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LA NOUVELLE GÉOPOLITIQUE DES CONFLITS

Eugène Berg

Éditions Choiseul | « Géoéconomie »

2014/5 n° 72 | pages 215 à 230


ISSN 1620-9869
ISBN 9782362590573
DOI 10.3917/geoec.072.0215
Article disponible en ligne à l'adresse :
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LU

La nouvelle géopolitique
des conflits
Eugène Berg

S e livrer à une description complète des conflits existants dans


le monde est toujours un exercice malaisé, tant il est vrai qu’il
n’est pas simple d’en prévoir l’ampleur, l’évolution, les fins, comme
d’en établir une hiérarchie, laquelle dépend de tant des perceptions
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publiques que de facteurs stratégiques, géoéconomiques, culturels et
humains. Il n’en reste pas moins qu’une carte mondiale des conflits se
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dessine au travers des divers bilans annuels et ouvrages analysés.

➢ T. De Montbrial, P. Moreau-Defarges (Dir.), Ramsès 2014 - Les jeunes,


vers l’explosion ?, IFRI, Dunod, septembre 2013.
➢ B. Badie, D.Vidal, P. Recacewisz (Dir.), L’État du monde 2014 :
puissances d’hier et de demain, La Découverte, septembre 2013.
➢ P. Boniface (Dir.), L’Année stratégique 2014 : analyse des enjeux
internationaux, IRIS, Armand Colin, octobre 2013.
➢ P. Wodka-Gallien, Essai nucléaire. La force de frappe française au
XXIe siècle : défis, ambitions, et stratégie Lavauzelle, 2014, 216 pages.
➢ J. Scahill, Dirty Wars, Le nouvel art de la guerre, Lux éditions, 2014, 704p.
➢ A. Cattaruzza, Atlas des guerres et conflits. Un tour du monde
géopolitique, Paris, Autrement, collection Atlas/Monde, 2014, 96 pages.

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Dans la nouvelle édition de L’Atlas des crises et des conflits1
de Pascal Boniface et Hubert Védrine tous les points chauds de la
planète, les arcs de crise, sont passés en revue.
À la lumière de la situation actuelle, les cartes et commentaires
consacrés à la Russie et l’Ukraine, les Pays Baltes, le Caucase, la
Tchétchénie, la Moldavie avec sa carte détaillée de la Transnistrie,
seront les bienvenus. La carte de l’Europe mentionnait parmi les
territoires aspirant à une indépendance régionale et/ou un lien avec
la «mer patrie », l’est et le sud de l’Ukraine, la Crimée, Chypre Nord,
les cantons serbes du Kosovo, les territoires croates et serbes inclus
dans la Bosnie-Herzégovine. Dans leurs scénarios d’avenir les auteurs
pressentaient bien une politique plus offensive de Vladimir Poutine
sur les confins de la Russie. Tous les points chauds de la planète,
les arcs de crise, sont passés en revue, même si quelques absents
sont à mentionner - comme la République centrafricaine pourtant
comprise dans la douzaine des États faillis établis par le « Fund for
218 peace ». Il n’y a que le Pacifique qui ne figure pas dans cette analyse des
crises et conflits, ni le Timor, les Salomon ou la Papouasie Nouvelle-
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Guinée, jadis secoués de crises, ne relèvent plus de ce traitement.
Les Amériques paraissent le continent le plus paisible, puisque
dans les cas du Mexique, d’Haïti, et même de la Colombie, il s’agit
plus de troubles internes que de véritables conflits ouverts. Un utile
instrument d’information et de réflexion qui aurait par endroits,
gagné encore à être plus précis : on aurait aimé avoir la liste des pays
membres de l’UE n’ayant pas reconnu le Kosovo.
Dans sa troisième partie « Conflits et enjeux régionaux », L’État
du monde s’étendait sur les principaux conflits en cours, alors que
L’Année stratégique inclut l’étude de ces conflits à l’intérieur de ces
différentes parties régionales. Quant à Ramsès, il décrit plutôt les
tensions, clivages ou violences de type sociaux ou sociologiques et
culturels, à l’intérieur des différentes nations, perçus principalement
sous l’angle de la jeunesse, mais pas exclusivement, ce qui apporte
...............................................................................................................................................
1. Armand Colin/Fayard, 2013, 142 pages.
un point de vue complémentaire. Parler d’homosexualité au sein du
monde arabe et de féminisme islamique n’allait pas toujours de soi.
Dans son Atlas des guerres et conflits, un tour du monde
géopolitique, Amaël Cattaruzza, décline la géographie des guerres
et des conflits selon quatre mouvements:
- les sept clés pour comprendre les conflits;
- les anciens et nouveaux acteurs;
- les régions sous tension, lieux en guerre;
- les guerres de demain.
Dans la première partie, l’auteur présente outils et grilles de
lecture, alimentés par les méthodologies entrecroisées de la science
politique, de la géographie, de la sociologie et de l’histoire.
Cattaruzza scrute les échelles nécessaires (internationale, nationale,
locale) à travers lesquelles il faut analyser la logique des guerres
et des conflits. Pour atteindre la compréhension la plus objective
possible d’une guerre, il convient de prendre en considération
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les revendications et positions des acteurs mais aussi leurs
représentations. Les conflits ont changé de nature depuis quelques
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décennies : aux guerres interétatiques ont succédé des conflits civils
ou intra étatiques de nature fort diverses. Deux tendances lourdes
sont à noter : d’un côté, les champs de bataille ont laissé la place à
des guerres au sein même des populations - l’exemple de la bande
de Gaza est exemplaire ; de l’autre, la montée en puissance des
sociétés militaires privées fait apparaître un nouveau genre de sous-
traitants contractuels chez les États en guerre. De nouveaux acteurs
ont proliféré : guérillas, réseaux terroristes, mafias, piraterie
maritime, etc. À travers quelques planches significatives, des
développements sont dédiés au rôle de l’ONU, à la géographie des
réfugiés et des déplacés, aux conflits menés par des guérillas et des
milices armées. Une attention particulière est accordée aux spatialités
du terrorisme, à la géographie inédite des zones grises et des États
défaillants ainsi qu’aux manifestations territoriales de la piraterie
maritime. Cette troisième partie propose une géographie régionale
des guerres et des conflits selon un regroupement par grandes zones

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du globe, scrutées selon les particularités de ses guerres et conflits :
mouvements séparatistes pour l’Union européenne, conflits dans
l’étranger proche pour la Russie, revendications maritimes pour
la Chine, conflits communautaristes pour la péninsule indienne,
mouvements insurrectionnels, guérillas et trafics d’opium pour la
péninsule indochino-malaise, arc de crise courant de la Bande de
Gaza à la Mer Rouge et au golfe Persique. L’Afrique retient l’attention
car elle apparaît comme le condensé des guerres et conflits et comme
le théâtre du plus grand nombre de conflits actuels.
La dernière partie, traite des nouvelles formes de la guerre. Parmi
elles, il convient de distinguer les enjeux stratégiques pour le contrôle
des grands détroits et de l’Arctique. L’augmentation continue du
nombre d’États dans le monde entraîne des risques de balkanisation
et de sécessionnisme. Les conséquences du changement climatique
et de la prolifération nucléaire sont lourdes de conflits potentiels. Les
guerres médiatiques forment le dernier acteur sur le théâtre de la
220 guerre. En effet, Internet et les réseaux sociaux contournent les États
qui ont beaucoup de difficultés à les contrôler. Les révolutions du
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Printemps arabe de 2011 ont été la première démonstration
grandeur nature de la puissance des réseaux sociaux. La robotisation
des forces armées revêt aujourd’hui des aspects concrets comme les
attaques de drones sur des cibles terroristes ou l’équipement FELIN
(Fantassin à équipements et liaisons intégrés) des fantassins sans
omettre la mise en réseau du champ de bataille. En à peine une
décennie, le cyberespace est passée de la science-fiction à la réalité.
En effet, une attaque sur le réseau Internet peut porter atteinte à
ses infrastructures vitales (gouvernement, distribution de l’énergie,
structures hospitalières, etc.). Ces attaques se sont multipliées depuis
2007 amenant les gouvernements et les organisations militaires
(OTAN) à mettre en place de centres de commandement appropriés.
Le cyberespace, considéré comme le cinquième champ de bataille
après la terre, la mer, l’air et la stratosphère, n’est ni libre ni neutre
et reflète les tensions entre les puissances. La qualité des cartes
réalisées par Aurélie Boissière renforce la valeur scientifique de cet
atlas d’Amaël Cattaruzza qui démontre la portée de la géographie
politique au sein de l’école française de géographie.
L’État du monde commençait par l’Asie du Nord-Est où une
série de crises s’enchevêtrent les unes dans les autres. Contentieux
maritimes, attitude agressive de la Corée du Nord, échec de la
Sunshine Policy de Séoul, partie de go sino-américaine. Jean-François
Sabouret observe que tous les gouvernements de la région étant
conservateurs, ils ont intérêt à faire vibrer la corde nationaliste, car
les tensions actuelles favorisent les ventes d’armes. Enfin, si l’armée
irakienne, forte de 220 000 hommes a atteint sa maturité en 2008, il
n’en est pas encore de même pour l’armée afghane, pourtant forte
de 170 000 hommes. Aussi la coalition occidentale prévoit de laisser
sur place le dispositif d’aide à la formation des forces locales et une
capacité d’intervention à distance à base de moyens aériens et de
forces spéciales, soit environ 15 000 soldats américains et quelques
alliés.
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S’agissant de l’Irak et de l’Iran, la connaissance de la situation
prévalant dans ces deux pays clefs du Moyen-Orient passe
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obligatoirement par l’étude des conséquences du conflit qui les
a opposé de 1980 et 1988, dont l’histoire2 a été magistralement
écrite par Pierre Razoux, directeur de recherche stratégique de
l’École militaire (IRSEM), déjà auteur d’un remarqué Tsahal,
nouvelle histoire de l’armée israélienne. À la fin de ce conflit, à l’été
1988 l’Irak émergeait comme la première puissance militaire de la
région, avec quatre fois plus de chars, de blindés, et de canons
que Téhéran et six fois plus d’avions de combat. On sait où ceci
a mené. Les conséquences de la guerre Iran-Irak, sont toujours
perceptibles aujourd’hui, qu’il s’agisse de la radicalisation du régime
iranien, de la relance de son programme nucléaire, ou bien encore
de la marginalisation de l’Irak. À Téhéran, elle a donné lieu à une
terrible lutte pour le pouvoir qui continue aujourd’hui. Malgré
les rodomontades dont il est coutumier le régime iranien est
...............................................................................................................................................
2. La Guerre Iran-Irak, première guerre du Golfe, 1980-1988, Perrin, 2013, 604 pages.

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parfaitement rationnel et comprend très bien les notions de rapports
de force et de dissuasion, leçon que n’ont pas manqué de garder les
négociateurs occidentaux sur la question nucléaire. Quant à l’Irak, il
est loin d’avoir trouvé sa stabilité et son unité après le retrait américain
de 2011. Un Irak fort fait peur, mais un Irak failli et démembré est
encore plus alarmant pour ses voisins. C’est bien pour éviter une
tragédie pareille que le pouvoir iranien cherche à se doter de l’arme
nucléaire, malgré ses multiples dénégations. Il s’agit là peut-être de la
conséquence la plus importante du conflit de 1980 à 1988.
Ramsès fournit une analyse fouillée de la crise malienne marquée
par l’éternel retour de la rébellion et qui s’inscrit dans la fragilité de
l’espace sahélo-saharien, marqué par des clivages ethniques, tribaux
et sociaux. Les Touaregs du Nord Mali, majoritaires dans certaines
zones sont en minorité dans d’autres, car les Arabes, et les Songhaïs
et très secondairement les Peuls et les Bozos sont également présents.
Puisqu’une participation française en logistique et une opération de
222 lutte contre les rebellions paraissent imminentes, il est légitime de
s’interroger sur le destin des interventions militaires françaises en
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Afrique qui se sont multipliées. Les négociations entre les FARC, la
plus vieille guérilla du monde et le pouvoir colombien, la Norvège et
Cuba faisant office de pays garants, le Chili et le Venezuela de pays
accompagnateurs, semblent augurer d’un retour probable à la paix.
Chacun des protagonistes sachant qu’une victoire militaire de l’un sur
l’autre est impossible. Mais il reste encore du chemin à parcourir pour
arriver à une paix véritable et à la pleine réinsertion des guérilleros
dans la vie civile et politique. En RDC le pouvoir central est toujours
contesté et les troubles persistent à l’Est, toujours en proie à des
convoitises et des interventions extérieures.
Le conflit israélo-palestinien, un des plus anciens du monde,
puisque les premières manifestations du nationalisme palestinien
remontent aux années 1930, a fait récemment l’objet d’une étude
actualisée sous la forme d’un Atlas des Palestiniens3, qui complète
...............................................................................................................................................
3. Atlas des Palestiniens : un peuple en quête d’un État, éditions Autrement, 2014, 96 pages.
les précédents titres de la même collection (Atlas d’Israël). De la
Palestine sous l’Empire ottoman à l’impasse actuelle, qui a tout lieu
de se prolonger, en passant par une étude fouillée des structures et
comportements démographiques, une étude minutieuse de l’archipel
palestinien, des diverses Intifadas, négociations et plans de paix
successifs, on ne peut qu’être frappé par la persistance de l’impasse.
Combien de temps pourra-t-elle durer au vue des chiffres sur la
situation démographique ? En 2012 les Palestiniens d’Israël, de Gaza
et de Cisjordanie étaient au nombre de 6 078 500 et les Israéliens de
6 042 000, chiffre qui fait abstraction des 5,5 millions de Palestiniens
de la diaspora.

Justifier la guerre ?

Au delà de la description chronologique de ces conflits, une vue


d’ensemble et de haut s’avère nécessaire. Précisément, on la trouvera
dans la deuxième édition revue et corrigée de Justifier la guerre ?, 223
ouvrage collectif paru en 2005 sous la direction de Gilles Andréani
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et Pierre Hassner4. On aurait cru qu’après la mort de Ben Laden,
le 1er mai 2011, la guerre contre le terrorisme toucherait à sa fin. Il
n’en rien été : les États-Unis continuent à employer des moyens de
guerre (frappe de drones et assassinats ciblés, notamment contre
la mouvance islamiste/terroristes). Ils y recourent même davantage
sous l’Administration Obama qu’auparavant. De même la France a
inscrit sa campagne militaire menée au Mali à compter de janvier
2013 sous le signe de la guerre contre le terrorisme, même si les
causes d’instabilité et de violence dans ce pays, comme d’ailleurs
dans l’ensemble du Sahel, relèvent bien davantage des complexités
des situations politiques et ethniques locales que du problème d’Al-
Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Ainsi assiste-t-on à un retour
de l’intervention où les motivations humanitaires et sécuritaires, jadis
plus nettement séparées, se mêlent et se combinent. Humanitaire,
...............................................................................................................................................
4. Justifier la guerre ? Presses de Sciences Po les Presses, 2013, 486 pages.

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sécuritaire, promotion de la démocratie, State-building, où
s’arrêteront les figures de l’intervention ? On risque d’assister à
une course entre le désir légitime des vieilles démocraties, ou de
certaines d’entre elles, de réduire le désordre international et
les dures nécessités financières qui rognent chaque année les
budgets de défense. Mais il est une autre limite qui s’oppose à ces
interventions, c’est celle que lui oppose la résistance des faits et des
hommes, leur coût politique et financier. En analysant le cas de
l’Irak et de l’Afghanistan, le général Vincent Desportes montre bien
qu’avec la fin de l’intervention occidentale on assiste à la fin d’une
ère. Ces deux conflits ont montré les limites de la puissance militaire
occidentale, laquelle, malgré son écrasante supériorité, n’est pas
parvenue aux résultats qu’elle s’était assignée. La force militaire s’est
trouvée dévalorisée dans sa capacité de destruction. Les rapports au
temps, à la distance et la loi du nombre ont fait que le faible s’est
trouvé en position de force. Comment contrer un insurgé capable de
224 mobiliser 2 à 3 % de la population locale, sinon en faisant intervenir
un contingent extérieur atteignant 3 à 5 % de cette population soit
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dans le cas de l’Afghanistan 500 à 700 000 hommes ! D’où les limites
géographiques, politiques, éthiques, sinon financières qui risquent
de rendre vaines bien des interventions militaires.
J.V. Holeindre et L. Testot, ont codirigé une stimulante synthèse
La guerre, des origines à nos jours (éditions Sciences Humaines, 2014,
272 pages). N’a-t-on pas dit tout sur ce phénomène qui remonte à
la nuit des temps ou plutôt aux origines de notre espèce ? Il semble
que non, tant ce caméléon a la vie dure et prolifère même en maints
endroits de notre planète. Sur ce phénomène social total, les auteurs
jettent un regard panoramique, en en examinant bien des aspects (les
sources de la guerre, les États combattants, vers l’apocalypse, et notre
période actuelle, celle des conflits asymétriques). Ils en cernent tous
les aspects aussi : militaire, mais aussi politique, économique,
culturel, et juridique. C’est donc à une réflexion de vingt cinq
siècles de tradition stratégique que se livrent les auteurs en ayant
constamment à l’esprit le mot de Lucien Poirier, le stratège gagne
la guerre, le « tegiste » la comprend et l’explique. De Thucydide,
Xénophon et Enée à Raymond Aron, De Sun Tzu au colonel Galula,
dont s’est inspiré le général Petraeus en Irak, en passant par
Machiavel et Clausewitz, longue est la liste des penseurs de la
guerre qu’ils revisitent. On a le droit, par endroits à des trouvailles
captivantes, comme celle de François (Guicciardini dit Guichardin
- 1483-1540) dont son Histoire d’Italie fut une remarquable
source pour les historiens et dans laquelle ont puisé Jean Bodin et
Montaigne. Qui savait que la révolte des Taiping (1836), fut, avec ses
30 millions de morts, la guerre civile la plus meurtrière de l’histoire.
De la guerre de Sécession, aux États-Unis, un, sinon, le premier
conflit industrialisé qui a mobilisé trois millions de combattants, et
crée 620 000 victimes, aux conflits actuels, le panorama que livre les
auteurs est à peu près complet (Liban, Syrie, Soudan, etc.). Entre la
bombe atomique et les drones, entre les combats dans un univers
urbain, entre le cyber guerres et les multiples guerres de basse
intensité, on voit que les petites guerres se transforment en grandes 225
alois que le lien entre armée et société s’élargit toujours plus. « Celui
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qui ne tient pas à sa vie, tient la tienne en otage » disait déjà Sénèque.
Si la guerre pouvait parler ne dirai elle pas « l’annonce de ma mort est
prématurée ».
Le siècle de sang 1914- 2014, Les vingt guerres qui ont changé le
monde (L’Express, Perrin, 2014, 390 pages) rédigé sous la direction
d’Emmanuel Hecht et Pierre Servent, complète fort bien le précédent
ouvrage. Il décrit donc de manière synthétique les 20 guerres qui aux
yeux des auteurs ont paru les plus importantes du siècle. Ce faisant,
en faisant une place à l’actualité leur choix est forcément contestable.
En effet, les deux derniers conflits traités, celui de la Libye de 2011,
et celui du Mali de 2013, sont certes importants pour la France et
en particulier aux deux présidents qui les ont lancé, mais auront-ils
leur place dans l’histoire dans, 20, 30, 50 ans ? Alors qu’on ne peut
guère en dire autant des autres conflits examinés par les auteurs, les
deux conflits mondiaux bien sûr, mais les guerres d’indépendance
(Indochine, Algérie). La guerre de Corée (1950-53) est qualifiée

| Lu |
d’oubliée. Cela montre l’ignorance que l’on impute au lecteur, car ce
fut l’un des conflits les plus meurtriers de l’après guerre (deux
millions de morts), et que la politique de non alignement est née
de ce conflit. Tout choix est difficile. Les guerres africaines (Biafra,
également deux millions de victimes, le conflit en RDC, cinq
millions … pour ne rien dire du Soudan, de l’Ethiopie/Erythrée)
sont délaissées alors que la guerre des Malouines (1982) a droit à
onze pages. Ces observations étant faites, cela ne retire rien au mérite
de cet ouvrage qui offre un panorama synthétique, je le répète des
principaux conflits de notre siècle de sang. La guerre civile russe
(1918-21) est fort bien couverte en seize pages, plus que la guerre
civile espagnole. Les auteurs, on doit leur en tenir gré, débordent
parfois du strict cadre chronologique des guerres dont ils parlent,
pour examiner leurs conséquences ou les réactions ultérieures que
celles-ci ont provoqué chez les belligérants comme l’Afghanistan
pour la Russie actuelle.
226 Le journaliste d’investigation de The Nation, Jeremy Scahill,
cofondateur du site The Intercept, avait déjà réalisé une enquête
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complète sur la privatisation des guerres américaines en scrutant
l’action de Blackwater, l’ascension de l’armée privée la plus puissante
du monde (Actes Sud, 2008). En s’appuyant sur de nombreux
témoignages directs, il montre comment les États-Unis, dès avant le
11 septembre 2001, s’étaient préparés à mener une guerre secrète,
laquelle a pris sa véritable dimension après les attaques d’Al-Qaida.
Cette guerre « secrète et mondiale » est menée dans les montagnes
afghanes, les villages de Somalie, les villages du Yémen ou les
territoires frontaliers du Pakistan. Selon ses estimations, l’US Army
disposerait de pas moins d’un millier d’installations en tout genre
à travers le globe ! À la pointe du Pentagone se trouvent les forces
spéciales, placées sous le commandement du Joint Special Operations
Command (JSOC - prononcez « djaySoc »). Officiellement
déployées dans 75 pays, elles sont en réalité présentes sur 120
théâtres d’opérations. Créée en 1987, cette véritable « armée dans
l’armée » a vu ses effectifs passer de 37 000 hommes dans les années
1990 à 60 000 aujourd’hui. Quant à son budget, il a bondi de 2,3 à 6,3
milliards de dollars - près de 10 milliards si l’on y ajoute les ressources
extrabudgétaires, soit la moitié du budget israélien de la défense !
L’autre composante « nouvelle » de l’armée américaine est constituée
par les drones (Unmanned Aerial Vehicles). Il existe à ce jour une
soixantaine de bases secrètes, dépendant de l’armée ou de la CIA,
d’où sont lancées des campagnes anti-terroristes dans la Corne de
l’Afrique et la péninsule arabique contre les organisations affiliées à
Al-Qaïda. Ce programme de capture et d’assassinats du gouvernement
américain est en pleine expansion depuis la présidence Obama.
Il faut admettre que les États-Unis font face à une série d’ennemis
redoutables, aguerris, habiles, menaçants, comme l’a montré la
campagne éclair menée par l’EIIS à l’été 2014.

La dissuasion nucléaire, toujours


Spécialiste des questions nucléaires, auteur d’un Dictionnaire 227
de la Dissuasion (Marines éditions) ouvrage encyclopédique sur
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l’histoire des forces nucléaires dans le monde, Philippe Wodka-
Gallien, membre de l’Institut français d’analyse stratégique, fait
un point complet sur la force nucléaire française de ses débuts - le
13 février 1960, à nos jours. En fait, ses développements dépassent
de loin la seule force de frappe française, car il s’agit en vérité d’une
histoire raisonnée de l’histoire nucléaire et du rôle que cette arme
a joué et continue de jouer dans le monde. Au delà, de ces rappels
toujours utiles, l’auteur dresse un panorama complet des arsenaux
nucléaires dans le monde, passés de 70 000 charges en 1989 à 17 000
aujourd’hui, passe en revue les ambitions avouées des puissances
nucléaires « installées », comme de celles s’annonçant (Corée du
Nord) ou en chemin (Iran ?). Le gel ou la décroissance de ces
arsenaux n’a pas stoppé la course au perfectionnement des armes
ou à leur utilisation duale. Cette course est également relancée par
les initiatives prises dans les brèches laissées ouvertes par les traités,
comme l’idée russe de relancer le concept de trains lance-missiles.

| Lu |
D’ici 2020, 85% des armes nucléaires russes auront été renouvelées.
La Chine n’est pas en reste ayant développé un planeur hypersonique,
pouvant atteindre la vitesse prodigieuse de Mach 10, soit plus de
12 000 km/h, et dispose de capacités réelles de défense antimissile.
Dans ces conditions d’incertitudes et de multiplication des conflits,
la force de dissuasion française continue à jouer pleinement son rôle,
celui d’assurer une liberté d’action au président de la République,
que sans elle il n’aurait pas développe Philippe Wodka-Gallien. Les
décisions imposées pour son renouvellement seront prises à la fin
de la présente décennie, elles fixeront les choix pour une nouvelle
généra ration de vecteurs dont l’entrée en service est attendue pour
l’horizon 2030. Ces futurs armements porteront notre stratégie au
delà de 2080.

Géopolitique du terrorisme
228 S’agissant du terrorisme dans le monde, Jean-Michel Dasque
fait le point de manière claire, globale, pédagogique même dans
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Géopolitique du terrorisme5. Définition, préhistoire du terrorisme,
formation, évolution et disparition des groupes terroristes,
caractéristiques du terrorisme, voilà un panorama des plus
complets. Ce qui retient surtout l’attention c’est sa description
détaillée des foyers terroristes existant dans le monde qui se
concentrent dans un croissant s’étirant du Pakistan au Sahel. Certes,
il est souvent difficile de démêler ce qui relève des mouvements de
libération nationale, des irrédentismes, de la criminalité tous ces
mouvements s’interprètent au niveau de leurs méthodes, sources
de financement, actions. En conclusion Jean-Marie Dasque paraît
relativement optimiste, en constatant qu’Al-Qaïda est beaucoup
moins opérationnelle qu’auparavant, qu’elle s’est scindée en
de multiples fractions et n’a pas été en mesure de réaliser des
opérations spectaculaires. Pourtant les actions terroristes n’ont pas
...............................................................................................................................................
5. Ellipses, 2013, 304 pages.
vraiment disparues ; l’extension de théâtres d’opération le prouve
qu’il s’agisse de la Russie, du Kenya, du Sahel de la Libye ou de
l’Égypte. Certainement la coopération interétatique et au sein des
organisations internationales a considérablement progressé
comme il le décrit. Peut-être que comme la guerre, plus encore
même, le terrorisme est un caméléon.

L’insondable conflit en Syrie

On l’aura remarqué maintes foins les crises internationales se


succèdent à une cadence effréné et l’une chasse l’autre. Cela semble
être le cas de la Syrie, depuis l’été 2013 où les Occidentaux, Français
en tête, voulaient châtier Asad et renforcer les forces d’opposition.
Depuis quelques mois, les voix à l’égard de la Syrie sont devenues
beaucoup moins stridentes. Est- ce par ce que les responsables ont
lu et médité l’ouvrage de Frédéric Pichon, arabisant et chercheur,
qui sillonne le Moyen-Orient depuis plus de dix ans, en particulier 229
la Syrie à laquelle il a consacré son doctorat. (Pourquoi l’Occident
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s’est trompé ?, Editions du Rocher, 2014, 132 pages).
Dans ce libre, bien documenté, court et clair il énonce d’emblée
les trois erreurs qui ont été commises en Syrie :
- en premier lieu, c’est d’avoir sous-estimé la résilience de l’armée
et du régime, sur ce point on ne peut que le suivre ;
- puis, c’est d’avoir cru qu’une intervention internationale
aurait pu avoir lieu sans les Russes. Il est difficile de croire que les
Occidentaux étaient soit aussi naïfs, soit aussi peu respectueux des
règles internationales, surtout depuis les précédents irakien de 2003
et libyen de 2011. Si France, États-Unis et Grande Bretagne ont
brandi la menace des bombardements, c’est principalement pour
des raisons diplomatiques, plus que militaires.
- enfin, il reproche aux Occidentaux d’avoir pensé que l’émotion
aurait suffi à mettre les opinons publiques de la partie. On sait que
celles-ci sont assez volatiles, malléables et oublieuses.

| Lu |
Certes il constate avec raison, que l’Occident avait fait le calcul
d’une chute rapide de Bachar Al Assad, est-ce vrai, pour autant, que
l’on a tout simplement sous traité le conflit à certains pays du Golfe,
le Qatar et l’Arabie saoudite en particulier. Il est vrai que la France
disposait de maints atouts diplomatiques dans l’affaire syrienne : une
bonne connaissance du dossier, régional, une tradition ancienne de
résolution des conflits, une réputation de mesure et une capacité de
dialoguer avec tous. Peut-on le suivre lorsqu’il affirme que Paris s’en
est tenu à une diplomatie au cow boy et qu’il s’est mis à la remorque
des néoconservateurs américains ?
Poussant plus loin l’analyse, Frédéric Pichon, constate, que le
cas syrien démontre l’échec de l’occidentalisme. C’est une formule
un peu forte. Il aurait plus conformes à la réalité de constater que
l’Occident n’a plus le monopole du pouvoir et que celui est
désormais plus partagé avec d’autres pôles de puissance. À ce
jour le rôle des Occidentaux reste irremplaçable car aucun autre
230 cendre de puissance n’a ni pris la relèvent ni n’est disposé et capable
de le faire.
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La position russe qu’il analyse dans le détail apparait « réaliste »
mais elle a plus pieuvre pour la préservation du statu quo qu’elle n’a
oeuvre en faveur d’un solo ton globale du drame syrien. Certes,
il vaut mieux Assad, que le chaos, ou pire encire un nouvel État
islamiste, planté en plein coeur du Croissant fertile. Paru en avril
2014, donc rédigé en début d’année, l’ouvrage de Frédéric Pichon
n’avait surement pas prévu l’avance stupéfiante des djihadistes
sunnites en Irak et l’instauration d’un « État islamiste d’Alep à
Mossoul », mais tous ses développements, visaient à se prémunir
de ce danger. D’où certainement une plus grande prudence des
Occidentaux à l’égard de la crise syrienne, appelée certainement à
durer des années.

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