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BCE ECG Corrigé mis en ligne par ANNEE 2023

PROPOSITION DE
CORRIGE BCE
CONCOURS D’ADMISSON 2023

Prépa
Dissertation de culture générale – HEC Paris / emlyon
Voie ECG
Jeudi 27 avril 2023 de 8h à 12h
Durée : 4 heures
Sujet : L’épreuve du monde
BCE ECG Corrigé mis en ligne par ANNEE 2023

L’EPREUVE DU MONDE

Quelle épreuve ! soupirent déjà les candidats d’HEC-EM Lyon. Pensez le Monde lui-
même ! Eh non ce n’est pas une blague, la blague du monde, nom d’un groupe musical
« branché » de la génération peut-être déjà précédente, et expression que l’on peut
apercevoir, au hasard d’un phare projeté sur la plaque, discrète, d’une rue du carrefour, si
labyrinthique en apparence par la multitude des interdictions et impasses, qui en ornent
l’issue, d’un certain village du grand Ouest parisien.

La divine épreuve et le chemin de la vie

Le labyrinthe du monde complet, réel n’est pas, entre Borgès et Lacan, une fiction,
voire, comme l’écrit un autre psychanalyste songeant peut-être à Wittgenstein, un mot
d’esprit. Leibniz lui consacre toute son œuvre au titre du labyrinthe du continu ; l’autre lecture,
congruente, est celle du labyrinthe de la liberté. Nous pressentons ici ce qui constituera
l’épreuve du monde. Il s’agit d’en trouver, pour un sujet supposé libre que nous persisterons à
dire humain, le fil d’Ariane spatial qui permettra au pire de s’y reconnaître, au mieux d’en
échapper.

Il est un second fil d’Ariane, celui qui guide notre cheminement dans le temps, où les
éléments constitutifs du monde - les substances, rues, bâtiments, villes, qui nous environnent,
les prédicats qui s’en détachent à la façon d’évènements tels qu’une tuile qui tombe et tue un
homme dans le cours du monde, déterminent pour nous l’épreuve du choix. Je marcherais sur
Rome, mais suis-je César ? Une fois rendu à destination, serai-je assassiné ? Dieu, par ailleurs,
a-t-il voulu que je le sois ? M’aurait-il prédestiné à l’être ? Le suis-je au contraire par ma faute
ou par celle « de la fatalité », comme pour Charles Bovary dont la femme se tue sans cause,
altérant définitivement le cours de sa vie ?

Le choix par Dieu du meilleur des mondes possibles, raillé par Voltaire, annulé par
Spinoza identifiant le Créateur au monde lui-même, est une épreuve que Dieu transcendant à
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l’ordre du créé traverse en un instant, éternellement même la Création est un éternel


évènement, si elle n’est elle aussi continue. Le Créateur, affranchi des embarras du temps créé,
précise Thomas d’Aquin, en simultanéité avec le monde l’est aussi de ceux de l’espace, libre
qu’il est de ne créer, par choix, qu’une substance voire aucune, possibilité que marque
fortement Russell.

Dans les termes du &12 de la Monadologie, tout le discours leibnizien demeurerait vrai,
« pourvu qu’il ne restât que Dieu et Moy ». La relation de l’individu à Dieu est aussi une
épreuve, mais de nature mystique, décrite, dans la tradition chrétienne, par Thérèse ou Jean
de la Croix. On a souvent insisté Kojève par exemple sur le fait que le mysticisme est de
propension athée, tendant vers l’identification à Dieu ; moins sur sa dimension acosmique.

S’il n’y a que Dieu et Moy, le monde a disparu : « Otez toute chose, afin que j’y voie »
déclare Monsieur Teste mourant. Le philosophe va jusqu’à affirmer qu’un monde
« unisubstantiel » ignorerait l’espace réduirait à Moy qui suis « ponctuel » mais non le temps.
Toutefois, même « seul au monde », j’affronte la succession réglée de mes prédicats, qui
définissent mon individualité.

Je peux ainsi choisir, seul devant Lui, pour ou contre Dieu dans une épreuve
« intérieure », autre que celle du monde, si j’ai atteint au stade religieux des Etapes sur le
chemin de la vie de Kierkegaard, qui sont autant d’épreuves contre soi-même mais avec les
autres qui font le Monde : stade esthétique avec l’érotisme du sous-stade, stade éthique avec
le dilemme du mariage qui conduisit le philosophe à la fiction du Journal du Séducteur, son
alter ego dans un monde inversé parent du monde phénoménal platonicien ou hégélien et
indépendant de la vertu qui caractérise le monde droit.

L’épreuve du monde dans le temps, l’existence, la phénoménologie de la vie vécue par


Moy est un parcours biaisé où, l’espace étant incertain du fait du désert environnant il n’y a
que Dieu et Moy les choix se font tous dans le labyrinthe de la liberté. Vertu et vice s’y
rencontrent et échangent comme Justine et Juliette chez Sade, comme divertissement et pari
chez Pascal, comme les nihilismes actifs et passifs chez Nietzsche.
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Un labyrinthe manquant

Mais ce monde est-il réel ? Pourquoi pas un autre un arrière-monde, un monde des
Idées, un monde pour la « communion des Saints » ? Pourquoi pas plusieurs, Everett l’a
sérieusement envisagé. Pourquoi pas un monde complémentaire il manque la moitié de
l’Univers pour Sakharov, Jean-Pierre Petit ; il y a trop de matière sombre. Pire, la figure de ce
monde s’évanouit un des plus beaux vers de Hugo. A-t-il disparu dans l’autre, le monde
complémentaire ? Reviendra-t-il comme dans le retour éternel de Nietzsche ?

Dans l’Homme stochastique, Silverberg imagine deux jumeaux divagation, au sens


élogieux de Mallarmé mais, au lieu d’errer dans un même Monde relativiste, chacun voyage à
la rencontre de l’autre, en sorte, comme dans le Timée, l’un rajeunit, mais sans jamais s’unir à
l’autre pour ne faire qu’un « Moy. ». Le principe fameux de l’identité des indiscernables se
double pourtant, comme le montrent les logiciens, d’une indiscernabilité des identiques.

Or, l’être-au-monde est seul ou devant autrui : épreuve négative du solitaire, épreuve
positive des amoureux qui sont « seuls au monde » et donc comme enfermés dans un monde
distinct, mais non individuel : celui du faire Un de l’amour. S’ils sont « seuls au monde », c’est
que les amoureux, conçus ensemble, font monde un monde qui n’est qu’à eux, et par suite, est
eux un monde topologiquement inclus dans le Monde.

Les prédicats qui les définissent Roméo, Juliette ont disparu, ne serait-ce
qu’idéalement, dans « une seule chair » qu’on ne peut plus dire « chair du Monde »,
seulement « chair-Monde » la chair symbolique de l’amour, voire celle, réelle, de la vie. En
séparant les Eaux de la Terre ou le Firmament des Eaux (Gn 1-2), Dieu n’en a pas moins uni
l’homme et la femme virtuellement c’est-à-dire que ces derniers ont en quelque sorte mission
d’unir ce que Dieu a séparé : de constituer un monde où Deux serait Un.

Le deux la différence ne suffit pas, serait-il comme pour Alain Badiou le fondement de
l’amour. L’amour ne fait pas le monde, n’en réunit pas, par la magie d’Osiris, les membres
épars de la diversité et différence des corps comme étant-au-monde. Il y faut l’union, par
laquelle homme et femme, en tant que chair, conjurent ce que Freud nomme « castration »,
mais tout un chacun, bien que le Monde lui soit ainsi donné, solitude.
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L’amour met fin pour un temps au monde qui sera toujours le monde, et l’est « depuis
que le monde est monde » lieu commun raillé par Léon Bloy. Le monde commun, anonyme
celui où, insiste Heidegger, l’on meurt n’est au fond qu’un demi-monde, affectivement trop
grand pour un, mais trop petit pour deux. Nous sommes à demi écrit Jeanne Benameur.

Les clés du Monde

L’amour substitue, à ce monde d’uniformité pourtant erratique et anomique et d’ennui,


celui de l’aventure, à peine moins sérieux que le premier. Oser s’aventurer est tout autant une
épreuve, que de subir ce monde donné, l’enfant de Nietzsche, tout aussi « vrai » que le lion et
le chameau. Si l’un porte le monde la devise des Chartreux, le « complexe d’Atlas étant allégé
par Dieu qui aide aussi à flotter sur les eaux si le lion l’écarte jusqu’au Néant, l’enfant le recrée.

La limite de cette éternelle création par l’art ou par la vie est le retour éternel. Nous
pouvons refuser d’envisager, comme le veut Deleuze dans son interprétation, qu’il soit
« sélectif ». Le monde doit être donné à chacun. De même qu’il n’est donc, selon de Siddharta
de Hesse. jamais unilatéral, il devrait aussi, afin de permettre, et la sainteté, et le péché, être
simultanéité ou donné « en Dieu » de même que Mlle de Lespinasse, chez Diderot, est Dieu
parce qu’elle est matière.

Ce modèle où Dieu et Monde coïncide a été imaginé en Physique, en particulier par


David Bohm. Bergson comme la psychanalyse lacanienne traite pourtant la simultanéité
comme du semblant, en regard de la durée impliquée par le cours du monde. C’est bien dans
le temps qu’Augustin ou Paul se convertissent ou reçoivent une Illumination qui n’occupe qu’un
instant. Etant intemporel, l’instant source de la mesure que nous prenons du mouvement des
choses indépendant de l’espace, nous donne à penser que le monde aussi serait éternel.

Mais c’est là se soustraire par l’imagination à une épreuve réelle. Nous n’avons le
pouvoir et encore que de faire le tour du monde, certes plus rapidement qu’au temps de Jules
Verne, si nous prenons en compte l’information, plutôt que l’énergie, qui le constituerait.
« Constante » physique en réalité, corrélée à trois autres, tributaire tant de l’énergie quantifiée
que de la vitesse, elle-même variable dans les modèles les plus récents, de la lumière,
l’information « dégravite », elle nous installe dans un grandissant clinamen, démultiplié par
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l’illusion d’un « multivers » qui serait, par impossible, à l’unicité des indiscernables ce qu’est la
lévitation à la force newtonienne.

Croyant, même pour la science, que nous pouvons, par un voyage temporel, arrivés
avant que d’être partis, nous dispensant donc de faire réellement le tour du monde, nous
vivons imaginairement en « apesanteur ». Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots.
Mais n’est-ce pas là Satan serait poète le discours du « Prince du monde » pourfendu par Jean ?
Mon royaume n’est pas de ce monde : la voie est claire. Jésus traverse, au désert, une triple
épreuve ou tentation : celle de la métamorphose des pierres en pain (alors qu’il accomplira le
miracle de la transformation du pain) ; celle de la précipitation volontaire (Dieu étant défié de
suspendre la loi du monde pour le sauver) ; celle enfin de la soumission au Démon.

Par ce dernier on acquiert à l’instar de Faust- les clés du monde. Freud promet la même
compensation à l’artiste en échange du don au monde de la « prime mystérieuse de la
beauté ». Ainsi, Wagner, stupéfait d’avoir mis au monde Tristan und Isolde, considérait que le
monde lui devait ce dont il avait besoin et l’a étonnamment reçu, par Liszt, lui-même à demi -
« étranger » au monde en tant qu’ayant reçu les ordres mineurs catholiques, dont le pouvoir
d’exorciser.

Ce monde, écrit Kojève en attribuant cette pensée à Platon, vaut décidément la peine
d’être fui sans se presser. Renonce à ce monde précise un adage du bouddhisme renonce à
l’autre, mais, suprême épreuve, renonce au renoncement. Telle est aussi la réponse de
Zarathoustra à Schopenhauer : consentir à « revenir éternellement » avec le cortège, tant de
« vaine gloire » que de médiocrité qui nous constitue ainsi que les autres, au sein de la
communauté des Etrangers au monde, les dits humains.

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