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Module 1 – Séquence 3 : Les débuts de la simulation en

Belgique, vision de l’avenir

La simulation médicale et son origine en Belgique, vues par deux


experts belges: interviews

Comment la simulation est-elle apparue en Belgique ?

Philippe Pendeville : En fait, la simulation est apparue un peu par hasard en Belgique. Le
hasard d’une rencontre, à l’époque du professeur d'Hollander, qui était chef d’anesthésie-
réanimation à Érasme (ULB). Il s'est rendu en Californie pour le congrès international
d’anesthésie, et il a rencontré David Gaba. David Gaba, qui est le père fondateur, peut-être
pas uniquement de la simulation mais, surtout, de ce que l'on appelle aujourd’hui, le Crisis
Ressource Management, c’est-à-dire l’approche humaine interprofessionnelle, l’approche
Team working de la simulation. Et puis, de retour en Belgique, il a réussi à convaincre ses pairs,
les autres chefs de service. Et via la Société belge d’Anesthésie-Réanimation, ils ont financé le
premier simulateur. Mon patron, mon chef de service de l’époque, m’a proposé d’être
l’interlocuteur et de me lancer dans la simulation.
À cette époque-là, il y avait, je pense, au maximum 7 ou 8 simulateurs ou centres de
simulation au monde. Deux ou trois aux États-Unis, trois ou quatre en Europe, et un au Japon.
Donc on était vraiment des pionniers. Ca, c’était début des années '90. Je ne dis pas que tout
a été paisible depuis lors. Il y a eu des hauts, des bas, plus de bas que de haut, mais on a
continué, on a tenu bon, et aujourd’hui on est très contents de voir que la simulation va
prendre son envol. Ma seule crainte aujourd’hui: qu’elle prenne son envol c’est très bien,
mais il faudrait qu’elle le prenne de la façon la plus coordonnée possible. Se replier chacun
chez soi comme on a dû le faire, contraints et forcés par la disparition d’un centre plus national
qui a existé jusqu’en 2010/2011, ça un peu dispersé les énergies et chacun a un peu interprété
à sa façon la simulation. Je pense que l’on a perdu pas mal d’énergie, pas mal de
systématisation de l’enseignement sur simulateur. Et donc la création, aujourd’hui, d'un
"club" (je n'appellerais pas cela un congrès) de simulation niveau belge et puis au-delà, on le
verra, la création d’une société va permettre de mettre nos énergies ensemble et de créer
une dynamique de simulation.

Existe-t-il un parallélisme entre aviation et simulation ?

Isabelle Bragard : Mais finalement, pour le grand public, ça a l’air fort différent, le métier de
médecin et celui de pilote de ligne. Peut-on faire un parallèle ? Est-ce qu’il y a des similitudes
entre ces métiers-là qui font que la formation, la pédagogie pourraient être similaires ?

Anne-Sophie Nyssen : Il y a évidemment, des raisons de sécurité, et aussi des raisons


pédagogiques et économiques. Ces deux professions ne sont pas aussi différentes que cela.
Du point de vue du travail, de l’activité, l’aviation comme la médecine sont des systèmes
complexes. Ce que l'on appelle d’ailleurs des systèmes complexes sociotechniques. La
complexité se caractérise par diverses dimensions. Tout d’abord ce sont des environnements
de travail de plus en plus techniques. La technologie envahit le monde médical, le numérique
aussi, comme dans le monde de l’aviation. C’est aussi un travail de plus en plus collectif, où
l'on est obligé de communiquer avec d’autres disciplines, en interdisciplinaire. On a un haut
niveau de risque, pour le patient comme pour la clientèle, les passagers, qui sont en outre de
plus en plus nombreux dans un avion. L’incertitude est très élevée aussi, et toutes ces
dimensions rendent la maitrise complexe pour l’opérateur, pour le travailleur. Donc, il y a des
similitudes au niveau de l’activité.
Le développement, par contre, de l’usage de la simulation est très différent. Dans le secteur
de l’aviation, il est systématique dans la formation, dans la formation continue et dans la
certification. Ce qui est loin d’être le cas en médecine.

Quel est le futur de la simulation en Belgique ?

Isabelle Bragard : Vous avez connu les origines de la simulation en Belgique, et vous avez
parlé un peu de l’essor actuel. On est en train de voir une augmentation de l’activité de
simulation en Belgique. Comment voyez-vous les 20 prochaines années au niveau du
développement de la simulation ?
Philippe Pendeville : Donc, j’ai connu la concentration dans un seul centre en Belgique. J’ai
connu la mort annoncée, faute de moyens, de ce centre. Chacun est rentré chez lui. Et parfois
"chez lui", c’est dans plusieurs sous-sections, sans concertation. Les obstétriciens ont fait des
choses, les chirurgiens ont fait des choses, les urgentistes, les anesthésistes,… Il y a eu une
multitude d’initiatives, très louables. Mais, en corollaire, une grande dispersion, un manque
de moyens, finalement. Car en dispersant, on manque de moyen centraux. Et aujourd’hui, je
pense que, en tout cas dans les grands centres Universitaires, tout va se rassembler sur des
plateaux de simulation. Je sais qu’ici, à Liège, c’est déjà quasiment fait. Chez nous, c’est en
cours d’élaboration. Et je sais que chez nos collègues de l’ULB, c’est également un vœu. Donc
je vois plus des plateaux interdisciplinaires, avec des séances plus ciblées pour les uns, pour
les autres, et puis des séances en interprofessionnel. Donc, je pense que l’on est à nouveau
bien partis, et il y a une raison à cela : c’est que la simulation, à mon avis, devient
incontournable. Tôt ou tard nous aurons des problèmes de certification, d’agrément.
Éventuellement l’obligation d’avoir, un peu comme dans l’aviation, des séances après un
incident. Comme dans l’aviation, passer sur simulateur pour retravailler, et se déculpabiliser
par rapport à l’incident, qui est parfois relativement lourd à porter. Et je pense aussi que les
patients n’accepteront plus, à l’avenir, d’être un peu des mannequin de simulation pour
l’apprentissage des jeunes futurs médecins, infirmières et autres professions de santé. Et c’est
sur des simulateurs ou dans des séances de simulation en taille réelle ou sur PC – enfin,
différentes formes, tout existe - que les jeunes apprendront leur métier.

Isabelle Bragard : Ici, on est dans un centre de simulation qui est plutôt récent : 2015. Donc,
il y a eu un essor dans les années '90. La simulation connaît un essor nouveau. Et toi, comment
vois-tu les 20 années à venir ? Tu étais là il y a 20 ans, et maintenant comment est-ce que l'on
peut envisager l’évolution de la simulation. Où est-ce que l'on peut encore aller ?

Anne-Sophie Nyssen : Alors, cette évolution, je la vois sur deux dimensions. Je pense que la
simulation, aujourd'hui, dans le monde, concerne l’ensemble des disciplines de la santé, et
plus seulement certaines disciplines spécifiques. On la voit dans tous les secteurs. Et cette
simulation permet à la fois d’acquérir des compétences techniques et non techniques. Elle
permet aussi d’avoir une réflexion sur ses propres compétences, sur ses propres
raisonnements, sur ses propres pratiques professionnelles. Je pense, qu’elle peut être utilisée
dans ce cadre-là aussi. C'est aussi un outil particulier et important pour acquérir des
compétences communicationnelles. Elle permet aussi - et ça je pense que ce n’est pas encore
répandu en médecine, mais dans d’autres secteurs oui, dans l’industrie notamment - de
rejouer certains accidents et incidents, pour tenter de comprendre ce qu’il s'est passé dans
cette situation-là. Donc, là aussi, c’est tout un apport.
Ce qu'il y a aussi à faire, évidemment, c'est de réaliser des recherches. Déjà, lorsque l’on a
commencé notre programme de formation sur le simulateur il y a 20 ans, on avait mis en place
en parallèle des programmes de recherche, dès le début. Et l’objectif, nos objectifs, c'était
d’évaluer à la fois l’utilité de la simulation comme outil de formation, en le comparant avec
d’autres outils de formations, et aussi de mieux comprendre les difficultés rencontrées par les
stagiaires, en fonction par exemple de leurs degrés d’apprentissage. Et on a pu montrer que
des anesthésistes première et deuxième années avaient certaines difficultés particulières face
à des variables interdépendantes, et des anesthésistes de cinquième avaient d’autres types
de difficultés. Donc, on a pu mettre en place des programmes de formation plus spécifiques,
sur base de ces résultats de recherche. Donc là, le défi, et je pense qu’il est important, c'est
aussi de mettre en place ces programmes de recherches, pour démontrer l’utilité de la
formation et pour aider les professionnels, ici le monde médical, à organiser la simulation dans
un cursus. ça,
Le deuxième axe, je pense, c’est que l’on va avoir toutes sortes d’outils de simulation, du
mannequin standardisé à l’utilisation d’acteurs pour jouer certains scénarios. Je sais que vous
faites appel à des acteurs pour l’annonce d'une mauvaise nouvelle. On pourra aussi faire appel
à de vrais patients, qui parfois, acceptent de jouer ce rôle-là. A des simulateurs sur écran,
basiques, puisque tout le monde à son ordinateur portable, ou qu'il y en a à disposition dans
la faculté. Un simulateur haute-fidélité, qui reproduit, comme ici, une salle d’opération avec
tous les instruments habituellement utilisés par les professionnels. Jusqu’à la réalité virtuelle,
jusqu’au numérique qui est utilisé notamment dans la robotique, puisque la robotique
chirurgicale fait appel à la numérisation des images. On va une variété d’outils qu’il faut
organiser dans un cursus. Est-il indispensable d’utiliser un simulateur haute-fidélité, avec le
coût que cela engendre, pour apprendre à faire un massage cardiaque ? Je ne suis pas certaine,
et je pense que c’est démontré, d’ailleurs. Et donc là, il va falloir aider aussi les professionnels,
en fonction de la discipline, à organiser ces différents outils dans le cursus, de manière
appropriée. C’est à mon sens, dans les 20 prochaines années, c’est là que nous pouvons
travailler ensemble pour améliorer les cursus et l’enseignement.

Isabelle Bragard : Mieux intégrer la simulation, tout au long du parcourt de l’étudiant.

Anne-Sophie Nyssen : Tout à fait.

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