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Éditions de
la
Sorbonne
L'écrivain, le savant et le philosophe | Eveline Pinto

Introduction
Eveline Pinto
p. 9-27

Texte intégral
1 Depuis l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans
la France issue de la Révolution, la littérature a
revendiqué sa place au premier rang des valeurs
culturelles. Cette place qui lui fut disputée par la
philosophie dès l’Antiquité, s’avéra bientôt soumise au
jeu de la concurrence créée par l’apparition d’une
nouvelle discipline, la sociologie, où deux orientations,
littéraire et scientifique, paraissaient s’affronter1.
2 « Dans la culture grecque, la philosophie fut l’autorité
spirituelle par excellence », écrit Paul Bénichou. Platon
aimait les poètes, à cause de la source des vérités qu’ils
enseignent, car il les croyait inspirés par un don, et
même possédés par un dieu ; mais c’était une manière
de déclarer que le don, l’inspiration, le génie, ce par
quoi le poète avait puissance de parler et d’enseigner
comme ayant autorité et qui avait sa place à côté de la
pensée rationnelle, ne lui appartenaient pas, le plaçaient
en état de dépendance, sous l’influence d’un dieu. Dans
cette lutte pour arracher à la poésie, plus ancienne
qu’elle, le monopole de l’autorité spirituelle, le
philosophe concéda au poète le domaine du mythe, de la
fausse ou de la demi-vérité qui s’exprime à l’aide des
métaphores et autres séduisantes images, et se réserva
la meilleure part, le royaume de l’absolue vérité dont il
se proclama alors le roi : celui où l’on bâtit des systèmes,
où l’on établit le fondement, où l’on contemple la vérité
immuable et intemporelle, et dont la contemplation
conditionne l’action, l’emprise sur les âmes, l’art de
diriger les hommes et de gouverner la cité.
3 Cette première répartition des domaines assigne pour
longtemps à chacun sa compétence : au philosophe
solitaire, retiré loin des bruits de la vie publique, les
valeurs universelles de la science, de la vérité et du bien,
au poète les valeurs mondaines, l’art d’orner la vie, de
divertir et d’instruire, d’enseigner la civilité et les
bonnes manières en société. Ce départage est celui que
retient l’âge classique, alors même que le nom de poète
restreint son champ d’application à l’usage de certaines
formes d’écriture et que se vulgarise un nouveau
lexique, où le terme « gens de lettres » semble regrouper
« une vaste corporation, embrassant avec les littérateurs
les savants, les philosophes, les publicistes en général,
tout ceux qu’en somme nous appellerions aujourd’hui
les intellectuels »2. Descartes distingue ainsi « la
méthode pour bien conduire sa raison et chercher la
vérité dans les sciences » et les habitudes de pensée
propres à l’homme de loisirs, et se déclare étranger à la
corporation des « gens de lettres », sitôt qu’il eut
« achevé tout ce cours d’études au bout duquel on a
coutume d’être reçu au rang des doctes ». N’attendant
rien ni des « bons esprits » de son siècle ni d’« aucune
doctrine dans le monde », son souci a été de développer
la puissance proprement philosophique de bien juger et
de distinguer le vrai d’avec le faux, qui est ce qu’il
nomme « le bon sens ou la raison », puissance
universelle, « égale en tous les hommes ». Descartes
englobe dans l’enseignement scolastique, parmi « les
exercices auxquels on se livre dans les écoles », les
langues et les livres anciens, la gentillesse des fables,
l’histoire des actions mémorables, les livres modernes,
l’éloquence, la poésie et la théologie, et même une
certaine forme de mathématiques, « les écrits qui
traitent des mœurs », une philosophie enfin qui donne
moyen de parler vraisemblablement de toutes choses et
de se faire admirer des moins savants. À la culture des
lettres occupée de fables, d’histoires et de romans qui
divertissent mais qui faussent l’esprit, et qui cependant
donnent moyen de briller en société, Descartes oppose
une autre culture, que l’on peut qualifier de
philosophique, puisqu’elle est tournée vers la science et
la sagesse universelle, connaissance solide et bonheur
« pur » de la contemplation du vrai3.
4 La culture littéraire que Descartes a dépréciée en
fonction du critère de vérité et de science, a été en fait
appréciée au xviie siècle selon d’autres normes sociales,
mondaines ou esthétiques : elle engage la notion
d’auteur (auctor), de celui qui a autorité (auctoritas)
pour donner du prix, de la valeur à ce qu’il fait. De plus
il semble qu’à l’âge classique, le nom d’écrivain,
« comme le créateur d’ouvrages à visée esthétique », ait
dépassé rapidement « auteur », comme terme référant à
un prestige : « Aux yeux des maîtres de la norme
linguistique et esthétique, le nom d’écrivain doit être
réservé aux seuls auteurs qui joignent à la création l’art
et la forme », écrit Alain Viala4. Lorsque Valéry pose que
« la Littérature est, et ne peut être autre chose qu’une
sorte d’extension et d’application des propriétés du
langage », sa définition du purisme esthétique, à
première vue avant-gardiste par rapport à la littérature
romantique, renoue en fait avec l’héritage du haut
« dict » médiéval et retrouve l’une des facettes littéraires
les plus appréciées de l’âge classique.
5 Distingués, dissociés de fait dans leurs rôles respectifs
par Descartes, « écrivain » et « philosophe » se trouvent
à nouveau réunis dans la figure idéale de « l’homme de
lettres » au cours du siècle qui s’achève par la
Révolution. Cette figure rassemble ceux qui, pleins des
idées de l’ordre et du bien public, se veulent guides de
l’esprit humain, et cela, qu’ils soient philosophes,
savants ou hommes du monde. L’article « gens de
lettres » (1765) du Dictionnaire philosophique de Voltaire
montre en effet qu’« au-delà des écrivains “littéraires” »,
comme l’écrit Christophe Charle, « le terme englobe
également les philosophes et les savants », unis par la
haine des « préjugés dont la société était infestée » et
par le désir de les détruire avec l’arme de la critique5. Ce
groupe social, malgré son expansion notable au
e
xix siècle, n’a pas une identité plus claire à l’époque de

la restauration conservatrice où l’on ne distingue pas


mieux les fonctions et les rôles impartis à chaque
composante du groupe. Tout se passe comme si ceux
que l’on n’appelle pas encore les « intellectuels » avaient
reçu mission de faire le procès de l’esprit destructeur de
l’homme de lettres et de mettre à la place une autre
exigence de spiritualité. La réaction critique à la critique
annonce l’arrivée des prophètes et des « prêtres d’une
inspiration invisible », d’une nouvelle cléricature de
gens instruits, à la recherche d’un compromis entre
l’ancien et le nouveau6.
6 Au temps de l’éclectisme et du « juste milieu », où Victor
Cousin, professeur à la Sorbonne, était ministre de
Guizot, poètes et artistes étaient, semble-t-il, mieux
placés pour répondre à ce rôle que les philosophes,
dénoncés comme parvenus crucifiant la philosophie sur
toutes les croix et la trompant. Le sacre du « poète »
comme prophète de l’avenir marque la consécration des
« mages romantiques » incarnés dans les figures
prestigieuses de Lamartine, Hugo et Vigny, puis de
« l’artiste », qui se définit par opposition, « contre
l’homme de lettres du xviiie siècle, trop moraliste et
politique, contre le poète romantique, trop prophétique
et engagé, et contre le bourgeois philistin, incapable de
dépasser le bon sens »7. Avec l’invention de la figure de
l’artiste, la littérature s’affranchit de la morale et du
didactisme, chasse de son domaine la philosophie et
s’affirme comme une pratique autonome n’obéissant
qu’à la spécificité de ses règles, dans un champ littéraire
en pleine voie d’autonomisation. Quant à la philosophie,
elle se laïcise dans l’enseignement de Victor Cousin et
d’Auguste Comte, et deviendra bientôt le fait d’un corps
de professeurs, « destinés à une autre fin que celle de
créateurs » et qui, « pour la plupart, n’ont jamais même
songé qu’ils pourraient faire autre chose que dicter des
cahiers »8. En butte au jeu de la compétition avec la
littérature à l’extérieur et à l’intérieur du champ
académique, la philosophie se vit bientôt affrontée à un
nouveau concurrent, avec l’introduction de la sociologie
à l’université.
7 Dans l’espace des disciplines, chacune des trois rivales
avait à formuler et systématiser un ensemble d’idées et
de pratiques pour montrer ce qui la distingue des
autres. La philosophie a défendu et continue jusqu’à
aujourd’hui à défendre sa spécificité par l’argument
qu’elle n’est paradoxalement pas une spécialité comme
les autres. Dans la conception qu’elle a d’elle-même, elle
n’est pas une science particulière, mais une discipline
laissant ouverte l’interrogation sur elle-même, sur sa
propre définition. Elle a l’ambition d’être portée par un
souci de sagesse, de cohérence, une exigence de
référence à la vérité, à ce qui est légitime ou justifié.
« Couronnement » des études secondaires, du fait de son
enseignement en classe terminale, sa prédominance
dans la hiérarchie des disciplines scolaires enseignées
sous la Troisième République paraît s’expliquer par une
orientation rationaliste d’origine plus ou moins
kantienne, en consonance avec le choix de la laïcité.
C’est là, semble-t-il, le motif de la violente hostilité que
voue au « philosophe professeur » l’« écrivain créateur »
du type Péguy, Barrès ou Bourget, qui reproche à la
culture philosophique son attachement à Kant et à la
pensée critique, son ambition théorique d’étendre aux
phénomènes moraux l’approche des nouvelles
disciplines à visée scientifique, psychologie
expérimentale et sociologie9. Sur une vaste scène sociale
composée d’industriels, d’hommes politiques, de
journalistes, écrivains et artistes, la notoriété de
l’universitaire, fût-elle celle du philosophe, professeur
prestigieux dans sa classe, semble avoir été au début du
siècle dernier, beaucoup plus limitée que celle de
l’écrivain plus mondain10. Et la conception « anti-
héroïque » développée aujourd’hui par un professeur au
Collège de France comme Jacques Bouveresse, qui pose
la différence entre les philosophes « réels » et les
philosophes « titulaires » – les vedettes consacrées par la
fétichisation de certaines figures « héroïques » de
penseurs par opposition aux activités des gens de
métier11 –, n’est certes pas de nature à faire évoluer le
philosophe dans les cercles mondains où l’intelligentsia
se rassemble. Pour Bouveresse, il s’agit d’obéir à une
exigence critique, et d’affirmer la spécificité de la
philosophie comme une profession où il s’agit de bien
faire son métier, de faire un travail d’information de
façon à faciliter l’accès à certaines questions, certaines
idées et certains auteurs, et de donner des exemples de
la manière de s’attaquer à un problème avec l’espoir de
l’approfondir et d’en proposer une meilleure
compréhension12.
8 Oscillant durant le xixe siècle entre la culture littéraire et
la culture scientifique, la sociologie accède au tournant
de ce siècle au statut de science avec la création d’une
chaire en Sorbonne pour Durkheim. Elle dut elle aussi
parer les coups portés par les romanciers psychologues
(Barrès, Bourget) qui lui reprochaient, autant et plus
qu’à la philosophie, son rationalisme et son scientisme,
et faire face aux attaques de journalistes de la presse
littéraire de droite (Agathon)13 en assumant pleinement
la tâche réflexive de se définir, de montrer la spécificité
de sa posture et de déterminer ses rapports avec la
philosophie.
9 Auguste Comte avait vu dans la sociologie non « un acte
de subversion mais une tentative loyale pour créer une
philosophie supérieure, indépendante de la révélation
et de la pensée spéculative et solidement fondée sur
l’observation et l’expérimentation »14. Empruntant à la
philosophie sa réputation bien établie, il présentait la
sociologie comme une science positive, qu’il distinguait
implicitement de l’ambition sociologique de certains
romanciers, dont par exemple son contemporain Balzac.
Durkheim, voulant plus tard donner à la sociologie une
identité propre, le fit en adoptant une autre stratégie : il
accepta le rôle hégémonique de la philosophie et
conféra à sa discipline un rôle d’auxiliaire15. Mais il osa
critiquer l’enseignement des « humanités », tel qu’il était
alors pratiqué et le fut encore longtemps. Dans
L’Évolution pédagogique en France, il entend défaire la
conviction « que l’homme est toujours et partout
semblable à lui-même ; que les seuls changements qu’il
présente dans l’histoire se réduisent à des modifications
extérieures et superficielles », et donc que la nature
humaine est « une sorte de réalité éternelle, immuable,
invariable, indépendante du temps et de l’espace, parce
que la diversité des lieux et des conditions ne l’affecte
pas »16. Cette charge contre l’humanisme intemporel à
l’époque de l’Affaire Dreyfus explique la violence des
attaques de la presse de droite et des écrivains
réactionnaires contre la science de Durkheim.
Aujourd’hui encore, l’une des raisons plus ou moins
inconscientes de la résistance que le littéraire et le
« philosophe-écrivain » (qui préfère l’agrément à
l’argument, selon le mot de Georges Canguilhem)
opposent aux sciences sociales, est la vocation
nécessairement critique de cette discipline, l’autre étant
la sacralisation des textes de philosophie et de
littérature, qui requiert l’oubli et la dénégation de
l’histoire...17
10 Certes, le goût des monuments a ses lettres de noblesse
et des origines immémoriales. Kant affirme ainsi l’idée
que toute science (dont la philosophie) est un système
architectonique, « un édifice existant pour lui-même »,
et qu’il faut la traiter « non pas comme une annexe ou
comme une partie d’un autre édifice mais comme un
tout en soi ». Mais, ajoute-t-il aussitôt, ce que négligent
les commentateurs, on peut par la suite « établir un
passage de celui-ci à celui-là ou bien encore un passage
réciproque »18.
11 De tels passages existent, peut-on croire, entre l’édifice
littéraire et les systèmes architectoniques de la
philosophie ou de la science : l’intégration de fragments
de discours savants ou philosophiques repérés par
l’historien des idées en est la preuve, et soulève
quelques questions d’interprétation littéraire. De plus,
l’écrivain dont le souci majeur est l’œuvre à venir ne se
détourne pas nécessairement du réel et a eu l’ambition,
au cours de la longue histoire de sa profession, non
seulement de penser mais de transformer les valeurs
cognitives et les valeurs morales.
12 L’idée d’un colloque où seraient invités, outre les
littéraires, des philosophes, des historiens et des
sociologues s’est donc imposée, avec le présupposé que
l’espace des disciplines n’est pas nécessairement un
champ de compétition féroce, mais un univers culturel
où des contemporains qui partagent même forme de vie
et de culture peuvent s’associer, discuter de l’objet et de
l’enjeu de leurs recherches, des ressources théoriques et
des outils pratiques dont ils disposent. L’intention de
cette rencontre n’était pas plus de faire concourir trois
types de discours que de « décréter hors-jeu » la
réflexion sur la littérature comme forme. Il s’agissait de
prendre quelque distance à l’égard de la théorie
littéraire qui envisage celle-ci « repliée sur l’énigme de
sa naissance et tout entière référée à l’acte d’écrire » et
donc limitée à une pratique autoréflexive. On peut en
effet opposer à cette théorie des contre-exemples
éclatants apportés par des ouvrages récents : les livres
de Jacques Bouveresse sur Musil, les travaux de Pierre
Bourdieu sur Flaubert, les écrivains du Second Empire
et des auteurs plus modernes, l’ouvrage sur Proust de
Vincent Descombes et quelques autres19. Gilles Granger
définit le style « comme modalité d’intégration de
l’individuel dans un processus concret qui est travail »,
travail de mise en rapport d’une forme et d’un
contenu20. Appréhender ces deux notions comme
relatives l’une à l’autre est se donner quelque chance de
comprendre le sens que l’écrivain donne à son travail, à
l’œuvre qu’il est en train d’écrire. Que signifie la
construction littéraire du monde ou d’un monde, si on la
compare à la construction d’une théorie scientifique ou
à l’architectonique d’un discours philosophique ? Quels
sont les instruments de connaissance que les spécialistes
d’un style architectural donné peuvent prêter ou
emprunter aux deux autres ? Modulant ces questions
selon leur style et leur choix d’objet, les auteurs de ce
livre leur apportent plusieurs types de réponses,
regroupées selon des affinités thématiques repérables
dans le titre des sections et justifiées dans le bilan qui
suit.
***
13 L’écriture romanesque, objet des quatre premières
études, est un acte de connaissance qui peut prendre
plusieurs formes, parfois mêlées : celle de l’investigation
journalistique, de l’écriture artiste, de la philosophie et
de son déni ironique, enfin de la critique.
14 La posture cognitive des romanciers français de la
seconde moitié du xixe siècle a ceci de moderne qu’elle se
veut affranchie de tout a priori métaphysique et paraît
ainsi mimer le modèle positiviste d’une science avant
même que celle-ci ait fait la preuve de sa scientificité ou
ait acquis la reconnaissance sociale, même si le nom de
cette science figure dans l’œuvre de Balzac ou dans le
titre donné en 1851 par Auguste Comte au Système de
politique positive, ou traité de sociologie, instituant la
religion de l’Humanité. C’est ainsi que Zola prolonge la
tradition des romans sociaux à la manière de Balzac et
de Sue, adopte la posture du journaliste qui mène des
enquêtes sur la réalité concrète, puis celle du « quasi-
sociologue ». Ce concept, forgé par Christophe Charle,
s’avère un outil descriptif et théorique important. Il
décrit un Zola qui ne consent pas à considérer un aspect
isolé du monde social, mais veut analyser l’ensemble de
la société. Émile Zola conçoit la série des Rougon-
Macquart l’année où est publiée L’Éducation
sentimentale, et lance son projet dans ce moment de
transition où la figure du sociologue, encore virtuelle,
commence à peine à se préciser. Zola romancier, selon
Christophe Charle, peut être identifié à un quasi-
sociologue, « parce que désormais théorie sociale et
analyse empirique ne sont plus disjointes dans les
sciences sociales émergentes, tout comme dans la
pratique romanesque de Zola, enquête de terrain et
construction d’ensemble sont menées de front ».
Toutefois Zola est l’héritier d’une tradition, et la loi du
genre auquel le roman social est soumis, c’est la
légitimation de l’écriture romanesque par « T utilité
sociale », « l’effet moral indirect », et pas uniquement
« le souci de connaître ». Le « romancier quasi
sociologue » « crée l’équivalent littéraire d’un modèle
sociologique pour penser les lois d’un milieu précis »,
mais quand il s’agit dans L’Argent du milieu de la
finance, connu du public par des krachs récents et
retentissants, Zola peut-il éviter de prendre parti ?
Christophe Charle montre celui-ci rattrapé par l’histoire,
et analyse les tensions qui rendent la posture de l’auteur
d’autant plus difficile que la situation transitoire du
romancier social appartient au passé, avec la création
de la sociologie universitaire.
15 La notion du romancier « quasi sociologue », proposée
par Christophe Charle doit permettre de distinguer cette
posture de deux autres possibles : de celle
contemporaine du sociologue dont la figure émerge à
peine, de celle un peu plus ancienne du « sociologue
instinctif » que fut Flaubert, pur romancier qui, par
« l’invention de la vie d’artiste », défend la doctrine de
l’art pour l’art, tout en écrivant un roman, L’Éducation
sentimentale, lequel peut être lu par le « sociologue
réflexif » ou scientifique que fut Pierre Bourdieu,
comme une invitation à faire voir la parenté entre la
construction romanesque du monde social et celle de la
science, et à faire la preuve, par sa propre pratique, de
ce qui les distingue radicalement.
16 Joseph Jurt s’intéresse ici à une autre facette de
Flaubert, celui du romancier qui regrettait de ne pas
être savant et appelait à aimer « les faits pour eux-
mêmes ». Il espérait que « les sciences morales » – qui
disposaient d’un lieu de consécration et d’échange
depuis la fondation de leur Académie par Guizot
en 1832 – procéderaient un jour comme « les sciences
physiques », avec la même « impartialité », ce qui était
comprendre leur retard par rapport à celle-ci comme un
défi lancé non seulement au savant mais à lui-même,
écrivain. Ce défi, a-t-il cru le relever en posant que la
littérature prendrait de plus en plus « les allures de la
science » et formerait des « tableaux complets » ? Le
tableau des « mœurs de province », c’est Madame
Bovary, peinture de l’ascension de la bourgeoisie et de
l’émergence de la société de consommation sous la
monarchie de Juillet ; le tableau « des mœurs modernes
parisiennes », c’est L’Éducation sentimentale, où le souci
d’objectivité, masqué par l’ironie distanciée de l’écriture
artiste, paraît aussi miné soit par ce que Joseph Jurt
appelle le réalisme subjectif du genre romanesque, soit
par une sorte de vision prophétique et négative de
l’histoire, pendant inversé, pas plus scientifique qu’elle,
de la philosophie romantique du progrès.
17 La posture de Flaubert, romancier critique à l’égard
d’une lecture romantique du devenir, engage une
philosophie implicite de l’histoire dont la sociologie
contemporaine a explicité le refus en s’écartant de la
sociologie marxiste des années 1950. C’est donc par une
autre médiation que Pierre Bourdieu a montré dans Les
Règles de l’art – ouvrage de référence important dans la
suite de ces travaux et dont je donne pour cette raison
un bref aperçu - ce qui apparente le « point de vue » du
romancier et celui du sociologue, sans qu’il y ait lieu
d’identifier les intuitions du premier, qui raconte des
histoires et donne ainsi à voir ou à sentir dans des
« exemplifications ou mieux des évocations » ce qu’est le
monde social, avec ce que fait le second, qui en analyse
les structures en soumettant ses hypothèses explicatives
au test de vérifiabilité, sinon de l’expérience, du moins
des procédures discursives de la science.
18 Flaubert, lu par Pierre Bourdieu, c’est l’écrivain qui,
dans L’Éducation sentimentale, fournit une bonne partie
des instruments nécessaires à sa propre analyse
sociologique. Par la création du personnage de Frédéric
et la description des milieux qu’il traverse, il donne à
voir le système des relations sociales dans lesquelles il
se trouve placé en tant qu’auteur. C’est en portant au
jour par « une lecture strictement interne », la structure
de ce roman, que Bourdieu dit avoir construit la notion
de « champ littéraire », notion critique devenue l’outil
indispensable d’une science des œuvres. Cette
construction s’est faite à partir d’une réflexion sur les
« temps héroïques », ceux de l’émergence d’un champ
littéraire autonome, où un groupe d’écrivains et
d’artistes contribuent, par un choix esthétique qui
renvoie aussi à une politique et à une éthique de
profession, « à la constitution du champ littéraire
comme monde à part, soumis à ses propres lois ». En se
posant comme l’archétype de l’écrivain qui défend son
identité artistique par un attachement à la pure
littérature, Flaubert fait appel au critique qui saurait
découvrir les raisons inconscientes de ce choix
identitaire, et qui disposerait par conséquent des
instruments d’analyse indispensables à la détermination
du « point de vue de l’auteur ». Il y a là un défi pour le
sociologue, qui s’attache à reconstituer l’espace des
positions constitutives du champ littéraire et des prises
de position par rapport auxquelles se détermine un
projet d’écrivain. Flaubert ne dissocie pas la recherche
formelle du souci de bien écrire le réel, c’est-à-dire de le
déchiffrer, de le connaître ou de le comprendre par un
acte d’écriture qui est l’acte même de la littérature. Cette
posture lui assigne une position structurale dans le
champ littéraire, où l’on peut le situer à égale distance
des deux pôles concurrentiels définis par deux types de
projets, ceux des écrivains réalistes et ceux des maîtres
impeccables de la forme pure. Flaubert dit avoir écrit
Madame Bovary pour « embêter Champfleury » et lui
montrer « que les tristesses bourgeoises et les
sentiments médiocres peuvent supporter la belle
langue », ce qui ne veut pas dire qu’il aurait accepté
l’étiquette de « néo-parnassien de la prose » : sinon le
haut langage, du moins le langage poétisé de la prose, et
de la prose du monde. Par la pratique d’une écriture que
Bourdieu a caractérisée en forgeant la notion de
« formalisme réaliste », Flaubert n’a pas seulement
élargi le champ des possibles littéraires, il offre en
héritage à ses successeurs une exigence : la réflexivité
critique sur ce qu’il en est de la tâche de la littérature.
Au-delà et plus largement peut-être, sur ce qu’il en est,
de toute pratique autoréflexive, c’est-à-dire de toute
posture intellectuelle.
19 Parmi ses héritiers, l’un de son « improductivité »,
l’autre de son « enthousiasme », les deux figures
contrastées du romancier autrichien et de la romancière
anglaise de l’entre-deux-guerres, qui disent non l’un et
l’autre au journalisme littéraire, à la littérature
d’enquête ou de militantisme. L’un, « outsider radical »
par rapport à la catégorie des représentants de la
littérature, l’autre au contraire, née dans le milieu
distingué du « vieux Bloomsbury », se rangeant parmi
« les écrivains les plus représentatifs de leur temps ».
Cette position dans des univers sociaux que tout oppose
ne les empêche pas d’avoir vis-à-vis de la fonction
cognitive du roman des attitudes assez proches.
20 Robert Musil et Virginia Woolf ont commencé à écrire
alors que la sociologie existait comme science ; l’un et
l’autre ont reçu une formation philosophique qui
cependant ne laisse pas des traces bien visibles dans
leurs romans : ni l’un ni l’autre n’ont prétendu
outrepasser leurs compétences. « Le poète ne peut pas et
ne doit pas pousser jusqu’au système philosophique »,
dit Musil, opinion partagée par Virginia Woolf, qui
accepte l’incorporation à la littérature de la philosophie
et des idées générales à condition que son objet ne soit
pas d’en faire l’exposé. On peut dire de la tradition
philosophique anglaise dans laquelle Virginia Woolf a
été éduquée ce que Jacques Bouveresse soutient à
propos de la tradition philosophique autrichienne à
laquelle renvoie L’Homme sans qualités : ce ne sont pas
la philosophie allemande et la tradition idéaliste qui
nous sont plus familières. Si les réflexions de Musil ont
été mises en relation avec la philosophie de Brentano,
Meinong, Husserl, Scheler et la philosophy of minci de
Wittgenstein, les premières nouvelles de Virginia Woolf
et les thèmes récurrents de ses romans le sont avec les
écrits de George Moore, auteur de Principia Ethica, et de
Bertrand Russell, auteur de The Analysis of minci21. Ces
lectures qui ne font pas référence aux mêmes
philosophes, paraissent expliquer toutefois l’intérêt
porté par l’un et l’autre aux réflexions sur l’éthique et
l’esthétique, à l’analyse de l’esprit, au monde
contemporain, aux questions politiques et sociales. Si
l’un est allé très au-delà de la psychologie descriptive,
l’autre s’est démarquée de ce qu’elle appelait la
« sociologie appliquée » et de l’esthétique du roman
social.
21 Musil excelle dans l’analyse critique de l’idéologie de
profession des intellectuels, Virginia Woolf dans la
caricature des dispositions et manières d’être des
produits des high schools et des universités. Musil fait la
critique systématique de l’idéalisme, Virginia Woolf
assigne au roman la tâche de mettre à nu le squelette du
réel. Musil est allé plus loin, non seulement par le vaste
champ analytique appréhendé par L’Homme sans
qualités mais par la croyance que le monde devait
radicalement changer, et que lui-même ne pouvait
participer à ce changement qu’en faisant ce qu’il faisait
en écrivant L’Homme sans qualités.
22 L’ossature du réel et du monde moderne n’est pas une
question théorique de philosophe, mais celle de tout être
humain concerné par l’incertitude des périodes de
crise ; c’est en tout cas celle d’une romancière qui met
quelque humour à transposer dans le vécu et dans les
émotions de ses personnages les questions
métaphysiques. Elle a situé le point de vue, dans l’espace
physique et dans l’espace social, d’où les écrivains de
l’entre-deux-guerres ont vu les crises succéder aux
crises, perdant peu à peu ce sentiment de sécurité que
leur donnait la conscience d’appartenir à un monde à
part. Elle l’a dit dans un remarquable essai de socio-
analyse, La Tour penchée. La romancière du courant de
conscience manifeste en outre et de manière
surprenante un « tact » sociologique remarquable dans
la structure et le principe d’organisation latent de ses
romans : le personnage de Jacob peut être vu comme
une marionnette, supportant la charge de l’ironie de
l’auteur dans sa critique de l’habitus façonné à
Cambridge ; l’espace social où évolue Mrs. Dalloway est
construit à partir de personnages-repères, déterminant
par leurs positions respectives ce que Pierre Bourdieu
aurait appelé « champ du pouvoir ».
23 Musil suggère à Jacques Bouveresse une approche qui
n’est pas sans lien avec ses travaux antérieurs, par
lesquels je ferai donc un détour.
24 Quand il s’agit de faire changer les choses, Jacques
Bouveresse se dit en désaccord avec Pierre Bourdieu :
celui-ci a toujours pensé que pour s’en donner la
chance, « il fallait pratiquer la critique sociologique
savante des institutions et des mécanismes qui
gouvernent les phénomènes culturels », alors que lui-
même, en tant que philosophe, a toujours été enclin à
préférer à cette démarche l’ironie et la satire. C’est
pourquoi la découverte progressive de Musil, écrivain,
penseur et même philosophe, a été son aventure
intellectuelle, au point qu’il se dit ravi par l’équation de
Kevin Mulligan : « Jacques Bouveresse = Ulrich ». Ce
qu’il a en commun avec l’auteur de L’Homme sans
qualités serait, dit-il, la pratique de l’ironie à l’égard de
la philosophie, le goût de la précision, une méfiance à
l’égard des grandes envolées de l’esprit, enfin une
question : « Un homme réellement sérieux et compétent
peut-il avoir aujourd’hui ce genre de prétention à
proposer ce que les philosophes appellent une
philosophie, une vision du monde achevée22 ? »
25 Musil, dit ailleurs Jacques Bouveresse – et cela à un
moindre degré pourrait être vrai de Virginia Woolf et
même d’Aldous Huxley –, a vu comme un défi lancé à
l’écrivain, dans ce manque de la philosophie en tant que
vision achevée du monde. À ce défi, Musil répond par
une ample culture philosophique, intégrée à une œuvre
qui ne relève pas plus de la philosophie au sens strict
que de la littérature, mais d’une forme intermédiaire
entre les deux, qui se rapproche de l’essai ou de
l’essayisme. Intégrant l’enseignement des sciences
sociales à la posture du philosophe, Jacques Bouveresse
explique ici les mécanismes qui régissent les faits de
culture, et cherche à faire voir que les options politiques
et littéraires de l’écrivain autrichien doivent être
comprises par la position qu’il « est amené à occuper et
qu’il choisit à un moment donné d’occuper dans le
champ littéraire et dans l’espace social ». Notant la thèse
des spécialistes de la Mitteleuropa qui comprennent
l’indétermination du personnage de « l’homme sans
qualités » comme l’expression de l’indifférence de son
auteur à l’égard de la réalité historique, Bouveresse
objecte notamment que, s’il s’est toujours défendu d’être
révolutionnaire, Musil n’était en aucune façon le genre
de nostalgique de l’ordre ancien (celui de la vieille
Autriche), pour lequel on le tient parfois de façon très
surprenante. L’Homme sans qualités est, à cet égard, tout
à fait dépourvu d’ambiguïté. Musil méprisait
profondément le conservatisme, en matière
intellectuelle, morale, politique et sociale. Il considérait
comme indispensable que les choses changent et croyait
profondément à la possibilité et à l’obligation qu’ont les
intellectuels et les écrivains de contribuer à les changer.
Mais il est resté convaincu jusqu’au bout que la seule
façon de remplir cette tâche était pour lui de ne pas
céder à la pression directe de l’actualité et des
circonstances, et de consacrer la totalité de son énergie
à la poursuite de ce qu’il considérait comme l’œuvre de
sa vie. C’était, à ses yeux, la seule réponse qui puisse
être apportée sur le terrain de la littérature, telle qu’il la
concevait, aux problèmes les plus importants et les plus
urgents du monde contemporain.
26 Ironie critique ou sociologie savante ? La relation de
notre propre époque avec la culture donne à penser à
Jacques Bouveresse que ces deux forces ne sont pas de
trop, quand on a en face de soi pour adversaire pour
vous faire taire « l’intellectuel non pas seulement
tolérant, mais déférent devant toutes les formes de la
puissance, en particulier celles du pouvoir politique et
économique, de l’argent, de la presse et de l’opinion,
soucieux de ne pas donner l’impression d’être plus
savant, plus rigoureux et plus honnête que les autres, et
rempli de considération pour les autorités morales
établies, les religions, les croyances populaires, les
préjugés, les idées vagues, et même, s’il le faut, les idées
reçues ». « Jacques Bouveresse = Ulrich » ? Oui, dans la
mesure où Musil lui donne occasion et motif de
recomposer la figure de l’écrivain philosophe, penseur
et savant combatif, refusant les pouvoirs et les
privilèges mondains avec le plus grand mépris pour
tous les conformismes et une forme d’intérêt
« désintéressée » à l’universel.
27 Le romancier du xixe siècle voyait un défi à relever dans
la science, celui du xxe siècle dans la philosophie. Sa
posture s’apparente à celle du philosophe créateur qui
repart à neuf, penseur singulier qui interroge le sens
social des vécus, le sens des sens de tous les vécus de ses
personnages. Les auteurs des quatre études qui leur
sont consacrées suivent ce mouvement de pensée et
l’analysent.
28 Dans la section suivante, les auteurs adoptent une
attitude un peu différente et jugent des résultats : ils
voient la littérature et la philosophie dans une relation
tendue, presque de conflit. L’emploi des procédures
narratives utilisées dans le roman et le récit de fiction
n’est-il pas plus efficace que celui des procédures
déductives ? N’est-ce pas un ensemble de rituels
relevant de la magie sociale qui transforme le discours
institutionnel des philosophes en actes de langage
d’importance, autorisés à occulter « la littérarité » de la
littérature ?
29 Examinant des œuvres incommensurables les unes aux
autres et dont la visée référentielle n’est pas la même,
Jean-Pierre Cometti et Yves Michaud parviennent à la
même conclusion, au renversement de la table des
valeurs ou du système de classement habituellement
admis. Qu’est-ce que le roman peut m’apprendre à
propos du monde privé ? Qu’est-ce que le récit de
science-fiction me dit sur les problèmes éthiques posés à
la conscience morale dans le monde contemporain ?
30 C’est l’art du roman, dans la mesure où il fait du
domaine de l’intériorité et de son exploration son objet,
qu’analyse Jean-Pierre Cometti. Par rapport aux
traditionnelles philosophies de la conscience, l’art de
James, de Proust et de Musil manifeste une singulière
avance, ce qui le rend assez proche de la philosophie du
dernier Wittgenstein. Faudrait-il s’aventurer plus loin, et
soutenir que l’on peut tirer, de la philosophie du langage
et des remarques du dernier Wittgenstein, des outils
conceptuels dont la fonction herméneutique permettrait
d’approfondir le sens de ces jeux d’écriture romanesque
si complexes d’où procède l’invention de l’intériorité ?
31 L’auteur de science-fiction dans le tournant des
années 1930 ignore l’intériorité et s’intéresse au devenir
de la collectivité humaine, affrontée aux problèmes
moraux que soulèvent le progrès des sciences et de la
biologie, l’apparition du collectivisme et l’éventualité de
la société mondialisée ; il mime le discours du savant
qui, à des fins de vulgarisation scientifique couplées à
l’espoir d’une rentrée d’argent, propose lui aussi à un
public profane des livres d’anticipation intitulés Les
Perspectives de la civilisation industrielle, Icare ou
l’avenir de la science. Tels sont du moins les titres des
deux livres publiés en 1923 et 1924 par Bertrand Russell,
qui, à l’en croire, ne lui ont guère beaucoup rapporté
d’argent, alors qu’il connut la prospérité jusqu’en 1933
grâce à des titres comme Mariage et Morale (1929), La
Conquête du bonheur (1930), sans que soit fait mention
de L’Observation scientifique de 193123. Après avoir traité
du mariage à l’essai, de l’union libre, d’une vie sexuelle
libérée, il s’attaquait au problème de la domination
masculine, ce qui a retenu l’attention de Virginia
Woolf24. Un an plus tard, Aldous Huxley, qui dans l’un de
ses premiers romans, Crome Yellow, avait caricaturé
Russell, publie Le Meilleur des mondes25. Par le mélange
de thèmes empruntés aux ouvrages populaires et
alimentaires de Russell, Huxley crée une forme
fictionnelle dont Yves Michaud essaie d’analyser ce à
quoi tient sa force visionnaire. Cette puissance, Michaud
ne dit pas, tout en le disant, qu’il ne faut pas
l’interpréter par une sorte de prophétisme : ne pas le
dire serait déposséder l’ouvrage de cette force qu’il
possède, le dire serait faire appel à un don exceptionnel,
or Michaud, à ma connaissance, ne souscrit pas à ce
genre d’explication, version déguisée de la théorie du
génie. Cette force est expliquée en des termes moins
métaphysiques, par ce qu’il appelle « une fonction
d’exposition conceptuelle narrative » : celle-ci donne à la
fiction littéraire une liberté et une audace pour
envisager les possibles, que pas plus la philosophie
populaire de Russell, que celle plus académique de
Friedmann, ne réussissent à concevoir, du fait d’un
attachement à la rigueur et à la logique du discours
savant. Michaud compare en effet Le Meilleur des
mondes aux deux livres de Georges Friedmann parus
en 1934 et 1936. Si « l’absence de prise de position
morale claire » reprochée par Yves Michaud à Russell
peut s’expliquer par un livre écrit à la va-vite au cours
d’une série de conférences faites aux États-Unis26, la
myopie philosophique des penseurs de cette période
reste à expliquer. Cette myopie est imputée à la tradition
philosophique, aussi bien au matérialisme dans lequel
s’inscrit la pensée de Friedmann qu’au spiritualisme
dominant de cette décennie.
32 La vue troublée que l’on a dans certains cas à cause des
« lunettes philosophiques » que l’on porte, pourrait être
ce qui en surface rapproche les communications d’Yves
Michaud et de Pascale Casanova. Pascale Casanova
adopte en fait une posture différente de celle de
Michaud, en mettant en question le droit des
philosophes à importer une rhétorique inappropriée
dans l’espace littéraire. Qu’est-ce qui interdit à la lecture
philosophique de proposer une lecture pertinente d’une
œuvre spécifiquement littéraire, sinon l’omission de ce
qui lui est propre, la recherche formelle ? À propos de
Beckett, écrivain formaliste en flirt avec l’abstraction de
ses peintres de prédilection et avec les écrits des petits
cartésiens, on croise à nouveau le problème rencontré à
propos de Robert Musil et de Virginia Woolf : le sens,
variable selon les auteurs, de l’incorporation de la
culture philosophique dans une écriture qui se veut,
avant tout, littéraire, même si ces auteurs ne flirtent pas
tous avec l’abstrait et n’ignorent pas la fonction
référentielle. La singularité de l’auteur irlandais, c’est ce
qu’il tire d’une solide formation philosophique, un
répertoire inédit de formes littéraires. Les textes de
Beckett, écrit l’auteur ailleurs, « ne racontent que le
processus de leur engendrement, soit l’épuisement des
possibles et des conséquences logiques formelles d’une
proposition donnée arbitrairement comme moteur
d’écriture »27. C’est pourquoi il y a eu un malentendu
entre l’écrivain et une critique qui, obnubilée par le
discours de Heidegger sur la littérature et par la glose
inaugurée par Maurice Blanchot au début des
années 1950, en vient à l’oubli pur et simple de la
dimension formaliste et réflexive de cette œuvre. Ce
malentendu, soutient Pascale Casanova, a été aggravé
par Gilles Deleuze, du fait de la position dominante
occupée alors par la philosophie dans le champ
intellectuel : tandis que l’auteur irlandais fait de propos
délibéré un usage parodique ou technique des
classiques de la philosophie et en « littéralise » les
thèmes, les philosophes en tirent « un réservoir
inépuisable de vérités » ni fausses, ni falsifiables, sur la
vérité ultime de l’être, oubliant ainsi la vérité du texte.
33 Est-ce à dire que les poètes qui font des intrusions dans
le domaine de la pensée outrepassent leurs compétences
au même titre que les philosophes quand ils parlent de
poésie ? Ou que la recherche formelle engage
uniquement la vue réflexive du créateur sur le
processus d’engendrement de la forme ? Ces deux points
sont mis en question dans la section suivante, où Jean-
Marie Klinkenberg soutient la thèse que « la forme
même du langage littéraire – ce n’est pas le privilège de
ses contenus - constitue non seulement un instrument
de perception et de connaissance du monde, mais aussi
un instrument de mutation des valeurs cognitives et des
valeurs sociales ». Cette assertion n’est en rien déviante,
comme l’auteur en exprime la crainte, par rapport au
projet du colloque, dont l’enjeu était précisément de lui
apporter des arguments. Si « infraction » au code de la
« communication » il y a eu, c’est par rapport à la règle
du jeu qui invitait à parler de la littérature dans l’une de
ses œuvres ou dans l’un de ses genres, et non de la
figure, en tant « qu’unité atomique du langage
littéraire ». Cependant, par cette « atteinte » au contrat
de coopération liant le conférencier et ses auditeurs,
Jean-Marie Klinkenberg a postulé, avec raison, que
ceux-ci sauraient réévaluer l’écart et le rendre
productif.
34 Mais revenons à la figure rhétorique, qui relève d’une
pensée intégrative et « progressive », et à la métaphore,
qui remet en cause les principes de structuration du
monde, recatégorise l’expérience, propose de
« nouveaux découpages du concevable », et s’assure
ainsi « un haut rendement cognitif ». Fonder de
nouvelles structures du réel, soit en aménageant le
système auquel appartiennent les catégories, soit en
changeant le cadre de référence, en les recadrant dans
de nouvelles « institutions », n’est-ce pas ce qui
apparente la science et l’usage poétique du langage, et
même démontre l’unité du savoir ? L’innovation
poétique aurait donc le même statut que la nouveauté
scientifique, connaître dans les deux cas serait
distinguer et établir des rapports entre les unités, poser
des entités nouvelles, dotées de qualités nouvelles,
connectées entre elles d’une façon nouvelle. En posant
que le discours poétique « mime » de manière créatrice
les procédures de la science, Jean-Marie Klinkenberg
relance en fait le débat et apporte des éléments de
réflexion utiles à tous ceux qui tiennent à la disjonction
« discours rhétorique » (soit littéraire, soit
philosophique) vs « discours scientifique », ou bien
parce qu’ils veulent marquer la poéticité de la poésie, ou
bien parce qu’ils entendent distinguer le cognitivisme
des écrivains de celui des savants. Entre sens rhétorique
et sens scientifique, il y a quatre oppositions
pragmatiques : 1) Le savoir rhétorique est individuel et
instable, alors que le sens scientifique est universel et
permanent. 2) La généralité de la science manque
l’appréhension phénoménologique des choses, alors que
« la spécificité de la signification poétique serait d’être
existentielle, pathétique ». 3) La métaphore rompt avec
« les principes d’économie, de non-contradiction, du
tiers exclu, de biunivocité » de la science. 4) Enfin il faut
faire appel au critère de falsifiabilité et de vérifiabilité
pour départager ces deux types de discursivité. D’où la
conclusion que l’innovation rhétorique ou poétique
« joue du comme si », qu’« elle mime les démarches
scientifiques » et propose sans danger, seulement à titre
exploratoire, ses catégories nouvelles.
35 Cette conclusion, me semble-t-il, apporte le soutien de la
théorie linguistique à la distinction effectuée dans la
première section entre l’attitude du romancier, « quasi-
sociologue » ou sociologue instinctif, et la posture
savante du sociologue proprement dit : le « sens
scientifique » n’est pas le « sens rhétorique », car il ne
s’en tient pas au point de vue instable de ce qui vaut
pour deux individus, créateur et lecteur, et seulement le
temps de la lecture : alors que l’exercice de la littérature
n’a pas pour nécessité l’existence d’une communauté de
recherche liée par des règles implicites mais
obligatoires, la vérifiabilité discursive des hypothèses de
la science s’opère dans le cadre d’une communauté
scientifique ; il manque ainsi à la poésie la structure
distincte et oppositive, corrélat de la connaissance
conceptuelle ; le caractère autorégulé du discours
scientifique. Consolons les amateurs de poèmes et de
romans en évoquant l’effet de présence émanant des
énoncés polyphoniques du discours littéraire, et le
travail de réinterprétation et de réévaluation
permanent auquel ce discours invite...
36 Jeffrey Mehlman conforte par un argument inattendu la
position de Pascale Casanova, qui défendait l’autonomie
de la littérature contre l’intrusion des philosophes dans
ce que Valéry appelait le « pays de la Forme ». Or ce pur
poète, montre l’auteur, a cherché sa nourriture et son
prétexte dans une ambition scientifique injustifiée
semble-t-il. L’ironie critique de Mehlman s’exerce à
montrer que si le « sens pathétique », comme aurait dit
Jean Cohen pour signaler la valeur existentielle de la
poésie, n’a pas manqué au poète de la larme de la Jeune
Parque, la vocation à l’universel lui a fait défaut. N’y a-t-
il pas en effet de la part de Valéry, quelque ridicule à
vouloir quelquefois envahir l’espace des philosophes et
des savants ?
37 On peut se demander, à relire La Crise de l’esprit avec
Mehlman, s’il était indispensable dans le contexte de
l’après-guerre d’introduire des analogies abusives,
comme par exemple l’image physicaliste de l’entropie et
de la dégradation ; et d’évoquer, avec l’Hamlet
intellectuel méditant le destin de l’intelligence
européenne, une expérience personnelle, le fait que
Valéry a lui-même mesuré des centaines de crânes aux
côtés de Vacher de Lapouge, faux savant qui croyait
tirer de la surface des crânes, qu’il mesurait pour se
doter d’une garantie de scientificité, des observations
susceptibles de nourrir une mythologie raciale fort
proche de celle de Gobineau. Vacher, « inconscient
virtuel de Monsieur Teste » ? Clé possible pour analyser
le travail de la larme dans Le cimetière marin, et
comprendre le pessimisme culturel de Monsieur Teste,
suggère Mehlman.
38 De la critique que Mehlman intente à l’inconscient
poétique/politique de Paul Valéry, on passe dans la
section suivante à l’examen de l’éthique propre à une
profession travaillant collectivement à construire son
identité à partir du Second Empire. Sont ainsi analysées
notamment les stratégies littéraires ou judiciaires par
lesquelles l’écrivain assure sa défense lors des procès
pour outrage à la morale et aux bonnes mœurs, et au
e
xx siècle au moment de l’épuration, pour « crime
d’indignité nationale » ou pour « crime d’intelligence
avec l’ennemi ».
39 En reprenant le tenue wébérien d’« éthique de
responsabilité », (Verantwortungsethik) qu’elle relie au
« principe de sincérité », Gisèle Sapiro atténue
l’opposition « abyssale » que l’auteur du Savant et du
politique voyait entre les deux maximes qui déchirent la
conscience de l’homme d’action, celle de la conviction
(Gesinnugsethik) et celle de la responsabilité. L’un des
deux termes de l’opposition est laïcisé, le « principe de
conviction » devenant « principe de sincérité ». C’est
dans une tension entre des valeurs qui l’engagent
devant la collectivité et des valeurs qui l’engagent vis-à-
vis de lui-même, que se serait constitué l’ethos de
l’écrivain, dont on peut croire toutefois qu’il est voué à
l’instabilité, du fait des contextes très variables dans
lesquels il se dessine.
40 Sous le Second Empire, Gisèle Sapiro voit se mettre en
place une déontologie de la vérité (par référence à la
science), de la sincérité et de la probité (par opposition
aux conformismes de la morale publique et à son culte
de l’utile). Elle en suit la modification lorsque la vérité
est associée à la défense de la liberté de pensée et
d’expression, lors de la demande en révision par les
« intellectuels » du procès de Dreyfus, et plus tard,
lorsque la professionnalisation du savant et du politique
dépossède l’écrivain de tout droit au discours de la
science et de l’action et le voue au repli dans les idées
générales, au genre autobiographique, et donc à
l’affirmation d’un principe de sincérité, « forme
subjectivée » du paradigme de la vérité, illustrée par le
livre de Gide, Si le grain ne meurt. Cette morale se heurte
à l’éthique de la responsabilité de l’écrivain soutenue
par une idée nationaliste et catholique de la profession,
qui condamne sans procès le droit de se dire et de tout
dire, autrement dit le principe de sincérité et l’éthique
de responsabilité de l’artiste. « La sincérité, comme
principe de l’éthique de responsabilité du métier
d’écrivain » aurait acquis une reconnaissance sociale
plus tardive, lors des procès du temps de l’épuration
pour « crime d’intelligence avec l’ennemi ». La question
que l’on peut se poser est si, dans le travail collectif de
construction de l’éthique d’un métier qui s’affirme
différent des autres, il n’y a pas en jeu non pas une, mais
deux morales, autrement dit s’il n’y a pas lieu d’opposer
à une éthique de la profession elle-même divisée entre
deux maximes, l’exigence d’une autre morale, celle de la
morale universelle et des droits de l’homme. La
signification du fait d’être accusé d’avoir servi la
propagande allemande et de l’avoir fait par vénalité
requiert sans doute une analyse aussi attentive que celle
accordée aux stratégies utilisées par la défense : le
retranchement derrière l’éthique du métier et la
présentation d’écrits de propagande comme œuvres de
littérature.
41 C’est un procès fictif qu’invente, comme pour prouver le
sens cognitif de la fiction, Anne Simonin, qui raconte
avec les talents de la romancière et l’exigence de
l’historienne un procès qui n’a pas eu lieu, celui de
Drieu La Rochelle. « En choisissant de se suicider au
terme d’un engagement intellectuel dans les rangs de la
collaboration », l’ancien directeur de la revue de La
Nouvelle Revue française a fui les conséquences pénales
de ses actes et le verdict d’une cour de justice.
Pourquoi ? La réponse donne lieu à un jeu très sérieux
d’histoire-fiction, fondé sur une minutieuse consultation
des dossiers d’archives, jeu dont l’un des enjeux est
d’éclairer sur quelles bases se construit la distinction du
métier d’« homme de lettres » et de « journaliste » aux
lendemains de Vichy : éthique de la conviction du
prophète qui s’égare, ou éthique de l’homme d’action
redevable de ses actes devant la société ?
42 La dernière section rassemble des études consacrées à
deux écrivains, l’un, notre contemporain, en pleine
vigueur et activité créatrice, l’autre disparu en 1969. Ces
deux études visent à montrer l’apport de la sociologie de
la littérature à la critique textuelle, à décrire les outils et
à expérimenter leur mode d’emploi.
43 Le premier texte, de Jean-Pierre Saïgas, esquisse le
portrait de Witold Gombrowicz en « sociologue de la
rue ». L’auteur est vu, « à mi-chemin du burlesque
partisan » et du travail d’objectivation, traversant avec
humour les champs littéraires polonais, argentins et
français, décrivant avec une ironie féroce leurs agents
les plus influents, ou encore effectuant son auto-analyse
sociale, lorsqu’il parvient à définir sa position d’écrivain
émigré dans une lointaine périphérie de la République
mondiale des Lettres : il rêve alors de stratégies pour
aller en investir la capitale, Paris, rêve dont il découvre
la vacuité, quand il fait l’épreuve des institutions comme
le prix Nobel : « les poètes, prêtres par excellence,
prêtres ex professo » qui servent la rhétorique
heideggerienne.
44 Anna Boschetti analyse la notion de « formalisme
réaliste » construite par Pierre Bourdieu dans Les Règles
de l’art ; elle montre l’extension possible et la portée
critique du terme, en l’appliquant à la recherche
littéraire contemporaine et notamment à la production
expérimentale d’Olivier Cadiot. Elle étudie les méthodes,
les procédures opératoires, les formules dont il fait
l’essai, sans perdre de vue ce qu’il n’oublie jamais lui-
même, la fonction référentielle d’une écriture tournée
vers le monde et vers elle-même. Occupant une position
au pôle restreint de la littérature et donc très attaché au
travail formel, Cadiot est situé par rapport à ses proches
et ses pairs, à travers ses refus et ses auteurs de
prédilection, puis suivi dans son parcours, depuis L’Art
poétic’ (1983) et Futur, ancien, fugitif (1993), textes de
« dénégation de la littérature », jusqu’à ses productions
les plus récentes, Le Colonel des Zouaves (1997), Retour
définitif et durable de l’être aimé. Ce livre est une « sorte
de road movie intérieur, où s’enchaînent, à un rythme
forcené, des échantillons hauts en couleurs du
grotesque contemporain ». « Micro-comédie humaine »,
aussi dense que La Vie mode d’emploi de Perec ? Les
subtiles analyses d’Anna Boschetti incitent à lire Fairy
queen, ouvrage qui achève le cycle actuel, et à voir ce
que le poète sait faire « avec une phrase lasso, plus
travaillée dans sa plasticité », ou plutôt ce qu’il veut dire
et dit vraiment seulement par ce travail sur la forme et
sur la mise en forme.
45 Ce débat entre les disciplines qui se donnent pour objet
la littérature aura montré, nous l’espérons, l’unité d’une
recherche qui s’accorde pour tourner le dos au
fétichisme du texte et à la dévotion des grands écrivains,
lus et relus comme si leurs œuvres, projetées hors du
temps et du monde, devaient être célébrées comme des
architectures en relation avec rien d’autre que leurs
perfections formelles. Sens esthétique et sens cognitif
sont inséparables l’un de l’autre : nous en avons tiré les
conséquences.

Notes
1. Paul Bénichou, Le Sacre de l’écrivain, Paris, José Corti, 1973. –
Wolf Lepenies, Les Trois cultures. Entre science et littérature,
l’avènement de la sociologie, Paris, Maison des sciences de l’Homme,
1990. – Il m’a paru inutile de rappeler ici le fait bien connu que le
terme littérature, dans le sens que nous lui prêtons, apparaît au
début du xixe siècle.
2. Paul Bénichou, ibid.
3. Descartes, Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et
chercher la vérité dans les sciences, Première partie, Paris,
Gallimard, 1952. Le terme « gens de lettres » est utilisé par lui dans
la Troisième partie, p. 146.
4. Alain Viala, Naissance de l’écrivain, Paris, Minuit, 1985.
5. Paul Bénichou, op. cit. – Christophe Charle, Naissance des
« intellectuels », Paris, Minuit, 1990.
e
6. Christophe Charle, Les Intellectuels en Europe au xix siècle, Paris,
Seuil, 1996.
7. Ibid., p. 97-105.
8. André Canivez, Jules Lagneau, professeur et philosophe,
Publications de l’Université de Strasbourg, 1965, p. 10, cité par Jean-
Louis Fabiani, « Les programmes, les hommes, les œuvres.
Professeurs de philosophie en classe et en ville au tournant du
siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, 47/48, juin 1983,
p. 3-20.
9. Louis Pinto, « La vocation de l’universel. La formation de
l’intellectuel vers 1900 », Actes de la recherche en sciences sociales,
55, novembre 1984.
10. Jean-Louis Fabiani, op. cit. Les succès mondains de la pensée de
Bergson ou les contacts d’un Léon Brunschvicg avec les artistes et
les hommes politiques ne peuvent faire oublier les mépris essuyés
dans les salons par les universitaires, où les écrivains occupent un
rang beaucoup plus prestigieux. Il suffit de comparer dans À la
recherche du temps perdu, les humiliations subies par le personnage
de Brichot, inspiré à Proust par l’exemple de Victor Brochard,
professeur de philosophie qui subit pareilles avanies dans le salon
de Mme Aubernon, et la place prestigieuse accordée dans le salon
de Mme Swann à Bergotte.
11. Georges Canguilhem, « Qu’est-ce qu’un philosophe en France
aujourd’hui ? », Commentaire, 53, printemps 1991.
12. Sur son ambition anti-héroïque de « reprofessionnaliser » la
philosophie, Jacques Bouveresse, Le Philosophe et le réel. Entretiens
avec Jean-Jacques Rosat, Paris, Hachette, 1998.
13. Louis Pinto, op. cit., Wolf Lepenies, op. cit.
14. Wolf Lepenies, « Contribution à une histoire des rapports entre
la sociologie et la philosophie », Actes de la recherche en sciences
sociales, 47/48, juin 1983, p. 37-44.
15. Ibid.
16. Émile Durkheim, L’Évolution pédagogique en France, Paris, PUF,
1938, II, p. 99, cité par Pierre Bourdieu, « Les sciences sociales et la
philosophie », Actes de la recherche en sciences sociales, 47/48, juin
1983, p. 45-52.
17. Pierre Bourdieu, ibid., et Méditations pascaliennes, Paris, Seuil,
1997, p. 54-59.
18. Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, Paris, Vrin, 1965,
§ 68.
19. Jacques Bouveresse, La Voix de l’âme et les chemins de l’esprit.
Dix études sur Robert Musil, Paris, Seuil, 2001. Id., L’Homme
probable, Musil, le hasard, la moyenne et l’escargot de l’histoire,
Paris, L’Éclat, 1993. – Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et
structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992. - Vincent
Descombes, Proust, Philosophie du roman, Paris, Minuit, 1987.
20. Gilles Gaston Granger, Essais d’une philosophie du style, Paris,
Annand Colin, 1968.
21. Jacques Bouveresse, La Voix de l’âme et les chemins de l’esprit,
op. cit. – Jaakko Hintikka, La Vérité est-elle ineffable ?, Paris, L’Éclat,
1994.
22. Jacques Bouveresse, Le Philosophe et le réel, op. cit.
23. Bertrand Russell, Autobiographie, t. 2, 1914-1944, Paris, Stock,
1969, p. 174-177.
24. Pour l’intérêt porté à cet ouvrage par Virginia Woolf, Trois
Guinées, Paris, Des femmes, 1977, p. 255,256 et n. 45.
25. Sur l’effet de cet ouvrage dans le cercle de ses amis, The Diary of
Virginia Woolf (éd. Anne Olivier, 1981-1990), February 4, 1932.
26. Bertrand Russell, op. cit., p. 179.
27. Pascale Casanova, Beckett l’Abstracteur. Anatomie d’une
révolution littéraire, Paris, Seuil, 1997, p. 115.

Auteur

Eveline Pinto

Professeur de philosophie de l’art à


l’Université Paris I Panthéon-
Sorbonne, directrice du Centre de
philosophie des activités
artistiques contemporaines
(CPAAC). Elle a publié Edgar Poe et
l’art d’inventer, Paris, Klincksieck,
1983 ; elle a édité et présenté Aby
Warburg, Essais florentins,
Klincksieck, 1990 ; elle a publié des
articles sur Ernst Gombrich ; elle
est coauteur et directrice de
Formalisme, jeu des formes, Paris,
Publications de la Sorbonne, 2001,
et de Penser l’art et la culture avec
les sciences sociales, En l’honneur
de Pierre Bourdieu, Publications
de la Sorbonne, 2002.
Du même auteur

Formalisme, jeu des formes,


Éditions de la Sorbonne, 2001
L'écrivain, le savant et le
philosophe, Éditions de la
Sorbonne, 2003
Penser l'art et la culture avec les
sciences sociales, Éditions de la
Sorbonne, 2002
Tous les textes
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Référence électronique du chapitre


PINTO, Eveline. Introduction In : L'écrivain, le savant et le
philosophe : La littérature entre philosophie et sciences sociales [en
ligne]. Paris : Éditions de la Sorbonne, 2003 (généré le 13 décembre
2023). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/psorbonne/19792>. ISBN :
9791035102685. DOI :
https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.19792.

Référence électronique du livre


PINTO, Eveline (dir.). L'écrivain, le savant et le philosophe : La
littérature entre philosophie et sciences sociales. Nouvelle édition
[en ligne]. Paris : Éditions de la Sorbonne, 2003 (généré le 13
décembre 2023). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/psorbonne/19735>. ISBN :
9791035102685. DOI :
https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.19735.
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L'écrivain, le savant et le philosophe


La littérature entre philosophie et sciences sociales

Ce livre est cité par


Veg, Sebastian. (2010) Quelle science pour quelle démocratie?
Lu Xun et la littérature de fiction dans le mouvement du 4
mai. Annales. Histoire, Sciences Sociales, 65. DOI:
10.1017/S0395264900038555
(2004) Librairie. Vingtième Siècle. Revue d'histoire, no 83. DOI:
10.3917/ving.083.0213

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