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Parité : un résumé historique sur l’égalité hommes/femmes

Vous tous, femmes comme hommes, entendez ou lisez souvent le mot parité à travers
les médias. Des nouvelles lois sont élaborées pour tenter de faire appliquer un droit
constitutionnel fréquemment bafoué : celui d’un traitement égalitaire
indépendamment du sexe. Si plusieurs facteurs sont certainement en jeu dans
l’application partielle de la loi, j’émets l’hypothèse dans cet article que la source principale
en est le conditionnement historique d’une domination masculine. Ce déséquilibre entre
hommes et femmes qui tire son origine du droit romain, pèse sur les activités
quotidiennes, notamment dans la sphère du travail, et pollue les relations entre les
individus.

Si le mot parité, synonyme d’égalité, sous-entend fréquemment l’égalité hommes /


femmes, c’est pour mettre en lumière que cette égalité n’est ni évidente, ni respectée.
Le concept de parité associé à une plus juste répartition sexuée, notamment dans la
représentation politique, apparaît dans les années 1990 ; il se répand comme
revendication à partir de la publication en 1992 du livre de Françoise Gaspard, Claude
Servan-Schreiber et Anne Le Gall, Au pouvoir citoyennes, liberté, égalité, parité. En effet,
la France accuse un net retard sur l’équilibre hommes /femmes dans le domaine de
l’espace public :
En 2005, les femmes représentent 12% des députés, 11% des sénateurs, 10% des
maires.
En 2008, elles représentent 18,5% des députés, 22% des sénateurs, 13,9% des maires.
En 2010, elles sont 48% dans les conseils régionaux (grâce à la loi sur la parité) mais 2
seulement sont présidentes de région.
Comme le dit Roselyne Bachelot : « c’est amusant, plus les partis sont éloignés du
pouvoir, plus il y a de femmes … Quand le pouvoir s’approche, les femmes reculent. »

Mais d’où vient donc cette étrange mise à l’écart des femmes ? On ne peut comprendre
l’origine de cette discrimination sans faire un tour dans l’histoire de notre pays.
C’est en fait le droit romain qui nous a transmis la « suprématie culturelle » de l’homme
sur la femme. Comme l’explique l’historienne Régine Pernoud 1, citant le juriste Robert
Willers : « A Rome, la femme, sans exagération ni paradoxe n’était pas sujet de droit …
Sa condition personnelle, les rapports de la femme avec ses parents ou avec son mari
sont de la compétence de la domus dont le père, le beau-père ou le mari sont les chefs
tout-puissants … La femme est uniquement un objet. » D’ailleurs à cette époque, les
filles étaient souvent considérés comme indésirables et tuées par le père à leur
naissance. Il avait de toute façon droit de vie et de mort sur tous ses enfants. Il gardait
éventuellement la fille aînée dans la famille mais elle n’avait pas droit à un prénom
contrairement aux garçons.

Pendant le Moyen Age, la femme jouit d’une certaine indépendance et sa maturité plus
précoce que celle de l’homme est reconnue dans l’âge de la majorité : 12 ans pour la
jeune femme, 14 pour le jeune homme. A partir du XVIème siècle, la situation de la
femme change profondément : le concile de Trente (1563) rend obligatoire la cérémonie
religieuse de mariage tout en réaffirmant son indissolubilité puis le pouvoir royal (Charles
IX) confirme cette indissolubilité en même temps que la sujétion de l’épouse au mari. La
1
Régine Pernoud La femme au temps des cathédrales Illustrations choisies et commentées par Guy Lobrichon Edition
Stock Paris 2001

1
femme qui disposait au Moyen Age de ses biens propres se trouve sous la dépendance
totale de son mari, elle ne peut disposer d’aucun de ses revenus sans l’accord écrit du
mari. D’ailleurs à partir du XVIIème siècle, elle est obligée d’abandonner son nom de
naissance et de porter le sien. La femme restera donc une mineure civile (son statut
social est équivalent à celui d’un enfant) pendant plusieurs siècles soumise
successivement à son père puis à son mari. La réforme des régimes matrimoniaux qui
lui donnera enfin la libre disposition de ses biens et de son salaire n’interviendra
qu’en 1965.

La révolution française de 1789 où les femmes sont largement partie prenante met au
premier plan l’espoir d’un ordre social différent, non seulement pour l’ensemble des
individus mais aussi pour la catégorie femmes qui se sent fortement opprimée. Elle
réclame notamment le droit de vote qu’elle avait au Moyen Age mais qui fut abrogé au
XVème siècle. A la tête des revendications féminines, Olympe de Gouges rédige en
1791 la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne : « La femme a le droit
de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la Tribune. » (Article
X). Olympe ne montera jamais à la Tribune mais elle sera guillotinée en 1793.

L’époque autoritaire de l’empire voit la création du Code civil qui réduit encore le peu de
liberté des femmes. L’exemple du divorce est particulièrement significatif : le divorce par
consentement mutuel établie par la loi de 1792 est supprimé ; dorénavant, si le mari peut
divorcer facilement de sa femme adultère qui est passible d’une sanction pénale pouvant
aller jusqu’à 2 ans en maison de correction, la femme, par contre, ne peut demander le
divorce d’avec son mari infidèle qu’en apportant la preuve que l’acte a été commis dans
la maison commune. Le divorce est d’ailleurs totalement supprimé par Louis XVIII en
1816 et ne sera rétabli qu’en 1884 sous la IIIème république. Quant au divorce par
consentement mutuel, il ne reviendra dans la loi qu’en 1975.

Globalement, la situation de la femme au XIXème siècle est catastrophique. La majorité


des femmes travaillent et sont honteusement exploitées. Le droit romain a prévalu : non
seulement les salaires féminins sont très inférieurs au salaire masculin mais de plus la
femme mariée ne peut disposer librement de ses gains. Les patrons, donc, préfèrent le
personnel féminin : elles travaillent mieux et coûtent beaucoup moins chers. « En 1831,
les ouvrières en soie travaillent dès trois heures jusqu’à onze heures du soir, soit dix-sept
heures par jour … En outre, les commis abusent des jeunes ouvrières. »2 A cette vie
miséreuse qui concerne la majorité de la population féminine s’ajoute le mépris : parce
que la femme ouvrière s’écarte de son statut naturel qui est la maternité et les travaux
domestiques, elle n’est plus une « vraie » femme. Cette dévalorisation de l’image de la
« travailleuse » et du travail féminin pèsera lourdement dans les consciences et
perdure encore.
Des pétitions en masse concernant le droit des femmes arrivent à la chambre des
députés dès 1830 ; leur seule réponse sera le silence. Alors, peu à peu les femmes
s’organisent en mouvements ; elles créent des publications. L’une des plus célèbres
s’appelle La voix des femmes3; l’une des voix les plus connues est sans doute celle
de Louise Michel. Masculinisée comme George Sand, pour mieux être entendue,
elle signa pendant 10 ans ses articles du nom de Louis Michel. Active participante à
la Commune de Paris, elle sera emprisonnée puis déportée en Nouvelle Calédonie
pendant sept ans. Elle y refusa un traitement de faveur « féminin » et partagea le régime
2
Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe 1 pp. 198-199
3
créée en 1848 par Eugénie Niboyer deux mois après l’instauration du suffrage universel masculin.

2
de ses compagnons hommes. Son séjour lui fournit l’occasion d’instruire les autochtones
kanaks et de s’associer à leur révolte en 1878.4

A contre-courant des normes établies, des femmes courageuses se sont levées et ont
brillé dans leur activité. Mais ces femmes ont eu la chance d’être instruite, ce qui était un
privilège. L’éducation des filles se réduisait généralement aux notions de base des
travaux ménagers ; si la loi Ferry de 1882 sur l’instruction laïque et obligatoire permet
enfin aux filles un accès à l’école primaire, elle ne leur apporte pas les mêmes
connaissances ; les programmes sont fort différents de ceux des garçons : la morale et
les travaux domestiques y occupent une place prépondérante.

Les progrès seront lents. L’accès au baccalauréat ne sera ouvert aux filles qu’en
1924. A partir de cette date et tout au long du XXème siècle, les filles vont investir l’école
avec une progression fulgurante : à partir de 1971, les bachelières dépassent les
bacheliers, leur taux de réussite légèrement supérieur (2 à 3%) reste constant jusqu’à
2011 inclus.

La révolte de mai 1968 initia le processus de l’accès des femmes aux écoles et aux
professions dites masculines : la plus renommée des écoles, l’école Polytechnique
(surnommée l’X) voit l’entrée d’une femme major de promotion en 1972, la première
année où les femmes furent autorisées à se présenter au concours. En 1999, Caroline
Aigle devient la première femme pilote de chasse, elle était sortie major de l’école
Polytechnique.

Outre ces deux exemples, les femmes investissent de nombreuses professions


« réservées » : du bâtiment, travaux publics, aux métiers militaires en passant par les
professions libérales. Peu à peu, la spécificité évidente des femmes pour les travaux
domestiques, autrement dit, sa place naturelle de femme au foyer, diminue dans les
représentations, même si elle n’a pas totalement disparue. Pour asseoir cette évolution,
une commission de féminisation fut créée en 1984 et œuvra pendant deux années
notamment sur les règles pour féminiser les noms de métier (plombière, inspectrice,
lieutenante, magistrate, carreleuse, menuisière, …) ; malheureusement, ses propositions
se heurtèrent à de violentes critiques et au conservatisme de l’Académie française :
« Vous voulez détruire la langue française ! ». Néanmoins la ministre des droits de la
femme, Yvette Roudy, fait paraître au journal officiel la circulaire du résultat des travaux
de la commission. Circulaire n’est pas loi et il faudra attendre 1997 où toutes les
ministres femmes ont exigé leur appellation au féminin « Madame la Ministre », pour que
s’étendent à toutes les sphères du travail les appellations féminines.

Ainsi la deuxième moitié du XXème siècle condense, réunit les acquis des réclamations
qui auront mis pour certaines, presque cent ans pour aboutir. En commençant par le droit
de vote, enfin accordé aux femmes en 1944 par le général de Gaulle, l’espace public
masculin ne cesse plus de se fissurer pour y laisser pénétrer les femmes. Mais la
vigilance doit être constante, le sexisme est encore présent chez beaucoup et certaines
avancées sont bien lentes : qu’il s’agisse par exemple de la représentation politique ou
de l’égalité des salaires, preuve que les lois sur la parité ne peuvent annihiler des siècles
d’histoire.
4
Louise Michel, la rebelle de Solveig Anspach (sorti en avril 2010) est un film biographique très fidèle ; à ne pas
confondre avec le film Louise Michel de Gustave Kervern et Benoit Delépine (sorti en décembre 2008) qui n’est pas
une biographie mais néanmoins rend hommage à l’héroïne de la Commune.

3
La supériorité masculine a paru une évidence aux yeux de tous pendant plusieurs
millénaires. S’affranchir de ce mythe ancré historiquement dans les consciences est sans
nul doute le résultat des efforts de nombreuses femmes et aussi, il est sain de le
reconnaître, de quelques hommes. Revoir et revisiter les relations femmes / hommes est
le plus beau pari du XXI ème siècle. En se regardant l’un, l’autre et en reconnaissant à
chacun, son origine d’être humain, le masculin et le féminin peuvent s’harmoniser aussi
bien en chaque individu que dans la rencontre «inter sexe ».
Dominique Abel

Pour en savoir plus :


ABEL D. La Femme en sept états Paris, Publibook, 2009.
BACHELOT R. FRAISSE G. Deux femmes au royaume des hommes. Paris, Hachette,
1999
BARD C. (sous la direction de) Un siècle d’anti-féminisme. Paris, Fayard, 1999.
DE BEAUVOIR Simone Le deuxième sexe Paris, Gallimard, 1976 (1ère édition 1949)
BOURDIEU P. La domination masculine. Paris, Seuil, 1998.
FRAISSE G. Les femmes et leur histoire. Paris, Gallimard, 1998.
HERITIER F. Masculin/Féminin II. Dissoudre la hiérarchie. Paris, Odile Jacob, 2002.
TOURAINE A. Le monde des femmes Paris, Fayard, 2006.

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