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Biographie de l’auteur :
Guillaume Prigent Ancien élève de Sciences Po-Paris, il y a remporté
plusieurs concours d’éloquence avant de devenir professeur d’art oratoire à
l’université Paris-Nanterre, juré de concours d’éloquence et formateur
Eloquentia. Il a par ailleurs travaillé dans le conseil en stratégie de
communication et la communication de crise.
D’AUTRES IDÉES À DÉCOUVRIR EN LIBRIO
Magie et art oratoire ont un point commun : celui qui les manie nous
fait accepter quelque chose qui contrevient à nos certitudes et pour lequel
nous aurions été prêts à jurer l’instant d’avant que c’était impossible ou
faux.
Dans le procédé rhétorique, comme dans le tour de magie, chacun
d’entre nous suspecte que celui qui nous fait face trompe notre vigilance
grâce à un artifice. Et, sur le chemin pour rentrer chez soi, de se remémorer
encore et encore la discussion qu’on vient de perdre, ou le spectacle auquel
on a assisté, pour chercher le moment où nous avons été dupés.
Décortiquons un peu la logique du tour de magie. Il est d’abord
composé d’une « promesse » : le magicien montre à son public une chose
d’apparence ordinaire, mais qui est en fait truquée et grâce à laquelle il va
pouvoir manipuler son public. Ensuite vient le « tour » : le moment où ce
qui paraissait inoffensif et anodin accomplit une prouesse extraordinaire qui
surprend les sens du public et stupéfie son intelligence.
Il est tentant de faire le parallèle avec l’utilisation d’un ou
de plusieurs des 38 stratagèmes de Schopenhauer. La « promesse » serait
cette proposition ou cette question d’apparence simple et honnête que vous
soumettez à vos adversaire et public, d’apparence seulement, car elle porte
en elle un mécanisme caché, à retardement, qui n’attend que le moment
opportun pour se déclencher. Vient alors le « tour » : les vraies portée et
nature de votre proposition apparaissent et désarçonnent l’adversaire, qui ne
sait comment se remettre en selle…
Comment se défendre de ces redoutables stratagèmes ? Il faut apprendre
à les reconnaître, mais aussi à s’en servir pour mieux les déjouer. En
connaissant d’abord la meilleure des défenses : savoir dire à celui qui s’en
sert contre vous et à ceux qui seraient tentés de le croire : « Voici ce que tu
es en train de faire, ça ne marchera pas avec moi. » Pour cela, encore faut-il
les faire siens et garder à l’esprit que gagner un débat – avoir raison aux
yeux du public – ne signifie pas forcément que l’on a raison dans le fond –
qu’on détient la vérité.
De même qu’il n’existe pas de meilleure manière de se protéger d’une
maladie qu’un vaccin, cet ouvrage se propose d’inoculer en chacun de vous
une petite dose, inoffensive, de
rhétorique et de mauvaise foi. Les 38 stratagèmes d’Arthur Schopenhauer y
sont reproduits, explicités et rendus accessibles à tous, puis suivis d’une
illustration claire et, surtout, du moyen de s’en défendre.
Stratagème 1
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Laurent Ruquier : Mais alors, par exemple, vous êtes quand même
d’accord pour dire que certains accusés vont avoir la possibilité d’avoir une
armada d’avocats qui vont savoir dénicher le vice de procédure, chose que
tout le monde ne peut pas avoir… Est-ce que ça n’est pas une injustice ?
Laurent Ruquier : Et donc pour la justice aussi, elle est à deux vitesses ?
Dans cet exemple, on comprend aussitôt que les quatre noms communs
désignent alternativement la lumière au sens propre et au sens figuré. Mais
l’illusion fonctionne dans certains arrangements plus subtils, où les
concepts désignés par une même expression sont eux-mêmes si proches
qu’ils se recoupent.
EXEMPLE 1
A : « Vous n’êtes pas encore initié aux mystères de la philosophie
kantienne.
B : — Ah, les gens qui font des mystères, très peu pour moi, merci. »
EXEMPLE 2
J’ai qualifié d’absurde cette loi de l’honneur qui veut qu’on soit
déshonoré après avoir subi un affront, à moins d’infliger en retour un
affront plus grand encore, ou de laver l’affront subi par le sang, que ce soit
celui de l’adversaire ou le nôtre ; j’ai argué que l’honneur véritable ne
pouvait être blessé par ce que nous subissons, car on n’est à l’abri de rien,
mais uniquement par ce que nous faisons. Mon adversaire s’est attaqué à cet
argument, me démontrant avec brio que si un commerçant est accusé à tort
d’escroquerie, de fraude ou de négligence dans son affaire, c’est un coup
porté à son honneur, qui se retrouve alors bel et bien compromis par
quelque chose qu’il subit. La seule manière pour lui de rétablir son honneur
est alors de se faire justice de son détracteur et de le désavouer.
Ainsi, par glissement sémantique, mon adversaire a substitué une notion
à une autre, assimilant l’honneur au sens de réputation, compromis par la
calomnie, à l’honneur dans l’acception de la littérature chevaleresque,
qu’on retrouve également dans l’expression point d’honneur, compromis
quant à lui par l’affront. Et parce qu’on ne peut pas laisser impuni un coup
porté à cet honneur-là, mais qu’on doit pour y répondre obtenir
publiquement réparation, on serait tout aussi fondé, en cas de coup porté à
notre réputation (c’est-à-dire à notre honneur au premier sens), à y répondre
par un affront plus grand encore et par le duel. On a donc ici affaire à un
amalgame entre deux choses fondamentalement différentes, par le jeu de la
polysémie du mot honneur : il en résulte un déplacement de la question
(mutatio controversiae).
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
Les mots forment les matières premières d’un débat. Et, comme un
même mot peut avoir plusieurs sens, l’une des clefs d’un débat est de
parvenir à imposer des définitions qui nous arrangent pour les principales
notions qui seront utilisées. La thèse de l’adversaire peut en effet être juste
avec le sens premier d’un mot, mais fausse ou scandaleuse si l’on utilise un
autre sens de ce même mot. En redéfinissant un des termes essentiels de la
discussion qui vous met en difficulté, bien évidemment dans un sens qui
vous soit plus favorable, vous pouvez faire basculer le cours du débat et
reprendre la main.
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Thierry Wolton : Quand on regarde le monde d’aujourd’hui, moi, je suis
un passionné du monde d’aujourd’hui, je veux dire que ça soit ce qui se
passe en Europe centrale et orientale avec certains gouvernements qui sont
très autoritaires – je pense à la Hongrie, je pense à la Pologne –, ce sont des
pays qui ont du mal à s’adapter à la démocratie, même s’ils ont intégré
l’Europe. Je pense évidemment à la Russie d’aujourd’hui, avec des
oligarchies, avec un président tout-puissant, etc. Qui est aussi un héritage
quelque part du communisme, lui-même étant d’ailleurs un ancien agent de
la police politique, des services secrets, du KGB. Bon, je pense à la Chine
aujourd’hui qui reste un pays communiste bien sûr et qui évidemment a des
ambitions internationales.
Pierre Laurent : Vous, vous pensez que la Chine aujourd’hui est un pays
communiste ?
Pierre Laurent : Parce que tous les gens qui parlent de la Chine, et qui
en parlent sérieusement, ont beaucoup de mal à dire ce qu’est la Chine
aujourd’hui. La Chine, c’est un pays qui est très complexe, très difficile à
lire, et vous dites avec beaucoup de certitude : « C’est le communisme en
Chine. » Moi, je lis tous les gens qui travaillent sur la Chine, je suis allé
plusieurs fois en Chine. C’est beaucoup plus compliqué que ça. […] Vous,
vous parlez du communisme comme si c’était un bloc : et de Marx à
Lénine à Mao, tout ça c’est la même chose, c’est un bloc, c’est un bloc.
C’est un bloc idéologique, il n’y a pas de réalités, il n’y a pas de
contradictions, tout ça, c’est… Moi je pense que ça n’est pas cela, je
pense que l’histoire du siècle et demi passé, c’est celle d’une lutte,
importante, entre les forces du capitalisme et des forces qui cherchent à
s’en libérer. Et si on ne pense pas ces contradictions, ces mouvements, ces
luttes, je crois qu’on comprend pas grand-chose. Votre lecture, qui est très
univoque, qui est très en bloc, en système, pour moi ne rend pas compte de
la réalité. Parce que la Sécurité sociale en France c’est quoi ? Moi je dis,
c’est déjà un peu du communisme. C’est l’idée qu’on va mettre en commun
une partie des richesses créées pour protéger tous les humains. Ce n’est pas
par hasard que le ministre qui a mis en œuvre ce projet à la Libération,
Ambroise Croizat, était un ministre communiste. Donc on a eu tort, nous-
mêmes les communistes, justement, de s’enfermer dans cette logique des
blocs, car je pense que si on veut regarder ce que c’est que le communisme
au XXe siècle – par exemple, qu’est-ce qui s’est passé en Afrique du Sud ?
Je veux dire, qu’est-ce qui a permis de libérer l’Afrique du Sud de
l’Apartheid ? C’est une alliance dans laquelle les communistes jouent un
rôle central ! Et on pourrait citer bien d’autres exemples…
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
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* *
Stephen Colbert : Bienvenue dans l’Amérique de Trump ! Où la
moralité se mesure à la vitesse. Comme cela s’est fini vite, ce n’était pas
mal. C’est comme une règle des cinq secondes qui protège votre âme :
« Oui, chérie, j’ai fait l’amour avec ta sœur… mais ça n’a duré qu’un
instant ! »
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
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* *
Elle Woods : Mrs Windham, qu’aviez-vous fait précédemment dans la
journée ?
Chutney Windham : Deux fois par an depuis que j’ai douze ans.
Faites le calcul…
Elle Woods : (Se tournant vers le jury.) Pour ne rien vous cacher, une
fille de mon club, Tracy Marcinko, s’est fait faire une permanente une fois.
Nous avons toutes essayé de l’en dissuader. Les boucles ne lui allaient pas
bien. (Se tournant vers le témoin.) Elle n’avait pas votre structure osseuse.
Mais heureusement ce même jour, elle a fait le concours de tee-shirt mouillé
Bêta-Delta-Pi, où elle a été arrosée des pieds à la tête.
[…]
Elle Woods : Chutney, pourquoi les boucles de Tracy Marcinko ont été
fichues après qu’on l’eut arrosée ?
Chutney Windham : Elle a mon âge, elle vous l’a dit ça ? Comment
vous sentiriez-vous si votre père épousait quelqu’un de votre âge ?
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
Pour remporter le débat, il est bien plus efficace de retourner le mode de
raisonnement et les arguments de l’adversaire contre lui que d’essayer de le
convaincre avec vos arguments, qu’il rejettera probablement par principe.
Ce stratagème, qui équivaut à « si je faisais comme tu me le dis, alors… »,
est redoutable, car vous faites exploser la logique de votre adversaire de
l’intérieur, et vous donnez le sentiment au public qu’il ne s’était même pas
rendu compte que son raisonnement ne « tenait pas », ce qui le décrédibilise
grandement. L’autre avantage est que l’annulation de la thèse adverse rend
la vôtre plus acceptable, voire vraie, aux yeux du public. Autrement dit,
lorsque le public doit choisir entre votre thèse A et la thèse B de
l’adversaire : si vous démontrez que la B est fausse, alors la A devient
presque vraie par forfait.
MISE EN PRATIQUE
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
Fixer le point de départ et le cadre d’un débat est souvent crucial pour
se donner les meilleures chances de l’emporter. La pétition de principe est
efficace, car elle repose généralement sur des choses difficilement
contestables de prime abord. Soit elle s’appuie sur un consensus social (« Il
faut être fou pour commettre un acte pareil »), soit elle donne l’impression
d’être la seule manière de résoudre un débat dans l’impasse en comblant un
vide logique. Ainsi, encore aujourd’hui, il est parfois considéré à tort que la
pauvreté engendre « naturellement » la criminalité, ce qui relève plus de
l’opinion que de la démonstration solide.
MISE EN PRATIQUE
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* *
« Nous constatons, à observer les choses sensibles, qu’il y a un ordre
entre les causes efficientes ; mais ce qui ne se trouve pas et qui n’est pas
possible, c’est qu’une chose soit la cause efficiente d’elle-même, ce qui la
supposerait antérieure à elle-même, chose impossible. Or, il n’est pas
possible non plus qu’on remonte à l’infini dans les causes efficientes ; car,
parmi toutes les causes efficientes ordonnées entre elles, la première est
cause des intermédiaires et les intermédiaires sont causes du dernier terme,
que ces intermédiaires soient nombreux ou qu’il n’y en ait qu’un seul.
D’autre part, supprimez la cause, vous supprimez aussi l’effet. Donc, s’il
n’y a pas de premier, dans l’ordre des causes efficientes, il n’y aura ni
dernier ni intermédiaire. Mais si l’on devait monter à l’infini dans la série
des causes efficientes, il n’y aurait pas de cause première ; en conséquence,
il n’y aurait ni effet dernier, ni cause efficiente intermédiaire, ce qui est
évidemment faux. Il faut donc nécessairement affirmer qu’il existe une
cause efficiente première, que tous appellent Dieu. »
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
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* *
Bill O’Reilly : Bon, quel est l’enjeu principal ici ?
Étudiante : Oui.
Bill O’Reilly : Entendu, il s’agit donc plutôt de dire que nous avons
beaucoup d’argent et que nous devrions le dépenser là-dedans. Pensez-vous
que chaque Américain, par sa naissance, doive disposer d’un logement
décent ? Car, si vous n’en avez pas, il est probable que votre santé sera
mauvaise. Et donc le gouvernement devrait l’assurer aux personnes qui ne
peuvent bénéficier d’un bel endroit où vivre, et je ne parle pas d’un
appartement de luxe, mais d’un appartement décent… Pensez-vous qu’ils
devraient en avoir un ?
Étudiante : Oui.
[…]
Bill O’Reilly : Je ne veux pas être injuste, mais vous voulez que le
gouvernement fédéral contrôle la qualité de vie des Américains.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
La colère et l’insulte font partie des plus grands risques pour tout
débatteur : elles fragilisent terriblement celui qui y cède. Difficile
d’imaginer à la tête d’une entreprise, d’une collectivité ou d’un État un
individu sanguin et violent : s’il est incapable de garder la tête froide,
comment pourrait-il être à même de relever les défis liés à sa fonction ? Ce
stratagème a pour objectif de provoquer votre adversaire (par des gestes,
des attitudes, des remarques sur sa compétence) jusqu’au point où il se
montrera insultant envers vous : vous pourrez alors lui donner une leçon de
morale et de calme, et prendre l’ascendant sur lui.
MISE EN PRATIQUE
Émission télévisée (TF1), 27 octobre 1985
*
* *
Jacques Chirac : … Les nationalisations sont un système qui a prouvé
qu’il est mauvais…
Il ne faut jamais céder à ses émotions lors d’un débat, même quand
l’adversaire vous provoque, et rester concentré sur ce qu’on veut démontrer.
Il est fort possible que l’adversaire, s’il passe son temps à vous critiquer
bassement, finisse par paraître inutilement agressif aux yeux du public, à
qui vous pourrez d’ailleurs faire remarquer qu’il « perd un temps fou en
remarques assassines, sans doute pour masquer un manque de fond… ».
Si toutefois vous vous mettez en colère, il faut tout de suite affirmer que
ce n’était pas un coup de colère qui vous a échappé, mais que vous l’avez
fait en conscience, que votre colère est légitime car vous avez raison sur le
fond. En somme, votre colère est juste et méritée compte tenu de la gravité
des enjeux : à titre d’exemple, on comprend très bien la colère d’un salarié
qui voit son entreprise le licencier et délocaliser alors même qu’elle est
rentable. Une autre option consiste à revendiquer ce droit à la colère en
disant que vous la préférez à la langue de bois de votre adversaire, car elle
témoigne de votre sincérité.
Stratagème 9
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
Douze hommes en colère, film de Sidney Lumet, 1957
*
* *
Juré no 8 : Combien de temps faut-il pour qu’un train avançant à
vitesse moyenne passe un point donné ?
Juré no 8 : Et vous ?
Juré no 8 : Il faut dix secondes pour que les six voitures d’un train
aérien passent un point donné. Disons maintenant que ce point est la fenêtre
d’où on a pu voir le crime avoir lieu. De la fenêtre en tendant la main, on
peut presque toucher les rails, n’est-ce pas ? Maintenant laissez-moi vous
demander, qui ici a déjà vécu près d’une ligne de train aérien ?
Juré no 8 : Bruyant ?
Autre juré : Oh, vous n’imaginez même pas… Mais ce n’est pas
grave, nous sommes solides.
Juré no 8 : J’ai vécu au deuxième étage d’un immeuble donnant sur une
ligne de train aérien. Quand la fenêtre est ouverte, et que le train passe, le
bruit est presque insupportable. On peut à peine s’entendre penser.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
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* *
Socrate : Chaque chose aura-t-elle donc autant de noms que chacun lui
en donnera, et seulement dans le temps qu’on les lui donnera ?
Si l’on procède par induction et que notre adversaire admet les cas
particuliers qu’elle met en œuvre, on s’abstiendra de lui demander s’il
admet aussi la vérité générale qui découle de ces cas particuliers ; au lieu de
quoi on l’introduira plus tard, comme si elle avait déjà été admise et que
l’on s’était accordé dessus. En effet, l’adversaire pensera entre-temps
l’avoir effectivement admise, et l’auditoire également, parce qu’ils se
rappelleront les nombreuses questions portant sur les cas particuliers et se
diront qu’elles ont bien dû mener quelque part.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
*
* *
Socrate : Supposons qu’un général asservisse une nation injuste et
ennemie : dirons-nous qu’il commet une injustice ?
Euthydème : Il ne fait rien que de juste. Je croyais que les questions que
vous me faisiez ne regardaient que nos amis.
Socrate : Ainsi tout ce que nous avions attribué à l’iniquité, il faudra
donc l’attribuer à la justice ?
Euthydème : Je le pense.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
Une partie de la force de votre argumentation tient aux choix des mots
que vous utilisez pour la présenter. Mieux vaut présenter sa thèse sous un
jour favorable, ou celle de l’adversaire sous un jour défavorable. On parlera
par exemple d’un impôt juste, d’une réforme liberticide, d’une guerre de
libération, etc. Sans démontrer quoi que ce soit sur le fond, cela « colore »
notre thèse avec des mots positifs, ou permet au contraire de rendre moins
appréciable celle de l’adversaire.
MISE EN PRATIQUE
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
Il est rare qu’un débat puisse trouver sa solution dans une alternative
binaire : c’est pourtant tout l’intérêt de ce stratagème, qui vise à confronter
votre adversaire à deux choix, en feignant de dire qu’il n’y a pas d’autres
options que de préférer l’un ou l’autre des scénarios, l’un parfaitement
inacceptable ou irréalisable, l’autre bien plus acceptable et qui va dans le
sens de votre thèse.
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Jean-Luc Mélenchon : De quelle manière peut-on solder une dette de
cette importance ?
Jacques Attali : Par la croissance, par la guerre, par l’inflation. Voilà les
trois façons.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
Affirmer haut et fort qu’on a raison quand tout nous donne tort est un
coup de force qui demande beaucoup d’audace et d’impertinence, mais qui
peut tout à fait fonctionner. Pour peu que le débat soit confus et/ou que vous
sentiez votre adversaire craintif, peu sûr de lui ou mal à l’aise, il peut être
décisif de résumer le débat en quelques mots en le tournant à votre avantage
et d’affirmer avoir raison. Si, en plus, le public n’a pas bien suivi tous les
échanges, donner une conclusion claire allant dans votre sens (même si elle
est fragile sur le fond) peut fonctionner.
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Imaginons que notre thèse soit paradoxale, et que nous ayons du mal à
la prouver : on soumettra alors à l’approbation adverse une proposition
juste, mais bancale, comme si nous voulions faire partir de là notre
raisonnement. Si, méfiant, l’adversaire rejette la proposition, on en viendra
à bout par l’absurde ; s’il l’accepte, c’est qu’il la considère rationnelle, et on
pourra passer à la suite. Ou bien on recourra au stratagème précédent pour
déclarer que notre paradoxe est prouvé. C’est là un procédé tout à fait
scandaleux, mais bien réel ; et il y a des gens qui procèdent ainsi d’instinct.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
Le Grand Débat, émission télévisée (BFM TV
et CNEWS), 5 avril 2017
*
* *
François Fillon : Un petit mot à Jean-Luc Mélenchon : je ne sais pas
si en Amérique latine il y a beaucoup d’endroits où on peut récuser les
chefs d’État, mais à ma connaissance ça ne doit pas être le cas au
Venezuela.
François Fillon : C’est le cas ? Alors ils n’ont pas réussi à récuser le
président, ce qui est assez étonnant, compte tenu de la situation dans
laquelle il a mis le pays.
Si cela vous arrive et que vous rejetez une proposition qui s’avère in
fine exacte, vous pouvez réagir en minimisant la valeur de ce que cette
dernière apporte au débat. Vous pouvez ainsi reconnaître qu’elle est juste,
mais dire par exemple que :
— cette proposition n’est vraie que de manière conditionnelle, et fixer
des conditions si draconiennes que la proposition de votre adversaire
devient inutile. Ici, François Fillon aurait pu rappeler que ce référendum a
été refusé à l’opposition vénézuélienne, et donc qu’il n’a que peu de valeur
si rien ne garantit qu’il puisse être appliqué (voir stratagème 17) ;
— cette proposition est anecdotique compte tenu de l’ampleur du sujet
qui vous occupe et à vous alors de lui redonner sa perspective. L’objectif de
cette parade est de donner l’impression que votre adversaire ne s’intéresse
qu’à des détails du problème, quand vous prenez un peu de hauteur sur le
sujet. Typiquement, un référendum révocatoire du président ne peut pas être
présenté comme une solution d’ampleur à la crise de confiance dans la vie
publique.
Stratagème 16
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Raphaël Enthoven : Quand vous étiez dans le paysage politique, vous
incarniez une geste malrusienne, comme on dit, de Malraux. C’est-à-
dire qu’il y avait quelque chose d’un petit peu flambant comme ça,
flamboyant, qui voulait en tout cas mettre de la noblesse dans le jeu
politique.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
Ce stratagème est sans conteste l’un des plus utilisés et des plus
efficaces, car il prive l’adversaire de sa victoire. À peine vous contredit-il
sur un de vos arguments que l’instant d’après vous posez une distinction qui
sauve votre thèse. Supposons ainsi que vous affirmiez que les armées
occidentales triomphent toujours des armées orientales en bataille rangée ;
votre adversaire pourrait rétorquer qu’à la bataille de Hattin en 1187, les
croisés ont perdu face à Saladin… Mais vous préciserez que vous parliez
des batailles pour lesquelles les armées occidentales disposaient d’une
logistique efficace, ce qui n’était pas le cas à Hattin, puisque les croisés y
ont combattu Saladin, épuisés par un cruel manque d’eau.
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Caroline de Haas : On est le pays qui paye, proportionnellement au
salaire, le moins ses chômeurs d’Europe. Donc vous voyez bien qu’il y a un
problème quand même ? On nous parle de « flexisécurité », mais on ne fait
que la partie « flexi », en fait cela s’appelle la « flexiprécarité ».
[…]
Charles Consigny : Je trouve que les gens qui font profession de militer
ne sont pas fondés. Pour moi ce n’est pas travailler, militer, si vous voulez.
Donc je suis désolé, je regarde votre page Wikipédia, je ne vois pas la trace
d’une entreprise privée. Donc je trouve étonnant de la part de quelqu’un qui
n’a jamais travaillé dans une entreprise privée de prétendre régenter la loi
qui s’occupe précisément des salariés et des employeurs. Je trouve ça très
français par ailleurs.
Caroline de Haas : Vous savez, Wikipédia, c’est ouvert, vous pouvez
mettre à jour la fiche et vous pouvez rajouter que depuis deux ans, il y a
deux ans, j’ai créé une entreprise, qui est une très petite entreprise, une
TPE, dans laquelle j’ai créé quatre emplois. Voilà, donc je suis cheffe
d’entreprise.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
*
* *
François Fillon : On marche comme ça, tout d’un coup, sur la vie d’un
homme, sur trente années de vie politique. Vous me marchez dessus.
Christine Angot : Vous savez pourquoi il m’a fait venir ? Il m’a fait
venir parce que ce que je viens de vous dire, eux, ils ne peuvent pas le
dire.
Lorsque quelqu’un tente cela avec vous, vous pouvez être presque
certain que vous venez de toucher une corde sensible ou un point faible de
son argumentation. Ne lâchez alors ce sujet à aucun prix, car si vous battez
votre adversaire sur ce point, non seulement vous montrerez avoir raison,
mais révélerez la lâcheté de votre adversaire qui aura essayé de se soustraire
à vos attaques. Concrètement, à vous de théâtraliser un peu votre victoire à
venir en provoquant votre adversaire (« Vous ne répondez pas ? Vous
comprenez que vous avez tort ? »), puis de délivrer une dernière charge en
martelant votre conclusion et en rappelant la déloyauté de votre adversaire,
qui refuse de l’admettre et cherche à la fuir (voir stratagème 34).
Stratagème 19
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Arnaud Montebourg : La première stratégie, qui était celle de
l’endiguement, n’a pas si mal fonctionné.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Les lois et l’État : Ne t’étonne pas, Socrate, de ce que nous disons, mais
réponds-nous, puisque tu as coutume de procéder par questions et par
réponses. Voyons, qu’as-tu à reprocher à nous et à l’État pour entreprendre
de nous détruire ? Tout d’abord, n’est-ce pas à nous que tu dois la vie et
n’est-ce pas sous nos auspices que ton père a épousé ta mère et t’a
engendré ? Parle donc : as-tu quelque chose à redire à celles d’entre
nous qui règlent les mariages ? Les trouves-tu mauvaises ?
Les lois et l’État : Bien. Mais après que tu es né, que tu as été élevé,
que tu as été instruit, oserais-tu soutenir d’abord que tu n’es pas notre
enfant et notre esclave, toi et tes ascendants ? Et s’il en est ainsi, crois-tu
avoir les mêmes droits que nous et t’imagines-tu que tout ce que nous
voudrons te faire, tu aies toi-même le droit de nous le faire à nous ? Quoi
donc ? Il n’y avait pas égalité de droits entre toi et ton père ou ton maître, si
par hasard tu en avais un, et il ne t’était pas permis de lui faire ce qu’il te
faisait, ni de lui rendre injure pour injure, coup pour coup, ni rien de tel ; et
à l’égard de la patrie et des lois, cela te serait permis ! Et, si nous voulons
te perdre, parce que nous le trouvons juste, tu pourrais, toi, dans la
mesure de tes moyens, tenter de nous détruire aussi, nous, les lois et ta
patrie, et tu prétendrais qu’en faisant cela, tu ne fais rien que de juste,
toi qui pratiques réellement la vertu ! Qu’est-ce donc que ta sagesse, si
tu ne sais pas que la patrie est plus précieuse, plus respectable, plus
sacrée qu’une mère, qu’un père et que tous les ancêtres, et qu’elle tient
un plus haut rang chez les dieux et chez les hommes sensés ; qu’il faut
avoir pour elle, quand elle est en colère, plus de vénération, de
soumission et d’égards que pour un père, et, dans ce cas, ou la ramener
par la persuasion ou faire ce qu’elle ordonne et souffrir en silence ce
qu’elle vous ordonne de souffrir, se laisser frapper ou enchaîner ou
conduire à la guerre pour y être blessé ou tué ; qu’il faut faire tout cela
parce que la justice le veut ainsi ; qu’on ne doit ni céder, ni reculer, ni
abandonner son poste, mais qu’à la guerre, au tribunal et partout il faut faire
ce qu’ordonnent l’État et la patrie, sinon la faire changer d’idée par des
moyens qu’autorise la loi ? Quant à la violence, si elle est impie à l’égard
d’une mère ou d’un père, elle l’est bien davantage encore envers la patrie.
Que répondrons-nous à cela, Criton ? Que les lois disent la vérité ou
non ?
Socrate : Vois donc, Socrate, pourraient dire les lois, si nous disons la
vérité, quand nous affirmons que tu n’es pas juste de vouloir nous traiter
comme tu le projettes aujourd’hui.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
Le Président, film d’Henri Verneuil, 1961
*
* *
Député Jussieu : Monsieur le président de l’Assemblée, je demande que
les insinuations calomnieuses que le président du Conseil vient de porter
contre les élus du peuple ne soient pas publiées au Journal officiel !
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
L’une des règles d’un débat est qu’il ne faut a priori jamais rien
concéder à votre adversaire, et encore moins lorsque c’est un point décisif
qu’il vous demande d’approuver. Ainsi, lorsqu’il souhaite vous faire
accepter une idée qui pourrait mettre à mal votre thèse, refusez en disant
que c’est un préjugé de sa part et qu’il essaye juste de forcer la main au
public en prétendant avoir admis un point totalement discutable. Cela
donnera l’impression que votre adversaire s’appuie sur des pétitions de
principe, que sa démonstration n’est donc que subjective et surtout qu’il
essaye de faire passer « en douce » certaines idées pour légitimes (voir
stratagème 6).
MISE EN PRATIQUE
Douze hommes en colère, film de Sidney Lumet, 1957
*
* *
Juré no 3 : Eh bien vous ne me convaincrez pas, moi. J’en ai assez
entendu. C’est quoi votre problème sérieusement ? Vous savez tous qu’il est
coupable, il doit y passer [à la chaise électrique] ! Vous le laissez nous
glisser entre les doigts ?
Juré no 8 : J’en suis triste pour vous. Que peut-on bien ressentir face à
l’envie de baisser l’interrupteur ? Depuis que vous avez mis un pied dans
cette salle, vous vous êtes comporté comme un vengeur public
autoproclamé. Vous voulez voir ce gamin mourir parce que vous le
désirez personnellement, pas parce que les faits vous donnent raison !
Vous êtes un sadique !
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
L’Enfer du devoir, film de William Friedkin, 2000
*
* *
Procureur : Vous avez dit : « Massacrez ces enfoirés », n’est-ce pas ?
Colonel Terry L. Childers : Si, ils avaient des armes ! Vous pensez qu’il
y a un manuel pour mener une guerre sans se mettre des gens à dos, suivre
les règles et le tout sans que personne ne soit blessé ? Des gens innocents
meurent parfois. Des gens innocents meurent toujours ! Mais je n’ai pas
outrepassé mes ordres !
Une fois que vous avez parlé de manière excessive, il est inutile de le
nier ou de chercher à le minimiser. Il faut tout faire pour distinguer « ce que
vous avez dit » de « ce pourquoi vous l’avez dit », et ainsi montrer que vous
ne disiez pas le fond de votre pensée, que vos mots l’ont dépassé. L’autre
option, plus audacieuse, est d’essayer de tirer profit de votre coup de colère,
et ainsi admettre avoir exagéré, mais en affirmant que c’était volontaire, que
vous l’avez fait pour mieux mettre en lumière ce que vous vouliez
démontrer. Qu’en somme, l’important n’est pas le choix des mots, mais où
vous vouliez en venir.
Stratagème 24
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
Pour disqualifier la thèse adverse, une option est de lui faire dire ce
qu’elle ne dit pas, de faire comme si elle entraînait des conclusions qui sont
inacceptables pour l’auditoire en raison de leur caractère extrême,
dangereux ou absurde. Cela suppose de ne pas donner le temps à votre
adversaire de se défendre et de le harceler sur la gravité supposée de sa
thèse et sur ses conséquences, quitte à l’empêcher de riposter en
l’interrompant systématiquement.
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Jacques Attali : Votre raisonnement est absurde. Là où il est encore plus
absurde, c’est quand vous poussez le raisonnement plus loin, ce que vous
n’avez pas fait ce soir mais ce que vous faites par ailleurs, c’est que vous
arrivez au bout de votre raisonnement pour proposer que les représentants
du peuple soient tirés au sort. Parce que c’est ça que vous proposez.
Étienne Chouard : Non, mais c’est à nous de décider ce que nous allons
tirer au sort et on va le faire pour éviter le conflit d’intérêts.
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Jacques Attali : Si la France menace de ne pas payer, il faut que la
France soit crédible : on ne peut pas faire une menace qui n’est pas
crédible. Or, menacer de ne pas payer, je peux me permettre de vous le
dire, que si vous, vous Premier ministre, ce que j’espère pour vous
arriver un jour, la réaction de ceux qui entendront ça sera un immense
éclat de rire.
Jacques Attali : C’est tout simplement une vérité, et donc nos taux
d’intérêt augmenteront et on sera morts, absolument et donc…
Jacques Attali : Vous savez où ils ont été les Argentins ? Ils ont été à
trente ans de faillite, ils sont passés par trois dictatures, merci beaucoup !
C’est exactement mon raisonnement, c’est exactement le raisonnement…
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
Quoi de mieux pour remporter un débat que de reprendre mot pour mot
les affirmations de votre adversaire, pour les retourner contre lui et montrer
que vous avez raison ? C’est le sens de ce stratagème, qui, en reprenant la
phrase qui vous est opposée et en ajoutant un simple « justement », permet
de prendre votre adversaire au piège d’une thèse qu’il a lui-même posée. Il
est non seulement perdant, mais plus encore il voit sa crédibilité mise à
terre devant le public pour ne pas avoir pris conscience de cette faille.
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Jack Valentine : Vous avez violé quasiment tous les embargos en
vigueur. On a assez de preuves aujourd’hui pour que vous écopiez d’une
douzaine de condamnations à vie. Vous allez passer les dix années qui
arrivent à faire la navette entre une cellule, un parloir de prison et des
tribunaux avant même de commencer à purger votre peine […].
[…]
Yuri Orlov : Mais je peux vous assurer que je ne serai jamais traduit en
justice.
Il faut avoir à l’esprit qu’un argument qui peut être aussi aisément
retourné, dans un sens ou dans l’autre, est en fait un mauvais argument dans
le fond, et qu’il n’est vrai ou faux qu’en fonction des autres arguments qui
le soutiennent ou l’accompagnent. Il vous faut donc le mettre « en
contexte » par des exemples ou des illustrations qui le feront définitivement
pencher de votre côté plutôt que de celui de votre adversaire. Par exemple,
il est impossible d’affirmer qu’il faut par principe sanctionner
physiquement les enfants qui font des bêtises : c’est seulement à l’aune
d’une certaine conception de l’éducation qu’il devient possible de le savoir.
Stratagème 27
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Madame de la Pommeraye : Je sens qu’il est arrivé un malheur à
Richard. Un malheur que tu me caches. Confie-moi la vérité, Diane, la
vérité.
Madame de la Pommeraye : Séparés ? Que lui as-tu fait ? Que lui as-tu
dit ?
Madame de la Pommeraye : Ttt, ttt. S’il est parti, c’est que tu l’as
éloigné. Je te connais, ma pauvre fille, incapable de retenir un homme,
trop fière, trop orgueilleuse. Tiens, il aurait mieux valu que tu sois
laide, au moins tu aurais eu une juste excuse pour épouvanter les
hommes.
Diane : Oui, je n’ai pas envie de minauder devant les hommes, de battre
des cils, de leur chercher leurs pantoufles, d’avaler leurs mensonges, de me
soumettre à leurs caprices. Grâce à mon métier, je me suis consacrée à des
tâches plus capitales ; je crois que, par certaines décisions que j’ai prises ou
que j’ai déclenchées, j’ai rendu des centaines d’hommes et de femmes
heureux !
Pris dans cette situation, il faut justifier sa colère, lui donner un sens, car
cette dernière ne peut être excusée que si on lui donne une raison d’être, une
légitimité. Mais il faut aussi profiter du fait que cette colère existe, car elle
peut déstabiliser votre adversaire pour enfoncer le clou sur quelque chose
que vous souhaitez démontrer : ici, le personnage de Diane profite de cette
colère pour rappeler qu’elle préfère être utile que de placer sa raison d’être
dans le fait de rendre son compagnon heureux. Il ne faut donc pas rejeter
votre colère si vous la ressentez, mais bien assumer qu’il est des sujets sur
lesquels vous ne décolérerez pas tant vous les considérez comme
importants. Ségolène Royal, durant le débat d’entre-deux-tours de la
présidentielle de 2007, et alors qu’elle s’énervait contre son concurrent
Nicolas Sarkozy, avait par exemple affirmé qu’il y avait « des colères
saines ».
Stratagème 28
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Jean-Luc Mélenchon : Je vais vous prendre vous, je vais vous dire
madame, vous avez peut-être acheté une voiture ou vous avez peut-être
acheté votre maison, qui sait ? Vous avez une dette, n’est-ce pas ? Enfin,
j’espère pour vous que vous en avez une, parce qu’il vaut mieux avoir des
dettes. Eh bien, si je rapportais votre dette totale à votre année de
revenus, mais on appelle le SAMU ! Parce que vous tombez raide
morte ! Eh bien, c’est ce qu’on fait avec la France, qui est un pays qui
produit des milliards tous les ans, et on lui rapporte le total de sa dette
à une année de production. C’est absurde ! Et surtout, c’est criminel,
parce que au nom de ça, on diminue les services publics, on soigne moins
les gens, on les éduque moins, et donc ça va toujours plus mal et vous avez
les docteurs Folamour qui reviennent et qui disent : « Allez, encore un
peu ! »
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Jean-Luc Mélenchon : Mme Le Pen vient d’inventer une nouvelle
catégorie de travailleurs qui serait rémunérée en dessous du seuil de
pauvreté. Et elle ignore, car son programme est tout à fait approximatif,
qu’une personne qui élève deux enfants de moins de trois ans aujourd’hui
au RSA reçoit 1 016 euros. Autrement dit, cette femme a imaginé quelque
chose qui, sous prétexte de renvoyer les femmes à la maison, ce à quoi nous
sommes totalement opposés, en plus les arnaque. Et vous l’avez entendue,
tout au long de la campagne, sitôt qu’elle tombe sur quelqu’un qui est en
état de lui résister et de lui montrer que ce qu’elle raconte ce ne sont que
des fumées dangereuses stimulatrices de haine, alors elle joue avec ses
papiers comme elle est en train de le faire en ce moment. Elle regarde
ailleurs parce qu’elle a peur. Et elle a bien raison.
Marine Le Pen : Je vais vous dire une chose. On s’est rendu compte
qu’il y avait d’autres leurres dans cette campagne présidentielle. Il y a
des leurres qui abandonnent avant, c’est le cas de tous les candidats
suscités par Nicolas Sarkozy et qui sur ordre abandonnent leurs
candidatures parce que Nicolas Sarkozy est en danger. Donc ils
l’abandonnent à la demande de Nicolas Sarkozy. C’est M. Borloo, c’est
M. Nihous, c’est Mme Boutin, c’est M. Morin. Bon, c’est ce qu’on
appelle des leurres.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
La force de l’argument d’autorité tient dans le fait qu’il constitue un
raccourci de pensée qui évite la démonstration : si je cite telle personnalité
ou telle instance reconnue comme l’un des plus grands spécialistes ou
autorités du sujet du débat, et qu’elle va dans mon sens, alors c’est que j’ai
raison. Une citation d’Einstein tire par exemple sa force non pas tant de son
contenu que de la renommée de son auteur. Et pour votre adversaire, s’il
vous contredit, il devra donner tort à un monument de la science, ce qui
rend la tâche singulièrement ardue…
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Frédéric Taddeï : Si je disais là, si je le disais là : j’ai des doutes sur le
fait que Lee Harvey Oswald était le seul tireur le jour de l’assassinat de
Kennedy. Qu’est-ce que vous faites ? Vous m’accusez de négationnisme et
vous me faites arrêter par la police ?
Patrick Cohen : Non, évidemment pas.
Patrick Cohen : Vous dites simplement que toutes les opinions se valent
et qu’on peut entendre absolument toutes les opinions.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Christiane Taubira : […] Monsieur le député Éric Ciotti, j’avoue que
malgré toutes ces années passées, vous conservez pour moi quelque
chose de mystérieux. Je me demande si, lorsque vous affirmez certaines
choses, vous y croyez vraiment. Alors, si c’était du temps de ma
fringante jeunesse, j’aurais supposé un sentiment contrarié. Mais cet
hémicycle tout entier a déjà constaté à quel point je vous obsède dans
toute votre expression publique, avec une constance qui appelle quand
même l’admiration. Alors c’est aussi la première fois que le Premier
ministre aurait besoin d’un défenseur, compte tenu de sa personnalité, de
son courage, de son autorité, nous avons du mal à comprendre qu’il pourrait
avoir besoin d’un défenseur mais en plus à le trouver dans ces rangs-là
[ceux de l’opposition].
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Michel Onfray : Il y a une ligne de fracture et dans le travail de
l’histoire de la philosophie, l’histoire de la pensée, de l’histoire des
idées, il y a les résistants et les collaborateurs. Ça paraît clair.
Guillaume Durand : C’est violent quand même. Donc Attali est collabo.
Vous avez deux manières de vous dépêtrer lorsqu’on vous associe, vous
ou vos propos, à quelque chose de négatif, étant entendu qu’il faut dans tous
les cas crisper le débat sur ce que vient de faire votre adversaire :
— la première consiste à l’assumer par ironie et à en rajouter : si on
vous traite d’ultralibéral, répondez que c’est bien connu, et que vous
souhaitez privatiser la justice, l’armée, la médecine et tout ce qui est
public !
— la seconde consiste à s’émouvoir d’un ton grave du procédé de votre
adversaire et de le disqualifier pour la suite du débat s’il vous a associé à
quelque chose de manifestement choquant : s’il vous a traité de fasciste,
rappelez-lui ce qu’a été le fascisme en Italie et en Espagne au XXe siècle,
racontez-lui les tortures de prisonniers, les arrestations arbitraires, etc.
Et, en tout état de cause, faites de cette association dégradante un
étendard que vous allez agiter pendant tout le débat pour rappeler au public
que votre adversaire n’est pas crédible, car il fait des comparaisons
insultantes et infondées.
Stratagème 33
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
*
* *
Christophe Barbier : Il nous a décrit un autre raisonnement économique
dans ce sujet, c’est de dire si on paye les femmes comme les hommes, à
compétences égales, et tout le monde le souhaite, évidemment ça engendre
des cotisations supplémentaires, donc on peut faire partir les gens à soixante
ans et c’est financé. Sauf que c’est vrai au moment où nous parlons, parce
que les femmes qui sont à la retraite et qui seront payées, eh bien elles, elles
ont eu des petites retraites, car elles ont eu des petits salaires pendant leur
carrière. Le jour où les femmes bien payées arrivent à la retraite, ça explose
en vol et au passage, si d’un seul coup on dit : « Les femmes sont payées
comme les hommes », tout le monde va applaudir, mais les entreprises
vont avoir beaucoup de mal à encaisser ce surcoût de main-d’œuvre.
Donc les raisonnements de Jean-Luc Mélenchon sont souvent assez
jolis, assez utopistes, et finalement participent d’une amélioration de
l’humanité, mais ne tiennent pas la route quand on veut les appliquer.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
Tout adversaire a forcément des points faibles ou des angles morts dans
son raisonnement : ce stratagème vise justement à les repérer et à les
exploiter, pour focaliser la discussion sur eux et mettre l’adversaire en
difficulté. L’intérêt est double : non seulement vous vous concentrez sur ses
points faibles, ce qui évite de parler des autres sujets où vous seriez moins
solide, mais plus encore, si vous parvenez à le coincer, vous le
décrédibiliserez aux yeux du public.
MISE EN PRATIQUE
Polonium, émission télévisée (Paris première), 5 avril
2017
*
* *
Alain Bauer : Tous les policiers sont méchants, racistes et
systématiquement insupportables. On les enlève, voilà. Pourquoi est-ce
qu’on agresse des pompiers ? Vous pouvez me le dire, ça ? Pourquoi on
agresse des médecins ? Pourquoi est-ce qu’on agresse des postiers ?
Pourquoi ? Parce qu’ils tutoient les gens ? Jamais. Ils sauvent des vies, aux
dernières nouvelles. Les pompiers surtout. Pourquoi eux se plaignent-ils
d’être de plus en plus agressés ? Ce n’est pas la nature de leur fonction. Ce
n’est pas la nature du fait qu’ils contrôlent des identités. Ils ne font rien au
faciès, ils sauvent tout le monde, ils s’en foutent. La réalité c’est que dans le
contrôle du territoire il y a une compétition. Cette compétition, elle est de
plus en plus violente. Elle provoque, réellement, des exactions policières et
aussi, quand vous prenez des insultes, des crachats et des projectiles divers
sur la gueule pendant trois heures… je vous suggère d’essayer et de me dire
quel est l’état de votre réaction, qui va être le sourire vis-à-vis de ceux qui
vous provoquent, ou éventuellement un geste interdit mais humain qui vise
à sortir n’importe quel équipement pour s’en sortir ou marquer son désarroi.
C’est ça, le problème, votre univers merveilleux et magnifique où ils sont
tous des fascistes, racistes et des extrémistes, et des méchants et tout ça,
c’est merveilleux mais vous ne prenez pas en compte les dures réalités du
terrain.
Alain Bauer : Je vous ai posé une question sur les pompiers, vous
savez, les pompiers, les messieurs en rouge dans des petits véhicules qui
viennent sauver des gens ?
Alex : Oh bah alors moi, là-dessus, je ne peux pas… J’ai pas attaqué
de pompiers donc je ne vais pas vous répondre comme ça, déjà.
Alain Bauer : Ah, parce que vous avez attaqué des policiers avant ?
C’est ce qui vous donne une légitimité spécifique par rapport à nous ?
Alex : Je ne peux pas parler au nom de ceux qui le font déjà, hein.
Alain Bauer : C’est très bien, vous devriez faire la même chose pour
les flics. Vous voyez ?
Alex : Mais…
Alain Bauer : Ah, bien, donnez-moi un pompier qui est coupable et qui
par sa fonction mérite d’être agressé… parce qu’il a fait quoi ? Il est venu
sauver des gens ? Il l’a fait avec une voiture bleu blanc rouge ? Il a fait
« PIN PON » pour aller éteindre un incendie ? Quand il n’a pas été victime
d’un guet-apens. Vous devriez pleurer sur les pompiers. Vraiment.
Beaucoup plus que vous ne le faites sur qui que ce soit d’autre. Ça vous
changerait. Vous verrez, les gens qui vous sauvent, il faut toujours les
respecter.
Dès lors qu’il est possible de l’employer, il rend tous les autres
superflus. Au lieu d’utiliser des arguments pour agir sur l’intellect, il joue
sur la volonté : et l’adversaire et l’auditoire (dans le cas où il y aurait
convergence d’intérêts) sont aussitôt acquis à notre cause, quand bien même
notre opinion serait totalement farfelue : en effet, un soupçon de volonté et
de détermination a généralement plus d’impact que tout un arsenal
persuasif. Les conditions ne sont certes pas toujours réunies. Mais si on
parvient à faire sentir à l’adversaire que son opinion, si elle s’avérait
recevable, porterait un préjudice majeur à ses intérêts, il la lâchera aussitôt,
comme un métal brûlant dont il se serait imprudemment saisi. Par exemple,
si un ecclésiastique défend un dogme philosophique, on lui fera remarquer
qu’il contrevient indirectement à un dogme fondamental de son Église, et il
s’arrêtera tout net.
Un propriétaire terrien vante les mérites du machinisme agricole,
affirmant qu’en Angleterre, une seule machine à vapeur abat le travail de
plusieurs dizaines d’hommes : on lui fait comprendre que bientôt les coches
fonctionneront à la vapeur, ce qui ferait considérablement baisser la valeur
des chevaux de son élevage ; le résultat ne se fera pas attendre. Dans ce
genre de situation, rares seront les réactions qui feront mentir l’adage
d’Horace soulignant la promptitude avec laquelle nous critiquons les lois :
quam temere in nosmet legem sancimus iniquam.
Il en ira de même si l’auditoire se réclame d’une faction spirituelle,
d’une corporation, d’un club, mais pas l’adversaire. Quand bien même sa
thèse serait fondée, dès lors qu’on effleurera l’idée qu’elle va à l’encontre
des intérêts dudit groupe, l’intégralité de l’auditoire jugera les arguments
adverses bien faibles et inconsistants, tout pertinents qu’ils soient ; tandis
que les nôtres leur sembleront justes et perspicaces, tout hasardeux qu’ils
soient. L’assemblée prendra ouvertement parti pour nous, et l’adversaire
honteux se retirera. L’auditoire pensera généralement avoir choisi son camp
en toute rationalité. En effet, ce qui est à notre désavantage est souvent
perçu par l’intellect comme absurde, comme le suggère Bacon :
« L’intellect n’est pas une lumière qui brûle sans huile, il se nourrit de la
volonté et des passions » (Intellectus luminis sicci non est recipit
infusionem a voluntate et affectibus). Ce stratagème pourrait s’intituler :
couper l’arbre à la racine. On a par ailleurs coutume de l’appeler argument
ab utili.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Valérie Gloriant : Aujourd’hui, je suis prête à voter Marine Le Pen.
Valérie Gloriant : Pas à la même échelle que moi, mais ils ont souffert.
[…]
Valérie Gloriant : Mon cœur n’est pas pour Marine Le Pen. Voilà.
Jean-Luc Mélenchon : J’ai compris, c’est pour ça que je vous parle.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
Pour utiliser cette technique, il faut s’être assuré que l’on domine
intellectuellement l’adversaire sur les thèmes qu’on souhaite exploiter pour
l’attaquer, et qu’il lui arrive de laisser passer ou de ne pas contredire des
choses fausses par manque de compétence. Une fois ce constat fait, à vous
de lancer une longue tirade volontairement complexe et érudite dont vous
affirmerez qu’elle démontre bien votre thèse. Il sera difficile pour votre
adversaire de vous contredire, car vous n’auriez alors qu’à lui demander
« sur quel point précis » il n’est pas d’accord, et il y a fort à parier qu’il
serait incapable de restituer ce que vous avez dit.
MISE EN PRATIQUE
*
* *
Acte III, scène 10
Toinette, en médecin, Argan, Béralde
Argan : Je crois que tout au plus vous pouvez avoir vingt-six ou vingt-
sept ans.
Toinette : Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! j’en ai quatre-vingt-dix.
Argan : Quatre-vingt-dix !
Argan : Je vous suis obligé, monsieur, des bontés que vous avez pour
moi.
Toinette : Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l’on batte comme
il faut. Ah ! je vous ferai bien aller comme vous devez. Ouais ! ce pouls-là
fait l’impertinent ; je vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Qui
est votre médecin ?
Toinette : Cet homme-là n’est point écrit sur mes tablettes entre les
grands médecins. De quoi dit-il que vous êtes malade ?
Argan : Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate.
Toinette : Ce sont tous des ignorants. C’est du poumon que vous êtes
malade.
Argan : Du poumon ?
(Qui devrait être un des premiers.) S’il s’avère que l’adversaire a raison,
mais que fort heureusement il choisit une preuve inadéquate, il nous sera
facile de réfuter cette preuve, tout en présentant la chose comme une
réfutation de sa thèse. Dans le fond, cela revient à faire passer un argument
ad hominem pour un argument ad rem. Et s’il ne lui vient pas de preuve
plus adéquate, à lui ou à ceux qui l’entourent, nous avons gagné. Par
exemple, quelqu’un qui avancerait l’argument ontologique comme preuve
de l’existence de Dieu serait aisément réfuté. C’est ainsi que les mauvais
avocats en viennent à perdre une juste cause : ils la défendent par une loi
qui ne s’y prête pas, et la loi qui s’y prêterait ne leur vient pas à l’esprit.
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
*
* *
Laurent Fabius : Je suis heureux de pouvoir débattre avec M. Sarkozy,
et surtout de débattre dans une émission qui s’appelle Des paroles et des
actes, parce que, au fond, des paroles on vient d’en entendre beaucoup, les
unes pertinentes, les autres désagréables et même violentes. J’étais là
lorsque vous avez proféré des accusations sans fondement contre François
Hollande, mais je vais y venir. Mais…
Nicolas Sarkozy : … Vous n’aviez pas changé d’avis, vous aviez dit :
« Franchement, vous imaginez Hollande président de la République ?
On rêve ! » Vous trouvez que c’est plus aimable ?
INTÉRÊT DU STRATAGÈME
*
* *
Marine Le Pen : Eh bien écoutez, je suis extrêmement heureuse de la
manière dont se déroule ce second tour, parce que la réalité c’est que le
choix politique que vont devoir faire les Français s’éclaire : M. Macron
est le candidat de la mondialisation sauvage, de l’ubérisation, de la
précarité, de la brutalité sociale, de la guerre de tous contre tous, du
saccage économique, notamment de nos grands groupes, du dépeçage
de la France par les grands intérêts économiques, du
communautarisme. Et tout cela piloté par M. Hollande, hein, qui est à
la manœuvre maintenant de la manière la plus claire qui soit.
Prologue
Stratagème 1
Stratagème 2
Stratagème 3
Stratagème 4
Stratagème 5
Stratagème 6
Stratagème 7
Stratagème 8
Stratagème 9
Stratagème 10
Stratagème 11
Stratagème 12
Stratagème 13
Stratagème 14
Stratagème 15
Stratagème 16
Stratagème 17
Stratagème 18
Stratagème 19
Stratagème 20
Stratagème 21
Stratagème 22
Stratagème 23
Stratagème 24
Stratagème 25
Stratagème 26
Stratagème 27
Stratagème 28
Stratagème 29
Stratagème 30
Stratagème 31
Stratagème 32
Stratagème 33
Stratagème 34
Stratagème 35
Stratagème 36
Stratagème 37
Ultime stratagème