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Médecine et maladies infectieuses 37 (2007) 275–280

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Article original

Les spondylodiscites à Candida ; à propos de deux cas


Two cases of spondylodiscitis due to Candida sp.
E. Frentiu, M. Petitfrere, T. May, C. Rabaud*
Service de maladies infectieuses et tropicales, hôpitaux de Brabois, CHU de Nancy, allée du Morvan, 54511 Vandoeuvre-Lès-Nancy, France
Reçu le 30 mai 2006 ; accepté le 8 novembre 2006
Disponible sur internet le 24 avril 2007

Résumé
Bien qu’une augmentation de la fréquence des infections systémiques à Candida ait pu être observée ces dernières années, l’incidence de la
spondylodiscite à Candida reste faible et l’atteinte épidurale rarissime. Nous rapportons deux cas de spondylodiscite à Candida sp. avec atteinte
épidurale chez deux jeunes hommes toxicomanes à l’héroïne. Pour l’un d’eux le diagnostic étiologique a été confirmé par un résultat positif de la
culture du prélèvement biopsique. Dans le second cas, le diagnostic a été posé sur des arguments sérologiques et une antigénémie positive.
Concernant le traitement, pour chacun d’eux, un traitement par fluconazole oral (option thérapeutique initialement retenue du fait du mauvais
état du réseau veineux périphérique) a été instauré en première ligne mais s’est avéré inefficace ; un traitement par amphotéricine B liposomée a
secondairement permis une évolution favorable. La prise en charge diagnostique et thérapeutique de cette pathologie pose de nombreux problè-
mes. Les signes cliniques sont non spécifiques et le diagnostic paraclinique suppose une IRM, une ponction–biopsie et l’examen microbiologique
du prélèvement. Lorsque ce dernier examen reste négatif, la sérologie ou la recherche d’une antigénémie peuvent s’avérer utiles. Le schéma
thérapeutique proposé pour la prise en charge des infections ostéoarticulaires est le suivant : traitement intraveineux par amphotéricine B pendant
deux à trois semaines, suivi d’un traitement oral par fluconazole ou voriconazole, pour une durée totale de six à douze mois. Le traitement
chirurgical est réservé aux cas présentant des signes neurologiques ou avec présence d’un abcès épidural important.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Abstract
In recent years, the incidence of systemic infections due to Candida increased, but the incidence of spondylodiscitis remained low, and
epidural involvement during such infection was seldom reported. The purpose of this study was to report the cases of 2 young male heroin
addicts who developed spondylodiscitis due to Candida sp., with epidural involvement. In one case, a microbiological diagnosis was obtained
after biopsy. In the other case, the diagnosis was based on serological data and Candida antigenemia. In both cases, an oral fluconazole based
therapy was administered at first (because of a poor peripheral venous system), but proved to be inefficient. A secondary therapy by liposomal
amphotericin B proved efficient allowing a favourable evolution. This pathology raised a number of problems concerning diagnosis and treat-
ment. The clinical data was non-specific the paraclinical diagnosis required MRI, and biopsy. When microbiological assessment is negative,
serology and the antigenemia can be useful. The treatment pattern suggested for the management of bone and joint infections is: intravenous
amphotericine B for 2–3 weeks, followed by oral administration of fluconazole or voriconazole for 6–12 month. Surgical treatment is recom-
mended only to patients ay risk of neurological disorders or severe epidural abscess.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Toxicomanie ; Candida ; Spondylodiscite

Keywords: Candida; Drug addiction; Spondylodiscitis

* Auteurcorrespondant.
Adresse e-mail : christian.rabaud@wanadoo.fr (C. Rabaud).

0399-077X/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.medmal.2006.11.014
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1. Introduction Une ponction diagnostique réalisée sous scanner permettait


de mettre en évidence du Candida albicans fluconazole sen-
La spondylodiscite à Candida est une situation assez rare et sible.
même si ces dernières années, une augmentation de la fré- La recherche d’une antigénémie Candida reste négative
quence de l’exposition aux facteurs de risque classiques des mais le taux d’anticorps spécifique anti-Candida était élevé, au
infections systémiques à Candida (toxicomanie, utilisation 1/640e. Ce taux a été confirmé très positif, au 1/1280e trois
plus large des voies veineuses centrales, immunodépression) a mois plus tard.
fait croître l’incidence des cas, moins de 100 restent rapportés Au cours de l’hospitalisation, une échographie cardiaque
dans la littérature ; ainsi, une revue récente ne signalait que 75 permettait d’exclure une endocardite. Un fond d’œil a permis
cas préalablement publiés [1]. En outre, l’existence d’une d’écarter une atteinte rétinienne à Candida.
atteinte épidurale compliquant la spondylodiscite à Candida En amont de ces résultats microbiologiques, face à cette
sp. apparaît comme une éventualité rarissime. Même si le pro- forte suspicion de spondylodiscite chez un toxicomane, le trai-
nostic est généralement favorable, la prise en charge diagnos- tement initial a associé une immobilisation stricte au lit et un
tique et thérapeutique de cette pathologie pose de nombreux traitement antibiotique actif sur le staphylocoque.
problèmes. Nous présentons ici le cas de deux patients hospi- Une fois les résultats microbiologiques connus, il a été
talisés dans le service de maladies infectieuses et tropicales du décidé de débuter un traitement par fluconazole per os à la
CHU de Nancy. Il s’agit de deux cas de spondylodiscite à Can- dose de 800 mg/j, du fait du très mauvais état veineux périphé-
dida sp. avec atteinte épidurale chez deux jeunes hommes toxi- rique. L’évolution n’a été que partiellement favorable : baisse
comanes par voie intraveineuse. Pour chacun d’eux, un traite- de la température, mais persistance d’une fièvre à 38,5° ; baisse
ment par fluconazole oral (option thérapeutique initialement du syndrome inflammatoire sans normalisation. Le traitement
choisie du fait de l’absence de réseau veineux périphérique antifongique était alors modifié pour l’association amphotéri-
abordable) a été instauré en première ligne, mais s’est avéré cine B liposomale (Ambisome®) 3 mg/kg par jour et flucyto-
inefficace ; un traitement par amphotéricine B liposomale a sine (Ancotil®) 100 mg/kg par jour i.v., traitement bien sup-
secondairement permis une évolution favorable. porté et qui a permis une amélioration clinique et du
syndrome inflammatoire (PCR à 32,4 mg/l, VS à 63 mm à la
2. Cas no 1 première heure). Après deux semaines de traitement parentéral,
un relais per os par fluconazole a été réintroduit, mais une réas-
M. G., 25 ans, toxicomane à l’héroïne, a priori sevré depuis cension de la fièvre et du syndrome inflammatoire était notée.
six mois, a été hospitalisé début novembre 2004 dans le service Le traitement par amphotéricine B liposomale associé à la flu-
de maladies infectieuses et tropicales du CHU de Nancy pour cytosine intraveineuse a été repris pendant encore deux semai-
rachialgies dorsolombaires, évoluant depuis deux mois, asso- nes (jusqu’à normalisation de la PCR), puis, l’amphotéricine B
ciées à une altération de l’état général (asthénie, amaigrisse- liposomale a été poursuivie seule, à la même dose.
ment). Le bilan réalisé par son médecin traitant retrouvait une Une IRM de contrôle réalisée avant la sortie de l’hôpital
vitesse de sédimentation accélérée à 55 mm à la première objectivait une régression partielle des lésions de spondylodis-
heure, une protéine C réactive augmentée à 26 mg/l. Une scin- cite D12–L1 avec organisation de l’abcès discal, régression de
tigraphie osseuse mettait en évidence une hyperfixation en l’infiltration épidurale, des parties molles et du trou de conju-
D12–L1. gaison.
À l’admission dans le service, et dès l’arrêt des antipyréti- M. G. a quitté l’hôpital début janvier 2005 sous traitement
ques que le patient prenait à domicile, il présentait une fièvre à par amphotéricine B liposomale, administré par l’intermédiaire
40 °C. L’examen clinique, retrouvait des douleurs à la percus- d’une chambre implantable.
sion dorsolombaire, irradiant à droite en regard de la 12e côte.
Le reste de l’examen clinique, en particulier neurologique ne 2.1. Évolution après la sortie
retrouvait pas d’anomalie.
Du point de vue biologique, l’hémogramme retrouvait une Au contrôle effectué trois semaines après la sortie, le bilan
hémoglobine à 11,3 g/dl, des plaquettes à 673 G /l, des globu- biologique retrouvait une VS à 25 mm à la première heure, une
les blancs à 13,8 G/l dont 73,7 % de polynucléaires neutrophi- PCR à 14 mg/l. L’IRM de contrôle réalisée début février 2005
les. La vitesse de sédimentation était à 110 mm à la première mettait en évidence une poursuite de la régression des phéno-
heure, la protéine C réactive à 92,4 mg/l. mènes inflammatoires paravertébraux, un discret tassement des
Par ailleurs, la sérologie VIH était négative, la sérologie de corps vertébraux D12–L1, sans recul du mur postérieur, une
l’hépatite B retrouvait des anticorps anti-HBs à un taux supé- stabilité de l’abcès discal D12–L1.
rieur à 10 UI/ml et la sérologie hépatite C s’avérait positive ; il Début mars 2005, M. G. a été réhospitalisé pour infection au
s’agissait d’une hépatite C virémique de génotype 1a. niveau de la chambre implantable. La chambre a été retirée,
L’IRM médullorachidienne mettait en évidence un aspect l’amphotéricine B a été arrêtée. Un traitement par voriconazole
compatible avec une spondylodiscite D12–L1 avec épidurite à oral a été débuté à la dose de 200 mg × 2/jour ; 48 heures après
ce même étage et inflammation des parties molles paravertébra- le début de ce traitement, un purpura associé à une entérite est
les à droite (Figs. 1, 2). apparu ; un nouveau bilan sanguin mettait en évidence une élé-
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vation de la créatininémie et de l’urémie. Plusieurs hypothèses 3. Cas no 2


étaient alors évoquées : purpura rhumatoïde ? Cryoglobulinémie
symptomatique chez ce patient présentant une virémie VHC ? M. S. âgé de 34 ans, toxicomane à l’héroïne a priori sevré,
Intolérance au voriconazole (au regard de la chronologie des était porteur d’une hépatite C et présentait comme autres anté-
événements) ? Le voriconazole a été arrêté et un traitement par cédent significatifs un purpura rhumatoïde, un tabagisme actif
caspofungine a été instauré à dose de 70 mg le premier jour, et une consommation alcoolique importante. Il a été hospitalisé
puis 50 mg/j. Une ponction–biopsie rénale a, en outre, été réali- début janvier 2005 au CHU de Nancy pour des lombalgies
sée, dont les résultats étaient en faveur d’une atteinte rénale en fébriles évoluant depuis deux mois, associés à une altération
lien à une cryoglobulinémie. Un traitement par cortisone était de l’état général. À la suite des examens réalisés, le diagnostic
alors instauré ; l’évolution de la symptomatologie digestive et de spondylodiscite L2–L3 a été posé et un traitement probabi-
cutanée apparaissait ensuite favorable ; le patient est sorti à liste par rifampicine et péfloxacine a été débuté (administrés
domicile après un mois d’hospitalisation, sous caspofungine par voie orale, du fait d’un faible capital veineux périphérique).
50 mg/j i.v., administré sur une chambre implantable (reposée L’évolution n’était pas favorable et le malade a été transféré
pendant l’hospitalisation) et traitement cortisonique. L’évolution mi-janvier 2005 dans le service de maladies infectieuses et tro-
a été favorable et le traitement antifongique administré pour une picales du CHU de Nancy.
durée totale de six mois. À l’admission, il était apyrétique, en bon état général. Il se
plaignait de douleurs importantes au niveau lombaire.
L’examen neurologique était normal. Le reste de l’examen cli-
nique était sans particularité.
Sur le plan biologique, l’hémoglobine était à 11 g/dl, les
plaquettes à 602 G/l, les globules blancs à 12,8 G/l. Il existait
un syndrome inflammatoire avec une protéine C réactive à
85,2 mg/l, une vitesse de sédimentation à 90 mm à la première
heure.
Les sérologies VIH et hépatite B étaient négatives. La séro-
logie hépatite C est revenue positive, mais la détection de
l’ARN du virus de l’hépatite C était négative.
Une IRM médullorachidienne a été réalisée et retrouvait une
importante spondylodiscite L1–L2 et L2–L3 avec un abcès dis-
cal L2–L3, une infiltration des parties molles périvertébrales,
un abcès du psoas à droite et une épidurite infectieuse en
regard de L3 (Figs. 3, 4).
Une ponction sous scanner de l’abcès du psoas à droite a été
Fig. 1. Cas clinique no 1 : IRM en signal T1 sans injection, coupe sagittale :
effectuée : les prélèvements bactériologiques sont restés stéri-
aspect de spondylodiscite T12–L1 et épidurite en regard.
Fig. 1. Clinical case no 1: MRI in T1 without injection, sagittal section, typical les. Malheureusement, aucune analyse anatomopathologique
spondylodiscitis aspect (T12–L1) and epiduritis. du prélèvement n’a été réalisée.
Les hémocultures réalisées sont restées négatives.
Malgré cela, une origine bactérienne a été considérée
comme la plus probable et une antibiothérapie par
ofloxacine + rifampicine a été instaurée.
Toutefois, compte tenu des antécédents de toxicomanie, la
piste fongique a été explorée : une sérologie Candida (méthode
par hémagglutination indirecte) a été réalisée, retrouvant un
taux d’anticorps anti-Candida au 1/160e, avec une augmenta-
tion des taux des anticorps au 1/640e, une semaine plus tard.
L’antigénémie Candida (méthode Elisa) était positive à 1,01
ng/ml, confirmée par un deuxième prélèvement avec un titre
de 1,45 ng/ml.
Une échographie cardiaque a été réalisée qui a permis
d’éliminer l’existence d’une endocardite ; une consultation
ophtalmologique ne mettant pas en évidence de localisation
rétinienne.
Fig. 2. Cas clinique no 1 : IRM en signal T1 sans injection, coupe frontale : Devant la sérologie et l’antigénémie positives pour Candida,
aspect de spondylodiscite, infiltration des parties molles paravertébrales à
droite.
un traitement par fluconazole a été ajouté à la posologie de
Fig. 2. Clinical case no 1: MRI in T1 without injection, frontal section: 800 mg/j per os, mais après un mois de traitement antibiotique
spondylodiscitis, infiltration of soft paravertebral tissues on the right. puis antibiotique + antifongique aucune amélioration clinique
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n’a été observée ; la fièvre persistait, de même que le syndrome avis médical. Le bilan réalisé avant la sortie retrouvait une
inflammatoire avec une protéine C réactive à 150 mg/l. PCR à 28,6 mg/l et une VS à 7 mm à la première heure. Il a
Le fluconazole a alors été remplacé par de l’amphotéricine été revu en consultation à six semaines de la sortie. L’évolution
B liposomale à la posologie de 3 mg/kg par jour. C’est seule- a été favorable. Le traitement par voriconazole a bien été sup-
ment alors qu’ont été notées une régression de la douleur et porté et arrêté après six mois.
une diminution progressive de la PCR (12,9 mg/l). L’anti-
biothérapie qui s’est avérée inefficace a été arrêtée. Après 4. Discussion
cinq semaines de traitement parentéral par de l’amphotéricine
B liposomale, un relais par voriconazole oral, 800 mg le pre- En raison d’une faible incidence, d’une symptomatologie
mier jour, puis 400 mg/j a été réalisé. non spécifique, d’un délai long entre l’exposition aux facteurs
Une IRM de contrôle a été réalisée après six semaines de de risques et/ou la candidémie et l’apparition de la symptoma-
tologie, la spondylodiscite à Candida pose des problèmes diag-
traitement qui retrouvait une régression des abcès du psoas,
nostiques.
une stabilité relative de l’infiltrat vertébrodiscal L1–L2–L3.
Le patient est sorti après deux mois d’hospitalisation contre Les candidoses invasives sont rares dans la population géné-
rale (environ huit épisodes/100 000 personnes-année), mais
elles sont une complication redoutée en milieu hospitalier et
plus particulièrement en réanimation où elles représentent
10–15 % des infections nosocomiales.
Les facteurs de risque de l’infection invasive à Candida
sont : l’immunodépression, la toxicomanie (quatrième facteur
de risque de la spondylodiscite à Candida), les cathétérismes
centraux prolongés, l’alimentation parentérale, la présence
d’un matériel prothétique, l’antibiothérapie à large spectre, la
corticothérapie, etc. [1–3]. Les facteurs de risque de l’infection
vertébrale à Candida spp. semblent similaires ; lors d’une
revue des cas de spondylodiscite publiés entre 1966 et 2000,
les auteurs ont identifié les facteurs de risque suivant : cathété-
rismes veineux centraux (53 %), traitement antibiotique
(50 %), immunodépression (37 %) et toxicomanie par voie
injectable (22 %) [4].
Fig. 3. Cas clinique no 2 : IRM rachidienne en signal T1 sans injection ; coupe Concernant les toxicomanes, il est décrit dans la littérature
sagittale : spondylodiscite L1–L2 et L2–L3, abcès discal L2–L3, épidurite en le syndrome de candidose disséminée — qui se manifeste par
regard de L3.
Fig. 3. Clinical case no 2: MRI of the spine in T1 without injection, sagittal
l’association d’une fièvre à des lésions cutanées (folliculite dis-
section, spondylodiscitis L1–L2 and L2–L3, disc abscess L2–L3, epiduritis séminée), oculaires (choriorétinite) et ostéoarticulaires par
facing L3. métastases septiques. Le premier cas a été décrit en France en
1981. L’agent pathogène le plus fréquemment responsable est
C. albicans. Le syndrome est associé à l’utilisation intravei-
neuse de l’héroïne brune, une variété nécessitant pour sa disso-
lution, une acidification avant utilisation, réalisée habituelle-
ment au moyen de jus de citron. Dans les pays où est utilisée
l’héroïne blanche, comme les États-Unis, ce syndrome n’a pas
été décrit [5].
Même si ces dernières années, la fréquence des candidoses
invasives semble avoir augmenté, probablement du fait d’une
augmentation des situations à risque, les cas de spondylodiscite
à Candida restent une situation clinique assez rare [5].
Le premier cas de spondylodiscite à Candida a été décrit en
1967 ; depuis on ne relève que 75 cas publiés [6].
Les localisations les plus fréquentes, par ordre décroissant
sont lombaire (60 %), thoracique (35 %), et cervicale (5 %) [2].
La levure la plus souvent incriminée est C. albicans (50 %
Fig. 4. Cas clinique no 2 : IRM rachidienne en signal T1 avec injection de de cas), Candida tropicalis et/ou parapsillosis (30 %) puis les
gadolinium; coupe frontale : spondylodiscite L1–L2 et L2–L3, abcès discal L2– autres types de Candida (20 %).
L3, abcès du psoas droit.
Fig. 4. Clinical case no 2: MRI of the spine in T1 with gadolinium injection,
Par rapport aux spondylodiscites à pyogènes ou à BK,
frontal section, spondylodiscitis L1–L2 and L2–L3, disc abscess L2–L3, right l’association d’un abcès épidural à une spondylodiscite à Can-
psoas abscess. dida est encore plus rare.
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Le délai entre la candidémie ou l’exposition aux facteurs de conditions, la sensibilité combinée est seulement de 69 %, et la
risque et l’apparition des symptômes d’une spondylodiscite valeur prédictive négative serait plus faible. Au total, et comme
peut varier entre deux semaines et plus d’un an. Ce délai est le rappelle la conférence de consensus « la mise en évidence
expliqué par la virulence réduite du Candida sp. et par la vas- couplée d’anticorps circulants et d’antigènes candidosique peut
cularisation pauvre du disque intervertébral, résultant en une apparaître évocatrice d’une candidose invasive, mais son inté-
réponse inflammatoire lente [1]. Du fait de la possibilité de rêt doit encore être confirmé ».
localisations septiques secondaires d’expression différée (loca- La PCR Candida est plus sensible que les hémocultures,
lisation ostéoarticulaire), une surveillance s’impose chez tout mais il s’agit encore d’une technique de recherche, non stan-
patient présentant une candidémie, pendant au moins trois dardisée, et qui n’est pas disponible en routine. Elle permet
mois après l’épisode initial. À l’inverse, chez tous les patients d’identifier avec certitude l’espèce du champignon responsable
présentant des symptômes ostéoarticulaires ainsi qu’un antécé- d’une infection profonde, et pourrait être utilisée dans les cas
dent récent de candidémie, l’étiologie fongique doit être évo- où les autres examens microbiologiques restent négatifs [7].
quée. Le traitement d’une spondylodiscite à Candida pose égale-
Il n’existe pas de signe clinique permettant à coup sûr de ment de nombreux problèmes liés au terrain des patients
faire le distinguo entre spondylodiscite à Candida et spondylo- (immunodépression, toxicomanie, tares multiples), à la pénétra-
discite d’autres causes infectieuses : rachialgies, radiculalgies ; tion et la concentration osseuse des antifongiques, à la com-
fièvre dans 40 % des cas ; complications neurologiques pliance des patients à un traitement prolongé ainsi qu’au coût
— décrites dans 20 % des cas — sont dues à l’existence d’un du traitement. Dans nos observations, la forme liposomale de
abcès épidural, plus fréquemment situé dans les localisations l’amphotéricine B a été préférée à l’amphotéricine B déoxy-
hautes de la colonne vertébrale [1]. Sur le plan biologique, on cholate pour des questions de tolérance afin d’obtenir l’adhé-
note un syndrome inflammatoire — protéine C réactive et sion au traitement et d’éviter un arrêt prématuré du traitement
vitesse de sédimentation élevées. En ce qui concerne l’image-
chez ces patients toxicomanes au contexte psychologique diffi-
rie, l’IRM reste l’examen de choix pour le diagnostic d’une
cile. Ce choix reste toutefois tout à fait discutable.
spondylodiscite. Pour le diagnostic étiologique, seule la ponc-
En outre, le faible nombre d’infections ostéoarticulaires à
tion–biopsie ou la chirurgie permettent l’identification de
Candida fait que l’expérience de chaque équipe médicale est
l’agent pathogène, car les hémocultures sont rarement positi-
faible, ce qui explique probablement la variété des schémas
ves. Le diagnostic microbiologique des infections fongiques
thérapeutiques utilisés et décrits dans la littérature. La concen-
profondes est rendu difficile par la faible sensibilité des techni-
tration des antifongiques dans les articulations a été déterminée
ques d’isolement en culture des champignons à partir des tissus
infectés. L’examen direct des prélèvements est très important, par quelques équipes et semble proche de celles du plasma.
car les cultures ne reviennent positives que dans 50 % des cas Mais la concentration intraosseuse n’est cependant que du
[7]. tiers de la concentration sérique (concentration déterminée
La détection des antigènes et des anticorps trouve son utilité pour le fluconazole). En revanche pour l’itraconazole, il semble
dans les cas où l’examen microbiologique reste négatif. La que la concentration dans de différents tissus (peau, poumons,
détection d’antigènes candidosiques (polysaccharides de type reins, foie, rate, muscles et os) dépasse celle du plasma. [10]
mannane) est réalisée par un test d’agglutination de particules Dans la littérature, plusieurs cas ayant présenté une évolution
de latex et/ou par un test immunoenzymatique. La spécificité favorable sous fluconazole seul ont été rapportés. Par ailleurs,
est très élevée (98 %), mais la sensibilité est faible (20 à 40 %), dans d’autres cas est signalée une évolution favorable sous
en raison du caractère fugace de l’antigénémie [8,9]. La détec- amphotéricine B liposomale seule, ou sous amphotéricine B
tion des anticorps pose des problèmes car les anticorps relayée par fluconazole ; on trouve aussi de rares cas traités
« peuvent être positifs chez tous les individus sains ». Le taux dès le départ par une association amphotéricine
d’anticorps augmente parallèlement à la colonisation des B + flucytosine [1,2,4–6,11–28]. Le traitement antifongique
patients hospitalisés, indépendamment de toute infection, mais des infections ostéoarticulaires à Candida n’a pas été spécifi-
des taux très élevés sont toujours à prendre en considération. quement abordé lors de la conférence de consensus organisée à
Le taux d’anticorps peut être un élément de surveillance des Paris en 2004 [8]. Cependant, il semble licite d’extrapoler à
patients à risque. Dans une étude effectuée par une équipe lil- cette situation les recommandations proposées pour les locali-
loise, les auteurs ont montré que la combinaison des deux tests sations d’accès difficile (cœur, méninge, œil). Le schéma thé-
immunoenzymatiques avait une sensibilité de 80 %, une spéci- rapeutique proposé sera donc une association amphotéricine B
ficité de 93 %, une valeur prédictive positive de 78 % et une et flucytosine par voie intraveineuse pendant deux à trois
valeur prédictive négative de 93 %. Pour la détermination de semaines relayée par fluconazole, ou en cas de résistance par
ces valeurs, les auteurs ont pris en compte des résultats sérolo- voriconazole pendant une durée totale de 6 à 12 mois.
giques précédant les cultures mycologiques positives comme En ce qui concerne la durée du traitement antifongique, on
des résultats sérologiques obtenus après la connaissance de retrouve dans la littérature des valeurs qui varient entre trois
ces prélèvements significatifs. Dans une seconde étude, les semaines et six mois ; le traitement de courte durée était, en
auteurs n’ont pris en compte que les résultats sérologiques général, associé à un traitement chirurgical ou utilisé lors
obtenus, soit dans les 15 jours précédents, soit le jour de la d’infection due au Candida non albicans [5,14]. Le traitement
réalisation des hémocultures positives à Candida sp. Dans ces chirurgical est indiqué devant la présence de symptômes neu-
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rologiques ou si l’abcès épidural est important. Dans un article, [9] Poulain D, Feuilhade de Chauvin M. Candidoses et levuroses diverses.
les cas d’ostéomyélite publiés de 1984 à 1999 ont été revus et Encycl Med Chir, Maladies Infectieuses 1995 ; 8-602-A-10.
[10] Evdoridou J, Roilides E, Bibashi E, Kremenopoulos G. Multifocal
les auteurs ont indiqué que 50 % des cas avaient nécessité un
Osteoarthritis due to Candida albicans in a Neonate: Serum Level Moni-
traitement chirurgical (les patients dont le facteur de risque toring of Liposomal Amphotericin B and Literature Review. Infection
était la toxicomanie étaient exclus de cette étude) [2]. 1997;25:112–6.
Dans les tous les cas, l’hospitalisation semble s’imposer ; un [11] Derkinderen P, Bruneel F, Bouchaud O, Regnier B. Spondylodiscitis and
alitement est maintenu tant que les douleurs persistent, puis epidural abscess due to Candida albicans. Eur Spine J 2000;9:72–4.
une reprise progressive de l’orthostatisme est réalisée sous cou- [12] Godinho de Matos I, do Carmo G, da Luz Araujo M. Spondylodiscitis by
Candida albicans. Infection 1998;26:195.
vert du port d’un corset.
[13] Turgut B, Vural Ö, Demir M, Kaldir M. Candida arthritis in a patient
Le pronostic d’une spondylodiscite à Candida est en général with chronic myelogenous leukaemia (CML) in blastic transformation,
bon. On note dans la littérature entre 67 et 100 % de guérison unresponsive to fluconazole, but treated effectively with liposomal
[15]. amphotericin B. Ann Hematol 2002;81:529–31.
[14] Herzog W, Perfect J, Roberts L. Intervertebral discitis due to Candida tro-
5. Conclusion picalis. South Med J 1989;82:270–3.
[15] Hannequin C, Bouree P, Hiesse C, Dupont B, Charpentier B. Spondylo-
discitis due to Candida albicans: report of two patients who were suc-
Les infections ostéoarticulaires à Candida sont rares et leur cessfully treated with fluconazole and review of the literature. Clin Infect
diagnostic est souvent retardé par une clinique pauvre et la dif- Dis 1996;23:176–8.
ficulté de mise en culture de la levure. [16] Waltzing-Koudine L, Breville P, Rajbaum G, Waltzing P. Spondylodis-
Le traitement de ces infections n’est pas clairement défini. cite à Candida albicans, Traitement par fluconazole seul. Presse Med
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[17] Belzunegui J, Rodriguez-Arrondo F, Gonzalez C, Queiro R, Martinez de
consensus concernant la prise en charge des localisations diffi-
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ciles, il semble licite de proposer d’utiliser l’association drug addicts: report of 34 cases with analysis of microbiological aspects
amphotéricine B + flucytosine pendant deux à trois semaines and pathogenic mechanisms. Clin Exp Rheumatol 2000;18:383–6.
puis relais oral par fluconazole ou voriconazole pour une [18] Calvo Romero JM, Alvarez Vega JL, Salazar Vallinas JM, Ortega
durée totale de traitement de six mois à un an. Le traitement Alberdi R. Candida arthritis in an immunocompetent patient without pre-
chirurgical restera réservé aux cas présentant une atteinte neu- disposing factors. Clin Rheumatol 1998;17:393–4.
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