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Museum

No 148 (Vol XXXVII, n° 4, 1985)

Images de l’écomusée
Mmeum, qui a succédé à Mouseion, est
publié à Paris par l’organisation des Nations
Unies pour l’éducation, la science et la cul-
ture. Revue trimestrielle, c’est une tribune
internationale d’information et de réflexion
sur les musées de tous genres.

No 148 1985

Couverture Page 4 de couverture


L’homme, garant de la conservation et de la MUSEO DO PRIMEIRO REINADO,SãO
participation +ale. Les bergers, sur le Cristovão. Cette entrée ornementale n’a pas
territoire de 1’Ecomusée du Mont-Lozère et empêché la communauté d’adopter l’édifice
Parc national des Cévennes, dans le sud de et de le considérer comme e sien D.
la France, habitent le pays et, tout au long
des générations, ils ont élaboré leurs
pratiques traditionnelles d’utilisation des
terres en se fondant sur leurs points forts et
leurs points faibles. Les actions de
1’Ecomusée du Mont-Lozère sont : le Rédacteur en chef : Yudhishthir Raj Isar Les auteurs sont responsables du choix et
maintien de la transhumance, la Rédactrice adjointe : Marie-Josée Thiel de la présentation des faits figurant dans
restauration et la mise en valeur de Assistante de rédaction : Christine leurs articles, ainsi que des opinions qui y ,
l’architecture traditionnelle, l’aide aux Wilkinson sont exprimées, lesquelles ne sont pas
activités agricoles. Conception artistique : Monika Jost nécessairement celles de l’Unesco et
n’engagent pas l’organisation.
COMITÉ CONSULTATIF Les articles sont sous copyright et ne
peuvent être reproduits sans le consentement
Om Prakash Agrawal, Inde de l’Unesco. Des extraits peuvent être cités
Azedine Bachaouch, Tunisie à condition d’en mentionner la source.
Fernanda de Camargo e Almeida-Moro,
Brésil CORRESPONDANCE
Patrick D. Cardon, Secrétaire général de
l’ICOM, ex oficio Questions d’ordre rédactionnel :
Gaë1 de Guichen, ICCROM Rédacteur en chef, Museum
Alpha Oumar Konaré, Mali Unesco
Jean-Pierre Mohen, France 7, place de Fontenoy, 75700 Paris, France
Luis Monreal, Espagne E.
Syeung-gil Pa$, République de Corée ABONNEMENTS
Paul Perrot, Etats-Unis d’Amérique
Lise Skjoth, Danemark Division des services commerciaux,
Vitali Souslov, Union des républiques Office des Presses de l’Unesco,
socialistes soviétiques Unesco
7, place de Fontenoy, 75700 Paris, France

@ Unesco 1985 Prix du numéro : 43 F


Imprimé aux Pays-Bas Abonnement (4 numtros ou numéros
Imprimeries Roto Smeets doubles correspondants) : 138 F
Images de fécommée
(dédié à l’a mémoire de Georges Henri Rivière)

Georges Henri Rivière Définition évolutive de l’écomusée 182


Éditoial 184
Hugues de Varine-Bohan L’écomusée :audel2 du mot 185

IMAGES
~~

François Hubert Les écomusées en France :contradictions et déviations 186


Jean-Yves Veillard L’objet ram valeur 191
Mathilde Bellaigue-
Scalbert Acteurs en milieu réel 193
Max Querrien La )rire en considératioiz du phénomène 197
Pierre Mayrand La nouvelle muséologie afirmée 199

RÉSONANCES

René Rivard Les écomusées au Québec 202


Kjell Engström L’idée des écomusées s’implante en Suède 206
António José Nabais Le développement des écomusées au Portugal 2 11
John R. Kinard Le musée de voisinage, catahseur de l’évolution sociale 2 17
Milagro Gómez de Blavia Le musée de Barquisimeto : inventer ou errer 224
Alpha Oumar Konaré Des écomusées pour le Sahel :un programme 230
Fernanda de Camargo
e Almeida-Moro São Crirtóvão :l’écomusée d’un quartier 236
Alfred0 Cruz-Ramírez Heimatmuseum :fine histoire oubliée 241

ERRATUM Photographies

Dans l’articlede Colette Banaigs << Proposition Couverture : Parc national des Cévennes,
pour une visite active au Musée d’art moderne 1, 5-7 : Musée de Bretagne, Rennes; 2 : Ecomusée
de la ville de Paris,), Museum, no 144, 1984, de la communauté Le Creusot - Montceau-les-
la légende de la figure 18, page 193, est erro- Mines ; 3 :J. Tucoo-Chala; 4 :J.-C. Houssin 58.9 :
née. La légende correcte est la suivante: F. Portet; 10 : G. Tonneau, Maison d’Ecole;
e Sculptures de bois peint réalisées à l’atelier 13-17: René Rivard ; 18, 20 : Västerbottens Lans
par des élèves, après une visite de l’exposition Museum ;2 1 : Hallin ;23 : LarsJarnemo ; 24 : Ingrid
COBRA préparée par leurs enseignants à une Bergstrand ; 25 : Fernando Falcáo : 26 : Henrique
rencontre-atelier.B Ruas; 27, 28 : Museu do Mértola; 29 : Miguel
Baliza : 30-32 : António José Nabais ; 33-37 : Ana-
costia Neighborhood Museum ; 38 : P. Diaz ; 39,
40 : E. Gonzales ; 41.42 : Morales ; 44 : UnescolE.
Barios, B. Galy, A. Robert, A. Vorontzoff; 45,48 :
UnescolR. Louchard; 46 : UnescolM. d’Hoop;
ISSN 0304-3002 47 : Unesco/Philippe Billere ; 49-53 et page 4 de
Museum (Unesco, Paris), couverture : Fernanda de Camargo e Almeida-
no 148 (vol. XXXVII, no 4), 1985 Moro; 54, 55 : Nicolas Oudin.
1
Scène de battage en Basse-Bretagne. Au
début du siècle, les tenants de la tradition
s’en prenaient violemment au battage
mécanique, accusé de faire du bruit, de
polluer et de provoquer bon nombre
d’accidents du travail. Aujourd’hui, il est
devenu le symbole fantasmatique du bon
vieux temps.

Défiaitioa évolidtzite de fécomtsée l


Georges Henri Rivière Un écomusée est un instrument qu’un pouvoir et une population conçoivent,
fabriquent et exploitent ensemble. Ce pouvoir, avec les experts, les facilités,
les ressources qu’il fournit. Cette population, selon ses aspirations, ses savoirs,
ses facultés d’approche.
Un miroir où cette population se regarde, pour s’y reconnaître, où elle
recherche l’explication du territoire auquel elle est attachée, jointe à celle des
populations qui l’ont précédée, dans la discontinuité ou la continuité des
générations. Un miroir que cette population tend à ses hôtes, pour s’en faire
mieux comprendre, dans le respect de son travail, de ses comportements, de
son intimité.
Une expression de l’homme et de la nature. L’homme y est interprété dans
son milieu naturel. La nature l’est dans sa sauvagerie, mais telle que la société
traditionnelle et la société industrielle l’ont adaptée à leur image.
Une expression du temps, quand l’explication remonte en deçà du temps
où l’homme est apparu, s’étage à travers les temps préhistoriques et histori-
ques qu’il a vécus, débouche sur le temps qu’il vit. Avec une ouverture sur les
1. Troisième et dernière version du texte de
Georges Henri Rivière, revu et corrig6 en janvier temps de demain, sans que, pour autant, l’écomusée se pose en décideur,
1980. . mais, en l’occurrence, joue un rôle d’information et d’analyse critique.
Une interprétation de l’espace. D’espaces privilégiés, où s’arrêter, où
cheminer.
Un laboratoire, dans la mesure où il contribue à I’étude historique et con-
temporaine de cette population et de son milieu et favorise la formation de
spécialistes dans ces domaines, en coopération avec les organisations exté-
rieures de recherche.
Un conservatoire, dans la mesure où il aide à la préservation et à la mise en
valeur du patrimoine naturel et culturel de cette population.
Une école, dans la mesure où il associe cette population à ses actions d’étude
et de protection, où il l’incite à mieux appréhender les problèmes de son pro-
pre avenir.
Ce laboratoire, ce conservatoire, cette école s’inspirent de principes com-
muns. La culture dont ils se réclament est à entendre en son sens le plus large,
et ils s’attachent à en faire connaître la dignité et l’expression artistique, de
quelque couche de la population qu’en émanent les manifestations. La diver-
sité en est sans limite, tant les données diffèrent d’un échantillon à l’autre.
Ils ne s’enferment pas en eux-mêmes, ils reçoivent et donnent.
184

Ce numéro est dédié à la mémoire de Georges Henri Rivière, l’un des fonda-
teurs du mouvement des écomusées, qui fut <( u n des premiers à percevoir toute
la complexité de la notion de patrimoine, son extension possible (donc ses
limites à trouver), ses ramifications dans des domaines, des époques
jusqu’alors ignorés x.1.
Bien qu’un hommage lui ait été rendu dans le numéro précédent, l’oeuvre
de pionnier qu’il a accomplie en France et dans le monde entier est si souvent
évoquée dans les pages qui suivent que nous avons choisi de dédier ce numéro
spécial à sa mémoire, faisant nôtre en cela le propos des auteurs de plusieurs
des articles qui y sont réunis.
La <( définition évolutive D que Rivière a donnée de l’écomusée, et qui en est,
en quelque sorte, le texte fondamental, est reproduite à la page 182. I1 aurait
naturellement été préférable que lui-même puisse présenter son oeuvre riche
et variée, avec cet art de la synthèse critique dans lequel il était passé maître.
Mais nous pouvons au moins partager ici avec vous les réflexions d’Hughes de
Varine, cofondateur, qui a, en fait, forgé le mot2.
Comme on pouvait s’y attendre, l’idée de ce numéro spécial est née, elle
aussi, en France, à 1’Écomusée du Creusot-Montceau-les-Mines. A l’origine,
Mathilde Bellaigue-Scalbert, qui en est la directrice, avait suggéré d’associer
à l’étude des écomusées une présentation de la << nouvelle muséologie B, notion
apparue dans les milieux spécialisés français dans les années 1980. Mais, bien
que les principes de 1’<< écomuséologie >> semblent avoir été bien accueillis par
la <( nouvelle muséologie )>, ces deux termes ne sont pas synonymes, le second
désignant u n mouvement de contestation et de rénovation. Aussi avons-nous
choisi de nous limiter ici aux écomusées proprement dits.
Dans une perspective historique, les écomusées ne pourraient-ils pas être
comparés aux grandes mutations intervenues au xxesiècle dans la musique et
les arts graphiques et qui ont doté les paramètres établis de valeurs et de combi-
naisons totalement nouvelles ? Cette transformation qualitative de l’institu-
1. Tiré d’un article de Frédéric Edelmann paru tion appelée musée a été au centre de théories complexes et ambitieuses sur
dans Le monde du 27 mars 1985 et annonçant le ses méthodes et ses responsabilités nouvelles, et le débat a de loin dépassé la
décès de Georges Henri Rivière, le 24 mars.
2. Paulette Olcina, secrétaire générale adjointe
sphère d’influence culturelle de la France.
de L’ICOM, rapporte dans une communication Ce numéro s’ouvre sur des définitions et appréciations -françaises et
intitulée <Ecomudes : 1971-1984, bilan B ,
qb’elle a présentée au séminaire international canadiennes-de la nature et du potentiel des écomusées. Suivent des
tenu à Oaxtepec (Mexique) en octobre 1984, réflexions et études de cas d’autres régions, du Tiers Monde en particulier, où
comment le mot avait été lancé par Hugues de
Varine-Bohan lors d’un d6jeuner avec l’un des la nouvelle perception du musée et de son rôle semble correspondre infiniment
collaborateurs du ministre français de mieux aux besoins actuels d’un public nombreux et, partant, offrir de meil-
l’environnement de l’époque. C’était à l’occasion leures chances de mobiliser l’intérêt et l’appui souhaités. <<Un acte didactique
de la neuvième Conférence générale de I’ICOM,
tenue à Grenoble en 1971. Le ministre devait pour l’écodéveloppement >> : telle est l’expression utilisée dans la Déclaration
prononcer une allocution devant les participants ;
Rivière et de Varine-Bohan lui avaient fait part d’oaxtepec, adoptée à l’occasion du séminaire international organisé dans
de nouveaux courants qui se manifestaient dans cette ville d u Mexique en octobre 1984 sur le thème <Le territoire, le patri-
le monde des musées, des idées novatrices qui se
faisaient jour à propos du rôle du musée en
moine, la communauté, les écomusées -l’homme et son environnement D.
matière de pédagogie, de prise de conscience du Ainsi qu’Alpha Oumar Konaré le déclare dans son article (p. 230) : a L’écomu-
patrimoine non par un Rpublicp, mais pour et
par une communauté B. Ainsi était né un Sée, en tant que mode de participation et mode de gestion, sera une grande
nouveau mot. conquête dans le domaine de la culture et de la vie tout court. >>
185

Écomusée, écomuséologie.. . une nouvelle variété du monde muséal? des néo- Hugues de Varine-Bohan
logismes à la mode? u n alibi à l’impuissance de changer des institutions péri-
mées? Rien de tout cela n’est absolument vrai, ni absolument faux. Mais ce
n’est pas important.
I1 faut plutôt considérer les exemples, les cas, les réflexions, les expériences
que l’on trouvera dans ce numéro spécial tant attendu, comme des indices pré-
cieux d’un mouvement profond, encore mal défini et souvent détourné de sa
véritable signification, qui va sans doute marquer le musée et transformer la
discipline muséologique, sans pour autant être une révolution radicale.
Les mots eux-mêmes, dit-on avec quelque raison, viennent de pays où les
cultures latines ont laissé le goût du verbe et la passion du discours. Pour moi
qui ai inventé, presque par hasard, le vocable d’écomusée, son destin est d E i -
cilement compréhensible. Quant à son contenu, malgré les efforts de Georges
Henri Rivière pour lui donner une forme et une signification, il varie d’un site
à l’autre, du centre d’interprétation à l’outil de développement, de la maison
de parc au musée artisanal, du conservatoire ethnologique au centre de culture
industrielle.
Au-delà de ces considérants superficiels, il y a une réalité : la profession
muséale est à la recherche anxieuse et passionnée d’un renouveau du musée,
affirmé comme un instrument nécessaire au service de la société ; u n patri-
moine global pour un développement global. L’homme tout entier, dans la
nature tout entière, autrefois et maintenant, mais surtout à l a recherche de son
avenir et des instruments intellectuels et matériels de sa maîtrise.
Ce numéro de Museam constitue un marché d’idées, d’utopies et de réalisa-
tions ; il reflète u n débat passionné, qui dépasse de loin les pays où l’écomusée
a trouvé ses lettres de créance. J’ai été très impressionné par le nombre et la
qualité des contributions : certains sont pour l’écomusée et veulent démontrer
l’utilité, voire la nécessité d’un concept moderne, rénovateur de l’institution
muséale. Je crois discerner, derrière quelques maladresses d’expression dues
peut-être au choix du thème qui imposait l’écommée de façon finalement
limitative, le voeu du plus grand nombre : que la modernisation du musée
suive le chemin tracé par la table ronde de Santiago en 1972 (notion de Q museo
integral >>)I et par les recherches de tant de professionnels des années 60 et 70, 1. Organisée par l’Unesco à Santiago du
sur tous les continents, le chemin de l’ouverture à tout l’homme et à tous les Chili en 1972, la table ronde interdisciplinaire
sur G Le rôle du musée dans l’Amérique latine
aspects de l’aventure humaine, ancienne et actuelle, par l’utilisation du seul d’aujourd‘hui,, a constitué un tournant décisif
langage qui transcende les différences culturelles, celui de l’objet, de la chose pour la région aussi bien que dans la réflexion
concernant le rôle actuel du musée. De cette
réelle. interdisciplinarité naquit la définition du c musée
I1 revenait naturellement à Mzlseum de fournir au monde des musées cette intégral D. Les conclusions de la table ronde
furent publiées dans Mtcsezcm, vol. X X V , no 3,
preuve éclatante de la vitalité de l’institution et de la créativité de ses profes- 1973. Voir également dans le présent numéro
sionnels. l’article de Gómez de Blavia, p. 224. [NDLR.]
IMAGES

Les écomasées en France :


contrudictions et déviutions
François Hubert Depuis une dizaine d’années, la prolifé- des réalités du terrain, ils n’ont pu faire
ration de discours entretenant sans cesse mieux qu’une spéculation purement
Né en 1952 àRoquefort, France. Diplômé de philo- une confusion entre théorie et doctrine intellectuelle. Et pour comble de mal-
sophie, sociologie de la communigation et ethno- n’a pas aidé à éclaircir la philosophie des heur, l’écomusée s’est trouvé confronté à
logie française. Animateur à I’Ecomusée de la écomusées dont les données de base, mal- la crise économique qui l’a sérieusement
Grande-Lande de 1976 à 1982. Conservateur au
Musée de Bretagne de Rennes depuis 1983. Parti- gré leur complexité, avaient pourtant été ébranlé.
cipe avec I’équipe de Jean-Yves Veillard au pro- établies de manière cohérente. Tout s’est
gramme de I’Écomusée du Pays de Rennes. A coor- passé comme si l’idée était devenue un tel Histoire d’une idée et de sa
donné les travaux de l’exposition uDécouvrir les enjeu (et peut-être l’est-elle pour obtenir
écomusées n et de la publication Découvrir ¿es éco-
perversion
musées.
des subventions) qu’il fallait à tout prix
éviter d’en préciser le contenu. A tel En 1967, la création des Parcs naturels
point que cet outil patrimonial censé régionaux (regroupement de communes
d’abord s’intéresser à la mémoire collec- en milieu rural qui bénéficient de finan-
tive fait preuve d’une étonnante faculté cements importants pour pratiquer une
d’oubli lorsqu’il s’agit de sa propre his- politique de développement économi-
toire, inventant une chronologie qui n’a que et culturel) sera l’occasion pour
pas grand-chose à voir avec les étapes de Georges Henri Rivière d’adapter les
la réalisation des dsérents projets’, musées de plein air scandinaves au con-
développant une mythologie dont la plu- texte français en modifiant cependant le
part des héros n’ont jamais eu qu’un rôle modèle initial : il ne s’agit pas de dépla-
très accessoire, certains textes -et des cer des maisons sur un site artificiel, mais
plus officiels -allant jusqu’à omettre le de reconstituer des espaces tels qu’ils ont
nom de Georges Henri Rivière parmi les existé. Ces nouveaux musées3 propose-
instigateurs de l’idée ! ront une pédagogie globale en ne traitant
Car nous devons nous rendre à I’évi- plus seulement des pratiques culturelles
dence :-il est aujourd’hui impossible de ou de l’architecture, mais aussi des rela-
citer à un collègue étranger visitant la tions de l’homme avec son environne-
France une seule expérience où il pourrait ment. Ils apparaissent comme un premier
voir réalisé l’ensemble des principes qu’il effort de synthèse entre les sciences de
a découverts dans les textes théoriques : l’homme et celles de la nature. Ces expé-
son itinéraire le conduirait dans quatre ou riences, dont le nom d’écomusée forgé
cinq lieux fort éloignés les uns des autres, peu après exprime bien la prise en
chacun ne lui montrant que l’une des compte de l’environnement, vont très
facettes de I’écomuséologie. Quant au vite bénéficier d’un succès important : le
grand public, il reste persuadé (mais développement, chez le grand public,
invente-t-il ou juge-t-il d’après ce qu’il des idées écologistes et régionales.
voit ?) qu’un écomusée est la reconstitu-
tion d’une ferme ou d’un atelier ancien. 1. I1 est presque communémeng admis
L’inadéquation entre le discours et la réa- aujourd’hui, par exemple, que I’Ecomusée du
lité est aujourd’hui manifeste. I1 est vrai Creusot a été le premier, alors que cette
expérience débute en 1971, soit trois ans après
que chacun de son côté a théorisé sa pro- celle des parcs naturels régionaux.
pre expérience, tâchant de la conformer à 2. La U Définition évolutive des écomusées >> de
Georges Henri Rivière a fait l’objet de trois
la Définition évolutive des écomu-
((
versions successives (1973, 1976, 1980).
sées )>*, même si elle en était initialement Volontairement bref (une page), ce texte définit
fort éloignée : l’emploi du terme en effet les bases des écomusées tout en laissant de vastes
possibilités d’expérimentation. La version de
ne fait l’objet d’aucune protection, cha- 1980 est intégralement reproduite dans le présent
cun pouvant l’utiliser et l’interpréter àsa numéro de Museum.
guise. Des hommes de génie (parfois) ont 3. Parmi les plus connus des écomusées d 6
parcs, citons ceux des monts d’Arrée et
assuré la synthèse des théories partielles : d’Ouessant, de la Grande-Lande, de Camargue,
mais en raison de leur méconnaissance du mont Lozère et de la basse Seine.
Les écomusées en France :cofztradictìons e t dézuàtions 187

Par ailleurs, entre 1971 et 1974, se ches débouche sur la conception d’un d’ethnographie qui ont pour fonction
développe, sous la direction de Marcel système muséographique dont le modèle d’exorciser l’inquiétude face à l’avenir
Évrard, avec l’aide de Hugues de Varine, idéal organise autour du musée du par une exaltation des valeurs du passé.
alors directeur de I’ICOM et l’appui de temps, un musée de l’espace, un labora- Depuis 1977, on a vu naître, dans ce
Georges Henri Rivière, une nouvelle toire de terrain (atelier, documentation, contexte, une multitude de ((petits éCo-
expérience : au sein de la communauté magasin d’objets s’il y a lieu, etc.), des musées >9. Ils s’appuient rarement sur un
urbaine Le Creusot-Montceau-les-Mines antennes ou communautés associées, des regroupement de communes comme
récemment créée, mûrit le projet d’un itinéraires et cheminements. L’ensemble leurs prédécesseurs et de ce fait ont du
musée de l’homme et de l’industrie qui est géré par trois comités (usagers, ges- mal à affirmer leur extension territoriale.
soit éclaté sur l’ensemble du territoire et tionnaires, scientifiques) qui assurent la, I1 leur est donc difficile de concevoir un
le plus proche possible des habitants. participation de tous et fonctionnent programme cohérent d’autant que leurs
Tous doivent être associés à la concep- comme une a école mutuelle >>, l’objectif financements sont souvent limités. Mais
tion, animation, évaluation, etc., cette suprême étant le développement de la ils crient haut et fort leur conformité à << la
participation étant facilitée par le choix communauté. Définition des écomusées B, parce qu’il
d’un statut associatif. En 1974, cette Cet intense bouillonnement culturel et est indispensable pour eux d’être iden-
expérience prend le nom d’écomusée et idéologique qui constitue le contexte tifiés comme tel : le terme en effet est pra-
les perspectives nouvelles qu’elle propose d’émergence des écomusées ne doit tique car il donne bonne conscience : le
vont contribuer à l’enrichissement de cependant pas faire oublier qu’ils sont discours très élaboré sur le développe-
la réflexion, principalement dans le nés dans une période de prospérité ment que professe l’écomusée permet de
domaine de la territorialité du champ économique, à l’inverse des réalisations masquer les tendances passéistes de la
d’intervention et dans celui de la partici- suivantes, principalement celles posté- plupart de ces entreprises récentes. Mais
pation de la population : désormais, le rieures à 1977 et qui sont les plus nom- sur le terrain, on mythifie le passé à tra-
préfHe << éc0 )9 désigne aussi bien la prise breuses. I1 est toujours difficile d’adapter vers les fêtes des moissons et la période
en compte de l’environnement naturel à la récession des idées engendrées par la contemporaine est totalement absente du
que social. prospérité : lorsque les usines ferment les programme muséographique, s’il existe!
Les écomusées*sont donc le fruit de la unes après les autres, l’écomusée doit Si bien que ces différentes expériences
rencontre de deux démarches qui ont admettre la remise en cause de son dis- informeront plus le sociologue sur les
procédé en quelque sorte àl’inverse l’une cours sur le développement et même, angoisses et les fantasmes de notre so-
de l’autre : c’est, d’une part, un siècle de parfois, son existence, une part impor- ciété, que le muséologue sur de nouvelles
réflexion sur les musées menée à terme et tante de la population préférant que ses pratiques muséographiques.
synthétisée par Georges Henri Rivière qui financements soient transférés à des
trouve immédiatement un écho dans le entreprises créatrices d’emploi !
public en raison de ses préoccupations Outre l’ébranlement de quelques 4. Pour plus de dgtails sur l’histoire des
écomusées, on lira 2 Hugues De Varine,
essentielles : écologie et ethnologie régio- principes de base, la crise économique a u L’écomusée B, Gazette de l’Association des
nale ; c’est, d’autre part, à partir d’aspi- surtout donné lieu à un étonnant phé- mzsées cuna&ens (Ottawa), vol. 104, no 2, 1978,
rations participatives et autogestionnai- nomène de déviation. Toute période p. 29-40: ainsi que F. Hubert, J. Y. Veillard,
H. Joubeaux, Découivir les écoconusées, Rennes,
res, le besoin de créer un nouveau type de difficile s’accompagne en effet d’une Musée de Bretagne, 1984 (48 p., photogr.,
musée. La convergence des deux appro- prolifération de musées d’histoire et bibliogr., 45 F).

2
ÉCOMUSÉE DE LA COMMUNAUTÉ LE CREUSOT-
MONTCEAU-LES-MINES. La participation de la
population devient l’élément dynamique
indispensable, ce principe est devenu la clé
de voûte des écomusées.
188 Frmgois Habert

En effet, telle est bien la véritable ches de la population. Les trois comités nation, car l’écomusée, en se proposant
ambiguïté de l’écomusée, comme l’a constituent alors la structure formelle de une approche globale du territoire, déve-
déjà fait remarquer Jean-Yves Veillard5 : réalisation du consensus, car‘levieux rêve loppe naturellement une forte propen-
est-il une authentique réappropriation de l’âge d’or est partout présent :àtravers sion à l’hégémonie : toutes les actions
de son patrimoine par la population ou le les fêtes des battages s’élabore l’image sociales, culturelles et économiques doi-
refuge de nouvelles classes réfractaires au idéale d’une vie sociale qui sert de réfé- vent passer par lui, excluant implicite-
changement socioéconomique ? rence aux spéculations sur l’avenir. Et les ment toute autre structure. Que l’on ne
écomusées à dominante industrielle s’étonne donc pas si en France les écomu-
L ’écomusée entre de mythe et n’échappent pas à cette règle : ils pré% sées n’ont jamais fait l’objet de critiques
d’utopie rent traiter de l’histoire des techniques virulentes de la part des partis politiques,
que de l’histoire sociale et s’ils évoquent des journaux d’opinions. Ils dérangent
Bien des écomusées de la troisième géné- parfois le paternalisme des patrons du peu, ils prennent en charge l’animation
ration (celle des parcs étant la première et X I X ~siècle, ils sont plus évasifs sur les socioculturelle,ont recours au bénévolat,
celle du Creusot la deuxième) ont poussé grands conflits, les luttes de classes et les coûtent moins cher que beaucoup
à l’extrême cette contradiction et c’est à oppositions irréductibles entre catégories d’autres structures et, à travers leur
leur sujet qu’un quotidien français a pu sociales6. volonté d’engendrer un monde meilleur,
écrire qu’ils étaient les <musées de la Ce tableau, ainsi dressé à dessein, servent d’exutoire au militantisme
récession . montre bien le risque principal pour un politique.
Ils puisent leur philosophie dans écomusée : qu’il définisse son domaine On ne peut cependant nier aux écomu-
l’expérience participative du Creusot, se d’action entre un passé mythique et un sées, quels qu’ils soient, leur efficacité en
définissant comme e écomusées commu- avenir utopique. Le présent est en effet matière d’animation. Le philosophe
nautaires D pour exprimer la philosophie difficile à vivre comme l’illustre l’expé- Henri Pierre Jeudy a déjà remarqué que
d’autodéveloppement qu’ils prônent, en rience des écomusées de villes nouvelles, (c L’élaboration d’un musée ne concrétise
opposition aux <( écomusées institution- où les différences sociales se doublent de pas seulement le consensus social qui se
nels )> représentés initialement par la différences de culture et de civilisation ; fait autour d’un idéal de la conservation,
génération des parcs où la part d’initia- et que peut faire l’écomusée sur ces terri- elle réalise diverses pratiques d’échanges
tive de la population est effectivement toires, sinon proposer une identité totale-
plus faible. Juridiquement, l’opposition ment artificielle à des populations trans-
institutionnel I communautaire marque plantées, qui, en outre, se heurtent
le rattachement du premier à une collec- violemment aux habitudes des habitants
tivité locale ou à une administration de de longue date ?
tutelle et l’indépendance du second, qui Autre idée centrale de l’écomuséolo-
lui est conférée en France par le statut de gie, celle de territoire prend une telle
la loi de 1901. importance dans certains projets qu’elle
Pourtant, et malgré sa lourdeur, la devient la projection de tous les fantas-
tutelle administrative assure la pérennité mes (( micro-nationalistesD : on n’hésite
de l’écomusée institutionnel sans exclure pas à rebaptiser collines et vallées, à créer
la création d’une association des usagers. des U portes )> de l’écomusée qui, moins
Et l’on peut se demander si le statut asso- qu’elles n’informent le voyageur de son
ciatif n’a pas pour conséquence la préca- existence, manifestent àla population les
rité de l’écomusée communautaire et si frontières de sa ((petite patrie ~ 7 exaltant
,
son indépendance à l’égard du pouvoir ses différences et, pourquoi pas ? sa supé-
n’est pas un leurre. I1 doit sans cesse qué- riorité. C’est un peu comme si une mino-
rir des subventions remises en cause cha- rité, sans passer par la voie des urnes, légi-
que année et qui peuvent devenir un timait son pouvoir en créant une nouvelle
moyen de pression considérable. L’avenir
de l’écomusée ne tient qu’au bon vouloir
de ses financeurs et, pour durer, il devra 5 . J.-Y. Veillard, *Les musées d’ethnographie,
les musées impossibles de l’Hexagone,, texte non
faire des concessions en s’immisçant dans publié d’une intervention dans un séminaire de
le jeu politique :son action pourrait alors réflexion sur le patrimoine ethnologique, à
être celle voulue par le pouvoir et, contra- Rennes, en 1983.
6 . Cette réflexion avait déjà été développée en
diction suprême, il deviendrait un outil 1978 dans un article peu connu, mais fort
de manipulation ! intéressant, bien qu’anonyme : c Un écomusée,
ce n’est pas un musée comme les autres,,
Vu sous cet angle, l’écomusée commu- Histoire et ctitique des arts, Paris, décembre
nautaire est une aubaine pour les pou- 1978, p. 90-102.
voirs politiques : ils peuvent limiter son 7. Cette expression est née avec les
mouvements régionalistes conservateurs qui, dès
coût tout en contrôlant son action ! la fin du X I X ~siècle, étaient à l’origine de la
Mais il l’est aussi du point de vue de création des musées de terroir.
l’idéologie qu’il développe : contraire- 8. Seuls des journaux de gauche ou d’extrême
gauche ont fait preuve de quelque soupçon ; c’est
ment P l’esprit contestataire qu’il affiche, surtout le cas du quotidien Libération. Mais le
l’écomusée est loin d’être subversif, son seul article vraiment critique à ma connaissance
est celui cité ci-dessus, paru dans Histoire et
programme visant à l’instauration d’un critique des arzs, revue qui se revendiquait de
véritable consensus entre toutes les cou- l’extrême gauche.
Les écomusées en Frunce :contradictions et déviations 189

culturels. La préparation, le développe- tes expositions temporaires réalisées


ment d’un musée [. ..] supposent un ras- directement par la population sans
semblement d’objets et de documents apport extérieur, c’est évacuer totale-
qui génère de la communication ment les possibilités d’une confronta-
sociales. Un programme d’écomusée
)> tion. Pour cette raison, l’exposition per-
mobilise une partie importante de la manente est la clé de voûte de l’écomusée
population et intensifie la vie sociale, le et non un simple aléa de l’animation.
risque de l’écomusée communautaire Corrélativement, la participation de la
étant précisément de ne jamais aller au- pppulation ne doit pas être conçue
delà de ce rôle. Car c’est l’absence de comme la mise en oeuvre d’un vaste con-
dimension scientifique de la plupart des sensus, mais comme le moyen de mettre
démarches qui sécrète déviations et con- en évidence conflits et contradictions.
tradictions. En dehors de toute distancia- L’écomusée doit échapper au seul rôle de
tion, de tout esprit critique, le <<musée conservation, mais il doit, avec autant de
miroirs ne montre plus la société telle force, échapper au seul rôle d’animation
qu’elle est mais telle qu’elle veut se voir, car le danger qui le guette, c’est l’excès
avec les excès que suppose cette attitude. dans l’un ou l’autre sens, l’écomuséeins-
C’est au contraire de la confrontation titutionnel ayant tendance à s’enfermer
d’une interprétation scientifique avec la dans les préoccupations scientifico-con-
vision que les habitants ont d’eux-mêmes servatrices des vieux musées de terroir et
que naîtra un dialogue porteur de dépas- 5
sement. Récuser tout intérêt à l’exposi- ~COMUSÉEDE LA GRANDE-LANDE. ~a maison
9. H. P. Jeudy, al‘échange et l’objet>, texte de Marquèze. Les premiers, les écomusées
tion permanente conçue de manière
scientifique sur une base a interdiscipli-
extrait d’une intervention au colloque
c Constituer aujourd’hui la mémoire de demain.,
9 parcs se ’Ont attachés ‘OnSeTver
1 ensemble de l’environnement dans lequel
tenu à Rennes en décembre 1984 et dont les actes
naire périodisée>>,selon les mots de seront prochainement publiés par l’Association objets et bâtiments puisent leur
Georges Henri Rivière, au profit de peti- Muséologie nouvelle et expérimentation sociale. signification.
190 Françoir Hubert

assurent sa reconnaissance par les <(ins-


tances supérieures>+. Et de fait, il fut
reconnu et en même temps que lui (était-
ce une manœuvre?) toutes les expérien-
ces, toutes les théories qui subitement se
réclamèrent de son nom, le dévalorisant
du même coup. u Les écomusées, ça évo-
lue du tonnerre ! Mais ce qui m’agace,
c’est que d’un côté on progresse et de
l’autre, il y a deux ou trois récupérateurs
4 qui prennent le train en marche et qui
MUSÉE DE BRETAGNE, Rennes. Section I’écomusée communautaire à rejoindre la en font tout un système. C’est une idée
Bretagne contemporaine. Les écomusées cohorte des centres d’animation socio- tellement spectaculaire et tellement
doivent aussi proposer une interprétation culturels. féconde que ça intéresse les récupéra-

du présent, et non s’enfermer dans
l’exaltation du passé. teurs )> disait Georges Henri Rivière’’.
Les écomzaées ont-iZs zm. aveaìr ? L’écomusée, on le voit, a connu bien
des luttes, les plus importantes étant
L’équilibre conservation-animation ne peut-être celles à venir. Moins que cette
définit pas cependant à lui tout seul dévalorisation-récupération, voulue ou
l’écomusée : la plupart des musées tradi- non, l’écomusée devra craindre, comme
tionnels le réalisent aussi bien et depuis l’a laissé entrevoir sa confrontation avec la
longtemps. Son originalité, c’est cette crise économique, les transformations de
étonnante capacité dont il a fait preuve à la société. Le monde d’aujourd’hui n’a
rejoindre son époque, à se confronter à plus grand chose à voir avec celui qui l’a
elle pour lui proposer, au-delà de l’image généré. Derrière les nouvelles technolo-
qu’il lui renvoyait, un nouvel huma- gies se profile une autre vision de
nisme. L’écomusée, comme d’autres for- l’homme et du monde qui lui ouvre de
mes de musées nées en même temps ou vastes perspectives car les Centres de cul-
un peu avant lui (Musée du Niger, Casa ture scientifique et technique semblent
del Muséo, musée de voisinage)*oremet- ne pas aller au-delà de la dimension tech-
tait définitivement en cause l’idée d’un nique : le < nouvel humanisme )> des éco-
musée universel, immuable dans le musées de la quatrième génération
temps et dans l’espace. I1 lui opposait des aurait-il de beaux jours devant lui ?
formes spécifiques d’objectivation de Cette quatrième génération, cepen-
leur patrimoine par chaque micro-société dant, reste à inventer.
et réalisait concrètement sur le terrain (à
moins qu’il n’ait contribué à leur élabo-
10. Voir les articles de Pablo Toucet, uLe
ration) les réflexions de la table ronde de musée de Niamey et son environnement )>,
Santiago (1972) : <(Lemusée est une insti- Nuserrm, vol. =IV, no 3, 1972, p. 204-207, et
de Coral Ordónez García, ((La Casa del Museo,
tution au service de la société dont il est Mexico, D.F., une expérience de musée intégré m,
partie intégrante et il possède en lui- vol. XXVII, no 2, 1975, p. 71-77.
même les éléments qui lui permettent de 11. Extrait des résolutions adoptées par la table
ronde de Santiago en 1972 (Museum, vol. XXV,
participer à la formation des consciences no 3 ) mis en exergue des documents préparatoires
des communautés qu’il sert”. )> du premier Atelier international des écomusées et
Mais en même temps qu’il ouvrait une nouvelles muséologies, Montréal, Québec, 1984.
12. Voir également le chapitre consacré aux
brèche au sein du musée traditionnel, écomusées dans le rapport demandé par le
I’écomusée avait besoin d’être légitimé. ministre de la culture français à Max Querrien,
président de la Caisse nationale des monuments
I1 a voulu que ses acquis ne disparaissent historiques et des sites, en juin 1982, <Pour une
pas, que soit définie sinon une charte, du nouvelle politique du patrimoine B.
moins << des principes d’organisation )> 13. Extrait d’une interview parue dans le
journal Le Monde du 8-9 juillet 1979 (sous le
(entérinés par le ministre de la culture en titre : ((Lemusicien muséographique qui inventa
1980) qui garantissent sa spécificité et aussi les écomusées s).
191

L’ objet SUBS d e w

Quel paradoxe dans une société tant com- sont les déliés. La politique d’accroisse- Jean-Yves Veillard
mandée par l’argent que de mettre ce ment consistera alors, selon les moyens,
titre ! Le paradoxe est aussi du côté de les tempéraments des conservateurs, et Ne en 1939 àRennes. Érudes d’histoire et ,d’gio-
l’image la plus forte que laisse le musée les opportunités, soit à accentuer les graphie (licence, DES, CAPES). Thèse d’Etat sur
dans les sociétés des pays riches, celle du pleins -le renforcement des points Architectes, architecture et urbanisme 1Rennes au
XIXP siècle (1978). Conservateur du Musée de
grand coffre-fort collectif de tout ce qui a forts-, soit à privilégier les déliés, poli- Bretagne, àRennes, depuis octobre 1967. A réalisé
de la valeur, même si la valeur culturelle, tique du comblement des lacunes, ou à de nombreuses expositions et a publié :DesGription
la valeur affective sont mises en avant de mener les deux politiques de front. On historique et géographique de la province de
celle purement monétaire. Notons au comprend bien que ces deux attitudes se Bretagne, du PrZsident de Robien, 1974 ; Rennes
?zag&e, 1982.
passage que le temps de récupération - contentent de prolonger, avec intelli-
nous appellons ainsi le temps qu’il faut à gence, dans le présent, la fonction habi-
un objet ayant dans son milieu d’origine tuelle du musée, mais qu’elles ne ris-
une seule valeur affective pour acquérir quent guère de faire du musée un outil de
une valeur monétaire -a tendance à être lecture, d’interprétation de la société
de plus en plus court : le rétro est à moins contemporaine.
de vingt ans derrière nous. Ce temps du Prenons le cas d’un musée de la Résis-
rétro n’est pas le même pour tous. Pour tance dans une région ; au mieux, le pro-
d’autres catégories sociales, plus proches gramme aura été mis au point par une
des secteurs de la production, il est vrai équipe réunissant spécialistes, associa-
qu’il existe une autre image du musée, tions ... et les objets (à deux ou trois
moins flatteuse, celle du rancart. I1 serait dimensions) choisis en fonction de leur
dangereux d’avoir une vision trop dua- pertinence pour illustrer le propos des 5
liste : les deux images liées l’une àl’autre spécialistes.Au pire, il y aura conjonction Boîte 2 fromage frais. Illustration de l’objet
sont interactives. Elles ne sont que des d’une collection de mitraillettes, de para- quotidien contemporain.
réponses différentes, à des moments don- chutes, et d’un discours tenant du
nés différents, à la question de l’insertion panégyrique d’une association de Résis-
du musée dans la société contemporaine. tants ou d’anciens combattants. Quelle
Parmi les fonctions reconnues du musée sera leur politique d’accroissement des
, vient donc en premier celle de I’accroisse- collections ? Au mieux, des collections de
, ment des collections par les divers modes << technologie D seront acquises : armes
d’acquisition (achat, dons, legs), qui ne produites après la période de Résistance
font pas de place à la collecte proprement dont il est traité pour permettre des com-
dite, à la recherche organisée, program- paraisons d’ordre technique. Au pire, on
mée sur le terrain. I1 reste une image du se contentera de la politique des pleins ou
musée statique (même s’il faut parfois de pas de collecte du tout. Sur cet exem-
beaucoup de dynamisme pour provoquer ple limite, que nous avons choisi volon-
certaines donations ! . .). Aujourd’hui, tairement provocant, l’horloge de l’his-
dans la perspective d’une insertion ter- toire est arrêtée. On pourrait imaginer
ritoriale et sociale des musées, quelles une autre approche, mais celle-ci est le
peuvent être les politiques d’accroisse- prolongement logique du principe essen-
ment des collections ? tiel de la sujétion de l’objet au discours.
L’autre approche serait de suivre le par-
Des pZeins et des dé&& cours contemporain de la notion de résis-
tance : rébellions anticoloniales, grèves
L’approche la plus courante est celle que de la faim, et l’usage qui peut en être fait
l’on pourrait qualifier de politique des aujourd’hui à travers le monde. Difficile
pleins et des déliés. Elle part d‘un constat à imaginer face à des pouvoirs politiques
historique sut la constitution des collec- qui seraient méfiants. Pourtant, si l’on
tions, de ce qu’elles peuvent représenter veut parler sérieusement d’insertion dans
par rapport à une région, à un thème, la société contemporaine. . .
pour les deux par rapport à l’état des con-
naissances scientifiques. I1 existe des De Z’abondance au choix
domaines où il y a matière, sinon abon-
dance. Sur d’autres domaines, on enre- Notre société est productrice d’un nom-
gistre des lacunes, des points faibles, ce bre considérable d’objets. Par objets,
Tean-Yves Veillard

nous entendons aussi bien ceux à trois toire, d’une région comme la Bretagne, il
dimensions que ceux à deux dimensions, importe de bien définir ses caractères au
les écrits, les images (Gutenberg et Mac niveau de la production agricole, indus-
Luhan réunis, cela pèse quand même trielle, artisanale, des modes de fonction-
dans notre société). Dans une société nement socio-culturel. Schématique-
aussi marquée par l’image, il nous paraît ment, on distinguera ce qui est produit
toujours étrange que dans d’honorables sur place : un prélèvement périodique de
institutions, une frontière existe encore quelques objets caractéristiques, boîtes
entre objets et documents, l’ordre de de cartons contenant des poulets exportés
mention ayant valeur hiérarchique. vers les pays du Moyen-Orient pour un
Devant cette abondance, la tentation de des secteurs de l’agro-alimentaire,
la boulimie est grande, celle de vouloir devrait suffire à rendre compte de l’évo-
tout collecter, tout ramasser : tout est lution. On prêtera seulement une atten-
signe, symbole, de la boîte de surgelés au tion particulière dans la sélection des pré-
6 micro- ordinateur. La boulimie a ses limi- lèvements. A retenir ceux qui, outre leur
Planchette de bois avec un décor peint tes matérielles, de temps (tout ramasser signification première, reflètent en plus
représentant une fillette. Exemple de
poupée autofabriquée et d’objet à forte prend énormément de temps), de taille un type d’organisation économique ou
valeur sentimentale. Quel est le délaì (une moissonneuse-batteuse, une chaîne une évolution de ce type (absorption
d’insertion d’un tel objet dans le marché ? de montage industrielle posent des pro- d’une industrie locale par une multina-
blèmes évidents de stockage, de conserva- tionale). Pour ce qui est produit à I’exté-
tion et d’utilisation si on veut les remettre rieur, hors du territoire concerné, on
<< en situation ). ; elle a surtout sa limite affronte le problème de la spécifité terri-
conceptuelle : l’ensemble de la société toriale dans une société de consommation
contemporaine est muséifié. de dimension mondiale. On retrouverait
L’autre tentation est celle de la spécia- dans les collections d’un musée de Gas-
lisation sur un type d’objet. L’institution pésie, comme d’un musée de Frise, le
muséale, sur ce plan, est toujours précé- poste de téléviseur Philips ou la bouteille
dée par le collectionneur qui anticipe. de coca-cola et des centaines de télévi-
Cette anticipation est souvent due à une seurs et de bouteilles de coca-cola dans les
projection fantasmatique face ’ à un musées du territoire de l’Hexagone. La
champ social d’enjeux importants. seule pertinence serait de posséder un
Citons quelques exemples : c’est un par- prototype de consommation (par réfé-
ticulier qui a vraisemblablement la col- rence au prototype de production pour
lection la plus complète sur l’antisémi- les musées de technique), c’est-à-dire le
tisme dans la société contemporaine premier, ou l’un des premiers objets cités
depuis le début du siècle à nos jours. Un utilisé dans l’aire géographique donnée,
autre réunit une collection, quasi exhaus- à condition d’avoir en même temps
tive pour les vingt dernières années, l’appareil documentaire qui permettrait
d’affiches politiques, de porte-clésà réso- d’en montrer la signification. Pour tous
nances politiques. N’ayons pas d’inquié- ces objets, il est pourtant un support où
tude! Ces collections, totalement ou par- le plus souvent la spécificité se marque,
tiellement, finiront par aboutir dans un même si cela se réduit au cachet du distri-
musée. buteur local, c’estle support publicitaire.
Le choix ? I1 n’est pas facile, mais il est Voici bien l’exemple d’objets sans valeur,
déjà moins difficile si l’on définit claire- produits à des dizaines de milliers
ment le musée comme un centre d’inter- d’exemplaires, qui vont souvent directe-
prétation, de réflexion sur la société con- ment de la boîte aux lettres du grand
temporaine et, dans le prolongement de ensemble à la poubelle du hall d’entrée.
ce rôle, sur les sociétés passées. I1 sera éga- Bien datés, ces objets permettent de
lement plus aisé si cette approche est col- jalonner la pénétration des produits de
lective, et non individuelle : la démarche la société de consommation et d’illustrer
des treize musées suédois qui <<ontuni le réseau de cette pénétration. Pour
leurs efforts pour rassembler des docu- d’autres domaines, le sport par exemple,
ments sur l’agriculture, la pêche, la sylvi- le produit -un maillot -à Tarbes ou à
culture, chacun d’entre eux devant, tous Cleder, peut avoir la même origine, une
les treize ans, réaliser un vaste projet dans usine de Champagne, mais la distinction
son propre district.. .,démarche qui per- sera l’identification par la couleur ou les
mettra la collecte systématique des objets initiales du club2... La multivalence des
et des données concernant le milieu agri- 1. Voir Mmeum, no 143, 1984 (<<Les musées et
cole contemporain au niveau industriel et l’agriculture dans les années 1 9 8 0 ~p.
) ~121-124,
social,, nous paraît en ce sens exem- l’article de S. Zachrisson, <<Musksd’agriculture :
genèse et propagation d’une idée s.
plaire’. 2. A noter par exemple le slogan <Allez, les
Si l’on réfléchit sur le cas d’un terri- verts ! U, distinguant une équipe de football.
L’ obiet sans valeur 193

7
Buvard publicitaire en breton. <<Unbleu de
travail Mont-Saint-Micheldure trois fois
plus longtemps >>.La maison Mont-Saint-
Michel Aries étant, à l’origine,une
fabrique de vêtements de travail, cet objet
témoigne à la fois de la confection
industrielle et d’une spécificité culturelle.

messages d’un même objet sera particu- tion du musie dans la société contempo-
lièrement appréciée : le sac de toile d’éco- raine par sa politique de collecte. I1 ne
lier marqué <(US >>, sur lequel son utilisa- s’agit pas de rompre avec le passé des
teur aura porté les initiales de ses groupes musées -et la réflexion sur ce passé est
rock préférés témoignera à la fois d’une toujours indispensable-mais d’ajouter
mode vestimentaire et d’un fait culturel. une autre dimension. L’ajout de cette
dimension ne peut se faire que si les con-
(( Comme un poisson dans Z’eau ))
servateurs sont attentifs à la société dans
laquelle ils vivent, que s’ils tissent un
L’emprunt de cette formule exprime réseau dense de relations avec les habi-
mieux que de longs discours tous les tants et les forces vives de leur territoire.
efforts qu’implique la volonté d’inser-

Actears en mikea réeZ


Mathilde Bellaigue-Scalbert En 1984s’élabore en France la réforme de en question. Actuellement, au sein de
la formation des conservateurs, intégrant la profession muséale, peu nombreux
Troisième cycle de lettres modernes. Enseignement une ouverture plus grande des formations encore sont ceux qui pensent - et pren-
et recherches pédagogiques. Direction d’ateliers de base pour l’accès au concours, un pro- nent en compte le fait -que le public en
d’expression créatrice (peinture). Traduction de question peut passer du rôle de consom-
gramme plus largement interdiscipli-
l’anglaisde nombreux ouvrages sur l’art ou I’artisa-
nat. SecrGtaire du Comité international de I’ICOM naire ainsi que des stages sur le terrain mateur du musée à celui d’acteur, sinon
pour la muséologie (ICOFOM).Participe àde nom- plus longs et plus diversifiés. Enfin, on d’auteur du musée. Ce n’est plus d’ac-
breuses rencontres et recherches sur l’écomuséo- s’interroge sur le profil du conservateur. tion culturelle qu’il faut parler alors,
logie en France e t à l’étranger. Directeur de I’Éco- Par ailleurs on cherche de toutes parts à mais d’actes culturels posés par les usa-
musée de la communauté Le Creusot - Mont-
ceau-les-Mines.
améliorer l’animation du musée. Tout gers du musée eux-mêmes. -
cela fait partie de ce qu’on appelle du Mais cette démarche ne saurait être
terme vague d’<caction culturelle B. effective que dans la mesure où elle prend
L’expression implique à l’évidence un fondamentalement en considération
mouvement des acteurs culturels en ques- deux données essentielles : l’espace et le
tion <(vers)>un public-ou vers des temps de ces usagers.
publics, ainsi qu’on le dit maintenant.
Or c’est justement ce mouvement à MiZieu cuZtureZ/mìZìeu réeZ
sens unique que le pari pris par Georges
Henri Rivière, il y a plus de quinze ans, Lieu culturel, le musée constitue par
dès l’origine des écomusées, remettait essence un milieu i r é e l : par l’espace
194 Mathilde Bellaipe-Scalbert

8
Comité des usagers de 1’Écomuséede la
communauté (20 janvier 1985) ; visite des
installations de surface des Houillères de
Blanzy : le groupe dans la ((salledes
pendus D (vestiaire des mineurs).

d’abord, par la ségrégation d’avec le D’où la nécessité de déterminer les


,milieu ambiant ; par le temps ensuite : limites de ce territoire : dimensions
temps accéléré de la perspective histori- humaines permettant la communication,
que ou temps arrêté de la contemplation la finesse de l’analyse et la complexité de
esthétique ; par le comportement enfin la connaissance, la diversité des appro-
qu’il impose au visiteur. Or l’étymologie ches et l’exactitude de la reconnaissance.
même du mot <<écomusée~-dont il L’échelle de grandeur de cette action est
faut absolument bannir toute connota- donc forcément le local. C’est aussi le
tion avec l’écologie-marque la volonté quotidien. L’écomusée s’inscrit double-
d’intégrer le musée dans le mil‘iezr réel’ ment dans le temps : dans la durée, qui
des gens : celui où ils vivent, habitent, permet que se tisse une relation active
travaillent, celui qu’ils connaissent. entre usagers et équipe professionnelle;
L’écomusée se fonde sur un territoire en dans l’instant, puisque pour chaque
vraie grandeur, ou plutôt sur une plura- action il faùt que tce soit le moment,,
lité de territoires : familial, scolaire, pro- car il s’agit de personnes et pas seulement
fessionnel, associatif, politique, imagi- d’objets. <Le temps n’est pas seulement
naire aussi. C’est à partir de cette réalité le premier des méconnaissables; il est
que le rôle du public change : en effet, encore la dimension de la reconnaissance,
comment et pourquoi une population re- car c’est à longueur de temps que les
cevrait-elle passivement une image méconnus sont reconnus. C’est aussi dans
d’elle-même que lui renverrait le muséo- le temps que les reconnus sont peu à peu
logue avec objectivité, alors que cette oubliés : mais le temps en ce cas est sim-
population est justement constituée d’un plement la durée brute et inerte où se
rassemblement de subjectivités? Mieux consomment l’usure de toute gloire et
placée que quiconque pour veiller sur le l’érosion même des valeurs qui ont la
respect de son identité si on lui en donne chance d’être immédiatement recon-
les moyens, c’est en elle qu’il faut trouver nues. Le temps de l’a reconnaissance est au
les inventeurs, les chercheurs, les in- contraire un temps organique e t act$
formateurs, le muséologue étant, lui, d’incubation :un mGrissement1. B
l’incitateur, le médiateur, le traducteur
de ce qu’elle sait, découvre, ou reconnaît, Formation mutueZZe par da
l’aidant à produire toujours davantage recherche
de connaissances sur elle-même et son
milieu : traces matérielles de son histoire, Au centre de cette démarche, le patri-
lieux et modes de vie, pratiques, sa- moine vécu, utilisé, détourné parfois par
voir-faire, mentalités, espaces imaginai-
res, représentations d’elle- même, tout ce 1. VladimirJankelevitch, Le je-ne-sais-quoi et
qui constitue son patrimoine. /epreque-rien, Paris, Le Seuil, 1981.
Acteurs en milieu r2d 195

ses propres héritiers dans une recréation professionnelle les compétences complé-
incessante qui le met au cœur de la vie mentaires indispensables afin d’étudier
quotidienne ; ou bien déjà sauvegardé, et de montrer, dans les domaines techni-
secret, conservé au cœur des affects. que, urbanistique, économique et social,
Parler de patrimoine, c’est nécessaire- ce qu’est le visage actuel d’un territoire
ment parler de recherche, d’inventaire, modifié par la crise de Creusot-Loire et
d’interprétation d’objets matériels ou des Houillères et les débuts de son re-
immatériels. Le plus souvent un tel pro- développement.
gramme a été le fait de chercheurs- L’exemple de <<laMaison d’ÉCole,, à
universitaires ou amateurs -travaillant Montceau-les-Mines, montre le stade
hors des situations réelles et faisant des actuel de développement d’une antenne
gens l’objet de leur observation ou, où l’on a choisi de travailler sur l’évolu-
mieux, leurs informateurs. Or il s’agit, au tion du système scolaire depuis les lois
sein de l’écomusée, d’instaurer une Jules Ferry (1881) jusqu’à nos jours, ce
démarche liant chercheurs professionnels qui est visualisé dans trois salles de classe
et amateurs volontaires -ceux qui sont reconstituées (1881-1923, 1923-1960 et
<(dehors D et ceux qui sont << dedans B - après 1960) dans une école toujours en
en associant connaissance savante et con- activité. Telle que la raconte Suzanne
naissance empirique, savoirs et savoir- Régnier, l’un des membres actifs du
faire, pour rendre le territoire et son groupe, l’histoire de cette antenne est la
patrimoine les plus signifiants possibles, suivante :
en faire les outils du développement <(Issu du résultat d’une action pédago-
communautaire et faire de ses détenteurs gique en 1974-1975, le groupe de travail
les sujets de la recherche. de “la Maison d’École” s’est constitué
A 1’Écomusée de la communauté Le lors de la transformation de l’exposition
Creusot - Montceau-les-Mines, deux ac- scolaire temporaire en antenne de l’éco-
tions peuvent illustrer cette démarche : musée en 1977. A l’origine, il compre-
l’une à son début, l’autre développée nait trois personnes : le professeur de col-
déjà sur plusieurs années. La première est lège, qui initia le travail, l’inspecteur
née lors du récent Comité des usagers départemental de 1’Éducationnationale,
(janvier 1985), au cours duquel quelque partie prenante dès le début, et la respon-
cent cinquante personnes ont d’abord sable des relations avec les enseignants
visité les installations de surface des à 1’Écomusée de la communauté. Le
Houillères de Blanzy sous la conduite groupe s’étoffa très rapidement et, après
de professionnels volontaires (mineur, avoir compté surtour des enseignants en
géomètre, ingénieur) associant ainsi con- retraite ou en activité, il prit une physio-
naissance du territoire et formation nomie plus diversifiée : il est composé de
mutuelle ; ces mêmes personnes, lors de vingt-sept membres dont au moins vingt-
la réunion de travail qui a suivi, ont éla- deux sont très actifs, mais concernés cha-
boré avec l’équipe professionnelle le pro- cun par un aspect différent du travail à
jet de recherche et d’exposition sur accomplir. Les uns répondent au coup par Membres du comité des usagers au poste de
l’actualité de la communauté urbaine. coup à la demande des visiteurs, certains télévigie.
Un groupe de travail diversifié (élus, se mobilisent au sein des trois commis-
10
aménageurs, ingénieurs, militants syndi- sions de recherches. D’autres assurent un Antenne de la Maison d ’ -Montceau-
~ ~ ~
caux, travailleurs du secteur tertiaire) archivage minutieux, l’inventaire des les-Mines réunion du groupe de travail
s’est constitué pour apporter à l’équipe collections, les relations épistolaires et (12 mars 1985).
196 Mathilde Bellaigue-Scalbert

les liaisons avec les médias. L’âge des par- sur l’enseignement du calcul à l’écolepri-
ticipants va de l’à peine quadragénaire maire. Chaque année, des chercheurs,
au septuagénaire accompli. I1 est vrai étudiants pour la plupart, viennent de
qu’une indispensable maturité et un l’extérieur compulser les documents de la
recul suffisant vis-à-vis de l’éducation et Maison d’ÉCole en vue de la préparation
de sa complexité freinent l’ouverture aux d’une thèse, par exemple : en février
très jeunes. On compte quatorze femmes 1984, une normalienne de Dijon faisait
et treize hommes; équilibre d’autant des recherches sur l’instituteur de la troi-
plus remarquable que l’enseignement sième République. En janvier 1985, une
français est très féminisé. La structure enseignante à la Chambre de commerce
socio-professionnelle est la suivante : dix de Mâcon recherchait comment chaque
enseignants en retraite (école primaire ou manuel scolaire édité avant 1881 contri-
collège) ; neuf enseignants en activité buait à l’enseignement de la religion
(écoles maternelle, primaire, lycée, in- catholique dans les écoles. En mars 1985,
spection primaire) ; deux retraités ou pré- une étudiante en musicologie de Tou-
retraités d’autre origine (mine, com- louse demandait des renseignements
merce) ; trois salariés actifs (mine, com- (programmes et horaires) sur l’enseigne-
merce) ; trois mères de famille (la profes- ment du chant dans les écoles primaires
sion du mati étant très variable : du de 1880 à 1930. En ce qui concerne les
retraité électricien de la mine au médecin visites, je préciserai que nous n’acceptons
“fonctionnarisé”). Les participants se pas le “tourisme sauvage” et que si les
renouvellent, suivant leur intérêt pour les visiteurs du dimanche viennent souvent
actions programmées, autour d’un noyau en curieux tenter de revivre leur jeunesse,
permanent d’une quinzaine de personnes les élèves, conduits par leurs maîtres ou
qui assurent une continuité certaine. D professeurs sont toujours motivés par un
Clotilde Gillot, autre membre du projet pédagogique souvent établi avec
groupe, en décrit les champs d’activité : notre concours préalable. . . >>
((Petit àpetit, au hasard des recherches Ajoutons par ailleurs que l’inventaire
et des découvertes, un stock de docu- muséographique de l’antenne est parfai-
ments écrits s’est constitué, formant les tement tenu par un membre du groupe.
“archives de la Maison d'Écale". I1 s’agit En outre, en 1981, ce dernier, en collabo-
notamment de livres scolaires (2 710 ration avec des universitaires, chercheurs
exemplaires de 1836 à 1975), de tableaux en sciences de l’éducation et à la suite de
11 et cartes d’enseignement (144 groupes), séances de travail en commun, a produit
Modèle opérationnel de l’atelier de fonderie de cahiers d’élèves (245), de travail de un livre intitulé Cent ans d'écalez. Enfin,
de Schneider-Le Creusot datant de 1900. préparation des maîtres, de revues syndi- le groupe participe àla formation des sta-
Fabriqué par un ouvrier à la retraite, il est cales ou pédagogiques, de divers diplô- giaires accueillis à l’écomusée dans le
actuellement en train d’être restauré par un
ouvrier travaillant à l’usine. mes décernés aux élèves ou aux ensei- domaine même de la muséologie (identi-
gnants (une centaine-le plus ancien fication, inventaire, enregistrement) et
datant de 1844), et de tous formulaires de l’élaboration d’antenne dans la pro-
administratifs concernant la gestion blématique écomuséale.
d’une école maternelle ou primaire de
1880 à 1970 environ. Déjà ce “catalo- Voir, c ’est comprendre et agir
gue’’, dû à la collaboration de certains
membres du groupe de la Maison Si l’application de ces principes fonda-
d’ÉCole, donnait la description des objets mentaux, liaisons au territoire, à la com-
mis “en situation”, dans les deux salles munauté concernée, à la durée, s’avère
reconstituées, mais nombre des articles toujours positive, la question des écomu-
! qu’il contient avaient été “nourris” des sées se pose aujourd’hui non pas en ter-
documents déjà accumulés dans les mes différents mais plus aigus : si l’on
armoires. Toutes les illustrations qu’il parle territorialité, c’est avec la cons-
comporte ont été tirées des livres de classe cience de l’élargissement de l’espace
ou cahiers des collections. Plus récem- grâce à la rapidité des échanges et à l’ins-
ment, le fonds de documents a servi de tantanéité de la communication ; si l’on
base aux recherches que deux groupes de parle racines c’est avec la sensibilité aux
collègues effectuent actuellement sur déracinements qu’impose un monde en
l’enseignement de la lecture (par compa- crise et à la mobilité impliquée par un
raison des manuels et méthodes) et sur
l’utilisation des comptines en petite 2 . Cent y z s d’kole --groupe de travail de lu
classe. Maison d’Ecole à Montceau-les-Mines. Textes de
C’est encore grâce à notre rayon Pierre Caspard, Serge Chassagne,Jacques Otouf,
Antoine Prost, Yves Lequin, G u y Vincent.
mathématiques (338 volumes) que sera Preface de Georges Duby. Editions Champ
bientôt entreprise une recherche similaire Vallon, 1981, coll. uMilieuxu.
Acteurs en milieu réel 197

12
La taison ‘École,inaugurée officiellement
le 28 mars 1981, arbore une plaque
commémorant le centenaire du bâtiment
qui abrita l’une des premières écoles
municipales de la ville.

chômage endémique ; si l’on parle iden- dans le développement de la commu-


tité c’est en acceptant le métissage pro- nauté, y faisant servir les outils que sont
gressif des cultures ; si l’on parle durée la mémoire et le patrimoine, car, si l’éco-
c’est en se situant dans l’accélération for- musée permet de voir, ((voir, c’est com-
midable des mutations technologiques. prendre et c’est agir ; voir, c’est unir le
Poursuivre ce type d’entreprises que monde à l’homme et l’homme à
sont les écomusées-quel que soit le l’homme >>3.
nom qu’on leur donnera par la suite-
impliquera de plus en plus de la part de
3. Paul Éhard, Anthropologie des éwits sur
leurs responsables, usagers et profession- l’art, préface, Paris, Gallimard, coll. uLa
nels, qu’ils soient acteurs à part entière Pléiades, t. II, p. 512.

Lupnke en considération da ïdénomène I

Max Querrien Dans le rapport largement débattu Si l’on souscrit à la formule selon laquelle
demandé par le ministre de la CuZture etout écomusée naît de la conjonction
Conseiller d’État, président de la Caisse nationale Jack Lang àMax Querrièn, président de l‘a d’un désir et d’une écoute : il ne corres-
des monuments historiques et des sites, président Caisse nationale des monuments histon‘- pond pas à une action volontariste pla-
de l’Institut français d’architecture et maire de
Paimpol (Côtes-du-Nord). I1 a été directeur de
ques et des sites, sur lapolitique dupatri- . quée sur un territoire pour le prendre en
l’Architecture au Ministère des affäires culturelles moine en France ’Our une charge, mais à un désir de se prendre en
de 1963 à 1968. politique du patrimoine ))),un chapitre charge >>I,on sera très prudent sur les défi-
distinct fut consacré aux écomusées. En nitions ; on s’attachera plutôt à prendre
&scutant et justzj?ant Z ‘élargissement en compte le ((phénomène >> écomuséal et
considérable du concept de patrimoine, on s’interrogerasur le type de savoir-vivre
l’auteur reconnut l’importance des inno-
vations stgnificatives de /a France dans le
domaine des écomusées. Il clanpa ainsi I. u Écomusées-patrimoine et société
contemporaines, paragraphe 2.3.2. Texte de
un certain nombre de traits caracté&- travail non publié, rédigé par Mathilde Scalbert et
tiques soulignés dans l’extrait suivant. Marcel h a r d pour le rapport de Max Querrien.
198 Max Quernèn

propre à permettre aux collectivités réel, qui peuvent aller de l’apport


publiques et à l’État d’en soutenir le d’informations, d’avis ou d’études à des
développement sans en dévier la dynami- associations,àdes syndicats ou àdes orga-
que. I1 ne faut pas s’y tromper : c’est, nismes officiels jusqu’à la participation à
pour une administration, un exercice des luttes. De ce point de vue, on ne peut
salutaire mais délicat. pas se défendre de faire un rapproche-
ment entre le développement d’un éco-
Laprise en considération du musée et l’aventure de l’atelier populaire
phénomène d’urbanisme de Roubaix, qui, à partir
d’une lutte contre le déracinement, a
Avant l’écomusée, il y a le patrimoine, comporté un processus de prise en charge
sauvé de l’indifférence ou du vanda- du groupe par lui-même, d’apprentis-
lisme, protégé, conservé, figé et, du sage des problèmes du cadre de vie et de
coup, devenant lieu d’ancrage d’une dia- création d’une pratique urbaine greffée
lectique intense de la filiation revendi- sur un patrimoine architectural.
quée et de la filiation rejetée, du besoin On est là très loin du <c musée )> et le
de référence et d’enracinement et du mot <( écomusée>> rend mal compte de la
besoin de vivre et d’innover, àla limite en chose. Encore convient-il d’observer
détruisant. qu’un écomusée possède des collections,
Né dans la contradiction, l’écomusée parce que les objets sont des signes aux-
en vit. Sa veine patrimoniale le pousse à quels s’accroche la mémoire sociale. Mais
inventorier, à collecter, à conserver. Mais il est plus préoccupé de la ((sauvegarde
son vrai patrimoine n’est autre que la des savoir- faire )> que de la e muséifica-
mémoire collective, d’où émerge une tion des objets >>z.Les objets qu’il rassem-
identité qui, dans sa singularité, se veut ble sont liés àla vie quotidienne. Certains
aux prises avec l’histoire présente et d’entre eux peuvent s’éliminer par
l’accouchement du futur. L’écomuséevit l’usage que l’on continue d’en faire ou
donc dans une tension qui décourage les par l’usure qu’entraîne leur présentation
définitions statiques. En revanche, <(en marche )> (moteurs, etc.). D’autres
l’appréhension correcte de l’écomusée objets, inventoriés et étudiés, peuvent
par ses divers partenaires suppose que retourner chez leur propriétaire et retrou-
ceux-ci soient conscients des exigences ver leur environnement. Enfin l’écomu-
majeures auxquelles sa vie est subor- sée préfère s’enrichir par des dons ou des
donnée. dépôts permanents plutôt que de mener
La première a trait à la territorialité de une politique d’acquisition qui risque de
son champ d’investigation, ce que l’on déclencher l’appétit des collectionneurs
aurait tort de réduire àla notion de ressort comme on l’a observé lors de la constitu-
territorial alors qu’il faut y voir une voca- tion de la collection de verreries au Creu-
tion àrévéler, dans sa globalité, l’ensem- sot. En revanche, même si l’écomusée se
ble des pratiques, des savoir-faire, des rend ainsi étanche à I’égard du circuit
luttes, des subjectivités et des références marchand, les brocanteurs suivent le
socioculturelles qui caractérisent une mouvement et l’amplifient.
population. Ainsi entendue, cette terri- Rien ne s’oppose pour autant à ce
torialité s’ouvre à des confrontations qu’un écomusée possède des collections
extérieures propres à éviter le repliement. gérées selon les règles traditionnelles.
Exigences corrélatives : la prise en Autrement dit, un écomusée peut com-
charge des activités de l’écomusée par la porter une section musée, où sont placés
population locale dans le cadre de la notamment les dépôts de l’État, soumis
structure la plus appropriée (association au contrôle habituel. Simplement faut-il
le plus souvent) et la participation des tra- se garder de vouloir appliquer au tout les
vailleurs à ses activités de recherche méthodes et les règles qui conviennent à
(recherche-formation). la partie. Or, dans la mesure où le patri-
Exigence non point antinomique, mais moine matériel d’un écomusée est consti-
porteuse d’une provocation utile, les acti- tué d’objets quotidiens, banals, sériels,
vités de recherche ainsi engagées doivent, voire même utilisés et, de surcroît, réta-
moyennant les orientations de méthode blis dans leur site propre, il est clair qu’on
et les dotations en personnels qualifiés ne peut pas les conserver comme les col-
nécessaires, être reconnues au titre de la lections des musées d’art.
recherche scientifique. Ayant vocation à faire percevoir l’ina-
Mais normalement l’écomusée dé- perçu le plus courant, l’écomusée
borde du terrain de la pure connaissance.
Ses activités débouchent sur un ensemble 2. Rapport sur les projets d’écomuséesdans le
de pratiques sociales concrètes en terrain département de l’Isère (31 décembre 1981).
La bnke en considération du bhénom&e 199

s’emploie naturellement à dresser des un musée du textile, mais pas un écomu- qu’on ne saurait sans risques graves déve-
inventaires catégoriels dans tous les sée du textile, simplement parce que le lopper uniformément dans une ambian-
domaines - bâtiments, objets domesti- textile, àlui seul, ne résume pas la globa- ce ségrégative. Or on observe depuis peu
ques, produits de la création populaire, lité à la fois industrielle, agricole, une tendance à la dérive des écomusées
etc. -et àconstituer une banque de don- urbaine, rurale, dont il s’agit de rendre vers la structure ((centresde culture scien-
nées accessible, où tout Clément du patri- compte. En revanche, en fonction de la tifique et technique )>, avec, à l’horizon,
moine devient instrument documentaire géographie économique et humaine, un une perspective de coupure entre le rural,
au prix de la rigueur scientifique requise. écomusée peut avoir une dominante, par qui relèverait des écomusées et du Musée
C’est le résultat et le point de départ exemple la mine, mais cette dominante national des arts et traditions populaires,
d’une démarche de recherche vécue n’est appréhendée qu’en tant qu’elle a et le technique, pris en charge par un
comme une formation mutuelle où sont concouru et concourt à façonner la per- réseau de centres plus ou moins reliés à la
impliqués responsables de l’écomusée, sonnalité sociale et culturelle et même la Villette. On verrait alors l’anthropologie
usagers et chercheurs et où se confrontent subjectivitéde la population. C’est seule- vivante reculer devant l’histoire des tech-
culture savante, savoir populaire et savoir ment en ce sens que, par exemple, on niques, la restitution devant la connais-
technique. peut parler -mieux vaut pourtant ne le sance pure, la culture devant la
Les formes d’expression de l’écomusée faire qu’avec précaution -d’écomusées pédagogie.
sont diverses : centre de recherche-forma- industriels. C’est là un point sur lequel une mise
tion mutuelle, colloques et séminaires I1 faut, en tout cas, se garder de vouloir au point avec le Ministère de la recherche
accueillant des participants d’autres délivrer un label écomusée. En revanche devrait déboucher d’urgence sur une stra-
régions, publication de monographies, il semble qu’on doive s’employer à pré- tégie concertée. Sans doute la formule de
thèses ou travaux d’érudits locaux, expo- server les chances dont la << physiologie )> l’écomuséevieillira-t-elle,mais il est trop
sitions temporaires, expositions perma- de l’écomusée est porteuse, en évitant tôt pour le décréter. Elle en est, pour le
nentes mais évolutives, antennes pous- que cette formule soit systématiquement moment, à développer ses implications,
sées vers les habitants des quartiers et des remplacée, àla lettre ou dans l’esprit, par comme on l’observe au Creusot avec la
bourgs, itinéraires sur le terrain, présen- celle de <( centres de culture scientifique et naissance de l’Institut Jean-Baptiste
tations audiovisuelles. techniques )> créés àl’initiative de l’admi- Dumay dans le domaine de la recher-
I1 s’agit d’une institution qui se veut nistration au 1ieu.d’écloresur une prise de che-formation.
toujours en projet et qu’on doit se garder conscience collective, empreints de plus
de figer dans des formules empruntées à de souci didactique que de spontanéité 3. Voir Jocelyn de Noblet, Manz3ste pour le
développement de la cultfire technique, Neuilly-
d’autres familles. existentielle, limités à un domaine cultu- sur-Seine, Centre de recherches sur la culture
Ainsi, on peut parfaitement concevoir rel certes trop longtemps négligé3, mais technique (CRCT), 1981. .

Pierre Mayrand La nouvelle muséologie est plus qu’une du Comité international muséologie B
démarche qui viserait à encourager (ICOFOM) de 1’ICOM se développait
Professeur en patrimoine à l’université du Québec l’innovation muséologique permanente. rapidement: en un irrésistible mouve-
à Montréal. Président de l’Association des écomu- Elle mobilise les tenants d’une transfor- ment organisé et structuré qui finit par
sées du Québec.,Coordonnateur du premier Atelier mation radicale des finalités de la muséo- conduire à la création, en novembre
international a Ecomusées/nouvelle muséologie u.
Président de 1’Écomusée de la Haute-Beauce, logie, et par voie de conséquence, préco- 1985, lors du deuxième Atelier interna-
musée-territoire. Prix du Mérite de l’Association nise une mutation profonde de la tional à Lisbonne, Portugal, d’une fédé-
des musées canadiens, en 1982. mentalité et des attitudes du G muséolo- ration internationale de la nouvelle
I
gue),. C’est du moins ce qui ressort des muséologie. Ce mouvement, selon sa
premières manifestationspubliques d’un propre définition, possède déjà des élé-
groupe de personnes qui se donnaient ments de sa philosophie propre, exprimés
rendez-vous àLondres, en 1983, lors de la dans la Déclaration de Québec.
Conférence générale de l’ICOM, puis, au Quelles sont donc les insatisfactionsde
Québec, lors du premier Atelier inter- ce grand nombre de personnes et qu’est- ~

national intitulé << Écomusées/nouvelle ce qui pouvait, si soudainement, et de I

muséologie D. La contestation née au sein façon aussi impérieuse les mobiliser I


200 Pierre Mayrand

autour d’un concept encore mal défini et encontre (complaisance, passéisme. . .).
de démarches parfois divergentes? C’est Cette soirée préfigurait la naissance
sans doute le retard accusé par l’institu- d’une nouvelle ère muséologique immi-
tion muséologique à épouser dans les nente. Les débats sémantiques que sus-
faits l’évolution culturelle, sociale et poli- cita la Déclaration de Québec ne purent
tique et ce sont aussi la lourdeur et empêcher le consensus général qui se
l’incommunicabilité des organes qui la dégagea autour des principes de base. En
représentent’ dans le contexte latent de sortant des oubliettes les considérations
crise mondiale et de réévaluation de tou- de Santiago, la déclaration ne fait que
tes les entreprises humaines. C’est sur- réaffirmer, comme nouveau point de
tout, à notre avis, le monolithisme de départ, la mission sociale du musée, la
l’institution muséologique, l’inconsis- primauté de cette mission sur les fonc-
tance des réformes qu’elle propose, la tions traditionnelles du musée, soit la
marginalisation des expériences et des conservation, le bâtiment, l’objet, le
prises de position pour le moins enga- public. Les remises en question et les
gées. Pourquoi, par exemple, les résolu- éclaircissements qui s’en sont dégagés
tions adoptées par la table ronde de San- doivent beaucoup aux écrits de Hugues
tiago, en 1972, reçurent-elle si peu de de Varine et de René Rivard6 et à leur
publicité et n’y eut-il pas de suites source nous trouvons bien sûr la e défini-
immédiatesz?Ces frustrations, ajoutées à tion évolutive >> proposée par Georges
celles de la rigidité du système et des prin- Henri Rivière. Les termes évocateurs
cipes sur lesquels s’appuie la muséologie, sont : le <( musée intégral >>, le <( musée glo-
expliqueraient l’enthousiasme qui carac- bal )>, la muséologie populaire et commu-
térise les jeunes muséologues. On pour- nautaire, l’interdisciplinarité, le déve-
rait reprocher à ceux-ci de renier les prin- loppement ... Les assises philosophiques
cipes sacro-saints de la profession, sont les tentatives de socialisation de la
d’accorder plus de place au travail social muséologie et de changement des attitu-
qu’à l’éthique de conservation, voire, les des. De Santiago à Lisbonne (1972-
accuser d’irrévérence ou de céder aux 1985), nous assistons au passage de la
impulsions d’une mode passagère3. I1 muséologie à la conscience sociale et
n’en reste pas moins que des actions con- politique.
crètes ont eu lieu et ne peuvent être effa-
cées de si tôt : une journée d’étude sur les
écomusées, à Montréal en 1983, sous
<<l’égide>> théorique de Hugues de
Varine, précurseur de la variété commu-
nautaire >> des écomusées4, la fondation
1.Jean-Pierre Laurent, ((Des choses ou des
d’associations relevant de ces positions gens : la réalité muséale en France s , MNES
telles que l’association Muséologie INFO. . ., BuZZetin d’information, no 1, juillet
nouvelle et expérimentation sociale 1984, p. 1.
2. Hugues de Varine-Bohan, u Santiago du
(MNES -France), l’Association des éco- Chili, 1972 -la muséologie rencontre le monde
musées du Québec, l’institution de cours moderne >>, octobre 1984 (document de, travail
lors du premier Atelier international u Ecomu-
de formation en << nouvelle muséologie )>, séednouvelle muséologie>>).
en <(muséologiepopulaire D, la parution 3. Marc-Alain Maure, e Réflexion sur une
d’articles et de cahiers spéciaux consacrés nouvelle fonction du musée 3, ICOM éducation,
1977/78, p. 31 : <Musée ou pas, ce nouveau
à ces sujets. type d’institution, dont la fonction sociale
Le mouvement possède également sa dépasse de loin les limites imparties à l’action
tradition dans les musées de voisinage, culturelle proprement dite, a un rôle important à
jouer dans notre monde. )>
dansles musées scolaires, dans les écomu- 4. Hugues de Varine-Bohan, ul’écomusée D,
sées et dans les expériences plus récentes Gazette, 1978, p. 29-40.
5. Jean-Pierre Laurent, N Essai d’une nouvelle
de scénographies. I1 y eut, enfin, les muséologie de la ville s, Musées et coZZections de
grands moments de la rencontre du Qué- France, 1983, no 160, p. 75-77.
bec, en octobre 1984, soit l’abolition de 6. René Rivard, <(Redéfinirla muséologies,
Continuité, printemps 1984, no 23, p. 21 :
la primauté du discours sur l’action, de la u Bref, on a remis en cause certains principes
hiérarchie sur la convivialité, l’autoges- fondamentaux du musée : bâtiment, collections,
tion des ateliers, l’insertion en milieu public, conservateurs et présentations. )> c Que le
musée s’ouvre D, octobre 1984 (document
populaire ... La soirée beauceronne, présenté aux pafticipants du premier Atelier
organisée sous l’égide des treize villages international u Ecomusées/nouvelle muséologie .).
Hugues de Varine-Bohan, u Le musée peut tuer
de la Haute-Beauce, à l’enseigne du ou ... faire vivre >>, Technique et architecture,
c Musée chez nous, pour tous, par tous N septembre 1979, no 326, p. 82-83 : u11 [le
établissait la preuve qu’une muséologie musée] reçoit une nouvelle mission : refléter la
totalité de l’environnement et de l’activité de
populaire est réalisable, malgré les criti- l’homme.. . comme processus créateur de
ques qu’on pourrait formuler à son changement.. . s
201

Considérations d’ordre universez ont été un facteur de développement critique des commu-
nautés qui ont adopté ce mode de gestion de leur avenir,
La muséologie doit chercher, dans un monde contemporain qui Atienda la nécessité éprouvée unanimement par les partici-
tente d’intégrer toutes les ressources de développement, à éten- pants aux différentes tables de réflexion et par les interve-
dre ses rôles et ses fonctions traditionnelles d’identification, de nants consultés d’accentuer les moyens de reconnaissance de
conservation et d’éducation à des démarches plus larges que ces ce mouvement,
objectifs pour mieux insérer son action dans l’environnement Attenda la volonté de créer les bases organisationnelles d’une
humain et physique. réflexion commune et des expériences vécues sur plusieurs
Pour atteindre cet objectif et intégrer les populations dans son continents,
action, la muséologie fait appel de plus en plus à l’interdiscipli- Attenda l’intérêt de se doter d’un cadre de référence destiné à
narité, à des méthodes contemporainesde communication com- favoriser le fonctionnement de ces nouvelles muséologies et
munes à l’ensemble de l’action culturelle et également aux d’articuler en conséquence des principes et des moyens
modes de gestion moderne qui intègrent les usagers. d ’action,
Tout en préservant les acquis matériels des civilisations pas- ConsidéruBi que la théorie des écomusées et des musées com-
sées, et en protégeant ceux qui témoignent des aspirations et munautaires (musées de voisinage, musées locaux...) est née
de la technologie actuelle, la nouvelle muséologie -ecomu- ’ des expériences menées sur des terrains divers pendant plus
séologie, muséologie communautaire et toute autre forme de de quinze ans,
muséologie active -s’intéresse en premier lieu au développe-
ment des populations, en reflétant les principes moteurs de leur IL EST ADOPTÉ CE QUI SUIT :
évolution et en les associant aux projets d’avenir. 1. Que la communauté muséale internationale soit invitée à
Ce mouvement nouveau se met résolument au service de reconnaître ce mouvement, à adopter et accepter toutes les
l’imagination créatrice, du réalisme constructif et des principes formes de muséologie active dans la typologie des musées;
humanitaires défendus par la communauté internationale. I1 2. Que tout soit mis en œuvre pour que les pouvoirs publics
devient en quelque sorte un des moyens possibles de rapproche- reconnaissent et aident à se développer les initiatives locales
ment entre les peuples, de leur connaissance propre et mettant ces principes en application ;
mutuelle, de leur développement critique et de leur souci de 3. Que, dans cet esprit, et afin de permettre l’épanouissement
création fraternelle d’un monde respectueux de sa richesse et l’efficacitéde ces muséologies, soient créées en étroite col-
intrinsèque. laboration les structures permanentes suivantes :
Dans ce sens, ce mouvement, soucieux de l’approche globale, a) Un comité international Écomusées / musées commu-
a des préoccupations d’ordre scientifique, culturel, social et éco- nautaires au sein de I’ICOM (Conseil international des
nomique. musées);
Ce mouvement utilise, entre autres, toutes les ressources de b) Une fédération internationale de nouvelle muséologie
la muséologie (collecte, conservation, recherche scientifique, qui pourra être associée à I’ICOM et à I’ICOMOS (Con-
restitution et cliffusion, création), dont il fait des instruments seil international des monuments et des sites) dont le
adaptés à chaque milieu et projet spécifiques. siège provisoire serait au Canada;
4. Que soit formé un groupe de travail provisoire dont les man-
dats premiers seraient : la mise sur pied des structures propo-
Prise de position sées, la formulation d’objectifs, l’application d’un plan
triennal de rencontres et de collaboration internationales.
Attenda que plus de quinze années d’expériences de nouvelle
muséologie -écomuséologie, muséologie communautaire
et toute autre forme de muséologie active -dans le monde Québec, l e 13 octobre 1984
202

RESONANCES

Les écomasées aa Qaébec


René Rivard Avant 1970, le Québec a peu de musées historique de Grande-Grave au parc
publics, pas de traditions muséologiques national Forillon. Mais, à cause de ses sta-
Néen 1941àVictoriaville, Québec. B.A. 1963. Ad- fortes, peu ou pas de restrictions ctcon- tuts limitatifs, cet organisme fédéral ne
ministrateur-surveillant des Lieux historiques du servatistiques ... La U révolution tran- peut malheureusement adopter cette for-
))
Québec et de l’Ontario de 1970 à 1972. Adminis-
trateur régional pour le Québec de 1972 à 1973.
quille )>, bien amorcée, éveille une grande mule basée sur la participation populaire,
Chef des servicesd’interprétation, de muséologie et partie de la population à la recherche de dépêchant toutefois plusieurs de ses fonc-
d’animation de Parcs Canada pour le Québec de son identité et à une conscience nouvelle tionnaires pour étudier les parcs français
1973 à 1979. Consultant en muséologie et fonda- de son patrimoine. Alors que dans et leurs pratiques de conservation et
teur en 1978 de la firme Muséart. Nombreuses mis- l’Ontario et au Nouveau-Brunswick - d’animation.
sions pour l’Unesco et I’ICOM.
les deux provinces canadiennes voisines Peu àpeu, des visites et des stages sont
du Québec -se développent musées organisés, des échanges plus formels ont
conventionnels, musées de plein-air lieu. Le Québec reçoit Gérard Collin,
importants et reconstitutions figura- Jean-Pierre Gestin, Georges Henri Ri-
tives d’ensembles historiques et de forte- vière ... La France accueille René Milot,
resses anciennes, le Québec, muséologi- Carole Lévesque, René Rivard ... Le point
quement, traîne la patte, il se cher culminant est atteint en 1979 alors que
Che ... Entrent alors en scène certains fac- deux groupes importants font, grâce à
teurs qui mèneront peu à peu vers la I’OFQT, des échanges de stages d’un mois
nouvelle muséologie, vers I’écomusée : dans ces pays respectifs. L’évaluation de
l’énoncé d’une première politique qué- la formule écomuséale est pleine de pro-
bécoise du développement culturel, les messes. Le Québec s’y intéresse vive-
vastes opérations d’animation dans cer- ment.
taines régions, l’expérimentation et le
développement de nouvelles formules 19 79-1982 :b Québec s’initie à
muséales telles que les centres de la Z’écomusée
nature et les centres d’interprétation, la
décentralisation à Québec des services Une première expérience voit timide-
fédéraux de Parcs Canada -parcs natio- ment le jour en Haute-Beauce. Pierre
naux et lieux historiques -et, égale- Mayrand y aide un groupe de citoyens
ment, l’implication grandissante de désireux de sauvegarder dans leur région
l’Office franco-québécois pour la jeu- une collection impôrtante du patrimoine
nesse (OFQT) dans d’importants pro- régional, mais sans la muséaliser de façon
grammes d’échanges entre la France et le conventionnelle. On crée à cette fin le
Québec. Musée et Centre régional d’interpréta-
tion de la Haute-Beauce,une région mar-
.1974-1979 :Ze Québec s’intéresse à ginalisée qui reprend une certaine fierté
Z’écomusée grâce àune identité mieux définie et qui,
par son soutien populaire et financier, se
Des contacts informels sont établis vers dote d’un outil culturel à sa mesure. Des
1974 entre les écomusées des parcs régio- activités de développement bien pro-
naux français et certains apprentis-mu- grammées par Pierre Mayrand et Maude
séologues québécois. Georges Henri Céré mèneront graduellement vers
Rivière les guide vers le mont Lozère, l’île l’adoption de la formule de l’écomusée,
d’Ouessant, les landes de Gascogne, Le vers l’appropriation du territoire et son
Creusot. L’avantage dont jouissent les interprétation, vers la recherche de la
deux pays, celui d’utiliser une langue mémoire collective et de la créativité
commune (le français), fait que la docu- populaire.
mentation et les communicationstraver- Au printemps 1980, un groupe de
sent rapidement l’Atlantique vers le citoyens du quartier centre-sud de Mont-
Québec. La formule de I’écomusée est réal Oeuvrant au sein de coopératives
proposée àParcs Canada pour l’ensemble d’habitation décident de se donner des
Les écomusées au Québec 203

moyens culturels adaptés à leur situation muséographiques permettant d’attein-


<< bloquée dans le temps et dans l’espa- dre les objectifs de I’écomusée.
ce D. Claude Watters, longtemps expatrié Ce <<trianglede la créativité est une
)>

aux États-Unis, propose la formule du véritable innovation et un apport subs-


musée de voisinage telle que pratiquée tantiel des écomusées québecois à la
dans les quartiers démunis des villes muséologie populaire. Sa pratique cycli-
américaines’. La réflexion populaire qui que dans le temps et dans l’espace régio-
13
s’ensuit pousse rapidement les promo- nal permet d’atteindre des objectifs con- e Expression monumentale des gens de)>
teurs plus loin vers la formule de crets et réalisables par l’ensemble de la Lambton au cours de l’activité e Haute-
l’écomusée. population. L’opération Haute-Beauce Beauce créatrice),, 1983.
c(

La Maison du Fier-Monde sera ainsi créatrice permit, en 1983, aux treize vil-
)>

créée et s’engagera très tôt dans des lages de l’écomn~éed’affirmer, par des
revendications populaires pour I’amélio- symboles monuriientaux et des activités
ration de la qualité de la vie et de I’envi- créatrices, leur appropriation territoriale.
ronnement de ce quartier ouvrier. Quel- I1 en va de même à la Maison du
que peu déstructuré par une politique Fier-Monde au moyen d’une peinture
d’urbanisme qui avait favorisé l’implan- murale collective, d’activitésde solidarité
tation dans ses murs de l’université du dans le quartier, d’expositions-recherche
Québec et de la centrale francophone de d’identité.
Radio-Canada, ce quartier de Montréal Deux nouveaux écomusées voient le
s’était vu <( déchiré >> par une autoroute jour : les Deux-Rives, dans la région de
dont la construction entraîna la démoli- Valleyfield, et Saint-Constant, sur le
tion de plus de quatre cents logements. Saint-Laurent, face à Montréal. Ces deux
Très tôt, la Maison du Fier-Monde derniers-nésainsi que les Écomusées de la
devient donc, de son propre dire, <<un Vallée de la Rouge et de l’Insulaireconso-
écomusée de combat >>. lident leurs assises et se donnent, malgré
D’autres expériences écomuséales sont certains tâtonnements et oppositions, des
amorcées en 1981-1982 dans la Vallée de moyens d’action pleins de promesses. Au
la Rouge, partie des <( pays d’en haut des)> JAL, dans le Témiscouata, g l’intention
Laurentides, ainsi que dans les îles du lac écomuséale germe depuis déjà quelque
)>

Saint-Pierre, milieu naturel et culturel temps, à l’intérieur d’un vaste mouve-


fragile dans cet archipel important du ment coopératif de développement2.
fleuve Saint-Laurent ; cette dernière Aujourd’hui, l’Association des éco-
expérience est connue sous le nom de musées du Québec compte six membres.
l’Insulaire. Elle avait organisé en mai 1983 la journée
En 1981, Hugues de Varine-Bohan se d’étude des écomusées, àlaquelle avaient
rend en Haute-Beauce. I1 visite ces éco- participé Hugues de Varine-Bohan et des
musées naissants et leur conseille une représentants populaires de tous les éco-
action plus directe, plus impliquée dans musées québécois. On y avait décidé de
le développement socio-économique de tenir le premier Atelier international :
leur territoire. Les cours de muséologie et << Écomusées / nouvelle muséologie )>,
de patrimoine dispensés à l’université du colloque itinérant qui eut lieu au Québec
Québec à Montréal et à l’université Laval en octobre 1984 et qui a donné naissance
discutent résolument des écomusées et à un regroupement international des
plusieurs étudiants participent active- principaux intervenants en muséologie
ment à leur développement. L’écomusée populaire.
fera désormais partie du langage et du 14
paysage muséal québécois. Les sfléc$icìtés québécoises Poster d’une des activités de la Maison du
Fier-Monde à Montréal : une exposition
Du point de vue analytique, il est intéres- pour la réouverture du marché Saint-
Progrès et déveZoppements Jacques, transformé en bureaux par la
sant de noter que les six écomusées du mairie.
Suivant la volonté expresse de la popula- Québec ont tous des origines différentes,
tion, le Musée et Centre d’interprétation aucune n’étant imputable au système des
de la Haute-Beauce devient en 1983
I’Écomusée de la Haute-Beauce. Ce 1. Voir l’article de John R. Kinard, <Le musée
changement confirme le succès d’un plan de voisinage, catalyseur de I’évolution sociale D,
p. 217.
triennal établi en 1980 et ayant comme 2 . La Corporation touristique du JAL, près du
outil de base le <( triangle de la créativité I> lac Temiscouata, dans la région du bas Saint-Lau-
rent, a été formée par trois villages qui, selon le
et les cours de muséologie populaire. gouvernement québécois, étaient voués 1
Grâce à eux, et aux méthodes d’interpré- disparaître. Ces trois villages - Saint-Just, Auclair
tation et d’animation, la population pro- et Lejeune - , dont les initiales forment le sigle
gresse avec assurance vers l’appropriation JAL, ont décidé de se regrouper et de prendre en
main leur développement en organisant des
de son territoire et se donne des outils activités touristiques et de plein air.
204 René Rivard

15 I6
Paysage printanier en Haute-Beauce. Paysage automnal dans la vallée de la
Rouge.
-^ __ -- - ^ -
7

parcs comme c’est le cas le plus souvent financière, puisque les écomusées
en France. Les ((prétextes déclencheurs B vivent surtout, ou presque exclusive-
des écomusées québécois méritent donc ment, de souscriptions et de finance-
une mention comparative : ment populaires.
Haute-Beauce :il fallait sauver du danger L’approche des écomusées québécois est
de dépatriation une collection de à la fois interdisciplinaire et non disci-
patrimoine local, fruit du labeur d’un plinaire puisque aucun n’a le comité
ethnographe autodidacte; scientifique qu’au contraire les écomu-
Fier-Monde : le besoin d’outils culturels sées français possèdent. Cette particu-
et de défense appropriés pour des coo- larité ne signifie nullement la peur ou
pératives d’habitation dans un quar- le dédain de l’approche scientifique
tier ouvrier; rigoureuse, mais plutôt une préférence
Insulaire : l’action créatrice d’une étu- à intégrer des chercheurs profession-
diante en patrimoine face à un milieu nels au sein même de la population et,
naturel et culturel fragile et, de sur- par le biais du comité des usagers, pré-
croît, menacé par un tourisme irres- venir leur isolement ou leur éloigne-
pectueux; ment des objectifs populaires que les
Vallée de la Rouge : la société de patri- écomusées donnent à leurs efforts de
moine est intéressée à l’interprétation recherche.
et à l’action communautaires; Les cours de muséologie populaire dis-
Saint-Constant :le projet de centre d’ini- pensés depuis quelques années, sur-
tiation écologique s’agrandit et se tout en Haute-Beauce, se veulent non
développe en un écomusée; seulement une innovation dans le
Deux-Rives : un centre culturel établi en monde écomuséal, mais aussi et surtout
1979 décide de se développer en éco- un moyen efficace de démystifier la
musée à la suite d’un séminaire sur la démarche muséographique, de susci-
muséologie populaire qui eut lieu en ter une participation active àla concep-
1984. tion même des outils d’interprétation
Cependant, les écomusées du Québec que se donne l’écomusée, et de pour-
peuvent s’enorgueillirde posséder certai- voir l’action communautaire de tra-
nes singularités, certaines différences par vailleurs-muséographes compétents.
rapport aux écomusées d’Europe qui La mémoire collective de la population
indiquent bien leur caractère et leur . est effectivement le patrimoine pre-
démarche propres et, de ce fait, leur con- mier de I’écomusée sur lequel oeuvrent
tribution à l’évolution de la nouvelle non pas quelques chercheurs et scienti-
muséologie. On pourrait les résumer fiques isolés, mais les gens eux-
ainsi : mêmes, dirigés par les forces vives qui
La participation populaire est non seule- se trouvent ou qui se développent au
ment considérée comme essentielle, sein de la population.
mais elle est recherchée, encouragée et I1 faut noter également un certaine repri-
très souvent obtenue à des niveaux se par la population de son <(pouvoir
insoupçonnés. de nommer, ou encore de redéfinir
Cette participation n’est pas uniquement son territoire, reprenant avec une créa-
de bénévolat; elle est également tivité accrue cette activité si chère à
Les écomusées au Québec 205

leurs anches qui, il y a un peu plus tout partenaire œuvrant dans le avec Georges Henri Rivière, celle qui
d’un siècle, avaient fait de même en domaine de l’éducation populaire, du devait amorcer le mouvement écomuséal
tant que défricheurs de la Haute- développement économique et de la au Québec. Maintenant que le Q père des
Beauce ou de la Vallée de la Rouge. mise en valeur du patrimoine. Certains écomusées )> n’est plus, le Québec appor-
La préoccupation de plus en plus immé- jumelages fructueux ont eu lieu, par te à sa manière son fleuron à la couronne
diate des populations habitant les ter- exemple, entre deux écomusées qué- des écomusées des différents pays du
ritoires écomuséalisés est de travailler à bécois, entre I’Écomusée de la Haute- monde, couronne vivante et vibrante à sa
divers projets de développement socio- Beauce et celui du Coglais en Bretagne mémoire.
économique, que ce soit au niveau ou encore entre un écomusée et deux
rural, villageois ou urbain, et de autres musées dans une région donnée
s’appliquer à garder ces projets à une afin de former un réseau capable de
échelle locale ou humaine compatible donner à la population et aux visiteurs
avec les aspirations de la population. une gamme plus étendue de services et
Une autre spécificité notoire mérite des moyens plus efficaces d’action
d’être soulignée : le haut niveau muséale concertée.
17
d’échange des écomusées québécois Exposition populaire extErieyre à l’occasion
entre eux, entre eux et les écomusées I1 y a un peu plus de dix ans déjà qu’avait du festival des foins à Saint-Evariste, en
d’autres pays et, généralement, avec lieu la première rencontre de Québécois Haute-Beauce.
206

L‘ ìdée des écomasées sYmpZunte en Saède

Kjell Engström Le développement de la muséologie en à s’entendre sur quelques définitions


Suède a été extrêmement dynamique au simples.
Né en 1929. Études de zoologie, de botanique et de cours des dernières décennies. A la faveur
géographie à l’université de Stockholm. Ph.D. de d’un examen du fonctionnement d’insti-
zoologie. Enseignement de la zoologieà l’université Les caractéristiques de Z’écomusée
de 1957 à 1965. Directeur du Département public
tutions muséographiques anciennes, le
du Musée suédois de sciences naturelles (adminis- système de documentation de ces institu- Ma propre conception de l’écomusée est
tration, expositions et Education) en 1965. Secré- tions a été analysé et rationalisé, leur issue des discussions qui ont eu lieu au
taire de la Société suédoise pour la protection de la matériel de présentation a fait l’objet de congrès << Musées et environnement )>
nature et rédacteur de sa revue pendant les années discussions approfondies et d’un effort tenu à Bordeaux, Istres, Lourmarin et
1950. Président du Comité national suédois de
I’ICOM de 1975 11981. Depuis 1980, président du de renouvellement, et leur rôle dans la Paris en 1972*. C’est lors de ces rencon-
Comité international pour les musées de sciences société a été largement débattu. Ainsi, tres qu’ont été examinés et formulés pour
naturelles. Membre du Conseil exécutif de I‘ICOM l’intérêt du public pour la muséographie la première fois au niveau international
depuis 1983. Responsable de la planification d’un s’est développé et ce phénomène, dont les principes de base de l’écomusée.
Musée de la montagne et de la culture sameh à
témoigne en partie l’augmentation du Je voudrais à présent résumer briève-
Jokkmokk.
nombre des visites constatée dans tout le ment ces échanges de vues et récapituler
pays, a entraîné par ailleurs la création de les données d’expériences recueillies à la
beaucoup de nouveaux musées spécialisés faveur des premières réalisations faites
dans des domaines précis, notamment la dans ce domaine.
forêt, le jouet, l’automobile, l’aviation et La notion d’écologie revêt une impor-
l’archipel côtier. tance fondamentale. Le mot lui-même,
La notion d9écomasée est également dérivé du mot grec oihos (l’habitat ou le
devenue d’actualité dans le cadre de la milieu), a été forgé initialement par le
planification des nouveaux musées sué- biologiste allemand Haeckel en 1878
dois, malgré la grande incertitude qui pour désigner l’étude des rapports des
règne dans nos esprits et qui entoure la organismes vivants avec leur environne-
définition même de cette notion. Ce ment. Dès les premières discussions con-
thème a été discuté à l’occasion de nom- sacrées aux caractéristiques des écomu-
breux congrès et conférences au cours des sées, l’un des principes de base qui ont
dernières années et l’on a tout juste réussi été définis a été l’impératif de concevoir
1. Des extraits des conclusions du congrès ont les musées d’un point de vue écologique
été publiés dans un numéro spécial de hlureum et de s’assurer qu’ils reflètent le dévelop-
intitulé ((Muséeset environnement D, vol. XXV,
no 1/2, 1973. L’auteur du présent article avait pement de la vie culturelle et économi-
rédigé I’éditorial de ce numéro. que d’une région, en liaison avec les

18
VÄSTERBOTTENS MUSEUM, Umeb. Lors
d’une exposition permanente, en 1975,
carte montrant comment l’implantation
d’usines sidérurgiques influence l’économie
de la région. Cette photo a été publiée
pour !a première fois avec l’article de Per-
Uno Agren intitulé a Le réaménagement du
Musée régional de Västerbotten, Umeå )>,
dans Museum, vol XXVII, no 3 , 1976.
L’ idée des écomusées s’implante en Suède 207

conditions et les limites déterminées par lation et résulter du désir de celle-ci


le contexte naturel propre à cette région. d’explorer, de documenter et de faire
La nécessité d’une pluridisciplinarité comprendre sa propre évolution. I1 doit
résulte de cette approche écologique. La avoir un Q ancrage >> dans la population et
mise en evidence et la description de être conçu de manière qu’elle puisse
l’interaction des conditions naturelles et influer sur le développement de l’institu- 17
de l’évolution technique, économique et tion. A cet égard, ce ne sont pas la forme Organigramme du projet du Musée sameh.
culturelle doivent faire appel à plusieurs et l’organisation du musée qui’comptent
disciplines scientifiques. Ainsi, l’écomu- le plus, mais le choix des orientations : il
sée échappe à la classification par matiè- s’agit d’amener la population à s’intéres- r I

res traditionnellement observée dans le ser à sa région et à sa culture, et par là


domaine de la muséologie, puisque même de lui conférer une responsabilité
l’intégration de plusieurs de ces matières accrue quant à son avenir. Une telle
constitue précisement sa caractéristique. approche doit également permettre de
Autre principe important : l’affirma- développer le désir de faire connaltre la
tion du caractère régional de I’institu- région au monde extérieur.
tion. En l’occurrence, la région n’est pas I1 n’existe pas en Suède de musée qui I l I

a prion’ une zone définie par des limites remplisse pleinement cette fonction,
administratives ou juridiques, sauf si ces bien que toute une gamme de musées et
limites coïncident avec celles d’une aire institutions voisines répondent dans une
qui forme un tout en raison de l’homogé- certaine mesure aux principes énoncés.
néité des traditions, du cadre naturel ou Ainsi le musée de plein air créé par
de la vie économique-une région Arthur Hazellius dans le parc de Skansen
minière, une vallée fluviale, une zone à Stockholm a joué un grand rôle dans
agricole, une zone industrielle, par exem- l’élaboration des idées qui sont à l’ori-
ple. De plus la notion d’écomusée ne sau- gine des premières définitions de I’éco-
rait être limitée au bâtiment, implanté musée formulées par Georges Henri
dans un lieu précis, qui abrite celui-ci, Rivière2. Le but essentiel du musée de
mais devrait plutôt être étendue à un plein air est de rassembler, en un lieu
ensemble d’unités qui concourent à la facilement accessible, des constructions
20
même fin et qui sont réparties en fonc- d’origines et d’époques différentes et de Exposition itinérante consacrée au Musée
tion des centres d’intérêt dudit musée. les doter d’un environnement qui évoque régional de Vhterbotten, musée provincial
Enfin-et ce principe s’impose de leur milieu initial. A cela s’ajoutent fré- pour l’histoire et la culture locales.
façon particulièrement impérative -la quemment des activitésliées àl’artisanat,
conception d’un écomusée ne saurait à l’agriculture, à l’utilisation de diverses
simplement être le fait d’une institution techniques anciennes ; ces activités visent
centrale et se concrétiser sous la forme de à donner une image globale d’une épo-
bâtiments destinés à abriter des rencon- que déterminée et des conditions de vie
tres entre spécialistes, des expositions et
2. Voir u Skansen : le bilan de quatre-vingt-dix
des activités éducatives. L’écomusée doit ans d’existenceD, dans Aïuseum, vol. XXXIV,
être réalisé en collaboration avec la popu- no 3, 1983, p. 173-178.
- . . _ _

21
JÄMTLAND LÄNS MUSEUM, Ostersund.
Maison d’été et étable-laiterie dans un
vieux village qui fait partie de ce musée de
plein air consacré à la culture sameh.
Quatorze musées régionaux ou locaux sont
décrits dans Museum, vol. X, no 3, 1757,
dans lequel cette photo a été publiée pour
la première fois.
208 KjeL Enaström

correspondantes, mais sont axées essen- terme Q écomusée )> ait été employé pour ce pays, sans négliger l’apparition d’un
tiellement sur des observations ethnolo- désigner ce type d’aménagement, on y type nouveau d’évolution, découlant des
giques et sur les traditions populaires. Un remarque en fait l’absence de lien avec recherches poursuivies dans les années
grand nombre de musées de plein air de I’écologie, d’intégration des disciplines 1970, dans le domaine du déploiement
ce genre ont été créés au x x e siècle en et d’une participation décisive de la de l’activité muséographique.
Suède, la plupart du temps à l’initiative population à I’élaboration du projet ;
d’une association locale. L’exposition aussi doit-on classer les institutions de ce Un nouvemx musée sur de modèZe
dont le thème est l’habitat est complétée genre parmi les musées historico-indus- de Z’écomusée
en règle générale par une documentation triels ou ((musées fragmentés )>, dont
sur le travail du bois, la fabrication de tex- celui d’Ironbridge, au Royaume-Uni, Depuis 1980 se développe la conception
tiles, les techniques agricoles, les tradi- constitue un exemple remarquables. d’un musée s’inspirant de la notion
tions artisanales, la musique, la danse, les Une autre activité traditionnelle d’écomusée. La tentative remonte au
contes populaires, etc. mérite mention dans ce cadre, bien début des années 1970, époque où a été
Ces musées de plein air s’avèrent donc qu’elle ne relève pas de la muséologie lancé un projet de création d’un Musée
très proches, à de nombreux égards, de proprement dite. I1 existe en Suède un des parcs nationaux appelé à servir
l’écomusée. Toutefois, en règle générale, vaste réseau de groupes d’étude auxquels d’introduction àla visite des grands parcs
on n’y constate pas l’existence d’un lien les associations locales sont très fréquem- nationaux situés dans la région monta-
avec le thème de l’écologie et du souci ment rattachées. Ainsi, par le biais des gneuse de la Laponie. Ce musée devait
d’intégration des disciplines, non plus cercles d’étude de l’histoire locale, nom- être créé à Jokkmokk, commune regrou-
qu’avec l’évolution sociale actuelle ; en bre d’excellents travaux ont permis au pant certains des plus grands parcs natio-
outre, ils ont d’ordinaire un caractère public d’acquérir des connaissances naux. Bien que le projet n’ait pas été réa-
extrêmement local. Plusieurs grands approfondies sur sa propre histoire et sur lisé à l’époque, il a connu un regain
musées provinciaux présentent des carac- celle de son pays natal. Les études de ce d’actualité vers la fin des années 1970.
téristiques similaires, et l’effort de re- genre renforcent l’intérêt manifesté pour Les pouvoirs publics ayant alors entrepris
nouveau entrepris aujourd’hui dans l’évolution de la société, mais c’est seule- de mettre un terme au développement
quelques-unes de ces institutions est fré- ment dans une mesure limitée qu’elles des ressources hydrauliques, la menace
quemment orienté vers des formes d’acti- suscitent des travaux proprement muséo- d’un chômage généralisé est apparue
vité qui sont proches de celle d’un graphiques, avec collecte de matériaux dans cette région ; aussi ai-je été chargé,
écomusée. relatifs à la tradition, de connaissances, dans ces circonstances nouvelles, d’étu-
Certains projets de musées présentés d’objets et de documents rassemblés et dier à nouveau la possibilité de créer le
récemment au public vont aussi dans ce préservés par la collectivité. musée en question.
sens. On peut voir là une adaptation au Enfin, il existe aussi en Suède nombre Je devais tenir compte de plusieurs
tourisme automobile de notre époque et de musées et d’activités connexes dont le considérations fondamentales. Le musée
aux longs déplacements qu’il autorise. Le principe rejoint à de nombreux égards la devait faire office de musée ,des parcs
principe consiste essentiellement à utili- notion d’écomusée, et c’est probable- nationaux et donc permettre aux visiteurs
ser une seule et même installation pour ment la raison pour laquelle cette notion de s’informer du milieu naturel, de I’évo-
présenter l’histoire économique de toute n’est pas encore vraiment implantée dans lution historique et de la vie économique
une région, notamment sous la forme le pays. Peut-être les écomusées se sont-ils
d’évocations industrielles, de présenta- surtout développés en France àcause de la 3 . Voir l’article de Neil Cossons, fondateur et
directeur du musée, u Ironbridge Gorge : le
tions architecturales et de reconstitutions plus grande rigueur de classification par musée dans la vallées, dans Museum, vol. XXXII,
d’ambiances culturelles. Bien que le disciplines qui caractérise les musées dans no 3 , 1980, p. 138-153.

22
Sctni:typique de rassc:nnblr:ment des rennes
dans les annee:s 1940.
L’ idée des komusées s’imblante en Suède 209

23
L’écologie en mutation, défi réel pour le
nouveau musée : l’hélicoptère remplace
aujourd’huiles chiens pour rassembler les
rennes dans la montagne.

des régions considérées. A cet effet une d’action du musée ne saurait être établie lement connu une profonde transforma-
étroite collaboration devait s’instaurer en fonction de limites administratives, tion depuis le début du siècle. En effet,
avec les différentes autorités et organisa- mais plutôt de limites qui coïncident avec une longue période d’aménagement des
tions qui, d’une façon ou d’une autre, celles de la zone montagneuse. La popu- ressources hydrauliques s’achève à pré-
s’occupent de tourisme et sont amenées à lation ayant vécu depuis longtemps dans sent, et les habitants de cette région sont
transmettre au public les informations une dépendance quasi totale à la nature, confrontés à un chômage important. Les
correspondantes. Le musée devait égale- il est impossible de comprendre la culture organismes d’éducation populaire et les
ment faire office de musée suédois des apparue dans cette région sans tenir mouvements locaux se voient donc inves-
régions montagneuses, et ceci par le biais compte du milieu naturel où elle s’est tis d’une tâche capitale, celle qui consiste
d’activités de documentation et d’infor- développée. à documenter ce processus et à inciter la
mation concernant le milieu naturel, Dans de nombreuses régions, la popu- population à rechercher des solutions aux
l’écologie, la population, la vie écono- lation sameh continue àvivre de la même problèmes actuels.
mique et la vie culturelle. Au cours des activité économique principale -l’éle- Un musée qui entend s’engager dans
années 1970 est apparue au sein du Con- vage du renne-depuis de nombreux cette voie élargit ainsi son rôle tradition-
seil nordique la volonté de créer un siècles, même si cette activité connaît nel de constitution de collections, de con-
musée central sameh pour ces régions aujourd’hui une rapide modernisation. servation, de documentation et d’édu-
situées en Norvège, en Suède et en Fin- L’élevage du renne repose entièrement cation. I1 sera également en mesure
lande. Le musée envisagé plus haut sur une exploitation équilibrée du milieu d’assurer la tâche décisive qui consiste à
pourrait-il remplir sa fonction dans le naturel, mais il subit actuellement de for- amener la population d’une région non
cadre suédois ? Un élément important tes pressions; qui résultent des modalités seulement à percevoir des rapports de
à prendre en considération : le musée de mise en valeur propres à la société causalité dans l’évolution en cours, puis à
communal deJokkmokk abritait déjà une moderne : aménagements hydro-électri- analyser les conséquences de cette évolu-
collection composée essentiellement ques, exploitation des mines, installa- tion, mais aussi à s’attaquer elle-même à
d’objets sameh. tions touristiques, implantation de rési- la solution des problèmes qui se posent.
Le musée devait également constituer dences secondaires, extension du réseau Ce champ élargi d’orientations, ainsi que
un centre local d’activités culturelles, routier et autres effets secondaires du la méthodologie en cours de mise au
ouvert à la population de la région mon- développement technologique. L’écono- point, lui confèrent donc un caractère
tagneuse environnante. Étant donné mie et la culture sameh traditionnelles différent qui permet de le qualifier
qu’une orientation fondée sur ces hypo- traversent donc une phase de profonde d’écomusée.
thèses conduisait tout naturellement à la transformation et l’on ne dispose que L’étude effectuée en 1980-1981 a
notion d’écomusée et à la méthodologie d’un temps limité pour rassembler la abouti à un projet d’organisation de
correspondante, je me suis évidemment documentation relative à ce processus. La musée qui devrait permettre d’atteindre
référé à ce modèle lors de la mise au point population sameh explicite la volonté de tous les objectifs mentionnés ci-dessus.
définitive du projet. créer elle-même un musée central voué à Après avoir délibéré sur ce sujet, et au
Le milieu naturel est très particulier, et sa propre culture et pouvant en outre terme des discussions entreprises avec les
à de nombreux égards il limite considéra- jouer un rôle important en tant que cen- divers partenaires concernés, le gouverne-
blement les activités humaines, mais tre culturel de documentation et d’ac- ment a décidé de créer une institution
d’autre part la région possède plusieurs tivités. chargée de construire, puis de gérer le
de nos principales ressources naturelles, Après plusieurs siècles d’économie musée projeté. L’État, la commune de
qu’il s’agisse de gisements miniers, fondée sur l’agriculture, la sylviculture, Jokkmokk, le Conseil général de la pro-
d’énergie hydraulique ou de forêts. la chasse et la pêche, les moyens de subsis- vince de Norrbotten, ainsi que deux orga-
La délimitation régionale du champ tance dont dispose la population ont éga- nisations sameh, l’Association nationale
24
De nos jours, les rabatteurs des troupeaux
de rennes utilisent la motocyclette.

des Sameh4 de Suède et l’Association dépendait entièrement des conditions Un petit groupe de personnes travaille
<cSame Atnam >>5 participent au finance- naturelles, alors qu’aujourd’hui la nature à la conception du musée depuis l’été
ment de cette institution. AJTTE, nom se trouve assujettie aux conditions impo- 1983. Tous les plans étant maintenant
donné à l’institution muséographique, sées par l’homme. Ainsi, l’aménagement prêts, la construction a commencé au
est un mot de la langue sameh qui dési- des ressources hydrauliques, l’exploita- cours de l’été 1985. L’emménagement
gne une remise en bois, bâtie sur pilotis, tion forestière, l’exploitation du sous-sol, est prévu en principe pour le printemps
où les ustensiles de ménage, les vête- l’extension du réseau routier, l’introduc- 1987 et l’on espère pouvoir alors présen-
ments et divers objets utilitaires sont ran- tion d’essences forestières et de variétés ter une partie des expositions et entre-
gés pendant la période qui sépare les de poissons nouvelles ont contribué aux prendre des activités de formation. Mais
déplacements d’automne et de prin- transformations radicales observées au plusieurs années s’écouleront avant la
temps entre les alpages et la forêt. Les cours des dernières décennies dans ce fra- pleine réalisation de l’ensemble du pro-
activités du musée doivent faire appel à gile écosystème. gramme.
toutes les formes de documentation : Si le visiteur veut s’écarter du thème Si nous réussissons à mener à bien le
photographies et films, enregistrements majeur, il lui sera possible de s’arrêter projet conformément ànos intentions, le
sonores de traditions orales et de musi- dans certaines sections du musée où des musée sera vraiment un écomusée ;il sera
ques folkloriques, publications et autres collections générales donnent une pré- ainsi appelé àjouer un rôle majeur dans
documents écrits. Le musée doit égale- sentation plus complète que l’exposition le développement culturel comme dans
ment abriter une activité soutenue de thématique. Une salle de lecture, une le développement social en général, et
recherche. Une importance particulière salle d’étude, et des locaux consacrés à cela non seulement à l’endroit même de
est accordée à la section sameh, de façon des expositions occasionnelles et à diver- son implantation, mais aussi dans la vaste
qu’elle joue le rôle de musée central de ses activités d’étude complètent l’aména- région qui s’étend alentour.
cette culture en Suède dans les conditions gement prévu. Les expositions du musée
exposées plus haut‘. doivent se dérouler non seulement à [ Traduit du suédois]
L’organisation administrative du l’intérieur de l’institution mais aussi à
musée doit se conformer au schéma de la l’extérieur. En collaboration, notam-
figure 2 1. Les expositions permanentes ment, avec différents groupes et associa- 4. Les membres du conseil d’administration
du musée devront intégrer les aspects tions d’intérêt local, des expositions plus sont désignés par les différentes organisations.
naturels et historico-culturels dans le petites, des restaurations de milieux 3 . Les membres du Conseil sameh sont élus par
les organisations sameh. a Sameh D est le nom que
cadre d’une présentation thématique naturels ou différentes activités locales se donnent les Lapons dans leur vieille langue
consacrée au milieu montagneux et à son peuvent être entreprises dans des annexes finno-ougrienne.
climat, aux modalités d’exploitation de situées dans un lieu différent de celui du G . Le musée cherchera 1 réaliser une
implantation plus large auprès de la population
la nature par l’homme et à la façon dont musée proprement dit, mais faisant par- de référence, p a rapport à celle que reflète la
les différentes formes de culture se sont tie intégrante de la mission d’un écomu- composition du conseil d’administration.
L’objectif est d’obtenir la participation
développées à chaque époque. Les expo- Sée. Grâce à toute une gamme d’actions d’organisationset d’institutions très diverses,
sitions doivent, de façon claire et simple, et d’animationprogrammées, de publica- notamment de cercles régionaux, d‘associations
amener les visiteurs àvivre le changement tions et d’expositions, le musée assurera sameh locales, d’organismes de protection de la
nature, d’institutions universitaires, de musées
survenu au cours des derniers siècles : l’information tant de la population de la des régions voisines, de représentants des écoles
jadis, la vie de l’homme dans ces régions région que des visiteurs de l’extérieur. et de responsables de l’instruction populaire.
211

Depuis la révolution du 25 avril 1974, les les ressources économiques, énergéti- António José Nabais
initiatives culturelles locales reflétant le ques, technologiques, touristiques et cul-
caractère propre à chaque communauté turelles de la région. Les musées locaux Né en août 1947 à Oliveira de Frades, àViseu (Por-
se sont multipliées au Portugal. Les portugais qui ont adopté ces principes tugal). Licence d’histoire à l’Université de Lis-
bonne. A suivi le cours de formation de conserva-
musées locaux qui ont vu le jour au cours ont cependant conservé l’appellation de teur de musée de l’Institut portugais du patrimoine
des dix dernières années ont bénéficié des musée municipal et le nom de la localité culturel (IPPC). Directeur du Musée municipal de
effets de la démocratie en général et de la où ils se trouvent (en général le chef-lieu Seixal. Professeur d’histoire dans l’enseignement
gestion démocratique des collectivités en de la circonscription).Avec la muséologie secondaire et àl’Universitédu troisième âge (UITI).
particulier, et sont devenus des instru- active mise en pratique par les musées A écrit Históna Do Comeho do Seixal(vo1. 1 : Cro-
nologiu; vol. 2 : Barcos; Seixal, Edição da Camara
ments utiles pour les communautés qui locaux, l’espace muséologique s’est élar- Municipal do Seixal, 1981, 1982) ainsi que des arti-
les ont créés et qui continuent de les ani- gi : dépassant l’enceinte de l’ancien édi- cles sur l’histoire locale dans différentes revues.
mer. Sans négliger les objectifs généraux fice utilisé comme musée -palais, cou-
par lesquels se définit un <<musée)>, à vent ou autre bâtiment-, il s’étend
savoir rassembler, conserver, étudier, désormais à tout le territoire sur lequel les
exposer et diffuser les témoignages maté- signes de l’activité humaine s’intègrent
riels et spirituels concernant l’homme et au paysage naturel. Les musées présen-
son environnement, ces musées ont enri- tant ces caractéristiques novatrites corres-
chi la muséologie traditionnelle de nou- pondent à une municipalité (Ecomusée
veaux éléments. Dépassant la simple de Seixal, Musée municipal d’Alcochete,
constitution de collections, ils se propo- Musée rural et du vin de la municipalité
sent de tirer parti du patrimoine physi- de Cartaxo, Musée municipal de Bena-
que et non physique qui aide à compren- vente), àune commune (Escalhão),àplu-
dre, à expliquer, à vivre la réalité sociale, sieurs communes (Musée ethnologique
économique et historique des différentes de Monte Redondo) ou à un bourg (Mér-
communautés. La conception et la prati- tola). Au centre de l’écomusée se trouve
que de l’écomuséologie ont été d’autant une section centrale abritant l’exposition
mieux acceptées par la population et par permanente et les services auxiliaires
de nombreux responsables locaux qu’en chargés de la collecte, de la restauration,
période de crise elles offrent des instru- de la recherche, de la documentation, de
25
ments de réflexion et d’étude pouvant la mise en réserve, des expositionstempo- ECOMUSEU DO SEIXAL., Exposition
leur servir à résoudre les problèmes qu’ils raires et des activités éducatives. De là, les didactique sur la pêche dans l’unité centrale
rencontrent tout en les aidant à découvrir visiteurs sont dirigés vers les antennes du du musée.

26
MUSEU ETNOLOGICO DE MONTE REDONDO.
Atelier de sellier.
212 AntónioJosé Nabais

27
Réparation d’une citerne : utilisation du
savoir-faire local à Noudar.

t
j:

musée réparties sur le territoire qu’il cou- En revanche, le Musée municipal de


vre. Ces antennes permettent non seule- Seixal, que j’ai décrit dans le numéro 142
ment de décentraliser les activités et les de Maseam3, remporta un vif succès.
équipements, mais aussi de faire partici- En 1983, I’Écomuséede Seixal reçut la
per la population à la conservation et à la visite de Kenneth Hudson qui encoura-
réutilisation in sita des bâtiments et gea sa candidature pour le Prix européen
objets significatifs qui composent le pa- du musée de l’année. Dans le bulletin
28 trimoine local. Une autre caractéristique relatif à ce prix, on pouvait lire au sujet
MUSEU DE MERTOLA. cours d’initiation 2 la novatrice de ces musées locaux est la des musées portugais candidats : <(Au
restauration de statues en bois polychrome. diversité de leurs collections, qui reflè- Portugal, nous avons été fortement
tent les multiples aspects de la vie dans la impressionnés par le style et l’efficacité
circonscription, géographiques, écono- des nouveaux musées de Seixal et de San-
miques, sociaux, culturels, historiques, tiago do Cacém [. . . ]. Dans tous ces
artistiques, technologiques, etc. Loin de endroits, un talent, un enthousiasme et
tourner le dos àla collectivité, ces écomu- une originalité exceptionnels, associés à
sées l’associent de diverses façons à leurs l’acceptation de très longs horaires de tra-
activités : la population leur offre des vail, ont donné des résultats que des per-
objets, leur fournit des informations sur sonnes travaillant dans des musées de
certains spécimens, participe à des activi- type plus classique et dans des pays plus
tés de récupération de remise en état, à riches pourraient juger impossibles à
des travaux d’étude, à l’animation. obtenir. >
C’est en 1979 que fut émise pour la En novembre 1984, ce musée franchit
première fois l’idée de créer un écomusée une nouvelle étape de son développe-
portugais pour le parc naturel de la Serra ment avec la réouverture, à Arrentela,
da Estrela’. Sous l’égide de Georges d’un chantier naval de type artisanal, qui
Henri Rivière, qui se rendit sur place à lui fut cédé par l’Administration géné-
deux reprises, une équipe d’universitai- rale du port de Lisbonne. Cette nouvelle
res entreprit les travaux nécessaires à antenne du musée présente, sur ces vastes
l’ouverture du musée. Elle prit contact espaces, un chantier de construction
avec les habitants de la région, rassembla navale, avec toutes ses infrastructures ;
des objets ethnographiques, fit l’acquisi- elle y abrite aussi une exposition qui
tion de bâtiments caractéristiques de dépeint la vie sur l’estuaire du Tage
l’architecture locale et entreprit des (construction navale, trafic fluvial,
recherches scientifiques dans une pers-
pective interdisciplinaire. Ce projet n’eut
1. Fernando Pessoa, << Ecomuseu e parque
pas de suite. Comme l’a expliqué l’archi- natural : uma filosofia ecologica de
tecte paysagiste Fernando Pessoa, qui fut regionalização P, Natureza e paisagem, no 6 ,
Lisbonne, Service national des parcs, réserves et
un des grands promoteurs de cette entre- du patrimoine paysager, décembre 1978.
prise, <( l’ignorance de certains secteurs de 2. Fernando Pessoa, < O ecomuseu B, Diario de
l’administration centrale, leur incapacité noticias, 19 décembre 1984.
3. António José Nabais, aLe Musée municipal
de voir au-delà de considérations limitées de Seixal : un Ecomusée de développement B,
d’intérêt immédiat l’ont fait avorter ~ 2 . Mzisezm, no 142, 1984, p. 71-74.
Le dévelobbement des komusées au Portugal 213

29
ECOMUSEU DO ALCOCHETE. Les marais
salants.

pêche) et dans le cadre de laquelle sont de I’écomusée, sont également en voie


présentées des embarcations typiques du d’être développées. A la Cruz de Pau,
Tage, sauvegardéespar les autorités loca- une antenne du musée a été créée dans
les : fabare, vanno, f i h a . Entièrement une station de pompage où l’on trouve
remise en état, l a f a h a est utilisée pour des équipements anciens et modernes qui
les visites guidées sur les bras du Tage ;on aident à comprendre les diverses phases
peut ainsi observer de près des vestiges du processus d’approvisionnement en
d’activités anciennes : moulins à eau eau, de l’Antiquité à nos jours. Le service
fonctionnant grâce à l’énergie des éducatif de l’écomusée a amélioré la qua-
marées, installations pour le séchage de la lité de l’appui qu’il fournit aux établisse-
morue, ports de dimensions diverses et ments d’enseignement, en organisant
chantiers navals. L’aménagement de des expositions temporaires et itinérantes
cette antenne du musée n’aurait pas été et des activités culturelles en collabora-
possible sans le concours des anciens tion avec les écoles, ainsi que des visites
ouvriers des chantiers de construction d’étude dans les différentes antennes du
navale -charpentiers et calfats - qui musée. Pour que ces visites puissent être
ont offert leurs outils et fourni des indica- effectuées dans l’ensemble de la circon-
tions au sujet des techniques du travail du scription, la municipalité de Seixal a
bois traditionnellement utilisées sur ces acquis un autocar qu’elle met au service
chantiers. Par ailleurs, ce musée histori- de la population locale. De son côté,
que à Arrantela, où les activités de cons- l’écomusée met à la disposition des étu-
truction navale remontent au moins à diants, des chercheurs et des professeurs
l’époque de l’expansion portugaise, offre une documentation écrite et iconogra-
toutes les structures nécessaires à la créa- phique de même que des objets qui illus-
tion d’une école de construction navale. trent diverses activités économiques
L’enseignementy sera assuré par le char- 30
menées dans la cironscription.La popula- ECOMUSEU E DO VINHO DO
pentier qui a réalisé les maquettes des tion locale, composte en grande partie CONCELHO DO CARTAXO. Contact avec la
embarcations typiques du Tage et qui d’ouvriers et de travailleurs du secteur population dans une taverne.
explique aux visiteurs les techniques tra- tertiaire, demande l’appui du musée
ditionnelles de construction des navires pour des activités culturelles collectives.
en bois. L’action du musée dépasse déjàles limites
La section où se trouvent les moulins à de la circonscription. Collectivités loca-
eau est en voie d’aménagement et l’on les, établissements scolaires, associations
espère que les travaux de recherche et de et autres organismesprivés ou publics sol-
restauration seront bientôt achevés et licitent régulièrement son concours.
qu’elle pourra alors fonctionner, au ser-
vice de la collectivité. D’autres sections Le Musée ethnoZogìque de Monte
-four à chaux, pressoir à vin, pressoir à Redondo
huile, anciens ports, sites archéologiques
(romains et industriels), vieux quartiers Fondé en 1981, ce musée présente des
et centre du patrimoine culturel - , qui caractéristiquesmuséologiques tout à fait
font déjà partie du circuit muséologique novatrices. Alors qu’il s’agissait au départ
2 14 AntónioJose’ Nabaiis

d’appliquer une pratique muséologique nents avec l’université, non seulement ment dans les domaines de l’archéologie,
traditionnelle se limitant à la collecte dans le cadre de l’action de ces spécia- de l’ethnologie et de l’histoire. Tous ces
d’objets << ethnographiques D et à leur listes, mais également dans le domaine du travaux de recherche et de collecte
exposition, la dynamique et la réalité soutien logistique (hébergement, trans- d’objets représentatifs de la vie dans la
locales influèrent sur le projet initial ; en port, repas, matériel photographique, circonscription ont été réalisés avec la col-
effet, le groupe d’animateurs s’aperçut etc.) qu’il founit aux groupes d’étudiants laboration active des habitants. Les élus
rapidement des <<limitesd’une muséolo- qui font des travaux sur le territoire qu’il se sont très vivement intéressés à la mise
gie coupée de son environnement maté- couvre. en place du musée et se sont attachés à
riel et social et se condamnant ainsi à Les collections, qui sont assez variées, favoriser le travail en équipe. Les spécia-
n’être qu’une certaine forme de mono- illustrent les principales activités écono- listes -muséologues, architectes, ingé-
logue d. miques auxquelles on se livrait dans la nieurs, ethnologues et archéologues-
Reformulant le projet original, ils région : elles comprennent des objets sont venus de l’extérieur participer gra-
posèrent le principe suivant : e Le musée qu’utilisaient les résiniers, les scieurs de tuitement àtous les travaux : recherches,
doit contribuer à l’amélioration des long, les potiers, les tanneurs, les cordon- établissement des programmes du musée,
conditions de vie -matérielles et niers, les forgerons, les élagueurs, les élaboration de projets, organisation de
culturelles -de la population locale >>. charrons, les teinturiers, les tisserands et colloques, contacts avec la population et
Fidèle à ce principe, le musée, dont la les tresseurs de nattes, ainsi que des ins- les élus du conseil municipal et des con-
zone d’influence s’étend sur les commu- truments agricoles, du mobilier et des seils communaux.
nes de Monte Redondo et de Bajouca, a costumes populaires. D’autres projets La section centrale présente sous forme
adopté un nouveau plan d’action. Une sont à l’étude, notamment la remise en diachronique 1’<(homme >> et le ((terri-
des innovations à signaler est le dialogue exploitation des salines désaffectées toire. de la municipalité. Les antennes
qui s’est engagé entré spécialistes, élus depuis quelques années. Outre ces activi- traitent des activités économiques qui
locaux et population, qui participent tés de collecte et de recherche, le Musée étaient naguère les plus répandues dans
ensemble et de manière systématique aux ethnologique de Monte Redondo orga- cette région, comme l’exploitation des
diverses activités : depuis la collecte et nise des expositions temporaires et marais salants, l’agriculture, la construc-
l’étude des objets jusqu’à l’acquisition publie, sous la direction d’drmindo de tion navale et les transports fluviaux. La
de locaux et la réunion de fonds pour les Santos, le périodique M e d i e s , trait section des salines se compose d’une
installations du musée, en passant par d’union entre le musée et les universités ancienne exploitation qui, àcôté d’autres
l’animation et la diffusion. La présence et centres de recherche nationaux et inter- marais salants déjà modernisés, continue
de toute une équipe de spécialistes, com- nationaux. à fonctionner avec un équipement tradi-
posée d’anthropologues, de géographes, tionnel : bâtiments annexes, ustensiles,
d’un historien et d’un ethnomusicologue pompe, machines ... Une ancienne ferme
garantit l’interdisciplinarité de la recher- abrite la section rurale ; on y trouve les
che. Ces spécialistes s’emploient à orga- A Alcochete, sur la rive sud de l’estuaire équipements d’approvisionnement en
niser les collections (inventaire et fichier) du Tage, la phase d’organisation de eau utilisés localement : noria, puits,
et le fonds de documentation générale, I’écomusée est déjà avancée. La munici- réservoir. Des instruments agricoles (réu-
ainsi qu’à promouvoir l’étude de l’an- palité a pris les dispositionsvoulues pour nis par Jacome Ratton) illustrent la vie
thropologie, de l’histoire, de l’entomo- qu’il puisse s’ouvrir, en aménageant des rurale et l’évolution technologique dans
logie, de la botanique, de l’ethnomusico- locaux pour la section centrale et les les exploitations de toutes dimensions
logie et de l’architecture populaire de antennes muséologiques réparties sur le
la région. territoire de la circonscription, et en four- 4 . a Museu etnologico de Monte Redondos,
Le musée a établi des contacts perma- nissant un soutien à la recherche, notam- iMena’ies (Monte Redondo), no 1, 1984.

31
Le bâtiment central du Musée rural et du
vin.
Le développement des écomusées au Portugal 215

(des plus petites aux propriétés latifon- dre des mesures contre la pollution des tion a été organisée pour que le public
diaires de la municipalité d’Alcochete). cours d’eau, la dégradation progressive puisse voir quel type de musée on envisa-
D’autres antennes muséologiques seront des berges et l’ensablement des lits. geait de créer à Cartaxo (Écomusée rural
créées dans la circonscription afin de pré- Les objectifs immédiats du Musée et du vin de la municipalité de Cartaxo),
server in situ les vestiges matériels les plus municipal de Portimão ont trait à la tout en apprenant à connaître le patri-
significatifs de l’histoire locale : fours à recherche de solutions aux problèmes qui moine local et à se rendre compte de son
pain, fours à chaux, fours à céramique, préoccupent le plus vivement la popula- intérêt. Le musée se compose d’une sec-
moulins à vent, etc. tion locale : la pollution et l’ensablement tion centrale aménagée dans la Quinta
Parmi les itinéraires muséologiques de l’drade, la destruction et l’abandon das Pratas et propose plusieurs circuits
figureront des visites à la réserve de du patrimoine naval et industriel, qui fai- grâce auxquels on peut découvrir les
l’estuaire du Tage, partiellement située sait partie du cadre de vie traditionnel et modes d’habitat et les paysages du Riba-
sur le territoire du Conseil, et au centre représentait pour la communauté une tejo, les activités menées autrefois et
historique de la ville. Pendant la phase source de richesse économique grâce aux actuellement dans la région et les ressour-
d’organisation, des visites d’étude, des activités diverses qu’il rendait possible : ces locales. Le musée mettra à la disposi-
colloques et des expositions ont été mis industrie, pêche, exploitation des marais tion des habitants et des visiteurs des ins-
sur pied à l’intention de la population salants, tourisme lié à la navigation sur le truments d’une culture rurale restée très
locale, et en particulier scolaire. fleuve. vivante sur ces terres du Ribatejo où la
Au début des années 80, la municipa- viticulture représente l’activité économi-
Autres initiatives lité de Cartaxo a engagé le processus de que primordiale depuis qu’est née la
création de son musée local : elle a acheté nation portugaise. I1 est prévu que le
A Portimão, dans le sud du pays, une une ancienne exploitation agricole (la musée comprenne des sections qui servi-
commission chargée de l’aménagement Quinta das Pratas) avec des locaux amé- ront en même temps de centres d’étude
du Musée municipal a été créée. Elle tra- nagés pour accueillirles services du musée et d’interprétation du patrimoine. Les
vaille depuis un certain temps à l’inven- et les salles d’exposition, et acquis une circuits envisagés permettront d’ouvrir
taire, à la collecte, à la conservation et à collection variEe qui a été rassemblée par une Route du vin qui alliera au tourisme
l’étude du patrimoine culturel, notam- l’agriculteur et éleveur Duarte de Oli- proprement dit une initiation à la vie éco-
ment industriel. On trouve dans cette veira. Les pièces réunies, bien que nom- nomique de la région. L’Écomusée rural
ville des conserveries de poisson (fermées breuses et précieuses, n’illustraient pas et du vin de la municipalité de Cartaxo
depuis peu), qui sont fondamentales suffisamment l’activité agricole domi- vise àcontribuer utilement au développe-
pour I’étude de l’histoire contemporaine nante, àsavoir laviticulture. Cette lacune ment de la région en amenant la popula-
du Portugal et font partie intégrante du a pu être comblée grâce à la collaboration tion à mieux tirer parti des ressources
paysage historique de Portimão au même de la population, qui, comprenant la rai- naturelles et humaines de celle-ci.
titre que les chantiers navals voisins. Les son d’être et l’intérêt du musée, lui a fait I1 y a cinq ans débutait à Mértola une
travaux en cours ont permis de récupérer don d’objets relatifs aux diverses phases nouvelle expérience dans le domaine de
des machines anciennes, des presses de la production du vin. l’archéologie et de la muséologie. Là
lithographiques et d’autres équipements En 1984, le conseil municipal de Car- aussi, dès le départ, les édiles, les spécia-
d’imprimerie qui seront réutilisés à des tax0 a organisé des réunions entre agricul- listes et les habitants unirent leurs efforts
fins didactiques et culturelles. teurs, élus et spécialistespour débattre du pour assurer la défense, l’étude et la dif-
Les activités du musée s’étendront à type de musée qui donnerait l’image la fusion du patrimoine culturel. Le D‘
l’ensemble de la circonscription-tout plus fidèle de la vie locale et répondrait le Claudio Torres, responsable des aspects
particulièrement au bassin hydrographi- mieux aux préoccupations réelles de la archéologiques, explique ainsi le travail
que de l’Arade, où il est urgent de pren- population. La même année, une exposi- entrepris : <<L’archéologieest ici envisa-

32
MUSEIJ DO BENAVI m.Mai:érie :riccde et
outils dans l’unité :entirale .
216 António losé Nabais

gée comme l’accès à un savoir reposant pays ; le château -imposant ensemble sites, notamment de l’époque romaine.
sur la totalité du passé proche ou lointain. architectural du X I V ~ siècle -où sera Deux ateliers sont en voie d’aménage-
C’est sur cette totalité historique que la réunie une collection en plein air de ment et d’équipement àl’heure actuelle.
communauté fonde sa mémoire collec- sculptures en pierre actuellement disper- Dûment encadrés par des moniteurs, des
tive, c’est d’elle qu’est issu un patri- sées sur toute la ville. Le Centre artisanal jeunes pourront y approfondir leurs con-
moine qui lui appartient de manière abritera la collection ethnographique en naissances et leur savoir-faire dans diffé-
inaliénable. Notre action a consisté voie de constitution et un atelier-école de rentes spécialités telles que la céramique,
à rassembler et à fuxer cette mémoire, à fabrication et de vente de couvertures de la peinture, la vannerie, la menuiserie,
regrouper ses structures et ses gestes, en laine typiques de la région. l’industrie textile, la confection de cordes
alliant la démarche didactique indispen- Dans la vieille ville de Noudar, située et de bas (deux activités locales tradition-
sable au souci de la rentabilisation sociale à sept kilomètres de Barrancos, la munici- nelles). La mise en place de plusieurs
et économique. >> t palité a subventionné une initiative uni- antennes est à I’étude, ce qui atteste une
Le Musée de Mértola se compose de que au Portugal : l’utilisation des techni- fois de plus de la participation populaire
différentes sections réparties dans toute la ques de construction traditionnelles et de à la vie du musée. Celles-ci pourront être
ville, qui sont le <<résultatde travaux la main-d’œuvre locale dans la restaura- installées dans des moulins à aubes, des
d’inventaire culturel et d’une interven- tion de bâtiments. Cette opération sauve moulins à vent, des ateliers de maréchal-
tion active dans la vie sociale de la ré- les techniques traditionnelles de l’oubli ferrant et de bourrelier (artisanats tradi-
gion >> : le Musée d’art sacré, installé dans tout en créant de nouveaux emplois. tionnels qui restent très vivants), les sa-
l’ancienne église de la Misericordia et Comme l’indique le Dr Claudio Torres, lines de Pancas (un projet entrepris en
dans sa sacristie, où sont exposés des ((l’objectifde notre projet est, par-delà la collaboration avec la municipalité
objets du culte et une importante collec- recherche dans le sous-sol de témoignages d’Alcochete), des embarcations de pêche
tion iconographique assure également la et de documents dont les hommes ont fluviale.
restauration et le traitement des pièces ; déjà perdu la mémoire, de tenter de Les musées locaux, décrits plus haut,
l’Atelier du forgeron, situé dans le centre découvrir les sources toujours vives de la qu’ils portent ou non le nom d’écomu-
historique de la ville, s’insère parfaite- culture orale, d’apprendre et de valoriser Sée, montrent qu’au Portugal on prati-
ment dans le circuit muséologique et les gestes sages des artisans, leurs techni- que une muséologie nouvelle, autrement
témoigne d’une activité artisanale qui ques éprouvées au fil des siècles)>. dit active qui est intimement liée à la vie
joua un rôle important dans la vie de la En 1980 a lieu l’inauguration à Bena- de la population. Nous pourrions citer
communauté ; quant aux documents des vente du Musée municipal D* Antonio d’autres expériences comme celle du
archives historiques, ils ont été rassem- Cabral Ferreira Lourenço, dont le fonds Musée de Fermentoes, dans la région
blés et catalogués pour faciliter le travail provient essentiellementde trois sources : nord du pays, d’Escalhão, dans le district
des chercheurs. la donation du Dr Ferreira Lourenço, de Guarda, de Carregueiros, dans le cen-
Le Musée de Mértola a privilégié la celle de M. Joaquim Parracho et les dons tre, d’Estremoz, du Musée municipal de
recherche archéologique, et a ainsi ouvert de la population. Les collections, très Vouzela, du Musée de Peniche, ainsi que
la voie à la création de nouvelles antennes diversifiées, offrent un aperçu de la vie beaucoup d’autres initiatives populaires
du musée : un Centre d’art et d’histoire économique, culturelle et sociale des qui ont vu le jour depuis quelques années
de la période islamique, qui sera installé habitants de la municipalité de Bena- dans toutes les régions du pays.
dans un bel édifice du siècle en vente (produits et outils artisanaux, ins- Le deuxième Atelier international de
cours de restauration ; un musée de site truments agricoles, objets domestiques, muséologie nouvelle s’est tenu au P o m -
sur la période romaine, qui a été recons- collection de costumes régionaux et de gal en 1985. Consacré aux musées locaux,
truit, au sous-sol de l’Hôtel de Ville de broderies, petite collection archéologi- il est ainsi venu à la rencontre d’un mou-
manière àmettre en valeur les pavements que locale, collections de photographies vement caractérisé par divers éléments
et les fondations d’un édifice urbain et de cartes postales anciennes, collection novateurs qui, nous en sommes persua-
du siècle; un musée de site, sur de journaux, de revues et de livres). dés, apporteront à la vie de la commu-
la période paléo-chrétienne, situé à Au nombre des activités du musée on nauté muséologique internationale une
l’emplacement des ruines d’une basili- peut compter un programme d’inven- contribution très significative.
que datant des ve, et VIFsiècles, qui taire, l’organisation d’expositions tem-
passe pour être le centre épigraphique poraires et de visites scolaires, la prospec- [Traduit da portugais]
paléo-chrétien le plus important du tion archéologique et la localisation de
217

33
Comprendre le rat fut le souci premier des
visiteurs de l’exposition The rat: man’s
invited affliction, à l’dnacostia
Neighborhood Museum.

34
L’auteur s’adressant à la société historique
d’Anacostia. L’exposition Anna J. Cooper:
a voice from the South en arrière-plan.
Anna J. Cooper était une esclave américaine
affranchie qui obtint un doctorat à la
Sorbonne.

Le masée de uoisiaage,
cutdjxear de ZZuoZatioa sociaZe
J’ai eu la vision .. . d’un musée installé
(( réclamés et nécessaires, d’autres partici-
John R. Kinard dans u n petit quartier auquel il fillait, paient en grand nombre au mouvement
pour inspirer lesjeunes, un apport defor- de contestation. Leur énergie n’avait
Né à Washington, D.C., en 1936. Diplômé du mes, de conceptions ou de mot$ variés et d’égale que celle que les gens avaient
Livingstone College en 1960 et du Hood Theologi- colorés.. , Nous avons encore beaucoup déployée dans les années 30, lors de la
cal Seminary de Salisbury (Caroline du Nord) en
de chemin àparcourir et le temps nous est grande crise, et grâce àlaquelle ils avaient
1963. A la faveur de l’opération Crossroads Africa,
en 1962, il a pu établir des liens étroits avec diffé- compté. La route est toujours semée pu effectivement provoquer des change-
rents organismes gouvernementaux et privts en d’embûches et l’avenir incertain, mais.. . ments dans les orientations et les institu-
Afrique. A beaucoup voyagé en Afrique, enEurope nous avons pris le départ’. )) tions nationales, et jusque dans cette ins-
et dans la région des Caraïbes, et donné de nom- titution que sont les musées.
breuses conférences dans les musEes de son pays et
du monde entier. DCfenseur des causes communau- Lorsque quatre jeunes étudiants noirs Critique social, philosophe, historien,
taires, il est directeur de I’ Anacostia Neighborhood vinrent s’asseoir, résolus à ne pas être l’Américain Lewis Mumford, dont les
Museum depuis 1967. délogés, au comptoir du restaurant des nombreux livres explorent les relations
magasins Woolworth à Greensboro, en d’interdépendance entre l’homme mo-
Caroline du Nord, le le‘février 1960, cet derne et son environnement, écrivait
événement désormais historique marqua en 1938 dans The culture ofcities : <(Cou-
l’amorce d’une évolution tant dans la che après couche, les temps révolus se
stratégie à long terme que dans les déposent et se conservent dans la ville
moyens immédiats de la lutte pour les jusqu’à menacer d’asphyxie la vie elle-
droits civiques en Amérique. Les vieilles même; alors, par un réflexe de survie,
méthodes et les anciens dirigeants se l’homme moderne invente le musée. )>
trouvaient interpellés par des voix plus Sans aucun doute, Mumford croyait que
jeunes -celles de garçons et de filles que les musées ne sont que les mausolées où
d’autres idées faisaient vibrer. Pour les gisent, en surface, les reliques du passé,
vénérables institutions américaines, le et qu’ils n’ont aucun rôle essentiel àjouer
temps d’un fonctionnement routinier
était révolu. Tandis que certains s’oppo- 1. Sidney Dillon Ripley àJohn R. Kinard,
saient violemment aux changements 22 mai 1972.
218 Tohn R. Kinard

35
Participation agricole : jeunes gens
participant à un projet du département des
sciences de 1’ Anacostia Neighborhood
Museum, récoltant dans un jardin adjacent
du musée.

36
Jeunes visiteurs à l’exposition Black
women: achievements against the odds
mettant à l’épreuve leur talent de lecteur.

dans la vie présente ou future des com- événements dramatiques et désormais duit le plus durable, résultat à certains
munautés au sein desquelles ils ont été historiques qui marquèrent les années égards révolutionnaire, de cette préoccu-
implantés ou pourraient l’être. Dans son 60. Des événements qui allaient modifier pation professionnelle. )>
article Mztsezcms, merchandiring and radicalement sa conception du musée en Le concept de <(muséeinstrument au
popdar taste, Neil Harris fait entendre tant qu’instrument social. Qui aurait pu service du public continue de faire son
)>

une autre voix et affiirme que le succès des prédire le boycottage des autobus de chemin, et devra s’ouvrirà toutes les pos-
musées, dans l’esprit de leurs fondateurs, Montgomery, la marche sur Selma, en sibilités nouvelles. En 1969, un congrès
<<devaitdépendre de leur aptitude à se Alabama, l’assassinat de Martin Luther sur le rôle du musée dans la collectivité
mettre à la portée du grand public, à cap- King, l’afflux des Noirs et des personnes s’est tenu au MUSE, le Bedford Lincoln
ter son attention, à élargir ses connaissan- d’origine hispanique vers les centres Neighborhood Museum de Brooklyn,
ces et à former son sens du possible >>.Et urbains, la décadence matérielle et spiri- New York. A cette occasion, les représen-
il conclut que les musées peuvent effecti- tuelle des << ghettos D, le développement tants les plus renommés des musées tradi-
vement (< influencer un public hétéro- accéléré des banlieues blanches aisées, la tionnels ont pu dialoguer trois jours
gène dépourvu ou presque d’apriori et vague d’action révolutionnaire étudiante durant avec les directeurs et le personnel
de prétentions esthétiques B. contre la guerre du Viet Nam sur les cam- des musées et des centres artistiques de
Auparavant, on accusait les musées de pus des universités américaines et l’essor quartier de différentes régions d’Améri-
faire trop peu de cas des aspirations socia- du mouvement de la contre-culture, dont que. Le thème sous-jacent examiné lors
les et culturelles du grand public. Ainsi, les cibles étaient les institutions en de ce congrès, un des premiers du genre,
Theodore L. Low (1942) affirmait son place-tout ce qui allait atteindre de fut le manque de contact entre le musée
désaccord avec ceux pour qui ces institu- plein fouet les institutions culturelles en et son environnement humain. En effet,
tions avaient pour unique vocation général et les musées en particulier. après l’exode des Blancs, qui avaient fui
d’offrir des services à u n public privilégié, le centre des villes à la suite des émeutes
et il se faisait l’ardent défenseur du dé- ÉZéments au mmgeste de 1968, de nombreux musées se sont
veloppement de I’éducation populaire, retrouvés dans un environnement troublé
tout en préconisant la poursuite des pro- Le musée des années 60 ne correspondait par l’action de nombreux groupes rivaux
grammes traditionnels d’acquisition, de plus à la notion traditionnelle de centre qui s’exprimaient de façon discordante.
préservation et de recherche qui font par- de conservation et de recherche. I1 était En dehors des points inscrits à l’ordre du
tie des raisons d’être du musée. Sa répu- devenu une institution offrant des res- jour, les participants au Congrès de
tation de radical ne l’empêchait pas de sources illimitées au développement, Brooklyn ont discuté des problèmes de
souhaiter que I’éducation populaire des perspectives qui vont bien au-delà de l’identité culturelle, de la crise des gran-
s’étendît à la classe moyenne cultivée. la constitution de collections, ou de des villes, de la nécessité partout ressentie
Quoique aujourd’hui sa thèse n’ait plus l’étude, de la conservation et de l’exposi- dans le pays de réévaluer et réaffiirmer les
rien de révolutionnaire, Low subit tion des trésors du passé. Car, dès les priorités nationales. Nous étions nom-
l’influence du visionnaire John Cotton années 60,. les responsables des musées breux à essayer de concevoir et créer des
Dana (1856-1929), qui, au début de ce américains, aiguillonnés il est vrai par musées et des centres culturels de quartier
siècle, fit la célébrité de la bibliothèque leurs homologues des musées non tradi- aptes à répondre aux besoins, au sens
publique de Newark, dans le NewJersey, tionnels, s’intéressèrent à la conception large, de nos collectivitéslocales culturel-
en ouvrant cette institutionà tous. Quant d’un musée ((instrument de l’évolution lement appauvries.
au musée de Newark, il devint grâce à lui sociale )>. Sans nier la valeur ou la nécessité des
un objet de fierté pour la ville. Cepen- Le Musée d’Anacostia est, selon Frank collections et des expositions d’objets qui
dant, même Low n’aurait pu prévoir les Getlein et JO Ann Lewis (1980) << le pro- témoignent de notre culture matérielle,
Le musée de voisinage, cataLyseur de I’évohtion sociale 219
220 John R. Kinard

je ne peux qu’approuver ceux qui &ir- du succès pour un musée situé au coeur petit musée régional ou territorial. I1
ment que le musée doit assumer la res- d’une grande ville, c’est une conception existe aujourd’hui au Canada et en
ponsabilité de l’innovation culturelle et totalement nouvelle du musée et du France des institutions culturelles décen-
sociale, en prendre l’initiative et être au public qu’il sert. En effet, ces nouveaux tralisées analogues, que l’on appelle
service de l’ensemble de la collectivité. ,musées de quartier ne pourront jouer le e écomusées B.
L’archéologie s’intéresse aux témoigna- rôle qui leur est dévolu que lorsqu’on Tandis que tous les regards se tour-
ges du passé. Le musée, quant à lui, doit aura redéfini la nature et les fonctions du naient vers cette nouvelle section expéri-
s’intéresser aux artefacts, aux documents musée au sein de notre société. Cela dit, mentale de la Smithsonian Institution et
et à la tradition orale, qui peuvent nous il ne sera pas possible d’imposer à I’admi- vers Anacostia -quartier habité par
aider à mieux comprendre le présent et nistration des musées et à la collectivité quelque 100000 personnes aux revenus
renforcer en nous le sentiment d’une his- cette définition nouvelle tant que lespro- modestes, niché parmi les collines et les
toire et d’une identité collectives. En blèmes sociuux fondamentaux n ‘auront vallons de l’extrême sud-est de la
effet, la recherche archéologique et les pas été compnj et saisis à bras-le-corps capitale -on assista, le 15 septembre
programmes muséologiquespeuvent, par (souligné par l’auteur). )> Le débat a par- 1967, 2 la réouverture, après transforma-
une action conjointe, contribuer efficace- fois tourné au vacarme, le ton a pu être tions, d’un ancien cinéma sous le nom
ment au succès de l’effort permanent qui parfois hargneux et irrité, mais des ques- d’Anacostia Neighborhood Museum. La
vise à revitaliser les sociétés urbaines et à tions difficiles et des problèmes gênants cérémonieinaugurale se déroulant en soi-
redonner aux citadins le sentiment que le ont été posés : la barque a avancé. Les rée, une de foule de 4000 personnes se
lieu qu’ils habitent leur appartient. professionnels se sont ainsi vus obligés de pressait sur les lieux illuminés par les pro-
Musée et collectivité partagent le regarder l’image de leurs institutions qui jecteurs, dans une ambiance de fête. La
même destin. Leur rapport est d’ordre apparaissait de l’autre côté du miroir, et, fanfare locale avec ses tambours et ses
tout à la fois symbiotique et catalytique. comme le remarque Richard Grove clairons ajoutait à leur ravissement. Dans
Au contact de la collectivité, le musée se (1968), << ils ont dû remettre en question un petit jardin adjacent aux bâtiments du
vivifie. I1 découvre de nouvelles possibili- quelques-uns des clichés auxquels ils musée, ancien terrain vague aménagé,
tés de mettre en valeur le patrimoine local tenaient le plus et s’engager dans des jouait un orchestre de jazz. Sur l’estrade,
et de faire connaître les problèmes voies nouvellesB. C’est au cours d’un des personnalités officielles de la Smith-
locaux, jouant ainsi le rôle d’un cataly- congrès consacré à ce genre de démarche, sonian et de la Ville avaient pris place aux
seur du changement au sein d’un envi- organisé à Aspen, dans le Colorado, en côtés d’animateurs de quartier, de repré-
ronnement dont il participe. C’est là, 1966, que S. Dillon Ripley, alors secré- sentants des diverses confessions, d’un
bien sûr, une vision des choses qui corres- taire de la Smithsonian Institution, a commandant de la police et de jeunes
pond à un optimum, car il y a encore des commencé à réfléchir à la façon dont qui, de mille manières, avaient contribué
fonctionnaires de musée pour qui les celle-cipourrait <( créer un musée de quar- à rendre tout cela possible. En moins
grandes villes, avec leur cortège de pro- tier expérimental dans ... un quartier d’un an, notre musée, fruit des compé-
blèmes socio-économiques, restent com- pauvre de Washington et en assurer le tences techniques de la Smithsonian et
plètement en dehors du domaine où fonctionnement >>. des efforts de la collectivité, était pro-
s’exerce leur responsabilité et s’éveille clamé modèle national et salué dans la
leur intérêt. Craignant qu’une participa- La genèse d’un musée de quartier revue Time du 2 1 juin 1968 comme <(la
tion à la vie de la cité n’entraîne d’une tentative la plus réussie pour permettre
manière ou d’une autre une réduction du Le projet de création d’un musée de quar- aux habitants des ghettos d’ouvrir tout
grand mécénat et un abaissement des cri- tier, dont on a beaucoup parlé, reflète la grands les yeux)>.
tères esthétiques sans contribuer pour conviction des responsables de la Smith- Les expositions se renouvelaient sou-
autant à résoudre un seul des problèmes sonian, pour qui les musées, en règle v:nt, mais il me faut citer l’une d’entre
de lavie urbaine, de nombreux directeurs générale, n’ont pas su toucher le grand elles qui captiva particulièrement l’atten-
de musée ont tout simplement essayé de public. << Ces innombrables personnes tion du public. C’était la première fois
tenir les problèmes à distance tout en auxquelles, comme l’écrit S. Dillon que nous abordions un problème d’éco-
espérant que d’autres sauraient les résou- Ripley, on ne s’est jamais adressé et qui logie urbaine. L’exposition Le rat, ce
dre rapidement. Mais comme le dit si jus- jamais ne sont entrées dans un musée ou fléau que l’homme attire, eut lieu en
tement Richard’Grove(1968) : U I1 est rare n’ont profité des valeurs éducatives et 1969 et suscita beaucoup d’intérêt, ainsi
que l’es gens de musée encouragent les esthétiques qu’incarnent les musées. >> que, parfois, des critiques. Quoi qu’il en
divergences d’opin5on ou -organisent des Selon Cary1 Marsh (1968), le quartier soit, pour de nombreux visiteurs et obser-
débats où pourraient s’échanger libre- d’Anacostia a été choisi pour l’emplace- vateurs, cette exposition de rats vivants
ment des point de vue divers sur les ques- ment du,premier musée de quartier expé- dans un environnement sûr et surveillé
tions gênantes. Ils disent : ‘‘Ne faites pas rimental américain en raison de l’intérêt fut la clé de notre succès. Non seulement
de vagues !”, oubliant que l’une des enthousiaste que portait au projet la elle nous a fait prendre plus nettement
caractéristiques d’une embarcation qui société Greater Anacostia Peoples.(GAP), conscience d’un problème social et envi-
avance est précisément qu’il lui arrive de association communautaire dynamique ronnemental qui touchait beaucoup de
tanguer. )> dont les membres se recrutaient dans des nos voisins, mais elle a également apporté
Lorsqu’elle était directrice par intérim milieux très divers. L’action de cette de précieuses informations et fourni une
du Brooklyn Children’s Museum (musée société offrait une excellente occasion à la solution au problème de l’élimination
des enfants), en 1967-1968, Emily Den- Smithsonian de s’adresser, au-delà des des rongeurs. Selon Getlein et Lewis
nis Harvey (1969) conçut et écrivit dans le belles avenues où elle était installée, à un (1980), le Musée d’dnacostia <( doit son
compte rendu du séminaire de Brooklyn : quartier ambitieux du centre ville, et de premier succès auprès des gens de Was-
((I1 est clair que la condition sine qua non créer en association avec le voisinage un hington au “rat” ... I1 ne s’agissait pas de
Le muée de voisinage, catalyxeur de l’étlolution socide 22 1

la biographie d’un homme politique mais gens terre-à-terre et dépourvus d’imagi- Les recherches sur les problèmes
d’un guide scientifique, sociologique et nation, nous évitons la communication contemporains, lorsqu’elles s’inscrivent
médical sur l’un des aspects permanents réciproque et perdons ainsi l’occasion dans une perspective historique, peuvent
de la vie dans le quartier d’Anacostia,. d’un échange culturel mutuellement donner aux hommes et aux femmes une
Getlein et Lewis notaient en guise de con- profitable. meilleure compréhension du sens de leur
clusion : << Depuis lors, de nouvelles expo- Une grande part des souffrances et du vie, les guider sur la route de l’avenir et
sitions ont exploré l’histoire des commu- désespoir que ressent l’homme peut être leur apporter des informations qu’ils sont
nautés, des thèmes africains, la situation guérie par les rapports humains. Les gens aptes à comprendre.
sociale des Noirs et celle des femmes ... I1 ont un ardent désir d’en savoir plus sur Souvent, nous en savons davantage sur
n’y a pas de collection permanente, mais eux mêmes, sur leur histoire et leur envi- nous-mêmes en tant qu’êtres biologiques
les expositions spéciales sont toujours sti- ronnement, ainsi que sur ceux qui vivent que sur notre identité profonde et sur la
mulantes, même lorsqu’elles mettent en dans des pays lointains et dont la culture manière dont nous nous intégrons dans le
lumière des aspects consternants de la et le mode de vie sont très différents des milieu social où nous nous trouvons.
réalit?. B leurs. Ils ont faim et soif d’une connais- Trop nombreux parmi nous sont ceux
S. D. Ripley (1969) fait observer que sance sur laquelle bâtir dès aujourd’hui qui, victimes des conditions économi-
c’est seulement à une date récente de une société meilleure mais on leur mon- ques et politiques et dépouillés de leur
l’histoire de nos musées que les masses tre des reliques du passé qui, faute d’une intégrité culturelle, voient le monde dans
ont été jugées assez civilisées pour être interprétation qui en livre le sens, sem- une perspective microcosmique, et n’en
capables d’en apprécier les bienfaits cul- blent n’avoir aucun lien avec leur héri- ont qu’une vision réduite. A cause de
turels et que l’on a fini par se décider à tage, leurs préoccupations présentes les cela, nous ne percevons pas notre vérita-
leur en ouvrir les portes. D’autre part, il plus aiguës, leurs espérances ou leurs ble valeur personnelle et ce qui nous lie
ne faut pas négliger le rôle joué par les rêves. I1 est fréquent d’entendre certains au vaste monde qui nous entoure : nous
musées des églises, qui ont préparé les des responsables des musées répliquer : n’avons pas la Wel’tanschaaang,la vision
esprits à la démocratisation du musée en << Oui, mais cela, c’est du travail social, ou globale. Non seulement les musées peu-
dévoilant à tous leurs trésors à l’occasion alors cela relève de la compétence des vent apporter des informations scientifi-
des grandes fêtes religieuses et de célébra- églises, pas de la responsabilité d’un ques de caractère anthropologique, mais,
tions diverses. Quoi qu’il en soit, je suis musée. >> Ont-ils raison ? On peut répon- grâce à l’ethnolinguistique, ils peuvent
convaincu que les directeurs de musée dre en tout cas que si l’on considère le fait nous aider à percevoir les relations entre
concevaient leur politique quelque peu que les musées, àl’instar des autres gran- le langage et la culture. Les ethnologues
malthusienne comme conforme à la jus- des institutions d’éducation du public, peuvent également nous transmettre de
tice. L’ère de la pensée démocratique et sont eux aussi soumis àl’influence des sti- précieuses connaissances sur le mode de
de I’égalitarisme n’allait venir que beau- mulants extérieurs et des changements vie de nos contemporains comment ils
~

coup plus tard. sociaux, ils ont à la fois la possibilité et le naissent, comment ils apprennent à vivre
devoir d’élargir et de modifier la con- dans leur société, comment ils choisissent
L ’engagement science que nous avons de nous-mêmes leurs partenaires, comment ils se
ainsi que la qualité de nos échanges marient, gagnent leur vie et organisent
Désormais très éloignés du temple des sociaux et culturels. Ils peuvent inspirer leurs rapports avec leurs semblables.
muses où les neufs déesses soeurs, filles de et cristalliser nos rêves et l’espoir d’un Cette connaissance nous aidera à mieux
Mnemosyne, la Mémoire, présidaient avenir meilleur. comprendre l’unité profonde de notre
tranquillement àla pratique du chant, de Nous sommes au seuil d’un siècle nou- monde et nos rapports avec lui.
la poésie, des arts et des sciences, les veau, un siècle qui exigera des actions Nous sommes nombreux à faire grand
musées d’aujourd’hui sont arrivés à un énergiques et décisives. Si nous voulons cas de notre formation professionnelle et
tournant important de leur évolution. que les musées survivent et qu’ils soient universitaire, et nous sommes fiers de la
L’institution reste identique à elle-même les vecteurs des nouvellesvaleurs culturel- compétence avec laquelle nous faisons
sans être jamais remise en question tant les, alors l’impératifmajeur est la partici- notre travail. I1 semble pourtant que nous
qu’elle ne vient pas s’introduire dans la pation. Comme l’a dit S. D. Ripley : <<Le agissions sans but précis. C’est le fait de
vie des gens.J’ai parfois l’impressionque problème urbain nous assaille, nous << savoir pourquoi > (les influences incita-
le personnel des musées considère les visi- assourdit, nous saute aux yeux dès que trices) qui peut faire toute la différence.
teurs comme des invités encombrants nous ouvrons un journal, ou nous montre Peut-être que ce qui nous manque le
qu’il faut cependant recevoir. Ils sont un les dents chaque fois que nous passons plus, c’estle désir d’apporter des connais-
peu comme des cousins de province, nous devant une vitrine brisée,,. Le choix est sances à ceux qui en ont le plus besoin :
tolérons leur présence, les écoutons froi- entre nos mains. Ou bien nous refusons le les villageois du centre de l’Afrique ou,
dement parler de leurs expériences et défi et nous nous retirons dans nos presti- plus près de nous, ceux qui vivent dans les
conter leurs anecdotes et sommes ravis de gieuses tours d’ivoire, ou bien nous nous quartiers délabrés des villes, là où les pro-
les voir partir, comme si, après leur tenons prêts à saisir l’occasion afin de blèmes urbains ont emmuré les hommes
départ, nous allions enfin pouvoir revenir prendre les mesures audacieuses et créa- vivants.
aux choses sérieuses. D’autres font mieux trices qui seules nous permettront d’aller Ce qui est indispensable, c’est la parti-
: ils accueillent les visiteurs à bras ouverts. à la rencontre de notre public, dans les cipation. Pour rester valables, les musées
Mais, dans un cas comme dans l’autre, il quartiers (ou les régions) où il vit, et de de l’avenir devront être utiles, et donner
n’y a pas d’échange. I1 n’y a pas de vérita- lui offrir toute la gamme des possibilités à ceux qui en ont le plus besoin. Les grai-
ble sentiment de respect mutuel, pas de d’acquérir la connaissancequ’autorise un
2. Voir l’article de John R. Kinard sur le
véritable communication. Parce que nous emploi judicieux de nos énergies et de musCe d’dnacostia dans Museum, vol. XXIV,
voyons dans les membres du public des nos ressources financières. p. 102-109, 1972.
222 John R. Kinard

nes semées en terre fertile pousseront un Les écomusées réflondent à certaìnes récupéré leur passé, ils pourraient, avec
jour, incitant des jeunes dont l’intérêt se qaestìons l’aide du musée, se concentrer sur le pré-
sera éveillé à s’inscrireà une bibliothèque sent et l’avenir. Mayrand, qui s’est efforcé
ou à entrer à l’université. Comme Ripley La réponse à la question de Ripley peut de démystifier les musées, a encouragé les
(1969) le fait observer : <(Des musées être trouvée dans une idée nouvelle, habitants à définir collectivement la
annexes installés près des écoles, dans les l’écomusée, qui a été lancée à la fin des valeur de leur histoire.
zones pauvres, pourraient faire beaucoup années 1970 et au début des années 1980. En octobre 1979, il formula le concept
pour accroître certains quotients du En 1979, Pierre Mayrand, directeur du de l’écomuséedans un document intitulé
niveau de vie qui n’ont pas encore été Musée et Centre régional d’interprétation Construisons ensemble notre musée,
envisagés par les urbanistes. D de Haute-Beauce, au Canada, initia les dans lequel il identifiait les principes fon-
Ripley pose également une autre ques- habitants de la zone de Haute-Beauce, damentaux de l’idée qu’il défendait :
tion, qui se rapporte de très près aux zone rurale éloignée, située au coeur du conservation, coopération et représenta-
observationsque je voudrais faire ici : << En plateau des Appalaches, au concept tion. L’année suivante, il présidait à
ce temps de crise, alors que nous sommes d’écomusée, sans toutefois prononcer le l’ouverture du Musée de Haute-Beauce
atterrés devant la pauvreté urbaine et les mot. I1 évoqua la possibilité de créer un dans un ancien presbytère. Les cinq fonc-
échecs de la gestion urbaine, alors que le musée et un centre d’interprétation qui tions majeures de ce musée peuvent être
visage de l’Amérique est marqué chaque fournirait en même temps des services adoptées par d’autres qui souhaitent
jour davantage, enseveli sous des entasse- culturels. En effet, cette région isolée favoriser le dialogue avec le public et se
ments cubiques et d’immenses bandes de était pratiquement dépourvue d’équipe- mettre à son service. Ce sont : l’acquisi-
béton et qu’un voile épais de fumée ments culturels. Pour que l’idée fasse son tion et l’organisation d’objets qui sont les
recouvre le tout, doit-on se résigner à ce chemin, les gens devaient prendre eux- témoins des traditions, des activités et des
que l’art (et l’histoire) exprime le néant mêmes collectivement conscience de leur conditions de vie locales; l’emploi de
énigmatique ou “la chose en soi” ? >) identité et de leur patrimoine. Ayant techniques muséologiques modernes

i -
r&

Les collections du Museum national d’histoire naturelle de la


Smithsonian Institution nous font découvrir la préhistoire de ce
lieu dénommé Anacostia. Grâce à des objets datant du X I X ~siè-
cle et aux recherches menées de façon non systématiquependant
les années 1930 et depuis cette époque, nous savons qu’au X V I I ~
siècle cette zone avait une population clairsemée : les Indiens
Nacochtankevivaientdelachasse et delacueillette et changeaient
de camp au rythme des saisons. La localité était connue comme
village de marchands (il y a u n mot indien, Anaquash(a)-tan(i)k,
qui signifie Q ville de marchands D) , mais les Indiens qui vivaient
là étaient de surcroîtpêcheurs, car la rivièreAnacostia, bras orien-
tal du majestueuxPotomac, est riche en poissons. Ils se sédentari-
sèrent ultérieurement dans des villages construits au bord des
plainesinondables. En juin 1608,I’aventurieranglaisJohnSmith
séjournaau milieu de cette population sédentaire, semi-agricole,
et rassemblasesobservationsdans ThegeneraZhistoryofvirginia,
New Englandandthe SummerIsles (1624). The Anacostiastory:
1608-193 O ( SmithsonianInstitutionPress, 1977),oeuvre de l’his-
37 torienne de notre musée Louise Daniel Hutchinson, nous décrit
Participation du troisième âge : lecture de comment les Nacochkanke ont été peu àpeu chassés de leurs ter-
poésie devant un public de personnes âgées. res. Au X V I I I ~et au début du X I X ~siècle, Anacostia devint une
zone où l’on trouvait àla fois des plantations, de petites fermes,
des hameaux et des forêts et où vivait une population hétéro-
gène : petite noblesse anglaise, petits fermiers, métayers alle-
mands, esclaves africains, auxquels il faut ajouter une commu-
nauté de Noirs libérés de l’esclavage qui allait s’agrandissant.
Aprèslaguerre de Sécession,desNoirset desBlancsentreprenants
firent d’Anacostia une localité importante. Reconstituer l’his-
toire de ces gens souventoubliés, et relier le passé au présent, voilà
un exemple de ce que peut réaliserla collaborationcréatriceentre
des institutions évolutives comme le Musée d’Anacostia et
d’autres institutions d’âge plus vénérable. Ce livre de Hutchin-
son a été salué par le National Trust for Historic Preservation
comme étant l’ouvrage de référence en la matière.
Le musée de voisinage, catalyseur d e l’évohtion sociale 223

pour donner aux visiteurs des informa- Qui plus est, l’écomusée, tel que je songé à proposer ce nouveau rôle pour
tion sur la région et ses habitants, exposi- l’entends, est un concept qui vise à un musée. Cependant, dans l’intervalle,
tions temporaires ou itinérantes, stands inclure et à englober tous les types de les musées ont grandi et mûri au point
ou kiosques placés aux endroits stratégi- musées et qui est assez fécond, s’il est de pouvoir se considérer aujourd’hui
ques et proposant un ensemble d’infor- appliqué, pour nourrir des projets comme faisant partie intégrante de leur
mations renouvelées et d’aperçus sur la mutuellement profitables fondés sur la environnement :les communautés urbai-
vie sociale ; des expositions qui doivent collaboration et la coopération. Car si nes et rurales. Devenus plus sensibles aux
s’adresser à l’ensemble de la population, nous avons le désir et la volonté de faire besoins d’une société ouverte et plura-
renforcer chez elle le sentiment de sa de nos quartiers et de nos collectivités, liste, où les membres de groupes ethni-
valeur et de sa dignité et contribuer égale- dans un esprit créateur, des laboratoires ques, raciaux, religieux ou sociaux très
ment à faire connaître l’existence histori- éducatifs en faisant appel aux meilleurs divers participent de façon autonome au
que, sociale et économique de la région ; talents, nous pouvons concevoir et entre- développement de leur culture tradition-
des programmes scolaires axés sur le prendre des projets communs qui ouvri- nelle, les musées doivent continuer de
musée ; et des lieux de rencontre pour les ront de nouvelles voies à la recherche sur dialoguer avec les dzérents groupes
programmes et les manifestations qui les problèmes contemporains.. Par des humains. Accueillons comme il se doit
sont souhaités par la collectivité, répon- techniques et des pratiques analogues à cette idée nouvelle. Et puisse le musée,
dent àses besoins et sont de nature à ani- celles des archéologues de terrain qui se en tant que catalyseur de l’évolution
mer le musée, ou qui permettent de lancent passionnément dans la décou- sociale, trouver la place qui lui revient
mieux comprendre et de faire connaître verte des traces matérielles des civilisa- dans les annales de l’histoire humaine,
les réalités économiques et socio- tions passées, nous pouvons commencer à c’est-à-direcelle de l’une des institutions
culturelles de la région. Partisan enthou- explorer de nouvelles façons de mettre à les plus <<éclairées)> que l’esprit de
siaste de l’écomusée, Sheila Stevenson, profit notre formation universitaire et l’homme ait jamais conçues.
du Nova Scotia Museum, à Halifax, a notre expérience de la vie afin d’en [ Tradzlit de Z’anglais]
constaté que <<l’aspectle plus prisé de apprendre davantage sur la société con-
l’activité d’un musée de ce genre est temporaine dans toute sa complexité.
l’interaction qu’il permet entre les Un musée peut être une fenêtre BIBLIOGRAPHIE
gens )>.Sheila Stevenson (1982) explique, ouverte sur le monde. Et si la solution de
dans son article, que l’écomuséepeut être bien des problèmes qui se posent au ALEXANDER, Edward P. 1979. Museums in motioiz.
Nashville, American Association for State and
également appelé <(musée territorial )>. monde dans l’immédiat lui échappe, il
Local History.
Pour elle, le territoire lui-même ou la peut néanmoins, en tant qu’institution AMERICAN ASSOCIATION OF MUSEUMS. 1972.
région elle-même < remplace le bhiment populaire, essayer de voir ce qui se passe Museums: their new audence. Washingron,
traditionnel ; la collection, c’est le patri- derrière ses murs et commencer à agir D.C., American Association of Museums.
moine collectif; le public, c’est la popu- pour améliorer la qualité de la vie de tous FELLOWS, Balcha G. (dir. publ.). S.d. The making
of a mrtseum. Washington, D.C., Anacostia
lation )>. ceux à qui il peut effectivement s’adres- Neighborhood Museum. 29 p.
Les partisans de l’écomusée proposent ser, particulièrement dans les zones GETLEIN, Frank: LEWIS, JO Ann. 1980. The
de développer encore davantage le pro- urbaines. Incertains de notre destin, nous Wushington, D. C., art review -the art explo-
cessus de participation entamé il y a une devons nous rassembler dans l’harmonie rer’rguide to Washington. New York, The Van-
vingtaine d’années avec les premiers et la fraternité afin de bâtir ensemble guard Press.
GROVE, Richard. 1968. Problems in museum
débats sur la nécessité de créer des musées l’avenir en définissant des objectifs acces- education. Dans : Eric Larrabee (dir. publ.),
de quartier qui aient véritablement une sibles. Car, comme l’a écrit Caryl Marsh, Museums and editcation. Washington, D.C.,
âme. De même que les perspectives nou- (1968) ccsi nous voulons préserver notre Smithsonian Institution Press. 253 p.
velles des années 60 ont abouti au concept patrimoine humain, il nous faut agir de HARRIS, Neil. 197s. Museums, merchandising and
popular taste. Dans : Ian M. G. Quimby (dir.
du musée de quartier, dans les années 80, facon à permettre à tous de se considérer publ.). Matenalcidtitre andtbe study ofAmeti-
l’idée de l’écomusée milite en faveur comme des êtres humains liés à tous les canlife. New York, W. W. Norton & Company,
d’une intégration sociale et territoriale du autres êtres humains. )> Et, en agissant Inc.
musée. Bien qu’elle constitue, non seule- ainsi, nous ne faisons rien d’autre que HARVEY, Emily Dennis. 1969. Proceedings of the
1969 Brooklyn Seminar. A museumforthepeo-
ment pour les musées de demain mais << chercher à rendre au musée son véritable
ple. New York, Bedford Lincoln Neighborhood
déjà pour ceux d’aujourd’hui, un défi rôle en tant que lieu accessible à tous où Museum.
capital -celui que représente toute la pensée peut s’épanouir et l’esprit se LOW,Theodore L. 1942. The museiim us a social
notion nouvelle -cette idée du musée ressourcer,. Nous ne pouvons plus, en instntment. New York, Metropolitan Museum
régional ou territorial, consacré à tous les niant leur humanité, refuser leur héritage of Art. 71 p.
MARSH, Caryl. 1968. A neighborhood museum
aspects tant naturels qu’historiques et à tous ceux qui composent nos collectivi- that works. Museum news, octobre (réim-
artistiques d’une région ou d’un district, tés si diverses par la culture et qui, sou- pression).
ne doit pas nous inquiéter, et le musée de vent, ne nous rendent visite que pour RIPLEY, Sidney Dillon. 1969. The sacred grove,
type plus traditionnel ne doit pas non repartir une fois de plus avec le sentiment essays on museums. New York, Simon & Schus-
plus y voir un croque-mitaine. Bien au que tout est vide et étranger. Comme l’a ter. 159 p.
SMITHSONIAN INSTITUTION. 1966. A proposal to
contraire, si on lui permet de se dévelop- écrit ma collègue Zora Martin-Felton, establish an experimental neighborhood
per et de réussir, cette notion peut vivifier leurs voix plaintives nous disent : museum. 7 p.
notre esprit créateur et pourquoi pas? J’ai regardé autour de moi sans voir -. 1972.Anucostiu NeighborhoodlCljrseum5th
devenir un maillon important de la personne qui me ressemble. anniversary. Washington, D.C., Smithsonian
Institution Press. 54 p.
chaîne des idées qui assurera la continuité J’ai tendu l’oreille et personne ne m’a STEVENSON, Sheila. 1982. The territory as
de la culture et la création durable de nou- appelé par mon nom. museum: new museum directions in Quebec.
velles habitudes culturelles. I1 y a vingt-cinq ans, personne n’aurait Curator(New York), vol. 25, no 1, p. 5-16.
224

Le Mzcsée de Barqzcìsìmeto : inventer on errer

Milagro Gómez de Blavia Parler du Musée de Barquisimeto pour le à des modèles faits pour d’autres réalités,
citer en exemple des nouvelles options de en choisissant d’cc inventer ou d’errer >> et
Née en 1946 àBarquisimeto, Venezuela. Obtient le la muséologie régionale, c’est nécessaire- en assumant les risques que cela com-
diplôme d’avocat en 1967 à l’université catholique ment s’abstraire de la dynamique quoti- portait’. L’institution projetée devait,
Andrts Bello de Caracas (Venezuela). Est intégrée
au personnel de la Fondation pour le développe-
dienne de son édification pour préten- dans cette perspective, générer une théo-
ment de la région centre-ouest (FUDECO), puis du dre, alors qu’une existence encore brève rie, des méthodes et des techniques
Bureau central de planification (CORDIPLAN). ne lui a pas permis d’atteindre à la matu- propres.
Fait partie de l’équipe qui organise et crée la Fonda- rité, l’étiqueter ou évaluer ce qu’il est Inventer sous peine d’errer, tel a été,
tion de Lara pour la culture. Membre principal aujourd’hui, en essayant de comprendre complété par une autre règle, le principe
depuis 1981 du Conseil régional de la protection et
de la conservation du patrimoine historique et artis- et, chose encore plus difficile, d’expli- qui a guidé la constitution du musée avec
tique de la nation. Prend la direction du Musée de quer les raisons de sa réussite. cette seule mais immense contrainte que
Barquisimeto en 1982. Chargée de la coordination Si nous osons qualifier de réussite ce l’on prétendait combiner efficacement le
des musées au niveau de I’État du Venezuela qui a été fait à ce jour, c’est parce que respect des conditions essentielles de
jusqu’en 1984 et consultante pour diverses insti-
tutions.
nous sommes convaincusde toute la diffi- l’établissement créé avec celui des exigen-
culté et du caractère extraordinaire d’une ces découlant de nos caractéristiques par-
entreprise qui consiste à persuader, inti- ticulières.
mement et dans un délai minime, une
communauté de la nécessité de se doter Une adaptation à des réaZìtés
d’une institution muséologique et de la concrètes
facilité d’y accéder, et à situer cette insti-
tution àl’avant-garde des combats menés Un élément ressort à l’évidence comme
par cette communauté. Au bout de deux caractéristique, aussi bien de la création
années de labeur, nous nous trouvons du musée que de son organisation ou du
dotés d’une solide institution axée sur la développement de son action : c’est son
conservation du patrimoine régional, qui
est en même temps un foyer d’action cul-
1. <(Inventerou errers : c’est par ces mots que
turelle intense et le miroir des problèmes Simón Rodriguez, maître du libérateur Simón
d’une collectivité. Le secret de cette réus- Bolívar, indiquait au siècle dernier au monde
3s latino-américain la voie de la recherche de son
MUSEO DE BARQUISIMETO. Vue panoramique site : avoir conçu et organisé cette institu-
identité et de sa croissance. Cette devise résume
du magnifique Edifice du début du siècle tion en fonction d’une réalité détermi- l’esprit qui inspire la gestion du Musée de
situé dans le secteur historique de la ville. née, et pour cela avoir refusé de s’en tenir Barquisimeto.

39
Collection de sculptures du Musée de
Barquisimeto.
Le Musée de Barquisimeto : inventer ou errer 225

rapport étroit aux besoins, aux possibili- associée àcette initiative en lui attribuant
tés et aux choix d’une communauté comme siège un immeuble datant de
déterminée, attachée à un territoire 1917, construit grâce aux dons de la col-
déterminé et àune ville déterminée, Bar- lectivité pour servir d’hôpital, qui prête
quisimeto et sa zone d’influencez. aujourd’hui au musée la magie liée à la
D’emblée, le fait est souligné : ((Bar- beauté de son architecture accueillante et
quisimeto et toute la région centre-ouest à son noble destin.
sont le siège d’une culture particulière Dès lors a commencé, avec le concours
dont les caractéristiques originales et les de spécialistes et la participation de repré-
diverses manifestations doivent être sau- sentants de la collectivité et des autorités,
vegardées par le recueil de traits et un intense travail de réflexion tendant à
d’expressions qui lui confèrent une iden- définir le profil du musée, compte tenu
tité permanente ; pour placer dans son des grandes orientations théoriques de la
juste cadre cette image collective de notre muséologie actuelle.
peuple, il devient indispensable de créer Notre but était la création d’un musée
un organisme approprié qui intègre ouvert, participatif, essentiellement édu-
les différents témoignages de notre catif et dynamique, selon les principes de
culture3. B l’écomusée et du 4 musée intégral B, c’est-
Troisième ville du Venezuela, Barqui- à-dire une institution qui restitue à la
simeto, dont la population approche le communauté dont elle est issue les
million d’habitants, a été brutalement moyens de se reconnaître, de se retrouver
arrachée à sa condition de ville << provin- et de nouer des liens au travers des mani-
ciale )> pour se transformer en une métro- festations de la culture locale, nationale
pole ayant atteint sa pleine maturité et et universelle ; qui étudie avec attention
et en profondeur les éléments qui compo- 40
s’employant à acquérir les caractéristi- Habit de la Vierge, patronne d e la ville.
ques et institutions propres à ce type de sent notre réalité, nos racines, qui analyse Exposition La Divina Pastora en
collectivité et à affronter du même coup les facteurs culturels déterminant cette Barquisimeto. Collection d e la paroisse d e
les risques et les désagréments liés au réalité et qui, en partant du présent, tra- Santa Rosa.
<<progrès D4. vaille à reconstruire le passé et se projette
I1 s’agissait donc pour elle de ménager
un espace àla tradition, afin d’éviter que 2. Barquisimeto S’aSsume non comme une ville
la mémoire collective ne se disperse, ne isolée, inscrite dans un périmètre déterminé,
mais comme un centre de création et d’accueil
s’effaceet ne devienne lacunaire. Et il lui d’activitk étroitement liées aux zones voisines sur
fallait favoriser une convergence vers des lesquelles elle influe et dont elle ne peut se
couper.
objectifs communs propres à faciliter 3. Décret portant création du Musée régional
l’intégration de la population. du Centre-Ouest à Barquisimeto, Venezuela,
Les autorités de 1’Etat ont fait le pre- 1977.
4. Nairn Piñango, Caso Vefyzuel’a:m a ihsión
mier pas en prenant le décret portant de armo?&, p. 544, Caracas, Editions Cendes,
création du musée. La municipalité s’est 1984.

41
La fête populaire trouve aussi sa place dans
le musée.
226 Milafro Gómez de Blavia

dans l’avenir, en s’enrichissant des de la dimension culturelle du développe-


apports de l’histoire et de la vie quoti- ment global ; qui assume les liens étroits
dienne ; qui estime devoir consacrer son existant entre les domaines naturel et cul-
attention au patrimoine communautaire turel et qui fasse appel à différentes disci-
dans l’acception la plus large du terme, plines pour donner une vue globale de la
c’est-à-dire non seulement aux témoi- réalité socioculturelle, pour en présenter
gnages matériels et spirituels du passé, à la collectivité une synthèse et non des
mais aussi au vécu, à la tradition orale, à visions fragmentaires ; qui est en fin de
la musique, à la danse, aux arts populai- compte un instrument de changement et
res et àtoutes les manifestations de créati- d’action communautaire, pour lequel
vité du présent ; qui s’attache en perma- connaître les besoins réels de la com-
nence à valoriser, à conserver et à faire munauté à laquelle il appartient est
connaître le patrimoine culturel de Lara une nécessité, une aspiration et une
et qui réponde de manière dynamique exigence.
aux besoins d’information et de loisirs Tous ces postulats et considérations ont
des habitants de Barquisimeto; qui été résumés dans une proposition établie
42 s’assumeen tant qu’institution culturelle par un groupe pluridisciplinaire de spé-
Présence de l’art populaire dans les active, en tant que protagoniste du déve- cialistes, soumise pour commentaires aux
expositions du musée. loppement culturel du pays et promoteur autorités, aux amis du musée et à divers
Le Mwée de Barquisimeto :inventer ou errer 227

représentants de la collectivité, puis fina- mettre en pratique ces ambitieux princi- collectivité, en créant des comités chargés
lement largement diffusée dans un sup- pes d’une évidente complexité, alors de tâches spécifiques, par exemple le
plément à un journal local, qui définis- que, tous en sont conscients, l’avenir de financement et les acquisitions, la publi-
sait le projet et en exposait la justification l’institution dépend en grande partie de cité auprès de la collectivité et le recrute-
et l’orientation. la technicité et du sérieux de cette ment de bénévoles, ce qui a permis de
Le projet ne se veut pas défini une fois démarche. constituer rapidement un solide groupe
pour toutes et de manière exclusive, mais La situation à laquelle le projet se de soutien. Celui-ci a donné naissance à
prétend au contraire être un projet de trouve confronté se caractérise par l’Association des amis du Musée, qui a
participation et de dialogue constant, l’absence de travaux d’organisation déployé une activité intense en faveur de
afin de rester en accord non seulement menés parallèlement à la restauration de ce dernier.
avec les conceptions muséologiques les l’édifice, le manque de collections de Pour constituer l’effectif permanent
plus modernes, mais aussi avec les réalités base, la pauvreté des ressources, divers du musée, tâche difficile en raison de la
socio-historiques d’une ville ouverte, problèmes liés à la reconversion de l’édi- pénurie de personnel qualifié, on a com-
dynamique et participative. fice et, surtout, les attentes de la commu- biné l’engagement de spécialistes avec le
nauté, qui vont grandissant. Une vaste choix, dans différentes disciplines, de
État actueZ de d’idée initìaZe campagne publicitaire sema une certaine personnes connaissant la communauté et
confusion dans les esprits, portant la col- prêtes àla servir, et présentant des aptitu-
Nous nous trouvons dès lors confrontés à lectivité à croire que l’établissement de des certaines à acquérir une formation
une autre tâche importante : comment son musée était chose faite. Aussi fut-il pour devenir de véritables professionnels
nécessaire d’entreprendre deux actions de la muséologie. A cette fin, on a conçu
menées simultanément : exécuter un pro- et mis à exécution un programme de for-
gramme de publicité et de promotion mation permanente dont peuvent béné-
préparatoires sur le thème << qu’est-ce ficier tous les membres de l’équipe ; les-
qu’un musée ? >) ; élaborer le projet du quels ont de même été tenus au courant,
musée en décrivant ses fondements théo- dès le démarrage de la gestion, des pro-
riques, ainsi que les divers apports techni- blèmes particuliers au projet et concer-
ques qu’il exige. nant non seulement sa philosophie, mais
Un premier pas en vue de résoudre les aussi les détails de sa réalisation quoti-
problèmes posés par le démarrage effectif dienne. Cela a permis de créer une
des activités du musée consista àproposer équipe solide qui a défini, à partir d’un
pour le Musée de Barquisimeto une for- objectif commun, un certain style de tra-
mule dans laquelle se résument les anté- vail. La participation du personnel à
cédents du projet, en présentant un corps l’action du musée est assurée par le biais
homogène de propositions, et en inter- du conseil de programmation, lequel met
prétant les intérêts de la collectivitéà par- en relation les membres des différents
tir de la connaissance du milieu et de services organisationnels et canalise leur
l’analyse des différentes opinions formu- concours. I1 stimule la participation et
lées par les spécialistes consultés au préa- encourage la coordination et I’évaluation
lables. Dès lors le musée devait être doté à tous les niveaux. I1 permet une mise en
d’une structure organisationnelle qui rapport directe, rapide et une bonne effi-
permette le démarrage de ses activités. cacité dans la présentation et la solution
On devait également mettre sur pied un des problèmes et conflits. I1 a également
programme dynamique et percutant, fallu faire preuve d’imagination pour se
tendant à éveiller l’intérêt de la collecti- procurer les ressources économiques
vité. Tout cela a donné naissance à un qu’exigeaient l’exécutiondu programme
plan d’ouverture progressive, comme l’a et l’achat des équipements nécessaires.
appelé Georges Henri Rivière, plan com- En effet, le Musée de Barquisimeto a
prenant trois volets, administration, vu le jour à une époque de récession éco-
espace et programmation, et se divisant nomique au Venezuela : son budget cou-
en une phase préparatoire à exécuter en vre à peine ses besoins essentiels. Son
deux ans et une phase de démarrage de la développement exige en conséquence des
gestion. ressources extraordinaires dont la direc-
Du point de vue administratif, la pre- tion du musée assume la recherche parmi
mière chose qu’il fallut faire fut de met- ses tâches ordinaires. Ses efforts ont
tre en place une autorité responsable de tendu principalement à mobiliser les res-
l’institution -une commission compo- sources des entreprises privées par un pro-
sée des représentants des organismes qui cessus de sensibilisation de ce secteur qui,
participaient au projet -secondée par au Venezuela, n’a pas pour tradition de
un secrétariat technique chargé d’assurer financer les activités culturelles. I1 lui a
la direction du musée. Pour exercer ces
fonctions de direction, on a jugé néces- 5 . Milagro Gómez de Blavia, Martin Verlini,
Propuesta para la conceptualización,
saire d’obtenir le concours de conseillers programación y funcionamieiito de un museo:
et de spécialistes, ainsi que l’appui de la caso Museo de Barquisimeto, Paris, 1982.
228 Milagro Gómez de Blavia

fallu pour cela présenter des projets clairs de visiteurs potentiels : étudiants, spécia-
et attrayants et créer un dispositif de con- listes et grand public.
trôle administratif. Un autre mécanisme L’absence de public a été considérée
utilisé a consisté à conclure des accords comme l’obstacle capital àsurmonter lors
inter-institutions qui om permis de con- du démarrage des activités. Lorsque le
juguer les efforts et les ressources de musée a ouvert ses portes, il ne savait pas
diverses provenances, et qui reposent sur pour quel public il travaillait. De fait, il
la confiance dans les engagements pris. n’avait pas de public au sens propre. Son
L’intervention et le soutien de l’Associa- public potentiel était en conséquence la
tion des amis du Musée de Barquisimeto communauté, qu’il s’agissait d’appro-
ont été déterminants à cet égard. cher. Deux voies se présentaient : celle de
Le musée élabore un budget pour son la contrainte et celle du dialogue. La
programme annuel.qui incorpore les res- seconde voie ayant été retenue, il fallait
sources que les institutions de tutelle lui commencer par motiver la communauté
allouent chaque année, ainsi que les pour l’inciter àparticiper aux activités du
moyens additionnels qu’il obtient grâce à musée. Cet effort de motivation s’est
son plan spécial de collecte de fonds. effectué par le biais d’une campagne de
Lors de la phase préparatoire de pro- publicité intensive par les médias et
grammation, on a établi et publié un d’approche des institutions et des associa-
cadre général d’action, lequel se traduit tions professionnelles, ainsi que par une ,
sous forme de plans opérationnels politique de relations publiques habiles.
annuels s’inscrivant dans une planifica- I1 convient de souligner les tentatives
tion à moyen et à long terme. d’approche de l’école, centrées sur le pro-
Les politiques ont été élaborées compte jet musée-école, les expositions scolaires
tenu des normes établies par les organis- et un programme intensif de visites gui-
mes internationaux - l’Unesco au tra- dées et de constitution de clubs de jeu-
vers de conventions et de recommanda- nes, ainsi que le projet <<tribunelibre,
tions adressées à ses États membres, entrepris dans les domaines d’activité du
I’ICOM, I’ICCROM et I’ICOMOS - musée à l’intention du public adulte en
ainsi que des règles, lois et politiques général, avec la participation de I’univer-
nationales en la matière que l’on a adap- sité. Ce dernier projet est un cas unique
tées aux conditions particulières du d’accord de collaboration à long terme
43 milieu, afin d’en garantir l’observation entre un musée et une université (l’Uni-
Urne funéraire (200 av. J.-C.). Période sur la base de textes clairs, précis et réa- versidad central de Venezuela, à Caracas)
Tocuyante. Collection archéologique e La listes. en vue de l’extension de leur action édu-
Salle >>. Cimetière Camay. On se propose de structurer le plan cative.
d’ouverture progressive, centré au départ La programmation des expositions est
sur les expositions temporaires, par le également remarquable par ses résultats.
biais d’une coopération inter-institu- Au bout de deux années d’activités, le
tions. Dans le domaine des collections, Musée de Barquisimeto connaît un
on a établi un plan d’enregistrement- rayonnement non seulement régional
inventaire, ainsi que d’élaboration des mais national. Cela s’expliquepar sa con-
instruments juridiques sur lesquels cette ception, en vertu de laquelle il se consacre
opération s’est fondée. En matière de alternativement au patrimoine régional
conservation, la priorité a été donnée à et à la diffusion de la connaissance du
l’étude du bâtiment -conditions clima- patrimoine national et universel, en assu-
tiques, sécurité et installation d’un ate- rant, outre des expositions et des mani-
lier de conservation et de restauration. En festations qui reflètent la personnalité
ce qui concerne la recherche, on a mis en des habitants de Lara dans ses différents
place les liaisons interinstitutions néces- modes d’expression, la présentation de
saires pour exécuter un plan d’action con- témoignages significatifs de la culture
jointe permettant d’inventorier et de ras- universelle.
sembler les ressources prévues pour le Les deux salons d’art national qui ont
musée. On s’est attaché àmonter un cen- été organisés jusqu’à présent -le Salon
tre de documentation ; en matière d’édu- de la sculpture et celui de <<lanouvelle
cation, toute l’activité initiale a tendu à nature >> -ont permis au musée de s’éri-
étudier le public potentiel du musée, àle ger aux yeux des artistes, des critiques et
former et àle conquérir, sans ménager les du public en général en nouveau centre
efforts ; cela s’est traduit par l’établisse- de référence en matière d’arts plastiques.
ment d’un ordre de priorités et l’attribu- Ses locaux ont accueilli les oeuvres d’artis-
tion de ressources aux fins de ce pro- tes régionaux et nationaux dans le cadre
gramme éducatif visant les adultes, les d’expositions individuelles ou col-
.jeunes, les enfants, toutes les catégories lectives.
Le Musée de Barquisimeto :inventer ou errer 229

Mais le musée n’offre pas seulement la collections et ont apporté un soutien éco- cela donne lieu à un gaspillage incompa-
possibilité d’exposer, il dispose égale- nomique à la réalisation des expositions. tible avec la situation des pays; les
ment d’autres services culturelsparmi les- L’afflux des visiteurs de tous types àces musées créent des systèmes d’évaluation
quels on signalera : un ciné-club ; une expositions a démontré que les Barquisi- qui leur permettent de déterminer l’effi-
exposition-vente permanente d’objets métains se retrouvaient en elles et étaient cacité de leur action à l’égard de la com-
artisanaux ; une librairie ; des services fiers de montrer aux étrangers les mani- munauté.
organisés à l’intention des touristes ; des festations qui constituaient l’expression Le musée intégral, de par sa définition,
cours et des ateliers ; des activités spécia- la plus profonde de leur culture. joue un rôle responsable dans la décou-
les pour les enfants. Des manifestations aussi complexes verte par l’homme de son environnement
L’atelier << Le chemin du soleil a lieu que celles que l’on vient de décrire ont
)> naturel et humain sous tous ses aspects.
tous les samedis et est organisé les jours représenté une gageure sur les plans con- <<Onne peut concevoir aujourd’hui en
ouvrables pour les enfants en établisse- ceptuel, organisationnel et technique. A Amérique latine de musée qui se consacre
ments. Les heures d’ouverture du musée cet égard, les efforts déployés pour sélec- uniquement au patrimoine et non égale-
ont été prolongées pour permettre au tionner, former et stimuler le personnel ment au développement. )>

public qui travaille de s’y rendre. C’est ont porté leurs fruits. Nous estimons nécessaire que cette
du reste à l’intention de ce public qu’a La recherche d’options nouvelles, la nouvelle réalité fasse l’objet d’une
été lancé le <( Café du mardi )>, qui l’invite créativité et la flexibilité sont des constan- réflexion approfondie qui nous permette
à suivre des visites guidées en l’alléchant tes au musée. Elles constituent une for- de rattacher la praxis à une doctrine
par la perspective de boire également un mule efficace’d’adaptation aux condi- muséologique répondant clairement aux
délicieux café. tions du milieu si l’on songe que la nombreuses questions qui se posent dans
C’est ainsi que le musée participe à la modestie des moyens techniques disponi- le cadre de l’action entreprise pour adap-
vie de la cité. Cet intérêt se manifeste par bles pose un défi àl’imagination. En tant ter l’institution du musée, dans son uni-
la célébration de fêtes populaires dans ses qu’institution muséologique, le Musée versalité, aux exigences d’un présent de
locaux, l’adaptation du calendrier de ses de Barquisimeto se présente aujourd’hui plus en plus pressant, complexe et lourd
principales expositions à ces commémo- comme le plus complet de la région de conséquences pour l’avenir.
rations, son association aux activités centre-ouest, du point de vue de son Hugues de Varine disait en 1976 :
importantes pour la ville et l’organisation infrastructure technique, de la formation <<L’objet,le patrimoine étaient considé-
de manifestationsde soutien des revendi- de son personnel, du bâtiment où il est rés comme des fins en eux-mêmes. Le
cations des ses habitants. On citera pour installé et surtout de ses perspectives de musée était àleur service et le public était
exemple la tribune que le musée a convo- croissance. Élément cohésif du mouve- admis ... à les contempler sans toucher et
quée sur les préoccupations de la commu- ment muséologique de la région centre- souvent sans comprendre. Renversons
nauté à l’égard du destin d’une certaine ouest, il constitue à ce titre l’un des piliers l’ordre des facteurs pour partir du
zone urbaine, invitant les autorités, les fondamentaux de I’élaboration de nou- public ... ou plutôt de deux types
spécialistes et la population concernée à velles possibilités de décentralisation des d’utilisateurs -la société et l’individu.
discuter dans ses locaux. Cela a permis ressourceset d’options permettant la con- Au lieu d’être au service des objets, le
aux différentes parties de connaître les servation efficace du patrimoine culturel musée devrait être au service des hom-
plans du gouvernement et d’établir un et l’application réelle des politiques. mesG. D
dialogue, de sorte que les besoins expri- Au lieu d’un musée <(de quelque
més par les habitants et les défenseurs de QueZ musée pour notre société ? chose )>, nous nous trouvons donc en pré-
l’amélioration de la qualité de la vie dans sence d’un musée << pour quelque chose )>,
la ville soient mieux satisfaits. A côté de l’écomusée d’origine euro- un musée pour l’éducation, I’identifica-
Un autre moyen de faire participer la péenne, nous voyons apparaître en Amé- tion, la confrontation, la conscientisa-
communauté aux activités du musée a rique latine des institutions correspon- tion, un musée enfin pour une commu-
consisté à donner au public la possibilité dant à un nouveau concept : celui de nauté, fonction de cette communauté.
d’influer sur le choix des thèmes du pro- musée intégral. Les similitudes entre les
gramme d’expositions. << El Manteco ., deux ont été soulignées lors de la table [ Tradzcit de I‘espagnod]
images et témoignages sur le marché ronde de Santiago du Chili en 1972, où
d’une ville, et <<Lavisitación., célébra- la notion de musée intégral a vu le jour. 6 . Hugues de Varine-Bohan, Miiseum,
tion de la fête de la Vierge à Barquisimeto On pourrait dire qu’à certaines particula- vol. XXVIII, no 3, 1976, p. 131.
furent deux expositions qui réunirent des rités près, qui sont déterminées par leur
témoignages matériels de la tradition milieu, la similitude existant entre les
orale et de la documentation graphique deux institutions nous permet de les ran-
et bibliographique sur deux faits fonda- ger sous l’une ou l’autre rubrique.
mentaux de la vie du Barquisimétain : Nous avons néanmoins préféré adopter
l’activité commerciale et socio-culturelle le qualificatif d’un concept qui veut
née autour du marché, et qui a donné sa que : le musée élargisse son domaine tra-
physionomie au centre de la ville, et la ditionnel en vue d’une nette prise de
tradition religieuse la plus importante de conscience du développement anthropo-
la ville : << La Visita de la Divina Pastora B ligique, socio-économiqueet technologi-
(la visite de la Vierge). Ces activités ont que des pays d’Amérique latine; le
bénéficié de la collaboration de deux des musée s’ouvre aux chercheurs et institu-
forces vives de la ville, l’Église et le com- tions de tous genres ; les techniques de
merce, qui ont facilité la constitution des présentation soient modernisées sans que
230

Des écomasées poar Ze SdeZ : an programme

Alpha Oumar Konaré Jamais cette immense terre d’Afrique de dans cette <(jungle culturelle >>, s’im-
l’Ouest qui s’étend du cap Vert au lac posent les éléments décadents des cultu-
Né en 1946 àKayes (Mali). Ancien chef de la Divi- Tchad, couvrant 5,3 millions de kilomè- res étrangères, notamment occidentales.
sion du patrimoine historique et ethnographique tres carrés, n’aura autant mobilisé l’opi- La délinquance juvénile, en particulier la
du Mali, ancien ministre de la culture du Mali, pro- nion publique internationale que ces der- prostitution des mineurs, se développe.
fesseur d’histoire et d’archéologieen service à 1’Ins-
titut supérieur de formation et de recherche appli- nières années. Le dieu <<Argent )> domine. La mendicité

quée à Bamako (Mali). Vice-président de I’ICOM Aujourd’hui, le Sahel (mot arabe croît. Frappant durement les très .vieux,
depuis 1994. signifiant rivage ou bordure du désert) ces << bibliothèques vivantes )> dépositaires
présente tous les visages de la sécheresse : des traditions, et les très jeunes, les bâtis-
de fréquents vents de sable, des fleuves seurs de demain, la sécheresse détruit la
taris, ensablés, sans poissons, des puits chaîne de transmission des connaissances.
asséchés, des terres craquelées, dénudées, L’émigration entraîne loin de leurs bases
des brousses dépouillées de tout ce qui est et souvent pour toujours des populations
comestible, des cadavres d’animaux jon- déracinées, abandonnant villages et
chant les pistes, de maigres récoltes, des cases. Les sites sont ainsi livrés aux dépré-
camps de fortune pour sinistrés installés dateurs, touristes en mal d’exotisme et
autour des villes, la fuite des ruraux vers autres antiquaires-trafiquants, nourris-
la ville et l’extérieur, des enfants et des sant ainsi les filières du trafic illicite des
vieillards faméliques en proie à la sous- biens culturels.
alimentation, à la malnutrition, à de Avançant régulièrement chaque année
nombreuses infections1 de vingt à trente kilomètres par le fait
Les conséquences culturelles de la de l’homme (élevage extensif, feux de
sécheresse sont énormes. Au niveau de la brousse, coupe de bois), le désert modifie
cellule familiale, foyer culturel par excel- l’environnement, le couvert végétal, le
lence, toutes les valeurs traditionnelles de cadre de vie, l’habitat. Les habitudes ali-
44 solidarité, d’hospitalité, de participa- mentaires changent, renforçant les chaî-
Oualata, Mauritanie. Cour intérieure d’une tion, de respect des anciens sont remises nes de la dépendance. Les cultures vivriè-
maison uaditionnelle. Au croisement des
routes des caravanes, Oualata, comme en cause. La maison tend à devenir un res cèdent le pas aux cultures de rente.
Tichitt et Chinguetti, est parmi les derniers dortoir, sans animation culturelle. La rue Sous le couvert de l’aide, le Sahel est sou-
témoins de la prospérité passée de la région. entraîne, le dehors D attire, captive. Là,
<( mis aujourd’hui à un transfert de savoir et
de savoir-faire qui bloquent l’usage des
techniques traditionnelles. Nombre d’ar-
tisans ne peuvent plus exercer leur métier
faute de matières premières et à cause de
la concurrence d’articles importés ; ils
<( bradent D leurs Oeuvres pour pouvoir

s’acheter quelques produits vivriers et se


tournent vers l’artisanat de tourisme.
Nombre de Sahéliens ne bénéficient
pas encore de l’enseignement de base et
ne pourront y accéder, compte tenu du
coût excessif du système éducatif; les
enfants ont dû abandonner l’école, par
pauvreté, pour la recherche de nourri-
ture. L’enseignement, quand il existe, est
mal adapté au développement rural,
subit l’influence du modèle occidental et
favorise le déracinement.
Face à tant de gâchis, qui risque d’être
irrémédiable, comment comprendre le

1. Les huit pays du Sahel (Burkina Faso, Cap-


Vert, Gambie, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal,
Tchad) sont classés parmi les pays à faible revenu
les plus pauvrespu monde (PNB variant de 120 à
340 dollars des Etats-Unis d’Amérique).
Des écomusées pour le Sahel :UYZprogramme 231

silence autour de tout ce qui ne rapporte Musée du Sahel et 1981 pour voir la pre- Aujourd’hui, surtout depuis les
pas e espèces sonnantes et trébuchantes B? mière exposition inaugurale dans des deuxièmes journées d’études sur les
Comment comprendre le silence autour locaux provisoires à Gao. Ce musée relève musées au Mali tenues en avril 1985,
du péril qui menace le patrimoine cultu- de l’autorité du Ministère des sports, des d’autres raisons plus profondes sont invo-
rel sahélien ? Comment réduire la recher- arts et de la culture de Gao. Le Musée de quées qui expliquent les insuffisancesdu
che du bonheur à <( boire et manger, ? Gao visait plusieurs objectifs : proposerà Musée du Sahel de Gao :les conditions de
Comment ne pas comprendre que le l’homme du Sahel une forme d’édu- la création du musée, l’absence de cam-
développement de l’homme repose sur cation différente de celle de l’école con- pagne de sensibilisation des populations
son environnement naturel, son héritage ventionnelle en s’adressant à toutes les locales, la conceptionmême du Musée du
culturel, la créativité de ses hommes et de couches sociales ; amener l’homme du Sahel, les relations entre le Musée natio-
ses femmes, l’échange enrichissant avec Sahel à une meilleure connaissance de nal de Bamako et le Musée du Sahel de
d’autres groupes, que le développement son milieu du point de vue de l’histoire, Gao.
est une amélioration de la qualité de la de l’économie, de la sociologie, de l’éco- En l’absence de ressources financières
vie obtenue par l’affirmation d’une iden- logie humaine, etc.; participer à l’enca- propres, le Ministère des sports, des arts
tité culturelle ? drement des artisans; renforcer la coopé- et de la culture du Mali a voulu profiter
Les tentatives amorcées pour la sauve- ration avec les institutions culturelles d’un programme de travail en coopéra-
garde du patrimoine culturel sahélien, sous-régionales, notamment les musées ; tion avec et financé par le Musée d’outre-
par la création d’institutions culturelles faire connaître la culture du Sahel à mer de Brême pour constituer une pre-
ou le lancement de programmes, souf- d’autres peuples ; constituer un grand mière collection destinée au Musée du
frent des limites d’un engagement intel- centre de documentation sur le Sahel. Sahel. Une mission commune entreprit
lectuel qui ne bénéficie pas d’un appui Quatre ans après son inauguration, le les recherches dans l’Adrar des Ifoghas et
politique affiirmé . Musée du Sahel de Gao a provisoirement put réunir deux collections complètes
Chacun des huit États du Sahel poli- fermé ses portes pour plusieurs raisons, d’objets achetés à la population. L’une
tique dispose dans sa capitale d’au moins notamment des problèmes organisation- était destinée au Musée du Sahel, l’autre
un musée national. Les plus célèbres de nels tels qu’on peut en trouver dans au Musée de Brême.
ces musées nationaux demeurent ceux de n’importe quel type de musée. D’autres Dans un souci d’ordre pédagogique et
Niamey (Niger) de Bamako (Mali). Tous relevaient directement de la pratique par respect de l’éthique de l’exposition,
ces musées nationaux sont en général des muséologique au niveau local, en contra- il avait été convenu que l’exposition pro-
musées très classiques, pluridiscipli- diction avec les principes de l’écomusée2. grammée devait être préparée à Brême et
naires, accordant une place de choix à au Mali, présentée en milieu tamasheq
l’ethnographie et à l’histoire. Ils n’intè- Les condìtions de création du des Ifoghas, à Gao, la capitale régionale,
grent pas dans leurs projets la sauvegarde Musée du Sabed de Gao à Bamako, la capitale nationale, et à
de l’environnement naturel, même si cer- Brême en République fédérale d’Allema-
tains disposent d’un <(zoo>>, et ne pren- Le musée n’a jamais disposé de locaux gne. Les critiques recueillies lors de ces
nent pas en charge les sites et monu- propres. I1 a toujours occupé une diversesprésentations devaient permettre
ments. Leur vision dépasse le cadre du ancienne maison d’habitation familiale de se faire une idée des réactions des dif-
seul Sahel pour embrasser tout le pays louée pour l’occasion. Cette maison aux férentes populations, de mieux cerner
qu’ils couvrent. Les relations sur un plan salles exiguës, en mauvais état (murs fis- comment une population se voyait ou
régional sont très rares. surés laissant pénétrer l’eau), sans électri- souhaitait être vue.
Dans tous ces États mûrissent en ce cité, ne procure ni sécurité aux objets ni Malheureusement, l’expositionn’a pas
moment des projets de musées locaux, conditions agréables aux visiteurs. Elle circulé comme prévu et cette démarche
dont certains prendront en considération arrive à peine à assurer des fonctions fut vite oubliée une fois les collections
tous les éléments de leur environnement. d’exposition, à l’exclusion de toute acquises. La participation financière,
Deux projets paraissent les plus avancés : autre. Les conditions du bail ne per- scientifique et technique des deux parte-
I’Écomusée de Ziguinchor, au Sénégal, mettent aucune modification. naires était inégale dans la réalisation du
toujoursà l’état de projet, et le Musée du Le Musée du Sahel a également souf- projet. Les Maliens ont aidé les Brémois à
Sahel de Gao, au Mali, qui a vu le jour en fert d’une grande instabilité des direc- réaliser leur programme, mais cette
1981. teurs (trois en quatre ans), due au man- action de coopération sans réciprocité
C’est dans le cadre de la nouvelle poli- que de motivation de certains et à réelle ne s’inscrivait dans aucun pro-
tique muséale adoptée lors des premières l’impatience d’autres face à tant de pro- gramme à long terme ni d’un côté ni de
journées d’études sur les musées au Mali, blèmes non résolus par l’administration l’autre. Le Musée de Brême désirait un
en mai 1976, que fut conçu un pro- centrale. De plus, le musée n’a jamais eu nouveau volet pour ses expositions, ce qui
gramme de musées régionaux dont celui que son directeur comme personnel per- n’était pas forcément compatible avec un
du Musée du Sahel de Gao. Cette nou- manent; tous les autres membres, au projet de création d’un nouveau musée
velle politique muséale recommandait la nombre de cinq, n’ayantsuivi aucunefor- au Mali. Dans ce cas, on pouvait difficile-
démocratisation des musées au niveau mation en muséologie, étaient des sta- ment parler d’une initiative locale ou
tant de la conception que des moyens giaires de passage, sortis de l’Institut nationale malienne. D’autre part, il
d’accès, des modes de communication, national des arts. Les différents directeurs n’existaitpas auparavant une tradition de
des programmes, des responsabilités, du Musée du Sahel ont eu, pour toute for-
pour en faire des institutions ouvertes, mation, un stage d’initiation à la muséo- 2. Voir l’article de Jean-Pierre Vuillemier
vivantes et populaires. I1 faudra attendre logie au Musée national de Bamako. I1 c Programmation de musée et politique de
développements, Museum, no 138, 1983,
fin 1979 pour voir démarrer concrète- faut ajouterà cela que le musée n’a jamais donnant un compte rendu des objectifs et du
ment les activités de préparation du disposé d’un budget propre. travail de ce musée.
232 Algha Oumar Konaré

dans lesquels fut effectuée la collecte des


objets, alors qu’elle aurait dû intéresser
tous les Touareg et tous les autres groupes
ethniques de la région comme les Son-
ghoy, les Maures et les Fulbe notamment.
L’ouverture de la première exposition
sur les Touareg à Gao en un moment de
tension politique fut interprétée par les
habitants de Gao, en majorité des Son-
ghoy, comme une provocation, une occa-
sion offerte aux Touareg de célébrer leur
victoire électorale sur les sédentaires. Les
Songhoy boudèrent les manifestations
inaugurales et le musée. I1 en fut de
même lors de la célébration de la Journée
nationale de sauvegarde du patrimoine
culturel en mai 1982. L’ouverture d’une
deuxième exposition sur les Songhoy,
45 annoncée bien avant l’ouverture du
L’oasis d’Atar-Chinguetti, en Mauritanie, collaboration entre le Musée de Brême et musée, n’arriva pas à atténuer complète-
1969. les autorités muséales maliennes. L’inno- ment les premiers effets. La population
vation que nous souhaitions réaliser fut de Gao ne se sent pas très directement
donc un échec par manque de suivi et de concernée par ce musée et ceux qui sont
continuité. concernés vivent ailleurs. Seuls les Toua-
Au départ, le projet fut de créer un reg arrivant à Gao connaissent l’existence
musée traditionnel entre quatre murs, d’une exposition sur un de leurs groupes.
même si des possibilités d’ouverture sur Le musée semble destiné plutôt aux
l’extérieur par l’organisation d’exposi- notables locaux et aux touristes. Les pre-
tions itinérantes ou d’ateliers d’artisans misres réactions des autorités régionales
avaient été retenues. L’approche pluri- ne furent d’ailleurs pas toujours positi-
disciplinaire, qui seule pouvait permettre ves : On ne peut amener une population
de prendre en charge l’ensemble des pro- toujours galopante à la recherche d’une
blèmes de développement, notamment alimentation à s’intéresser à l’archéolo-
de I’écologie, fut incomplète. Les con- gie, ou aux musées, ou aux peintures
cepteurs furent pour l’essentiel des socio- rupestres, tout simplement parce qu’il
logues, des historiens, des ethnologues s’agit de sa culture et de son dévelop-
extérieurs aux populations elles-mêmes. pement futur. Le préalable est d’abord
Le musée se voulait pluridisciplinaire. l’alimentation, c’est d’abord fuer
Mais la démarche, c’est-à-dire la réalisa- l’homme3. )>
tion au coup par coup d’expositions eth- A partir de là, il devenait impossible
nographiques sur certains groupes ethni- d’amener la population à participer au
ques avec un financement étranger, financement, àla gestion et àl’animation
posait un problème : certains groupes du musée. Signalons également que la
minoritaires se sentaient exclus. D’autre participation des représentants des autres
part, aucun programme complet, aucun États sahéliens, le Niger et le Sénégal
plan de développement n’existait pour notamment, s’est limitée, lors du col-
donner une vision globale du rôle du loque international de 1981, à présenter
musée. Ni l’histoire, ni l’archéologie, ni leur propre expérience muséale, et non
I’écologie ne paraissaient s’inscrire dans à essayer de voit comment on pouvait
un ordre de priorité, sans oublier que la ouvrir ce nouveau musée à tout le Sahel.
formation du personnel ne figurait dans
aucun programme. Les reZatìons Musée nationaZ de
Bamako-Musée du Sabed de Gao
L ’absence de partic*atìon de da
popuZation ZocaZe Le Musée national de Bamako a été c o n p
pour être le ccpoumon~des musées du
Le projet du Musée du Sahel fut débattu Mali. I1 doit être le complément, le point
en haut lieu, mais, à part la période de de coordination, la référence, une
collecte, tous les autres moments de mémoire de secours, l’atelier central, le
l’opération ne suscitèrent qu’incompré- laboratoire central de tous les autres.
hension de la part de divers groupes eth-
3. Déclaration du gouverneur de région lors du
niques de la région. La campagne de sen- premier colloque international de Gao sur le rôle
sibilisation n’a touché que les milieux des musees dans les régions sahéliennes, en 1976.
Des écomr~séesp o w le Sahel : un programme 233

L’intervention du Musée national à d’études sur les musées au Mali en 1985,


côté du service de la Division du patri- soutenue par la volonté des autorités du
moine, le service de tutelle des musées pays de résoudre le problème du local,
locaux, n’a pas été sans poser des pro- devrait permettre un redémarrage des
blèmes de compétence, pour ne rien dire activités du Musée du Sahel de Gao.
de la nécessité de redéfinir la position des I1 demeure cependant indispensable
musées locaux par rapport au Musée de formuler de nouvelles traductions de
national. En outre, le Musée du Sahel n’a la nouvelle politique muséde malienne si
entretenu de relations avec aucune autre l’on veut éviter de nouvelles <(pannes,
institution malienne, a fortiori avec les annonciatrices d’accidents ou d’un arrêt
institutions culturelles sous-régionales, définitif. Celles qui seront données reste-
en particulier les musées. ront sujettes à caution tant que seront
exclus du débat sur la sauvegarde du
NouveZZes idées pour une PoZitique patrimoine culturel les hommes de cul-
muséaZe ture n’ayant pas fréquenté l’école fran-
çaise. Le débat circonscrit aux seuls intel-
Une judicieuse exploitation des conclu- lectuels ne peut déboucher que sur des 46
sions tirées lors des dernières journées impasses, ne peut conduire qu’a des imi- La vie nomade au Niger.
234 A&a Oumar Konaré

rôle d’unités telles que les familles, les


tations plus ou moins camouflées, alors entre les mains de leurs propriétaires ou
<< personnes-ressourcesD, les anciens, etc.
qu’il s’agit d’inverser la tendance, de de leurs utilisateuts. I1 s’agira surtout
I1 y a d’abord la faible densité des
provoquer une rupture réelle avec l’héri- d’objets toujours en usage, participant à
populations (sept ou huit habitants au
tage colonial ou néocolonial. Seuls ceux lavie culturelle. Un objet qui <<vit > est un
kilomètre carré ; trente-trois millions
qui vivent leur culture et la font vivre objet conservé. L’exploitationde l’audio-
actuellement et cinquante millions en
peuvent penser à de nouvelles structures visuel permettra de prolonger la vie de
autonomes. I1 s’agit de choisir des voies
l’an 2000) sur de grands espaces non l’objet ou de le faire revivre. L’usage de
reliés par des voies de communication.
différentes en privilégiant les structures la radio, à l’échelle du Sahel, donc de la
traditionnelles d’éducation ou de nou- La multiplicité des États fait que les parole, de l’audiovisuel, la vidéo notam-
frontières politiques sont souvent artifi-
velles structures qui restent à inventer sur ment, de l’information donnera de nou-
le terrain. cielles et ne coïncident pas avec les velles dimensions aux écomusées.
regroupements culturels. I1 faut donc
Les nouvelles structures prendront en Chaque écomusée devrait prendre en
commencer par faire prendre conscience
charge de façon homogène I’éducation, charge tous les objets, tous les rites et
aux populations du Sahel qu’elles appar-
la culture et l’information. Elles devront signes, toutes les manifestations se dérou-
tiennent à un même écosystème, sans
intégrer également toutes les ressources, lant à l’intérieur de son territoire, en pri-
humaines et matérielles, du milieu. La
oublier leurs faibles revenus et les pro- vilégiant les séries. I1 assurera leur <<pro-
maîtrise d’une telle problématique au
blèmes de survie qui se posent à elles. priété culturelle )>, la propriété légale
Sahel implique la mise en œuvre d’une
Dans cette démarche il faut toujours gar- n’intervenant que dans le cas d’objets
der à l’esprit la conception que les popu-
véritable statégie sur une longue durée et modernes, sans propriétaire, ou ayant
lations ont de la nature. Pour elles, la
concernant plusieurs générations. I1 faut appartenu à des générations disparues, ce
nature est une richesse qu’il faut utiliser
certainement partir de sa culture propre, qui exclut la possibilité de leur attribuer
directement pour la survie du groupe,
mais il est également nécessaire d’exami- une valeur marchande ou d’en privilé-
dans l’immédiat, et non pour la satisfac-
ner les apports de la nouvelle muséologie, gier ou discriminer certains par rapport à
tion de besoins futurs. Sauvegarder les
en quête perpétuelle de l’homme, et de d’autres. I1 revient à chaque commu-
réfléchir sur l’écomusée comme étapeobjets, c’est certes les conserver avec tous nauté concernée de choisir selon ses cri-
leurs rites, mais c’est surtout créer les
dans une évolution, tant cette formule tères les objets à conserver, à faire vivre,
meilleures conditions pour pouvoir en
offre de perspectives dynamiques et nou- ceux qui présentent un intérêt pour elle
velles. recréer d’autres. Tant que l’artisan vit et ainsi que ceux qui peuvent intéresser les
respecte les traditions, tant que les rites communautés voisines et les e étrangers B
ProbZèmes dans un contexte af~cain demeurent, l’objet vivra. en général. Tous les objets pris en charge
par l’écomusée demeureront sur son ter-
L’approche écomuséale pose des pro- Propositions pour des écomusées ritoire, ne se déplaçant qu’avec la popu-
blèmes dans le contexte africain, car le lation ou ceux qui en ont la garde directe.
concept implique d’emblée la participa- Le Sahel devra être considéré comme un A moins qu’il y ait intention manifeste
tion d’autorités locales et d’une popula- ensemble dans lequel seront dégagés de les présenter hors de leur contexte
tion; mais quel type de gouvernement plusieurs <( territoires )> homogènes, acces- habituel.
peut mettre en place, et avec succès, un sibles, selon des critères qui seront déter- Les antennes pourront jouer un rôle
écomusée ? Celui-ci n’est-il pas l’instru- minés par les populations. I1 y aura d’identification, de coordination, de
ment d’une société conscientisée, avan- autant d’écomusées que de villages (ou programmation, d’animation.
cée, ayant résolu un certain nombre de groupes de villages), de campements de L’actuel Musée du Sahel de Gao pour-
problèmes politiques et dont les citoyens nomades (ou groupes de campements de rait être conçu comme un écomusée
bénéficient déjà de certains droits ? La nomades) présentant une homogénéité incluant des antennes, des parcours, le
volonté de s’assumer intégralement, qui linguistique, culturelle, ethnique. Cette tombeau des Askia, le cimetière royal de
est le fondement de l’écomusée, ne peut- entité nous paraît la plus intéressante Samé, etc., dans lequel pourraient fonc-
elle commencer dans le temps avant de parce qu’elle représente le lieu de l’éco- tionner un centre de documentation cul-
s’inscrire dans l’espace ? Dans sa défini- nomie vécue, les rites initiatiques, les turelle et un centre d’expositions itiné-
tion actuelle, ce type de musée ne prend entreprises solidaires. Ces écomusées se rantes pour le Sahel.
pas suffisamment en considération, ce voudront complémentaires et constitue-
nous semble, les biens immatériels (paro- ront des chaînes d’antennes. Certaines Les objectgs
les, rites, signes, etc.) si chers à nos socié- seront regroupées autour d’écomusées
tés de culture orale. Si l’objet n’est plus <<poumons B, comprenant entre autres le. La finalité des activités des écomusées
privilEgié, l’homme, c’est-à-dire le créa- siège de l’administration, des salles dans cette région devra consister à
teur, celui qui peut refaire et faire du d’exposition, des laboratoires, des ré: aiguiser l’esprit critique des popula-
nouveau, l’est-il davantage ? serves, des stations, des parcours, une tions, leur jugement, pour pouvoir iden-
Nous demeurons convaincus que la structure de recherche. Ces écomusées tifier leurs problèmes, à leur redonner
pratique de l’écomusée amorcée et <<poumons B disposeront de collections confiance et à les rendre responsables en
l’extension du débat à des hommes des constituées surtout d’objets défonction- tant qu’êtres dans la communauté en leur
cultures nationales non formés dans les nalisés et pourront être installés dans des permettant une certaine initiative per-
écoles étrangères entraîneraient la néces- chefs-lieux administratifs où des techni- sonnelle. Les écomusées doivent permet-
sité d’accepter divers modèles, donc ciens bien formés, unique personnel per- tre au Sahélien de s’assumer pleinement
diverses approches et traductions, de manent, veilleront à leur survie. dans son milieu. Les activités qui y seront
nouvelles formules dépassant les écomu- Les autres antennes ne disposeront pas menées seront diverses multiples et
sées, certaines privilégiant davantage le de collections propres, les objets restant seront réalisées par des équipes pluridisci-
Des écomuséespour /e SaheL : un programme 235

47
Au Niger, la piste de Zinder à Agadès.

48
plinaires qui devront faciliter davantage sanat ; les interprétations des relations Un puits dans la région d’Atar en
l’approche muséologique du Sahel. Les d’échanges commerciaux. Mauritanie.
écomusées ne sauraient justifier une con- Les écomusées devront offrir la possibi-
templation passive du passé ou du pré- lité de mettre en place de nouvelles struc-
sent, il leur faut s’intégrer aux actions tures éducatives mieux adaptées, des cen-
menées par l’homme pour survivre, à sa tres d’éducation populaire, des centres
recherche de la nourriture, de l’eau et à d’éducation rurale. Ils devront s’engager
sa lutte contre la maladie. réellement dans la promotion des langues
Comment mieux maîtriser les ressour- nationales par leur usage obligatoire et
ces hydrauliques ? Comment tirer le meil- par la collecte et l’exploitation des tradi-
leur parti de I’écosystème? Comment lut- tions orales. Ils seront alors les meilleurs
ter contre la dégradation des terres, le conservatoires des espèces végétales et
surpâturage, la déforestation ? Comment animales, des espaces et monuments clas-
lutter contre la désertification? Autant de sés. Centres de loisir, centres de docu-
questions qui seront le lot quotidien des mentation culturelle, ils seront aussi des
écomusées, qui, s’ils négligent les préoc- centres de solidarité, de promotion de la
cupations des populations, se condam- vie associative.
nent à être des cimetières. I1 leur sera
indispensable de procéder en s’appuyant Facteurs de réussite
sur les jeunes, pour les aider à faire une
collecte systématique de tous les objets, Associer les populations à toutes les pha-
de toutes les traditions, en voie de dispa- ses de réalisation des écomusées condi-
rition rapide. A travers des expositions, tionne leur réussite. Cette concertation si
les aspects les plus importants de la vie nécessaire paraît fastidieuse, lente, péni-
des populations, de leur environnement, ble, sinon inutile à certains. Elle ne sau-
devront être évoqués, de même qu’il fau- rait se réduire à des enquêtes sur le ter-
dra mettre en relief les problèmes rain, à des réponses à des questionnaires.
sociaux, et tous les éléments décadents de Pour qu’elles aient confiance, les popula-
nos traditions culturelles. tions doivent se rendre compte que les
Plusieurs autres sujets devront être évo- promoteurs des écomusées partagent leur
qués : l’histoire et la géographie des pays sort, sont partie intégrante de leur destin.
sahéliens, pour mieux souligner leur La réalisation des musées devra néces-
ancienneté, pour faciliter leur connais- sairement tenir compte des possibilités
sance mutuelle, pour montrer l’étendue des populations, leur éviter de lourdes
et la constance de la sahélisation ; les pro- charges récurrentes. Ces musées devront
blèmes écologiques spécifiques ; les tech- être le reflet des aspirations et des possibi-
nologies nationales, pour souligner les lités matérielles des populations, avec des
capacités d’adaptation aux contraintes de projets modestes, non ponctuels, mais
l’environnement sans l’aide extérieure, s’inscrivant dans un véritable programme
pour assurer le développement de cer- à long terme.
tains secteurs économiques tels que l’arti- I1 devrait être exclu de prélever des
236 A&ha Oumar Kotzaré

impôts supplémentaires pour réaliser ces I’être humain, de la nature qui I’en-
musées. Les populations devraient pou- vironne, des nécessités de la lutte pour
voir intervenir à travers leurs associations, la survie correspond à une vision eéco-
financièrement ou par leur engagement muséale )> qui se veut une approche, une
physique dans des activités et travaux. Les attitude : se connaître, se reconnaître,
associations traditionnelles seront très s’assumer. L’expérience écomuséale par-
méfiantes, peu réceptives et réticentes ticipera ainsi au desserrement de l’étau
face à ce genre de projets. I1 s’agira alors des fausses stratégies de développement
d’encourager la naissance de nouvelles qui sont responsables des faillites en cours
associations avec le concours d’émigrés dans nos pays. L’écomusée, en tant que
n’ayant jamais rompu avec leur milieu. mode de participation et mode de ges-
Les interventions extérieures devront tou- tion, sera une grande conquête dans le
jours être délimitées et prévues en accord domaine de la culture et de la vie tout
avec U chaque territoire D et devraient se court. Comme toute conquête, elle
limiter à la formation et à l’appui nécessitera des sacrifices, une certaine
technique. abnégation, du désintéressement, de
Le financement des musées par les l’amour.
États sahéliens nous paraît peu probable Si cette première étape ne devait pas
à l’heure actuelle si l’on tient compte de voir le jour, cela signifierait pour l’évolu-
la situation économique, et les projets tion muséale en Afrique, notamment au
sociaux seront encore longtemps ajour- Sahel, une mobilisation moindre des
nés. I1 faudrait insérer les écomusées dans populations pour la défense de leur cul-
le cadre des projets intégrés au niveau des ture, des dégâts culturels accrus condui-
États et des organismes sous-régionaux ou sant à l’asservissementet une perte totale
régionaux et explorer les possibilités des d’identité culturelle. Finalement les che-
écomusées associatifs ou communau- mins du combat culturel se confondront
taires. plus que jamais avec ceux du combat
La perception que le Sahélien a de pour la vie.

Fernanda de Camargo e Almeida-Moro Travailler dans un quartier, utiliser toutes Tout ce que nous voulions, c’était préser-
ses potentialités, donner conscience à la ver le quartier, le découvrir et accroître ses
Née à Rio de Janeiro. e Bachelor of Arts >> d’études communauté en l’unissant directement à potentialités. Nous avons découvert des
et d’histoire des musées. e Master of Arts x et u Phi- l’environnement naturel et culturel, lieux et des personnes, nous avons vécu
losophy Doctor )> en archéologie. Ancienne direc-
trice générale des musées de 1’État de Rio deJaneiro
cultiver ses traditions, faire fructifier ses intensément avec les premiers comme
et présidente du Conseil pour la protection de racines, stimuler sa créativité, préserver avec les secondes, nous nous sommes
l’héritage culturel. Directrice de recherche et des l’environnement global : voilà le sens du attachés à favoriser leur développement
programmes appliqués de Mouseion ; membre du projet que nous avons pour la première en utilisant les ateliers des artistes, les
Conseil scientifiquedu Musée d’astronomiede Rio. fois tenté de mettre à exécution vers musées et d’autres institutions comme
Présidente du Comité national brésilien de
I’ICOM ;membre du Conseil exécutifde I’ICOM et 1968, àRio deJaneiro, dans le quartier de points de rencontre et de création et, sur-
de la Commission des musées de l’Union interna- Santa Tereza. tout, le marché du quartier comme foyer
tionale des sciences anthropologiques et ethnogra- d’animation éducative et culturellez.
phiques. L’équipe s’est toujours efforcée d’être
Le musée conceptueZ du quartìer
Un groupe de personnes enthousiasmées 1. Noyau du futur Mouseion - Centre de
par l’idée (l’ancienne équipe Cepi 1 ) recherche en muséologie et en sciences de
l’homme - , institution qui a entrepris divers
avait décidé de sortir dans les rues de ce programmes et projets de recherche et de
quartier pittoresque, situé sur une hau- réalisation dans le domaine de la muséologie
teur de Rio, où certains d’entre nous différente à Rio de Janeiro.
2. Dans le sens qui devait être ultérieurement
habitaient et où d’autres travaillaient. analysé par Sven Lindquist dans G ä u där du
Nous’ n’avions aucune idée préconçue. stà?..
Sä0 Cnitóvão :L’écomusée d’un qzlartier 237

quasi invisible, comme transparente ;elle développer diverses facettes du projet.


animait, elle participait, mais sans inter- Nous pourrions même dire que c’est là
férer, sans chercher à modifier en profon- que nous avons mis en place un projet
deur les structures existantes. relevant de ce que nous appelons I’éco-
En 1970, nous avons présenté cette muséologie intégrée.
expérience si vivante de muséologie C’est en général à São Cristóvão que
active à Georges Henri Rivière et à l’enfant carioca4 établit sa première rela-
Hugues de Varine qui nous ont apporté tion profonde avec le concept d’univers,
un soutien sans réserve et nous ont invité avec l’environnement naturel, avec le
à participer plus activement aux travaux passé. C’est là, qu’amené par ses parents,
du Conseil international des musées le petit enfant découvre ces choses fasci-
(ICOM). A l’époque, nous avions donné nantes : l’immense parc de la Quinta da
à notre projet le nom de Musée concep- Boa Vista, le vieux bâtiment et les collec-
tuel du quartier. L’espace du musée était tions du Musée national, les coupoles
le quartier tout entier, avec ses partici- argentées de l’observatoire national où
pants, sa vie, ses structures, ses memora- la grande lunette permet de voir les
bilia. Le programme, qui prenait tou- étoiles >>.
jours plus d’ampleur, a été redéfini C’est là encore qu’il découvre
chaque fois que cela était nécessaire. Plus l’immense marché du Nordestes, aussi
tard, vers 1971, nous nous sommes rendu bruyant que haut en couleur, où l’on
compte, à la Conférence générale de peut apercevoir, entre des montagnes
I’ICOM, qui se tenait à Paris et à Greno- d’objets et de nourritures, des chanteurs
ble, que ce mouvement de muséologie et des conteurs d’histoires. On y trouve
ouverte, de muséologie différente, plus
participative, se développait dans le
monde entier et qu’il était, d’une cer- 3 . C’est la conception de la vie communautaire
associative que nous avons proposée en 1968 avec
taine façon, lié aux concepts du jeune le projet de Santa Tereza, et largement
mouvement écomuséologique3. développée à partir de 1973 avec le projet du
Musée des images de l’inconscient (voir <( Musée
des images de l’inconscient, Rio de Janeiro : une
São Cristóvão, écomasée intégré expérience vécue dans le cadre d’un hôpital
psychiatrique,, Mziseum, vol. XXVIII, no 1,
1976, p. 35), puis formulée en 1974 2 l’occasion
Nous avons persévéré dans cette voie et d’une consultation de l’Unesco et du PNUD
lorsque nous sommes a116 travaillerà São (Programme des Nations Unies pour le
Cristóvão, nous avons commencé à plan- développement) pour El Salvador. Nous
continuons à nous en inspirer pour tous les
ter les semences d’un nouveau projet de projets de musées vivants et ouverts que nous
musée ouvert. Notre territoire? Le quar- cherchons à réaliser.
tier de São Cristóvão, un quartier magni- 4. Le terme Cmiocu, qui désigne initialement
les personnes nées à Rio de Janeiro, s’applique
fique situé au nord de Rio. L’idée de aujourd’hui à toutes celles qui y vivent.
départ pourrait sembler être la même, 5. Feira do Nordeste : marché où l’on trouve
des produits du nord-est du pays, où
mais le quartier étant d’une nature tota- s’approvisionnent les populations qui ont émigré
lement différente, cela nous a amenés à vers le centre-sud (Rio).
49
MUSEU NACIONAL DE HIST~RIANATURAL,
São Cristóvão. Un Wunderkabinet où les
enfants de Rio ont découvert le patrimoine
culturel.

50
Le plafond de Ferret au Musée Primeiro
Reinado : ctLe Ciel, dont Monsieur le curé
nous a parlé. )>
238 Femanda de Camarco e AL’meida-Moro

51
Découverte des jouets scientifiques dans le
Parc São Cristóvão.

aussi de gigantesquesf a v e h agglutinées un tout harmonieux, sans cloisons étan- avec I’écomusée du quartier, une institu-
sur les pentes des collines, des églises qui ches, qui agit comme une totalité indivi- tion de plus; il fallait structurer notre
ne désemplissent pas, des écoles de sible. C’est ainsi qu’il continuera àvivre, écomusée en intégrant les institutions
samba6 dont on entend la musique, des en se développant de façon active, riche existantes.
firmes commerciales -grandes, moyen- d’émotions. D Le Musée du Primeiro Reinado, ancien
nes et petites -qui s’allient à de puissan- manoir de la marquise de Santosg, a joué
tes industries. Ce quartier, où, au temps Une coopérative de musées au un rôle déterminant dans la première
de I’Empire7, ont résidé la famille impé- service du quartier partie du programme, sur la base des
riale et la noblesse, est ensuite devenu un recherches que l’institution MOUSEION
fief de la haute bourgeoisie, puis d’une Lorsqu’en 1980 nous avons assumé la res- consacrait au quartier. A aucun moment,
classe moyenne aisée, tout en laissant ponsabilité de la direction de l’inspection cependant, ce rôle de meneur de jeu ne
affluer vers les collines une population des musées de l’État, puis, peu après, s’est exercé au détriment de la créativité
moins favorisée qui a formé les favelas. celle du Musée du Primeiro Reinado- et des projets des autres institutions, car
Lorsque l’ancienne équipe Cepi s’est unité pilote des musées de I’État, elle- chacune, dans le cadre d’une partici-
mise à travailler à São Cristóvão, il y a de même située à São Cristóvão- pation active, proposait son domaine
cela quelques années, elle croyait entre- nous y avons vu une possibilité d’accélé- d’action spécifique.
prendre un programme comparable à rer la réalisation de notre projet, et d’y I1 s’agissait de relier entre elles les acti-
celui qu’elle avait mis en oeuvre à Santa associer, comme structures d’animation, vités du quartier, de faire en sorte que la
Tereza. Mais chaque quartier a sa propre tous les musées du quartier, publics et communauté intensifie sa participation
réalité et appelle une réflexion, un pro- privés, sans compter l’observatoire créative et spontanée, de favoriser ainsi
cessus de sensibilisation dsérents. Nous national, qui est aujourd’hui un musée, transactions et rencontres, de dynamiser
avons dû pénétrer dans le quartier, faire le parc de la Quinta da Boa Vista, les éco- les traditions.
un travail poussé de prospection et les de samba, les autres établissements Notre idée était de préserver la vie. Le
d’analyse, avant de nous attelerà la réali- éducatifs et culturels -bref, tout un patrimoine naturel et culturel, y compris
sation concrète de ce que nous considé- ensemble d’institutions qui animeraient l’activitéquotidienne, étaient interprétés
rons comme un écomusée intégré. le quartier, motiveraient la commu- comme un tout -l’histoire vivante
Finalement nous sommes arrivés à la nauté, comme I’équipe Cepi l’avait fait à d’une communauté sur un territoire.
conclusion que la communauté n’était Santa Tereza, dans le cadre de son pre- Au Primeiro Reinado, nous avons
pas uniquement formée de ceux qui mier programme. essayé de jouer la carte de la participation
habitaient le quartier mais qu’il fallait Si cette fois nous avons souhaité nous de la communauté dans la vie quoti-
aussi prendre en compte ceux qui y tra- appuyer sur des institutions, cela tient
vaillaient et par conséquent l’utilisaient non seulement à l’immensité du quar- 6. Gén6ralement implantées dans des faveLa1,
et y vivaient du lever au coucher du soleil, tier, mais aussi ànotre volonté de les inté- les écoles de samba -groupes de création de
sambas-créent non seulement la musique, mais
ainsi que les habitués du marché du grer à notre travail, de former un tout aussi le thème et les costumes présentEs dans les
Nordeste, musée animé du dimanche, où homogène, propice à I’élaboration de la défilbg de carnaval.
7. Epoque de l’histoire du Brésil comprise
tous les habitants de Rio originaires du vision interdisciplinaire qui doit présider entre 1822 et 1889. .
Nordeste se retrouvent pour passer cette à la collecte des éléments de la mémoire 8. F. de Camargo e Almeida Moro, Cartas de
journée. <<Tout cela forme un tissu collective, autrement dit, de former une Sü0 Crirtóvüo. Rio de Janeiro, 1980.
9. Domitila de Castro Canto e Mello, faite par
vivant, dont les fibres étroitement enche- coopérative de musées au service du quar- l’empereur Pedro Ie‘ vicomtesse puis marquise de
vêtrées sont indissociables. Le quartier est tier. I1 était hors de question de créer, Santos.
São Cr&óvão :/’écomusée &un quartier 239

dienne du muséelo. I1 fallait pour cela produisaient au musée ; puis, un groupe


ouvrir entièrement l’établissement aux de jeunes est venu y composer des airs et
visiteurs et les faire participer jusqu’à la les répéter jusqu’à ce qu’un beau diman-
routine quotidienne du personnel du che, se sentant prêts, ils donnent un con-
musée. Nous nous sommes efforcés de cert dans le kiosque de la place à côté du
définir un projet assez ouvert pour que marché. Nous avons échangé des visites
nous puissions accepter la participation avec les commerçants du quartier, les
de la communauté telle qu’elle nous était employés des garages du voisinage, les
offerte et pour que la communauté puisse élèves des écoles et les habitants desfave-
de son côté nous accepter. Nous ne pou- l‘as et nous en avons reçu une aide. Nous
vions cacher à la communauté les points avons réussi à nous procurer un autocar
faibles du musée et si, d’une part, nous pour le transport des jeunes enfants du
tentions de susciter une interaction bidonville, qui venaient partager de
collectivité-patrimoine, en considérant façon intense la vie du quartier”.
que cette dernière n’était pas seulement Un jour, plus de cinquante enfants ont
consommatrice mais aussi ressource pri- débarqué à l’observatoire national.
mordiale, nous démontrions, de l’autre, L’autocar s’est arrêté à côté du parc où les
la nécessité d’une équipe de spécialistes coupoles de l’observatoire se mêlent à
qualifiés, qui serait également participa- d’immenses manguiers qui croulaient
52
trice et consommatrice. sous les fruits. Les enfants se sont précipi- A la do des aliments qui
tés, ont grimpé aux arbres, en sont redes- ont été transportés Sur plus de 2000
Vivre de ” z é e cendus en se gavant de mangues ; certains kilomètres.
responsables les regardaient avec stupé-
Le mythe du Musée du Primeiro Reinado, faction ; d’autres essayaient de rétablir
installé dans le manoir de la marquise de l’ordre ; pourtant les instructions étaient
Santos, la favorite de l’empereur, a été de laisser faire. Ce jour-là, les enfants
balayé : ce qui importait maintenant, n’ont pas vu les étoiles. Ils ont mangé des
c’était la découverte d’une demeure mangues! Le lendemain, l’autocar bondé
incroyable, avec un immense potentiel de est revenu sous les manguiers avec de
beauté et un intérieur rehaussé de pein- nouveaux amateurs. Ceux de la veille
tures et de sculptures. Tel que nous sont allés voir les étoiles. Ceux qui
l’avons interprété, ce manoir est devenu venaient pour la première fois ont mangé
une maison abritant désormais une acti- des mangues. Le troisième jour, tous les
vité culturelle intense, d’accès facile, où enfants ont vu les étoiles. Le principe du
les personnages historiques sont intégrés
avec simplicité à la vie quotidienne. 10. F. de Camargo e Almeida Moro, e0
L’équipe avait, entre autres projets, museu como sistema de educacäo nao formal )>,
D. O. Bahia, 19 décembre 1984.
celui d’amener la communauté du quar- 11. Comme le dit Pierre Mayrant :
tier à utiliser l’espace du musée pour ses aL’écomusée n’est pas visité, il est vécu)>(selon
une communication présentée lors du Séminaire
propres activités de création. Au début, d’oaxtepec, au Mexique, en 1984 : al’écomusée
les groupes de musiciens du quartier se de Haute-Beauce .).

53
Projets de retour.. . valises à la Feira do
Nordeste.
240 Fernanda de Carmargo e Almeida-Moro

programme, dès le début, était de ne pas social, ont découvert ce qu’est un bien route de la soie et l’Inde des épices;
nous opposer au cours des choses. culturel. l’Afrique et la réalité qui est la nôtre ; ce
Un autre jour, nous avons décidé Nous avons vu que la communauté que nous étions et ce que nous sommes
d’amener au Primeiro Reinado des participait activement et nous avons senti devenus.
enfants qui n’étaient jamais .sortis du qu’il en serait toujours ainsi. Bien amé- Tout en présentant une collection de
bidonville. Nous avons donc fait décou- nagé, ce vieux musée est devenu l’un des sculptures, le musée avait transformé une
vrir notre musée à un premier groupe rouages fondamentaux du développe- zone pour organiser un grand marché aux
d’enfants. L’effet produit sur eux par le ment de l’ensemble, ouvert sur le pré- épices. Ce marché fut l’un des éléments
manoir aux murs peints fut inimagina- sent, et mis au service d’idées neuves. Car qui nous aida à attirer, pour la première
ble. Auparavant, la relation de ces ce qui compte, ce n’est pas toujours le fois, les habitués de la foire du Nordeste.
enfants au rêve passait par les allégories musée lui-même, mais l’art d’en tirer C’est peut-être lui qui a véritablement
des écoles de samba, qui, comme toutes parti. dynamisé l’exposition. Nous avons égale-
les allégories, tendent à la caricature’z. Le parc et les maisons du quartier ment modifié la zone réservée aux exposi-
Leur relation aux scènes à la fois néo- donnent la vision de l’environnement, tions permanentes du musée, et agencé
classiques et tropicales peintes sur les l’observatoire, celle de l’univers, le les collections elles-mêmes en fonction de
murs13 et aux subtiles nuances de la Musée national, celle du monde, le l’objectif de l’exposition.
lumière tamisée des lieux fut telle qu’en marché du Nordeste, une sensation La communauté a été interpellée par
observant ces petits visages, ces gestes d’enchantement pour tous et de nostal- l’exposition, et c’est peut-être là la meil-
expressifs, nous (les membres du person- gie pour certains. Quant aux écoles de leure réaction que nous pouvions espérer.
nel), qui par obligation venions tous les samba, elles génèrent la joie. Le Musée A travers ces interrogations, nous avons
jours dans ce musée, avons pu voir ce que du Primeiro Reinado était indissociable pu aborder, parallèlement, la probléma-
cela signifie de découvrir quelque chose de cet ensemble, car c’est à lui qu’il tique du marché de São Cristóvão,
qu’on n’avait jamais imaginé. Mais un incombait de montrer que de la diversité l’analyser et la lier au programme. Con-
des grands moments de la visite fut celui de notre peuple est née une certaine trairement à ce que beaucoup pensent, le
où les enfants se sont jetés à terre pour symbiose et d’apporter certaines réponses marché du Nordeste àSão Cristóvão n’est
voir le plafond avec les délicats reliefs de à travers son action d’animation. pas une île, un compartiment étanche au
Ferret14 qui représentent le Panthéon Mais les collections et peintures des sal- sein de la communauté ; nous y voyons
classique. Leur émotion a été si forte les ne sauraient à elles seules montrer un lieu d’échange, engagé dans un pro-
qu’elle nous a gagnés. J’ai entendu un l’origine de cette symbiose. Nous avons cessus d’intégration. L’exposition La
enfant qui disait à un autre: <<Regarde, donc eu recours à des expositions tempo- route des Indes, avec son marché, nous a
c’est le ciel dont nous parle Monsieur le raires axées sur l’étude de thèmes déter- permis d’élargir le dialogue avec les habi-
curé. )> minés : Le curnavaL de Venise, Le goût au tués de la foire. Comme pendant notre
temps de L’Empire, La route des Indes. travail sur les favelas, notre souci était
Le passé au présent Prolongeant les interrogations de la d’ouvrir des aires de communication et
communauté, ces expositions avaient non de modifier des structures.
Tisser des liens au sein de la communauté toutes comme thème fondamental le pro- Chez certains amateurs, qui se fiaient
n’est pas chose facile, de même que la cessus de l’acculturation. à leur première impression et ne pous-
faire participer activement, et il est Pour ce qui est du Carnaval de Venise, saient pas plus loin l’analyse, on a pu
encore plus difficile de donner corps à un nos travaux ont porté sur son origine et observer une tendance à ne voir dans le
territoire ouvert, sans imposer de bornes sur son évolution. Nous avons recréé, au marché de São Cristóvão qu’un << écomu-
ni de servitudes. C’est peut-être de là que musée, la Venise du X V I I I ~siècle en pre- Sée D. Mais c’est une erreur : le marché fait
venait la fascination que le programme nant comme référence la réalité des écoles partie intégrante de São Cristóvão, de son
exerçait sur nous. Un des points les plus de samba. Avec l’exposition Le godt au environnement ; il est impossible de le
importants était de parvenirà harmoniser temps de l’Empire, nous avons analysé la considérer isolément. Ce n’est pas une
les désirs ; le moyen le plus facile de le maison elle-même comme véhicule des
12. Les intrigues imaginées par les écoles de
faire, et même le seul, était l’acceptation acculturations que nous avons absorbées samba comportent des allégories illimitées, d’une
de l’autre tel qu’il est, les découvertes et à travers le métissage et la formation du richesse surprenante.
les redécouvertes. Parfois, une institution goût de l’époque16. 13. Du fait du processus d’acculturation, une
iconographie tropicale est venue s’ajouter 1
devait faire un effort d’ouverture15. Le but de l’exposition intitulée Lu l’iconographie néo-classique. L’effet ainsi produit
Tel n’a pas été le cas du Musée national route des h d e s était d’illustrer la rencon- est considérable.
d’histoire naturelle. L’ancienne Maison 14. Marc et Zéphyrin Ferrez sont venus au
tre des races, des cultures qui nous ont Brésil avec la mission Lebreton (mission
des oiseaux, qui est le musée le plus formés, depuis l’arrivée des Européens au française).
ancien du pays, fascine par ses collections Brésil et celle des autres populations qui 15. René Rivard. e Que le musée s’ouvre ! ...
ou vers une nouvelle muséologie : les écomusées
diverses : momies, objets indigènes, col- ont suivi et de montrer comment nous et les musées ouverts., p. 49, Québec, 1984
lections archéologiques, herbier, flacons percevons tout cela. Réalisée la même miméographié. La notion de visiteur, celle d’un
contenant des serpents, sans parler de année que les rihes et belles expositions public, est remplacée ici par celle de population;
elle s’étend 1 tous ceux qui occupent le territoire
l’antique Cabinet des curiosités. Si cer- sur les découvertes, organiséesà Lisbonne desservi par le musée : jeunes, ouvriers,
tains muséologues réclament une muséo- sous l’égide du Conseil de l’Europe, intellectuels, groupes spécifiques et autres. Elle
logie plus moderne, la communauté, est un facteur d’intégration fondamental.
notre idée, qui était simple, procédait 16. Nous avons largement bénéficié de l’aide
elle, <c aime >> le Wunderkabinet -le d‘une démarche inverse17. Nous mon- et des conseils du regretté professeur Mario Praz
musée par excellence, le lieu où tous les trions notre vision de la question : (Italie).
17. Voir l’article de Y.R. Isar, %Lesdecouvertes
enfants de Rio, quels que soient leurs l’Europe d’autrefois ; l’Asie et la notion portugaises et l’Europe de la Renaissance)>, dans
croyances, leurs traditions et leur milieu d’Inde en tant qu’Eldorado; l’Inde de la Musesm, no 142, 1984, p. 92.
São Crastóvão :Péco?nusée d’un quartier 241

foire aux échantillons. On se tromperait per nous a amenés à porter une attention
en imaginant que c’est une transposition toute particulisre à l’équipe de base qui
pure et simple du Nordeste. Non ... s’il appuyait nos efforts. Un des principaux
représente effectivement une première écueils de l’action communautaire est la
tentative d’interprétation d’une mélan- tentation constante d’outrepasser les
colie, d’un besoin de se raccrocher à sa limites de sa mission et souvent d’occu-
propre nostalgie, de la préserver, c’est per, involontairement, le territoire des
aussi un lieu d’échange et par l’échange autreSIS. Le personnel du musée doit
il permet non seulement d’exister, mais analyser, catalyser, tout en demeurant
aussi de posséder, et c’est à ce niveau que invisible, pour que le jour où nous
les marchés, en liaison avec d’autres devrons quitter la direction du musée,
structures, développent leur communica- d’autres puissent plus facilement pour-
tion avec la communauté. suivre notre action.
Sur ce marché en perpétuelle muta- Aujourd’hui, la communauté mène
tion, où les céramiques et les vanneries du déjà seule de nombreuses activités. Pour
Nord côtoient les farines, les assaisonne- d’autres actions, chacune des institutions
ments, les plats de toutes sortes, on voit qui intervient encore s’emploie àla dyna-
passer des conteurs, des chanteurs, des miser. L’idée d’appeler notre projet Eco-
groupes de personnes arrivées depuis musée intégré de São Cristóvão corres-
longtemps du Nordeste, d’autres, qui en pond à la conception d’un espace vaste,
sont venues depuis peu, des habitants du sans limites définies, sans ingérence des
quartier, de la ville, du pays. Certes, il y pouvoirs publicsls. C’est un projet de
règne un parfum de nostalgie car les gens participation de la communauté, sans
du Nordeste y mêlent le passé au rêve et règles étroites, où l’on apprend que patri-
font de leur lointaine terre l’Eldorado moine, territoire et communauté sont et
irréel de leurs songes. Mais parallèlement, doivent être àjamais imbriqués.
de nouvelles idées surgissent; les nouvel-
les terres inspirent de nouvelles amours, [Traduit du portugais]
le marché fait partie de la vie quotidienne
du quartier. C’est à travers lui que les 18. Nous nous itions particulierement
coutumes des gens du Nordeste se propa- préoccupés de cette question pour le Musée des
images de l’inconscient. Voir Museum, vol.
gent au sein de la communauté, dans un XXVIII, no 1, 1976.
mouvement de flux et de reflux qui est la 19. Citons de nouveau René Rivard, ibid. :
Le support gouvernemental n’est pas toujours
8
vie même. une condition sine qua non de la création d‘un
L’enchantement de vivre et de partici- écomusée. D

Heimatmzcsezcm : m e bistoire ozcbfiée


Alfred0 Cruz-Ramírez Dans ce dernier article de ¿a revue, seum, le musée du terroir lorsqu’on sere-
l’auteurjette u n regardsur un précurseur mémore l’usage qui en a été fait par les
Né à Mexico, 1956. F i t ses études en histoire de tombé dans ¿’oubli.Ilnous montre com- idéologues de l’Allemagne nazie.
l’art à l’Universitéde Paris-I. En 1981, entreprend ment les idées gui étaient 2 la base de sa Grâce àdes études récentes, on connaît
des recherches en muséologie et s’intéresseaux pro- création et quifont partie dupatrimoine le rôle assigné aux arts dans la politique
blèmes de la programmation culturelle. A égale-
ment organisé au Musée des enfants (paris. MAM, muséoologique ’Ont est ’Orti le culturelle du troisième Reich et l’intérêt
1984) l’exposition Fête des morts au ifexique. ment d6.f éCOmuJées fgrefzt perverties qu’elle a accordé à la formation des
a$n de servir ¿es buts ultranationa¿istesde collections’ ; quant aux musées, d’une
l’Allemagne nazie. Il vu suns dire que n i part ils ont été assainis, c’est-a-dire qu’on
l’auteur n i ¿a rédaction n ‘ontl’intention en a exclu l’art <dégénéré>>,et, d’autre
d’étub¿ir une comparaison entre les éco- part, on y a introduit une pédagogie per-
musées actuels et les Heimatmuseen de mettant d’exalter les valeurs du régime
l’époque. politique de l’époque.
Parallèlement à l’institution muséale
I1 n’est pas étonnant que dans la généalo-
1. Hildegard Brenner, La politique artistique
gie des écomusées on oublie souvent de du national-socialisme, p. 137-147, Paris,
parler d’un parent proche, le Heimatmu- François Maspero, 1980.
242 ALfredo Cmz-Ramirez

traditionnelle, on a vu surgir une expé- Dans cette démarche muséographi-


rience sans précédent qui, pour la pre- que, on retrouve l’application des formes
mière fois, allait remettre en cause le modernes de présentation issues du tra-
musée en tant que lieu de conservation à vail des artistes et des désigneurs de
l’usage des élites cultivées, et énoncer les l’époque3, que le régime lui-même avait
principes d’une muséologie liée à la vie combattus. Ce n’était qu’au niveau de la
de la communauté. I1 s’agissait du musée présentation qu’on pouvait croire à une
du terroir, existant bien sûr depuis la fin certaine scientificité, car le prétendu dis-
du X I X ~siècle, mais qui subit des modi- cours scientifique n’était qu’une réduc-
fications radicales pour devenir un sup- tion systématique des sciences à des pré-
port de la propagande nationaliste et un jugés, et une justification à l’orientation
véritable outil pédagogique. qu’on donnait aux nouveaux musées : << I1
Ce nouveau type de musée fut connu à s’agit donc, pour les Heimatmzseen, de
travers deux articles publiés dans la revue former, chez l’individu, un état d’esprit
Momeion, signés par les conservateurs qui, d’une manière ou d’une autre,
allemands O. Lehmann, en 1935, et l’attache indissolublement à sa patrie, à
J. Klersch, en 1936*. Le conservateur ce qui constitue les assises de sa vie ...
Klersch voit dans la multiplication des Ainsi s’est opérée une transformation
musées du terroir la réaction aux trans- profonde de l’essencemême de la notion
formations dues à la guerre et à la crise du musée, sans qu’ait été abandonné
économique mondiale et l’explique pour autant un élément spécifique du
comme étant l’expression d’un besoin de caractère allemand, à savoir le souci de
cohésion sociale et de réconfort : <<Le bases scientifiques 4. )>
renouveau des forces et des énergies de la Dans le texte de Lehmann, on peut dis-
nation, au lendemain de la guerre, pro- cerner des principes muséologiques nova-
voqua dans ce domaine une profonde teurs : prise en considération des cultures
transformation ;plus le public se détour- populaires, en tant qu’élément vivant, et
nait du musée style ancien, plus il vouait de la relation individu-environnement;
d’intérêt au nouveau type du Heimatmg- proposition d’un travail à partir d’une
s e z m . , Pour Lehmann, le mouvement vision d’ensemble sur les activités humai-
apparaissait comme <( une poussée issue nes, afin de mieux comprendre la vie et
des forces élémentaires)>. l’évolution des populations ; le musée
Les conservateurs allemands étaient considéré comme élément actif dans
conscients de la relation existant entre la l’éducation.
crise et le phénomène muséal. Celui-ci a A la même époque, les musées ethno-
été interprété comme l’expression pres- logiques en France sont conçus dans
que instinctive d’un rattachement des l’idée d’en faire des conservatoires et des
54 individus àla terre natale, et ainsi on peut laboratoires consacrés à l’étude des objets
situation d e la paysannerie avant
<< La
comprendre les raisons encourageant la traditionnels. Le Musée des arts et tradi-
l’abolition du servage >),exemple des
moyens graphiques utilisés dans un but création des musées du terroir et le rôle tions populaires, créé en 1935, avait pour
didactique (illustration dans Der que ceux-ci ont joué dans la reconstitu- but de préserver des collections d’objets
Schhzgsbrief; Berlin, 1938). tion d’une image morale des individus et et de documents, de les exposers, et sem-
du pays. Le Heimatmzsezm , intégré à un blait se destiner à la recherche 6.
vaste programme de propagande, devait
fonctionner sur des bases scientifiques et SìmpZfications de Z’histoire
non pas sur des critères esthétiques et de
collectionnisme ; mais par support scien- L’article de Klersch porte plus concrète-
tifique on entendait des arguments fon- ment sur la création d’un nouveau
dés sur des déformations des sciences, et
notamment des sciences naturelles, dont 2. Otto Lehmann, uL’évolution des musées
l’intention était de démontrer la supério- allemands et les origines des Heim&museen )>,
Mouseion (Paris), vol. 31/32, 1935, p. 111-117.
rité du <<peuplearyen >>.A part ce fond J. Klersch, <(Unnouveau type de musée, la
idéologique, apparaît cependant une Maison du pays rhénann, Mouseion (Paris), vol.
33/36, 1936, p. 7-40.
démarche novatrice : les techniques 3. John Willet, Art andpolitics in the IVeleimar
muséographiques devaient tenir compte period the new sobriety, 1917-1933, Londres,
des usagers et illustrer d’une manière Thames and Hudson, 1982.
4. O. Lehmann, op. cit.
claire et accessible un sujet traité << scienti- 5. G . H. Rivière, <<Myexperience at the Musée
fiquement>. Cela dépassait le travail d’ethnologieB, conférence donnée au Royaume-
Uni, au Huxley Memorial, en 1968. Voir le
d’exposition, simple accrochage, pour dossier du Musée des arts et traditions populaires
tenter de faire passer une information : (MATP), Paris, ICOM/ Unesco.
l’espace muséal était alors envisagé 6. G. H. Rivière, <(LeMusEe du TrocadErou,
Jlach rehttr Dnhrhcit hat Zríbtinenlchaft í h m UrJpmnp In @” article icrit dans la revue Cahiers de La
unb in dtlanptnldjolt un& in unctd)tec demalt, bit man mon altasber comme un lieu de communication, où RépubLique des Lettres, des sciences et des arts
trnchttn mill.“ -
al8 unrichte demohnhtít htranotaoetn hat unb nun far R t h t
l’objet allait perdre son caractère fétiche. (Paris), Musées X I I , 1930.
Heimatmuseum : rine histoire ozcbliée 243

musée, le Haas derRheintschen Heimat, ecclésiastiques ; les villes rhénanes et leur


la Maison du pays rhénan, inaugurée à bourgeoisie ; la population agricole du
Cologne en 1936 par Goebbels. Ce pays rhénan ; l’économie rhénane et ses
musée a été créé à la suite d’une exposi- ouvriers’. )>
tion commémorant le millénaire de l’an- On voit donc que l’histoire du pays
nexion de la Rhénanie à l’Empire alle- rhénan a été réduite à une histoire du
mand. Les sujets traités étaient de carac- pouvoir sur un schéma hié5archique qui
tère historique, sans laisser de côté la vie montre l’importance que 1’Etat avait eu à
1
artistique, artisanale et économique. Le tout moment dans la formation et le pro-
projet du nouveau musée était de se con- grès de la nation.

sacrer à la vie de la région et de se rappro- La production culturelle était abordée
cher ainsi des musées du terroir, àla diffé- sous un aspect politique uniquement;
rence près qu’il n’existait pas de lorsqu’on parlait d’organisation etclé-
collection constituée et que les concep- siastique, c’était en termes d’Église-Etat,
teurs pouvaient ainsi appliquer les nou- et l’art religieux, par exemple, n’était
veaux principes exposés par Lehmann. Le considéré que comme une ((preuve)> de
mot a musée )> ne convenait d’ailleurs pas progrès social. Dans le conflit catholique-
à la réalisation envisagée et, au lieu d’un protestant, on exaltait le progrès dû à
U musée D rhénan, on a vu surgir <<la Mai- l’implantation du capitalisme protes-
son, du pays rhénan. tant. La présentation de la vie agricole
Ce nouvel espace devait se limiter à était réduite à la description des formes
l’illustration de l’histoire locale et de la de propriété de la terre depuis le Moyen
spécificité du territoire. La tâche n’était Age jusqu’à la création d’un Ministère
pas simple, étant donné que la diversité nazi de l’agriculture. En effet, le passé
des populations sur le territoire considéré était ramené au présent, exaltait le res-
et les mouvements de migration pou- pect de l’ordre établi et proposait une vue
vaient mettre en cause l’idée de l’homo- idyllique de l’avenir : <(LeHeimajma-
généité du pays rhénan. Ainsi le projet seam ne doit pas être un royaume des
muséographique s’est limité à traiter morts, un cimetière. I1 est fait pour les
l’histoire à partir de Charlemagne vivants, c’està eux qu’il doit appartenir,
jusqu’à l’époque contemporaine. et ils doivent s’y sentir à l’aise; or les
Klersch admet que les musées du ter- vivants sont éternellement en marche
roir reposaient traditionnellement sur entre hier et demain. Le musée doit les 55
l’esprit libéral régissant la collecte et la aider à voir le présent dans le miroir du a Lavie paysanne )>, présentation
thésaurisation. Ce qu’il voulait mettre en passé, le passé dans le miroir du présent, muséographique au Freilichtmuseum en
place, c’était un musée relié à la vie locale afin de leur faire éprouver l’unité intime 1938. Pm dans Der
Schulzngsbrief Dourna1 de l’enseignement],
mais en se rapportant toujours au présent du passé et du présent qui engendre Berlin, 1938.
et sans perdre de vue son public : le peu- l’avenir. Servir le peuple et le présent,
ple. Ni cimetière, ni institution savante, c’est là, pour le Heimatmaseam le point
le conservateur envisageait un espace où crucial, à défaut de quoi il tombe au rang
le peuple allait retrouver son histoire pré- de collection mortes. )>
sentée scientifiquement pour en dégager
<<laforce morale propre à la race >>.
Enfin, le souci pédagogique était pré-
sent à la base du projet et a donné lieu à Klersch prévoyait également la formation
une démarche muséographique raison- des collections et dans un souci pédagogi-
née. Maquette, copie, moulage, cartel, que en distinguait deux groupes : la col-
tous ces éléments, qui même encore lection d’exposition et la collection
actuellement sont rejetés par beaucoup d’étude. Cette dernière devait être à la
de conservateurs, ont été utilisés pour disposition du public et en même temps
‘’ faciliter la compréhension de l’expo- servir dans l’immédiat à approfondir un
sition. thème qui était seulement évoqué dans la
Quant au contenu réel de celle-ci, il salle permanente. Cette exploitation des
s’agissaitde présenter un discours histori- réserves devait être effectuée par les ensei-
que par l’agencement de concepts ethno- gnants. Klersch accordait beaucoup
logiques et de faits historiques pour d’importance aux journées de classe dans
aboutir à une interprétation de l’histoire le musée, qui ne devaient pas avoir le
qui effaçait tout conflit et exaltait la gran- caractère de simples visites car elles
deur de 1’État. Ce plan muséographique s’effectuaient en fonction des program-
qui paraissait inhabituel s’appuyait sur mes scolaires. La visite scolaire était consi-
cinq points : <c L’évolution historique et
politique du pays rhénan, y compris la 7 . J. Klersch, op. cit.
noblesse rhénane; l’Église et les États 8. J. Klersch, z ’ ¿ d
244 A¿fiedo Cmz-Ramirez

dérée comme faisant partie intégrante détenteur de la vérité et, avec une force tion reste posée : quelle est la véritable
des tâches éducatives du musée. L’utilisa- encore plus percutante que l’école, impo- identité des régions radicalement trans-
tion systématiquede moyens graphiques, sait une vision unique de l’histoire. formées par le développement industriel
d’un langage visuel clair, devaient créer Certes, le projet éducatif du troisième aussi bien dans leur morphologie qu’au
chez le spectateur une sensation de bien- Reich nous semble aujourd’hui dange- niveau de la population qui y habitait?
être et l’inciter à la découverte. reux et pernicieux, d’autant plus qu’il Est-ce qu’on tient compte de la pluralité
Dans cette muséologie fonctionnaliste, recouvrait tous les aspects de la vie quoti- culturelle qui caractérise les sociétés con-
on peut distinguer la modernité des solu- dienne et avait une forte emprise sur le temporaines?
tions trouvées, mais également les contra- monde de l’enfant et de la jeunesse. Dans Aujourd’hui, on assiste à un processus
dictions qu’affrontait un discours préfa- ce contexte, le musée contribuait à ren- de muséification croissant qui révèle le
briqué sur l’histoire qui allait jusqu’à forcer les dogmes nationalistes et propo- besoin de se rattacher à une histoire ou à -
révéler les incohérences de l’idéologie sait un ensemble d’images percutantes un vécu propre à l’individu. C’est ainsi
nationaliste. En parlant du peuple et de servant à l’endoctrinement des élèves. En que de ces écomusées surgit l’image idyl-
la révolution industrielle, on ne parlait dehors des principes idéologiques sur les- lique du passé dans laquelle la popula-
pas de la masse ouvrière. Le conservateur quels s’appuyaient les Heimutmuseen, tion est amenée à se contempler. L’éco-
Klersch explique cette omission en préci- on peut réfléchir à leur fonction éduca- musée, qui aurait dû être relié à la vie,
sant que le sujet serait abordé ultérieure- tive et leur caractère de précurseur en s’avère être le révélateur d’un malaise et
ment. .. Mais cela traduit le problème matière de communication, car les princi- c’est ainsi que Jean Clair le situe en cette
que posait la masse ouvrière comme pes exposés par Lehmann et Klersch ren- fin de siècle : U Si le musée gagne, c’est à
entité susceptible de contester le pouvoir dent compte d’une prise de conscience la façon dont le désert croît : il s’avance
et de remettre en cause le << rattachement du rôle effectif que les musées pouvaient où la vie reflue et, pirate aux intentions
au sol D en raison de sa dynamique sociale jouer dans les communautés en tant aimables, pille les épaves qu’elle a
(politisation, déracinement) ;cette exclu- qu’agents d’information et partenaires laissées11. )>
sion prouve que l’ouvrier n’était consi- de l’éducation. Même actuellement, Le modèle français de l’écomusée est
déré que dans la communauté du <(peu- lorsqu’on assiste à une massification de la en grande partie repris partout dans le
ple )) et qu’on n’admettait pas l’existence culture, les musées sont en rupture avec le monde et s’y ajoute parfois une forte con-
d’une culture autre et de surcroît contexte social et cela est souvent dû à un notation politique lorsque les projets sont
prolétaires. On constatera d’ailleurs que manque de projets d’actions communes menés par I’État ; en tout cas, I’écomu-
dans l’art officiel nazi l’image de entre les différents organismes concernés séologie a déjà posé des bastions d’iden-
l’ouvrier apparaît très souvent sous la par I’éducation. tité territoriale que n’importe quelle ins-
forme archaïque du forgeron, alors que le Avec la création des écomusées en tance politique est à même de récupérer
soldat et le paysan sont glorifiés pour France dans les années 70, on espérait que pour propager les idéaux qui lui seront
eux-mêmeSI o. ce clivage entre les différents partenaires nécessaires, agissant sur les sentiments à
La Maison du pays rhénan en tant de l’action culturelle disparaîtrait. Mais la fois vulnérables et ambigus.
qu’expérience pédagogique laisse entre- l’écomusée semble évoluer dans le sens
voir des possibilités nouvelles qui ne ver- d’une institution de recherche et ce cou- 9. Hildegard Brenner, op. cif.
ront le jour que beaucoup plus tard dans rant a donné lieu à la création de petits 10. Sur la symbolique du forgeron, voir le
les musées contemporains ; mais l’expé- musées organisés autour de la notion catalogue de l’exposition La représentation du
travail, organisée par le Centre national de
rience allemande cache aussi l’intention de patrimoine-territoire-population qui recherche, d’animation et de crsation pour les
d’uniformisation et de contrôle par le dis- conduisent inévitablement au problème arts plastiques (CRACAP) et I’Ecomusée du
cours historique. L’espace muséal avec sa
richesse en moyens visuels devenait le
de l’identité territoriale. Mais comme
pour la Maison du pays rhénan, la ques-
Creusot en septembre 1977.
11.Jean Clair, Considérafionssur (’état des
beaux-arts, p. 22 et 23, Paris, Gallimard, 1983.
.

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La hausse constante des coûts de A partir du le‘janvier 1986, le prix
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