Université Paris-Sorbonne, mardi 27 janvier 2015 (séance 01 du semestre)
jean-marie.salamito@paris-sorbonne.fr
L’empereur Constantin
et la légalisation du christianisme (312-313)
Introduction
• Notion de « tournant constantinien ».
• Importance historique et « mythique » de Constantin.
Edward Gibbon (1737-1794). Jakob Burckhardt
(1818-1897).
• Bibliographie spécifique :
— Charles Pietri, « La conversion : propagande et réalités
de la loi et de l’évergétisme », dans Histoire du
christianisme (citée dans la bibliographie de l’année), t. 2
(1995), 2e partie, chap. 1, p. 189-197.
— Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien
(312-394), Paris, Albin Michel, 2007.
— Pierre Maraval, Constantin le Grand. Empereur romain,
empereur chrétien (306-337), Paris, Tallandier, 2011.
I. Constantin jusqu’à 312
I.1. Origines et débuts de Constantin
• Caius Flavius Valerius Constantinus, né à Naissus,
en Mésie (Niš, en Serbie), le 27 février d’une année
entre 271 et 277 (certains historiens actuels disent 272 ou
273 ; Maraval propose 274 ou 275 ; d’autres encore, le
milieu des années 280).
• Fils de Constance (Julius [?] Constantius, né vers 250,
César le 1er mars 293, Auguste le 1er mai 305) et d’Hélène
(Helena, née vers 250 en Bithynie, d’origine très modeste).
• Combat avec Galère contre les Perses (298).
• Présent à Nicomédie lors de l’abdication de
Dioclétien (305). Rejoint son père en Bretagne.
I.2. Constantin Auguste
• 25 juillet 306, à Eburacum (York), à la mort de son
père, Constantin est proclamé Auguste par les soldats.
• Vers août 306, reconnu César par Galère.
• En 307, reçoit de Maximien le titre d’Auguste et
Fausta, sa fille, en mariage.
• Nov. 308, conférence de Carnuntum : Constantin
confirmé comme César, mais se dit Auguste dans ses
territoires.
• Printemps 310, reconnu Auguste dans tout l’Empire.
II. La victoire de Constantin sur Maxence
(28 octobre 312) et ses enjeux religieux
II.1. Repères chronologiques
• Printemps 312, Constantin franchit les Alpes au col
de Montgenèvre et envahit l’Italie. Victoires à Suse,
puis près de Turin, enfin près de Vérone.
• 28 oct. 312, vainqueur de Maxence au pont Milvius.
29 octobre 312, entre dans Rome ; est reconnu par le
Sénat.
II.2. Le dossier des sources les plus
anciennes sur la bataille du pont Milvius
Doc. 1. Inscription de l’arc de triomphe de Constantin,
à Rome (Corpus Inscriptionum Latinarum, 6, 1139) :
… sous l’inspiration de la divinité [instinctu
divinitatis]…
Doc. 2. Panégyrique de 313 (dans Maraval, p. 81) : Quel
dieu, quelle puissance si favorable […] t’a donc
poussé à croire […] que l’heure était venue de rendre
[…] la liberté à Rome ? Tu as sûrement, Constantin,
quelque intelligence secrète avec l’esprit divin qui
délègue à de moindres divinités le soin de nos
personnes, et qui daigne se révéler à toi seul.
Doc. 3. Lactance, La mort des persécuteurs, 44
(SC 39/1) : Bien que Maxence se confinât dans Rome,
parce qu’un oracle lui avait prédit qu’il mourrait s’il
franchissait les portes de la Ville, la guerre n’en était
pas moins menée par d’habiles généraux. Maxence
disposait de forces plus considérables […]. La lutte
s’engagea, et les soldats de Maxence avaient
l’avantage, jusqu’au moment où, avec un courage
renouvelé, Constantin, prêt à vaincre ou à mourir,
conduisit toutes ses troupes plus près de la Ville et
s’établit aux environs du pont Milvius. On approchait
du jour anniversaire de l’accession de Maxence à
l’empire, le 28 octobre […]. Constantin fut averti dans
son sommeil de faire inscrire sur les boucliers un signe
céleste de Dieu et d’engager ainsi le combat. Il obéit et
fait inscrire le Christ sur les boucliers : un chi tourné
en travers avec l’extrémité supérieure recourbée 1 .
Armées de ce signe, les troupes tirent l’épée.
Doc. 4. Eusèbe, Histoire ecclésiastique, 9, 9, 2-11
(SC 55, p. 61-64) : Constantin […] eut pitié de ceux qui,
à Rome, subissaient la tyrannie. Après avoir invoqué
dans ses prières le Dieu céleste et son Verbe, le
Sauveur de tous, Jésus Christ lui-même, il s’avance
avec toute son armée, en promettant aux Romains la
liberté qu’ils tiennent de leurs ancêtres. […]
L’empereur qui s’était concilié l’alliance de Dieu
survient ; il s’avance à travers toute l’Italie, et déjà il
est tout proche de Rome. Ensuite, afin qu’il ne soit pas
forcé de combattre les Romains à cause du tyran, Dieu
lui-même […] tire le tyran très loin des portes. […] De
même qu’au temps de Moïse […] « Dieu précipita
dans la mer les chars de Pharaon et son armée […] »
[Exode, 15, 4], Maxence lui aussi, ainsi que les hoplites
et les lanciers qui l’entouraient, « s’enfoncèrent dans
l’abîme comme une pierre » [Exode, 15, 5], lorsque,
tournant le dos à la force de Dieu qui était avec
Constantin, il traversa le fleuve qui était devant lui et
dont il avait fait contre lui un instrument de perte en
joignant ses rives par des barques et en établissant
soigneusement un pont. […] Ceux qui, grâce à Dieu,
avaient remporté la victoire, pouvaient en quelque
sorte chanter […] : « Chantons le Seigneur, car il a été
magnifiquement glorifié. Il a précipité dans la mer
cheval et cavalier. […] » [Exode, 15, 1]. Ce sont ces
paroles et d’autres semblables à celles-ci que
Constantin a chantées, par ses actions mêmes, à Dieu,
chef suprême et auteur de la victoire, lorsqu’il est entré
à Rome avec des hymnes triomphales. […] Lui, qui
possédait comme naturellement la piété envers Dieu,
[…] a tout à fait conscience du secours venu de Dieu.
Aussitôt il ordonne de placer le trophée de la passion
1
Je traduis ici le texte latin du manuscrit (conformément à
Marrou, Christiana tempora, Rome, 1978, p. 241-245) et
non celui de SC 39/1.
salutaire dans la main de sa propre statue […] et de
graver cette inscription en propres termes, dans la
langue des Romains : « Par ce signe salutaire, par cette
véritable preuve de courage, j’ai délivré votre ville du
joug du tyran ; et j’ai rétabli le Sénat et le peuple des
Romains dans leurs anciennes gloire et splendeur,
après les avoir libérés. »
Doc. 5. Nazarius, Panégyrique de Constantin (en 321 ;
dans Maraval, p. 81) : Ces êtres descendus du ciel, ces
envoyés des dieux étaient fiers de combattre pour toi.
À leur tête marchait, je crois, ton père Constance qui
[…], élevé désormais au rang des dieux, conduisait des
expéditions divines.
Doc. 6. Eusèbe, Sur la vie du bienheureux Constantin,
28-30 (dans Palanque et Meslin, Le christianisme antique,
p. 191-193) : À l’empereur adressant ces prières et
demandes suppliantes, apparut un signe admirable
envoyé par Dieu. […] C’est l’Auguste vainqueur
lui-même qui nous l’a rapporté, à nous qui écrivons
cette histoire longtemps après, quand nous fûmes
parvenus dans sa connaissance et son intimité, et il a
confirmé sa parole par un serment religieux […]. Aux
heures de l’après-midi, le soleil penchant vers le
couchant, il vit de ses yeux, affirme-t-il, le trophée de
la croix formé de lumière dans le ciel, superposé au
soleil, avec cette inscription : « Vainc par ceci ! » Et à
cette vue, lui-même et tous les soldats qui le suivaient
[…] et qui étaient spectateurs du prodige, furent
frappés d’une vive stupéfaction. Lui-même, disait-il,
se mit à se demander ce que lui voulait cette
apparition. Alors qu’il réfléchissait et roulait en
lui-même longtemps beaucoup de pensées, la nuit
survint. Alors le Christ, Fils de Dieu, lui apparut dans
son sommeil avec ce signe qui lui avait été montré
dans le ciel, et lui ordonna de faire fabriquer une
enseigne militaire à la ressemblance de ce qu’il avait
vu dans le ciel, puis de s’en servir dans les combats
comme d’une protection salutaire. Lui, se levant
aussitôt de son lit, raconta d’abord tout ce secret à ses
amis. Puis, ayant convoqué des artisans en or et pierres
précieuses […], il leur décrivit en paroles l’apparence
de cette enseigne et leur ordonna de la reproduire en or
et pierres précieuses. Et nous nous rappelons l’avoir
vue souvent nous aussi.
II.3. Ce qu’on peut dire des aspects
religieux du pont Milvius
• Tradition païenne d’épiphanies divines avant les
batailles (ex. : Auguste voyant Apollon avant Actium) :
doc. 1-2 et 5.
• Un récit qui s’est enrichi et de plus en plus
christianisé avec le temps : doc. 3-4 et 6.
III. La politique religieuse de Constantin en
312-313
III.1. Les lendemains de la victoire
• Après sa victoire sr Maxence, Constantin fait
pression sur Maximin Daïa, qui cesse de persécuter les
chrétiens.
• Constantin refuse de participer au cortège païen du
triomphe, mais accepte d’être pontifex maximus.
Doc. 7. Eusèbe, Hist. eccl., 9, 9, 12 (SC 55, p. 64) : Et,
à la suite de ces événements [juste après la victoire de
Constantin sur Maxence], […] tous deux [Constantin et
Licinius], d’une seule volonté et d’une seule pensée,
établissent pour les chrétiens une loi absolument
parfaite.
Doc. 8. Eusèbe, Hist. eccl., 10, 5, 15-16 (SC 55,
p. 107) : « Salut, Anulinus, notre très vénérable. […]
Nous voulons que, lorsque tu recevras cette lettre, si
l’un des biens qui appartenaient à l’Église catholique
des chrétiens, en quelque ville ou d’autres lieux, est
retenu maintenant soit par des citoyens soit par
d’autres, tu le fasses restituer sur-le-champ à ces
mêmes Églises... »
III.2. La légalisation du christianisme
(début 313)
• 2nde moitié de janv., févr. ou mars 313, rencontre
avec Licinius à Milan. Licinius épouse Constantia
(demi-sœur de Constantin).
• Que penser de l’expression « édit de Milan » ?
Doc. 9. Eusèbe, Hist. eccl., 10, 5, 4-5 (SC 55, p. 105 ; à
comparer avec Lactance, La mort des persécuteurs, 48
[SC 39, p. 132-134 ; repris dans Maraval, Les
persécutions…, p. 138]) : « Lorsque moi Constantin
Auguste et moi Licinius Auguste sommes venus sous
d’heureux auspices à Milan et que nous recherchions
tout ce qui importait à l’avantage et au bien publics
[…], nous avons décidé, en premier lieu et avant tout,
de donner des ordres de manière à assurer le respect et
l’honneur de la divinité, c’est-à-dire que nous avons
décidé d’accorder aux chrétiens et à tous les autres le
libre choix de suivre la religion qu’ils voudraient, de
telle sorte que ce qu’il peut y avoir de divinité et de
pouvoir céleste puisse nous être favorable, à nous et à
tous ceux qui vivent sous notre autorité. Ainsi donc,
dans un dessein salutaire et tout à fait droit, nous
avons décidé que notre volonté est qu’il ne faut refuser
absolument à personne la liberté de suivre et de choisir
l’observance ou la religion des chrétiens, et qu’à
chacun soit accordée la liberté de donner son adhésion
réfléchie à cette religion qu’il estime lui être utile, de
telle sorte que la divinité puisse nous fournir en toutes
occasions sa bienveillance habituelle et sa
bienfaisance. »
III.3. Générosité de Constantin envers les
chrétiens de Rome
La basilica Constantiniana (future basilique
St-Jean-de-Latran) et le palais du Latran.
Conclusions
• Très difficile de saisir quelles sont, en 312-313, les
idées religieuses de Constantin, qui semble aller vers
le christianisme très graduellement, en passant par une
sorte d’hénothéisme qui était dans l’air du temps
(cf. ci-dessus les mots soulignés deux fois).
• En tout cas, la religion des chrétiens devient légale
dans tout l’Empire (ce qui confirme et complète l’édit de
tolérance de Galère du 30 avril 311) et elle commence
même à recevoir en Occident des faveurs impériales.
C’est un tournant historique.