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Commentaire d'arrêt PROS et Etat du Sénégal .

Introduction
L'affaire porte sur une contestation électorale,où l'Etat du Sénégal représenté par l'agent
judiciaire, suite à une ordonnance du président du tribunal d'instance de ziguinchor qui ordonne
la réintégration de monsieur ousmane SONKO sur le fichier général des électeurs , conteste et
formule un pourvoi en cassation contre cette décision.
Ainsi Monsieur SONKO après avoir reçu la notification de sa radiation sur les listes électorales,
a saisi le président du tribunal d'instance de ziguinchor le 04 octobre 2023 aux fins d'annulation
de la mesure de radiation. Par ordonnance du 12 octobre 2023, monsieur Sonko obtient une
suite favorable à sa demande. L'État du Sénégal insatisfait de la décision rendue s'est pourvu
ainsi en cassation suivant une requête en date du 23 octobre 2023 devant la cour suprême.
L'agent judiciaire,le représentant de L'État, soulève de ce fait l'incompétence du tribunal
d'instance de ziguinchor. Quant à monsieur Sonko il réclame,par le biais de ses avocats en,
l'irresponsabilité du recours pour défaut d'intérêt à agir de l'agent judiciaire de L'État.
Dès lors la question qui se pose est celle de savoir si un pourvoi en cassation formé par un État
en sollicitant l'annulation d'une ordonnance de réintégration d'un électeur sur les listes
électorales est t- il légal.?
Par ordonnance du 17 novembre 2023 le juge de la cour suprême répond par affirmative qui en
plus de déclarer recevable le recours formé par L'État du Sénégal ainsi que la compétence du
juge du tribunal d'instance de ziguinchor , il casse et annule l'ordonnance en renvoyant l'affaire
devant le tribunal d'instance hors classe de Dakar pour y être jugé conformément à la loi.
Ceux-ci étant précisés nous allons voir dans un premier temps l'annulation de la décision du
tribunal d'instance de ziguinchor (l) avant de mettre l'accent dans un second temps sur la
position fluctuante du juge de la cour suprême(ll).

I- L’annulation de l’ordonnance du Président du Tribunal d’instance de Ziguinchor


A- La recevabilité du pourvoi de l’agent judiciaire de l’Etat

L’intérêt à agir, d’une manière générale concerne les hommes pris isolément ou
individuellement puis catégoriellement et collectivement. En d’autres termes, lorsqu’un
requérant défère au juge une affaire qui le concerne personnellement, il est appelé à se prévaloir
d’un intérêt individuel et direct à agir. En revanche, si c’est dans le souci de défendre une cause
qu’il partage en commun avec d’autres individus, l’intérêt direct et personnel est apprécié à ce
moment en relation avec la communauté à laquelle le demandeur appartient. Pour se dévouer
à une telle cause, le plaideur fait plutôt valoir son titre de membre du groupement dont il se
réclame. C’est ce titre que le juge vérifie d’abord avant de l’autoriser à plaider pour le compte
de son organisme ou de la catégorie spécifique de justiciables dont il relève.
En l’espèce, la défenderesse soutient que le requérant n’a pas intérêt à agir « aux motifs qu’en
vertu de l’article 2 du décret n°70-1216 du 7 novembre 1970 portant création de l’agent
judiciaire de l’Etat se limite à la matière judiciaire et ne saurait s’étendre au contentieux
électoral régi par la loi n°2021-35 ». Alors que le même article du même décret précise que
« l’Agent judiciaire de l’Etat est chargé du règlement de toutes les affaires contentieuses où
l’Etat est partie et dans la représentation de l’Etat dans les institutions judiciaires (…). Elle a
également pour mission de sauvegarder les droits de l’Etat dans tous les domaines où les textes
en vigueur n’ont conféré ces prérogatives à d’autres services ». Or, il est nécessaire de rappeler
l’adage « pas d’intérêt, pas d’action ». Il faut avoir subi un préjudice, faute de quoi la demande
en justice sera tenue en échec par cette autre formule selon laquelle « nul ne plaide par
procureur ».
Ce justifie une qualité qui lui donne intérêt pour agir contrairement à ce que soutiennent les
défendeurs qui selon leurs prétentions « l’Etat du Sénégal n’a ni intérêt ni qualité à agir
puisqu’il ne peut justifier d’un grief que l’inscription ou la radiation d’un électeur peut lui
causer ».
L’intérêt à agir de l’agent judiciaire de l’Etat a deux sources. D’une part, il remonte à la qualité
de membre qui donne intérêt pour agir comme le précise le juge « il faut qu’elle ait été
suffisamment désignée par la décision attaquée et par les actes de procédure, conclu devant le
juge du fond contre le défendeur au pourvoi ». D’autre part, il tire, et comme d’habitude, son
origine du tort causé aux prérogatives ou aux objectifs pour la défense desquels une association
ou une catégorie donnée de justiciables s’est dégagée comme il l’affirme en ces termes « le
demandeur justifie d’un intérêt lorsque la décision attaquée lui est défavorable ». Vu sous
l’angle spécial des conditions de recevabilité, la qualité naît de l’intérêt que le requérant peut
avoir à l’annulation de l’ordonnance.

B- La méconnaissance par le juge du TIZ des dispositions des articles 822 et 823
du CPC

La décision de la Cour suprême dans cette affaire met en évidence une erreur de droit
significative commise par le juge du Tribunal d'Instance de Ziguinchor en ce qui concerne la
signification des actes judiciaires. La Cour a correctement souligné que les articles 822 et 823
du Code de Procédure Civile au Sénégal fixent des règles strictes pour la signification des actes,
stipulant notamment qu'en cas d'impossibilité de remise à la personne intéressée, la copie doit
être remise au maire, à un adjoint, ou au chef d'arrondissement.
Le juge du Tribunal d'Instance de Ziguinchor a déclaré l'acte de signification irrégulier en
raison de l'omission d'adresser la lettre recommandée avec accusé de réception à l'endroit où
se trouve effectivement Ousmane SONKO, la personne intéressée. Le juge de première
instance a donc méconnu a méconnu le sens de la loi en exigeant que la lettre recommandée
soit adressée à l'endroit où se trouve effectivement la personne concernée. Cette condition n'a
en réalité pas été prévue par la loi, et la Cour suprême a correctement souligné que cette
interprétation erronée va à l'encontre du texte légal en question. La Cour suprême critique le
raisonnement du juge de première instance en soulignant que le lieu de signification selon les
articles 822 et 823 du CPC, ne dépend pas de l'endroit où se trouve effectivement la personne
intéressée.
L'impact de cette erreur de droit est significatif, car elle a conduit à l'annulation de la décision
initiale. La Cour suprême a justement insisté sur le fait que le respect des procédures légales, y
compris celles liées à la signification des actes, est essentiel pour garantir l'équité et la validité
des procédures judiciaires.
En renvoyant l'affaire devant une autre juridiction, la Cour suprême met en avant l'importance
de rectifier cette erreur de procédure afin de garantir un jugement équitable. Cela souligne la
nécessité pour les tribunaux de respecter scrupuleusement les dispositions légales et de
s'abstenir d'ajouter des conditions non prévues par la loi, contribuant ainsi à renforcer la
confiance dans le système judiciaire.

II- Une position fluctuante du juge de la cour suprême


A- Incohérence du juge quant à la compétence territoriale

Le premier moyen soulevé par l'État du Sénégal porte sur l'incompétence du Tribunal
d'Instance de Ziguinchor. La Cour suprême, dans sa décision, confirme la compétence du
tribunal de Ziguinchor en se fondant sur les articles du Code électoral.
Dans le même temps, le raisonnement initial du tribunal de Ziguinchor était basé sur le lieu
d'inscription de Ousmane SONKO sur les listes électorales de la Commune de Ziguinchor. La
Cour suprême semble accepter cette interprétation et confirme la compétence du tribunal en se
référant au lieu d'inscription du requérant.

L'incohérence dans la décision de la Cour Suprême se manifeste principalement dans le renvoi


de l'affaire au Tribunal d'Instance Hors Classe de Dakar, malgré la confirmation de la
compétence du Tribunal d'Instance de Ziguinchor. Bien que la Cour ait validé la compétence
territoriale de Ziguinchor, elle a pris la décision de transférer l'affaire à une juridiction à Dakar.
Cette décision soulève des interrogations sur la cohérence et la logique du jugement.
La confirmation de la compétence de Ziguinchor aurait normalement impliqué un jugement par
cette juridiction ou un renvoi à une instance compétente dans la même localité. Cependant, en
choisissant de renvoyer l'affaire à Dakar, la Cour semble contredire sa propre conclusion sur la
compétence territoriale.
Cette incohérence pourrait être perçue comme un manque de clarté dans le raisonnement de la
Cour Suprême. Il aurait été attendu que la décision soit en adéquation avec les principes de
compétence territoriale, en évitant tout conflit apparent. Le choix de renvoyer l'affaire à une
juridiction située dans une localité différente introduit une incertitude quant à l'application
cohérente des règles de compétence.

Aussi, la décision de la Cour Suprême de renvoyer l'affaire au Tribunal d'Instance Hors Classe
de Dakar au lieu de juger directement l'affaire à Ziguinchor soulève des préoccupations
légitimes quant à la rapidité du processus judiciaire, surtout dans le contexte électoral où la
célérité est souvent cruciale.

En matière électorale, la promptitude dans le traitement des affaires est essentielle pour assurer
la stabilité et la légitimité du processus démocratique. Le renvoi de l'affaire à une juridiction
située dans une localité différente peut entraîner des retards supplémentaires, ce qui est
contraire à l'impératif de rapidité dans les litiges électoraux.

La dimension politique de l'affaire accentue ces préoccupations. Le caractère politique peut


susciter des perceptions de la part du public et des acteurs politiques, notamment en ce qui
concerne la détermination du juge à prendre des décisions courageuses. La décision de renvoyer
l'affaire à Dakar pourrait être interprétée comme une approche prudente, évitant de trancher
directement sur des questions potentiellement sensibles.
Cette perception de "facilité" dans la décision du juge pourrait alimenter des critiques quant à
la fermeté du système judiciaire face à des enjeux politiques majeurs. Les attentes de célérité
et de détermination sont souvent élevées dans de tels cas, et le renvoi de l'affaire à une
juridiction différente peut être interprété comme une tentative d'éviter une confrontation directe
avec des questions politiquement sensibles.
En résumé, la décision de la Cour Suprême, en optant pour le renvoi de l'affaire plutôt que de
statuer directement, soulève des inquiétudes quant à la rapidité de la procédure et peut être
perçue comme un choix prudent face à des enjeux politiques délicats.
B- Une décision constituant un revirement jurisprudentiel
La Cour suprême, après avoir cassé et annulé l’ordonnance du Président du Tribunal d’instance
de Ziguinchor, a renvoyé l’affaire devant une autre juridiction, on n’a pas pu nous empêcher
de nous souvenir de ce mois d’août 2018, dans un contentieux de même nature, qui opposait
Yaya NIANG à l’Etat du Sénégal, où la Cour avait fermement soutenu qu’en matière électorale,
elle ne renvoie pas.
Le juge n’a pas voulu prendre ses responsabilités et a laissé le soin au tribunal d’instance de
Dakar de se prononcer sur le fond.
C’est ce qui ressort de l’arrêt n°50 du 30 août 2018 Yaya NIANG c/ l’Etat du Sénégal (bulletin
d’arrêts de la Cour suprême, n°15-16, année judiciaire 2018.
Il s’agissait dans l’affaire évoquée, il faut le rappeler, d’un contentieux des inscriptions sur les
listes électorales. Un tiers électeur avait sollicité l’inscription d’un autre électeur comme le
prévoyait le Code électoral.
La Cour suprême, après avoir cassé et annulé la décision de l’ambassadeur du Sénégal au
Koweït, contre laquelle était dirigé le pourvoi en cassation, avait refusé d’accéder à une
demande du requérant, celle de renvoi de l’affaire devant une autre juridiction.
A l’appui de son refus, la Haute Cour avait soutenu « qu’en matière électorale, il n’y a pas lieu
à renvoi, qu’il convient de statuer à nouveau pour mettre fin au litige ».
L’on dit que la Cour évoque l’affaire sans qu’il soit besoin de renvoyer. Elle vide elle-même
le contentieux, le contentieux électoral en particulier. Le calendrier électoral contraignant
commande un office du juge pragmatique et diligent. Chaque étape du processus électoral étant
encadrée dans des délais rigoureux, le juge fait preuve de célérité.
Un recensement des arrêts de la Cour suprême met en évidence sa forte conviction, celle de ne
pas renvoyer en matière électorale. C’est ce que révèle l’analyse du répertoire de ses arrêts
rendus dans des affaires relevant de la matière électorale, comme en témoignent les arrêts
suivants : arrêt n° 34 du 24 juin 2014 (Mamadou Diallo c/ ministre de l’intérieure) ; arrêt n°
51 du 25 septembre 2014 Aïssata Tall SALL et Mamoudou WONE c/ coalition and liggeyal
Podor ministre de l’intérieur et Etat du Sénégal ; arrêt n° 02 du 8 janvier 2015 Mbenda
NDIAYE, Sokhna Seynabou MBACKE et Ndèye Lobé LAM c/ Conseil municipal de Kaolack
et ministère chargé des élections.
La question qu’on pose est celle de savoir qu’est-ce que justifie qu’un juge électoral, qui a
toujours fait preuve de diligence pour la sauvegarde du calendrier électoral, décide lui-même
d’être artisan d’un feuilleton judiciaire qui échappe à toute maîtrise temporelle ?
Qu’est ce qui empêche la Cour suprême d’affronter la question de droit qui se pose, de la
trancher par une démonstration juridique ? Juge de droit, elle doit être en mesure de vider le
litige en mobilisant des moyens solides au soutien d’une décision révélatrice de son intime
conviction.
La Cour a choisi une autre voie, celle de laisser le contentieux s’enliser. C’est le contentieux
électoral qui en sort malmener ; la liberté de candidature abîmée.

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