
Le pouvoir politique est ce pouvoir supérieur. Il est souverain c’est à dire qu’il ne saurait tolérer de
pouvoir au-dessus de lui. Il dispose du » monopole de la violence légitime » (Max Weber), exercé
par l’intermédiaire d’un appareil de coercition (police, gendarmerie, arsenal judiciaire etc.). C’est lui
qui octroie aux micro-pouvoirs une parcelle de pouvoir.
Si le pouvoir politique énonce la loi, les micro-pouvoirs énoncent des normes. Le pouvoir politique
est juridique quand les micro-pouvoirs utilisent des techniques.

Répression : il ne faut pas confondre répression et oppression, ni répression et contrainte. Nous


avons dit que tout pouvoir impose des contraintes. Or, il se peut que certains refusent ces règles et
mettent en question le pouvoir. C’est, selon les cas, la résistance (contre les micro-pouvoirs) ou la
révolution (contre le pouvoir politique) ou plus généralement le non-respect de la loi (crimes, délits,
https://samabac.com/tout-pouvoir-est-il-necessairement-repressif/ 1/10
30/11/2023 12:00 Tout pouvoir est-il nécessairement c? - SAMABAC

infractions etc.). Mais il ne suffit pas qu’il y ait délit, résistance ou révolution pour qu’il y ait
répression, il faut en plus que le pouvoir réagisse, qu’il se défende, que, face à la violation des règles
qu’il a imposées, il punisse celui qui en est l’auteur de façon à rétablir sa loi. La répression a donc
deux conditions :

que quelqu’un enfreigne la loi.


que le pouvoir réagisse et punisse l’auteur de l’infraction. C’est cette punition qu’on appelle
répression.
Il ne faut pas confondre répression et oppression. Par exemple, interdire la formation des syndicats
est une oppression car ici la contrainte porte atteinte aux libertés. Mais si tout le monde respecte
cette interdiction, il y a oppression et non répression. Inversement il peut y avoir répression sans
oppression : le fait d’interdire le meurtre n’est pas, on en conviendra, une oppression puisqu’il ne
s’agit pas d’une atteinte aux libertés fondamentales. Mais si quelqu’un qui est coupable de meurtre
est arrêté et condamné, il y a bien répression. Répression et oppression ne coïncident que dans le
cas où quelqu’un est puni pour avoir enfreint une loi qui porte atteinte à la liberté. Dans l’oppression,
une violence s’exerce indistinctement sur tous les individus, fussent-ils les plus obéissants alors que
dans la répression la violence s’exerce uniquement sur celui qui a enfreint la loi et il s’agit donc d’une
violence contre une violence.
Il ne faut pas non plus confondre répression et contrainte car si la répression est toujours une
contrainte, une contrainte n’est pas nécessairement une répression. Le fait d’interdire de tuer est une
contrainte mais non une répression dans la mesure où je respecte la loi (la contrainte).

Le sens du problème
Les deux mots à entourer sont « nécessairement » et « tout ».
Nécessaire signifie ce qui ne peut pas ne pas être (attention à la double négation). Dire que le
pouvoir est nécessairement répressif, c’est dire qu’il ne saurait ne pas l’être, qu’il serait dans la
nature même du pouvoir d’être répressif et qu’on ne peut concevoir une forme de pouvoir qui ne le
soit pas. On ne demande pas si le pouvoir est répressif (il est évident que certains pouvoirs le sont)
mais si tout pouvoir l’est. Il s’agit donc de prendre en compte tous les pouvoirs possibles. Il ne suffit
même pas, pour répondre affirmativement à la question, de montrer que tous les pouvoirs existant
ou ayant existé sont ou ont été répressifs. Il faudrait pour cela montrer que tous les pouvoirs
concevables, pensables le sont. Par conséquent si je peux penser ne serait-ce qu’un seul pouvoir
(même n’ayant pas existé) qui ne soit pas répressif, la réponse à la question sera négative. En
revanche si je peux montrer que la notion même de pouvoir implique par sa nature la répression
alors je pourrais répondre affirmativement à la question.

Présupposé de la question
Il est présupposé que certains pouvoirs sont répressifs sinon on ne demanderait pas s’ils le sont tous
nécessairement.

https://samabac.com/tout-pouvoir-est-il-necessairement-repressif/ 2/10
30/11/2023 12:00 Tout pouvoir est-il nécessairement c? - SAMABAC

Réponse spontanée
Elle est affirmative. On a l’impression que tout pouvoir réprime parce qu’on voit mal ce que serait un
pouvoir qui ne réagirait pas à la désobéissance (serait-ce encore un pouvoir ?) et qu’on a du mal à
imaginer un pouvoir auquel tout le monde obéirait, ce qui rendrait la répression inutile.

Plan rédigé
I La fonction répressive du pouvoir.
Beaucoup de sociétés disposent d’un organe propre de décision que l’on appelle le pouvoir politique.
Or, si l’on se demande pourquoi cet organe existe, on peut penser qu’il a pour fonction même de
réprimer.

1) Les conditions de la répression.


Tout pouvoir impose des règles, avons-nous dit. À quelles conditions y a-t-il répression ? On peut en
distinguer deux, toutes deux nécessaires :

Quelqu’un enfreint la règle, la loi, imposée par le pouvoir. Il existe donc une violence première qui ne
vient pas du pouvoir lui-même mais des individus ou des groupes sur qui s’exerce ce pouvoir.
Le pouvoir, se sentant attaqué, va réagir en sanctionnant, en punissant celui qui a enfreint la loi. La
répression, c’est exactement cette sanction, cette punition qui frappe celui qui a violé la loi. Ainsi la
répression procède toujours du pouvoir. Seul il peut réprimer dans la mesure où seul il va vouloir
protéger les règles qu’il a édictées en punissant celui qui s’y soustrait.
On remarquera qu’il ne faut pas confondre l’oppression et la répression. Un pouvoir oppressif est un
pouvoir qui rend esclave ses sujets, qui leur fait violence même si ceux-ci sont obéissants. Un pouvoir
oppressif exerce une violence première envers ceux sur qui il s’exerce. L’oppression concerne tous
les sujets. La répression, au contraire, ne concerne que ceux qui désobéissent. Elle est une violence
seconde réagissant à une violence première.

2) La nature répressive du pouvoir.


On a pu penser que le rôle même du pouvoir était la répression. Si l’homme est le seul être qui se
donne des règles, il est aussi celui qui les transgresse. La transgression est une donnée humaine liée
à l’interdit. N’est-ce pas le rôle même du pouvoir que de punir la transgression de manière
suffisamment forte pour qu’existe la dissuasion, pour que la crainte du châtiment fasse hésiter le
criminel ? Le pouvoir serait alors répressif pour permettre la sécurité de tous.
C’est tout au moins ce que pense Hobbes. Il envisage ce que serait l’humanité sans société, sans
l’existence de lois et d’un pouvoir pour les faire appliquer. Bref, il envisage ce que serait l’homme à
l’état de nature. » A l’état de nature, l’homme est un loup pour l’homme. » L’homme est
naturellement violent. Livrés à eux-mêmes, les hommes s’entredéchirent, se tuent. C’est l’état de
guerre permanent. La sécurité n’est pas assurée. L’existence même de l’espèce humaine est en péril.
À force de s’entretuer, les hommes vont disparaître de la surface de la terre. La survie de l’espèce va
donc imposer le recours à un pouvoir politique. Les hommes pour assurer leur sécurité et leur survie
vont décider par un contrat de se soumettre à un chef. Ils vont donc, en même temps que la société,

https://samabac.com/tout-pouvoir-est-il-necessairement-repressif/ 3/10
30/11/2023 12:00 Tout pouvoir est-il nécessairement c? - SAMABAC

créer le pouvoir politique. Celui-ci va imposer la paix et la sécurité par la loi et sanctionnera le crime.
Son rôle est essentiellement répressif. Il est créé pour cela. Il permettra ainsi aux hommes de vivre
en bonne entente et, de ce point de vue, le despotisme lui-même est préférable à l’absence de
pouvoir dans la mesure où, grâce à lui, les hommes cessent de se faire la guerre.
Bien entendu la thèse de Hobbes suppose de se référer à un état de nature où les hommes sont
naturellement violents, ce qui est discutable. Il n’en reste pas moins vrai que tout pouvoir impose des
règles et réprime celui qui ne les respecte pas. Les hommes ne sont pas des saints. Éric Weil
soulignait qu’il n’y a pas de police au paradis, mais nous ne vivons pas au paradis. N’est-il pas
légitime que face à la violence des hommes, le pouvoir rétablisse le droit par une violence qui, pour
reprendre le mot de Max Weber est une violence légitime dont il a le monopole. Comme le montre
Hegel, le pouvoir instaure un droit valable pour tous dans la mesure où chacun est soumis à la loi.
Mais le droit est susceptible d’être violé. Le crime est la violation du droit. Or, dit Hegel, cette
violation exige le châtiment, la sanction (et donc la répression). Il ne s’agit pas de moraliser la peine
(du reste la morale ne parle pas de crime mais de mal) mais de dire que la peine est nécessaire pour
rétablir le droit. Le crime est la négativité première qui détruit le droit. La peine est négation de cette
négation. La sanction fait partie du droit : il s’agit du droit du criminel. Le criminel a le droit d’être
puni et c’est même lui faire l’honneur, en ne l’excluant pas totalement de la sphère du droit, de le
considérer comme un être doué de raison, libre, responsable de ses actes.
De ce point de vue donc, le pouvoir se doit d’être répressif. C’est par une sorte de légitime défense
que le pouvoir se doit de réprimer.
Il semble donc bien que le pouvoir politique soit toujours répressif. Nous ne devons pas nous étonner
qu’à côté des pouvoirs législatif et exécutif existe le pouvoir judiciaire dont la fonction est la
répression. L’État a bien le monopole de la violence légitime.
Mais le pouvoir ne fait-il que réprimer la délinquance ou le crime ? Ne va-t-il pas plus loin dans son
entreprise de répression ?

3) Pouvoir et lutte des classes.


Marx et Engels remarquent que le pouvoir politique n’est pas un fait qui accompagne inévitablement
tous les groupements d’hommes vivant en société. Il existe des sociétés sans État, c’est à dire des
sociétés dans lesquelles n’existe pas, à proprement parler, d’appropriation du pouvoir par quelques-
uns uns, ni mise en œuvre d’appareils répressifs en vue de contraindre les autres. Lénine précise que
l’État suppose » un appareil dégagé de la société et composé d’un groupe d’hommes s’occupant
exclusivement ou presque exclusivement de gouverner. Les hommes se divisent en gouvernés et en
spécialistes de l’art de gouverner qui se placent au-dessus de la société. » Mais l’affirmer ne suffit
pas. Le pouvoir politique est une institution et a donc, comme l’idéologie, des racines socio-
économiques. S’il y a division entre gouvernants et gouvernés, c’est qu’il y a une société divisée au
plan économique entre exploiteurs et exploités. Autrement dit le pouvoir politique est le symptôme
des contradictions sociales, du fait qu’une classe s’est organisée en classe dominante. L’État n’est
pas une idée morale mais le produit de l’histoire et n’a fonctionné dans l’histoire que comme le
moyen pour la classe dominante de se maintenir au pouvoir et d’assurer sa domination. L’État est
donc l’instrument politique de la classe dominante à laquelle il donne de formidables moyens de
https://samabac.com/tout-pouvoir-est-il-necessairement-repressif/ 4/10
30/11/2023 12:00 Tout pouvoir est-il nécessairement c? - SAMABAC

coercition (et donc de répression), car » on ne saurait obliger la majeure partie de la société à
travailler pour l’autre sans appareil coercitif permanent » (Lénine).
Dès lors le rôle du pouvoir politique n’est pas tant de réprimer le crime (même s’il le fait aussi)
puisqu’il existe des sociétés sans pouvoir politique où le crime est cependant réprimé, mais de
réprimer tout ce qui mettrait en péril un certain ordre social et économique. Par exemple, le pouvoir
féodal avait pour but de maintenir la division serf / seigneur et de réprimer tout ce qui mettrait cette
division en péril. Quant à l’État actuel, il aurait pour but de maintenir le régime capitaliste et de
réprimer tout ce qui menacerait ce système. On pourrait ici citer de nombreux exemples : les
massacres de juin 1848, ceux qui suivirent la Commune de Paris, le dimanche sanglant de mai 1905 à
Petrograd, Charonne etc. Chaque fois que le système est en péril, le pouvoir politique réplique par la
répression, parce qu’il est là pour cela : c’est sa fonction même.
Il semble bien que tout pouvoir au moins politique soit répressif. Cependant, nous avons dit qu’il y a
répression là où il y a désobéissance à la règle et sanction. Ne peut-on envisager des situations où
l’une au moins de ces deux conditions n’existerait pas, sinon dans le domaine des pouvoirs ayant
existé, au moins dans celui des pouvoirs concevables, imaginables ?

II Les utopies de la non-répression.


Envisageons donc une société où n’existerait pas les conditions de la répression.

1) Première hypothèse : la loi est enfreinte, le pouvoir ne sanctionne pas.


La loi est violée et aucune sanction n’est appliquée. Le pouvoir n’est pas répressif. Mais que serait un
pouvoir qui ne sanctionnerait pas le contrevenant à ses règles ? Pourquoi imposer des lois si chacun
peut les violer sans souci ? Ce serait vain et un pouvoir incapable de riposter par la sanction n’est
plus un pouvoir. Il ne contraint plus personne, ne domine plus. Le délit ridiculise le pouvoir, le met en
péril. À partir d’un certain seuil de désobéissance impunie une loi tombe en désuétude. Si un pouvoir
qui ne réprime pas n’est plus un pouvoir, nous n’avons donc pas trouvé un exemple de pouvoir non
répressif.

2) Deuxième hypothèse : la désobéissance n’existe pas.


Cette hypothèse est bien plus intéressante que la première. Peut-on envisager une société où il existe
bien un pouvoir, un groupe qui impose bien des lois à un autre groupe, et où personne ne désobéirait
? Nous aurions alors bien découvert un pouvoir (puisqu’il impose des règles) non répressif (puisqu’il
n’a aucune infraction à sanctionner). Mais à quelles conditions les hommes seront-ils obéissants ?

a) Première solution : la cité parfaite.


Les hommes, conscients de l’utilité de la loi, obéissent. Rêvons un peu et imaginons une société
d’hommes tous convaincus de l’inutilité et même du caractère nuisible de la violence ! Imaginons une
société où il n’y aurait que des gens heureux ! Nul désir de tuer, de voler, d’accomplir quelque délit
que ce soit ne les effleurent. Ils respectent tous volontairement les lois. Nulle répression n’est dès
lors nécessaire et le pouvoir se contente d’instituer des règles justes et raisonnables que tous
s’empressent de respecter immédiatement. Un certain nombre de théoriciens, convaincus de

https://samabac.com/tout-pouvoir-est-il-necessairement-repressif/ 5/10
30/11/2023 12:00 Tout pouvoir est-il nécessairement c? - SAMABAC

l’existence de racines sociales à l’origine de la délinquance se sont efforcés de construire des cités
parfaites où les causes des délits (misère, pauvreté, solitude etc.) n’existeraient plus et où, par
conséquent, nul crime ne serait plus possible. La société serait tellement bien agencée que tous se
convaincraient aisément de son bien fondé, de sa contribution au bonheur humain et nul n’aurait
même l’idée de commettre quelque délit qui compromettrait ce bonheur ou qui remettrait en cause
une organisation aussi parfaite.
Les penseurs de ce genre d’utopie n’ont pas manqué dans l’histoire. Le premier est d’ailleurs Platon
qui construit une république où tout est harmonieux et bien agencé. Aux yeux de Platon « nul n’est
méchant volontairement. » Celui qui recourt à la violence est un ignorant et le criminel fait sans le
savoir son propre malheur. On ne peut être heureux que si l’on respecte la raison et par conséquent
des lois raisonnables. Mais il ne saurait y avoir d’hommes raisonnables sans société raisonnable.
Ainsi la cité parfaite, la cité juste, sera celle aussi où les hommes seront justes c’est à dire où chacun
sera à sa place et exercera sa tâche. Nul n’essaiera de transgresser l’harmonie sociale puisque tous
seront contents de leur sort et auront conscience de vivre dans la meilleure cité possible. Dans une
telle société la désobéissance (et donc la répression) n’existe pas. Le pouvoir politique (exercé par
les philosophes rois) n’est pas répressif. C’est un pouvoir exercé par des sages, des hommes
raisonnables qui n’exercent pas, par conséquent, la violence (la répression).
Le modèle platonicien n’est pas le seul modèle possible de société où le pouvoir serait non répressif.
On a pu imaginer d’autres sociétés fondées sur le bonheur individuel de telle sorte que nul ne songe
à se révolter. On peut songer aux thèses de Babeuf, des socialistes utopiques comme Fourier. Tous
rêvent d’une société harmonieuse.
Enfin, on pourrait envisager une société où tous seraient non seulement heureux mais aussi sages.
Imaginons une société où n’existent que des hommes raisonnables qui, s’assemblant ensemble, se
donnent des lois justes. Ici encore, ils seraient tous d’accord pour les suivre. Il n’y aurait nulle
désobéissance et donc nulle répression. Ce serait une sorte de démocratie idéale. Une telle utopie
existe chez un auteur de science-fiction, Van Vogt, dans le cycle des Ã. Il imagine une société idéale
installée sur Vénus où ne vivent que des gens raisonnables (ils sont sélectionnés pour cela) et où la
police n’a plus lieu d’exister.
Avons-nous donc découvert ce pouvoir non répressif que nous cherchons ? Ce n’est en fait nullement
le cas. Nous sommes ici dans l’hypothèse des penseurs utopistes mais une des caractéristiques de
l’utopie est qu’il n’y existe pas de pouvoir à proprement parler : l’utopie participe d’un refus de tout
ordre proprement politique et est incompatible avec la notion même d’un pouvoir constitué. Ainsi,
dans aucune utopie on ne rencontre d’institutions proprement politiques. Tout au plus y trouvent-on
des magistrats qui s’emploient à gérer la production, à surveiller l’éducation des jeunes gens, à
organiser les fêtes etc. Aucune instance ne détient l’autorité souveraine c’est à dire le pouvoir de
faire des lois, de modifier celles qui existent et de les faire exécuter. Une telle autorité ne servirait
d’ailleurs à rien parce que dans l’utopie les lois existent pour toute éternité, ne sont pas amendables
puisqu’elles sont parfaites. Les utopies n’ont pas besoin de pouvoir mais seulement d’une
administration. Ces sociétés sans répression sont aussi des sociétés sans pouvoir.
Quant à l’ultra démocratie envisagée par Van Vogt, il s’agit d’une société sans État c’est à dire sans
pouvoir. Des hommes raisonnables se conduisent selon la raison sans qu’on le leur dise. Il n’est pas
https://samabac.com/tout-pouvoir-est-il-necessairement-repressif/ 6/10
30/11/2023 12:00 Tout pouvoir est-il nécessairement c? - SAMABAC

besoin de leur imposer des lois à respecter : la loi est en eux. Nous n’avons pas trouvé un pouvoir
non répressif.

b) Deuxième solution : l’ultra totalitarisme.


Nous avons considéré les cités heureuses, celles où les lois sont bonnes et où on les respecte pour
leur utilité. Nous allons continuer à rêver mais cette fois le rêve est un cauchemar. Ne peut-on
envisager un pouvoir tellement oppressif que plus personne n’oserait voire n’envisagerait de
désobéir ? Dans une telle perspective, il y aurait bien un pouvoir (contrairement aux utopies
précédemment décrites) mais existerait l’oppression et non la répression. Nous envisageons donc un
totalitarisme parfait.
Un tel régime a été décrit par Orwell dans son roman 1984. Il imagine un État où le pouvoir s’est
donné pour unique but de conserver son pouvoir et où tout est envisagé en ce sens. Il s’agit de
régenter non seulement le comportement des sujets mais aussi leur conscience. Ainsi, un nouveau
délit est créé : le crime contre la pensée. Quiconque pensera contre le pouvoir sera un criminel. Pour
cela, on contrôlera les faits et gestes de tous au moyen du redoutable « télécran », cet appareil qui
permet au pouvoir de voir les faits et gestes de chacun y compris dans l’intimité de leur foyer. Le
régime que décrit ainsi Orwell utilise encore la répression : quiconque a ne serait-ce qu’une attitude
suspecte est arrêté et ramené dans le droit chemin. Cependant le régime de 1984 est en train
d’inventer un moyen qui rendra bientôt cette répression inutile. Ce moyen est la novlangue. On sait
qu’il n’y a pas de pensée sans langage, qu’on ne peut concevoir une idée quelconque si on n’a pas de
support linguistique. Imaginons une langue où les mots « désobéissance », « révolte », « liberté »
n’existent plus rendant l’idée même de la désobéissance, de la révolte ou de la liberté impossibles :
voilà l’arme redoutable dont compte se servir le pouvoir ! La désobéissance n’existera plus et la
répression ne sera plus nécessaire.
On peut rapprocher cet exemple de la description que fait Aldous Huxley de son « meilleur des
mondes ». Le conditionnement dès la naissance des individus a pour but de les persuader que tout
est pour le mieux et de les rendre heureux de leur sort. Eux non plus, par conséquent, ne chercheront
pas à se révolter et le pouvoir n’aura plus besoin de réprimer.
Il apparaît à la lumière de cette analyse qu’un pouvoir parfait ne serait pas répressif. C’est parce qu’il
y a des failles en lui que le pouvoir recourt à la répression. Le totalitarisme parfait n’en a plus besoin.
Ainsi, tout pouvoir n’est pas répressif : la perfection du pouvoir est de ne plus l’être.
On peut envisager un pouvoir non répressif. Certes nous sommes ici encore dans une utopie mais
Orwell et Huxley ont le mérite de nous montrer que le pouvoir dispose d’autres instruments que la
répression pour s’affirmer. Il nous reste maintenant à examiner quels sont ces moyens.

III Pouvoir répressif et pouvoir non-répressif.


1) Le concept d’hégémonie.
Nous avions dit précédemment que l’analyse marxiste développait la théorie du caractère répressif
de l’État. Mais certains penseurs marxistes, en développant l’analyse de l’État capitaliste, ont montré
que le pouvoir utilisait d’autres instruments que la répression. Gramsci, par exemple, écrit : » En
politique, l’erreur provient d’une compréhension inexacte de l’État dans son sens intégral : dictature

https://samabac.com/tout-pouvoir-est-il-necessairement-repressif/ 7/10
30/11/2023 12:00 Tout pouvoir est-il nécessairement c? - SAMABAC

+ hégémonie. » Autrement dit, la bourgeoisie capitaliste exerce sa dictature non seulement au


moyen de la répression à travers l’appareil policier, judiciaire etc., mais encore au moyen de son
hégémonie (domination idéologique) par laquelle elle neutralise tout un ensemble de forces
révolutionnaires. Ainsi le pouvoir ne se contente pas de réprimer l’adversaire de classe par la force. Il
cherche aussi à obtenir un consensus général par la persuasion. Il s’agit de persuader les masses
d’obéir de façon à asseoir sa domination. Dés lors si le prolétariat veut se libérer, prendre le pouvoir
signifie pour lui non seulement réprimer l’adversaire de classe mais aussi obtenir l’accord des
masses en supprimant l’idéologie bourgeoise. Voilà pourquoi le prolétariat a besoin des intellectuels
(pour briser l’idéologie dominante) et aura besoin d’éduquer les masses pour leur faire prendre
conscience de l’idéologie qui les domine.
Ainsi le pouvoir n’est pas seulement répressif mais il est aussi hégémonique. Althusser va prolonger
cette analyse en montrant que l’aspect répressif et l’aspect hégémonique relèvent d’appareils (de
pouvoirs) distincts.

2) Appareils répressifs d’État et appareils idéologiques d’État.


Certes, montre Althusser, le pouvoir politique est répressif et il existe des appareils répressifs d’État.
Cependant si le pouvoir n’utilisait que ce moyen pour se maintenir il ne resterait pas longtemps.
Après tout, les exploités sont plus nombreux et donc plus forts. Le pouvoir utilise donc d’autres
moyens pour assurer sa domination, d’autres appareils qu’Althusser appelle les appareils
idéologiques d’État.
Les appareils répressifs d’État (ARE) comportent le gouvernement, l’administration, l’armée, la
police, les tribunaux, les prisons etc.
Les appareils idéologiques d’État ( AIE) sont les suivants : l’AIE religieux (les différentes églises), l’AIE
scolaire (le système des écoles publiques et privées), l’AIE familial, l’AIE juridique (le droit), l’AIE
politique (les partis), l’AIE syndical, l’AIE de l’information (presse, radio, télévision etc.), l’AIE culturel
(Lettres, beaux-arts, sports etc.).
S’il n’existe qu’un ARE (le pouvoir politique), il existe une multitude d’AIE. Si l’appareil répressif d’état
appartient tout entier au domaine public, les appareils idéologiques d’état relèvent du domaine
privé. Privés sont en effet les églises, les partis, les syndicats, les familles, certaines écoles, la plupart
des journaux et entreprises culturelles. L’ARE fonctionne à la violence, les AIE fonctionnent à
l’idéologie.
Le pouvoir politique n’est en effet pas le seul pouvoir mais il existe aussi des micro-pouvoirs c’est à
dire des groupes qui vont exercer un pouvoir sur leurs membres et aussi sur la société toute entière.
Ce sont les AIE. Il s’agit de pouvoirs idéologiques.
Est-ce à dire que nous avons trouvé des pouvoirs non répressifs ? Pas tout à fait ! Comme le
remarque Althusser, tout pouvoir est à la fois répressif et idéologique mais l’ARE fonctionne de façon
massivement prévalente à la répression tout en fonctionnant secondairement à l’idéologie (par
exemple l’armée et la police fonctionnent à l’idéologie pour assurer leur cohésion et diffusent des
valeurs à l’extérieur : l’ordre, la sécurité etc.). Les AIE, au contraire, fonctionnent de façon
massivement prévalente à l’idéologie et de façon secondaire à la répression. Les AIE utilisent bien la
répression : par exemple les Écoles et les Églises « dressent » par des méthodes de sanction,
https://samabac.com/tout-pouvoir-est-il-necessairement-repressif/ 8/10
30/11/2023 12:00 Tout pouvoir est-il nécessairement c? - SAMABAC

d’exclusion leurs officiants et leurs ouailles. Il ne s’agit donc pas de pouvoirs non répressifs.
Néanmoins la répression n’est pas ici dominante. Les AIE utilisent la répression parce qu’une classe
ne peut se maintenir au pouvoir sans utiliser l’arme idéologique.
Chacun des AIE fonctionne selon ses propres modalités. Par exemple, l’AIE d’information gave les
citoyens de nationalisme, de libéralisme etc., l’appareil culturel dispense le chauvinisme (exemple du
sport), l’appareil religieux dit de s’aimer les uns les autres etc. Selon Althusser l’AIE dominant
autrefois était l’Église. Aujourd’hui, c’est l’école. Elle enseignera non seulement des techniques, des
savoir-faire mais aussi les règles du bon usage que chacun doit avoir dans son poste pour que le
capitalisme demeure. On enseignera aux futurs ouvriers la conscience professionnelle et aux futurs
cadres comment bien commander.
Ainsi, si le pouvoir politique est surtout répressif, les autres pouvoirs sont davantage idéologiques.
L’idéologie est un moyen plus subtil (parce qu’inconscient) et donc plus efficace d’assurer le maintien
en place du pouvoir.

3) Pouvoirs répressifs et pouvoirs productifs.


Nous avons mis en évidence avec l’analyse d’Althusser l’existence d’autres pouvoirs que le pouvoir
politique. Ces pouvoirs, Foucault les appelle micro-pouvoirs Ils se situent à différents niveaux :
pouvoir de certains individus sur d’autres (parents, professeurs, médecins etc.), pouvoirs de certains
organismes ou institutions (asiles etc.), pouvoirs de certains discours. Or Foucault montre que ces
pouvoirs ne sont pas répressifs mais productifs.
Le pouvoir politique est répressif. Il étouffe la parole, fait taire, car il se réserve le droit de parler. Il
cherche à maintenir les dominés dans l’ignorance, il réprime les plaisirs et désirs, il exerce la menace
de mort (il peut tuer celui qui s’élève contre lui : peine de mort, répression sanglante) et écrase
l’individu.
Les micro-pouvoirs, en revanche, sont productifs. Ils produisent d’abord du discours. Par exemple, ils
incitent à l’aveu (il faut avouer au médecin, au prêtre, au juge aux parents etc.). L’aveu est nécessaire
pour contrôler, surveiller celui qui est dans la norme et celui qui n’y est pas. Ils produisent du savoir
(le savoir médical par exemple est nécessaire pour définir qui est ou non normal). Ils individualisent
(dans un système de discipline, l’enfant est plus individualisé que l’adulte, le fou que l’homme
normal, le malade que l’homme sain etc.). Les micro-pouvoirs ne menacent pas de mort mais
rééduquent (dans les asiles, les prisons etc.) pour obtenir la production maximale. Ils veulent gérer la
vie. Ils cherchent aussi à se faire aimer, désirer (le patron, par exemple, étymologiquement est le
père, on parle de mère patrie, de Dieu le père etc.) S’il est vrai que nous avons tous la nostalgie de
l’enfance les micro-pouvoirs utilisent ce désir pour mieux asservir : si tu n’obéis pas, je ne t’aime plus.
Il y a tout un jeu de séduction dans le rapport parents / enfants, médecin / malade, psychiatre /
hystérique etc.
Ainsi, il y aurait bien des pouvoirs dont la nature n’est pas répressive. Mais il faut bien voir que cette
production qui les caractérise n’est pas moins contraignante. Ils utilisent simplement d’autres formes
de contrainte. Le pouvoir central apparaît d’ailleurs comme l’intégration des micro-pouvoirs ce qui
rendrait premier l’aspect productif par rapport à l’aspect répressif. On peut se demander néanmoins
si le rapport inverse n’est pas aussi important. N’est-ce pas quand même le pouvoir politique qui
https://samabac.com/tout-pouvoir-est-il-necessairement-repressif/ 9/10
30/11/2023 12:00 Tout pouvoir est-il nécessairement c? - SAMABAC

détermine par la loi les droits et devoirs des uns et des autres ? Quoi qu’il en soit, le pouvoir central a
besoin des micro-pouvoirs pour subsister.

Conclusion
S’il semble bien que le pouvoir soit surtout répressif, il ne saurait être seulement cela. Le pouvoir
politique règne par la répression mais il arbitre les micro-pouvoirs qui, eux, sont productifs, qui
agissent par l’idéologie. Un pouvoir non répressif serait un pouvoir qui ne marcherait qu’à l’idéologie
et qui ne serait que productif. Il aurait plus d’efficacité et serait le totalitarisme par excellence, la
perfection du pouvoir. Un pouvoir parfait n’a plus besoin de réprimer parce qu’il serait l’oppression
par excellence. Peut-on envisager un pouvoir exempt d’oppression ou la liberté suppose-t-elle
l’absence de pouvoir ? Si la perfection du pouvoir réside dans l’ultra totalitarisme sommes-nous pour
autant autorisés à penser que l’ultra démocratie est dans l’abolition du pouvoir ?

sos philosophie

https://samabac.com/tout-pouvoir-est-il-necessairement-repressif/ 10/10

Vous aimerez peut-être aussi