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Louis MONNIER, Claude COLETTE, Institut universitaire de recherche clinique, Université de
Montpellier
Depuis la publication initiale de l’étude de l’UKPDS(1), il est bien établi que le diabète de type 2 est
une maladie chronique évolutive qui nécessite, à échéances plus ou moins régulières, des
renforcements thérapeutiques. Même si les causes du diabète de type 2 sont bien connues
(obésité, vieillissement des populations et prédisposition génétique), une seule d’entre elles, la
surcharge pondérale, est accessible au thérapeute par le biais de modifications du mode de vie :
augmentation de l’activité physique et réduction des apports caloriques. Encore faut-il souligner
que ces mesures thérapeutiques ont une efficacité qui reste très limitée en amplitude et en durée,
sauf lorsqu’elles s’inscrivent dans un cadre d’interventions bien codifiées conduisant à des
modifications drastiques dans les habitudes alimentaires et dans la pratique d’une activité
physique(2). La plupart du temps, c’est grâce à des actions pharmacologiques sur les grands
mécanismes physiopathologiques du diabète de type 2 que des améliorations tangibles mais plus
ou moins transitoires sont obtenues.
Le déficit des cellules β-langerhansiennes. Il peut être plus ou moins réactivé par des agents
insulinotropes glucodépendants (incrétinomodulateurs et incrétinomimétiques) ou non
glucodépendants (sulfonylurées et glinides) tant que l’insulinosécrétion « résiduelle » reste
suffisante. Dans le cas contraire, le déficit insulinique doit être compensé par un traitement
insulinique substitutif précoce en évitant l’« inertie » thérapeutique qui consiste à repousser
ce type de traitement parce qu’il est plus contraignant que les autres et parce qu’il peut être la
source d’hypoglycémies.
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La production excessive de glucose par le foie et le déficit de l’utilisation du glucose par les
tissus périphériques. Ces deux désordres physiopathologiques peuvent être respectivement
freinés ou stimulés par les insulinosensibiliseurs au premier rang desquels se situe la « vieille
» metformine. Il convient de noter que l’insulinothérapie et toutes les médications qui
stimulent l’insulinosécrétion agissent sur ces deux mécanismes car l’insuline est jusqu’à
preuve du contraire le meilleur freinateur de la production hépatique du glucose et le meilleur
activateur de son utilisation.
L’augmentation du seuil d’excrétion urinaire du glucose. Chez le diabétique il a été démontré
que ce seuil se situe aux alentours de 2,20 à 2,40 g/l alors qu’il est de l’ordre de 1,80 g/l chez
les personnes qui ne sont pas diabétiques(5). Cette anomalie contribue à l’aggravation de
l’hyperglycémie chez les sujets ayant un diabète de type 2. Les inhibiteurs de la réabsorption
tubulaire du glucose (inhibiteurs du SGLT2, c’est-à-dire du cotransporteur sodium-glucose de
type 2) permettent de corriger cette anomalie, voire de la « surcorriger » en ramenant le seuil
d’excrétion du glucose de 2,2 g/l à 1 g/l et en permettant une excrétion urinaire de glucose de
l’ordre de 50 g/j(5,6). C’est par ce biais que ces médications entraînent une baisse moyenne de
l’HbA1c de 1 %. Ainsi, il est regrettable que cette classe de médicaments ne soit pas
disponible en France, alors qu’elle l’est dans la majorité des pays ayant le même niveau
économique. À cet égard, il convient de souligner qu’en abaissant le niveau du seuil de
réabsorption du glucose à 1 g/l, les iSGLT2 sont efficaces quel que soit le niveau de départ de
l’HbA1c et donc de la glycémie moyenne. Dans ces conditions, nous verrons que ces
médicaments sont intéressants pour réduire l’HbA1c chez les patients ayant une «
hyperglycémie résiduelle ».
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En combinant ces définitions et ces recommandations, on peut considérer qu’un sujet ayant une
HbA1c entre 6,5 et 6,99 % a un diabète sucré correctement équilibré. Toutefois, ce sujet a une «
hyperglycémie résiduelle » car les tables d’équivalence entre HbA1c et moyennes glycémiques ont
donné les résultats indiqués sur le tableau ci-dessous. Ainsi, il apparaît que pour des taux d’HbA1c
entre 6,5 et 6,99 %, toutes les glycémies à jeun et interprandiales sont largement au-dessus de la «
fourchette » glycémique conseillée (0,80 à 1,30 g/l) et que les moyennes des glycémies
postprandiales (1,59 g/l pour 6,5 % d’HbA1c et 1,69 g/l pour 6,99 % d’HbA1c) sont globalement au-
dessus de la limite supérieure des glycémies postprandiales recommandées par la Fédération
internationale du diabète (1,60 g/l)(8).
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L’HbA1c devient supérieure ou égale à 6,5 %. Le sujet a un diabète sucré avéré, mais l’HbA1c ne
dépasse pas 7 %. À ce stade, une deuxième anomalie vient se greffer sur le phénomène de l’aube :
l’hyperglycémie postprandiale. Les montées glycémiques après les différents repas de la journée
deviennent excessives. Ainsi, le contrôle des apports glucidiques en quantité et en qualité au
moment des repas devient une nécessité si l’on veut réduire la contribution de l’hyperglycémie
postprandiale à l’hyperglycémie globale. La contribution de l’hyperglycémie postprandiale est de
l’ordre de 1 point de pourcentage d’HbA1c(12). Ainsi, chez un sujet dont l’HbA1c est à 7,4 %,
l’éradication totale de l’hyperglycémie postprandiale par des mesures thérapeutiques combinant
diététique et médicaments ramènerait son HbA1c aux alentours de 6,4 %.
L’« hyperglycémie résiduelle » se situant dans la zone où l’HbA1c est comprise entre 6,5 et 6,99 %, il
apparaît qu’elle est caractérisée par deux désordres glycémiques fondamentaux :
– un phénomène de l’aube qui entraîne une augmentation anormale de la glycémie supérieure à
0,20 g/l entre le minimum glycémique nocturne et la glycémie qui précède le petit déjeuner(13) ;
– des excursions glycémiques anormales après les différents repas de la journée surtout après le
petit déjeuner(9).
Ainsi, pour un sujet ayant une « hyperglycémie résiduelle » avec une HbA1c comprise entre 6,5 et
6,99 %, les mesures thérapeutiques pour ramener le taux d’HbA1c en dessous de 6,5 % devraient
consister à réduire le phénomène de l’aube et les excursions glycémiques postprandiales. Ces
mesure dépendent évidemment du traitement déjà en cours et du stade auquel se trouve la
maladie : échec de la diététique seule, échec de la metformine seule, échec des antidiabétiques
oraux à doses maximales tolérées, échec des premières thérapeutiques injectables
(insulinothérapie basale ou agonistes des récepteurs du GLP-1 (figure 2). Par ailleurs, il est bien
certain que l’éradication éventuelle de cette « hyperglycémie résiduelle » ne peut être entreprise que
si elle n’augmente pas le risque d’hypoglycémie. Ces aspects seront brièvement envisagés dans la
dernière partie de cet article.
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Figure 2. Recommandations thérapeutiques schématiques au cours de l’évolution naturelle du
diabète de type 2 en fonction de l’échec des thérapeutiques antérieures ou en cours. La barre
horizontale ombrée correspond à la zone de l’hyperglycémie résiduelle. iDPP4 = inhibiteurs de la
DPP-4 ; ADO = antidiabétiques oraux.
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l’HbA1c en dessous de 6,5 %, il convient d’éviter les hypoglycémies, le risque étant d’autant plus
élevé que la moyenne glycémique est plus basse(22). Dans ces conditions, toute tentative pour
ramener l’HbA1c en dessous de 6,5 % devrait faire appel à la mise en route, en 1re ou en 2e intention,
de traitements antidiabétiques ne comportant aucun risque d’hypoglycémie ou un risque mineur :
metformine, inhibiteurs des α-glucosidases, médications basées sur l’effet incrétine (inhibiteurs de
la DPP-4, agonistes des récepteurs du GLP-1) et inhibiteurs du SGLT2. Ces derniers ne sont
malheureusement pas disponibles en France. Tous ces médicaments ont pour caractéristique
d’entraîner une baisse initiale ou additionnelle de l’HbA1c de l’ordre de 1 %, avec une activité un peu
plus forte pour la metformine (-1,5 %) et moins marquée pour les inhibiteurs des α-glucosidases
(-0,5 à -0,6 %). Dans ces conditions, les recommandations pourraient être les suivantes pour
ramener l’HbA1c d’un sujet en dessous de 6,5 % (figure 2) :
En cas d’échec des mesures diététiques seules, c’est la metformine qui doit être utilisée en
priorité.
En cas d’échec des mesures diététiques couplées à un traitement par metformine, la
thérapeutique additionnelle devrait faire appel aux thérapies basées sur l’effet incrétine :
inhibiteurs de la DPP-4 ou agonistes des récepteurs du GLP-1. L’adjonction d’inhibiteurs des
α-glucosidases, intéressante sur le plan théorique car cette classe de médicaments agit sur la
glycémie postprandiale, n’est en général pas privilégiée à cause des effets gastro-intestinaux
indésirables du produit et de son efficacité faible. Les inhibiteurs du SGLT2 pourraient être
une alternative aux médications basées sur l’effet incrétine.
En cas d’échec des antidiabétiques oraux à doses maximales tolérées(23), le choix est
essentiellement entre les agonistes des récepteurs du GLP-1 et les inhibiteurs du SGLT2 car
c’est la stratégie qui permet la meilleure amélioration de l’HbA1c avec le moindre risque
d’hypoglycémie. Si l’HbA1c de départ est supérieure à 8 %, il est bien certain que l’HbA1c a fort
peu de chance de pouvoir être ramenée en dessous de 6,5 %. Dans ce cas, c’est un traitement
insulinique sous la forme d’un schéma basal qui devra être proposé. Toutefois, si cette
thérapeutique est nécessaire, l’objectif de traiter l’hyperglycémie résiduelle devra en général
être abandonné car le risque d‘hypoglycémie devient à ce moment trop élevé. L’obtention
d’une HbA1c < 7 % sans chercher à descendre en dessous de 6,5 % sera alors l’objectif
thérapeutique(7).
En cas d’échec de l’insulinothérapie basale seule après titration correcte(24,25), l’addition d’un
agoniste des récepteurs du GLP-1 est aujourd’hui la stratégie qui paraît la plus prometteuse
car c’est celle qui conduit au moindre risque d’hypoglycémie. C’est donc celle qui est
privilégiée par rapport à la deuxième option qui consiste à proposer une intensification de
l’insulinothérapie sous forme d’un schéma basal-bolus. Cette option, quand on y est contraint,
n’est sûrement pas l’idéal car elle conduit inéluctablement à une augmentation de la
fréquence des hypoglycémies. De toute manière, dans ce cas de figure, nous sommes
ramenés au cas précédent, c’est-à-dire rester dans des limites raisonnables (HbA1c < 7 %)
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quand c’est possible sans chercher à réduire l’hyperglycémie résiduelle définie par une HbA1c
comprise entre 6,5 et 6,99 %.
Dans cette dernière phrase se trouve la réponse à la 2e question posée dans le titre de ce
paragraphe : « Faut-il toujours traiter l’hyperglycémie résiduelle » ? La réponse est
évidemment non. En revanche, quand c’est possible et sans danger la réponse devient oui.
Toutefois, il faut noter que nous sommes loin du compte. Bien que les dernières décennies
aient été marquées par une amélioration des valeurs moyennes de l’HbA1c(26), le dernier
rapport du National Diabetes Statistics Report publié en 2017 indique que 15,6 % des patients
adultes diabétiques gardent une HbA1c > 9 %. Dans ces conditions nous terminerons cet
article en nous disant que certains lecteurs considèreront peut-être ou sûrement que
s’occuper de l’« hyperglycémie résiduelle », l’un des maillons faibles de l’équilibre glycémique,
est un luxe qui cause plus de problèmes qu’il n’en résout.
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