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du médicament
à son développement :
l’indispensable chimie
La société dans laquelle nous le marché, qui est de plus en
vivons n’est pas toujours plus complexe et exige très
consciente du rôle primordial souvent de très nombreuses
que joue la chimie, parallèle- étapes de fabrication, fait
ment à la biologie et à la méde- l’objet de réglementations de
cine, dans la prévention des plus en plus sévères (voir l’en-
maladies, leur traitement et cart « De la molécule au médi-
leur guérison, qu’elles soient cament : un parcours parsemé
bénignes (médicaments dits d’embûches » du chapitre de
de confort) ou sévères (anti- J.-P. Maffrand). Le coût de
tumoraux, antibiotiques, anti- la recherche augmente très
viraux). Aux XVIIIe et XIXe siècles, fortement et, corrélative-
la « matière chimique » était ment, le nombre de produits
enseignée comme une disci- nouveaux qui voient le jour
pline majeure et suscitait un chaque année diminue, une
grand respect. Au XXe siècle, vingtaine en moyenne au
sont apparues de nouvelles cours des dernières années
applications de la chimie, (Figure 1).
moins pacifiques, et des utili- La situation est encore plus
sations parfois peu ou pas difficile dans le domaine du
contrôlées, y compris dans médicament et des produits
les domaines où son apport de santé en général. Des
a été et reste un élément contraintes réglementaires
fondamental dans le progrès aussi strictes que celles de
de notre bien-être, ou l’ac- l’AMM (voir l’encart « L’auto-
croissement de notre espé- risation de mise sur le marché
rance de vie – l’agriculture, d’un médicament » du chapitre
l’alimentation, les matériaux de D. Mansuy) et de REACH
ou l’énergie, en n’oubliant pas ont pour objectif la protection
son apport dans le domaine de notre environnement et de
de la santé. Pire encore, le notre santé, et sont donc tout
chimiste est souvent pris à à fait justifiées et acceptées
partie et tenu pour respon- au regard de la responsabi-
sable de la plupart des maux lité des industriels vis-à-vis
modernes, marées noires et du public. À titre d’exemple,
autres accidents écologiques. la mise sur le marché d’un
Et pourtant, l’introduction d’un nouveau médicament exige
nouveau produit chimique sur un investissement (recherche
La chimie et la santé
1 Mettre un
médicament sur
le marché, comment
des moyens techniques et
financiers, certes très supé-
rieurs à ceux du secteur public
faire… et réussir ? (universités, organismes de
recherche), mais qui ne sont
1.1. Un parcours parsemé pas extensibles à l’infini.
d’embûches
Entre la découverte dans le
1.2. Une alliance des forces
laboratoire (public ou privé)
d’un « candidat médicament » Le modèle américain dit
et le moment où, reconnu d’« extended company »
efficace et sans danger, on semble être le plus effica-
le trouvera dans une officine, ce actuellement : il se base
le cheminement est long et sur une organisation dyna-
rempli d’obstacles, comme mique en réseau qui orchestre
l’illustre la Figure 2 (voir toute une série de modes
aussi le chapitre de J.-P. Maf- d’action complémentaires –
frand, Figure 11). Au bout du externalisation, collaboration,
processus, il en restera un contrats, licences – associant
sur plusieurs milliers testés, un à plusieurs industriels
après l’intervention d’un de la pharmacie, des petites
nombre considérable d’ac- entreprises et des groupes
teurs, scientifiques, méde- de recherche académiques,
cins, patients, mais aussi qui peuvent répondre aux
78 financiers, juristes, etc. besoins d’un ensemble que
De la conception du médicament à son développement : l’indispensable chimie
l’on pourrait nommer « Big l’on appelle des « parcs Figure 2
Pharma ». scientifiques », sur lesquels
De l’idée à la mise sur le marché
Pour être réellement interac- s’installent des laboratoires
d’un nouveau médicament :
tives en temps réel et donc académiques (Encart « Valo- un long cheminement. Le chimiste
efficaces, il est important que riser la recherche, promou- y tient un rôle fondamental.
les diverses entités complé- voir l’innovation, réussir C’est lui qui mène le jeu dans
mentaires soient réunies sur l’industrialisation »). Ces la première phase du processus
parcs, véritables dynamisants d’élaboration des médicaments,
un même site et y disposent
le « discovery » : l’étape où l’on
d’infrastructures mutua- de la relation entreprises- identifie une molécule active.
lisées, notamment infor- universités, ont pour voca-
matiques et de gestion. La tion première d’encourager
Figure 3 illustre comment un la formation et la croissance
tel ensemble pourrait fonc- d’entreprises en renforçant
tionner, ses avantages et ses leur capacité d’innovation.
inconvénients. Ils ont bien entendu comme
Ce réseau, organisé autour autre objectif de promouvoir
de l’articulation centrale le dialogue entre la science et
Académie-Biotech-Sociétés, la société afin de faire mieux
nécessite la création de connaître, par exemple, les
nouveaux espaces, ce que travaux des chimistes. 79
La chimie et la santé
Figure 3
Le « Big Pharma », ou
le modèle d’« extended
company », un réseau
de partenaires mobilisés
dans la recherche des
médicaments : des sociétés
(souvent des PME-PMI), des
plateformes technologiques
(dont le but est d’optimiser
les moyens et les
compétences dont disposent
les établissements publics
d’enseignement, par leur
mutualisation au service des
PME-PMI), des organismes
de recherche académiques,
des biotech (entreprises
spécialisées dans de
nouvelles technologies en
biologie), des organismes
de recherche sous contrat
(CRO) – par exemple
des entreprises d’essais
80 cliniques –, et des hôpitaux.
De la conception du médicament à son développement : l’indispensable chimie
VALORISER LA RECHERCHE, PROMOUVOIR L’INNOVATION, RÉUSSIR
L’INDUSTRIALISATION
Depuis de nombreuses années et dans tous les pays, diverses expériences ont été tentées
pour optimiser la créativité et l’innovation dans le but d’assurer une meilleure compétitivité
sur les marchés intérieurs et extérieurs, une économie dynamique, la création d’emplois.
Ces initiatives sont basées sur une même idée, favoriser les échanges entre chercheurs de
disciplines différentes, entre chercheurs et industriels, entre inventeurs et financiers…
La multiplication de ces structures vient de leur indéniable succès, avec le Cambridge
Research Park en Grande-Bretagne ou la Silicon Valley aux États-Unis.
Nés dans les pays anglo-saxons, les parcs scientifiques sont, selon la définition officielle
donnée par l’« International Association of Science Parks » (IASP), des structures
géographiquement localisées, gérées par des spécialistes et dont le but principal est
d’accroître la richesse de la communauté qui les constitue par la promotion de la culture de
l’innovation, ainsi que la compétitivité des entreprises et institutions fondées sur le savoir
qui y sont associées ou implantées. Pour atteindre ce but, un parc scientifique doit stimuler
et organiser le transfert des connaissances et des technologies parmi les universités, les
structures de R&D, les entreprises (souvent petites et moyennes) et les marchés, faciliter
la création et la croissance de structures industrielles axées sur l’innovation en leur offrant
divers services à haute valeur ajoutée.
Les technopoles françaises s’inspirent souvent du modèle anglo-saxon, et, comme les
expériences japonaises, comportent une part importante de recherche appliquée. Ils sont
définis comme la réunion en un même lieu d’activités de haute technologie, centrées sur un
thème donné (électronique, chimie, biologie…), et associant recherche publique et privée,
ainsi qu’organismes financeurs, en facilitant les contacts personnels entre ces milieux.
Leur objectif est souvent la production industrielle de haute technologie et les services aux
entreprises, comme les incubateurs. Il en existe une petite centaine sur le territoire français,
dont les plus anciens et/ou les plus connus sont Sophia Antipolis, Atalante à Rennes,.
Futuroscope près de Poitiers, etc. Le pôle Axelera, particulièrement dédié à la chimie, a été
créé autour de Lyon et retenu parmi les pôles à rayonnement mondial.
La création des pôles de compétitivité a été décidée par le gouvernement français lors
d’un comité interministériel d’aménagement et de compétitivité du territoire (CIACT) en
décembre 2002, puis concrétisé lors du CIACT du 14 septembre 2004. La loi de finances pour
2005 (Pacte pour la recherche) les définit comme « le regroupement sur un même territoire
d’entreprises, d’établissements d’enseignement supérieur et d’organismes ou centres de
recherche publics et privés qui ont vocation à travailler en synergie pour mettre en œuvre
des projets de développement économique pour l’innovation ». Leur objectif premier est de
rendre l’économie régionale et nationale plus compétitive, plus lisible au niveau international,
d’attirer ou de faire émerger de nouvelles entreprises, de créer des emplois. Leur vocation
est thématique et le territoire impliqué est large, souvent régional voire interrégional. Ils
bénéficient de subventions publiques et d’un régime fiscal favorable. Plusieurs appels
successifs se sont concrétisés par la reconnaissance de plus de 70 pôles, regroupant plus
de 9 000 chercheurs.
81
La chimie et la santé
Figure 4
Le parc scientifique de Barcelone.
C’est ce que tente de réaliser
le parc de Barcelone qui
compte 2 200 professionnels
2 Le chimiste, le
premier chaînon de
l’innovation thérapeutique
(la plupart sont des univer-
Le chimiste tient un rôle
sitaires) (Figure 4). Les acti- fondamental dans la première
vités du parc sont organisées phase du processus d’élabo-
autour de la thématique des ration d’un nouveau médica-
Sciences de la Vie, mais ment, la phase de découverte
d’autres domaines assurent et de conception, dite « Disco-
la nécessaire multidiscipli- very » (voir Figure 2), étape
narité comme les langues, où se fait un choix déter-
le droit et l’économie, condi- minant, où le risque sur la
tion de la réussite. Trois santé est grand mais le coût
organismes principaux de recherche encore limité,
participent aux travaux de quoiqu’en augmentation
recherche du parc de Barce- constante.
lone, qui entretient mainte- Les exemples qui suivent
nant des relations avec plus illustrent deux approches
82 de 50 entreprises ! importantes que le chimiste
De la conception du médicament à son développement : l’indispensable chimie
met en œuvre au service de la être racontée à travers deux
santé, dans le domaine de la découvertes majeures de
synthèse de médicaments. médicaments, l’un issu de la
terre, l’autre de la mer. Dans
les deux cas, le chimiste a su
2.1. Les produits naturels à isoler les molécules de leur
la source de l’innovation source naturelle, il a pu déter-
pharmaceutique miner leurs structures et,
De nombreuses molécules après avoir mis en évidence
extraites de la nature – leurs propriétés thérapeuti-
plantes et autres organismes ques, il a su les « recopier »
vivants, de la terre comme de en les synthétisant au labo-
la mer [1] – ont démontré leur ratoire, puis dans les réac-
grande utilité pour combattre teurs industriels à l’échelle
de nombreuses maladies. En de la tonne, pour aboutir, dix
les étudiant, les chercheurs à quinze ans plus tard, à la
ont pu élucider les méca- distribution de médicaments
nismes cellulaires complexes sur le marché.
sous-jacents à leur acti-
vité thérapeutique. C’est 2.1.1. Taxol et Taxotère®, une
ainsi qu’ils ont découvert de histoire de chimiste
nouvelles « cibles thérapeuti- L’histoire du taxol, ainsi que la
ques », à savoir des entités de découverte et la commerciali-
notre organisme (protéines, sation d’un de ses dérivés, le
ADN, etc.) sur lesquelles Taxotère®, sont emblémati-
peuvent agir des médica- ques des bienfaits à attendre
ments pour nous soigner. de l’exploitation de la diversité
Poussant encore plus loin des substances naturelles.
leur recherche, ils ont ainsi Depuis la caractérisation
pu concevoir de nouvelles des propriétés antitumorales
molécules, ressemblant aux du taxol, molécule naturelle
produits naturels, mais avec extraite de l’if, il s’est écoulé
des propriétés thérapeuti- trente ans avant d’aboutir à la
ques encore meilleures. Cette commercialisation du médi-
démarche a permis de réaliser cament Taxotère®. En voici le
de grandes avancées, si bien récit.
que 61 % des nouvelles molé- C’est en 1962 qu’un botaniste
cules chimiques introduites américain, Arthur Barclay,
comme médicaments au cours découvrit les propriétés inat-
de la période 1981-2002 sont tendues des extraits d’écorce
inspirées de produits natu- d’un arbuste anonyme,
rels (78 % des antibactériens, un if présent dans les
74 % des anticancéreux), ce forêts primaires de l’Ouest
chiffre atteignant 80 % en (Figure 5). L’extrait actif, qu’il
2003. Ainsi le chimiste est à appela taxol, fut purifié par
l’écoute de la nature et sait le chimiste Monroe Wall et
s’en inspirer, comme expliqué son mode d’action, original,
dans le chapitre de D. Mansuy élucidé en 1979. Les travaux
(paragraphe 3 : « La chimie menés durant cette période
d’après le vivant »). avaient nécessité une centaine
Cette rencontre fertile entre de kilos d’écorces séchées ce
le chimiste et la nature peut qui représentait le sacrifice 83
La chimie et la santé
Le caractère itératif de la synthèse peptidique sur support solide a permis de mettre au point
un procédé automatisable, dont le succès a conduit dans les années 1990 au développement de
la « synthèse combinatoire », généralisée à d’autres types de réactions chimiques simples.
Cette méthode a suscité un large engouement dans le domaine de la chimie pharmaceutique,
du fait de la possibilité qu’elle offre de synthétiser des collections entières de molécules
(appelées « chimiothèques ») à l’aide d’opérations très simples et automatisables.
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De la conception du médicament à son développement : l’indispensable chimie
Son principe est simple : alors que la chimie classique fait réagir un produit A sur un produit B
pour obtenir la molécule A-B, la chimie combinatoire utilise une famille de réactifs Ai
(A1, A2..., An) et les fait réagir sur une famille de Bj (B1, B2..., Bm). On obtient ainsi une
combinaison de n × m produits différents Ai-Aj.
Le chapitre de J.-P. Maffrand décrit les moyens dont dispose l’industrie pharmaceutique pour
tester ensuite des milliers voire des millions de petites molécules en peu de temps, ainsi
que les applications de ce procédé dans la recherche de médicaments sur des cellules ou
organimes vivants, en vue d’identifier des candidats médicaments.
Figure 9
A. Synthèse séquentielle : en premier lieu, le premier acide aminé, d’abord « protégé », est greffé au
support solide (boule bleue) ; après déprotection, on y greffe le deuxième acide aminé lui-même protégé ;
on déprotège ce deuxième acide aminé, auquel on greffe alors le troisième, et ainsi de suite.
B. Synthèse convergente : on assemble plusieurs fragments de peptides, obtenus chacun par synthèse
séquentielle.
Bibliographie
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