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Résumé. Objectifs : nous avons évalué la tolérance graves dans les deux contextes épidémiologiques
et l’efficacité de l’Inoserp1 Panafricain, un nouvel explorés.
antivenin polyvalent composé de fragments F(ab’)2
d’immunoglobulines hautement purifiés et lyophilisés, Mots clés : envenimation, antivenin, Afrique, Bénin,
récemment enregistré au Bénin et en Guinée, serpents.
Guinée. Méthodologie : nous avons traité 100 patients
au Nord Bénin (Atacora) et 109 en Guinée Maritime Correspondance : Chippaux J-P
(Kindia) présentant une envenimation patente. Le <jean-philippe.chippaux@ird.fr>
traitement consistait en l’administration intraveineuse
d’une ampoule d’antivenin pour une envenimation Abstract. Objectives: The authors evaluated the
simple, de deux ampoules en présence de symptômes safety and efficacy of Inoserp1 Pan Africa, a new
hématologiques ou neurologiques, éventuellement polyvalent antivenom composed of highly purified
renouvelées. Résultats : dans l’Atacora, 90 % des and lyophilized fragments of F(ab’)2 immunoglo-
patients avaient un sang incoagulable et 50 % bulins, recently registered in Benin and Guinea.
présentaient des hémorragies à leur arrivée à l’hôpital. Methods: We treated 100 patients in northern Benin
La résolution des troubles de la coagulation a été (Atacora) and 109 in Maritime Guinea (Kindia) with
obtenue en moins de 3 h chez 50 % des patients et en confirmed envenomation. Treatment consisted of
moins de 24 h chez 98 %. Quatre patients sont intravenous administration of 1 vial for uncom-
décédés. À Kindia, quatre-vingt-seize patients (88 %) plicated envenomation, and 2 vials for hemorrhagic
présentaient un syndrome vipérin (douleur + œdème) or neurotoxic envenomation. The dose was
et treize autres (12 %) une envenimation neurolo- repeated when bleeding or signs of neurotoxicity
gique. Un patient, envenimé par un Elapidae, est persisted or appeared. Results: In Atacora, on
décédé malgré un traitement précoce. Au Bénin, les arrival at the hospital, 90% of patients had
écarts au protocole ont concerné 60 % des patients, incoagulable blood, and 50% were bleeding. The
conduisant à un sous-dosage significatif de l’antivenin, resolution of these bleeding disorders was obtained
alors qu’en Guinée leur proportion a été beaucoup in less than 3 hours for 50% of the patients and in
plus faible (2 %). Des troubles rapportés à une less than 24 hours for 98%. Four patients died. In
intolérance de l’Inoserp1 Panafricain ont été observés
doi: 10.1684/mst.2014.0413
56 Pour citer cet article : Chippaux JP, Baldé MC, Sessinou É, Yéro Boiro M, Massougbodji A. Évaluation d’un nouvel antivenin polyvalent contre les envenimations ophidiennes
(Inoserp1 Panafricain) dans deux contextes épidémiologiques : le Nord Bénin et la Guinée Maritime. Med Sante Trop 2015 ; 25 : 56-64. doi : 10.1684/mst.2014.0413
Évaluation de l’antivenin polyvalent Inoserp1 Panafricain
antivenom; the proportion was much lower (2%) in using intravenous Inoserp1 Pan Africa appeared
Guinea. Signs of intolerance after Inoserp1 Pan to be well tolerated and effective against snakebite
Africa administration were reported in 8% of envenomation in both epidemiological settings.
patients. All these symptoms were mild and
disappeared rapidly after an antihistamine or Key words: envenomation, antivenom, Africa,
corticosteroid treatment. Conclusion: Treatment Benin, Guinea, snakes.
E
n Afrique subsaharienne, l’incidence et la gravité des du pays est particulièrement riche en Echis ocellatus et connaı̂t
morsures de serpent constituent un problème de santé une forte incidence de morsures [6, 8]. Toutes les personnes
publique négligé. Selon des études épidémiologiques mordues par un serpent qui ont consulté dans les deux hôpitaux
récentes [1], plus de 300 000 envenimations sont traitées chaque de zone, Tanguiéta et Djougou, ont été incluses dans l’étude.
année dans les centres de santé, entraı̂nant une dizaine de milliers Ces hôpitaux de référence régionaux sont distants l’un de l’autre
de décès et un nombre équivalent d’amputations ou d’invalides. de 130 km.
Les antivenins sont en quantité notoirement insuffisante dans la En Guinée, l’étude a été conduite du 14 juillet au
plupart des pays africains, notamment dans les formations 27 novembre 2013 à l’Institut Pasteur de Kindia, en Guinée
sanitaires périphériques où leur besoin est le plus important [1, 2]. Maritime, située à 135 km au nord de Conakry, la capitale. Echis
En Afrique, deux familles de serpents venimeux sont ocellatus est absent de cette région mais les Elapidae des genres
responsables de la plupart des accidents : Naja et Dendroaspis sont particulièrement abondants [9].
– les Elapidae (cobras et mambas) ont un venin essentiellement
composé de toxines et de phospholipases responsables d’une Protocole thérapeutique
envenimation neurologique se traduisant par une paralysie des L’Inoserp1 Panafricain est un antivenin polyvalent lyophilisé
muscles, notamment respiratoires, composé de fragments d’immunoglobulines F(ab’)2 hautement
– les venins des Viperidae sont particulièrement riches en purifiés produit par l’immunisation de chevaux avec les venins
enzymes provoquant inflammation, troubles de la coagulation d’Echis ocellatus, E. pyramidum, E. leucogaster, Bitis gabonica,
et nécrose. B. arietans, Naja haje, N. melanoleuca, N. nigricollis, N. pal-
Le développement d’un antivenin couvrant les principales lida, Dendroaspis polylepis et D. jamesoni.
espèces venimeuses d’Afrique subsaharienne, composé de Nous avons utilisé le même protocole que lors des études
fragments d’immunoglobulines hautement purifiées, lyophilisé, cliniques de l’Antivipmyn1 Afrique [3, 10]. Il s’agit d’une étude
et à un prix raisonnable, constitue une réponse appropriée au pragmatique incluant tous les patients présentant une enveni-
manque d’antivenin en Afrique [3, 4]. Un nouvel antivenin mation patente après morsure par un serpent. L’Inoserp1
respectant les recommandations faites par l’OMS pour la Panafricain a été administré selon le protocole suivant :
production, le contrôle et l’enregistrement des immunoglobu- – œdème, quelle que soit son importance, mais sans signe
lines contre le venin de serpent [5] l’Inoserp1 Panafricain hémorragique biologique ou clinique, ni trouble neurolo-
(Inosan Biopharma), a été enregistré récemment dans plusieurs gique = une ampoule en intraveineuse directe lente (IVD 3
pays africains, notamment au Bénin et en Guinée. min),
Nous avons cherché à confirmer que le traitement par – trouble hémorragique biologique ou clinique et/ou trouble
l’Inoserp1 Panafricain des patients mordus par un serpent neurologique = deux ampoules (IVD 5 min).
présentait la même efficacité et la même tolérance que celles Le traitement était renouvelé (deux ampoules IVD 5 min)
nous avions obtenues avec d’autres antivenins (FAV-Afrique et après 3 h (H3), 6 h (H6) et 12 h (H12), puis toutes les 24 h (H24,
Antivipmyn1 Afrique, notamment), dans deux contextes H48, H72, etc.) si les saignements cliniques et/ou les troubles
épidémiologiques distincts : au nord Bénin, où les envenima- neurologiques persistaient ou apparaissaient.
tions par Echis ocellatus, petit Viperidae savanicoles, repré-
sentent plus de 75 % des morsures [3, 6] et en Guinée, où les
envenimations par Elapidae sont plus fréquentes [7]. Critères de gravité et d’évolution
L’objectif principal était de confirmer l’innocuité de Le syndrome vipérin est constitué par un syndrome inflamma-
l’Inoserp1 Panafricain administré par voie veineuse directe toire associant au minimum douleur et œdème local. L’œdème
(IVD). Un deuxième objectif était de comparer l’efficacité de peut s’étendre à tout le membre, voire au-delà. De plus, le
l’Inoserp1 Panafricain avec celle, connue, de l’Antivipmyn1 syndrome vipérin est souvent associé à une nécrose et à un
Afrique sur la base de la létalité et de la rapidité de guérison des syndrome hémorragique. Les troubles hématologiques étaient
hémorragies cliniques. Un dernier objectif était d’évaluer le évalués à la fois par un test biologique (test de coagulation sur
respect du protocole thérapeutique par le personnel de santé et tube sec) et par des symptômes cliniques (saignement
l’éventuel impact des écarts au protocole. extériorisé ou hémorragie interne quels que soient le siège et
l’importance). Le test de coagulation sur tube sec (TCTS)
consiste à prélever quelques millilitres de sang dans un tube sec
Patients et méthode en verre et à mesurer le temps de formation du caillot. Il est
normal si la coagulation s’effectue en moins de 30 min, anormal
Localités d’étude (ou prolongé) lorsque le sang est incoagulable (absence de
Au Bénin, l’étude s’est déroulée du 15 juin au 5 octobre caillot à la trentième minute) ou hypocoagulable (caillot
2013 dans l’Atacora. Cette région montagneuse du nord-ouest instable ou friable) [11, 12].
La sévérité du syndrome cobraı̈que était mesurée à l’aide manifester en cas de troubles afin de recevoir le traitement
d’une échelle de gradation selon les critères suivants [9] : approprié.
– stade 1 = paresthésie locale (anesthésie, fourmillements, Les critères d’efficacité se sont fondés :
picotements), – sur la normalisation du TCTS et la rapidité d’arrêt des
– stade 2 = hypersécrétion (sueurs, salive), hémorragies cliniques par rapport aux études effectuées avec
– stade 3 = troubles de la vue, de l’audition et de la parole, les autres F(ab’)2 fabriqués pour l’Afrique [3, 13, 14],
dysphagie, – sur le taux de létalité par rapport à celui observé en l’absence de
– stade 4 = ptose palpébrale bilatérale, traitement (supérieure à 12 %) et à ceux qui avaient été rapportés
– stade 5 = dyspnée sévère, avec l’utilisation d’autres antivenins chez des patients traités sans
– stade 6 = paralysie motrice (empêchant toute communica- restriction d’inclusion (de l’ordre de 2 %) (tableau 1).
tion) ou respiratoire. Le dernier objectif de l’étude était d’évaluer le respect du
Dans de rares cas, le serpent a été apporté par la victime et protocole et sa faisabilité dans un contexte de traitement
conservé ou photographié, ce qui a permis à l’un d’entre nous d’urgence en milieu hospitalier. Les écarts au protocole ont été
(JPC) de l’identifier. appréciés sur les critères et les doses thérapeutiques à H0 et lors
des renouvellements à H3, H6, H12 et H24.
Évaluation du traitement
La tolérance a fait l’objet d’une surveillance au cours de l’heure Calcul de l’effectif et analyses statistiques
suivant chaque administration d’antivenin. Étaient considérés L’effectif a été calculé en fonction d’une similitude d’efficacité et
comme des effets indésirables tous les symptômes apparus de tolérance entre l’Inoserp1 Panafricain et l’Ipser Afrique, le
après l’administration ou la réadministration d’Inoserp1 FAV Afrique ou l’Antivipmyn1 Afrique. L’arrêt des saignements
Panafricain et évoquant une intolérance : hypotension, vertiges, est attendu chez 80 15 % des patients à la troisième heure et
nausées, vomissements, toux, prurit, éruption, etc. Dans la 95 5 % à la vingt-quatrième heure. La normalisation du TCTS
mesure du possible, l’imputation à l’Inoserp1 Panafricain était est espérée pour 50 10 % des patients à la troisième heure et
évaluée par la rapidité d’apparition des signes après adminis- 90 10 % à la vingt-quatrième heure [3, 13, 14]. En outre,
tration de l’antivenin et leur réapparition en cas de réadminis- l’incidence attendue des effets indésirables imputables à
tration de l’antivenin. Faute de moyens logistiques, il n’a pas été l’Inoserp1 Panafricain est de l’ordre de 10 %.
possible de vérifier la survenue d’une maladie sérique. Les L’étude devait donc inclure 100 patients envenimés pour
patients étaient cependant informés de ce risque et invités à se atteindre une puissance statistique suffisante en fonction des
Tableau 3. Effets indésirables observés après l’administration d’Inoserp1 Panafricain dans l’Atacora
Table 3. Adverse affects observed after administration of Inoserp1 Panafrica in Atacora
Identité Sexe Âge Dose antivenin (mL) Délai d’apparition (minutes) Symptômes Traitement Hôpital
ZS M 20 80 H0 + 15’ Nausées, vomissements, hypotension (80/40 mmHg) Métopimazine Tanguiéta
H3 + 5’
WA F 14 20 H0 + 5’ Prurit, nausées, vomissements, vertiges Bétaméthasone soluté Tanguiéta
SD M 39 20 H0 + 15’ Nausées, vomissements Métopimazine Tanguiéta
LM M 36 20 H0 + 7’ Toux, nausées, vomissements Métopimazine Tanguiéta
TP M 18 60 H0 + 20’ vertiges Sans traitement Tanguiéta
BD M 28 20 H0 + 10’ Nausées, vomissements Métopimazine Tanguiéta
TB M 30 10 H0 + 10’ Prurit, nausées, vomissements Bétaméthasone Tanguiéta
GD M 16 20 H0 + 15’ Toux Sans traitement Tanguiéta
TA F 35 10 H0 + 10’ Prurit Bétaméthasone Djougou
AO M 20 10 H0 + 25’ Nausées, vomissements Métopimazine Tanguiéta
TK M ? 10 H0 + 1’ Prurit, urticaire Bétaméthasone Tanguiéta
50
Résultats
40
30
Atacora, Nord Bénin
20
Tous les sujets mordus par un serpent venus consulter dans les
deux hôpitaux de l’Atacora présentaient une envenimation 10
patente. Cent patients ont été admis et traités par l’Inoserp1 0
0 3 6 12 24
Panafricain : soixante à Tanguiéta et quarante à Djougou. Les Heures après traitement
deux groupes étaient comparables à leur arrivée à l’hôpital
(tableau 2). Cependant, la distribution des âges présente une
différence significative (P = 0,003), les patients étant plus jeunes Figure 1. Évolution du test de coagulation sur tube sec après l’administration
à Tanguiéta. d’Inoserp1 Panafricain.
Le TCTS était anormal chez 90 % des patients, sans différence Figure 1. Coagulation test on dry test tube after administration of Inoserp1 Pan
significative entre Tanguiéta et Djougou (tableau 2). Des Africa.
50
40 décédé à l’arrivée et n’a pas reçu d’antivenin ; les informations
30
recueillies auprès de l’entourage (saignements) semblent confir-
mer un choc hémorragique. Un autre décès est survenu 48 h
20
après l’hospitalisation chez une femme (AM) de 65 ans qui
10
présentait un TCTS allongé et des saignements. Elle a reçu une
0 seule ampoule d’antivenin au lieu des deux requises. À la
0 3 6 12 24
Heures après traitement troisième heure, alors que le TCTS était toujours allongé et que les
saignements persistaient, elle n’a pas reçu les deux ampoules
d’antivenin prévues par le protocole. Les hémorragies cliniques
Figure 2. Temps d’arrêt des saignements après l’administration d’Inoserp1 se sont arrêtées avant la sixième heure. Le TCTS était normal à la
Panafricain. douzième heure. Cependant, alors que la patiente semblait
Figure 2. Time until bleeding stops after administration of Inoserp1 Pan Africa. guérie, elle décéda le deuxième jour en l’absence de tout
symptôme pouvant expliquer l’issue fatale. Aucune autopsie n’a
été pratiquée. Un troisième patient (MF), 19 ans, est arrivé sept
saignements étaient présents chez 56 % des patients, 44 % à jours après la morsure dans un tableau d’anémie sévère (3 g/dL
Djougou et 64 % à Tanguiéta. d’hémoglobine), avec un TCTS allongé et des saignements. Il a
La dose moyenne d’Inoserp1 Panafricain a été la même reçu deux ampoules d’antivenin, conformément au protocole,
dans les deux hôpitaux quoiqu’une quantité moindre, à la limite mais est décédé avant la troisième heure sans avoir reçu deux
de la significativité (P = 0,06), ait été administrée dans l’hôpital autres ampoules. Enfin, le dernier patient (BS), âgé de 39 ans, est
de Djougou. arrivé 5 h après la morsure, ce qui est remarquablement court,
Des événements indésirables ont été observés chez onze avec un TCTS allongé et des saignements. Il n’a reçu à son arrivée
patients (11 %) (tableau 3). Aucun n’a présenté de signe de qu’une seule ampoule (au lieu des deux prévues par le
gravité et ils ont disparu rapidement avec ou sans traitement. Le protocole). Alors qu’à la troisième heure, le TCTS était toujours
traitement a été simple dans tous les cas. allongé et les hémorragies présentes, il n’a reçu aucun traitement
Le TCTS s’est normalisé en moins de 3 h pour la moitié (au lieu des deux ampoules requises) et décédait peu de temps
d’entre eux (figure 1) et en moins de 24 h pour 98 % des après.
personnes avec des troubles de la coagulation à l’entrée. L’arrêt Les écarts au protocole ont été nombreux : 60 % des patients
des saignements a été obtenu en 3 h chez 32 % des patients (37 % à H0 et 32 % à H3), avec une différence significative
(36 % à Tanguiéta et 31 % à Djougou) et en 24 h chez 100 % des entre les deux hôpitaux : 74 % à Djougou contre 50 % à
patients (figure 2). Tanguiéta (P = 0,006). À H0, les écarts au protocole concernaient
La comparaison entre le groupe de patients correctement la dose, insuffisante dans tous les cas, alors qu’à H3, c’est le
traités et ceux chez qui un écart au protocole a été relevé, renouvellement du traitement qui n’a pas été effectué chez les
montre : patients présentant encore des hémorragies cliniques. Ils n’ont
– une normalisation du TCTS aussi rapide dans tous les groupes pas semblé influencer significativement la durée d’hospitalisation
(P = 0,64), ni à Tanguita (P = 0,33), ni à Djougou (P = 0,74).
– un allongement hautement significatif (P = 0,0004) de la
persistance des saignements chez les patients traités avec une Kindia
dose d’antivenin inférieure à celle prévue dans le protocole. Cent soixante-cinq personnes mordues par un serpent ont été
Le même résultat est observé en stratifiant les patients en reçues, parmi lesquelles 109 (66 %) présentaient une enveni-
fonction de l’écart au protocole à H0. Il n’y a pas de différence mation patente : treize (12 %) syndromes cobraı̈ques et quatre-
significative en ce qui concerne la normalisation du TCTS entre vingt-seize (88 %) syndromes vipérins (figure 3). Le sex-ratio
immuniser les animaux fabriquant les anticorps. Ils doivent être Ceci suggère, par ailleurs, une plus grande sensibilité de la
prélevés chez des serpents venimeux provenant de la région où réponse clinique (arrêt des saignements) par rapport au TCTS,
l’antivenin sera utilisé [15], ce qui n’est pas toujours le cas ce qui confirme qu’il est préférable de conserver l’indicateur
[16, 17]. En outre, la technique d’immunisation et le rendement clinique comme critère de renouvellement du traitement, plutôt
des étapes de purification jouent un rôle essentiel [5]. qu’un indicateur hématologique, par ailleurs moins spécifique
Il est difficile d’évaluer l’efficacité des antivenins. Outre la [11, 12].
variabilité des venins [18], l’hétérogénéité des envenimations La grande fréquence des écarts au protocole est préoccu-
s’explique, notamment, par le retard de consultation [3] et les pante. Sur la base des écarts au protocole, des symptômes
écarts au protocole thérapeutique, comme le souligne cette observés et de la létalité, la prise en charge des cas semble avoir
étude (voir plus loin). De plus, les conditions d’accueil des été différente dans les deux hôpitaux de l’Atacora. Cela peut
patients sont déterminantes. Les centres de santé périphériques s’expliquer par la présence du coordinateur de l’étude plus
reçoivent l’ensemble des patients, y compris les morsures fréquente à Tanguiéta, où l’observance du protocole a été
asymptomatiques et les envenimations bénignes. En revanche, meilleure, qu’à Djougou. Il ne semble pas, cependant, que ces
les hôpitaux de référence accueillent des patients au terme d’un différences entre les patients des deux hôpitaux soient de nature
long parcours et souvent dans un état désespéré. Ainsi à à remettre en cause la validité des résultats. L’amélioration de la
Tanguiéta, chez 680 patients ayant reçu de l’antivenin prise en charge apparaı̂t rapidement avec le temps, montrant
polyvalent indien avant 2013, la létalité était de 12,5 % que la formation du personnel de santé et son expérience sont
(tableau 1). Depuis 2013, 337 patients ont bénéficié de des atouts essentiels.
l’Inoserp1 Panafricain avec une létalité de 5 % (P = 0,0002). La létalité est un critère d’évaluation peu robuste. Outre les
Les essais cliniques randomisés en double aveugle, qui contraintes éthiques soulevées par son utilisation, il faut
devraient valider ces comparaisons, sont longs et chers ; de d’importantes différences (ou un effectif élevé) pour qu’elles
plus, nombre d’entre eux se sont révélés peu concluants et soient significatives. Dans notre étude, la létalité est similaire à
souvent dépourvus de la puissance statistique nécessaire [19]. celle que nous avions observée dans le Borgou (3,1 %) avec
Les études cliniques historiques, telles que la nôtre, souffrent l’Antivipmyn1 Afrique [3], région distante de moins de 200 km
d’insuffisances en raison d’inévitables différences concernant de l’Atacora, et discrètement plus élevée que celles obtenues au
les circonstances de morsures, l’état des patients, la prise en Cameroun avec l’Ipser Afrique (1,3 %) [13]. Aucune de ces
charge thérapeutique et l’analyse des résultats. Cependant, différences n’est significative, comme dans la plupart des cas
l’approche que nous proposons est une approche pragmatique, rapportés dans le tableau 1. Cependant, cette létalité reste
qui consiste à privilégier la validité externe des résultats, pour inférieure à celle qui est décrite par Koudjourmé [21] dans la
autoriser leur généralisation, plutôt que la validité interne que même région (Bassila et Natitingou), ainsi qu’à Bembéréké dans
garantissent les essais explicatifs, dont les contraintes de le Borgou [22], où elle est comprise entre 6,7 % et 7,4 % après
réalisation limitent la représentativité [19, 20]. En conséquence, traitement par un antivenin d’origine indienne (Serum Institute
tous les patients doivent être inclus et la comparabilité des of India et/ou ASNA de Bharat). La létalité sans traitement
groupes vérifiée a posteriori sur les critères démographiques dépasse 12 % [1, 6, 13, 23]. Chez deux des patients de l’Atacora
(sexe, âge, retard de consultation, etc.) et cliniques (prévalence dont le syndrome hémorragique était intense (TP et MF), le
de coagulopathie ou grade de neurotoxicité). En effet, un décès est imputable à une administration retardée de l’antivenin
déséquilibre de niveau de gravité initiale entre les groupes du fait d’un parcours thérapeutique complexe qui a duré
fausse toute évaluation. Ainsi, l’absence de coagulopathie dans plusieurs jours.
la cohorte de patients guinéens, malgré un nombre non La létalité des patients atteints d’un syndrome cobraı̈que au
négligeable d’envenimations neurotoxiques, peut expliquer cours de cette étude (8 %) est inférieure – mais de façon non
une létalité plus basse que dans la cohorte béninoise. significative – à celle observée au cours d’études précédentes
La normalisation des troubles de la coagulation est un critère [9, 10] chez les patients traités par Antivipmyn1 Afrique (15 % ;
robuste dans la mesure où la neutralisation par l’antivenin P = 0,5) ou non traités (27 % ; P = 0,15). Plusieurs hypothèses
s’exprime rapidement en fonction du rapport entre les quantités peuvent expliquer cet échec thérapeutique : insuffisance de la
de venin et d’antivenin présentes dans l’organisme [3]. L’arrêt capacité neutralisante de l’antivenin, insuffisance de posologie
des troubles de la coagulation est intervenu dans des délais – laquelle n’est pas standardisée –, sites de neutralisation non
similaires à ce qui avait été observé avec l’Ipser Afrique [13], le accessibles lorsque les toxines sont déjà fixées sur leur
FAV Afrique [14] et l’Antivipmyn1 Afrique [3], malgré les récepteur ou distribution du venin et de l’antivenin dans des
nombreux écarts au protocole qui ont vraisemblablement compartiments séparés de l’organisme, ce qui empêche leur
retardé l’arrêt des hémorragies chez les patients pour lesquels le rencontre [9].
traitement était insuffisant. La tolérance d’un antivenin est directement favorisée par
La comparaison entre les patients correctement traités et ceux la digestion enzymatique des immunoglobulines et la purifica-
chez qui un écart au protocole a été relevé souligne l’importance tion des fragments ainsi obtenus [5, 15]. Son évaluation ne
de la posologie de l’antivenin. Il apparaı̂t clairement que nécessite pas de comparaison. En effet, il suffit de mesurer
l’insuffisance du dosage à H0 retarde la normalisation de la l’incidence des effets indésirables en fonction de paramètres
coagulation, même si in fine la restauration s’effectue chez la standardisés.
plupart des patients. Nous l’interprétons comme la nécessité Dans cette étude, la tolérance est comparable à celle des
d’administrer une dose suffisante d’anticorps le plus rapidement autres F(ab’)2 [3, 10, 13, 14]. Toutefois, la différence considé-
possible après l’apparition des saignements pour éviter les rable d’incidence des effets indésirables observés entre les deux
complications d’un syndrome hémorragique. hôpitaux béninois (dix patients à Tanguiéta contre un seul à
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