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Encyclique Caritas in Veritate 29 juin 2009.

Quelques commentaires, Antoine Sondag, le 8 juillet 2009.

1. Troisième encyclique de Benoît XVI, celle-ci est une encyclique sociale,


explicitement elle veut célébrer Populorum Progressio (1967), et porte un titre voisin :
« sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité » (Populorum
Progressio portait le titre : « sur le développement des peuples »).
2. Elle est adressée aux évêques, laïcs, etc… et à tous les hommes de bonne volonté. Le
pape dépasse les frontières de la communauté catholique, c’est généralement le cas
pour les encycliques sociales. L’éthique chrétienne catholique n’est pas une éthique
pour un petit groupe d’individus qui prend la liberté de vivre comme il l’entend, cette
éthique prétend à une universalité, l’éthique chrétienne promeut la dignité humaine,
celle de tout homme et de tous les hommes.
3. L’encyclique a un style composite. On sent des passages de la main de Benoît XVI :
les développements plus intellectuels où il montre qu’il faut concilier des notions qui
pourraient devenir contradictoires : charité et vérité, justice et charité… On y trouve la
mise en garde typique du pape actuel sur le risque de relativisme dans la culture
contemporaine. Autres mises en garde : contre une mentalité de consommation, une
culture hédoniste, relativisme de la vérité, primat de l’émotionnel sans encadrement
par la raison, humanisme replié sur lui-même et fermé à l’absolu, perspective
culturelle de nature individualiste et utilitariste… on sent la touche de Benoît XVI
dans la réhabilitation de la charité et l’insistance sur la vérité.
D’autres passages ont été préparés par les services du Saint Siège : reprise des
enseignements de Populorum Progressio, actualisation de l’enseignement social de
l’Eglise, évaluation théologique de phénomènes récents, évocation des grands
thèmes à l’ordre du jour des institutions internationales (l’agenda international),
considérations sur les avantages et les inconvénients, et les risques de certains
phénomènes typiques du développement tels que le micro crédit, la protection de la
propriété intellectuelle, l’augmentation de la pauvreté relative, …
4. Contenu et plan. Le plan n’est pas absolument clair, il souffre de la pluralité des
auteurs.
Première partie : classique, on reprend l’enseignement de Populorum Progressio. C’est un
résumé de Populorum Progressio (les experts étudieront de près et verront que ce résumé
est sélectif, et ils en tireront les leçons).
Deuxième partie : Le développement humain aujourd’hui : c’est une actualisation de
Populorum Progressio, en fonction des éléments survenus depuis quarante ans.
Troisième partie : la fraternité, le développement économique et la société civile. Sur
l’économie qui a besoin de l’économie sociale pour faire droit aux dimensions du don et
de la gratuité. Contre les excès et les dérives de l’économie de marché.
Quatrième partie : le développement des peuples, les droits et devoirs, l’environnement.
On y trouvera les éléments vraiment nouveaux de l’encyclique sociale : sur le respect de la
nature, de l’utilisation de l’énergie, sur le développement durable, sur la nécessité de
changer nos styles de vie…
Cinquième partie : sur la collaboration de la famille humaine. Diverses thématiques :
subsidiarité, solidarité, les migrants, le travail décent, les syndicats, le consommateur, la
réforme de l’ONU…
Sixième partie : le développement des peuples et la technique. Sur les dérives possibles
d’une confiance aveugle dans le progrès technique.

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5. Accents nouveaux. Sur certains points, le pape met des accents nouveaux ou plus
forts, comparés aux documents plus anciens.
5.1. Environnement, la nature : c’est le milieu de vie, donné par le Créateur. L’homme
doit garder et cultiver cet environnement naturel. Ni en abuser, ni croire qu’elle est
intouchable. A utiliser avec sagesse. Ne pas ignorer les génération à venir, fonder la
solidarité sur la justice intergénérationnelle… Insistance nouvelle sur ce point.
Introduction d’une nouvelle dimension de la justice : la justice intergénérationnelle (faire
droit aux besoins des générations futures).
5.2. Le développement durable : avec une citation implicite de la définition classique
du dd : « devoir que nous avons de laisser la terre aux nouvelles générations dans un état
tel qu’elles puissent elles aussi l’habiter décemment et continuer à la cultiver. L’une des
tâches de l’économie est l’utilisation la plus efficace des ressources et non leur abus… »
(& 50).
5.3. Pour cela, il nous faut changer nos styles de vie. Ce n’est pas nouveau, mais il y a
insistance ici (thème présent déjà dans Sollicitudo Rei Socialis, 1987).
5.4. Réflexion sur la mondialisation : une humanité de plus en plus interconnectée.
Doit servir le développement. Ses dysfonctionnements doivent être corrigés. L’intégration
planétaire doit favoriser une orientation culturelle personnaliste et communautaire,
ouverte à la transcendance. Phénomène multidimensionnel et polyvalent, la
mondialisation doit orienter l’humanité vers plus de relationnalité, de communion et de
partage (& 42).
5.5. Quelques dénonciations de dérives actuelles (lors de la crise récente) : c’est fort,
pas forcément original. Contre les délocalisations pour cause de recherche de profit
excessif. Contre la prise en compte des seuls intérêts des propriétaires dans la gestion des
entreprises et non de toutes les parties prenantes. Contre une perspective court termiste,
contre la recherche du profit maximum à court terme. Contre les dérives de la finance.
5.6. Ce qui est nouveau, c’est l’économie sociale dont la nécessité est fortement
affirmée (& 34, 36, 37, 38, 46).

6. L’économie sociale. Cela commence par le fondement assez abstrait et théorique de


l’économie sociale : une petite anthropologie du don, un éloge du don et de la gratuité (&
34). Contre une vision purement productiviste et utilitariste, nous faisons l’expérience du
don. La logique du don n’exclue par la justice, elle la présuppose. Le don et la gratuité
ouvrent le chemin à la fraternité. Laissé à lui-même, le marché qui fonctionne selon les
principes de la justice commutative (donner à chacun ce qui lui revient, équivalence de
valeur des biens échangés), ce marché est incapable de fabriquer à lui seul la cohésion
sociale, dont ce même marché a pourtant besoin pour pouvoir exister (un contexte de
confiance sans quoi le marché ne fonctionne pas). Les principes de don et de gratuité
peuvent trouver leur place à l’intérieur de l’activité économique normale. Certaines entités
économiques peuvent choisir librement de conformer leur action à des principes autres
que ceux du seul profit, sans pour cela renoncer à produire de la valeur économique. Cela
est possible (& 37). C’est ce qu’on appelle l’économie sociale, le mot n’est cependant pas
prononcé. Mais l’encyclique dit explicitement qu’il y a une place nécessaire pour des
formes de production et de redistribution guidées par l’esprit du don. Contre une vision de
l’homo economicus et de l’économie prétendument guidés uniquement par la recherche de
l’intérêt maximum. Les acteurs et entités économiques peuvent se fixer d’autres objectifs.
Cela ne doit pas rester de l’ordre d’un choix de conscience personnel, mais il faut trouver
des formes juridiques pour organiser cette « économie du don ».
Il y a le marché, l’Etat et la société civile. Celle-ci est le cadre le plus approprié pour une
économie de la gratuité, de la fraternité… « A côté de l’entreprise privée tournée vers le

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profit, et des divers types d’entreprises publiques, il est opportun que des organisations
productrices qui poursuivent des buts mutualistes et sociaux s’implantent et se
développement… » (& 38). Cette expérience du don et de la gratuité ne doit pas se vivre
simplement « en marge » de la vie économique, ou « après » ou « en plus »… mais il faut
trouver les formes institutionnelles pour que l’économie sociale puisse se développer
(fondations, associations, coopératives de consommateurs ou nouveaux circuits de
commercialisation, explicitement cités, etc) voir & 38.

7. Cette encyclique est une illustration de l’effort considérable accompli actuellement par
le Magistère romain pour montrer l’unité entre l’enseignement social et
l’enseignement en matière de bioéthique. Plusieurs fois cette encyclique tente
d’illustrer cette unité. Aussi lorsqu’on parle d’écologie, on dit écologie humaine, pour
dire que qu’on défend la vie (des pauvres, des plus vulnérables, qu’il faut vivre en
harmonie y compris avec l’environnement naturel…) et que c’est la même écologie
qui amène à défendre la vie de la conception jusqu’à la mort naturelle.

Le Magistère a pris conscience que les « deux morales » - en matière sociale et en matière
de bioéthique- enseignées par l’Eglise catholique fonctionnent selon deux méthodologies
assez différentes : légaliste, rigoriste, à coup d’interdits, ne faisant quasi aucune place à la
conscience individuelle d’un côté ; et de l’autre une morale appliquant le principe de la
progressivité, désignant l’idéal, reconnaissant la pluralité des interprétations, consciente
des limites des interprétations, du caractère non contraignant mais incitatif des
enseignements, et de la place importante donnée à la conscience individuelle (y compris
celle du croyant chrétien).
Pour illustrer l’unité des deux morales, on introduit les concepts assez nouveaux
d’écologie humaine et de développement humain intégral dans la charité et la vérité. La
lutte contre la pauvreté devient la défense de la vie (des pauvres), et cette même défense
de la vie est aussi l’argument majeur pour condamner l’avortement.

Plusieurs interprétations de ce phénomène :


- on peut penser qu’il s’agit de montrer l’unité de l’éthique catholique enseignée à
Rome. Qu’il s’agit de surmonter les deux régimes éthiques qui étaient à l’œuvre dans
les écrits de Jean Paul II (qui n’est jamais parvenu à faire l’unité entre les encycliques
d’éthique sexuelle et celles d’éthique sociale).
- On peut penser que la condamnation de l’avortement est devenu un marqueur central
de l’identité catholique, et que tout le reste va être soumis à ce marqueur, y compris
par exemple les efforts des catholiques en faveur du développement des peuples.
En termes plus prosaïques, Benoît XVI est le pape qui va généraliser à l’univers entier
la situation qui prévaut actuellement aux USA, où la condamnation de l’avortement
sert de critère central pour le discours catholique (cf ce que les évêques catholiques ont
dit de Obama, et ce que celui-ci pense de la place centrale accordée actuellement à la
posture pro life chez les catholiques américains).

Tout ceci peut se résumer ainsi : Populorum Progressio a dit que la question sociale est
devenue mondiale ; pour Benoît XVI, la question sociale ou du développement est
devenue une question anthropologique (voir & 75).

8. Citations. Contrairement à Populorum Progressio qui citait des auteurs contemporains


(Maritain, Chenu, Lebret, C. Clarck, von Nell-Breuning…), Caritas in Veritate ne cite que

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le Magistère. L’encyclique ne cite pas les statistiques des Nations Unies comme le faisait
Sollicitudo Rei Socialis.
Il me semble que Populorum Progressio n’utilise pas le mot de charité (à vérifier) mais
celui de solidarité, de développement, de progrès…

8. Les points à creuser pour la prochaine encyclique sociale.


- la diversité culturelle du monde actuel. La diversité culturelle était déjà absente de
Populorum Progressio (on y parlait de l’opposition entre la civilisation industrielle et
des civilisations traditionnelles). Elle est aussi quasiment absente de la nouvelle
encyclique.
- La pluralité des voies d’accès à une économie et société « moderne » ou
« développée ». Cette pluralité des chemins de « progrès » (progressio) ou de
développement n’est guère envisagée. Une vraie pensée de la pluralité manque encore.
- La gouvernance globale (adaptée à l’ère de la mondialisation) : une autorité mondiale
ou une gouvernance globale ? Thème peu élaboré dans l’encyclique actuelle.

9. Comment appliquer la nouvelle encyclique au Secours Catholique ?


- On peut prendre paragraphe après paragraphe et voir ce qui s’applique au Secours.
Vérifier que le Secours est une ONG transparente, dont les projets de développement
sont accordés avec les gouvernements des pays intéressés et des acteurs de la société
civile… que les frais de fonctionnement ne sont pas excessifs, que l’ONG n’est pas
bureaucratique, que le Secours travaille avec d’autres organisations non catholiques,
etc… (critique indirecte des ONG : & 57, 58, 59). Le Secours n’est pas concerné par
ces soupçons.
- Vérifier l’engagement du Secours dans la lutte contre les inégalités, qui sont
stigmatisées à plusieurs reprises (d’une manière intéressante, pas seulement pour des
raisons éthiques)
- Vérifier la qualité de l’engagement du Secours dans le développement durable.
- Vérifier la qualité de l’engagement du Secours dans l’économie sociale qui est sans
doute la seule vraie nouveauté de cette encyclique (citation du crédit coopératif, etc &
65).
- Lire l’encyclique, mais ce n’est pas très simple, elle est parfois difficile d’accès, elle
manque de cette unité qui faisait la beauté de Populorum Progressio.
- Organiser un voyage d’étude en Allemagne où l’on voit sur le terrain certains traits
mis en évidence dans l’encyclique : régulation du marché par l’Etat, développement
d’un Etat social, une économie sociale intégrée pleinement dans les mécanismes
habituels de l’économie et de la société, une économie sociale d’inspiration
chrétienne, des syndicats puissants… organiser un voyage d’étude en Chine pour voir
si ce modèle y est applicable.

Conclusion en résumé :
- la question du développement est une question anthropologique.
- une réaffirmation de thèmes classiques : la régulation de l’économie de marché par l’Etat,
l’Etat social, le rôle de la société civile, des syndicats, les principes de solidarité et de
subsidiarité, la justice est toujours la première étape, etc…
- une innovation en matière d’enseignement social : la justice intergénérationnelle
- deux mises en application : le développement durable, l’économie sociale

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