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Introduction

Charles Baudelaire (1821-1867) et René-François Sully Prudhomme (1839-1907) sont des poètes
du 19ème siècle et font donc parti de ces artistes qui ont connu le ‘Le Mal du siècle’, ce mal de
vivre qui fait suite aux promesses non tenues de la Révolution. D’ailleurs Baudelaire qui est un
des représentants de la modernité en poésie (qui est une réaction contre le romantisme) en
constituera une version aggravée : le spleen. En effet, le spleen désigne une profonde mélancolie,
de l’ennui ainsi qu’une angoisse chez l'être. Le spleen est un concept que Baudelaire utilisera
énormément dans son recueil Les Fleurs du mal. De plus, cette modernité en poésie a la
particularité de rendre esthétique ce qui est généralement considéré comme étant laid. Cela
pourra se voir dans les poèmes où Baudelaire idéalisera la mort (La mort des amants) ou même
Satan (Les Litanies de Satan). Prudhomme, de son côté rejoindra le mouvement parnassien qui
émerge de la poésie moderne de Baudelaire et qui est également en réaction contre le
romantisme. Cependant dans ses premiers recueils (Stances et Poèmes, Les Épreuves, Les
Solitudes), Prudhomme donnera une dimension romantique à ses poèmes; les thèmes de
prédilection des romantiques étant le ‘Moi’ en souffrance, l’amour, la nature ou encore la mort.

En nous basant sur les poèmes La mort des amants de Baudelaire et Un exil de Prudhomme nous
tenterons dans un premier temps de voir de quelles manières les deux poètes dépeignent la
solitude de l'être. Puis nous verrons comment l’amour tient une place primordiale et sous quelles
formes elle se présente. Finalement nous verrons comment, les deux poètes idéalisent
curieusement un événement tel que la mort et comment elle est pour eux synonyme de
renouveau.
A. La solitude du poète

1. Le besoin de l’autre
Dans Un exil, on peut dire que Prudhomme fait une litanie de la solitude en s’en plaignant. Dès
la première strophe, il dit « je plains » et il y aura une répétition de cette formulation deux fois
dans la cinquième strophe. En effet, ce dont le poète se plaint c’est de ces « exilés » (première
strophe) et de ces « bannis » (cinquième strophe) qui « laissent » (le verbe ‘laisser’ qui apparaît
d’abord dans la première strophe et que le poète répète dans la quatrième) derrière eux leur
« amante ». Il utilisera la négation : « Je ne plains point » dans la quatrième strophe comme
antithèse à la première strophe mais l'antithèse sera aussi utilisée au sein d’une seule strophe - la
cinquième. En effet dans le premier vers de cette dernière : « Je plains ceux qui, partant » et dans
le dernier vers « Je plains celui qui reste ». Le poète s’exclame : « Ah! » devant cette « solitude »
de l'être qui cherche « dans sa propre maison », « l’absente ». Prudhomme, avec ses formulations
affirmatives/négatives et avec ses thèses/antithèses réussit à bien nous montrer la solitude des
« exilés » quand ils partent sans leurs « bien-aimées » ou quand ils restent seuls sans elles. De
son côté, dans La mort des amants, afin de nous dépeindre la solitude, Baudelaire utilise
excessivement le champ lexical du double : « Nos deux cœurs », « deux vastes flambeaux »,
« doubles lumières », « deux esprits » ainsi que la première personne du pluriel « nous ». Nous
pouvons aussi noter qu’il y a une concentration du champ lexical du double, justement dans la
deuxième strophe, qui est une allusion au nombre ‘deux’. La répétition du mot « miroirs » est
aussi à noter. En effet le miroir est un objet qui reflète une image et en conséquence, provoque le
dédoublement. Juxtaposer les mots « miroirs jumeaux » (chaque mot étant au pluriel) est une
hyperbole qui dépeint un infini de dédoublement et qui accentue ce besoin de l’autre et qui
contraste avec la solitude physique de l'être.
2. La femme, l’autre idéal

Pour Baudelaire et Prudhomme, cet autre n’est pas n’importe quel autre. L’autre en question est
le sexe opposé du poète: la femme. En effet, les deux poètes nous renvoient à l’image de
l’homme et de la femme qui se complètent. Dans La mort des amants, la relation homme-femme
n’est pas explicite mais ayant connaissance de ses amours avec Jeanne Duval, Marie Daubrun et
madame Sabatier, nous pouvons affirmer qu’il s’agit bien là d’une relation homme-femme.
D’ailleurs Baudelaire s’est beaucoup inspiré des femmes de sa vie pour l’écriture de nombreux
poèmes. Même si la femme en tant qu’autre n’est pas explicite dans La mort des amants,
Baudelaire utilise de nombreux noms communs féminins, « fleurs », « étagères », « lumières »,
« portes », « flammes ». Ainsi, nous pouvons dire que la féminité est belle et bien présente dans
son poème. Chez Prudhomme, dans Un exil, la présence féminine est explicite. Il n’y aucun
doute sur le fait que l’autre en question est une « femme » et c’est une femme qui est « chérie ».
En effet, le poète utilise le terme de « amante chérie » dès la première strophe et il y aura une
répétition du terme à la sixième strophe. Et nous pouvons constater que Prudhomme idéalise la
femme dans son poème en qualifiant le front de celle-ci de « virginal », ce qui nous renvoie à
l’image de la pureté. De plus il mentionne la fleur de « lis » à deux reprises, ce qui pourrait être
une référence à Héra, déesse de la mythologie grecque et épouse de Zeus, à qui cette fleur est
associée. De plus, l’utilisation du terme « lis virginal » pourrait nous faire penser qu’il est aussi
question de la Vierge Marie, la mère de Jésus – le fils de Dieu chez les catholiques. Ainsi nous
pouvons voir comment la femme est idéalisée quand le poète fait référence aux femmes qui sont
associées à Dieu.
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B. L’amour

1. Amour spirituel

Justement, la femme qui est associée aux Dieux est de l’ordre du spirituel. Et le thème de
l’amour qui est omniprésent dans les deux poèmes a une connotation spirituelle. Les deux poètes
font usage du champ lexical du ciel. D’ailleurs chez Prudhomme, c’est cet aspect spirituel qui
nous fait comprendre que l’exil dont il parle est en fait la mort. Il utilise le mot « ciel »
explicitement en plus du terme « céleste ». En effet, dans beaucoup de croyances, il est considéré
que l’âme des morts monte aux cieux. De son côté, Baudelaire utilise justement le mot « cieux »
et il fait également usage de la métonymie : « bleu mystique », ce qui sert à rendre plus poétique
la fusion spirituelle (des amants) qu’il cherche à démontrer. Il sera aussi question du vocabulaire
de l’au-delà : « esprits », « Ange », que le poète utilise pour exprimer un amour au delà de
l’amour physique. De plus, l'allégorie de l'ange « entr’ouvrant les portes » nous dépeint un amour
qui perdure même après « La mort des amants ». L’image de l’ange qui ouvre les portes renvoie
justement à ce passage dans l’autre monde (l’au-delà), voir même le paradis car il s’agit d’un
ange « joyeux » qui vient « ranimer » des « miroirs ternis et les flammes mortes ». Prudhomme
également, donne une dimension spirituelle à « L’amour...d’une amante chérie ». Il y décrit
« l'âme » de l’amante qui a « emporté la patrie ». Cette exagération que Prudhomme fait de ce
dont quoi l’amante est capable, nous confirme que c’est un esprit qui accompagne les exilés
« qu’elle a suivis ». Le poète emploiera aussi la personnification : « Le ciel quitté les suit ». Le
fait que le poète confère à la femme la possibilité d’emporter « le reflet des soleils », « Saisons »,
qui sont en somme des choses vastes, nous donne cette impression de légèreté tel un esprit qui
flotte dans « l’air » et l'évocation des « mains parfumées » confère un effet vaporeux également.
2. Amour charnel

Cependant dans les deux poèmes, il est aussi question d’amour charnel. D’ailleurs les termes
« amants »/ « amante » implique la relation sexuelle. Baudelaire dans son poème fait appel à nos
sens : les « odeurs légères » et les « fleurs » (odorat), les « chaleurs » et les « flammes »
(toucher), « un long sanglot » (l'ouïe). De plus, les « divans », nous renvoie à l’image des corps
des amants qui se prélassent et Baudelaire arrive à nous faire sentir la volupté qui s’y dégage. De
plus, il utilise les termes « flammes » et « chaleurs », ce qui marque vraiment la sensualité du
poème. Aussi, il fait mention du « soir », le soir rappelons le, est propice aux inhibitions. En
effet, Baudelaire parle de ce soir où les amants échangeront « un éclair unique » et cet échange
d’où il est question d’unité, peut renvoyer à l’acte sexuel entre les amants qui ne feront plus
qu’un. Chez Prudhomme, il y aura le même procédé qui visera à faire appel aux sens :
« bouche » (goût), « nouvelle couche » (toucher), « yeux ravis » (vue), « les mains parfumées »
(le toucher et l’odorat). D’ailleurs rappelons-le, que le parfum - fabriqué ou naturel - est un atout
de séduction. Le fait que Prudhomme parle de « mains parfumées » fait référence au parfum
corporel, donc, les phéromones qui sont connus pour jouer sur l’attraction sexuelle. Puis, à cette
amante qui suit son bien-aimé dans l’autre monde, Prudhomme y associe le souvenir des
« anciennes nuits » (d’amour). Comme nous l’avons remarqué chez Baudelaire qui fait mention
du « soir », ici également nous retrouvons cette sensation de torpeur que favorise la nuit. Le
poète évoque également “la nouvelle couche” qui fait référence au lit conjugal que les amants
partageront dans l’au-delà.
C. La mort

1. L’idéal

Nous avons donc pu constater que l’amour tient une place importante dans les deux poèmes.
Cependant nous verrons que l’amour seul n’est pas au centre de ces poèmes. En effet, dans La
mort des amants et Un Exil, l’amour et la mort sont étroitement liés. Concernant Baudelaire, le
lien est fait dans le titre même. Cependant Prudhomme utilisera l’exil comme métaphore à la
mort. On peut aussi dire que l’exil est un euphémisme pour désigner la mort et cela a quelque
chose de parnassien. Malgré que Prudhomme, au moment de l'écriture de Un Exil n'était pas
encore un parnassien, on peut y apercevoir les contours: avec l’adage du parnasse qui est ‘l’art
pour l’art’, Prudhomme fait preuve de retenue en n’employant pas le mot ‘mort’. Mais tout
comme la mort, l’exil a cette particularité de finalité: partir sans avoir la possibilité d’y retourner.
Et si en terme général, la mort se rapporte au morbide, les deux poètes la présente comme un
idéal. Ce qui nous fait penser à la modernité poétique de Baudelaire où le poète s’empare de ce
qui est laid. D’ailleurs, dans la dernière strophe de son poème, ce dernier qualifie cet événement
de « joyeux » et cela fait écho au poème de Prudhomme qui dans la première strophe qualifie les
« exilés » (morts) d’ « heureux » car leur amante les a suivis dans l’au-delà. Prudhomme en nous
décrivant ses plaintes – « Je plains les exilés qui laissent derrière eux/…une amante chérie»,
« ceux qu’elle a suivis...sont heureux », « s’il n’a dans son propre pays/Point d’amante…, je
plains celui qui reste » - arrive à nous transmettre le fait que le bonheur et la transcendance
s’accomplissent quand l’amour et à la mort sont liés.
2. Le renouveau

En effet, la mort est représentée en tant qu’idéal et cet idéal veut que la mort soit
synonyme d’espoir et de renouveau. D’ailleurs, les deux poètes utilisent l’image de la
fleur en éclosion pour représenter le renouveau. Chez Baudelaire : « d'étranges
fleurs.../Écloses pour nous ». Chez Prudhomme : « Les lis...recommencent d’éclore ».
Justement chez ce dernier, la mort n’est pas perçue comme une fin en soi, elle à la foi un
« fidèle reflet » de la vie terrestre car les exilés « retrouvent le jour de leur pays natal »
mais elle est aussi synonyme de recommencement sous des « nouveaux climats ».
D’ailleurs Prudhomme utilisera une antithèse : « Et les anciennes nuits pour la nouvelle
couche » pour étayer cette idée. Le temps verbal qui prédomine dans le poème de
Baudelaire est le futur simple : « Nous aurons », « Nos deux cœurs serons », « Nous
échangerons », « viendra ranimer ». En effet, il utilise le futur simple dans chacune des
strophes et cela accentue le fait que la mort prochaine, ce « plus tard » est attendu avec
plein d’espoir. Nous retrouvons dès lors un Baudelaire qui voit la mort comme un moyen
d’échapper au Spleen. L’espoir d’une autre vie qui serait aussi bien que la première (voir
meilleure) se voit aussi chez Prudhomme quand ce dernier décrit ce que les exilés
« retrouvent » de beau : « L’amour et la beauté » (au lieu de décrire ce qu’ils ont perdu).
D’ailleurs l’utilisation du préfixe ‘re’ : « recommencent », met bien l’emphase sur le
retour à l’abondance de la vie. Et les « champs paternels » sont une métaphore à cette
vaste abondance. Contrairement à Baudelaire qui fait usage du champ lexical de la mort –
« mort », « tombeaux », « long sanglot », « adieux », « mortes » - Prudhomme met
l’emphase sur le renouveau : « nouveaux climats », « nouvelle couche ». En effet ce
dernier n’utilise pas le champ lexical de la mort et il fait même le contraire en parlant de
« vivant souvenir ».
Conclusion

Donc nous avons pu voir, comment, même s’ils utilisent des procédés différents,
Baudelaire et Prudhomme font de la mort - lié à l’amour - un idéal. D’ailleurs sur la
forme des poèmes nous pouvons dire qu’ils comportent tous deux des rimes croisés qui
pourrait peut être faire écho à ce croisement entre l’amour et la mort. En effet, nous avons
vu dans un premier temps que le poète ne peut s’accomplir seul et qu’il a besoin de cet
autre. L’autre en question est la femme. Les deux poètes arrivent à nous démontrer la
complémentarité du couple et l’un deux sacralise même la femme en lui attribuant
l’image de la déesse ou de la sainte. Puis, nous avons vu que, ce qui rapproche les amants
c’est l’amour. Il y a d’abord l’amour spirituel qui justement nous démontre que l’amour
va au-delà du physique et de la vie terrestre : elle perdure dans l’autre vie après la mort.
Cependant il y a aussi l’amour charnel qui met les sens en éveil et c’est cet amour qui fait
que les amants se sentent vivants, même dans l’au-delà. Justement, les deux poètes
idéalisent cet au-delà en mettant l’emphase sur le fait que la mort terrestre n’est pas une
fin en soi mais qu’elle est plutôt un retour à la vie ou un renouveau qui ne comportera que
du beau.

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