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Corps, âme, esprit : l’encre et les artistes chinois d’aujourd’hui

Introduction

Le graphisme chinois est clair, net, précis, sans surcharge et sans bavure : il reflète bien la « tenue » des
corps, des âmes et des esprits selon leur philosophie, leur culture et conception de vie. Du noir, sur un fond blanc : là
aussi, dans le choix des non-couleurs, la netteté, le minimalisme, l’essentiel… Parfois l’artiste se permet une petite
touche rouge, pas plus…

L’utilisation de l’encre, plutôt que d’autres matériaux, est aussi significative : l’encre permet la nuance créant une mul-
titude de noirs. De même, que ce soit le comportement, la décoration d’intérieur des logements sont ordonnés, nette,
essentielle. L’encre, telle qu’elle est utilisée dans l’art de la calligraphie ou les œuvres d’art , est la parfaite illustration
de cet art de vivre, de cette conception, qui va à l’essentiel, en tout. Il n’y a pas d’effusion désordonnée, spontanée
dans le comportement des Chinois : mesurés, dans la retenue, mystérieux, même lors d’un deuil, ils se retiennent,
par politesse, car la retenue des émotions est de la politesse, en toute circonstance. (Confucius).

Francois Cheng définit l’âme comme ce qui nous permet de désirer, de ressentir, de nous émouvoir, de résonner, de
conserver mémoire de toute part, même enfouie, même inconsciente de notre vécu et, par-dessus tout, de communier
par affect ou par amour. L’esprit est ce qui permet de penser, de raisonner, de concevoir, d’organiser, de réaliser,
d’accumuler consciemment les expériences en vue d’un savoir et enfin de communiquer par échange. Le corps, quant
à lui, est la partie matérielle d’un être animé.

Nous allons donc nous demander sous quels aspects les artistes chinois d’aujourd’hui marquent une symbiose entre
corps-âme-esprit et l’encre, en respectant les traditions des maîtres.

J’ai souhaiter répondre à cette problématique à travers les différents rencontres d’artistes contemporain que j’ai eu la
chance de rencontrer. Ces artistes on comme médium de prédilection l’encre comme beauté d’écriture. Ces ren-
contres permettent de mettre en exergue l’importance de l’amitié franco- chinoise, et l’importance et le rôle de la
France et particulierment Paris comme ville lumière d’inspiration.

Pour commencer, nous allons nous pencher sur la philosophie chinoise face à la tradition, pour ensuite étudier
l’encre de Chine et ses pratiques, puis pour finir, nous allons nous positionner sur les phénomènes du corps, de l’âme
et de l’esprit à travers l’art.

I La philosophie chinoise face à la tradition

1 La puissance de la tradition

L’encre dans l’art contemporain chinois trouve ces sources dans la philosophie et les écrits anciens. En ef-
fet, toute forme d’art est fondamentalement basée sur des courants de pensée philosophiques. L’art pictural chinois,
contemporain ou non, est fortement influencé par deux courants philosophiques : le taoïsme est fondé sur l’union de
Yin et du Yang, c’est dire sur l’union des opposées pour atteindre l’harmonie. Et le confucianisme qui d’être en harmo-
nie avec le monde qui ce trouve autour de nous par les les principes de bienveillance. Pour résumer rapidement, il re-
pose sur le fait que l’Homme est en harmonie avec le Ciel. Cela s’explique par le fait que, dans la peinture chinoise, le
paysage occupe une place centrale.

L’art pictural chinois est basé sur le « xieyi », c’est-à-dire « l’écriture de l’idée ». Cette notion détermine la manière de
définir les traits. En effet, le travail à l'encre contient une notion de rapidité, de spontanéité. La pensée confucéenne
veut que la « qualité » de la peinture soit déterminée par les mœurs, les expériences et les réflexions de l’auteur. Il
observe la réalité, puis cherche à en saisir les sensations subtiles et à représenter l’essence des êtres.
C’est a travers cinq axes que la tradition du travail à l’encre dans l’art chinois que ce dernier respire comme une un vi-
vant. La première est la notion de perspective qui est tantôt aérienne tantôt cavalière, où chaque élément prend la
proportion qu’il a réellement. Ensuite, la peinture chinoise est plutôt subjective, et découle de la représentation d’une
expression des idées, de la conscience et de la spiritualité. Puis, la couleur de l’encre ne reproduit pas les couleurs
réelles du monde et l’art est essentiellement composé de traits, où chaque tableau contient des espaces de vide. Aus-
si, les couleurs sont relativement symboliques et ambiguës, l’objectif étant de présenter la tonalité de la finalité.
L’encre peut aussi provoquer richesse de couleurs et illusion de jeux de lumière. Enfin, le support de la peinture chi-
noise est très léger, les feuilles sont fines et les poils du pinceau sont extrêmement souples. Les artistes tracent les
traits d’un seul trait là ou dans l’art occidental par exemple il y a superposition de couches de peinture ou de couleurs.

Ces axes de la tradition sont les maîtres mots de l’artiste Jiang Dahai, que j’ai eu le plaisir de rencontrer dans son ate-
lier à Maison Alfort. Un artiste contemporain exposé lors de la Carte blanche organisée par le musée Guimet. L’encre
à une place importante dans son travail et les traditions sont la force de son empreinte artistique.
En effet l’artiste Jiang Dahai utilise la technique du Po Mo et du Ji Mo sur ses œuvres. En superposant les gouttes
d’encres et en les recouvrant à plusieurs reprises, elle crée une osmose de couleurs. Il s’agit de couleurs qui varient
entre le noir, blanc et gris, mais en combinant les couleurs occidentales, il peut concevoir de nouveaux noirs, de nou-
veau blanc et de nouveaux gris et d’une plus grande richesse selon Jiang Dahai.

La peinture chinoise est l’une des plus anciennes traditions artistiques au monde. Le peintre est également considéré
comme un philosophe et un sage et porte ses représentations sur quatre thèmes principaux : les paysages, les ani-
maux, les fleurs et les plantes. Il vise à reproduire la réalité la plus intime et se veut de représenter le monde naturel.

2 Beauté et puissance du naturel et de la retenue à travers l’encre

On explique la conception et la philosophie chinoise concernant le comportement et la retenue émotionnelle, la domi-


nation de l’esprit. Cette domination de soi est une « politesse » et une culture : Confucius enseigne comment se com-
porter en public avec civilité et retenue. On n’exprime aucune émotion. Pour les Occidentaux les Chinois sont mysté-
rieux, car ils ne laissent rien transparaître. L’encre est représentative de cette retenue. La corporéité ne laisse rien
transparaître. Les émotions sont toujours tenues en bride, au point qu’on peut y devenir insensible dans une certaine
mesure. Cette retenue est, selon la culture chinoise, une civilité, une sorte de noblesse, une discipline de l’âme et du
corps.

Le type de travail visant à représenter la nature a pour but de soustraire le spectateur, mais aussi l’artiste lui-même à
sa vie quotidienne, qui lui paraîtrait monotone. Il vise à stimuler les sentiments de paix et de sérénité. Il représente
donc les montagnes, fortes et hautes demeures des dieux, et les eaux, fluides et douces. En effet, la philosophie
taoïste que nous avons évoquée plus haut, pense que les hauts sommets des montagnes comme le Yang, et les cou-
rants d’eau qui les traversent comme le Ying, créent un équilibre entre les deux derniers éléments.
Cette méthode de reproduction se transmet depuis plus de 1500 ans, et continue à être la base d’un certain aspect de
l’art contemporain chinois, le Shan Shui, qui continue à être étudié avec une sensibilité certaine. La tradition se re-
trouve donc depuis des années, ce qui est très important pour les artistes contemporains, expriment souvent des cita-
tions directes de chefs d’œuvres du passé. La peinture de l’artiste d’Art majeur Lianxiang Jiang est un exemple clas-
sique de Shan Shui. Il représente en effet des paysages rocheux paisibles avec arbres et maisons, entourées d’eau,
peints sur un support typique : du papier fin. Les œuvres véhiculent avec tradition un sentiment de calme et de séré-
nité et rappellent les grands classiques du genre. Zhao Mengfu par exemple, ayant vécu sous la dynastie Yuan,
peintre et calligraphe chinois.

La palette de couleur des œuvres de Jiang Dahai s’apparente également à un mélange entre couleurs douces et par-
fois intenses, mêlant ainsi ancienne tradition et influence des plus grands maîtres chinois.

L’artiste suit également la tradition en accompagnant sa peinture par une calligraphie, soulignant les limites de
l’homme face à la puissance et à l’immensité de la nature. Ainsi, l’œuvre nous invite à l’introspection et à l’isolement,
en plus d’être majeure par son élégance de traits stylistiques traditionnels.
L’harmonie, le calme et le raffinement du Shan Shui traditionnel de l’artiste nous entraînent dans une atmosphère de
paix, d’harmonie et de contemplation simple de la beauté de la nature qui caractérise les plus grands chefs d’œuvres
de ce genre.

3 Le contexte sociopolitique
Le contexte sociopolitique de l’art contemporain chinois semble complexe à définir. Pourtant, quelques élé-
ments sont clos. En Occident, la perception principale et globale que l’on peut avoir sans trop s’y attarder entre la
Chine l’art contemporain est la défiance du régime de Pékin envers un certain nombre d’artistes. En effet, avant l’an
2000 il n’existait pas vraiment de marché d’art contemporain chinois, à la différence de l’Europe et de l’Amérique du
Nord, ou les pôles centraux forts sont Paris, puis Londres, puis New York, depuis des années. ( parler davantage de
la révolution culturelle)

L’évolution est cependant impressionnante : ne partant de rien et s’appuyant sur des investissements colossaux, le
marché de l’art contemporain chinois s’est développé à travers une émergence de structures afin de permettre un dé-
ploiement de ce marché. Soutenu à la fois par l’État et par le secteur privé, cet élan met en évidence la façon dont
l’art contemporain peut être utilisé comme instrument de soft Power : ici afin de diffuser la grandeur de la Chine à l’in-
ternational.
De zéro en 2000, les musées d’art contemporain sont à présent 88 privés et 42 publics en 2019. Les foires d’art
jouent également un rôle essentiel dans l’élaboration de cette expansion. Un marché culturel se crée donc, se trans-
formant même en une industrie culturelle, c’est-à-dire une filière de production, de production, de distribution de biens
et de services qui n’existaient pas avant.

II. L’encre et ses pratiques

1 ) L’encre de chine, une histoire

Nous allons à présent nous concentrer sur un aspect et la technique fondamentale de l’art chinois : l’encre de
chine. L’encre de chine est un type d’encre essentiellement utilisé pour l’écriture, le dessin et la peinture. Elle se pré-
sente comme un prestige exceptionnel auprès des artistes, qui mettent en avant son caractère inaltérable et définitif,
et jouit d’une réputation de produit mystérieux, issu de fabrication secrète ancestrale. D’un point de vue de l’histoire
de l’art, l’art qui prévaut depuis un millénaire, c’est l’art du lavis, l’utilisation de l’encre sur du papier ou de la soie (+
précieux). Encre, papier et soie ont été inventés par les Chinois. Les supports étaient disposés en forme de rouleau.

C’est sous la dynastie des Song (960-1278) qu’on commença à faire l’encre avec du camphre et du musc. Tchang-yu
était le fabricant le plus célèbre. Les bâtons long chiang-ki ou encres parfumées au dragon étaient destinés au palais
impérial. Il fabriquait aussi des boules d’encre ornées de dragons enroulés et de l’encre parfumée au musc. Chaque
région et chaque fabricant eut, au fils des époques, ses secrets de fabrication : poudre de riz parfumée infusée dans
une décoction de l’hibiscus mirabilis, huile de pétrole de lampe, écorce de grenadier délayée dans du vinaigre.

Si l’encre de Chine vient donc de ce pays, et quoique son principe de fabrication soit environ stable, il a existé une va-
riété illimitée d’« encres de Chine différentes selon les lieux et les époques. Les premières encres, tant en Chine et
en Orient généralement, qu’au Proche et Moyen-Orient, puis en Europe, sont toutes à base de noir de fumée. L’encre
de Chine se distingue des encres au plomb ou à base d’oxydes métalliques fréquemment utilisés en Occident.

L’encre de Chine peut se trouver sous forme liquide (en tube ou pots) ou solide (sous forme de bâton). L’encre de
Chine se dilue toujours dans l’eau après séchage et est un peu bleutée. Les recharges pour stylo-plume ou stylos
billes sont plutôt des encres de type ferrique. Celles pour pinceaux, ou celles utilisées pour du dessin industriel
contiennent des additifs pour les adapter à l’usage qui en est fait (fluidité/viscosité, séchage, opacité, tenue à la lu-
mière, etc.). Si déjà dans la fabrication de l’encre la réalisation et donc par le travail du corps, dans la réalisation gra-
phique le corps est présent à chaque étape. Avant d’exercer l’encre, on se prépare comme un Pianiste qui ferait des
gammes pour jouer. Cela permet de libérer le mouvement et de ne pas être crispé. Ce travail du corps et de soi-
même permet donc de se mettre en condition.

2 La pratique de l’encre :

Des lignes d’un noir intense dans un fond blanc immaculé, le plus vide possible : tel est l’art chinois. Tout le superflu
est éliminé. On va à l’essentiel. On ne s’éparpille pas. On ne démontre pas. On laisse l’imagination libre de faire son
travail selon le spectateur. Il serait inconcevable de se laisser aller. La morale et la culture de la correction chinoise
(telle que renseignée aussi par Confucius) interdisent les effusions, dans tous les domaines. Les émotions, les effu-
sions, expriment du désordre. D'où l'importance de l’âme dans le travail artistique à l’encre pour réponde à la pratique,
Francois Cheng disait « l’âme humaine qui y répond, par la création artistique à multiples facettes »

J’ai eu le privilège de rencontrer l’artiste Li Chevalier, lors de ma visite dans son atelier nous sommes envahi par la
simplicité du lieu, mais également la force des murs que respire son atelier. Un sol dur, mais des murs poétiques par
les œuvres accrochées. En parlant du sujet que j’ai choisi traité, elle s'identifie rapidement à la conception ternaire :
corps, âme, esprit à travers l’encre. Elle m’écrit ces quelques mots pour me montrer l’importance et la spontanéité de
l’encre à la manière des surréalistes. Selon Li Chevalier, « L’art classique européen part souvent d’un dessein préa-
lable, et se déploie avec des règles de composition parfois strictes. Ces règles articulent les figures et les masses
dans un ensemble bien pensé. L’introduction de la perspective monoculaire a même donné une qualité mathéma-
tique dans cet art où l’esprit prime sur l’intuition. La peinture à l’encre, tel que je la pratique, ne peut en aucun cas,
être prise dans les rets d’un tel filet rationnel. L’encre de Chine est un médium fluide, un médium peu adapté à des
constructions mathématiques ou des jeux de clair-obscur. Mes œuvres sont donc nées sans esquisse préalable et
elles sont condamnées à une suite d’improvisations, soutenues par des gestes rythmées. Plutôt que de privilégier
l’évidence, je décrypte l’ambiguïté dans des zones de transition, partant d’un flou vaporeux sans vision globale et
sans soutien d’un schéma mûrement prémédité, de ceux qui échouent souvent sous la menace constante des acci-
dents et des imprévus. Le corps et le souffle s’entretiennent alors dans un rapport quasi “hypnotique”, minimisant le
plus possible, la médiation intellectuelle » à travers ces profonds mots qu’elle me confia nous comprenons que si la
pratique, s’apparente à une gymnastique et une habitude répétitive, l’évidence du geste n’est pas présent, mais l’ins-
tant présent s’impose comme une force dans la peinture à l’encre.

3 Un regard nouveau : tradition et contemporain

( ZO VOU KI / CHU TEN CHUN parler de la couleur des contemporain)

Gao Xingjian debout sur une feuille de papier étalée sur quelques mètres, Gao Xingjian a dans sa main gauche un bol
d’encre et dans l’autre, un pinceau. Il vide tout à coup le contenu du bol sur la feuille. Les pieds nus, il fait quelques
pas dans l’encre. Gao Xingjian a été désigné, prix Nobel de littérature, une distinction prestigieuse et désigné comme
un artiste total. Dans sa classification des arts, la peinture est au-dessus de l’écriture, car selon lui, elle est un mode
d’expression suprême qui donne de la voix aux idées lorsque les mots semblent trop légers. Gao Xingjian est origi-
naire de Guangzhou, une région du sud de la Chine. I Tournant dos à la peinture à l’huile, il jeta son dévolu sur l’encre
de Chine créant des œuvres oniriques et spirituelles, qui se frayent un passage entre traditions occidentales et Chi-
noises, entre figuration et abstraction. Mais les autorités chinoises ont tôt fait d’interdire ces œuvres et celles qu’il réa-
lisera par la suite.

Dans le Taoïsme zen, le vide a une grande valeur et un charme particulier. Il constitue l’origine et la finalité de toute
chose. Épousant cette idéologie, à travers ses œuvres, on voit un artiste toujours en marche, engagé dans une quête
interminable. Elles résument assez bien la réalité de notre temps et le chaos qui le caractérise. Gao est perçu, tel cet
artiste qui s’inscrit dans la démarche philosophique et culturelle de la théorie de l’Absurde et qui tente d’expliquer
l’existence humaine. Même dans ses développements sur l’individu et la vie, il garde les idées claires. Selon Gao, l’ar-
tiste a besoin de liberté pour explorer l’univers et qu’il ne devrait obéir qu’à ses propres règles. Il utilise une technique
qui n’exclut pas l’encre sur papier, quelquefois montée sur toile, et l’encre sur toile enduite.

Gao Xingjian est un auteur très connu pour ses grandes œuvres extraordinaires répandues à travers le monde. Aban-
donnant la calligraphie conventionnelle, il associe les techniques de superposition de couches fines, comme on en
voit dans son travail à l’encre, pour créer sa touche particulière. Par cette superposition de couches d’encre à
intensité variable, il fait voyager son spectateur à travers des vagues et des images qui semblent lointaines ou inexis-
tantes. Grâce à cette finesse développée au fil du temps pour maîtriser la direction de l’encre, il est devenu très cé-
lèbre.

Son atelier est de fait un lieu d’autoréflexion, grand et silencieux, au sol noir et aux murs blancs qui respectent le si-
lence imprimé au cadre, et ne sont encombrés d’aucune décoration. Les grandes tentures qui cachent les fenêtres
voilent bien la lumière qui pénètre cet espace.

Pour réussir une telle gymnastique pourtant fastidieuse, il se plonge dans un dénuement total et un vide profond avant
d’entamer ses réalisations. Sur les surfaces planes de ses créations, les zones sombres et claires offrent un spectacle
spécial dans lequel transparaît une profondeur tridimensionnelle. Et pour y parvenir, il n’hésite pas à exploiter toutes
les nuances de gris contenues dans l’encre de Chine.

III. Phénomènes du corps, de l’âme et de l’esprit

1. Le corps au service de l’art et de l’artiste

Nous allons maintenant nous pencher sur la question du corps, de l’esprit et de l’âme en art, spécifique-
ment dans l’Art chinois contemporain. Le corps pose problème dans les arts et la philosophie depuis l’Antiquité. Le
corps comme une machine, ou vu comme un obstacle à l’âme, il nous fait tour à tour défaut ou nous fait survivre jus-
qu’à l’au-delà pour les croyants. Dans la pensée chinoise ou occidentale, on compare traditionnellement le corps hu-
main au cosmos ou à la nature environnante. Là où il s’agit de regarder le corps humain comme un microcosme, lors-
qu'on regarde le cosmos comme un grand corps ! Les Chinois anciens pensaient que le corps humain et la nature se
composaient d’un même matériel fondamental, le « Qi » par lequel ils pouvaient communiquer entre eux. Dans cette
pensée, le corps humain était un assemblage de plusieurs « Qi » qui retournent à la nature quand on meurt. L’art
contemporain en prend les questionnements à son tour pour se positionner selon les artistes.
Selon Li Chevalier lorsque l’artiste peint devant moi, elle m’évoque l’importance du corps dans son travail. Elle me di-
sait que « dans cette relation en dualité avec le corps, s’agissant de l’âme ou de l’esprit, la croyance orientale ex-
clut tout type d’antagonisme. Elle y voit plutôt un jeu d'équilibristes qui entraîne le monde dans un éternel mouve-
ment. L’âme et le corps sont en parfaite symbiose. Le corps agit sur l’esprit, l’âme anime le corps. ».

En effet le corps a une importance dans l’exécution d’une œuvre, comment créer sur support si notre corps est blo-
qué. On devient inefficace. L’utilisation de l’encre nécessite incontestablement du corps pour délivrer une œuvre d’art,
nous sommes donc à l'opposé de l’art conceptuel, préconisé par Joseph Kosuth, qui selon lui l’art est une idée et
qu'est formes ne sont que des instruments au service de l’idée. Alors que pour les artistes chinois utilisant l’encre, les
formes sont l’idée. Ainsi le corps est au service de l’art et en devient l'énergie créative pour peindre à l’encre pour être
enfin libre du corps et de penser. Jiang Dahai me disait que « Finalement le geste de Ji Mo (qui signifie les gouttes
d’encre accumulée) introduit une certaine liberté dans le tableau. Car c’est en marchant et en se déplaçant que le ta-
bleau est réalisé, et la liberté du corps et le rythme de la respiration se manifestent dans l’œuvre achevée, tout en y
ajoutant un élément de hasard et d’inattendu », lorsque l’artiste se mit à peindre devant moi, le corps est en mouve-
ment perpétuel comme une chorégraphie. Les pas ce reproche l’un à l'autre pouce se déplacer, le poignet est tendu
et enfin relâcher, et ça de manière répétitive. La musique autour de lui pénètre son corps et en ressort une émotion.
Tantôt les gouttes sortent du cadre de la toile tantôt elle se perce sur cette dernière, se fondant dans la couche des-
sous, mais fait ressortir la goûte à côté comme un jeu de la balance.

De plus, l’emploi du corps est aussi une poursuite de la liberté. Dans les limites politiques, économiques et sociales,
les artistes contemporains chinois trouvaient qu’ils ne possédaient rien d’autre que leur corps. Leur corps est devenu
le seul matériau sans limites pour exprimer leur liberté individuelle. Ils pouvaient montrer, maltraiter et vendre leur
corps pour éprouver la résistance du corps. La résistance à la souffrance du corps est devenue la jouissance de la li-
berté. Tel que l’artiste Ma Desheng fait valoir dans son œuvre. Fondateurs du groupe les étoiles, qui impose la liberté
d’expressions. Jiang Dahai me disait justement que « La liberté est l’âme de l’art ».

Parler + de Ma DESHENG
Selon Descartes : « L’âme est d’une nature qui n’a aucun rapport à l’étendue ni aux dimensions ou autres propriétés
de la matière dont le corps est composé » (Les Passions de l’âme) ; ce qui nous amène à nous pencher sur le pont
entre le corps et l’âme et l’esprit.

2 — la métamorphose de l’âme et de l’esprit

« Comment, en effet, pourrait-on parler de l’âme sans parler de l’esprit ? Chacun des deux est une entité douée de
capacité d’agir. » disait François Cheng. Un autre aspect du corps, de l’esprit et de l’âme est la métamorphose. Les
pratiques de métamorphose du corps des artistes occidentaux ont beaucoup influencé l’art contemporain chinois. Se-
lon la conception taoïste en effet, après la mort de chaque être, son po, « âme corporelle », réintègre la Terre, tandis
que son Hun, « âme spirituelle », gagne le Ciel.

Si l’âme est considérée comme le principe spirituel de l’homme et nous renvoie vers le sensible et le mystique, l’es-
prit évoque plutôt le principe de la pensée, de l’intelligence qui rationalise nos regards dans nos rapports avec le
monde et avec soi.

Étymologiquement, l’âme, en substantif, est ce qui anime.. . C’est le moteur de l’action. Nos diverses convictions
nous font croire qu’elle est soit d’origine naturelle, le souffle vital, soit d’origine divine, Dieu . L’artiste Li Chevalier
me rappelle que « Dans la langue chinoise, on distingue l'âme, 灵魂, du souffle d'âme, entendu comme inspira-
tion transcendante,engendrée par l'âme. 灵气. C’est ce souffle d’âme, inspirateur transcendant, qui agit comme le
principe premier de la création. »

Disons qu’au niveau d’un individu, l’esprit est grand et l’âme essentielle, que le rôle de l’esprit est central et celui de
l’âme fondamental

3 — la synergie : Corps, âme, esprit

Corps et âme sont solidaires, c’est une évidence. Sans âme, le corps n’est pas animé ; sans corps, l’âme n’est pas
incarnée. Disait Francois Cheng, le liant est alors l’esprit ? Le paysage intérieur du corps humain mystérieux a ouvert
un espace privé et nous a offert une lumière spirituelle. L’artiste Li Chevalier a fait beaucoup de recherches sur le
corps, mais aussi sur son environnement et son esprit. Son but était de rechercher la nature humaine et l’univers par
un certain point de vue afin de combiner l’énergie associée. Lors de mon parcours de rencontres d’artiste chinois utili-
sant l’encre comme procédé créatif, je me suis rendu dans l’atelier de Shan Weijun à La Verenne Saint Hilaire. C’est
par l’accumulation de différentes nuances d’encre l’égarement appliqué et par un travail de répétition défait que son
paysage apparaît de façons très réalistes, une sensation de pureté face à la nuance de son procédé. On cette part
dans ces points lorsque nous nous approchons de plus prêts découvrant les centaines de nuances embrassant le pa-
pier. En lui posant la question : quelle est ta relation entre ton travail et la conception ternaire il me disait instinctive-
ment que « le Ciel et terre ne font qu’un avec moi et je vis en symbiose avec toutes choses. Je me questionne tous
les jours sur mon travail, s’il faut pointillés, teinter, laver ou effacer le point ou les milliers de points infinis, pour se rap-
procher au plus près de la nature, afin de trouver une vérité qui m’est propre, venant de mon âme, et ainsi espérer at-
teindre une vérité universelle à l’esprit.
Cette remise en question est en constante évolution, traduite par les nombreuses traces liées à l’encre, au lavage ou
à l’effacement ou encore par les couches de points superposées. Ces traces et ces superpositions forment alors un
tout, reflétant un degré d’intensité, de profondeur, d’espace, de temps et de latitude dans un champ naturel et poé-
tique. La peinture vient de l’âme, l’esprit est libre et sans obstacle. Grâce à l’utilisation de matériaux caractéristiques
de la peinture chinoise, l’encre pure pianote une partition de musique sur le papier de riz. Le cycle naturel est alors
purifié et absolu. L’harmonie et l’éternité sont ramenées par le silence, la pureté, et la sérénité de l’esprit. »
À travers ce court extrait, nous comprenons que la synergie entre le corps, l’âme, et l’esprit en devient un but, un ob-
jectif, un destiné dans son travail. Il me confie qu’il lui arrive de se réveiller en pleine nuit pour se remettre à travailler
afin de rajouter quelques points sur une des ces œuvres, comme une partition inachevée que l’artiste modifie sans
relâche pour trouver un équilibre. Le corps est alors toujours à l’éveil de l’esprit, pour surgir l’idée, le ressentis ou une
émotion qui sera se sensibiliser par l’âme pour essayer de la reproduire sur l'œuvre.

Conclusion :
Pour conclure, nous avons pu voir que la tradition artistique chinoise était et demeure forte, en nous questionnant sur
la puissance de la tradition, la beauté et simplicité du naturel, et la beauté contenue ou la sobriété d’un art. Nous
avons également pu constater que l’encre de chine était bel et bien une pratique à part, au travers de son histoire, de
sa calligraphie, et des contemporains qui l’ont repris. Pour finir, nous avons pu voir les phénomènes du corps au tra-
vers du corps sacrifié, du rôle de l'âme, de l’esprit et des métamorphoses.
Nous avons donc pu nous interroger sur le lien encre et corps-âme-esprit, qui sont fort étroits et proches, comme
nous avons pu le constater grâce aux différents artistes entrevus.
Jiang Dahai termina par me dire que le « corps, l'âme, l'esprit est comme une tringle indissociable de mon œuvre »

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