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Rapport
Résumé
La mondialisation et ses effets, qui traditionnellement ont été perçu comme un phénomène
économique lié au développement du marché mondial, commencent à influencer tous les aspects de
la vie de nos sociétés, de la culture au crime, et des finances à la religion. Cela pose de nouveaux
problèmes et défis à la société.
Ces défis sont relevés aussi par les diverses alternatives politiques, institutionnelles, culturelles, et
plus simplement économiques, que le rapport suggère d’employer afin de contourner les effets
négatifs de la mondialisation. Un de ces idéaux de transformation et d'encadrement plus humain est
incarné en particulier par le développement humain durable, qui – avec l’idée de la « solidarité
économique » et avec de nouveaux modes de consommation et de production – permettrait à
chacun de disposer d’une véritable liberté de choix qui pourrait contribuer à démocratiser
l'économie sur la base de l'engagement du citoyen pour une responsabilité sociale accrue, et à
favoriser la cohésion et la justice.
3. De nouveaux problèmes et défis se posent à la société. Les événements, les décisions prises et
les mesures mises en œuvre dans une partie du monde peuvent avoir de profonds effets sur la vie
des individus ou des communautés dans une autre partie. L'incidence de ces changements est à ce
point impossible à mesurer que les gouvernements et les individus ne peuvent guère les contester ni
y résister.
4. La mondialisation se caractérise par quatre grandes tendances: une augmentation des flux de
marchandises et de personnes, l'expansion et la diversification des activités financières; le
développement des communications, des réseaux, du savoir et des relations et l'accroissement des
disparités.
5. L'Assemblée s’inquiète des disparités croissantes entre les sociétés développées et les autres,
et au sein des sociétés elles-mêmes, qui conduisent à une forte stratification économique entre
riches et pauvres aux niveaux régional, national et mondial. Malheureusement loin de se réduire, ces
différences s’accentuent.
7. L'Assemblée est convaincue que l'ordre mondial ne devrait pas reposer sur une gestion
commerciale dominée exclusivement par des considérations purement financières, permettant de
breveter des organismes vivants et d'acheter et de vendre des droits de pollution et de faire
essentiellement reposer les relations humaines sur le principe du libre échange. Le monde a besoin
d'une autre définition de la richesse et de nouveaux moyens de la mesurer; il doit privilégier le
développement humain durable.
9. Cependant, ces dernières années deux tendances opposées mais toutes deux restrictives, ont
émergé dans l'interprétation du développement durable : pour certains il est devenu le sujet d'un
parti pris économique excessif, étant souvent l'alibi pour une croissance plus rapide sous couvert de
l'aide qu'il peut donner à la réduction de la pauvreté et de sa contribution pour atteindre la durabilité
écologique, de même avec le but de promouvoir et d'ouvrir des marchés, d'obtenir la
déréglementation financière, la privatisation des ressources naturelles et le biopiratage. Pour les
autres, le développement durable est passé par une simplification écologique abusive, dans laquelle
le concept est réduit à la durabilité environnementale.
10. Ces évolutions doivent toutefois être contrebalancées par une forme de développement
durable centré sur les êtres humains, qui soit à la fois plus intégral et plus radical.
11. Le développement humain durable peut être défini comme la capacité de toutes les
communautés humaines, y compris les plus démunies, à satisfaire leurs besoins fondamentaux en
matière d’habitat, d'eau potable, d'alimentation, de conditions sanitaires et d'hygiène, de
participation à la prise de décisions, de cohésion sociale, de tissu relationnel, d'expression culturelle
et spirituelle, etc. C'est pourquoi les technologies et les modes de vie doivent s'adapter aux
potentialités socio-économiques et écologiques de chaque région, en internalisant les coûts et en
créant des systèmes respectueux de la biosphère.
12. Une telle approche fait du développement humain durable un processus aux multiples
facettes. Elle cherche à équilibrer les domaines écologique, économique et social tout en tenant
compte d'éléments politiques (participation et démocratisation), éthiques (responsabilité, solidarité,
justice sociale et satiété) et culturels (diversité locale et expression artistique).
13. Le développement humain durable impose également de reconsidérer très profondément nos
principes et modes de vie fondamentaux, les modes de fonctionnement de nos sociétés, notamment
en matière de production et de consommation, ce qui implique des changements importants de
mentalités et de comportements afin de valoriser, au-delà du matériel, la prise de conscience du fait
que nous vivons dans un espace commun, que chacun est responsable de ses actes, qu’il faut
apprendre à se placer dans le long terme et à créer des partenariats entre les acteurs des différentes
régions du monde, y compris entre les pouvoirs publics, les institutions internationales, les milieux
d'affaires et la société civile.
14. L’Assemblée pense que le développement récent d’une « économie solidaire » offre une
illustration instructive d’un nouveau modèle de développement et d’une nouvelle forme d’activité
économique. Elle porte sur tous les aspects de la production, distribution et consommation, et qui
contribue à démocratiser l’économie, basée sur l’engagement citoyen pour une responsabilité et
cohésion sociale accrue, et pour la justice.
15. L’Assemblée note le rôle croissant d’une double délégation (à ceux qui ont l’expertise et aux
représentants élus), ainsi que la professionnalisation croissante des politiques. Par ailleurs, la
démocratie participative demande plus de responsabilités de proximité et un accès plus important de
la population aux prises de décision. Ceci pourrait être rendu possible par des structures appropriées,
déjà en place dans certains pays, comme des forums de citoyens ou des « conférences de consensus
».
16. L’Assemblée reconnaît que si l’on veut relever les défis de la mondialisation, il est
indispensable d’assurer une gouvernance globale qui sache prendre en charge la complexité et
l’interdépendance des questions en jeu, et cherche à les résoudre par une approche intégrée de tous
les acteurs en jeu. Il s’agirait d’y impliquer les systèmes de représentation, les institutions, les
procédures, les instances sociales, les systèmes d’information, qui doivent permettre aux
communautés de gérer leurs différentes formes d’interdépendance et leur intégration dans une
biosphère, de façon durable et pacifique.
17. L’Assemblée estime qu’il est essentiel que l’environnement soit au cœur du débat du
renouveau de la gouvernance mondiale. Les accords multilatéraux existant aujourd’hui sont
disparate, couvrent des domaines très spécifiques et, souvent, n’ont qu’un faible impact. Des
problèmes liés à l’environnement devraient s’inscrire dans une perspective globale et les solutions
devraient être trouvées en coopération avec de nombreux partenaires et pays. Dans cet esprit, la
proposition formulée mais pas retenue, à Johannesburg de créer une organisation environnementale
chargée de suivre la mise en œuvre des protocoles internationaux conclus et leur complémentarité,
devrait être envisagée.
18. L'Assemblée est convaincue que le développement humain durable peut conduire à une
forme d'organisation sociale permettant à chacun de disposer d’une véritable liberté de choix entre
des modes différents de consommation, de travail, d'épargne et d'utilisation du temps, chaque
élément étant compatible avec l’environnement humain et naturel.
19. Elle pense également que la restructuration de l'économie mondiale de façon à rendre cette
dernière durable des points de vue social, écologique et économique, représente la plus grande
chance d'investir dans l'histoire humaine.
20. Compte tenu de ces éléments, l'Assemblée recommande aux Etats membres ce qui suit:
e. veiller à ce que le droit de l'environnement ne soit plus assujetti au droit commercial comme il
l’est actuellement, en particulier en mettant en place une procédure d'arbitrage des différends ayant
trait à l’environnement et à l’économie; réaffirmer la volonté politique d'appliquer les
réglementations en matière d'environnement, notamment par rapport aux intérêts économiques;
Sommaire
Préambule …………………………………………………………………………………………. 5
Introduction ………………………………………………………………………………………… 5
la mondialisation ………………………………………………………………………………….. 12
2.1 Une nouvelle conscience mondialisée ……………………………………… 12
Bibliographie ………………………………………………………………………………………. 23
Préambule
2. La Commission a tenu une audition le 25 novembre 2002 avec M. Viveret, Directeur du Centre
International Pierre Mendès France, M. de la Chapelle, de l’Institut français des relations
internationales (IFRI), M. Beytelmann et Mme Rioufol, de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le
progrès de l’Homme (FPH) et a eu un échange de vues le 16 décembre 2002 avec M. Reimann,
Rapporteur pour l’avis de la Commission des questions économiques et du développement. Le
rapport tient compte de suggestions faites lors de ces deux réunions.
Introduction
3. Les problèmes posés par la mondialisation de l'économie semblent avoir été à l'origine des
préoccupations sur l'évolution générale des sociétés humaines au sortir du vingtième siècle.
L'analyse de ces transformations révèle cependant que la mondialisation ou globalisation des
échanges est un phénomène prépondérant mais pas unique et que la série complexe de ces
transformations associe des sphères auparavant conçues comme relativement autonomes par
rapport au développement économique. C'est ainsi qu'on a pu parler par exemple de mondialisation
de la culture de masse par homogénéisation de la production culturelle (liée à la concentration
économique des grands groupes de production et de diffusion-distribution) ; ou de la conséquence
des transformations du sentiment religieux, des formes d'organisation de la religion et de la croyance
dans ce cadre 'mondialisé'.
4. Des réalités émergent ainsi, qu'on avait crues ne dépendre que du cadre politique, ou
purement idéologique et l'analyse ou la mise en perspective de ces réalités permettent de cerner de
nouveaux problèmes, de nouveaux défis aux sociétés humaines. Ces défis sont compris aussi dans les
alternatives politiques, institutionnelles, culturelles, et plus simplement économiques, qu'on peut
opposer et proposer aux effets de la mondialisation actuelle. Un de ces idéaux de transformation et
d'encadrement plus humain est incarnée en particulier par le développement humain durable.
5. Nous nous proposons donc ici d'aborder quelques aspects remarquables de cette
mondialisation et d'éclairer quelques aspects, quelques voies, quelques initiatives nouvelles pour
affronter de façon plus responsable la mondialisation et ses effets, par quelques exemples qui
permettent de voir en quoi une autre mondialisation est possible.
9. Ce débat sur les origines lointaines de l’actuelle transformation du monde met l'accent sur un
problème fondamental qui nous permettra d'entrer en matière : que faut-il entendre par
mondialisation/globalisation?
10. Il est usuel d'utiliser en anglais le mot de globalisation, de transformations globales, ou bien
d'intégration globale, ou d'autres formules à connotation plus ou moins technique (tantôt politique,
tantôt économique). En français, l'habitude a été prise de parler indistinctement de globalisation ou
de mondialisation, bien que des usages techniques (en économie, en sciences politiques ou bien en
géopolitique) précisent les sens et les applications du terme à la description particulière d’une sphère
(la globalisation de la gestion de l’eau, des productions d’armement…).
11. Il est certain que des différences conceptuelles peuvent être déduites de l'étymologie elle
même, puisque le français 'mondialisation' part du substantif 'monde', qui désigne à la fois un espace
qui unifierait physiquement tous les lieux accessibles et une notion complexe regroupant tous les
aspects d'une expérience humaine sur un registre (le « monde de l'entreprise », le « monde du travail
»…), dans un usage métaphorique. Cette acception mettrait plus l'accent sur l'ambiguïté spatio-
temporelle, tandis que l'anglais 'globalisation' fait surgir l'idée du processus, partant de l'adjectif
'global', entendant l'extension d'une qualification qui s'applique à toute la planète, la sphère (le
globe).
12. Telle que nous l'avons esquissée, la mondialisation peut-être présentée comme l'expansion,
l'approfondissement et l'accélération des connexions réciproques au niveau de la planète de tous les
aspects de la vie sociale, allant de la culture à la criminalité et de la finance à la religion. Bien que s'y
opposent une vision académique et une sorte de rhétorique populaire sur la mondialisation, cette
définition permet de déduire que la perception des phénomènes qui affectent la plupart des sociétés
aujourd'hui est marquée par l'idée que le monde dans lequel nous vivons est en train de se
transformer en un espace social façonné par des forces économiques et technologiques complexes.
Nous retrouvons là l'idée que des évènements, des décisions ou des initiatives prises et qui ont lieu
dans une certaine région du monde peuvent avoir des conséquences profondes pour la vie (ou la
survie) d'individus ou de communautés aux antipodes.
13. A travers cette idée aussi, nous retrouvons un des leit-motive des débats politiques autour de
la mondialisation qui est que la force de ces changements évoqués est tellement inévaluable que, à
l'échelle de la politique des Etats ou de régions, la possibilité et la capacité de gouvernements
nationaux ou des citoyens pour contrôler, contester ou résister à ces changements devient
quasiment nulle, voire impossible.
14. Si, en effet, des informaticiens indiens peuvent travailler en temps réel avec leurs employeurs
aux Etats Unis et en Grande-Bretagne, ou bien si la culture du pavot en Afghanistan suit
essentiellement les orientations qui découlent de la demande de drogue à Berlin ou à Rome, il faut
retenir que les thèmes les plus discutés se regroupent autour de deux axes qui signalent
• d'un côté l'évolution irréversible de l'extension des échanges marchands à l'échelle du monde
(l'extension et la pénétration du capitalisme sur l'espace mondial) : elle traduit à la fois une mutation
économique et géopolitique qui marque définitivement la fin de la guerre froide. Là où des régimes
communistes subsistent (et ils avaient constitué un obstacle à la diffusion du capitalisme), une
solution pragmatique a été consentie pour favoriser la pénétration capitaliste par l'ouverture à
l'économie de marché. Ailleurs (notamment en Afrique et en Amérique latine) "la pénétration du
capitalisme est encouragée de façon systématique par les institutions financières internationales,
Fonds Monétaire International et Banque Mondiale. Placées en position de force par la crise de la
dette qui a frappé ces régions au début des années quatre-vingt, celles-ci mettent toute leur
puissance au service de la réforme des politiques et des institutions économiques des pays débiteurs,
réforme dont l'objectif explicite est de promouvoir la diffusion de la logique de marché"3.
• De l'autre côté la forme de la connexion de communautés jusqu’ici séparées dans l'espace, une
relation de type complexe que nous percevons comme s'étant intensifiée sans que nous puissions
rigoureusement établir toutes les implications sur le plan culturel et politique. A cette question est
associée entre autres la nécessité de repenser la contraction de la relation traditionnelle
temps/espace dans ses rapports avec la politique et les échanges marchands, autrement dit, de
penser certains aspects de la révolution technologique comme une contraction de l’espace
planétaire et in fine, comme l’homogénéisation des modes d’existence et d’association humaines,
15. Pour nous résumer, la mondialisation ne se réduit pas à la victoire de blocs étatiques sur
d’autres (plan géopolitique), ni à l’extension spatiale du capitalisme et des modes de production qui
lui sont associés. Elle ne se réduit pas non plus à la prépondérance de la logique économique, bien
que l’emprise des impératifs financiers de maximisation marque définitivement un tournant dont il
faut prendre les responsabilités dans les inégalités qui ne cesseront de croître dans la répartition des
richesses. L’emprise du système de relations économiques actuel s’affirme aussi par la prééminence
de certaines logiques sur d’autres : à un système de relations interétatiques viennent sans doute se
superposer des logiques de réseaux transnationaux, et la logique de territoires imaginaires composée
de relation entre agents d’un même réseau se superpose parfois à celle du territoire spatial où
cohabitaient des mosaiques sociales associées par le cadre de l’Etat.
16. Citons d'abord quelques chiffres pour illustrer l’accroissement de la circulation des flux de
marchandises, de biens et de services. Fondamentalement ces questions se trouvent dans les
directions et les modalités de la stratification du commerce international. Selon le FMI4, entre 1965
et 1995 la part en pourcentage des exportations mondiales a évolué comme suit : les exportations
entre pays développés ont décru (presque 10% du volume total) ; la proportion des exportations
entre pays développés et pays en développement est resté stable (elle a oscillé de 5%), tandis que
dans les pays en voie de développement les chiffres se sont multipliés par 7 sur l'ensemble de la
période. La circulation a donc était effectivement dans le sens d’un globalisation des échanges : le
commerce a permis la connexion de marchés distants5
17. Comment s'organisent les divisions? Que faut-il conclure sur cet aspect du commerce
international? Premièrement, que l'essentiel du commerce international d'après guerre en volume,
jusqu'aux années 90 s'est concentré dans les pays riches à économie développée ; cependant, la
croissance des exportations pour le reste des pays en développement traduit des positions précises :
sans la Chine ils occupent presque 20% du volume mondial contre 6% en 19636 ; l'Amérique latine a
stagné pendant les années 90 ; l'Afrique et le Moyen Orient ont vu leur part chuter mais l'Asie a
connu une croissance exponentielle. En ce qui concerne les services, on retrouve des tendances
semblables. Une étude détaillée devrait relever les spécificités de chaque filière, et permettrait de
mettre en évidence les particularités de la pression des marchés sur chaque continent.
18. Il en résulte que peu de pays réussissent à se placer à niveau mondial (c’est à dire à accroître
leurs parts de marché), étant donné le poids du facteur de concurrence, le commerce a pu jouer un
rôle déterminant individuellement pour certains pays, de sorte qu’il est très difficile de parler de
blocs économiques affrontant les mêmes conditions externes. Cependant, cela n’empêche pas des
analyses par région : le cas de l’Afrique est important, puisque pour la plupart des pays africains à bas
revenus, qui n’ont pu développer des exportations de produits manufacturés, la seule solution a été
de continuer l’exportation de matières premières. Bien que les conditions de l’échange aient
beaucoup varié pour ces marchés, elles ont été mauvaises depuis la fin des années ‘70s: la demande
chute et les prix aussi. Ces chutes ont des conséquences négatives qui s’aggravent avec
l’interdépendance accrue de l’économie dans le contexte ‘globalisé’.
19. Dans un tel contexte, qu'en est-il des migrations et des différents flux de personnes? Selon
l'Organisation des Migrations Internationales, en 2000, 150 millions de personnes vivent hors de
leurs pays; en 1975 l'ONU en recensait 75 millions7. Selon ces statistiques le nombre de personnes
migrantes s'accroît tous les ans de 2.5 %.
20. Qu'est-ce qui caractérise ces migrations? Les spécialistes distinguent les migrations et les
déplacements à travers un critère temporel et sociologique, en ceci que les migrations constituent
des mouvements géographiques de personnes dans le but d'une installation dans un autre pays
(autrement dit un déplacement considéré à plus ou moins longue échéance comme définitif), tandis
que les déplacements constituent des situations extrêmement diverses, précaires, où se retrouvent
pour la plupart des fois des personnes en situation de migration forcée, voir de fuite. En effet la
question des réfugiés détermine aussi la façon dont les Etats appréhendent ces flux de migrations
complexes
21. L'on a caractérisé ces flux de migration vers les pays riches par trois éléments fondamentaux:
pour la plupart , il s'agit tout d'abord de migrations spontanées (sans contrôle étatique ou
planification préalable par des instances économiques ou étatiques comme c'était le cas dans les
années 50/60) et forcées (liées à des catastrophes , à la fuite devant la misère, à l'exil). La deuxième
caractéristique est la féminisation de ces flux : selon l'ONU elles constituent 48% de l'ensemble de
flux migratoires actuels. Comme le signale une experte : "Les nouveaux candidats s'inscrivent avant
tout dans une logique individuelle de recherche de conditions de vie et de travail dignes qu'ils ne
trouvent dans leurs pays d'origine, et qu'ils idéalisent dans les pays d'accueil potentiels. Ces individus
n'ont, d'autre part, pas les mêmes relations et attachements avec leur pays d'origine (les conditions
d'émigration ne sont plus les mêmes), ni ne nourrissent les mêmes objectifs que leurs aînés"8
22. Dernière caractéristique de ces flux accrus de personnes : les nouveaux migrants ne disposent
plus des moyens matériels que connurent la plupart des autres migrants (surtout dans le cas de
l'émigration vers les grands centres), cette extrême pauvreté de moyens matériels pour réaliser leurs
insertions découle en partie de la situation qui est la leur quand ils quittent leur pays d'origine, et en
partie celle qui les attend pour arriver à s'installer dans leurs nouvelles patries d'accueil. Les facteurs
déterminants sont donc :
23. A ces nouveaux itinéraires pour contourner la fermeture officielle des frontières, s'ajoute un
nouvel élément par rapport aux anciennes formes d'immigration qui est celle de la recherche par
tous les moyens d'une chance de fixation qui ne correspond plus aux préférences pour des liens
historiques ou linguistiques. Toutes ces composantes, bien que non-exhaustives, composent le
tableau d'un changement de logique liée aussi à la mondialisation. Et ,bien sûr, s'activent et
réagissent aux nouveaux contextes institutionnels et administratifs qui règlent les formes
d'acceptation de l'immigration dans les pays d'accueil, en s'adaptant aux contraintes juridiques des
politiques de maîtrise et de contrôle des flux migratoires et des frontières9.
24. Comme nous l'avons souligné, les mutations qui ont touché au commerce proviennent pour
une grande part de la libéralisation et de la fin des régimes de régulation traditionnels établis après
guerre et incarné dans les institutions de Bretton Woods. Cette dérégulation et cette libéralisation
des échanges ont été menées par le fer de lance de la finance qui est au centre des innovations ayant
permis de libérer et d’affranchir la circulation des capitaux de la pesanteur du temps et de l’espace
traditionnels, garantissant ainsi une mobilité totale du capital dans le cadre d’un réseau financier
international de capitaux privés fonctionnant en continu sur la quasi totalité des fuseaux horaires.
25. Le premier élément de cette donne financière est l’expansion extrêmement forte de flux
internationaux de capital de placement financier en quête de valorisation. Ces mouvements
induisent bien sûr une concentration de capital de placement10, et fondé sur les piliers du
gouvernement d’entreprise et sur des relations politiques et sociales qui n’ont plus de rapport avec la
production.
• L’interdépendance immédiate : deux éléments permettent de singulariser cet aspect : d’une part
l’extrême volatilité des marchés financiers (des opérations situées dans l’espace peuvent avoir des
conséquences immédiates et directes pour n’importe quelle économie nationale) ; d’autre part et
inversement les conditions financières et économiques générales d’une région peuvent avoir aussi un
impact instantané pour la plupart des marchés financiers nationaux ailleurs dans le monde.
• L’instabilité monétaire : la mobilité des capitaux a comme corollaire la fin d’un régime de parité
fixe11 comme l’était celui des institutions de l'après 1945. Ainsi la conséquence du point de vue de la
sphère macroéconomique est que face aux fluctuations rapides des marchés financiers c’est l’arme
de la politique monétaire qui prévaut, mais elle est contrainte de choisir entre le flottement de la
monnaie et l’affectation du taux d’intérêt à la défense du change. Depuis la crise de 1973, ce système
s’est avéré fort instable et consacre les phénomènes de surréaction des taux de changes et de bulles
spéculatives qui démontrent la déconnexion croissante de la sphère financière et de l’économie
réelle.
27. L’importance de la question de la stabilité monétaire ne saurait être sous-estimée puisque les
taux de change et les taux d’intérêt sont deux des variables les plus importantes dans la formulation
d’une politique macroéconomique nationale, mais sont de plus en plus déterminées dans le contexte
de marchés financiers globaux où prédomine la logique du rendement maximal à court terme.
Les possibilités d’extension et de développement des connexions, contacts, savoirs, relations
29. Le poids de ce facteur ou versant 'culturel' de la mondialisation des échanges ne saurait être
tenu pour aléatoire ; la diffusion du savoir et le statut de celui ci peut être un bon exemple de la
difficulté que posent l’émergence et la consolidation d’outils et d’infrastructures de transmission
généralisées mais non universelles, puisque véhiculées par des centres occidentaux à un monde qui
doit s’adapter à ces conditions pour l’échange. Ainsi, la globalisation culturelle a été associée à cinq
grandes problématiques :
- La formation d’infrastructures globales et à des échelles sans précédents : celles ci créent une
capacité de traversée de frontières et de pénétration en même temps que la baisse sensible de leurs
coûts.
- La rupture dans les géographies des interactions globales avec les possibilités, les orientations des
flux d’échanges culturels hérités de la guerre froide.
31. A cela s’ajoute la difficulté croissante d’accès à des services et des biens de nécessité de base:
eau, soins de santé, alimentation équilibrée, électricité, éducation.
32. Cette comparaison en termes d’écarts internationaux de revenus par la technique des parités
de pouvoir d’achat13 permet d’évaluer une mesure du pouvoir d’achat moyen pour des populations
à différents moments, comparés à un pays. Dans ce cadre, il faut mentionner la situation
catastrophique de l’Afrique : dans cette région le revenu réel par habitant est à peine plus élevé qu’il
ne l’était au début des années soixante. Les caractéristiques de la crise africaine (longue stagnation
économique, surendettement, instabilité politique) se sont complexifiées avec les guerres, les
famines le poids démographique et social de la pandémie. Pour les africains la mondialisation tend à
être de plus en plus le mouvement de mise à l’écart total qui fait du continent un angle mort, déserté
par les capitaux étrangers et marginalisé dans le commerce international.
33. Les éléments centraux de cette thématique peuvent être réduits à certains problèmes
économiques, parmi lesquels le sous emploi de masse, qui permet de voir même dans les pays
développés que la capacité à stimuler la création des richesses n’est pas forcément compatible avec
la possibilité d’offrir à tous un emploi et des conditions de vie décentes. De ce point de vue la crise de
l’Etat –providence n’a fait qu’accentuer les dimensions de l’exclusion.
34. Avec et pour ainsi dire à travers les quatre grands axes que nous avons esquissés il y a aussi
l'organisation, la coordination, association et le travail commun de membres de la société civile pour
prendre en charge politiquement et socialement les conséquences et les formes nouvelles que la
mondialisation impose aux sociétés. D'une part ces agglomérations d'organisations créent des
réseaux d'entraide et de réflexion sur des problèmes communs, d'autre part elles deviennent
partiellement les représentantes d'une exigence démocratique de représentation en tant qu'acteurs
de secteurs très souvent invisibles ou écartés de la prise de décision : leur terrain d'évolution naturel
est le questionnement de politiques et des accords ; mais aussi l'élaboration de solutions qui tiennent
compte d'intérêts et de réalités.
- L'analyse de ces problèmes reflète l'intérêt porté à la multiplication des sphères de réflexion
interdépendantes : des déséquilibres et des inégalités dans chaque société, entre les sociétés et enfin
entre les sociétés et la biosphère.
- Cette idée a conduit à la perception de ces enjeux en termes d'une citoyenneté mondiale, qui
permettrait de garantir sur le plan de la représentation et de la garantie des droits un fondement
juridique et politique pour un ordre plus juste.
38. Le concept de développement durable, rendu familier par le rapport Bruntland de 1987, est
popularisé à l'occasion du Sommet de Rio de Janeiro en 1992. Lors de ce "Sommet de la Terre", chefs
d'Etats, agences des Nations Unies et représentants d'ONGs se penchent pour la première fois sur la
question des risques écologiques et des retards de développement. Ce sommet, qui est à l'époque la
plus grande conférence internationale jamais organisée14, obtient un énorme retentissement dans
les médias, auprès des opinions publiques, des administrations nationales et des institutions
internationales. Il fait également naître de très fortes attentes, notamment l'espoir d'une profonde
refonte des relations internationales pour ouvrir l'ère nouvelle de "l'après-guerre froide".
39. A la suite du Sommet de Rio, le discours sur le développement durable s'est répandu très
rapidement, favorisant une prise de conscience accrue des grands problèmes écologiques et des
disparités internationales. Cette prise de conscience a permis de renforcer la recherche et la diffusion
d'information sur ces questions, notamment grâce à la coopération internationale d'experts et de
scientifiques. Elle a également conduit à des consultations élargies, impliquant, outre les
administrations et les scientifiques, des représentants du secteur associatif et du secteur privé. Elle
s'est traduite enfin par une multiplication depuis 1992 des accords multilatéraux sur
l'environnement.
40. Mais le Sommet de la Terre a surtout constitué une étape décisive du fait qu’il a reconnu
l'existence de défis et de problèmes communs à l'ensemble de la planète et de l'humanité et a essayé
de définir les cas où une responsabilité commune pouvait être établie, sur laquelle pouvait de fonder
la conduite d'actions collectives au niveau mondial. Il a ainsi considérablement étendu le champ des
problèmes globaux –des problèmes écologiques à la santé, en passant par le commerce ou la
pauvreté. Il a aussi mis en lumière les liens entre mondialisation, risques à l'échelle planétaire et
responsabilités communes pour lesquelles une action conjointe de la communauté internationale est
nécessaire.
Une réflexion détournée et appauvrie
41. Outre le fait que les suites institutionnelles et les effets concrets du Sommet de Rio ont été
très décevants, depuis 1992 la quête du développement durable a souffert d'être détourné et
largement vidé de sa substance.
42. D'une part, le développement durable a fait l'objet d'un détournement économiciste: une
fraction significative des acteurs a cherché dans le développement durable la justification d'une
croissance accrue et le moyen de faire en sorte que le développement dure éternellement15. Le
discours sur le développement durable parfois a même été utilisé cyniquement pour, sous couvert de
lutte contre la pauvreté et la recherche de la durabilité écologique, promouvoir l'ouverture des
marchés, la dérégulation financière, la privatisation de ressources naturelles ou le biopiratage.
44. A l'encontre de ces évolutions, consacrées par le Sommet de Johannesburg d'août 2002, il
paraît important de réaffirmer un projet de développement durable centré sur les êtres humains, qui
soit à la fois plus intégral et plus radical. Face à la complexité et à l'interdépendance croissantes des
phénomènes mondiaux, à la montée des disparités Nord/ Sud et au sein de chaque société et à
l'influence prédominante –et toujours accrue– des logiques économiques, le développement humain
durable fournit un cadre pour répondre aux défis posés par la mondialisation. Il permet en effet de
fonder une action collective concertée au niveau mondial et de remettre l'économie à sa place.
45. Par opposition à une conception du développement qui se limite à la seule croissance
économique, le développement durable s'attache aux communautés humaines, à leur bien-être, aux
relations qui se nouent en leur sein et entre elles, et aux rapports qu'elles établissent avec leur
environnement.
46. Le développement humain durable peut alors être défini comme la capacité de toutes les
communautés humaines, y compris les plus démunies, à satisfaire leurs besoins fondamentaux –
habitat, eau potable, alimentation, conditions sanitaires et d'hygiène, énergie, éducation, santé,
participation à la prise de décision, cohésion sociale, tissu relationnel, expression culturelle et
spirituelle, etc. Il doit viser l'adaptation des technologies et des styles de vie aux potentialités et
spécificités socio-économiques et écologiques de chaque région, veiller à une internalisation des
coûts et à un système industriel respectueux de la biosphère.
47. Une telle approche fait du développement humain durable un processus par nature
multifacette: il cherche à équilibrer les sphères écologique, économique et sociale, tout en intégrant
des considérations politique (participation, démocratisation), éthique (responsabilité, solidarité,
justice sociale, satiété) et culturelle (diversité locale, expression artistique, etc.).
48. Elle impose de reconsidérer très profondément nos principes, nos modes de vie et les modes
de fonctionnement de nos sociétés, notamment en matière de production et de consommation. Cela
requiert des changements importants de mentalités et de comportements afin de valoriser le
relationnel et le spirituel, en sus du matériel; de s'attacher à l'être et pas seulement à l'avoir; de
développer une culture de la satiété comme base à une consommation et donc à une production
durables; de prendre le temps et de vivre à long terme.
49. Conformément à l'esprit de Rio, cette approche du développement humain durable permet
d'identifier des enjeux d'échelle planétaire et de concevoir la nécessité pour chacun de prendre ses
responsabilités et d'agir de concert.
50. Sur une terre devenue "village mondial", des questions comme l'effet de serre, la
déforestation, la destruction des ressources halieutiques, le risque nucléaire, les migrations, la
sécurité alimentaire, ou la stabilité des marchés financiers se posent à tous mais ne sont du ressort
exclusif de personne. Elles dépassent les frontières nationales (et souvent régionales), transcendent
la distinction public/ privé, excèdent les capacités d'expertise et d'action des institutions
internationales. Les efforts pour y répondre dans le cadre juridique classique par l'élaboration de
nouvelles normes de droit international (notamment sous la forme d'accords multilatéraux) se sont
rapidement prouvés insuffisants voire inutiles.
51. Une approche alternative s'est alors développée: elle conçoit les problèmes globaux en
termes d'interdépendance et encourage les acteurs à mener des actions concertées pour y remédier.
Elle offre une approche des relations internationales et des réponses aux défis de la mondialisation
cohérentes avec le cadre du développement humain durable:
- la conscience de vivre dans un espace commun: la biosphère constitue l'espace global, partagé, des
cycles naturels et humains. Les déchets et externalités négatives d'un système (industriel par
exemple) sont donc subis par l'ensemble des autres "systèmes": communautés humaines et
environnement;
- la responsabilité de chacun quant à ses actions et aux conséquences de ses actions, y compris dans
des domaines extérieurs à son champ d'action propre (ainsi de la responsabilité sociale et
environnementale des entreprises) et la responsabilité partagée de tous pour trouver des solutions
et agir conjointement pour les mettre en œuvre;
- l'acceptation de payer des coûts dans le court terme, qui sont parfois supportés par certains acteurs
seulement (adaptation des systèmes de production et modification des habitudes de consommation
en matière de CFCs), pour obtenir des bénéfices de long terme au profit de tous (limitation de l'effet
de serre);
- la coopération entre acteurs des différentes régions du monde, associant non seulement les acteurs
publics (Etats, institutions internationales) mais aussi privés (entreprises, ONGs, agences d'expertise
indépendantes).
52. Ces actions de coordination internationale face aux problèmes globaux ont permis un
renouveau de la régulation, notamment publique, sous une forme plus ou moins institutionnalisée. A
mesure qu'augmentent les interdépendances entre régions du monde et sphères d'activités et que se
renforce la conscience d'un destin partagé à l'échelle planétaire, de telles formes d'action collective
apparaissent plus utiles, mais aussi plus légitimes.
53. C'est une telle approche qui fonde notamment la reconnaissance d'un "patrimoine commun
de l'humanité" et de "biens publics globaux", au nombre desquels on compte par exemple la
protection de la couche d'ozone, la lutte contre la déforestation et la désertification, la lutte contre la
propagation des épidémies, le maintien des voies navigables, etc. Le champ des "biens publics
globaux" a cependant vocation à s'étendre à mesure que des questions sont reconnues comme
affectant la situation mondiale et appelant une action concertée. Certains y intègrent donc
aujourd'hui la stabilité financière, la réduction des inégalités socio-économiques ou l'accès de tous au
savoir et aux technologies (Jacquet et al., 2002).
54. Le cadre offert par le développement humain durable permet également de lutter contre la
diffusion des logiques économiques à l'ensemble des activités et représentations humaines et de
délimiter ce qui peut relever de la sphère économique et ce qui n'en relève pas.
55. Dans un monde où la financiarisation de l'économie bouleverse les modes de gestion des
entreprises, où on peut breveter le vivant et acheter des "droits à polluer", où le libre-échange est la
forme première d'organisation des relations entre les hommes, le développement humain durable
nous invite à reconsidérer notre manière de représenter la richesse et de la mesurer. Il nous incite à
prendre conscience d'une contradiction centrale de notre temps: alors même que nos sociétés se
prononcent en faveur d'un développement durable, nos façons de représenter et d'évaluer les
phénomènes qui nous entourent répondent pour l'essentiel à des préoccupations de court terme,
mesurant des phénomènes essentiellement matériels suivant des indicateurs le plus souvent
quantitatifs. Il en résulte qu'une marée noire peut être comptabilisée comme une source de
croissance économique (les activités de pompage du pétrole, par exemple, sont comptabilisées dans
le PIB) alors que le travail bénévole n'est pas perçu comme une richesse de nos sociétés (Viveret,
2001).
56. Nous placer dans le cadre d'un développement humain durable nous amène au contraire à
apprécier la pluralité des facteurs et formes de richesses de nos sociétés –richesse matérielle, mais
aussi cohésion sociale, proximité et solidarité sociales et générationnelles, patrimoine culturel,
qualité de vie, paysages, diversité culturelle, etc. Ce n'est qu'en cherchant à les valoriser qu'on
pourra satisfaire les besoins humains, non seulement matériels mais aussi relationnels et spirituels.
57. Pour questionner la prépondérance de la seule valeur qui soit comptabilisée, la "valeur"
économique, cette approche s'est traduite par une réflexion sur les notions et indicateurs de
richesses, biens, valeurs, etc. et par l'élaboration de nouveaux indicateurs. Ainsi pour contrebalancer
le poids politique écrasant d'indicateurs comme le PIB ou le taux de chômage, le PNUD a dès 1990,
créé l'indicateur de développement humain (IDH). Il a ainsi pu déplacer le débat de la question de
savoir ce que possèdent et produisent les sociétés vers la question de savoir "comment vont les
gens", en intégrant des considérations de logement, éducation, égalité hommes-femmes, état de
santé, etc. (Fabre, 2002). Plus largement, il s'agit de créer des concepts et indicateurs
multidimensionnels de la richesse pour promouvoir une autre mondialisation et un développement
durable17.
58. Par-delà la mesure de la richesse, l'approche en terme de développement humain durable
nous invite à réfléchir aux finalités de la vie sociale et à réexaminer les valeurs qui nous unissent, qui
fondent nos sociétés et qui déterminent leurs modes d'organisation. Le développement humain
durable peut et doit en effet se traduire en une organisation sociale permettant à chacun de disposer
d'une vraie liberté de choix entre des modes différents de consommation, de travail, d'épargne et
d'usage de son temps, eux-mêmes respectueux des environnements humain et naturel.
59. L'expansion récente des initiatives d'économie solidaire, même si celles-ci restent souvent peu
connues, est porteuse d'une valeur heuristique permettant d'imaginer un nouveau modèle de
développement et un autre type d'insertion de l'économie dans la société. L'économie solidaire peut
être définie comme l'ensemble des activités de production, distribution et consommation qui
contribuent à la démocratisation de l'économie sur la base de l'engagement des citoyens en faveur
de plus de responsabilité, cohésion et justice sociales. Plus qu'un secteur marginal de l'économie,
l'économie solidaire constitue donc une approche globale qui remet en cause la représentation
dominante de la société de marché et contribue à construire une alternative au modèle capitaliste de
développement centré sur le néolibéralisme.
60. Trois exemples peuvent permettre de mettre en lumière les apports et le changement de
perspective qu'offre l'économie solidaire:
a. même s'il s'agit encore souvent d'effet d'images, une prise en compte véritable de la
responsabilité sociale des entreprises conduit ces dernières à changer leurs modes d'organisation
pour prendre en compte l'ensemble des parties prenantes (employés, syndicats, consommateurs,
actionnaires, fournisseurs, collectivités locales, etc.) et intégrer véritablement leurs responsabilités
par rapport aux communautés humaines (formation du personnel, aide à l'insertion sociale, rôle dans
l'aménagement du territoire) et à l'environnement (utilisation de ressources renouvelables,
recyclage, efficacité énergétique, etc.) qui les entourent.
b. les systèmes de monnaie sociale prouvent que, même en l'absence d'échange monétaires
formels, il est possible de créer des biens, des échanges et de la richesse, pourvu que les ressources,
le travail et la capacité de création des hommes ainsi que la volonté d'échanger soient présents. Ils
permettent de considérer d'autres formes d'échanges que la monnaie nationale: monnaie locale,
troc, temps18. Ils contribuent également à renforcer le tissu social et à apprendre à faire de
l'économie autrement. La monnaie sociale permet ainsi de repenser radicalement les conditions de la
production et les formes de l'échange, de se réapproprier les échanges et de réinventer l'abondance.
c. l'économie solidaire permet aussi de repenser les mutations actuelles du monde du travail dans
les sociétés occidentales: face au sous-emploi structurel et durable, elle invite à reconnaître d'autres
activités humaines que le travail comme support de rémunération et source de dignité humaine et
d'inclusion sociale. Une telle approche incite à reconnaître et à rémunérer le travail domestique, le
bénévolat ou le travail solidaire exercé dans le cadre d'activités d'économie solidaire. Elle suggère
également de reconsidérer le partage des fruits de l'activité dite "productive" par l'économie de
marché, en reconnaissant que toute production a des coûts indirects portés par la société
(infrastructures, éducation et formation, etc.) et en redéfinissant ce que sont les activités
productives19.
61. Nous voudrions aborder brièvement ici quelques chantiers et quelques problèmes qui
permettent de jeter une lumière sur des alternatives et des initiatives collectives pour prendre en
charge à la fois la mondialisation dans ses enjeux et dans ses conséquences.
62. L'évolution des régimes démocratiques a laissé paraître depuis la fin des années soixante-dix
divers phénomènes contradictoires sur le plan politique qui convergent vers ce qu'on a appelé la
crise de représentation des institutions démocratiques, principalement liée à l'aggravation des
conditions économiques et à l'installation de la crise dans les pays développés. En abordant les
questions de l'élaboration de modes de participation non traditionnels, nous voyons surgir le
problème de la représentativité des institutions démocratiques face à des enjeux où la mise en
commun de plusieurs niveaux de décision se fait de plus en plus pressante, en accentuant le respect
pour la reconnaissance de la dimension de citoyenneté comme participation et intégration au
processus politique.
63. Les questions soulevées par la nécessité d'adapter la prise de décision politique à des enjeux
globaux ont eu pour la plupart des pays démocratiques la conséquence de devoir déléguer à des
niveaux différents des prérogatives autrefois strictement associées au principe de la souveraineté
nationale. Comme le montre le cas de l'Europe, la gestion de ces différents niveaux de gouvernance
et la nécessité de maintenir les équilibres politiques par la négociation continuelle et le respect des
procédures a eu pour conséquence directe le transfert de souveraineté envers des institutions non
représentatives et en même temps légitimes.
64. C'est dans ce contexte qu'il faut situer les discussions autour de la citoyenneté.
Fondamentalement, il s'agit de proposer un définition non-restrictive de la condition de citoyen, en
la relativisant par rapport à son ancrage dans le cadre national. Pour une série de registres donc, la
citoyenneté n'équivaut pas à la nationalité : la participation à la prise de décision sur des questions
qui affectent la vie de certains quartiers ou bien la gestion des initiatives urbanistiques à certains
niveaux régionaux sont aussi des formes appréciables d'intégration à la vie politique et ne se
résument pas à l'appartenance nationale, le critère étant ici l'accent mis sur la vie en commun, et
cette vie traduisant une communauté partagée qui ne se résume pas non plus au seul espace.
65. Cette notion de communauté partagée peut être appliquée de la communauté de voisinage
(comme dans un quartier) à une communauté nationale non-homogène. L'idée fondamentale est
que des non-nationaux sont aussi partie de la communauté et que ce type de lien peut devenir
politique à l'occasion de la création d'institutions intermédiaires (comme des Conseils de quartier)20,
où l'appel à la participation se fait à partir de la condition de l’usager d'un service public, de l’habitant
et du travailleur dans l'endroit
66. On voit bien par là que la conséquence politique est l'intérêt pour la notion d'interculturalité,
autrement dit, sur la possibilité de faire coexister et d'alimenter des traditions distantes aussi bien
dans le but avoué de lutter contre les discriminations (en promouvant par exemple des initiatives de
dialogue entre des communautés a priori séparées), mais aussi par le travail éducatif (à l'école, dans
les institutions sociales) sur la notion d'appropriation de tradition lointaines, pour lutter contre
l'affirmation et l'exagération des différences culturelles qui en définitive amènent dans un contexte
de coexistence de communautés différentes l'ethnicisation des questions sociales.
67. Ce mouvement traduit aussi paradoxalement dans un sens précis quelle est la crise des
instances de représentation de la plupart des pays de l'Europe occidentale, crise dont le symptôme
déterminant semble être l'affaiblissement du taux de participation électorale. Cette crise étant à la
fois expression de l'insatisfaction grandissante devant les insuffisances du système représentatif (qui
repartit les compétences décisionnelles vers des experts, constituant ainsi une dynamique fortement
technocratique). Et attachement aux valeurs fondamentales de la démocratie (par l'accent mis sur
l'exigence de participation).
69. Comment trancher cependant sur une question difficile à l'échelle d'un quartier, d'une ville,
d'une région ou d'un pays ? essayons de voir quelques formes nouvelles et leurs apports dans cette
problématique
70. La démocratie participative a connu un essor au centre de la dynamique dite des actions "de
proximité", autrement dit, avant tout à la politique de la ville. Le principe fondamental qui a été
avancé est la cogestion de la ville par la municipalité et la société locale. L'exemple de Porto Alegre21
permet de voir que dans un cadre institutionnel stable, des innovations permettant d'associer les
habitants à la décision sont possibles en respectant à la fois le fonctionnement constitutionnel des
structures municipales et en permettant aux habitants de prendre part à l'élaboration, à l'évaluation
et à la ratification du budget.
71. L'idée selon laquelle les citoyens doivent avoir part au contrôle de la gestion publique
puisqu'ils sont les premiers concernés permet de poser les premières structures d'organisation de
ces processus participatifs. En reprenant différents exemples22 ces processus suivent plus ou moins
tous le même déroulement :
a. La ville est divisée en secteurs et chaque secteur regroupe une unité de quartier (soit
géographique, soit symbolique)
b. Des commissions thématiques sont constituées pour évaluer les problèmes, situer les
nécessités, envisager des solutions possibles. Chaque commission est élue par secteur et chaque
quartier est représenté .
72. Ces expériences ne présentent pas que des aspects positifs et nombreux sont les conflits qui
peuvent opposer les autorités locales et les conseils ou collèges, sans compter les dérives possibles et
les risques d'instrumentalisation partielle dont ces institutions intermédiaires peuvent être l'objet23
par certains groupes (des professionnels, des militants, des autorités locales et de réseaux de
clientèle).
73. Cependant, il importe de souligner aussi que les conflits doivent être étudiés au cas par cas :
souvent, la méfiance des acteurs institutionnels pour des nouveaux venus crée aussi une dynamique
où s'opposent les logiques de la politique institutionnelle et celle non officialisée, qui lutte pour
l'élargissement du processus décisionnel. Fondamentalement la participation n'est pas un contre
pouvoir, mais l'accès à l'élaboration des priorités collectives et à leur validation publique.
74. Ces formes de participation visent à permettre aux citoyens d'avoir et de donner un avis sur
un sujet technique qui demande un certain niveau de compétence par une consultation sociologique
représentative dans un contexte local, régional ou national. A l'origine ces initiatives veulent
démontrer et établir la représentativité des pratiques participatives en créant des méthodes
délibératives qui permettent l'expression d'un avis qui valide concrètement l'aspiration
démocratique à la reconnaissance et à la participation de la majorité.
76. Pour cela, les forums citoyens ont mis en forme certaines techniques de délibération et de
synthèse qui permettent de demander à un groupe de citoyens 'ordinaires', de toutes professions,
d'élaborer un avis sur une question, aussi technique soit-elle. Ces forums ont été crées en 1974 aux
Etats Unis24, et tentent théoriquement et pratiquement de donner une réponse à la question de
l'implication des citoyens dans les processus de délibération politique
77. Au Danemark, les conférences de consensus25, réunies par le parlement lui même dans
l'intention de donner la parole à des citoyens ordinaires sur des questions de technologie a débouché
sur des expériences originales de formation d'avis et de conseil aux décideurs.
- Le groupe reçoit des informations et est confronté à différents avis d'experts, avec la possibilité
de débattre ceci dans le but de répondre ensuite à un questionnaire.
- L'objectif explicite des autorités est de créer un consensus de qualité pour informer le public et
les politiques.
- A l’issue de la conférence un document est rédigé et le public ainsi que le parlement peuvent
réagir.
79. Dans d'autres pays se développe également une autre forme de délibération appelée 'jury
citoyen'. Sa particularité est qu'il essaye d'intégrer certaines critiques à la représentativité des
pratiques participatives (les origines sociales de ceux qui participent, le manque d'information,
l'insuffisance de délibération). En Espagne, une expérience de ce genre repose sur un groupe de 50
personnes tirées au sort sur 100 dans la population par tirage aléatoire sur les listes municipales. Ils
se réunissent pendant quelques jours avec l'aide d'experts, d'informations et de documents dans le
but de répondre à une série de questions. Une pratique intéressante de ce genre d'initiative consiste,
par exemple, à prêter une attention particulière dans la répartition de la parole pour permettre
l'expression de tous les avis. Pour ce faire, la commission se subdivise en plusieurs groupes de 3 à 4
personnes et auditionne tous les groupes.
80. Ces pratiques permettent de mettre en évidence le fait que la compétence sanctionnée
socialement n'est pas un critère définitif et que l'élaboration d'un avis peut être effectuée de
manière collective en essayant d'intégrer des avis élaborés dans d'autres contextes professionnels
que la production de savoir pour équilibrer à partir de la délibération des citoyens les rapports
politique et connaissance.
82. Fondamentalement les formes de la participation avancée ici n'ont pas la perspective de
changer les structures de représentation politique des grands systèmes politiques mais de montrer
que la crise de confiance dans les institutions démocratiques pet trouver des solutions concrètes à
niveau local.
83. Face à la mondialisation des enjeux, les régulations mondiales actuelles ne sont ni efficaces ni
adaptées aux interdépendances sans cesse croissantes entre les sociétés et entre l'humanité et la
biosphère.
84. Dans ce contexte, les processus multilatéraux de négociation s'éternisent ou n'aboutissent
pas; les accords conclus restent lettre morte ou ne sont qu'une énonciation de principes généraux
qui ne peuvent être appliqués; le pouvoir de décision et d'influence reste concentré dans les mains
des plus puissants. En parallèle, le fossé se creuse entre les dirigeants des Etats et l'opinion publique,
et entre les peuples du Nord et du Sud. Le cadre traditionnel des relations internationales est
aujourd'hui dépassé: il connaît une double crise liée d'une part à son manque d'efficacité et d'autre
part à son manque de légitimité.
85. Ce cadre traditionnel – historiquement qualifié d'ordre westphalien – est fondé sur des
relations entre Etats nations, présumés seuls souverains et effectivement souverains sur leur
territoire respectif. La gestion de questions ne relevant pas du gouvernement d'un seul pays s'inscrit
alors dans un modèle de relations inter-étatiques: d'Etat à Etat, ou –par un processus
d'institutionnalisation croissante au cours du 20ième siècle– au sein d'organisations "inter-
nationales" (Société des Nations, ONU, Fonds Monétaire International, etc.).
…. à la gouvernance mondiale
87. Face à cette double crise de l'ordre ancien, une architecture nouvelle, fondée sur une autre
vision du monde et de la régulation mondiale, est indispensable, consacrant le passage à un cadre de
gouvernance mondiale. A la différence du gouvernement qui est par nature étatique et s'exerce dans
un domaine de souveraineté particulier, la gouvernance peut se définir comme l'ensemble des
systèmes de représentations, institutions, règles, procédures, corps sociaux, systèmes d'information
et moyens de mesure, qui permettent aux communautés humaines de gérer leurs interdépendances
et leur insertion dans la biosphère de façon pacifique et durable. Elle régule à la fois le
fonctionnement interne et les relations avec le monde extérieur (autres communautés,
environnement) et permet de combiner stabilité et adaptation.
88. Face aux défis posés par la mondialisation, s'impose la nécessité d'une gouvernance qui soit
par essence mondiale, percevant les questions dans leur complexité et leurs interdépendances et
s'attachant à les résoudre d'une manière globale en associant l'ensemble des acteurs concernés.
Deux caractéristiques de la mondialisation prescrivent la nécessité d'une forme de gouvernance
mondiale: d'une part, la mondialisation favorise une intégration croissante entre les régions du
monde et entre les enjeux et les réponses à y apporter (lien entre déplacements de population et
désertification par exemple); d'autre part, elle s'accompagne d'un sentiment croissant de solidarité,
ou en tout cas de destinée commune (liée notamment à la survie de la planète face aux risques
nucléaires, aux risques écologiques majeurs ou aux manipulations technologiques du vivant) (Jacquet
et al., 2002: 62-64). Ces phénomènes invitent à reconnaître l'existence d'objectifs communs
minimum –développement durable, paix, réduction des inégalités– et des principes communs
(notamment la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, la responsabilité, la solidarité).
89. Le nouveau modèle de gouvernance mondiale repose alors sur 4 caractéristiques principales:
- se concerter lors des 5 étapes du processus de régulation: initiative, élaboration, adoption, mise en
œuvre, contrôle et évaluation
90. Aujourd'hui, les acteurs présents sur la scène mondiale se retrouvent le plus souvent dans des
arènes distinctes, symbolisées par les Nations Unies pour les Etats, le Forum économique mondial
pour les acteurs économiques, et le Forum social mondial et d'autres réunions alter-mondialisation
pour la société civile mondiale en construction. Une première nécessité est donc d'ouvrir des espaces
permettant à tous ces acteurs de se retrouver, d'exprimer leurs positions, de les confronter, de les
voir s'opposer ou converger pour chercher ensemble des solutions aux problèmes globaux. Il est
important que ces espaces constituent des cadres neutres de rencontre et de délibération,
accommodant les origines et positionnements variés des acteurs. Dans des espaces ad hoc, les
acteurs concernés pourraient alors délibérer sur un enjeu global particulier (marées noires,
privatisation du vivant, etc.) (de la Chapelle, 2002).
91. Toutes les parties prenantes concernées par une question sont invitées à coopérer à son
règlement: Etats, institutions internationales, entreprises, organisations non gouvernementales,
instituts indépendants d'expertise et de monitoring, etc. La distinction entre acteurs publics et
acteurs privés doit notamment être dépassée, les acteurs privés étant également impliqués et
responsables pour leurs activités ayant un impact public. Ceci ne signifie pas que tous les acteurs
sont sur un même pied d'égalité, mais qu'est privilégiée une nouvelle approche en terme de
partenariat.
92. Du fait de l'interdépendance croissante entre acteurs, champs d'activités humaines et régions
du monde, une action ou une décision d'un acteur peut avoir un impact direct ou indirect sur un
grand nombre d'autres acteurs et domaines. Un principe fondamental de la gouvernance mondiale
est donc que les acteurs assument les responsabilités qui découlent de leurs décisions et de leurs
actions, reconnaissant par là même qu'ils sont partie intégrante des communautés humaines et de la
biosphère. En ce sens, la gouvernance mondiale ne consiste pas à empiéter ou renier la souveraineté
des acteurs, mais bien, là où la souveraineté est insuffisante pour mener des actions légitimes et
efficaces, à la compléter par un autre principe: celui de responsabilité (de la Chapelle, 2002). Dans
cette optique, la puissance n'est pas seulement source de pouvoir mais aussi de responsabilité: plus
on est puissant, plus on a de responsabilité.
93. Les parties prenantes mènent une action concertée à chacune des 5 étapes du processus de
régulation:
- initiative: délimiter la question, identifier les parties prenantes, définir des objectifs et un
calendrier, etc.
- élaboration: identifier des solutions possibles, consulter des experts, rédiger des orientations, etc.
- adoption: valider avec tous les acteurs les termes de la régulation, lui donner valeur contraignante
(sur une base juridique, morale)
- vérification et évaluation: apprécier si la mise en œuvre est effective et pertinente, évaluer l'impact
de la régulation
94. Même si toutes les parties prenantes participent à ce processus, elles ne sont pas toutes
impliquées de la même façon à toutes les étapes de la régulation, leurs capacités d'action, leurs
responsabilités et leurs compétences étant très diversifiées (de la Chapelle, 2002).
95. Dans l'optique d'une telle gouvernance mondiale, le renforcement d'une "société civile
mondiale" apparaît alors comme un facteur de richesse et de bonne gouvernance. En se positionnant
sur la scène mondiale, les mouvements alter-mondialisation et les opinions publiques montrent en
effet qu'ils sont conscients des effets de la mondialisation, qu'ils souhaitent contribuer à l'élaboration
des choix et régulations sur des questions globales, qu'ils sont convaincus que les Etats et les
institutions internationales ne peuvent seuls réguler l'ordre mondial et qu'ils éprouvent un sentiment
de solidarité et de responsabilité à l'égard des autres hommes et de l'environnement (Jacquet et al.,
2002: 62-63).
97. D'un autre côté, les questions environnementales s'inscrivent d'emblée dans la mondialité.
Les principaux enjeux actuels relèvent en effet de la catégorie des biens publics et d'une logique
patrimoniale: il s'agit non seulement de réguler les flux mais de protéger le patrimoine planétaire
(biodiversité, ressources halieutiques, changement climatique, etc.). Par ailleurs, ces problèmes se
posent à l'échelle mondiale ou régionale, plus qu'à l'échelle locale, et appellent donc des réponses
associant une multitude d'acteurs et de pays.
98. Rénover la gouvernance mondiale en matière d'environnement exige donc de renforcer les
institutions internationales en charge des questions environnementales, d'affirmer la protection de
l'environnement face aux logiques économiques, et de promouvoir une approche multilatérale et
partenariale.
100. Par ailleurs, l'interpénétration entre les sphères écologiques et économiques est croissante.
D'une part, les acteurs économiques se soucient de plus en plus des régulations environnementale –
soit pour les appliquer (par la mise en place de codes éthiques, de Global Compact, etc.), soit pour en
limiter la portée, comme en témoignent le poids des enjeux industriels, financiers et économiques
lors des négociations des traités sur le changement climatique ou la biodiversité. D'autre part, les
régulations environnementales recourent de plus en plus à des instruments économiques et
commerciaux (taxes, quotas, permis d'émission, etc.) et interfèrent donc fréquemment avec les
règles du commerce international.
101. Il est donc urgent de garantir que le droit environnemental ne soit pas soumis au droit
commercial, comme c'est le cas actuellement26, notamment en créant une procédure d'arbitrage sur
les différends à dimension à la fois environnementale et économique. Il est également primordial de
réaffirmer la volonté politique de mettre en œuvre les régulations environnementales, y compris à
l'encontre d'intérêts économiques.
102. Enfin, une approche partenariale globale doit être adoptée pour concevoir, élaborer, mettre
en œuvre et faire respecter des régulations environnementales plus adaptées et efficaces. D'après le
modèle décrit ci-dessus, celle-ci permettrait d'associer Etats, entreprises multinationales (dans un
cadre plus contraignant que celui de Global Compact), organisation mondiale de l'environnement,
scientifiques, ONGs (notamment pour les étapes d'élaboration et de contrôle), agences privées de
rating, etc. Un cadre commun est déjà partiellement fourni autour de principes largement acceptés
par les différents acteurs: principe de précaution, principe du pollueur-payeur, principe de
responsabilité ("commune mais différenciée" selon les termes du traité de Rio), principe de
prévention, etc. (Bureau et al., 2002: 454).
103. La situation des problèmes internationaux soulevée dans la première partie nous oblige à
revenir sur quelques aspects fondamentaux de la mondialisation. Aussi bien les débats électoraux
dans les pays d'Europe de l'Ouest, que l'ampleur de la catastrophe liée à la dette des pays du tiers
monde obligent à envisager les flux de déplacements de personnes, la pauvreté, ou l'impossibilité de
paiement de la dette et de ses services comme un même problème.
105. Ce thème de l’immigration et la justification idéologique qui fait d’elle une menace pour
l’équilibre interne des Etats pose aussi la contradiction entre les principes universalistes au
fondement des régimes démocratiques et les pratiques de l’Europe ‘forteresse’. Comme l’affirme
l’historien Gérard Noiriel : « A partir du moment où l’idéologie des droits de l’homme est devenue
dominante (dans les années soixante dix), le travail de protection nationale, de clôture, de
refoulement, qui n’a fait, soulignons-le une fois encore, que se renforcer, ne pouvait plus s’étaler au
grand jour. D’où le rôle de plus en plus grand dévolu à la technique afin de masquer les besognes qui
répugnent maintenant aux démocrates. La manipulation parfois cynique des idéaux contribue à
aggraver la démobilisation et le sentiment que toutes les causes sont ‘récupérées’ à des fins
politiques ou commerciales. Résultat : l’écart entre les pays riches et le Tiers-Monde n’a jamais été si
important, et jamais dans toute l’histoire de l’humanité, les réfugiés n’ont été aussi nombreux.
Choisir un « autre cap », ce serait sans doute défendre la cause de l’universel en reconnaissant, et
non en niant, l’existence des intérêts particuliers ; c’est-à-dire réfléchir à une définition du droit
d’asile qui ne soit pas fondée sur la dénégation du national, mais sur son dépassement. Ne serait-e
pas là une excellente façon de s’assumer « soi-même comme un autre » ?27
106. Les choix pour la politique européenne d’immigration ainsi qu’une politique de l’asile ne sont
donc pas clairs (si ce n’est par la volonté de refouler ceux qui ne sont pas ‘acceptables’), et
l’augmentation des disparités au jour le jour fait que cette politique devrait affronter
continuellement le renouvellement des causes de la migration, à savoir la guerre, la misère et la
dictature. Les possibilités d’installation étant nulles pour la plupart des migrants (et non pour les
élites professionnelles et artistiques) les possibilités administratives qui restent sont le retour
volontaire, le regroupement familial, le droit d’asile, la régularisation administrative, ou la
clandestinité.
107. Malheureusement pour la plupart des migrants, il n’y a pas de choix, et ne pas rentrer dans
les catégories officielles signifie rejoindre la masse silencieuse des ‘sans droits’.
108. De l’avis de certains experts il semble que le véritable pilier d’un politique européenne
d’immigration passe par l’élaboration de meilleures conditions pour lutter contre la misère, les crises
économiques et les dictatures ; et la recherche de formules qui regrouperaient des solutions pour
une forme de solidarité internationale où les intérêts des parties soient évoqués et soutenus(aide au
développement, formation technique, coopération).
109. Pour le moment l’Europe se dirige vers une stabilisation avec un apport contrôlé de main
d’œuvre qualifiée et non qualifiée ; la prééminence du modèle des quotas selon un calcul inspiré des
besoins des économies nationales.
110. Comme le soulignent les rédacteurs du cahier de proposition Un carton rouge pour le
tourisme : « le tourisme est la seule activité humaine à mettre face à face, et de façon massive, pour
le meilleur et pour le pire, les populations aisées du Nord et celles, démunies des continents au Sud
». Ce face à face est d’autant plus douloureux que malgré l’extension des possibilités dans l’espace,
l’ordre de circulation est strict et ne peut s’effectuer officiellement que dans certains sens. Par
certains côtés, le tourisme souligne l’envers de la monnaie des déplacements de personnes facilités
par la mondialisation : on n’a jamais autant voyagé, mais il n’est pas sûr que la promotion du
tourisme augmente les possibilités de développement des pays qui entrent en contact avec lui,
comme il est souvent avancé, le tourisme étant à proprement parler la première industrie mondiale.
La question de l’investissement direct étranger, qui selon la plupart des économistes garantirait
l’afflux de capitaux et les chances de croissance de pays pauvres qui peuvent compter sur l’atout
touristique pour obtenir des devises est en fait faussée par le fait que le contrôle sur les ressources
locales est enlevé (par acquisition) aux populations locales, et que la prise de décision se fait à leur
détriment.
111. Sur la base de constatations concernant les méfaits du tourisme (dégradation des conditions
de vie des populations locales, dégradation de l’environnement par les conséquences matérielles du
tourisme de masse), des initiatives ont été prises pour soutenir un tourisme ‘équitable’. Elles se sont
traduites par des propositions qui inscrivent le tourisme dans le développement durable pour qu’il
contribue au bien être public, à l’économie et à l’environnement.
112. Dans ce même esprit, les conventions internationales de Rio et les résolutions de l’Agenda 21
doivent être respectées et ne doivent pas être subordonnées aux règles internationales de la
politique économique et commerciale. Ceci implique la revalorisation dans le cadre de l’ONU de la
place des normes environnementales et sociales dans la politique internationale et la prévision de
structures adéquates. De plus, le tourisme et les loisirs doivent être pris en considération à tous les
niveaux et dans tous les domaines politiques pour la consolidation de stratégies de durabilité.
113. Ces réflexions faisaient déjà partie du travail de la Commission des Nations Unies pour le
développement durable. Elles consacrent un principe simple fondé sur le postulat que si un
programme international de réflexion et de mesures sur le tourisme durable peut être mis en place il
passe avant tout par la prise de conscience de l’importance économique du tourisme28 et la
nécessité de trouver des cadres politiques et éthiques dans lequel permettre au tourisme de se
développer en aidant véritablement ceux qui le subissent à se développer.
Bibliographie
www.alliance21.org
Séverine CHAPAZ, (sous la dir. de) : Les migrations internationales. éd. La Documentation française,
Paris (2002)
Jean FABRE, Nos sociétés ne savent pas répartir la richesse, entretien avec le Directeur adjoint du
PNUD réalisé par Philippe MERLANT, in Transversales ~ Sciences, Culture, n°2, 2ième trimestre 2002,
pp68-71
Tarso GENRO, Ubiratan de SOUZA : Quand les habitants gèrent vraiment leur ville. Le budget
participatif : l'expérience de Porto Alegre. Ed. Charles Leopold Mayer, Paris (1998)
Marion GRET, Yves SINTOMER : Porto Alegre, l'espoir d'une autre démocratie. Ed. La Découverte,
Paris (2002)
David HELD, Anthony McGREW, David GOLDBLATT , Jonathan PERRATON : Global Transformations.
Politics, Economics, and Culture. éd. Standford University Press, Standford, California (1999)
Pierre JACQUET, Jean PISANI-FERRY, et Laurence TUBIANA (eds.), Gouvernance Mondiale, Rapport de
synthèse, Conseil d'Analyse Economique, La Documentation française, 2002.
Gérard NOIRIEL : Réfugiés et sans papiers : la République face au droit d’asile. Hachette, Paris (1991)
OCDE, Développement durable: quelles politiques?, Rapport 2002
Patrick VIVERET, Nouveaux facteurs de richesse, Rapport de synthèse, Secrétariat d'Etat à l'Economie
solidaire, 2001
Edwin ZACCAI, Le développement durable: dynamique et constitution d'un projet, Bruxelles, PIE-
Peter Lang, 2002, 358p
Catherine WIHTOL DE WENDEN : "Logiques migratoires, figures de migrants", in CHAPAZ (ut supra)
Autres sources
- Patrick VIVERET, Rapporteur sur "les nouveaux facteurs de richesse" auprès du Secrétariat d'Etat à
l'Economie solidaire et Directeur du Centre International Pierre Mendès France
Commissions saisies pour avis : commission des affaires juridiques et des droits de l’homme,
commission des affaires économiques et du développement et commission de la culture, de la
science et de l’éducation.
Renvois en commission : Doc. 9085, Renvoi n° 2611 du 22 mai 2001 et Doc. 9087, Renvoi n° 2612 du
22 mai 2001
N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués en italique.
2 de la Chapelle (2002)
5 Dans la plupart des pays occidentaux, le poids des cycles saisonniers dans la consommation des
fruits et légumes est aujourd’hui presque nul ; nous pouvons consommer à n’importe quel moment
de l’année n’importe quel type de produit alimentaire par la seule raison que le réseau global assure
la distribution constante dans les grands centres de consommation.
7 Revel (2002)
8 Revel (2002), pp.2 et suivantes et sur tous ces aspects Withol de Wenden (2002)
9 Ajoutons la croissance accentuée des flux d'une migration 'privilégié', favorisée par un régime
d'exception dans les pays riches, concernant des catégories de population hautement qualifiées et
des étudiants. Chapaz (2002)
10 Bien que concentrées surtout à Londres, Tokyo et New York, l’activité d’échange à niveau mondial
est énorme : l’échange de valeurs par jour ouvrable touche en moyenne les 1490 milliards de
dollars . voir Held et McGrew (1999), pp.189 et sq.
11
Puisque les capitaux sont libres de circuler d’une place financière à une autre en fonction des
rendements offerts sur les différentes monnaies et des anticipations de change. Voir Adda (2002), t.
1, p.103.
12 selon le PNUD, vers la fin des années 90 un cinquième des populations vivant dans les pays aux
plus hauts revenus : occupent 82% des activités des marchés à l'exportation, contrôlent 68% des
investissement directs étrangers, détiennent 74% des lignes téléphoniques mondiales , représentent
86 % du PNB mondial. Voir PNUD/UNDP (1999).
13
pour une comparaison entre continents voir Adda (2002), t. 2, pp.44 et sq.
14 172 des 178 Etats membres des Nations Unies sont représentés, 108 chefs d'Etat sont présents
ainsi que 2400 représentants d'organisations non gouvernementales (Zimmer et Robin, 2002).
15 En 1998, des experts de l'OCDE écrivent ainsi que "le développement durable peut s'interpréter
comme un développement qui s'inscrit dans la durée", (OCDE, 2002)
16 Ainsi, lors du Conseil européen de Göteborg de juin 2001, alors même que le chapitre "Une
stratégie pour le développement durable" mentionnait les questions de pauvreté, démographie et
exclusion sociale, n'ont été retenus dans la version finale que les thèmes prioritaires suivants:
changement climatique, transports écologiquement viables, risques pour la santé publique, gestion
plus responsable des ressources naturelles. (Zaccai, 2002)
17 Outre son indicateur de développement humain, le PNUD a depuis 1990 affiné sa gamme
d'indicateurs et les critères qu'ils intègrent, notamment en créant l'indice de pauvreté humaine (IPH).
La Banque mondiale a quant à elle développé l'approche en termes de capital social. Diverses autres
approches visent à construire des indicateurs de bien-être, de destruction, à mesurer les degrés
d'association ou de solidarité caractérisant les sociétés, etc. (Viveret, 2001: 28-33).
19
En 1995, le PIB mondial était 25 000 milliards de dollars. Si on avait comptabilisé les activités non
rémunérées, il aurait fallu y ajouter 16 000 milliards (64%), dont 11 000 (68%) attribuables aux
femmes. En moyenne, dans le monde, les 3/4 des activités des hommes sont rémunérés contre
seulement un tiers de celles des femmes (Fabre, 2002).
21
voir Gret et Sintomer (2002) et Genro et de Souza (1998). Initié en 1989, l'orçamento participativo a
permis de mettre en place des dispositifs de participation, de planification et de contrôle des
dépenses de la ville. Pour la municipalité et les habitants, il s'agit d'un instrument de démocratisation
des relations Etat/société (la participation au vote suppose la rupture avec les logiques des relations
verticales et hiérarchisées) en combinant des formes de démocratie directe (par la consultation des
habitants à chaque étape d'élaboration des priorités et du budget) et un renforcement des structures
représentatives (par la collaboration de la mairie à tous les échelons comme gage de transparence et
de confiance)
22
Des expériences d'association des habitants aux processus de décision et de structuration aux
politiques de la ville ont été pratiqués à Haarlem depuis 1973, dans plusieurs villes américaines
également dans les années 70, à Rouen depuis 1996, à Marseille depuis 1993. pour un détail voir
Bevort (2002).
25
26 Aujourd'hui ces différends sont examinés, par défaut, par l'Organe de règlement des différends de
l'Organisation Mondiale du Commerce, qui les examine selon sa logique propre.
27 Noiriel (1991).