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HAUTE ÉCOLE GALILÉE - INSTITUT DES HAUTES ÉTUDES DES COMMUNICATIONS SOCIALES

Coûte que coûte : être un homme aujourd’hui


Les coûts de la domination masculine pour les hommes

Travail présenté dans Ie cadre du Mémoire de fin d'études pour l'obtention du diplôme de
Master en Communication appliquée spécialisée Animation socioculturelle et Éducation
permanente

Par Maxime COWEZ


Promoteur : Frank PIEROBON

Bruxelles, juillet 2021


Remerciements
Je tiens d’abord à remercier du fond du cœur mon promoteur, Franck Pierobon, pour sa
disponibilité, sa bienveillance et ses nombreux conseils avisés. Je tiens à lui exprimer toute
ma gratitude pour l’attention et le temps qu’il m’a consacré, qui m’ont été très précieux
dans mon cheminement réflexif personnel.

Merci à Caro’, avec laquelle j’ai l’occasion de partager toutes ces réflexions et découvertes,
notamment à propos du genre et des masculinités. Merci pour tout ce que m’apporte cette
incroyable relation qui nous unit, ainsi que pour le soutien et la bienveillance qu’elle m’a
apporté dans ces nombreuses périodes de doutes et d’angoisses qui ont émaillé la rédaction
de ce mémoire.

Merci à mes frères, Romain et Loris, pour tout l’amour et la joie qu’ils ont pu m’apporter
dans cette période anxiogène que peut être l’écriture d’un mémoire. Un merci tout
particulier à Rom’, qui a été d’une attention, d’une bienveillance et d’un altruisme
inestimables durant les dernières semaines de la rédaction de ce travail.

Merci également à mon papa, pour avoir toujours été à mes côtés, pour avoir toujours veillé
à ce que je m’épanouisse à travers des choses qui me tiennent à cœur, même si nos points
de vue divergent par moment.

Merci à Albert, mon grand-père, à Anne, ma marraine et à Eloïse, ma cousine, pour leurs
relectures attentives, et leur engouement à l’égard de ce que j’ai pu réaliser.

Enfin, je remercie toutes ces personnes avec lesquelles j’ai pu converser, et approfondir mes
réflexions et mes découvertes. Je remercie particulièrement Irène Zeilinger et Simon Dubois-
Yassa, qui m’ont accordé une partie de leur précieux temps pour me faire part de leurs
conseils avisés quant à mon sujet de mémoire. Merci également à Edouard, Alexy et
Sébastien pour ces conversations très riches au cours de laquelle ils m’ont fait part de leurs
rapports respectifs à la masculinité.

Je tiens à dédier ce mémoire à ma maman. J’espère que, de là où elle est, elle est fière de la
personne que je suis devenu.

1
Note sur la longueur excessive de ce travail
J’ai bien conscience que la longueur de cet article ne respecte pas le règlement de l’IHECS
définissant les caractéristiques formelles que doit épouser un mémoire théorique. Les
"coûts" pour les hommes de la domination masculine étant un sujet qui s’inscrit dans des
systèmes d’organisation sociale très complexes (genre, patriarcat…), il paraissait dès lors
essentiel d’expliciter et de déconstruire ces systèmes sociaux, ainsi que les représentations
et les dynamiques qu’ils induisent. En accord avec mon promoteur, Frank Pierobon, j’ai donc
fait le choix de conserver une longueur excessive, afin de pouvoir aborder ces nombreuses
notions qui me semblent essentielles pour appréhender au mieux un sujet aussi complexe
que les masculinités, et leurs éventuels coûts.

2
Introduction
Depuis quelques dizaines d’années, dans nos pays d’Europe occidentale, les idéaux et
revendications féministes ont pris place au sein du débat public. En un demi-siècle à peine, il
est devenu indéniable que nous évoluons dans des sociétés régies par une domination
masculine, qui induit de nombreuses inégalités et discriminations pour les femmes1 et les
personnes issues de la communauté LGBTQIA+2. Nous avons ainsi pu assister à des avancées
notables quant aux droits des femmes (mariage, travail, contraception, avortement, etc.), et
à la mise sur pied d’instances publiques destinées à lutter contre les inégalités basées sur le
genre, comme les différents ministères en charge de l’Egalité des Chances et des Droits des
Femmes, ou encore l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes (IEFH). De nombreux
organismes, collectifs et associations émanant de la société civile ont également vu le jour
afin de lutter activement contre ces nombreuses discriminations et violences sur base du
genre, et/ou pour proposer un contexte bienveillant et émancipateur aux personnes qui y
font face.

Cependant, malgré ces incontestables progressions sur les questions de l’égalité de genre, et
une conscience de plus en plus importante concernant cet enjeu sociétal, force est de
constater que les discriminations de genre persistent3, et que la domination masculine se
maintient, dans tous les secteurs de la société. Nous pouvons notamment constater que les
positions de pouvoir (politique, culturel ou économique) sont toujours détenues en grande
partie par des hommes. Un exemple parmi d’autres : en 2020, les 60 plus grandes
entreprises françaises étaient toutes dirigées par des individus masculins (Duport, 2020).
Nous pouvons également garder à l’esprit qu’une écrasante majorité des auteurs de
violences basées sur le genre sont des hommes : en 2017, en France, ils représentaient 98%
des auteurs de « violences ou harcèlement sexuel » (Clanché et al., 2018, p. 107). Et ce ne
sont pas les exemples qui manquent pour attester de la persistance de cette domination

1
Au sein de ce mémoire, l’utilisation du terme "femmes" se veut inclusive et non-essentialisante. Je l’utilise
afin de regrouper toutes les personnes se reconnaissant comme "femmes", bien que celles-ci expérimentent le
sexisme de différentes façons.
2
Cet acronyme a été créé pour regrouper toutes les personnes qui ne se reconnaissent pas dans cette vision
binaire et hétéronormative du genre, à savoir les personnes Lesbiennes, Gays, Bisexuelles, Transgenre, Queer,
Intersexes et Asexuelles. Le "+" signifie que cette "liste" est loin d’être exhaustive, et qu’il existe d’autres
façons de qualifier son rapport au genre et/ou à la sexualité.
3
L’institut pour l’égalité entre les femmes et les hommes a d’ailleurs noté, en 2020, une hausse de 9% des
plaintes pour discrimination de genre.

3
masculine. De la pornographie à l’expression des émotions, en passant par la langue
française, c’est toute notre culture qui est encore imprégnée par des représentations qui
entretiennent ces inégalités, discriminations et violences basées sur le genre.

Étant particulièrement touché et révolté par ces constats, je m’intéresse depuis quelques
années aux questions qui entourent le genre, et à la déconstruction des rapports de pouvoir
qui induisent l’oppression de ces nombreuses personnes. J’ai ainsi pu constater, à la suite de
nombreuses féministes, le manque d’investissement des hommes au sein des luttes pour
l’égalité des genres (Dupuis-Déri, 2014, p.79). En effet, ce sont très souvent les personnes
opprimées (femmes et personnes LGBTQIA+) qui tentent de déconstruire les structures
oppressives au sein desquelles elles évoluent, et de s’en émanciper. A contrario, il reste très
rare que des hommes tentent, eux aussi, de déconstruire la position dominante (donc
oppressive) qu’ils occupent, et de s’en distancier4. Pourtant, cette remise en question par les
hommes de la domination masculine paraît être un préalable indispensable à une future
égalité des genres. En effet, la domination semble être autant l’affaire des personnes qui la
subissent que de celles qui en bénéficient.

Il semble très difficile pour beaucoup d’hommes d’entamer cette remise en question, en
témoignent les nombreuses réactions hostiles, voire agressives, lorsque l’on tente de
remettre en question la position de pouvoir qu’ils occupent et les privilèges dont ils
bénéficient. Dans une société encore fort tournée vers l’intérêt personnel, au détriment du
bien-être collectif, cela paraît presque logique que les membres du groupe dominant
éprouvent des difficultés et des réticences à remettre en question des structures sociales qui
les avantagent objectivement, et qui font tellement partie de leurs quotidiens qu’elles
apparaissent parfois comme "normales". Le féminisme est dès lors encore très souvent
envisagé comme "une affaire de femmes" au sein de laquelle les hommes "n’auraient rien à
gagner".

4
Même si certains hommes soutiennent les mouvements féministes et/ou queer, c’est bien souvent davantage
dans le but d’encourager l’émancipation de ces personnes, et non de remettre en question une position sociale
oppressive.

4
Je reste néanmoins convaincu, à la suite de nombreux·ses théoricien·ne·s5 du genre, que les
hommes, au même titre que les femmes, auraient tout à gagner à se libérer de ces normes
de genre oppressives qui régissent nos sociétés. Comme le précise Virginie Despentes, « la
virilité traditionnelle est une entreprise aussi mutilatrice que l’assignation à la féminité »
(2006). En effet, pour accéder à ces positions de pouvoir et aux privilèges qui les
accompagnent, les hommes doivent répondre à une série d’injonctions, de normes et de
modèles qui définissent la "bonne façon d’être un homme". Il y aurait donc, pour beaucoup
d’hommes, un véritable "prix à payer", un ensemble de "coûts", pour correspondre à ces
représentations stéréotypées de l’individu masculin. La mise en valeur de ces différents
"coûts" de la domination masculine permettrait dès lors de montrer aux hommes les
nombreux "gains" qu’ils auraient, eux aussi, à remettre en question ces normes de genre.
Plutôt que de s’entendre dire qu’ils "doivent se remettre en question", les hommes, grâce à
la prise de conscience de ces "coûts", pourraient développer un véritable intérêt personnel à
déconstruire ces normes de genre.

Cependant, avant d’analyser le potentiel émancipateur de la perception de ces éventuels


coûts par les hommes, il nous faut d’abord établir si de tels coûts existent bel et bien, et, si
oui, sous quelles formes ils se présentent. En effet, bien que certain·e·s auteurs·trices, à
l’instar de Caroline New, bell hooks ou Pierre Bourdieu, aient dénoncé que la domination
masculine implique de réels impacts négatifs pour beaucoup d’hommes, très peu de
personnes, au sein de la littérature francophone, se sont attachées à regrouper ces
différents "coûts", à les expliciter, et à les définir de manière détaillée.

Si les formes prises par la domination masculine sur les femmes ont été
abondamment analysées, rares sont les recherches interrogeant les investissements,
les concessions, le prix à payer pour maintenir une position sociale globalement
hégémonique. (Guionnet, 2013)

5
Au sein de ce mémoire, j’ai décidé de faire usage de l’écriture inclusive, afin de ne pas invisibiliser la moitié de
l’humanité à travers l’utilisation de la langue française, et de ne pas reproduire cette règle qui prétend que "le
masculin l’emporte sur le féminin", conditionnant ainsi nos représentations du monde. Pour ce faire, je me suis
basé sur le Guide du bon usage du genre (2019) publié par L’Université Catholique de Louvain (accessible en
ligne). Ayant conscience des difficultés de lecture que peuvent induire l’utilisation du point médian, j’ai tenté,
le plus souvent possible, d’éviter d’y avoir recours, privilégiant l’utilisation de termes épicènes afin de fluidifier
mon texte.

5
Ce mémoire portera dès lors sur l’analyse de ces éventuels "coûts de la domination
masculine pour les hommes" afin de pouvoir montrer leur diversité, leur étendue, et leur
dimension systémique. Pour ce faire, nous partirons de la question de recherche suivante :
dans quelle mesure, et sous quelle forme, la domination masculine, telle qu’elle se
présente dans nos sociétés d’Europe occidentale, implique-t-elle des impacts négatifs pour
les hommes eux-mêmes ?

Pour répondre à cette question de recherche, et pouvoir parler de ces "coûts de la


domination masculine", il nous faudra d’abord nous intéresser aux structures de pouvoir qui
les induisent, et, plus particulièrement, à ce groupe social formé par les hommes. Il parait
ainsi essentiel d’analyser la position de pouvoir que confère le fait "d’être un homme", pour
pouvoir saisir ces coûts comme un "prix à payer" permettent d’accéder à une série de
privilèges. Il semble également important de montrer que le groupe social des hommes, loin
d’être homogène, est lui aussi traversé par des rapports de pouvoir. La "masculinité" et les
coûts qui peuvent l’accompagner sont ainsi vécus différemment en fonction des individus.

Dans ce mémoire, je prendrai également le temps de détailler et de déconstruire ces


nombreuses notions que peuvent être le "sexe", le "genre", le "patriarcat", ou encore la
"masculinité". Cela me paraît d’autant plus important que nos cultures véhiculent toujours
des compréhensions fausses, biaisées ou approximative de bon nombre de ces éléments qui
structurent nos sociétés genrées. Aucun·e d’entre nous n’étant à l’abri de ces
représentations biaisées, certaines ayant même « l’évidence du naturel et le naturel de
l’évidence » (Tuaillon, 2019, p.25), il semble donc impératif de revenir de manière nuancée
et détaillée sur ces notions.

Ce mémoire se veut davantage prospectif que prescriptif. Son but n’est pas d’amener de
nouvelles certitudes, mais bien d’en interroger certaines, parfois séculaires, de poser des
questions, de partager des réflexions, d’ouvrir et d’explorer les champs du réel et du
possible. Le genre étant un sujet d’une magnifique complexité, il semble indispensable de
constamment interroger nos certitudes, de systématiquement douter de ce que l’on
considère comme vrai. En effet, nous avons souvent tendance à penser le monde selon des
dichotomies (bien/mal, noir/blanc, homme/femme, tors/raison), conceptions dont je
voudrais m’écarter pour embrasser davantage de nuance. Comme le note le physicien et
philosophe Etienne Klein, « ce n’est pas dans les positions extrêmes que l’on trouve la vérité,

6
mais dans des imbrications, dans des superpositions, dans la nuance précisément, qu’elle se
situe » (2021). Je reste donc conscient qu’il existe certainement des imperfections, des
approximations dans ce mémoire, et qu’il y a sans doute bon nombre d’éléments qu’il
me/nous reste encore à découvrir ou à maîtriser. Je vous invite dès lors à conserver un esprit
critique en parcourant les pages qui vont suivre.

Ce mémoire est conçu non pas comme une fin en soi, mais bien comme une "base
théorique" destinée à la réalisation d’animations en Education Permanente ou en Education
à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle (EVRAS). Au sein de ces animations, la mise en
valeur de ces coûts pour les hommes de la domination masculine constituerait une véritable
porte d’entrée pour encourager les hommes et les garçons à déconstruire leurs rapports à la
masculinité, ainsi que la position de pouvoir qu’ils occupent. Ces animations serviraient
également à analyser les différentes manières dont ces coûts sont ressentis (ou non) par les
individus masculins.

Étant donné que nos façons de concevoir le monde sont conditionnées par notre position
dans les différentes structures de pouvoir qui régissent nos sociétés, il me semble enfin
indispensable de préciser la position sociale depuis laquelle je rédige ce mémoire. En effet,
je suis un homme blanc, valide, cisgenre et hétérosexuel, issu d’une classe socio-
économique relativement aisée, qui a bénéficié d’une grande partie des privilèges que
peuvent lui conférer ces attributs. Bien que je tente au mieux de me distancier des biais
induits par cette position dominante, mes réflexions et ma manière d’appréhender le monde
restent sans aucun doute influencées par celle-ci. Préciser cette position sociale que j’occupe
permet aussi de mettre en valeur que je dispose du temps, du contexte socio-culturel et du
bagage réflexif qui me permettent de tenter de déconstruire mon rapport au genre et à la
masculinité, ce qui est n’est pas le cas de tout le monde…

Ce mémoire s’inscrit dès lors dans la lignée des valeurs et des idéaux de la section Animation
Socio-Culturelle et Education Permanente. En effet, ce travail a été réalisé dans le but de
favoriser un changement social en matière d’égalité des genres. Tentant, au mieux, de
questionner le monde dans lequel nous évoluons, ce mémoire est dès lors conçu comme un
véritable outil pour arpenter, ensemble, ces possibilités de changements positif afin de
mener à l’épanouissement de chacun·e dans la société.

7
Cadre théorique et méthodologie
La première partie de ce mémoire sera consacrée à déconstruire la société genrée dans
laquelle nous évoluons tou·te·s : ses logiques, ses dynamiques, ses représentations et ses
rapports de pouvoir. Pour ce faire, nous nous baserons sur les nombreux apports et théories
développées par les sciences humaines et, plus précisément, les études sur le genre (gender
studies). Nous nous référerons également aux nombreuses théories formulées par les
penseuses du courant "féministe matérialiste"6 (Simone de Beauvoir, Christine Delphy,
Colette Guillaumin, Monique Wittig…). Ces théories paraissent particulièrement pertinentes,
car elles ont révolutionné nos manières d’appréhender le système de pouvoir patriarcal dans
lequel nous évoluons. Elles ont permis, en s’inspirant des thèses marxistes, de dénoncer ce
système social comme construit et de mettre en valeur les nombreuses oppressions sur
lequel il se base. Ce courant féministe, et le changement de paradigme pour analyser les
relations de genre qu’il a impliqué, ont d’ailleurs été parmi les éléments précurseurs à la
création des études sur le genre.

Étant donné qu’il est assez difficile de « penser les rapports sociaux de sexe à partir d’une
position sociale oppressive » (Thiers-Vidal, 2002), nous prêterons attention, dans ce chapitre,
à donner en priorité la parole à des personnes qui expérimentent concrètement ces
oppressions (principalement des femmes), qui possèdent dès lors un point de vue spécifique
permettant de bien mieux les appréhender et les définir7. Afin de mettre en valeur toute la
complexité qui caractérise nos rapports au genre, nous tiendrons également à mentionner
certains apports des théoricien·ne·s des mouvements queer qui, à l’instar de Judith Butler,
ont permis de contribuer à la distinction entre le sexe (naturel8) et le genre (construit
socialement), de déconstruire cette binarité des genres, et de dénoncer cette tendance à
l’hétérosexualité qui se présente comme une véritable norme sociale.

La deuxième partie de ce mémoire sera consacrée à l’analyse et à la déconstruction des


"masculinités". Pour ce faire, nous nous baserons sur cette branche des études sur le genre,

6
Ce courant du féminisme a été particulièrement impulsé par les représentantes de la "deuxième vague
féministe", dans les années ’60, ’70 et ’80. Il est également appelé "féminisme radical", car il s’attaque aux
racines de l’oppression des femmes.
7
Cela rejoint les théories de "l’objectivité forte" de Sandra Harding et des "savoirs situés" de Donna Haraway,
sur lesquelles je ne me pencherai malheureusement pas davantage dans ce mémoire.
8
Nous le verrons, ce n’est pas aussi simple, car nos représentations du sexe biologique sont, elles aussi, baisées
par des constructions sociales.

8
appelée masculinity studies, dont l’objet est l’étude des hommes et de leurs masculinités. Au
sein de ce champ d’étude, nous nous intéresserons principalement aux travaux de Raewyn
Connell, qui ont véritablement révolutionné les études sur le genre. La sociologue
australienne a en effet théorisé le "modèle hégémonique de la masculinité", qui permet de
concevoir le groupe des hommes comme lui-même traversé par des rapports de pouvoir,
chaque homme se définissant à partir de ce modèle. Ces théories ont une importance
capitale pour ce mémoire, car elles permettent, entre autres, de se rendre compte que
chaque homme entretient un rapport différent à la masculinité. Pour explorer ces
masculinités, leurs caractéristiques et leurs dynamiques, nous nous baserons également sur
le livre Les couilles sur la table (2019) de Victoire Tuaillon, tiré de la série de podcast du
même nom. Dans ce livre, aussi riche que détaillé, Tuaillon propose un vaste panorama de
« ce que l’on sait sur la virilité, la masculinité et les hommes », en s’appuyant sur les
contributions de nombreux·ses scientifiques ou auteurs·trices.9 Dans la lignée des théories
matérialistes, nous prendrons soin, dans ce chapitre, de concevoir les masculinités dans une
perspective de déconstruction des rapports de pouvoir. En effet, ce sont ces structures de
domination, constitutives de l’oppression des femmes, qui engendrent les masculinités. Il
semble dès lors impossible de les penser indépendamment des structures de pouvoir qui
contribuent à les créer.

Pour la rédaction de ces deux premières parties, nous nous baserons également sur diverses
publications produites et réalisées par des organismes émanant de la société civile
(associations, collectifs…). En effet, certaines de ces structures, à l’instar de l’ASBL Le Monde
selon les femmes ou du collectif Nous Toutes, proposent des publications aux contenus
particulièrement qualitatifs. Celles-ci sont le fruit du travail de nombreuses personnes qui
s’engagent, parfois bénévolement, pour regrouper leurs savoirs et les vulgariser, proposant
ainsi au grand public des outils pour déconstruire la société genrée dans laquelle nous
évoluons toutes et tous. Ce mémoire s’inscrivant, qui plus est, dans un master en Éducation
Permanente promouvant la co-construction des savoirs, il semble dès lors compréhensible
que nous accordions une attention particulière à ce type de publications.

9
Concernant les masculinités, il s’agit de l’ouvrage francophone le plus complet qu’il m’ait été donné de lire
jusqu’à présent.

9
La troisième et dernière partie de ce mémoire sera consacrée à la mise en valeur de ces
"coûts" de la domination masculine pour les hommes. Pour ce faire, nous avons consulté
l’un des seuls ouvrages francophones traitant de ce sujet, intitulé Boy’s Don’t Cry ! Les coûts
de la domination masculine (2012). Rédigé par trois sociologues, ce livre se présente comme
un recueil des travaux de différent·e·s scientifiques sur ce sujet. Cependant, ces études ont
presque toutes été réalisées il y a plus de dix ans, il est donc fort probable que les relations
au genre, aux masculinités, et à leurs "coûts" aient évolué entretemps. Au vu du très faible
nombre de travaux qui se sont intéressés à ce sujet dans la littérature francophone10 ces
dernières années, nous nous baserons dès lors sur un ensemble de statistiques11 et de
sources scientifiques, issues de différentes branches des sciences (psychologie, médecine…)
pour tenter de dresser un aperçu non-exhaustif de ces différents "coûts". Cette approche,
qui s’appuie davantage sur des faits objectivables que sur un ensemble de témoignages,
parait essentielle pour démontrer le caractère systémique de ces "coûts du rapport
dominant à la masculinité".

À la suite de cela, nous avons également mené deux entretiens afin de questionner la
perception de ces éventuels impacts négatifs du rapport dominant à la masculinité chez des
hommes de différents groupes d’âge, issus de milieux différents (rural/urbain), et qui
répondent à ce modèle hégémonique de masculinité12. Le premier a été mené avec
Sébastien, 45 ans, qui habite à Bruxelles depuis 6 ans, après avoir passé la majeure partie de
sa vie à Paris. Le second a été mené en compagnie d’Alexy et Edouard, deux adolescents de
17 et 18 ans issus du petit village hennuyer de Rêves. Ces deux entretiens, réalisés sous une
forme semi-directive, se sont tenus en présentiel. Faute d’espace pour pouvoir nous étendre
sur la perception de ces coûts par les hommes, ces deux entretiens, bien qu’ayant été très
riches, n’apparaitront pas au sein de ce mémoire.

Lors du processus de rédaction de ce mémoire, nous avons également effectué deux


entretiens exploratoires avec deux personnes qui ont développé une certaine expertise dans
l’étude des masculinités. L’objectif de ces entretiens était de recueillir leurs avis, subjectifs
mais informés, quant à ces "coûts de la domination masculine pour les hommes". Nous nous

10
Ce sujet des "impacts négatifs pour les hommes du rapport dominant à la masculinité" est davantage abordé
dans la littérature anglo-saxonne, notamment à travers les nombreux travaux et ouvrages réalisés par le
sociologue Michael Kimmel.
11
Ces statistiques sont d’ailleurs très peu souvent interprétées sur base du sexe.
12
À savoir des hommes blancs, cisgenre, hétérosexuels, valides issus des classes moyennes ou supérieures.

10
sommes ainsi entretenus avec la sociologue Irene Zeilinger, fondatrice de Garance ASBL, qui
travaille sur le sujet de la violence basée sur le genre depuis 25 ans. Nous avons également
eu l’occasion de réaliser un entretien en compagnie de Simon Dubois-Yassa, formateur et
consultant sur les questions relatives aux masculinités au sein de l’ASBL Le Monde selon
les femmes, qui a beaucoup travaillé sur la promotion de l’égalité femmes-hommes auprès
de publics masculins. Ces deux entretiens, menés sous une forme semi-directive, ont quant à
eux été réalisés en visio-conférence. Ces deux personnes ont été à l’origine de bon nombre
de pistes de réflexion que nous évoquerons dans ce mémoire.

Enfin, il paraît indispensable, durant l’entièreté de ce mémoire, de conserver une lecture


intersectionnelle du genre et des masculinités. Cette lecture suppose de prendre en compte
« l’intersection (ou « entremêlement ») des systèmes d’oppression » chez les individus
(Janssen, 2017, p.2), permettant ainsi de « mettre en lumière la complexité qui résulte de
l’imbrication de divers rapports de pouvoirs vécus par une personne. L’intersectionnalité nous
apprend que les discriminations doivent être abordées dans leur ensemble pour être
pleinement comprises, plutôt qu’étudiées séparément » (Dogahe et al., 2021, p. 57). En effet,
le rapport au genre de chaque individu est influencé par la place que chacun d’entre eux
occupe au sein des autres structures de pouvoir qui traversent notre société (classe, race,
validité, âge …). Ces différents rapports de pouvoir, bien que pouvant être analysés dans
leurs singularités, comme nous allons le faire ici avec le genre, ne sont cependant jamais
isolables les uns des autres, car ils sont en constante interaction dans la vie de chaque
personne. Il est donc indispensable de les avoir constamment à l’esprit.

11
Partie 1 : Genre et patriarcat
Introduction
Avant de nous intéresser aux masculinités et leurs différents coûts, il semble primordial,
voire indispensable, de détailler le système de structures sociales qui permet à ces
masculinités d’exister, de se perpétuer, de se renouveler. Cela semble sauter aux yeux : nous
évoluons dans une société organisée et hiérarchisée sur base du genre, au milieu d’autres
systèmes de différentiation et de domination, comme la race ou la classe sociale. Il est donc
essentiel de déconstruire ce système genré et patriarcal afin de saisir au mieux les
différentes notions que nous aborderons dans le chapitre consacré aux masculinités et à
leurs caractéristiques. A la suite des théoriciens de la pensée complexe et systémique,
comme Edgard Morin13, nous aurons tendance à considérer qu’aucun objet (ici, les
masculinités) ne peut être étudié dans sa singularité. Au contraire, toute chose s’inscrit dans
un contexte précis, en interconnexion avec son environnement, et les différentes
dynamiques qui traversent la société.

1.1 Des sociétés fondées sur un système sexe-genre-sexualité


Dans nos sociétés, le sexe et le genre ont une importance capitale : au même titre que la
classe sociale ou l’origine ethnique, ils organisent la société en différents groupes sociaux
aux caractéristiques bien définies, hiérarchisés entre eux. Ces trois éléments que sont le
sexe, le genre et la sexualité souffrent de représentations biaisées, qui contribuent à
perpétuer une vision binaire et hétéronormée de la société. Ils sont également souvent
confondus : dans le langage courant, le mot "sexe" désigne autant « le sexe biologique qui
nous est assigné à la naissance (mâle ou femelle) [que] le rôle ou le comportement sexuels
qui sont censés lui correspondre (le genre), [ou encore] la sexualité » (Dorlin, 2008). Dans les
lignes qui vont suivre, nous nous attacherons donc à expliciter, à déconstruire et à relier
chacune de ces trois notions.

13
Voir ses ouvrages Introduction à la pensée complexe (1990, Seuil) et Les sept savoirs nécessaires à l’éducation
du futur (Points, 2015).

12
1.1.1 Une conception dyadique du sexe biologique
Au sein de nos sociétés, la conception largement dominante du sexe biologique se réduit à
« une notion anatomo-physique (les organes génitaux) (…) nous autorisant, dans le discours,
à identifier des groupes de personnes à leurs attributs génitaux » (Bereni, Chauvin, Jaunait &
Revillard, 2012, p.34), à savoir "mâle" et "femelle". Mais la réalité biologique est bien
différente et bien plus complexe. En effet, à côté de la forme des organes génitaux, le sexe
biologique est déterminé par une pluralité de critères incluant, entre autres, les gonades
(ovaires/testicules), les hormones (testostérone/œstrogène), ou encore les chromosomes
(XX/XY) (Bereni et al., 2012, p.34). Assez souvent, ces indicateurs sont alignés et
correspondent à cette vision dyadique, ou binaire, du sexe (mâle/femelle). Mais bon nombre
de personnes naissent également « avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques ou
chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps
masculins ou féminins » (Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 2016,
p.1). Ces personnes sont appelées "intersexes" et représentent plus d’1.7% des naissances,
soit autant que celles de personnes rousses (Genres Pluriels, 2019). Mais pour s’intégrer
pleinement dans des sociétés régies par un « système [genré] binaire, polarisé et oppressif »
(Dorlin, 2008), il "faut" qu’une personne corresponde à l’un des deux sexes14. Ainsi, une
partie des personnes intersexes, celles dont l’intersexuation est trop "flagrante" à la
naissance, subissent une intervention chirurgicale et/ou des traitements hormonaux afin de
« leur assigner, non pas un sexe (ils en ont déjà un), mais le bon sexe », à savoir « un appareil
génital mâle ou femelle « plausible », [permettant] un comportement sexuel « cohérent » »
(Dorlin, 2008).

La définition dominante du sexe (deux sexes uniques et radicalement différents) qui prévaut
depuis des centaines d’années15 est donc elle-même biaisée par une vision genrée et binaire
du monde. Les travaux des biologistes, prétendant étudier le sexe comme un "objet
naturel", uniquement destiné à être découvert et élucidé, étaient grandement influencés par
les représentations des sociétés dans lesquelles ils s’inscrivaient (Bereni et al., 2012, p.39).
Ainsi, les scientifiques ont tenté de faire correspondre la réalité biologique, faite de diversité,

14
Il existerait en fait bien plus de deux sexes. Ce nombre est difficile à définir, les estimations allant de 5 à 48
sexes.
15
L’histoire de la sexualité humaine est d’ailleurs passionnante. Jusqu’au siècle des Lumières, on pensait qu’il
n’y avait qu’un seul sexe (mâle) et que le sexe femelle n’était qu’une version "moins perfectionnée" de celui-ci.

13
de complexité et d’incertain, à un modèle social binaire et oppressif au sein duquel il
n’existerait que deux sexes distincts16. Bien qu’il existe des différences anatomiques et
génétiques irréfutables entre les individus, c’est l’interprétation que la science et la société
ont fait de ces différences qui est biaisée.

Le genre à son tour crée le sexe anatomique dans le sens que cette partition
hiérarchique de l’humanité en deux transforme en distinction pertinente pour la
pratique sociale une différence anatomique en elle-même dépourvue d’implications
sociales ; […] la pratique sociale et elle seule transforme en catégorie de pensée un
fait physique en lui-même dépourvu de sens. (Delphy, 2001)

1.1.2 Une vision hétéronormée de la sexualité


Une autre caractéristique nous permettant de nous définir en tant qu’individu genré est
notre orientation sexo-affective exprimant le ou les genre(s) pour le(s)quel(s) une personne
se sent attirée. Ici encore, nature et culture ont joué des coudes pour définir cette notion
très récente. En effet, le terme « hétéro-sexuel » a été utilisé pour la première fois à la fin du
19ème siècle, afin de désigner « le contraire de l’« instinct sexuel pathologique », c’est-à-dire
l’instinct sexuel finalisé par la procréation (…) [Cela] permet dès lors de distinguer l’acte
sexuel « déviant », « pathologique » et l’acte sexuel « naturel », « normal », comme les
personnalités qui leur sont associées » (Dorlin, 2008). Cette conception de la sexualité a donc
réduit le sens de l’acte sexuel à son seul rôle reproducteur, censé prouver l’aspect "naturel"
et immuable de l’hétérosexualité. Or, ce lien entre sexualité et reproduction semble ne plus
avoir de sens au moins depuis l’accès à la contraception, et a même été invalidé par la
science elle-même :

Il semble, chez l'Homme, qu'il n'existe plus de comportement de reproduction inné,


mais, (…) un nouveau comportement dont le but semble être la stimulation du corps.
Ce comportement, que nous qualifions de comportement érotique, induirait
l'acquisition de différentes activités auto- hétéro- homo- et bisexuelles. (Wunsch,
2013, p.8).

16
La biologie a d’ailleurs pendant très longtemps cherché à définir une "nature" de l’homme et de la femme.
Un exemple parmi tant d’autres est le mythe de la testostérone qui provoquerait des comportements violents
chez les hommes.

14
Il y a donc une importante distinction à faire entre une reproduction biologiquement
« hétérosexuée » (impliquant un mâle et une femelle) de l’espèce humaine et le « caractère
hétérosexuel de l’organisation sociale », qui n’a aucun fondement naturel, et qui nous
amène à évoluer dans une véritable « culture hétérosexuelle » (Tin, 2012).

Une « culture hétérosexuelle » peut être définie comme celle d’une société au sein de
laquelle « l’attirance pour l’autre sexe est partout figurée, cultivée, célébrée » et où
« l’homme existe pour aimer une femme et la femme existe pour aimer un homme » (Tin,
2012). Ainsi, à l’aune des perspectives féministes et queer, cette culture hétérosexuelle,
appelée "hétéronormativité", apparait comme une véritable norme qui gouverne nos
sociétés de façon bien plus large que la simple sexualité (amour, mariage), et qui exclut les
personnes qui n’y répondent pas. Dans son ouvrage phare appelé La Pensée Straight,
Monique Wittig, à la suite de Simone de Beauvoir, considère l’hétérosexualité non pas
comme une orientation sexuelle, mais comme un véritable « régime politique », qui permet
de façonner les individus genrés que sont les "hommes" et les "femmes", l’un.e ne pouvant
pas exister sans "l’Autre" (Alphonse, 2021).

Malgré les modestes avancées de nos sociétés quant à l’inclusion des personnes non-
hétérosexuelles, celles-ci souffrent toujours de profondes discriminations et font face à de
nombreuses violences homophobes. À l’échelle globale, l’homosexualité était toujours
illégale dans 72 pays du monde en 2018 (Walter, 2018). À l’échelle de notre pays, malgré
qu’il soit considéré comme « l’un des pays au monde où les droits des homosexuel/le/s sont
les plus avancés » (Garance, 2014), une homophobie latente subsiste dans beaucoup
d’esprits, et les violences, qu’elles soient physiques ou symboliques, restent monnaie
courante, en témoignent notamment les nombreux "pédé" qui émaillent nos cours de
récréation, ou le récent assassinat d’une personne homosexuelle par trois jeunes à Beveren
(Wauters, 2021).

1.1.3 Le genre, notre « sexe social »


La notion de genre est l’un des piliers centraux de ce mémoire, et, à plus large échelle, des
savoirs féministes et queer. Elle a été créée afin de « définir les identités, les rôles (tâches et
fonctions), les valeurs, les représentations ou les attributs symboliques, féminins et
masculins, comme les produits d’une socialisation des individus et non comme les effets

15
d’une « nature » » (Dorlin, 2008). Cette vision "socialement genrée" de la société a été
introduite dans les années 1930 par l’anthropologue Margaret Mead, qui parlait de « rôles
sociaux » afin de dénaturaliser les différents « tempéraments » des individus, et d’en révéler
le caractère socialement construit (Bereni et al., 2012, p.25). Mais ce sont surtout les
féministes de la deuxième vague qui ont impulsé cette vision du genre comme socialement
construit. Pensons notamment à Simone de Beauvoir et à son ouvrage phare, Le Deuxième
Sexe (1949), dans lequel elle déclare que l’on ne « nait pas femme, on le devient »,
impliquant une distinction claire entre le concept biologique de "femelle" et le concept
socialement construit de "femme". Malgré cette promotion d’un paradigme genré par les
féministes, il aura fallu attendre plus de 10 ans après la publication du Deuxième Sexe pour
voir apparaitre pour la première fois la distinction entre le sexe (biologique) et le genre
(construit socialement) dans une publication scientifique (Bereni et al., 2012, p25).

La création du concept de "genre" a eu trois apports considérables. Il a d’abord contribué à


dénaturaliser les rapports sociaux, à dévoiler leur côté construit et donc arbitraire. « C’était
déjà une avancée considérable que de penser qu’il y avait, dans les différences de sexe,
quelque chose qui n’était pas attribuable à la nature » (Delphy, 2013). Cette notion a
également permis de s’appuyer sur cette construction sociale des rapports de genre pour
porter des revendications politiques, destinées à dévoiler et dénoncer « la production et la
reproduction des différences entre les sexes dans des lieux aussi variés que l’école, le travail
ou la famille » (Bereni et al., 2012, p.26). Enfin, la création de ce concept a permis d’ouvrir la
voie à une nouvelle vision du monde, permettant d’analyser tant les sociétés avec une vision
genrée, que ce concept de genre en lui-même : ses caractéristiques, ses nuances ou ses
implications.

L’un des principaux écueils de cette conception du genre, souligné par Judith Butler dans son
ouvrage Gender Trouble (Trouble dans le genre) est « d’alimenter l’illusion qu’une fois le
genre isolé du sexe, il laisse à voir un sexe biologique « purement naturel » et donc pré- ou
non-social » (Bereni et al., p.29). Cependant, nous avons déjà montré à quel point ces
représentations binaires du genre ont influencé nos conceptions de la notion de sexe
biologique, la réduisant à une dyade (femelle/mâle). Cela a mené de nombreux·ses
théoricien·ne·s du genre à ne plus appréhender le sexe comme une réalité naturelle, mais
bien comme un construit social. Le genre n’est dès lors plus envisagé comme une simple

16
description du "sexe social" des individus, mais comme « le système qui produit ces sexes
comme deux réalités sociales distinctes » (Bereni et al., 2012, p.30). Cette nouvelle
conception du genre, notion utilisée au singulier ("le" genre plutôt que "les" genres) permet
de « déplacer l’accent des parties divisées vers le principe de partition lui-même » (Delphy,
2013).

Le genre comme système de différenciation des individus


Dans nos sociétés, le genre est dès lors un élément qui joue un rôle central dans la vie des
individus et dans la constitution de leurs identités. Il est d’ailleurs l’une des informations
indispensables qui doivent apparaitre sur notre carte "d’identité"17. Le genre structure en
fait l’ensemble de la société, constituant un véritable système. Celui-ci peut être défini
comme « un ensemble de pratiques, de symboles, de représentations, de normes et de
valeurs sociales que les sociétés élaborent à partir de la différence sexuelle – anatomique et
physiologique – et qui donne un sens général aux relations entre personnes sexuées »
(Kayaert & Novis, 2019, p.12). Chaque individu se voit donc être assigné à un genre à sa
naissance, auquel il est censé correspondre durant toute sa vie. Mais c’est loin d’être
toujours le cas. Il semble ici important de préciser que le rapport au genre de chaque
personne comporte plusieurs dimensions :

L’identité de genre désigne la façon dont une personne définit (elle-même) son genre. Dans
une majorité de cas, il est dans la droite ligne du genre qui nous a été attribué à la naissance
(homme ou femme dans nos sociétés binaires). On appelle "cisgenre" ces nombreuses
personnes « dont l’identité de genre (et, par extension, l’expression de genre) est
relativement en adéquation avec le rôle social attendu en fonction du genre assigné à la
naissance » (Genres Pluriels, 2019, p.9). Mais bon nombre de personnes ne se reconnaissent
pas dans le genre qui leur a été assigné à la naissance et souhaitent épouser les codes du
genre auquel elles s’identifient. On qualifie ces personnes de "transgenre"18. D’autres
personnes ne se reconnaissent pas dans cette vision dichotomique du genre, ne se
retrouvant ni dans le genre masculin, ni dans le genre féminin. Ces personnes sont appelées
"non-binaires" et leurs réflexions nous poussent de plus en plus à ouvrir les yeux sur cette

17
Il "faut" donc être assigné.e à un genre (donc à un sexe) pour que notre existence soit officiellement
reconnue.
18
Retrouvez davantage d’informations dans la brochure Trans genres (2017) éditée par l’ASBL Genres Pluriels.

17
entreprise mutilatrice que peut être la binarisation des genres et des sexes, qui nous est
proposée comme « unique possible » (Scott, 1988, p.141).

L’expression de genre renvoie à "l’apparence de genre" d’une personne, à savoir


« l’attitude, les comportements et l’image que l’on décide d’adopter dans la société en
rapport à un genre plutôt qu’à un autre » (Kayaert & Novis, 2019, p.17). Une personne peut
avoir une expression de genre féminine, masculine ou androgyne (possédant des éléments
des deux genres à la fois). Cette composante du rapport personnel au genre est, à l’instar
des trois autres, autonome. Elle n’a pas à correspondre ni à l’identité de genre de la
personne, ni à son sexe biologique, même si la société tend à nous faire penser le contraire.

Le sexe biologique a trait aux caractéristiques génétiques et anatomiques d’une personne,


qui peut être mâle, femelle ou intersexe.

L’orientation sexo-affective concerne l’attirance sexuelle et/ou romantique. Elle peut être
tournée vers des personnes du genre "opposé" (hétérosexualité), du même genre
(homosexualité), des deux à la fois (bisexualité) ou envers personne (asexualité)19.

En les mentionnant, on voit comment notre vision binaire du genre influence ces quatre
notions et les rend excluantes pour les personnes qui ne s’y reconnaissent pas. Il existe donc
autant de genres, et de rapports à celui-ci, qu’il n’existerait d’individus si nous étions
délivré.e.s de cette vision binaire et dogmatique. C’est d’ailleurs ce à quoi s’attellent les
mouvements transgenre, queer et intersexe, en critiquant « le système de partition de
l’humanité en sexes, non seulement pour sa binarité oppressive, mais également dans sa
prétention à faire du sexe un indice pertinent des divisions du monde social » (Bereni et al.,
2012, p.648).

1.2 Le patriarcat : un système de hiérarchisation basé sur le genre


Les féministes matérialistes de la deuxième vague ont également analysé le genre comme
« le système de division hiérarchique de l’humanité en deux moitiés inégales » (Delphy,
2013). Ainsi, le genre, en plus de différencier les individus en deux groupes bien distincts,
permet également de hiérarchiser ces groupes selon « un rapport social marqué par le
pouvoir et la domination » (Bereni et al., 2012, p.31) des hommes sur les femmes. Ce

19
Et il en existe beaucoup d’autres, vous pouvez en découvrir certaines dans cet article du magazine Têtu :
https://tetu.com/2017/05/17/andro-aro-sapio-test-orientations-sexuelles/

18
« système de relation sociale », permettant « l’oppression des femmes » (Bereni et al., 2012,
p.31) est, jusqu’à aujourd’hui, qualifié de patriarcat. Cette oppression des femmes, corollaire
d’une domination masculine, est structurelle, c’est-à-dire qu’elle concerne tous les secteurs
de l’organisation sociale : elle est à la fois économique, symbolique et culturelle. Il s’agit
d’une réalité qui nous est imposée à la naissance, et à laquelle personne n’échappe
(Tuaillon, 2019, pp.10-11). Cependant, bien que presque toutes les femmes de ce monde
évoluent dans des sociétés dominées par des hommes, les contours et les formes de cette
domination sont toujours historiquement et culturellement situés. Ainsi, il nous faut
absolument éviter d’universaliser les expériences de genre. Celles-ci sont dépendantes du
contexte dans lequel elles ont lieu, mais également à la concomitance (ou non) avec d’autres
sources de domination (classe, race, validité…).

1.2.1 L’origine du patriarcat


Certain·e·s auteurices ont tenté d’établir les origines de cette domination des hommes sur
les femmes. Brisant le mythe naturalisant prétendant "qu’il en a toujours été comme ça",
Olivia Gazalé, dans son ouvrage Le mythe de la virilité, nous apprend que, dans les sociétés
préhistoriques, la femme était déifiée pour sa capacité à enfanter, considérée comme un
« phénomène magique, résultant d'une intervention divine ou surnaturelle » (2017). Ces
sociétés sont appelées « matrilinéaires », car la seule filiation avérée est maternelle. « Les
enfants portaient le nom du clan ou de la tribu de la mère. (…) Et la propriété naturelle du sol
et des récoltes se transmettait de mère en fille » (2017). Le moment de rupture se situe peu
après la sédentarisation des sociétés humaines, lorsque l’on a pu observer la reproduction
des animaux d’élevages et « l’importance de la fécondation de la femelle par le mâle »,
passant ainsi « d'une conception unisexuée de la reproduction à une conception bisexuée »
(2017).

Le changement de paradigme est capital : la femme, à laquelle on avait jadis prêté


des pouvoirs magiques et une affinité avec le divin, qu'on avait révérée comme la
détentrice d'un savoir incommunicable, n'est en fait rien d'autre que le réceptacle
destiné à recueillir le précieux liquide séminal. Tandis que son ventre est discrédité, le
sperme devient un objet de culte, au même titre que la fascinante machine dévolue à
son intromission dans le ventre féminin : le phallus (Gazalé, 2017).

19
C’est d’ailleurs Aristote qui a fini par théoriser ce mythe d’une hérédité uniquement
paternelle, en déclarant que « le mâle transmet la forme, ou l'essence, qui est le signe de la
perfection divine, tandis que la femme n'apporte que la matière, indéterminée et dénuée
d'esprit » (Gazalé, 2017). Il est d’ailleurs intéressant de constater que ce mythe est toujours
bien ancré actuellement, en témoignent les histoires de "petite graine déposée par le papa
dans le ventre de la maman" ou de spermatozoïdes conquérants allant féconder un ovule
passif20. Néanmoins, s’il est passionnant d’essayer de remonter aux origines du système
patriarcal, il semble bien plus pertinent de chercher à déconstruire son fonctionnement, ses
logiques, ses effets et ses dynamiques. « Autrement dit interroger le comment et non le
pourquoi de la subordination ; penser les choses en termes de processus » (Lebas, 2015).

1.2.2 Un système basé sur la dichotomie Homme/Femme


A la base de ce système patriarcal, on retrouve une opposition conceptuelle constitutive de
la pensée humaine « qui oppose l’identique au différent » (Héritier, 1996). Ce rapport binaire
est d’ailleurs « à la base des systèmes qui opposent deux à deux des valeurs abstraites ou
concrètes » (Héritier, 1996). Au sein de ces couples d’opposés (masculin/féminin, haut/bas,
spirituel/matériel, raison/passion réalité/apparence, universel/particulier, esprit/corps,
actif/passif, dehors/dedans, lumière/obscurité, positif/négatif, phallus/vagin…), « le premier
terme est invariablement assimilé au masculin et posé comme supérieur au second » (Gazalé,
2017).

Comme l'a montré l'anthropologue Françoise Héritier, toutes nos catégories de


pensée sont en effet modelées sur le binôme masculin/féminin, qui est la base d'un
système de classification primordial, lequel départage le monde en deux principes
opposés. (…) Ce système d'oppositions hiérarchisées dessine ainsi à la fois une
cosmologie – interprétation du cosmos dans son ensemble – et un ordre juridique et
social, qui se renforcent l'un l'autre, en vertu d'une continuité supposée entre le
naturel et le social. (Gazalé, 2017)

Sur base de cette conception des appareils génitaux, l’un étant phallique, actif, "tourné vers
le monde", productif, siège de l’esprit, l’autre étant creux, passif, "tourné vers l’intérieur",
reproductif, siège de la matière inerte, c’est l’entièreté du monde sensible qui se voit être

20
Daphnée Leportoisa a écrit un article pour déconstruire ce mythe, intitulé Dire que le spermatozoïde pénètre
l’ovule, c’est faire de lui un preux chevalier (Slate, 2019).

20
connoté au masculin et au féminin avec des caractéristiques spécifiques à ces deux sphères
(Gazalé, 2017). Ces conceptions duales, construites socialement, mais considérées depuis
fort longtemps comme ayant une source naturelle, ont permis de définir, de perpétuer et de
faire évoluer les rapports de genre.

Les rapports de genre regroupent « les voies par lesquelles une société définit les rôles, les
droits, les responsabilités, les identités (féminines/masculines) et détermine les types de
rapports sociaux entre les femmes et les hommes » (Le Monde selon les femmes, 2019, p.9).
Ces rapports de genre permettent à la fois de différencier les individus sur base de ce critère
arbitraire qu’est leur sexe, et le genre qui y est associé, et dans le même temps, de « fixer
leur position et leur pouvoir dans la société » (Le Monde selon les femmes, 2019, p.9). Les
relations de genre, profondément inégalitaires, sont donc structurées par des relations de
pouvoir, au sein desquelles les positions dominantes sont systématiquement occupées par
des hommes. On peut même dire que « le genre est le champ premier à l’intérieur ou au
moyen duquel le pouvoir se déploie » (Scott, citée par Le Monde selon les femmes, 2019,
p.9).

1.2.3 La socialisation de genre


Les rapports de genre, qui structurent la vie des individus, sont donc appris par chacun·e via
la société et ses codes21. Cet apprentissage, appelé « socialisation de genre », se définit
comme « le processus par lequel les individus apprennent les attentes sociales, les attitudes
et les comportements typiquement associés aux hommes ou aux femmes » (Kayaert & Novis,
2019, p.5). Cette socialisation de genre, bien qu’opérant partout et tout le temps, est
principalement induite par trois instances : la famille, l’école et la culture.

La sphère familiale est la première instance à inculquer les rôles de sexe aux enfants, de
deux manières différentes. D’une part, car les jeunes enfants apprennent par imitation, les
parents incarnant « les modèles de rôle auxquels les enfants sont incités à se conformer »
(Bereni et al., 2012, p.122), « et comme les rôles ont tendance à être encore très sexués
aujourd’hui (papa bricole, maman cuisine), il est bien compréhensible que les enfants les

21
Bien que ces normes de genre régulent la vie des individus et de leurs relations, j’éprouve quelques
difficultés à concevoir les individus comme des sujets "passifs" de structures sociales qui les modèlerait de
façon uniforme. J’y vois davantage des agents, qui reçoivent ces rôles avec des degrés différents de
normativité, se les réapproprient et les interprètent pour les incarner (ou non) selon leur sensibilité propre.

21
reproduisent » (Tuaillon, 2019, p29)22. D’autre part, à travers leurs comportements et
réactions, qui sont bien différents en fonction du sexe de l’enfant, « les enjoignant ainsi, de
manière plus ou moins explicite, à adopter les rôles associés à « leur » sexe » (Bereni et al.,
2012, p.122).

Dès sa naissance, tout enfant est également baigné dans un océan d’objets et de contenus
culturels, qui influencent sa perception du genre, en proposant « des environnements
matériels différenciés aux garçons et aux filles » (Bereni et al., 2012, p.134). On peut
notamment penser aux vêtements que les parents choisissent pour leurs enfants, et à leurs
couleurs, ou aux jouets qui leurs sont proposés, au sein desquels on peut noter que les
objets destinés aux filles « cultivent davantage les compétences relationnelles et verbales
tandis que les jouets des garçons impliquent davantage de compétition et les compétences
spatiales » (Bereni et al., 2012, p.138). On pense également à ces nombreuses productions
culturelles (livres, films, publicités…), qui, malgré les récentes évolutions sociales sur le sujet,
« se cantonnent encore à une représentation conventionnelle des rôles de genre » (Bereni et
al., 2012, p.143). Et tout cela est inculqué aux enfants via une langue dont l’un des
principaux principes est que "le masculin l’emporte sur le féminin".

La dernière instance majeure de sociabilisation de genre est l’institution scolaire, lieu


emblématique de reproduction des inégalités sociales. Malgré les récentes perspectives
égalitaristes de l’enseignement et la normalisation de l’école mixte, on constate la
persistance « d’une forte ségrégation sexuée des filières scolaires et professionnelles (…), les
filières féminines étant globalement moins prestigieuses et moins rentables (…) que les
filières masculines » (Bereni et al., 2012, p.146). À l’instar des parents, on constate
également que les enseignant·e·s « ne se comportent pas de la même façon avec les élèves
des deux sexes » (Bereni et al., 2012, p.153). Les enseignant.e.s ont ainsi notamment
tendance à davantage juger les travaux des garçons sur le fond et la réflexion, tandis que
ceux des filles seront jugés par rapport à la forme et à la présentation, ou à s’attendre « à ce
que les filles soient sages et les garçons dissipés » (Bereni et al., 2012, p.153). L’école est
également l’un des lieux principaux au sein duquel les garçons et les filles peuvent construire
leur identité de genre au contact les un·e·s des autres. Les élèves se feront ainsi rappeler à

22
Nous nous référons ici à la représentation dominante, normalisée et hétéronormée de la famille, constituée
d’un père, d’une mère et de leurs enfants.

22
l’ordre par leurs camarades, et parfois par leurs enseignant.e.s, s’ils n’épousent pas les codes
du genre qui leur a été assigné. Et ces injonctions à correspondre à son genre ne seront que
renforcées avec l’adolescence, période durant laquelle « l’identité se doit d’être confirmée
par le regard d’autrui » (Kergoat, 2014).

Nous aborderons bien plus précisément le rôle de genre masculin, sa construction et son
apprentissage dans le chapitre consacré aux masculinités. Nous ne nous attarderons pas non
plus sur les rôles et normes de genre féminines, pour deux raisons. D’abord car, dans ce
mémoire, nous nous intéressons principalement aux masculinités et à leur coût, nous
manquons donc d’espace pour nous élargir à d’autres thématiques, aussi intéressantes
soient-elles. Ensuite, et surtout, car, en tant qu’homme cisgenre, je n’ai pas à expérimenter
ces normes, rôles et stéréotypes de genre féminin, et les discriminations et autres violences
qui les accompagnent. Même si je me suis renseigné sur ce sujet, je ne m’estime pas bien
placé pour en parler, et je pense également qu’il y a bon nombre d’autrices qui ont pensé,
analysé et déconstruit ces rapports au genre féminin de bien belles manières, vers lesquelles
vous pouvez vous tourner. Nous allons néanmoins mentionner trois éléments importants qui
conditionnent la position des femmes au sein de la société patriarcale, et qui importent pour
mieux saisir cette "domination masculine", à savoir la division sexuée du travail,
l’appropriation des femmes par les hommes, et la violence comme élément constitutif des
rapports de genre.

1.2.4 La division sexuée du travail


Sur base de cette prétendue tendance naturelle à la maternité et au soin des autres, les
femmes ont, depuis les sociétés antiques, été assignées au travail reproductif23 (soin et
éducation des enfants, cuisine, ménage, lessives, courses…) qui, à l’instar de tous les
secteurs reliés au "féminin", a pendant des siècles été invisibilisé et socialement dévalorisé,
et l’est toujours à l’heure actuelle. Ainsi, les féministes de la 2 ème vague ont constaté que les
femmes du monde entier accomplissaient gratuitement un véritable travail, qui n’était pas
reconnu ni valorisé comme tel, car il ne "produit pas de valeur". Ne tirant aucun avantage ni

23
A l’inverse des hommes qui occupaient la sphère "productive" de la société.

23
rétribution de ce travail, mais étant tout de même contraintes à l’effectuer, elles ont ainsi
conclu qu’elles étaient véritablement "esclaves" de ces tâches, et donc exploitées.24

En adaptant les théories marxistes à la vision genrée de la société, les féministes


matérialistes ont analysé le patriarcat sur base du principe qu’il se construit et se maintient
sur une base économique (Bereni et al., 2012, p.175). Christine Delphy, dans son livre
L’Ennemi Principal, fait ainsi un parallèle entre le capitalisme, qui se construit sur
l’exploitation de la classe des travailleurs·euses (le prolétariat) par le patronat, et le
patriarcat, qui se base sur l’exploitation du travail domestique des femmes, défini comme
« tout travail effectué gratuitement pour autrui dans le cadre du ménage ou de la famille »
(2013), par les hommes. L’un des apports majeurs de ces théories est d’avoir sorti la sphère
familiale du privé25 pour la rendre politique, amenant, par exemple, Christine Delphy à
déclarer que « la famille est un lieu d’oppression pour les femmes » (2013). A cette époque,
si le travail domestique était pris en compte dans le sacro-saint PIB, qui trace la limite entre
"vrai" travail (salarié) et "faux" travail (gratuit), il aurait représenté plus d’un tiers du Produit
Intérieur Brut mondial26 (Chadeau & Fouquet, 1981, p.29).

Et cette division sexuée du travail ne s’arrête pas à l’exploitation par les hommes du travail
domestique gratuit et invisibilisé des femmes. La « ségrégation sexuée du travail » structure
l’entièreté du marché du travail. Les femmes sont concentrées dans « un nombre plus
restreint de métiers que les hommes » et ces métiers sont systématiquement dévalorisés,
tant en termes de rémunération que de prestige social (Bereni et al., 2012, pp.190-191). En
effet, ce sont majoritairement des hommes qui occupent « des fonctions à forte valeur
sociale ajoutée (politiques, religieuses, militaires, etc.) » (Dorlin, 2008) tandis que les femmes
ont été affectées, entre autres, aux métiers reliés au care (soin aux autres). Et quand bien
même une femme occupait le même poste et les mêmes fonctions que son homologue
masculin ; elle gagne toujours, en moyenne, 10% de moins que lui (CEMEA, 2019, p.139)27.

24
Et ces tâches ne sont que la partie immergée de l’iceberg. On ne parle que trop peu de la charge mentale
impliquant de penser constamment à l’organisation, la planification et l’exécution de ces tâches.
25
"Le privé est politique" deviendra d’ailleurs l’un des leitmotivs du mouvement de libération des femmes, qui
a accompagné la deuxième vague féministe dans la deuxième moitié du 20ème siècle.
26
Certaines estimations allant jusqu’à trois quarts du PIB.
27
Ce chiffre, très généraliste, cache encore de profondes disparités. Ainsi, on peut également remarquer que
l’écart salarial entre les hommes et les femmes est deux fois plus important dans le secteur privé, comparé au
secteur public, ou encore que cet écart varie en fonction du statut des travailleurs·euses : il est 5 fois plus
important chez les ouvriers·ères que chez les fonctionnaires (Van Hove, 2019, p.2).

24
1.2.5 L’appropriation des femmes par les hommes
Les féministes matérialistes ont également fait remarquer que la domination masculine n’a
pas fait que s’approprier la force de travail des femmes, c’est « l’ensemble du groupe des
femmes [autant que] le corps matériel individuel de chaque femme » qui est approprié par
« la classe des hommes » (Guillaumin, 1978, p.10). On parle aussi de « système d’échange
asymétrique des femmes par les hommes » (Bereni et al., 2012, p.116) pour qualifier le
patriarcat.

Cette appropriation s’est particulièrement exprimée via une pratique ancestrale : le mariage.
Il est défini par Colette Guillaumin comme un « contrat non-monétaire » permettant
« l’usage physique [des femmes] dont précisément (et entre autres) le rapport sexuel » 28

(1978, p.13). Pendant des siècles, c’était donc le mari qui était considéré comme le "chef de
famille", instaurant ainsi une relation de pouvoir envers les autres membres de la famille 29. Il
est d’ailleurs interpellant de noter que jusque récemment, une femme qui se marie passait
du statut administratif de "demoiselle" à celui de "dame", tandis que celui de l’homme
restait "monsieur". « Seuls les êtres échangés changent de statut, pas les échangeurs »
(Bereni et al., 2012, p.116).

Toute femme non appropriée officiellement par contrat réservant son usage à un seul
homme, c’est-à-dire toute femme non mariée ou agissant seule (circulant,
consommant, etc.) est l’objet d’un concours qui dévoile la nature collective de
l’appropriation des femmes […]. Le concours entre les individus de la classe de sexe
dominante pour prendre (ou récupérer, ou profiter de…) toute femme “disponible”,
c’est-à-dire automatiquement toute femme dont l’individualité matérielle n’est pas
officiellement ou officieusement clôturée, exprime que l’ensemble des hommes
dispose de chacune des femmes. (Guillaumin, 1978, p.26)

De nos jours, le rapport dominant à la sexualité reste empreint de cette idée de possession
du corps de la femme, le rapport sexuel étant « encore largement compris comme une

28
Nous pouvons penser à la notion juridique, toujours d’application, de "devoir conjugal", qui contraint toute
femme mariée à avoir des relations sexuelles avec son mari, permettant ainsi de "justifier" les viols conjugaux
et certaines violences conjugales.
29
On ne parle que trop peu de l’inceste, alors qu’un.e français·e sur 10 en a été victime. Pour en savoir plus,
nous pourrons nous référer à l’article de Solène Cordier L’inceste, un phénomène tabou à l’ampleur méconnue
(Le Monde, 2021), ou à la vidéo sur ce sujet de la chaîne Youtube Et tout le monde s’en fout.

25
« action sur » - comme l’indiquent la plupart des verbes transitifs directs utilisés pour le
décrire » (Bereni et al., 2012, p.79). Les pages d’accueil des plus grands sites de pornographie
en sont d’ailleurs une illustration particulièrement éloquente. Ces représentations de la
sexualité et du corps des femmes, caractérisées par un profond rapport de pouvoir induisant
de nombreuses violences, sont résumées sous le nom "culture du viol". Cette culture du viol
concerne « l’environnement social qui permet de normaliser et de justifier la violence
sexuelle, alimentée par les inégalités persistantes entre les sexes et les attitudes à leur égard.
(…) Elle est ancrée dans notre façon de penser, de parler et de nous mouvoir dans le monde »
(ONU Femmes, 2019). Bien que nous ne nous étendrons pas davantage sur cette notion,
dont les exemples sont légion30, nous pouvons néanmoins décrire la culture du viol selon 3
grandes caractéristiques : la déresponsabilisation des violeurs (un "malentendu", des
"pulsions"), la culpabilisation des victimes (tenue "trop légère", état d’ébriété…)31, et
l’invisibilisation des viols (par les médias et par la justice32) (Tuaillon, 2019, p.159).

1.2.6 La violence, élément constitutif des rapports de genre


Enfin, un élément transversal à tous ces exemples d’appropriations est l’utilisation quasi
monopolistique de la violence par les hommes, sous toutes ses formes, de la plus insidieuse
à la plus cruelle. Lorsqu’elle ces violences sont tournées vers les femmes et/ou vers des
minorités de genre, on les regroupe sous les termes de "violences de genre". Tenter d’en
faire le tour serait impossible en si peu de place, tant le nombre et la diversité de ces
violences sont importants. Nous pouvons néanmoins préciser qu’elles sont présentes de
manière systématique dans le rapport de genre féminin, constituant « un ressort essentiel de
l’oppression des femmes, et du processus continu de socialisation des femmes à leur sexe »
(Bereni et al., 2012, p.83). Elles ont lieu partout, de tous temps, dans tous les secteurs de la
société et au sein de tous les milieux. Elles s’inscrivent dans la vie quotidienne de manière
répétée, et sont le plus souvent commises par des proches de la victime, au sein de la sphère
privée (son domicile, par exemple) (Bereni et al., 2012, p.83).

30
Pour plus de détails, nous pourrons nous tourner vers les livres En finir avec la culture du viol (Les Petits
Matins, 2018) de Noémie Renard et Une culture du viol à la française (Libertalia, 2019) de Valérie Rey-Robert.
31
Selon Amnesty et SOS Viol, nous vivons dans un pays dans lequel presqu’un homme sur deux (48%) estime
« qu’une victime peut être en partie responsable de son agression » (Dedicated, 2020).
32
Selon le Ministère belge de la Justice, 53 % des affaires de viol sont classées sans suite (Amnesty, 2020).

26
Le collectif Nous Toutes a d’ailleurs tenté de catégoriser et d’illustrer les différentes formes
de violences de genre, permettant de mieux saisir la diversité et la continuité de celles-ci, qui
peuvent être sexuelles (viol, agression sexuelle, revenge porn…), physiques (coups,
enfermement…), psychologiques (humiliation, injures, harcèlement…), ou encore
économiques (De Haas, 2020, pp.18-20). Aux catégories proposées, nous pouvons rajouter
ici celle de "violence symbolique" 33, incluant, par exemple, l’invisibilisation des femmes dans
la langue française. Nous pouvons également étendre la notion de violence au genre en tant
que tel, à son caractère normatif, vecteur d’inégalités, contraignant chaque individu à
correspondre à des caractéristiques (physiques, morales…) très strictes. La socialisation de
genre, et les rapports de genre qui en découlent, sont des processus extrêmement violents,
particulièrement pour les femmes, mais également pour beaucoup d’hommes, même s’ils en
ont souvent moins conscience, nous le verrons par la suite.

1.3 Des avancées notables, des discriminations persistantes


Il parait presque impossible de nous intéresser au système patriarcal dans lequel nous
évoluons et à ses implications, sans parler des avancées notables qu’a connu la situation des
femmes et de leurs droits dans nos sociétés occidentales. Nous pouvons notamment penser
à la conquête de la citoyenneté via le droit de vote (1921 en Belgique, 1944 en France) ou
encore aux luttes pour la liberté de disposer de son corps, et notamment pour le droit à
l’avortement et à la contraception, menées par les féministes de la 2ème vague. Nous
pouvons également mentionner ces mouvements plus actuels, comme #MeToo et
#BalanceTonPorc, qui n’ont pas consisté en une « "libération" de la parole des femmes, car
les femmes ont toujours parlé », mais bien en une obligation pour le monde entier « de les
écouter et d’accepter cette réalité » (Tuaillon, 2019, p.98). Ces différentes luttes ont mené à
une amélioration de la condition des femmes, ou tout du moins de certaines d’entre elles34,
dans nos régions. Petit à petit, ces mouvements ont contribué à inscrire les enjeux et
revendications des luttes féministes dans la liste des préoccupations politiques. Elles ont
surtout permis l’émergence et la capitalisation d’énormément de "savoirs féministes" :

33
Terme introduit par Pierre Bourdieu, qui regroupe toutes les représentations culturelles qui tendent à
entériner, maintenir et présenter comme allant de soi.
34
Essentiellement des femmes blanches, hétérosexuelles, issues des classes moyennes ou supérieures.

27
Le savoir féministe désigne tout un travail historique, effectué depuis de multiples
traditions disciplinaires (histoire, sociologie, littérature, science politique, philosophie,
sciences biomédicales, etc.) ; travail de mise en doute de ce qui jusqu’alors était
communément tenu hors du politique : les rôles de sexe, la personnalité,
l’organisation familiale, les tâches domestiques, la sexualité, le corps… Il s’agit d’un
travail d’historicisation et, partant, de politisation de l’espace privé, de l’intime, de
l’individualité ; au sens où il réintroduit du politique, c’est-à-dire des rapports de
pouvoir et donc du conflit, là où l’on s’en tenait aux normes naturelles ou morales, à
la matière des corps, aux structures psychiques ou culturelles, aux choix individuels.
C’est un travail qui, en retrouvant les tensions, les crises, les résistances localisées
ensevelies, à travers l’histoire des femmes, du genre ou des sexualités, a rendu
possible une pensée de l’historicité d’un rapport de pouvoir réputé anhistorique.
(Dorlin, 2008)

Ces nombreux savoirs, s’additionnant les uns aux autres, ont permis qu’une série de
nouvelles questions et réflexions puissent être posées, que de nouvelles hypothèses
puissent émerger, que de nouvelles études puissent être réalisées. Il semble donc important
de constater que, grâce à ces luttes et ces évolutions, passées comme présentes, les discours
et théories féministes sont devenus de plus en plus légitimes, entendus et partagés auprès
de l’opinion publique, même si l’on peut toujours constater bon nombre de réactions
vindicatives à ces avancées progressistes. Mais il semble tout autant important, si pas plus,
de relativiser le constat de ces avancées.

1.3.1 Eviter des conceptions ethnocentrées des inégalités de genre

Tout d’abord, il nous faut prêter attention à nos biais ethnocentristes qui nous incitent à
universaliser notre propre expérience occidentale au monde entier. Et le sort des femmes ne
fait pas exception. Malgré ces avancées notables au sein de nos sociétés occidentales, les
conditions de vie des personnes sexuées (femmes et minorités de genre) dans le monde, et
particulièrement dans les pays dits "des Suds", restent interpellantes. En 2017, les Nations
Unies déclaraient que, dans le monde, une femme sur trois est victime de violences
(physiques ou psychologiques) et signalaient que « ce chiffre pouvait être très sous-estimé »
(CEMEA, 2019, p.133). On estime également « qu’actuellement 70% des personnes vivant

28
avec moins d’un dollar par jour sont des femmes et des filles » (CEMEA, 2019, p.133). Et ces
chiffres ne vont pas en s’améliorant. Entre 2016 et 2019, on a assisté à « un recul au niveau
mondial du respect des droits des femmes, quelle que soit la zone géographique ou la
situation socio-économique » (CEMEA, 2019, p.133).

Dans de très nombreuses régions du monde, être femme, aujourd'hui encore, c'est
être sous-alimentée, mutilée, analphabète, exploitée, battue, mariée de force à peine
pubère, marchandise, répudiée, séquestrée, voire lapidée ou brûlée vive. (Gazalé,
2017)

Il nous faut également éviter les conceptions néocoloniales, considérant les féministes
occidentales comme « une avant-garde éclairée du féminisme » qui se chargerait d’établir un
« modèle de libération » destiné à ces femmes « trop soumises au patriarcat pour prendre la
parole, pour élaborer leur propre libération » (Dorlin, 2008). Au contraire, il faut tout faire
pour encourager ces personnes à s’organiser à l’échelle locale et proposer leurs propres
réponses face à ces violences et discriminations de genre.

Ensuite, il faut également veiller à ne pas instrumentaliser les conditions de vie des femmes
"du reste du monde", ni ces "victoires" féministes dans nos régions pour alimenter le mythe
de "l’égalité déjà-là". Celui-ci tend à considérer l’égalité homme-femme comme acquise
dans nos sociétés, décrédibilisant ainsi les combats féministes actuels. Ce discours, soutenu
en grande partie par des hommes, a pour effet d’invisibiliser instantanément le sexisme et
l’homophobie qui règnent toujours dans nos sociétés, dont les faits et les chiffres sont
alarmants et qui constituent l’une des motivations principales à l’écriture de ce mémoire. En
voici quelques exemples, qui répondent à ce que nous avons pu abordé dans les pages
précédentes.

1.3.2 La persistance des inégalités et violences de genre dans nos sociétés


L’accès au marché du travail semble la première chose qu’il nous faille ici contraster. En
effet, on a longtemps cru que l’accès à celui-ci allait permettre aux femmes de se libérer des
tâches ménagères, ainsi que de s’autonomiser financièrement. Si cette deuxième hypothèse
s’est en partie réalisée35, c’est beaucoup moins le cas pour la première. En effet, en 2010 les

35
Les femmes restent néanmoins systématiquement confinées à des secteurs dévalorisés, à des formes
d’emplois précaires (temps partiel) et à des salaires moins élevés.

29
femmes consacraient toujours, en moyenne, 3h52 par jour aux tâches domestiques, soit 50%
de plus que les hommes, et doivent maintenant souvent combiner cela avec un emploi
"classique". De l’autre côté, le "temps domestique" des hommes n’a augmenté que de 17
minutes par jour entre 1986 et 201036 (Bereni et al., 2012, p.173). Quand bien même
certaines femmes37 se seraient libérées de cette contrainte des tâches domestique, ce n’est
pas pour les voir être effectuées par des hommes, mais majoritairement par d’autres
femmes (aide-ménagères), bien souvent précaires et/ou racisées.

Bien que de plus en plus de personnes reconnaissent vivre dans une société patriarcale et
malgré la médiatisation, toujours ténue mais en nette progression, des données concernant
les violences de genre, qu’elles soient sexistes ou homophobes, ces violences subsistent, et
effraient par leur nombre et leur récurrence. En 2019, 24 belges et 146 françaises ont été
tuées en raison de leur genre, soit "parce qu’elles sont des femmes" (Wernaers, 2020 ;
Bénézit, 2020). On qualifie d’ailleurs ces meurtres de "féminicides"38. Autre constat
interloquant : le nombre de violences sexuelles (notamment de viols) et leur invisibilisation
par la société. Selon un sondage d‘Amnesty et SOS Viol, près d’une belge sur deux (47%) a
été victime de violences sexuelles (Dedicated, 2020). En 2020, en France, ce sont 24 800 viols
qui ont été recensés, soit trois viols par heure (Bernardi et al., 2021, p.1)39. Et ce chiffre est
bien en deçà de la réalité, car un grand nombre de victimes ne portent pas plainte : selon
Amnesty, « seules 10% des victimes de viol environ se rendent à la police pour dénoncer leur
agression » (2020). Et que dire du traitement médiatique de ces actes inhumains, qui sont
bien souvent euphémisés au moyen de termes comme celui de "drame familial" pour
qualifier un féminicide ou d’"abus sexuel" pour parler d’un viol. Cette domination masculine
ne s’exprime également à travers le sexisme40, toujours omniprésent dans nos sociétés : en
2016, 98% des femmes belges et françaises déclaraient avoir été victimes de comportements
sexistes. (JUMP, 2016, p.9).

36
Et au sein de ces tâches, les femmes consacrent deux fois plus de temps au ménage et aux courses, tandis
que les hommes consacrent deux fois plus de temps au "bricolage".
37
Souvent blanches et appartenant à la classe moyenne ou supérieure.
38
Ces cas de féminicides sont répertoriés sur le blog Stop Féminicide : http://stopfeminicide.blogspot.com/
39
Il est d’ailleurs interpellant de constater que dans ce document, intitulé Insécurité et délinquance en 2020, les
données ne soient jamais présentées selon le sexe de l’auteur·trice et/ou de la victime. Sur les 19 000 mots que
compte ce texte, il n’est pas une seule fois fait mention des termes "homme" et "femme".
40
Nous pouvons définir le sexisme comme « des stéréotypes et des représentations collectives qui se traduisent
par des mots, des gestes, des comportements ou des actes qui excluent, marginalisent ou infériorisent les
femmes » (Grési, citée par JUMP, 2016, p.13).

30
Visiblement, la domination masculine est encore ancrée dans l’esprit de beaucoup
d’hommes. Mais ce groupe social des hommes, lui aussi, a évolué au gré des revendications
féministes, et des évolutions qu’elles ont induites. Nous pouvons, par exemple, noter la
légère augmentation de l’investissement des pères dans le soin et l’éducation de leurs
enfants, parfois même via un congé de paternité41. Mais, malgré la pénétration des idéaux
féministe, on remarque que la domination masculine se maintient encore et toujours. En
quoi consiste-t-elle ? C’est quoi, "être un homme" ? Le terme "hommes" renvoie-t-il à un
groupe social homogène ? Les hommes ne font-ils que retirer des bénéfices de cette position
dominante ? Nous tenterons de répondre au mieux à ces questions dans les chapitres qui
vont suivre, consacrés respectivement aux masculinités, et à leurs "coûts".

41
Le combat pour un congé de paternité et son allongement est d’ailleurs essentiellement mené par… des
femmes.

31
Partie 2 : Les hommes et les masculinités
Introduction
Nous l’avons vu, et nous pouvons le constater au quotidien, nous évoluons dans une société
divisée, entre autres, par un genre binaire, définissant des "hommes" et des "femmes" et
promouvant des relations sexo-affectives hétéronormées entre ces deux groupes. Ces
sociétés, qualifiées de "patriarcales", sont régies et structurées par une domination
masculine, et son corollaire, l’oppression des femmes et des minorités de genre. Depuis des
dizaines d’années, de nombreux·ses théoricien·ne·s du genre se sont attelé·e·s à analyser et
à déconstruire les caractéristiques et les rouages de ces oppressions. Ces analyses ont
permis de dénoncer comme construit et oppressif des structures sociales qui, pendant des
siècles, étaient présentées comme naturelles et "allant de soi". Elles ont permis à de
nombreuses personnes discriminées de déconstruire les normes, stéréotypes et rapports de
genre qui conditionnent leur évolution dans nos sociétés, et, surtout, de faire sortir ces
dynamiques de la sphère individuelle pour s’organiser et dénoncer collectivement ces
violences, discriminations et oppressions. Ces organisations, manifestations et autres
revendications féministes ont ainsi encouragé un groupe social entier à s’émanciper de ces
normes de genre oppressives.

Très légitimement, ces nombreuses avancées théoriques et conceptuelles ont, pendant


longtemps, été focalisées sur la dénonciation, l’analyse et la déconstruction des oppressions
que subissent les femmes et les personnes issues de la communauté LGBTQIA+ 42. La
domination masculine est longtemps restée le point aveugle de cette relation de pouvoir. Et
cette tendance à se concentrer sur les personnes opprimées, et non sur celles qui
oppressent, ne concerne pas que l’analyse des rapports de genre :

L’une des manières dont le privilège fonctionne est d’orienter l’analyse vers ceux qui
ont moins de pouvoir ou d’occulter ceux qui en ont le plus. Quand on pense à la race,
par exemple, on pense aux gens de couleur ; quand on pense à l’orientation sexuelle,
on pense aux gays et aux lesbiennes ; quand on pense au genre, on entend femmes,
pas hommes. Dans le domaine de la recherche, cela se traduit par le fait que les

42
Les personnes qui formulaient ces analyses étant, pour une majorité, des femmes, il semble tout à fait
légitime qu’elles aient analysé (et dénoncé) leurs situations et qu’elles soient parties de leurs expériences.

32
scientifiques formulent des questions sur les femmes, les gens de couleur, les gays et
les lesbiennes, les pauvres plutôt que sur les hommes, les blancs, les hétérosexuels et
les riches. (Dulong et al., 2012, p.172)

Cependant, depuis la fin du 20ème siècle, de plus en plus de scientifiques se sont intéressé·e·s
à analyser l’oppression du point de vue du dominant, donnant naissances aux Men’s studies
(études des hommes), qui sont devenues les Masculinity studies (étude des masculinités). Ce
champ d’études et les nombreuses réflexions et théories qui y sont développées ont permis
d’expliciter les caractéristiques et les dynamiques de ce groupe social des hommes, que l’on
a longtemps eu tendance à homogénéiser. Cette branche des études sur le genre continue
d’ailleurs de foisonner de nouvelles études et de nouvelles découvertes.

L’importance de la déconstruction des masculinités


En tant qu’homme cisgenre, s’intéresser aux masculinités, à leurs constructions et à leurs
dynamiques permet de mieux se comprendre soi et de mieux comprendre les
représentations qui structurent la pensée de nombreux hommes. Déconstruire les
masculinités permet en outre d’arpenter les ressorts et les expressions de cette position
dominante pour pouvoir au mieux s’en distancier. La déconstruction des masculinités est
également une question éminemment politique. L’aborder, et en faire la promotion,
notamment auprès des hommes, permet de lui conférer ce potentiel émancipateur pour la
société. Comme l’explique fort bien Valérie Rey-Robert, « il est temps de prendre conscience,
individuellement et collectivement, que le sexisme et les violences qu’il engendre sont
l’affaire de ceux qui les créent et non de celles qui les subissent » (2020). La déconstruction
des structures de genre et des masculinités ne doit donc pas se limiter à la sphère de
l’apprentissage personnel, mais doit revêtir un véritable caractère politique, afin de
dénoncer les oppressions que subissent de nombreuses personnes, et de visibiliser les
mécaniques de ces oppressions pour tenter d’agir sur celles-ci.

La révolution du féminin sera pleinement accomplie quand aura eu lieu la révolution


du masculin, quand les hommes se seront libérés des assignations sexuées qui
entretiennent, souvent de manière parfaitement inconsciente, la misogynie et
l'homophobie, lesquelles procèdent toutes deux d'une répulsion envers le féminin
venue du fond des âges. Pour que les hommes changent le regard qu'ils portent sur

33
les femmes, il faut qu'ils changent le regard qu'ils portent sur eux-mêmes. (Gazalé,
2017)

2.1 Les hommes : un champ d’étude à part


Comme nous l’avons vu dans les pages précédentes, le genre est donc un construit social qui
permet de différencier les individus en groupes distincts, mais également de hiérarchiser ces
groupes, formant un système, appelé "patriarcat" au sein duquel les hommes dominent et
oppressent les autres groupes sociaux de genre, notamment les femmes. Grâce à cette
nouvelle conception des rapports sociaux, impulsée en grande partie par les féministes
matérialistes de la deuxième moitié du 20ème siècle, de nombreuses personnes se sont dès
lors attachées à analyser et déconstruire ces rapports de genre. Portées par ces nouvelles
théories, les études sur le genre ont commencé à se développer de manière exponentielle,
et à s’intéresser tant à « la place sociale et politique des femmes, [qu’à] la position privilégiée
des hommes et les bénéfices qu’ils en retirent » (Le Talec, 2016).

C’est dans ce contexte que sont nées les Men’s studies (études sur les hommes), afin
d’analyser ce groupe social dominant et privilégié. Cela a été une véritable révolution
épistémologique, car les hommes n’ont dès lors plus été considérés « comme représentant
de manière tacite l’ensemble de la société, mais en tant que groupe social engagé dans un
rapport hiérarchique autour d’enjeux matériels » (Le Talec, 2016), faisant ainsi rentrer les
hommes dans « la particularité où les femmes avaient auparavant été consignées » (Fassin,
cité par Rivoal, 2017). Les hommes sont alors devenus une nouvelle catégorie sociologique à
part entière, ouvrant la voie à un champ d’étude qui, jusqu’à l’heure actuelle, n’a cessé de
foisonner.

2.1.1 La théorie des rôles sociaux


Durant les premières années, les études sur les hommes ont été fortement influencées par
une approche qualifiée de fonctionnaliste, tendant « à considérer les relations de genre
comme un système autosuffisant et autoreproducteur et à expliquer chaque élément par
rapport à sa fonction dans la reproduction de l’ensemble » (Connell & Messerschmidt, 2015).
Une majorité de ces pionniers·ères des Men’s studies ont dès lors analysé les rapports de
genre selon le modèle théorique des "rôles sociaux", qui postule que « les hommes et les
femmes sont sujets à des attentes différentes, auxquelles ils se conforment à divers degrés.

34
Ces attentes différenciées permettent de légitimer des situations sociales asymétriques »
(Lentillon, 2009, p.15). Ces théories ont été cruciales dans l’évolution de la manière
d’appréhender le genre, car elles ont permis de dénaturaliser notre rapport au genre, et de
montrer à quel point celui-ci est un construit social, qui, implicitement, contraint les
individus à se conformer à leurs « rôles sociaux de sexe » (Daune-Richard & Devreux, 1992).

Cependant, ces conceptions fonctionnalistes ont rapidement montré leurs limites pour
exprimer au mieux les rapports de genre qui régissent nos sociétés, notamment par ce
recours à ce modèle des "rôles de sexes". Cette conception a tendance à homogénéiser la
"masculinité" en la réduisant à une série de traits que la société associe aux hommes. La
masculinité pourrait dès lors être envisagée comme une chose définissable "en soi",
indépendamment des structures de pouvoir et de domination qui contribuent à la produire,
ce qui induit l’idée « qu'on pourrait transformer les rôles masculins, comme les rôles
féminins, sans transformer la structure sociale, le rapport social qui les produit, bref sans rien
changer à l'oppression des femmes » (Dagenais & Devreux, 1998, p.11). Cette notion de
"rôles de sexe" induit également un « brouillage entre les comportements et les normes »
(Connell & Messerschmidt, 2015), étant davantage tournée vers les normes de genre que
vers la diversité et la complexité de la réception de celles-ci par les hommes.

Néanmoins, cette notion de "rôles sociaux de sexe" ne régissait pas l’ensemble des études
sur le genre, et les travaux de certain·e·s scientifiques ont permis de poser les bases d’une
conception moins homogène de la masculinité. Ainsi, les contributions du Mouvement de
libération homosexuelle43 ont permis de montrer que tous les hommes n’entretiennent pas
le même rapport à la masculinité, et que certains hommes sont également victimes du
patriarcat. A côté de cela, de plus en plus d’études de terrain étaient réalisées pour analyser
les rapports sociaux de genre. Celles-ci ont permis d’attester de la diversité de la réception
des normes de genre masculines mais également de « la preuve de la lutte active pour la
domination » chez les hommes (Connell & Messerschmidt, 2015).

2.1.2 De la masculinité aux masculinités


Malgré ces quelques travaux précurseurs, ce sont les théories de Raewyn Connell qui vont
véritablement révolutionner les études sur le genre masculin, en proposant une lecture

43
Créés en France dans les années ’70, ces groupes font partie des premiers organismes à avoir porté des
revendications politiques de défense des personnes homosexuelles, de leurs droits et de leur inclusion.

35
intersectionnelle de la masculinité, elle-même traversée par d’autres systèmes de
domination. Dans ses travaux, la sociologue australienne démontre qu’il existe différents
types de masculinités, hiérarchisés entre eux et en constante interaction. Il y a donc une
domination des hommes sur les femmes, mais également une domination des hommes
entre eux. Pour Connell, ce n’est pas un "rôle social" très abstrait qui produit les
masculinités, mais plutôt un ensemble de pratiques bien concrètes, et ancrées dans la
culture, regroupées sous le terme de « modèle hégémonique de la masculinité ». Pour la
sociologue, la "masculinité" désigne dès lors « non pas des traits de caractères fixes mais
bien des configurations de pratiques, émergeant dans des situations particulières et dans une
structure de rapports sociaux changeante » (citée par Hagège & Vuattoux, 2013). Connell
propose dès lors de distinguer quatre types de masculinités.

La masculinité hégémonique correspond à « la façon actuellement la plus reconnue d’être


un homme, [qui] implique que les autres hommes se positionnent par rapport à elle, et [qui]
permet de légitimer d’un point de vue idéologique la subordination des femmes à l’égard des
hommes » (Connell & Messerschmidt, 2015). Cette masculinité hégémonique a beau être
normative, elle n’est pas considérée comme "normale", car, bien que bon nombre
d’hommes essaient de s’y conformer, « elle n’est observable que chez une minorité
d’hommes » (Connell & Messerschmidt, 2015). Ces nombreux hommes qui « adhèrent
idéologiquement à la masculinité hégémonique, sans toutefois en bénéficier ou l’incarner
pleinement » (Tuaillon, 2019, p.55) sont appelés les masculinités complices. Ils représentent
d’ailleurs une part importante des hommes qui composent notre société.

Les masculinités subordonnées sont des masculinités dévalorisées, considérées comme


inférieures car reliées à la féminité, à l’instar des hommes gays et/ou efféminés. Elles
servent de modèle "repoussoir" pour asseoir la domination de la masculinité hégémonique.
Enfin, les masculinités marginalisées caractérisent les rapports à la masculinité de ces
nombreux hommes qui sont victimes d’autres structures de domination, comme la classe, la
race ou le handicap. Ces hommes disposent dès lors systématiquement de moins de
ressources (culturelles, économiques…) pour accéder à ces positions de pouvoir qui
caractérisent la masculinité hégémonique.

Une société patriarcale, ou dominée par l’homme, est une société comportant une
hiérarchie d’hommes qui se trouvent au-dessus des femmes, mais c’est aussi une

36
hiérarchie complexe de quelques hommes qui se trouvent au-dessus d’autres
hommes. […] Il ressort que, dans certains groupes, des hommes ont un pouvoir social,
économique, politique ou physique sur d’autres hommes, et aussi que certaines
définitions de l’homme en surclassent d’autres. Certaines sont valorisées alors que
d’autres sont diminuées ou tournées en ridicule. (Kaufman, 2003, p.9)

2.2 La masculinité hégémonique, le nouveau "rôle de genre"


masculin
En s’appuyant sur ces nouvelles conceptions, nous pouvons dès lors concevoir la masculinité
comme un "lieu vide", qu’il est possible d’habiter de multiples façons. Cependant, il existe
tout de même ce modèle normatif de la masculinité hégémonique, qui influence de
nombreux hommes dans nos sociétés. Socialement promu et valorisé, ce modèle s’affiche
comme un ensemble de pratiques et de façons d’être qui forme ce qu’une société considère
comme le parangon de la masculinité. Cette notion d’hégémonie, héritée du philosophe
italien Antonio Gramsci, permet de montrer que la domination masculine ne se fait pas (que)
par la force, mais bien qu’elle soit « organiquement intégrée à la culture et aux routines de la
vie quotidienne » (Connell, citée par Gourarier, Rebucini & Vörös, 2013), la rendant encore
plus subtile, plus compliquée à saisir consciemment et à déconstruire. Nous pouvons ainsi
différencier l’hégémonie externe (domination des hommes sur les autres groupes sociaux de
genre) et l’hégémonie interne (domination des hommes entre eux).

Un autre apport majeur de cette théorie est de se détacher de l’aspect figé et invariant de la
reproduction sociale pour montrer que les rapports de genre, et la domination de la
masculinité hégémonique, sont des processus historiques qui évoluent et se reconfigurent
selon les époques. On a ainsi pu constater que, bien que la masculinité hégémonique profite
de la subordination systématique des masculinités subordonnées et marginalisées pour
asseoir sa domination, celle-ci a parfois tendance à emprunter certains des attributs de ces
masculinités dévalorisées, comme des styles vestimentaires initialement reliés à la culture
gay 44, pour se transformer au gré des changements sociaux (Tuaillon, 2019, p.56). Le
modèle hégémonique de masculinité peut dès lors être considéré comme « le type de
masculinité qui, à un moment donné [et dans une société donnée], domine les

44
On a d’ailleurs récemment vu émerger la figure de l’homme "métrosexuel" pour désigner le modèle très
"urbain" de la masculinité, pour lequel le souci de l’apparence est bien plus important qu’auparavant.

37
représentations de la masculinité » (Vuattoux, 2013). La domination masculine n’est donc
plus considérée comme un fait immuable, au contraire, elle « peut être remise en cause et
requiert des efforts considérables pour se maintenir » (Connell & Messerschmidt, 2015),
permettant ainsi d’espérer « des possibilités de transformation des structures de
l’hégémonie, des possibilités d’alliance entre des groupes partageant des attentes politiques
communes et un même rejet de l’hégémonie » (Hagège & Vuattoux, 2013). Elle permet
également de montrer que les hommes, loin d’être un bloc monolithique partageant un
rapport commun à la masculinité, expérimentent et mettent en pratique leurs masculinités
de bon nombre de manières différentes, à des degrés divers d’adéquation avec la
masculinité hégémonique.

Le pouvoir de la masculinité hégémonique étant assez fragile, car contestable, ce modèle


doit constamment se renouveler, se transformer et s’ajuster au gré des évolutions sociétales
pour maintenir sa domination. Ainsi, ces dernières décennies, avec, entre autres, la
pénétration des idéaux féministes et des théories sur le genre, et la perte de l’armée ou de
l’église comme instances centrales de "formation" des hommes, le modèle hégémonique de
la masculinité traverse de profondes transformations, même si la domination masculine
reste une évidence. Ce sont d’ailleurs ces récentes transformations qui ont permis de
visibiliser ces différents types de masculinités. Véritables bouleversements dans nos
représentations de la masculinité hégémonique, celle-ci apparait actuellement comme plus
contestable, et plus contestée que jamais. On parle d’ailleurs de véritable « fracture
socioculturelle » pour qualifier les « métamorphose [des jeunes] dans leur rapport au
masculin […] fracture qui peut nettement fragiliser ceux qui disposent de peu de ressources »
(Castelain-Meunier, 2013). Cependant, cette variété des rapports à la masculinité « ne doit
[…] pas faire oublier certains intérêts communs des hommes, défendus de différentes
manières selon les places qu’ils occupent » (Hagège & Vuattoux, 2013).

2.2.1 Différencier masculinité et virilité


Il semble important, si pas indispensable, de faire ici la distinction entre deux termes qui
sont très proches, et souvent confondus, à savoir la "masculinité" et la "virilité". Ainsi, alors
que la masculinité (hégémonique) concerne « la façon actuellement la plus reconnue d’être
un homme » (Connell & Messerschmidt, 2015), la virilité, elle, est un attribut, soit une
caractéristique qu’une personne, peu importe son genre, peut posséder en plus ou moins

38
grande quantité. Elle peut être définie comme « un idéal de performance, d’autorité, de
dépassement de soi et d’endurance qui trouve son expression à travers des démonstrations
corporelles ou verbales » (Tuaillon, 2019, p.27), idéal qui, depuis l’antiquité, a été associé aux
hommes. La masculinité hégémonique ne peut donc pas être résumée à la virilité, car la
virilité se définit en elle-même, a l’inverse de la masculinité « qui, elle, n’existe que par
contraste avec la féminité » (Tuaillon, 2019, p.28).

Toutefois, la virilité a longtemps été un élément constitutif, voire central, de la masculinité


hégémonique : pour être un "vrai homme", il fallait être viril. C’est toujours le cas à l’heure
actuelle, mais dans des proportions bien différentes. Bien que la domination masculine
subsiste, la virilité est de moins en moins présente dans nos représentations dominantes de
la masculinité45. En effet, la masculinité hégémonique n’est pas celle qui incarne le
"maximum" de virilité, mais bien « un juste milieu entre deux excès » (Dorlin, 2008), à savoir
la survirilisation et la dévirilisation. Au même titre que les masculinités efféminées (et donc
"dévirilisées"), les masculinités "survirilisées", comme le stéréotype du camionneur, sont
également utilisées comme "modèle repoussoir" afin de mieux définir la masculinité
hégémonique qui incarne une virilité « qui se caractérise par la tempérance raisonnable,
morale et sexuelle » (Dorlin, 2008).

Lorsque l’on parle de virilité, on a dès lors tendance à « se focaliser sur les comportements
masculins plutôt que sur les structures économiques et politiques qui produisent l’oppression
des femmes » (Gabriell, 2019). Le concept de "masculinité toxique" induit d’ailleurs les
mêmes biais. Bien qu’il soit très utile pour « désigner les hommes dont l’excès de virilité a un
impact négatif sur la société, promouvant les violences de manière générale, mais
particulièrement envers les personnes discriminées » (Dogahe et al., 2021, p. 57), ce concept
a également tendance à mettre l’accent sur une série de comportements très visibles. Les
hommes tiennent dès lors à se distancier de ces comportements toxiques (le violeur,
l’agresseur, l’harceleur), ce qui a pour effet d’invisibiliser la position de pouvoir qu’ils
continuent à occuper et les privilèges qui l’accompagnent, ou le sexisme ordinaire qu’ils
reproduisent au quotidien. Comme le rappelle très justement le militant guadeloupéen João
Gabriell :

45
En témoignent, entre autres, les larmes qui ont coulé le long du visage de Barack Obama au cours d’un
discours sur les ravages des armes à feu aux Etats-Unis.

39
Le problème, c’est qu’on aura beau utiliser l’écriture inclusive, s’asseoir les jambes
croisées dans le métro, ne pas employer de mots offensants, faire le tri et manger bio,
ça ne changera pas les structures foncièrement sexistes et racistes de la société.
(2019)

Bien qu’il soit indispensable de nuancer le sens ces termes, qui peuvent mener à une
compréhension biaisée des dynamiques qui créent et transforment les rapports à la
masculinité, nous pouvons tout de même concevoir, à la suite d’Olivia Gazalé, toute l’utilité
de cette notion de "virilité" pour penser la masculinité hégémonique. Cette philosophe a
d’ailleurs créé un néologisme particulièrement approprié pour penser la société actuelle :
plutôt que de qualifier la domination masculine de "patriarcat", elle préfère parler de
"viriarcat", puisque, dans nos sociétés occidentales, c’est « l'homme [qui] détient le pouvoir,
qu'il soit père ou non » 46(Gazalé, 2017).

2.2.2 Critiques du modèle hégémonique de la masculinité


Bien que les travaux de Raewynn Connell aient pu apporter beaucoup plus de nuances, de
richesse et de complexité à l’analyse des masculinités, il nous faut systématiquement prêter
attention à la tendance normalisante et généralisante de ce type de théories, en particulier
lorsque l’on fait référence à un domaine aussi complexe et aussi subjectif que le rapport au
genre. Ainsi, cette proposition de quatre types de masculinités peine encore à rendre
compte de « la complexité interne des masculinités » (Connell & Messerschmidt, 2015). Il
nous faut dès lors éviter de considérer ces quatre types de masculinités comme fixes et
distincts, mais bien de « reconnaître explicitement le caractère multiple et les possibles
contradictions internes de toute pratique participant à la construction des masculinités »
(Connell & Messerschmidt, 2015). Toutefois, ces critiques sont davantage des
prolongements de la pensée de Connell, dont les penchants pour l’étude des pratiques
concrètes des masculinités l’avaient d’ores et déjà amenée à constater « la nécessité de
mener des études de cas détaillées permettant de percevoir la complexité et surtout les
dynamiques [des masculinités] » (Moraldo, 2014).

46
Bien que cette notion paraisse bien plus appropriée que celle de "patriarcat" pour qualifier les sociétés dans
lesquelles nous évoluons, nous n’en ferons pas davantage usage dans ce mémoire, car elle n’est encore que
très peu utilisée, tant dans la société qu’au sein des études sur le genre.

40
Une autre critique de ce modèle hégémonique de la masculinité a été formulée par les
penseurs et penseuses du courant poststructuraliste47, qui soutiennent que les masculinités
se construisent non pas à partir d’un ensemble de pratiques, comme le prétend Connell,
mais bien sur base du discours, arguant qu’il « est préférable de se concentrer sur le discours
comme moyen par lequel les hommes en viennent à se connaître, à pratiquer un « travail
identitaire » et à exercer un pouvoir et une résistance genrés » (Connell & Messerschmidt,
2015). Cette focalisation sur les pratiques discursives permettrait de mieux montrer les
tensions qui régissent nos rapports à la masculinité, et de mettre en valeurs les différentes
manières via lesquelles les hommes, à travers le discours, se positionnent vis-à-vis de ces
différentes masculinités, permettant de postuler que « les garçons et les hommes choisissent
les positions discursives qui les aident à éviter l’anxiété et les sentiments d’impuissance »
(Connell & Messerschmidt, 2015). Cette attention portée au discours permet également de
montrer que les hommes font le choix (conscient ou non) de varier leurs positionnements
vis-à-vis de la masculinité hégémonique en fonction des situations qu’ils traversent48 :

Ils peuvent adopter la masculinité hégémonique quand ils la jugent désirable, mais
s’en distancer stratégiquement à d’autres moments. Par conséquent, la
« masculinité » représente non pas un certain type d’homme, mais bien une manière
qu’ont les hommes de se positionner à travers des pratiques discursives. (Connell
& Messerschmidt, 2015)

2.3 La socialisation de genre masculin


Le modèle hégémonique de la masculinité renvoie donc à la représentation dominante de la
masculinité, soit celle qui est socialement, culturellement et institutionnellement valorisée,
et qui sera « au cœur de la socialisation des garçons et des hommes » (Vuattoux, 2013).
Ainsi, dès leur plus jeune âge et pendant toute leur jeunesse, les garçons vont apprendre "la
bonne façon d’être un homme". Et cela ne s’arrête pas à l’adolescence. Pendant toute leur
existence, les hommes doivent sans cesse réaffirmer cette masculinité dominante au moyen

47
Le poststructuralisme est un courant de pensée qui a émergé dans la deuxième moitié du 20ème siècle et qui
s’est construit « contre les sciences humaines modernes, suspectées d’établir des vérités univoques. Le
poststructuralisme rejette toute prétention à la véracité, toute « nature » ou « essence » des choses et des
groupes. Il postule le caractère « construit » de la réalité, laquelle serait un enchevêtrement de discours qu’il
s’agit de déconstruire » (Chibber, 2014, p.23).
48
Pour prolonger cette analyse d’une construction discursive du genre, nous pourrons notamment nous référer
à Judith Butler et à son ouvrage Bodies That Matter: On the Discursive Limits of Sex (Routledge, 1993).

41
de façons de faire et d’être qui expriment le pouvoir et la domination, deux notions
inhérentes à la masculinité hégémonique.

Ce modèle hégémonique étant historiquement situé, il nous faut préciser ici que nous nous
intéresserons, dans les pages qui suivent, à celui qui régit nos représentations actuelles du
masculin, au sein des sociétés d’Europe occidentale. Ce modèle étant également en
constante évolution, particulièrement ces dernières décennies, il est dès lors assez
compliqué de le décrire dans sa forme "actuelle", certains des éléments que nous
évoquerons ayant peut-être déjà évolué. Enfin, bien qu’il nous faille rester conscient·e·s de la
diversité des rapports qu’entretiennent les hommes vis-à-vis de ce modèle hégémonique de
masculinité, nous allons, dans les pages qui suivent, utiliser le terme générique "les
hommes" pour décrire l’ensemble du groupe social masculin. Notre but ne sera pas
d’homogénéiser un groupe social très diversifié, mais plutôt de rassembler sous un même
terme ces nombreuses personnes qui expérimentent la socialisation au genre masculin et
qui profitent, à des degrés divers, des nombreux privilèges induis par le simple fait "d’être un
homme".

2.3.1 L’apprentissage du genre chez les garçons


Comme nous avons pu le voir, le genre permet de diviser les individus entre les "hommes" et
les "femmes" et de définir des caractéristiques bien précises pour chacun de ces deux
"pôles". Bien avant la venue au monde d’un enfant, c’est donc tout son entourage qui est
déjà influencé par ces conceptions normatives du genre. Dès sa naissance, cela se traduit par
un ensemble "d’attentes" quant aux comportements et pratiques qu’un enfant est supposé
épouser, qui diffèrent en fonction du genre qui lui a été attribué. Si c’est un garçon, ces
attentes seront systématiquement celles qui correspondent au modèle hégémonique de la
masculinité. Pendant toute leur enfance, les garçons vont alors apprendre "la bonne
manière d’être un garçon" à travers une série d’interactions avec leur entourage et leur
environnement. Le genre étant une relation, la masculinité se pense « par contraste avec la
féminité, et n’aurait de sens que dans les sociétés qui posent par principe que masculinité et
féminité s’opposent » (Rivoal, 2017). Nos sociétés étant également régies par un système
patriarcal qui pose la supériorité du masculin sur le féminin, "être un garçon" c’est donc
d’abord et avant tout "ne pas être une fille", mais c’est également "être mieux qu’une fille"
(Tuaillon, 2019, p.30).

42
A travers une série d’instances comme l’école, la famille ou la culture, la société entière va
apprendre aux garçons les codes socialement valorisés de la masculinité, soit en les
encourageant à pratiquer des activités et à incarner des façons d’être codées comme
masculines, soit en les rappelant à l’ordre lorsqu’ils embrassent des pratiques codées
comme féminines. Nous allons tenter de résumer ici les principaux mécanismes de la
socialisation de genre masculine, à travers ces trois instances "principales" pour la
construction du genre d’un individu que sont la famille, l’école et la culture 49.

L’apprentissage du genre dans la famille


Dès leur naissance, la sphère familiale représente la première instance au sein de laquelle les
garçons vont pouvoir apprendre à correspondre à "leur" genre. Comme nous l’avons vu,
ceux-ci apprennent d’abord par imitation, en se référant à leurs pères, qui épousent encore
très souvent les normes de genre masculines. Nous avons également pu noter que les
garçons se construisent également sur base de l’attitude de leurs parents à leur égard, qui
diffère en fonction du sexe de leur enfant. Cela commence dès le plus jeune âge : il a, par
exemple, été constaté que les parents ont tendance à davantage prêter attention aux pleurs
et aux cris des jeunes garçons (Tuaillon, 2019, p.29). Et ces comportements différenciés de la
part des parents continuent pendant toute leur enfance. Nous pouvons notamment
remarquer que les jeunes garçons sont globalement moins réprimés lorsqu’ils se mettent en
colère, qu’ils sont davantage incités à développer leurs capacités physiques, ou encore que
leurs parents les encouragent davantage à « sortir de l’espace de la famille » (Bereni et al.,
2012, p.129).

La famille est également la sphère au sein de laquelle on commencera à faire comprendre


aux garçons « qu’ils se dévaloriseraient en adoptant des activités perçues comme féminines »
(Tuaillon, 2019, p.30). Mais le cercle familial est aussi la première instance au sein de
laquelle les garçons apprennent à concevoir le monde, et eux-mêmes, à travers un langage
genré, qui les poussent à envisager leur genre masculin comme le genre neutre, et à penser
toutes les choses qui les environnent selon le prisme du genre. Rapidement, les petits
garçons vont intégrer les codes du genre masculin, et comprendre qu’ils occupent une

49
Les groupes d’amis et autres boy’s club sont également des endroits clés de la socialisation de genre des
garçons et des hommes, que nous n’aborderons pas davantage dans ce mémoire. Pour en savoir plus, nous
pourrons nous référer à l’épisode 35 de la série de podcast Les Couilles sur la Table intitulé "Ligue du LOL : la
force du Boys' Club" ou à l’ouvrage Le boys club de Martine Delvaux (Les éditions du remue-ménage, 2019).

43
position dominante ; il a d’ailleurs été prouvé qu’à l’âge de 4 ans, les enfants associent déjà
pouvoir et masculinité (Charafeddine et al., 2020).

L’apprentissage du genre à l’école


A l’école, les professionnel·le·s de l’éducation ont également tendance à se comporter
différemment vis-à-vis des garçons. Iels ont tendance à avoir davantage d’interactions avec
les garçons qu’avec les filles (Naves & Wisnia-Weill, 2014, p.124), à moins leur couper la
parole, ou à moins les réprimander pour leurs actes violents, comme des bagarres (Bereni et
al., 2012, p.153 ; Tuaillon, 2019, p.31). Les garçons ont également tendance à être moins
indisciplinés et beaucoup plus agressifs que les filles : ils représentent 80% des élèves
sanctionnés au sein des écoles, et 91% de ceux punis pour violence sur autrui (Kayaert &
Novis, 2019, p.50). Mais l’école leur permet avant tout de construire leur masculinité au
contact d’autres enfants. Dans les cours de récréation, on peut dès lors constater une
véritable distinction entre les "filles" et les "garçons", ces derniers étant « encouragés à
prendre tout l’espace » (Tuaillon, 2019, p.78), quand les filles sont souvent reléguées à la
périphérie (Bereni et al., 2012, p.154).

Cette distinction entre garçons et filles, entre masculin et féminin, se précise jusque dans
l’apprentissage et l’expression des sentiments. L’amour, et tout ce qui l’entoure (affection,
tendresse…), étant codé comme un sentiment féminin, il est donc interprété comme
dévalorisant, pouvant « mettre en cause leur réputation et donc la redéfinition d’eux-mêmes
en tant que garçons » (Tuaillon, 2019, p.33). Les garçons, entre eux, ne font que renforcer
cette dévalorisation du féminin. Ainsi, si l’un d’entre eux embrasse tout sentiment ou
pratique codée comme féminine, il se fera rappeler à l’ordre par ses camarades à coups de
"fillette", "bébé" ou encore "pédé". Avec les années, ce sont la vulnérabilité, la sensibilité et
la fragilité qui seront reliées à la féminité, et donc perçues par les garçons comme des
attributs dévalorisants. Ainsi, les garçons, « empêchés par les injonctions viriles, ne
parleraient pas de ce qui les préoccupe vraiment, de leurs sentiments et, finalement, peu de
la sexualité (à part sur le mode de la vantardise) », menant à des amitiés entre garçons qui
seraient « sous-développées du point de vue de l’intimité » (Tuaillon, 2019, p.133).

L’apprentissage du genre à travers la culture


Durant toute leur enfance, les garçons seront également baignés dans une culture au sein de
laquelle le masculin est très souvent associé à des icônes de puissance, de force, d’assurance

44
et de courage, mais également de violence, comme les super-héros, les militaires ou les
sportifs (Bereni et al., 2012, pp.140-142 ; Tuaillon, 2019, p.30). Le sport est d’ailleurs une
sphère de la société qui participe grandement à la construction des masculinités. Dans bon
nombre de cas, la pratique d’un sport permet aux garçons d’évoluer dans un environnement
à forte prédominance masculine, parfois même non-mixte, au sein duquel « se valorisent des
qualités associées idéalement à l’homme : intelligence, maîtrise technique et technologique,
courage, abnégation, résistance à la douleur… » (Terret, cité par Tuaillon, 2019, p.32). Les
productions audiovisuelles ne manquent pas, elles aussi, de véhiculer des stéréotypes de
genre. Dans la cinématographie, malgré une légère évolution, les rôles de pouvoir, ou qui se
rapportent à la violence, sont toujours détenus majoritairement par des hommes 50 (Le
Galliot, 2019). Nous pouvons également penser aux publicités, au sein desquelles les
hommes sont « davantage mis en scène dans les publicités relatives aux jeux d’argent [et]
aux secteurs de l’automobile » (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, 2017, p.9) deux secteurs
relatifs à la prise de risque, au pouvoir et au prestige51. Et ce ne sont pas les exemples qui
manquent, car ce sont tous les pans de la vie en société qui subissent l’influence de ces
représentation genrées. Ainsi apprend-on aux garçons à boire, à manger, ou encore à
conduire "comme un homme".

2.3.2 La masculinité comme performance de la domination masculine


La socialisation de genre ne s’arrête pas à la fin de l’adolescence, elle continue pendant
toute la vie des hommes. Ainsi, tout au long de leur existence, ceux-ci sont incités à
embrasser ces manières de faire et d’être codées comme "masculines" afin de prouver qu’ils
correspondent bien au modèle hégémonique de masculinité. La notion de pouvoir étant un
élément constitutif de ces représentations dominantes de la masculinité, les hommes
doivent sans cesse prouver à leur entourage, et à eux-mêmes, qu’ils occupent bien une
position dominante. Cette domination masculine est dès lors constamment réaffirmée par
les hommes au moyen d’une série de comportements, que l’on peut envisager comme de
véritables performances52 de la masculinité hégémonique. Un grand nombre de ces

50
Nous pourrons également noter le très faible nombre de films produits par des femmes.
51
Les femmes sont, elles, majoritaires au sein des publicités « présentant une sexualisation des personnages ».
52
Le livre La mise en scène de la vie quotidienne (Les Editions de Minuit, 1973) de Erving Goffman pourrait
également être très utile pour penser cette performativité de la masculinité (et du genre). Dans cet ouvrage, le
sociologue utilise la métaphore du théâtre pour qualifier la vie sociale, faites d’acteurs qui jouent des rôles
devant un public.

45
performances sont dès lors destinées à exprimer concrètement la supériorité de l’homme
sur les femmes au moyen, entre autres, de violences physiques, verbales ou sexuelles.

Le rapport sexuel comme performance de la masculinité hégémonique


Le viol, soit « tout acte de pénétration quel qu’il soit (vaginal, oral, anal / total ou partiel) et
par quelque moyen que ce soit (pénis, doigts, objets, etc.) commis sur une personne qui n’y
consent pas » (Amnesty, 2020), est l’une des manières les plus traumatisantes pour les
personnes qui en sont victimes de réaffirmer la toute-puissance masculine. Ces actes sont le
fait d’hommes aveuglés par la satisfaction de leurs désirs, qui n’acceptent pas le refus, et qui
profitent pleinement de leur statut de dominant, ainsi que du pouvoir qu’il confère. Il
semble particulièrement important d’expliciter cela car, au sein de nos sociétés caractérisées
par cette "culture du viol", beaucoup de personnes ont encore tendance à envisager ces
actes comme des faits isolés, perpétrés par des inconnus aux comportements déviants53. Au
contraire, ils sont en majorité perpétrés par des hommes "lambdas", issus de différentes
classes sociales, qui, dans 4 cas sur 5, font partie de l’entourage des victimes (Tuaillon, 2019,
pp.160-161). Il nous faut dès lors considérer ces viols comme l’expression d’une position de
pouvoir systémique, commune à tous les hommes. Car, si tant d’hommes commettent des
viols, c’est parce qu’ils se sentent le droit de le faire. En effet, ils sont entourés d’une de
représentations qui normalisent et invisibilisent ces viols. Ils évoluent également dans une
société au sein de laquelle le sentiment de honte, en cas de viol, se trouve encore et
toujours en majorité du côté des victimes, et dans laquelle très peu de violeurs sont
poursuivis et condamnés par la justice.

Mais si les rapports sexuels non-consentis sont encore aussi courants, c’est également dû au
fait que nos représentations du rapport sexuel sont encore très souvent pensées à travers le
prisme de la domination masculine. Pour s’en convaincre, il suffit de naviguer quelques
secondes sur un site pornographique mainstream pour constater à quel point la sexualité est
très souvent envisagée selon « le registre de la contrainte et de la souffrance » (Tuaillon,
2019, p.166)54. Pour de très nombreux hommes, le rapport sexuel avec une femme constitue
en effet une façon de performer leur masculinité, de réaffirmer un sentiment de puissance

53
Dans la réalité, une immense majorité des auteurs de viols (93%), ne souffrent d’aucune pathologie mentale
(Tuaillon, 2019, pp.160-161).
54
Certaines personnes ont d’ailleurs tendance à confondre viol, agression sexuelle et sexualité "ordinaire", ce
qui a mené à cette célèbre phrase : "Quand on prend un coup de pelle, on n’appelle pas cela du jardinage".

46
et de domination. On peut même dire que « c’est en ayant des relations sexuelles avec des
femmes que le garçon est censé prouver qu’il est un homme » (Tuaillon, 2019, p.34)55. Ainsi,
au sein des représentations dominantes du rapport sexuel, l’homme est considéré comme la
personne qui "contrôle" la façon dont le rapport se déroule. À l’inverse, la femme est
souvent pensée comme une chose à conquérir, comme un véritable objet de satisfaction des
désirs charnels des hommes, et de leur besoin de réaffirmer un sentiment de puissance.
Dans l’esprit de beaucoup d’hommes, « le plus important [dans un rapport sexuel], c’est
l’acte de possession du corps de l’autre » (Liogier, cité par Tuaillon, 2019, p.109).

Cette possession s’exprime particulièrement à travers une pratique qui constitue une
véritable norme de la sexualité : la pénétration de la femme par l’homme. A travers cette
norme de la sexualité pénétrative, c’est tout l’acte sexuel qui prend un sens genré, l’homme
étant le pôle pénétratif, donc actif, à l’inverse de la femme qui est pénétrée et donc
passive56. La pénétration, synonyme de possession, de conquête, de force virile et donc de
pouvoir, peut dès lors être elle-aussi interprétée comme une performance de la masculinité
hégémonique. Le rapport sexuel pénétro-centré est d’ailleurs l’occasion de réaffirmer que le
plaisir des hommes passe avant celui des femmes, celles-ci n’atteignant que très peu
souvent l’orgasme via la pénétration vaginale57.

Le but de la pénétration, au fond, n’est pas vraiment le plaisir des deux partenaires,
mais en premier lieu celui de l’homme, puis éventuellement celui de la femme
(d’ailleurs la pénétration cesse généralement quand l’homme a atteint son plaisir).
[…] Imagine-t-on que si seuls 30% des hommes parvenaient par la pénétration d’un
vagin avec leur pénis, cette pratique serait aussi centrale ? (Page, cité par Tuaillon,
2019, p. 198)58

Les performances quotidiennes de la masculinité


Ces performances de la masculinité hégémonique ne se limitent pas aux rapports sexuels
(consentis ou non). Elles prennent également place dans la vie de tous les jours, dans les

55
Pour s’en rendre compte, on peut notamment penser à la connotation toujours péjorative du terme
"puceau", encore souvent utilisé pour qualifier les hommes qui font preuve de faiblesse.
56
La notion de "circlusion" du pénis par le vagin a d’ailleurs été proposée par l’autrice Bini Adamczak pour
briser cette vision du pénis (actif) qui s’introduit dans le vagin (passif).
57
Il y a également certaines personnes pour lesquelles la sexualité pénétrative est douloureuse, désagréable,
voire impossible. Nous pouvons notamment penser aux personnes porteuses de handicap, ainsi qu’aux
personnes sujettes à des pathologies comme le vaginisme ou l’endométriose
58
Pour creuser le sujet, nous pourrons nous tourner vers le livre « Au-delà de la pénétration » de Martin Page.

47
interactions que peuvent avoir les hommes avec les femmes qu’ils rencontrent. Cela peut
notamment se traduire par des "violences basées sur le genre", dont nous avons déjà eu un
aperçu dans le chapitre précédent. Ces violences permettent, ici également, aux hommes de
réaffirmer concrètement leur position dominante. Les formes moins "physiques" de
violences de genre, comme le harcèlement verbal, sont également des performances de la
masculinité qui consistent, pour les hommes, « à user de leur droit à commenter le corps des
femmes, à les mettre mal à l’aise, à les insulter, et, plus largement, comme droit à disposer
de leur temps et de leur attention » (Tuaillon, 2019, p.81). Même la drague et la séduction,
jusqu’à la galanterie59, sont des façons pour les hommes de performer leur masculinité, de
réaffirmer une position de supériorité et de pouvoir. Ces pratiques répondent à des codes
similaires à ceux du harcèlement de rue : elles sont le fait d’hommes qui imposent aux
femmes des gestes et des interactions, sans prêter attention à la manière dont ils sont reçus,
vécus et interprétés par la personne qui leur fait face.

Ces performances de la masculinité ne s’expriment pas que dans les interactions des
hommes avec des femmes, elles s’expriment également dans de nombreux comportements
que les hommes épousent au quotidien. Ceux-ci, pour prouver leur masculinité, doivent
continuellement incarner les caractéristiques de cette masculinité hégémonique, en
particulier lorsqu’ils sont soumis au regard d’autres personnes. Ils doivent sans cesse
apporter la preuve qu’ils sont forts et courageux, qu’ils ne craignent pas le danger ou la prise
de risque, ou encore qu’ils restent maîtres d’eux-mêmes en toute situation, en ne cédant ni
à la peur ni à la tristesse. Il leur faut à tout prix fuir la faiblesse, la sensibilité et la remise en
question, toutes trois connotées comme féminines, donc dévalorisantes. Nous pouvons dès
lors concevoir la masculinité hégémonique comme un véritable "éthos", soit « une
récurrence de comportements de la part d’acteurs partageant une même insertion sociale »
(Fusulier, 2011), qui doit être constamment performé par les hommes.60

Enfin, la masculinité se performe, se construit et s’affirme également via le discours, via un


ensemble de paroles destinées à rappeler et entériner la position de pouvoir qu’occupent les
hommes. Bien que nous ne développerons pas davantage l’analyse de cette construction

59
La galanterie fait partie de ces comportements que les scientifiques ont qualifié de "sexisme bienveillant".
60
Nous pouvons constater à quel point le fait de "bien performer son genre" peut être sécurisant pour
beaucoup de personnes, car cela leur permet d’être acceptées par leurs compères, en particulier au sein des
"boy’s clubs".

48
discursive des masculinités, nous pourrons néanmoins noter l’exemple des blagues sexistes,
qui permettent de rappeler, de maintenir et de renforcer les discriminations genrées, sous
couvert d’être formulées sur le ton de l’humour. Il a en effet été démontré que l’humour
sexiste « peut affecter la perception qu’ont les hommes de leur environnement social et leur
permet de se sentir à l’aise avec des comportements sexistes, sans avoir peur de la
désapprobation de leurs pairs » (Ford, cité par Zerrouki, 2018).

[L’humour sexiste] permet de dire des choses habituellement sanctionnées


socialement mais relativement acceptées car dites sur le ton de l’humour. Il plait
particulièrement aux personnes ne se sentant plus légitimes pour adopter des
attitudes ouvertement sexistes dans un contexte d’émergence de normes égalitaires.
(Roubin, 2017, p.8)

Les hommes embrassent donc cet ensemble de pratiques et de comportements afin de


correspondre au modèle hégémonique de masculinité, soit le modèle qui permet d’accéder
et de se maintenir à une position de pouvoir. Cette position de pouvoir, fragile car
contestable, devra être réaffirmée tout au long de la vie des hommes, au moyen de
différentes performances de la masculinité hégémonique, dont nous venons d’avoir un bref
aperçu. Mais cette position de pouvoir commune à de nombreux hommes induit surtout un
ensemble d’avantages, appelés "privilèges masculins".

2.3.3 La masculinité comme accès à un ensemble de privilèges


Les privilèges masculins constituent un ensemble « d’avantages invisibles, indus et
largement inconscients que donnent le fait d’être né homme » (Tuaillon, 2019, p.69). Ces
privilèges sont systémiques : ils dépendent du système patriarcal dans lequel nous évoluons
et s’appliquent à l’entièreté des hommes. Cependant, comme nous l’avons vu, tous les
hommes ne bénéficient pas uniformément de ces privilèges. Cela dépend de la position de
chaque homme dans les autres rapports de domination. Autrement dit, les hommes qui
profitent le plus de ces privilèges sont ceux qui répondent au mieux aux critères de la
masculinité hégémonique, à savoir des hommes blancs, valides, hétérosexuels, à
l’expression de genre masculine, issus des classes moyennes ou supérieures61. Ces privilèges
sont innombrables, et sont présents dans tous les aspects de la vie des hommes.

61
Également qualifiés de "HSBC" pour Homme Straight (hétéro) Blanc Cisgenre.

49
La masculinité comme privilège
« Ce n’est pas seulement que la masculinité s’accompagne de privilèges, elle EST le privilège
dans un système social et culturel où le masculin est dominant, considéré comme standard
(masculin neutre) et placé au centre (androcentrisme) » (Tuaillon, 2019, p.69). Comme le
résume d’une bien belle manière l’autrice des Couilles sur la Table, le plus "grand" des
privilèges masculins, c’est d’être la norme, et de ne pas avoir à penser à ces privilèges, de ne
jamais avoir à les remettre en question, ni même à en prendre conscience, mais bien de les
considérer comme normaux, comme "allant de soi".
Lorsque l’on évolue dans l’espace public, une foule d’indices que nous ne remarquons même
plus nous rappellent que nous sommes à la "bonne" place. Pour s’en rendre compte, il suffit
de constater le nombre écrasant de rues bruxelloises portant le nom d’un homme, soit 92%
des noms de rue attribués à une personne (Noms Peut-Etre & Open Knowledge Belgium,
2021), ou le nombre de statues à l’effigie de "grands hommes", rappelant aux hommes ces
notions de courage, de conquête et de puissance qui structurent leurs rapports au genre.
Nous pouvons également allumer notre télévision, et constater que nous sommes
représenté·e·s en majorité par des hommes. En témoigne, par exemple, le très faible
nombre de femmes présentes lors de rencontres "au sommet" (G7, G20), ou l’écrasante
majorité d’hommes (80%) qui interviennent en tant qu’experts pour parler de la crise du
Covid 19 (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, 2020, p.10). Cette omniprésence de la
représentation des hommes ne fait que renforcer ce sentiment de légitimité et de normalité.

Vivre en tant qu’homme, c’est évoluer dans une société qui, en plus de considérer le
masculin comme la norme, est construite et pensée selon un point de vue masculin, pour
répondre en priorité aux besoins et attente des hommes. Cette tendance à concevoir le
monde selon un point de vue masculin est appelée "androcentrisme". Ici encore, les
exemples sont légion62. On peut notamment penser au logiciel de reconnaissance vocale Siri
qui, lors de sa sortie, pouvait « trouver des prostituées et du Viagra, mais pas les centres
d’avortement » (Tuaillon, 2019, p.71). Cette tendance à l’androcentrisme se retrouve
également dans le milieu médical, où, globalement, les pathologies "féminines" sont moins
prises en compte que celles qui touchent les hommes. On peut, par exemple, noter que « si

62
En se basant sur des centaines d’études, la journaliste Caroline Criado Perez a d’ailleurs compilé ces
nombreux exemples qui attestent que nous évoluons au sein d’une société pensée par et pour des hommes au
sein d’un ouvrage appelé Femmes invisibles - Comment le manque de données sur les femmes dessine un
monde fait pour les hommes (First Editions, 2020).

50
toutes sortes de remèdes ont été trouvés pour répondre aux problèmes d’érection, on ne sait
toujours pas traiter l’endométriose » (Tuaillon, 2019, p.73), alors que cette maladie touche
environ 10% des femmes (Grenouilleau & Suarez, 2020, p.71).

Et lorsque nous nous intéressons davantage aux productions audio-visuelles, c’est là aussi le
regard et le point de vue de l’homme qui prime, réduisant encore trop souvent les femmes à
un "objet de désir et de plaisir", dont on n’hésite pas à couper les visages pour mettre en
valeur d’autres parties sexualisées de leurs corps. Cette tendance à épouser un point de vue
masculin a d’ailleurs un nom : le male gaze (regard masculin). Cette notion, qui peine à
s’imposer dans nos régions, a été théorisée il y a plus de 50 ans, et désigne une structure
commune à bon nombre de productions audio-visuelles, au sein desquelles « l'image
sexualisée de la femme devient « matière première » pour le « regard de l'homme » afin de
satisfaire son seul plaisir »63 (Daumas, 2019). Et toutes ces situations sont loin d’être un
complot sournoisement organisé par les hommes pour exclure les femmes :

Ces biais androcentriques s’expliquent en grande partie parce que les personnes
chargées d’imaginer, de designer, de décider de la forme de notre monde […] sont
encore en majorité des hommes, qui n’intègrent pas ou peu de femmes dans leurs
équipes et/ou ne pensent pas à inclure le point de vue féminin dans leurs décisions,
leurs recherches (Tuaillon, 2019, pp.73-74).

Des privilèges au sein de l’espace public


En plus d’évoluer dans un monde élaboré selon leur point de vue, destiné à répondre en
priorité à leurs besoins, les hommes disposent également de bon nombre d’autres privilèges,
dont celui de se sentir légitime de disposer à leur guise de l’espace public. Ainsi, ce sont bien
souvent des garçons qui investissent les endroits publics destinés aux loisirs des jeunes,
tandis que les filles ont tendance à être reléguées au rang de spectatrice, ou à être
encouragées à s’adonner à des activités au sein de la sphère privée (Tuaillon, 2019, pp.77-
79). Pouvoir profiter pleinement de l’espace public, c’est également y trouver des endroits
pour soulager un éventuel besoin pressant. Et, ici encore, ce sont les hommes qui sont
privilégiés, avec seulement 30% des sanitaires publics bruxellois accessibles aux
femmes (Iglesias Lopez, 2020). Cette légitimité à occuper l’espace se traduit également dans
la perception qu’ont les hommes de l’espace "personnel" qui leur est dû, à travers une

63
Cette tendance s’exprime également de manière très prégnante au sein de la pornographie.

51
pratique encore trop courante : le manspreading ou "syndrome des couilles de cristal", qui
désigne « l’habitude de certains usagers [des transports publics] d’écarter exagérément les
jambes sans se soucier du confort de ses voisin·e·s »64 (Tuaillon, 2019, p. 83). Ainsi, être un
homme, c’est se sentir légitime d’aller où l’on veut, et de ne jamais rencontrer un endroit
qui ne serait "pas fait pour nous"65.

Et ce privilège masculin de se sentir légitime d’occuper l’espace concerne également l’espace


oral. À l’instar du grand nombre d’experts masculins invités sur les plateaux de télévision,
dont l’avis semble plus pertinent que celui de leurs homologues féminines, les hommes ont
tendance à davantage considérer leurs points de vue comme légitimes. Cette tendance se
traduit, entre autres, à travers l’habitude qu’ont les hommes à davantage couper la parole 66,
en particulier celle des femmes (Tuaillon, 2019, p.91). Cela se traduit également par la
légitimité auto-proclamée de se positionner quant à des enjeux typiquement féminins,
comme la contraception, l’avortement ou le port du voile67. Cette tendance à expliquer aux
femmes des choses qu’elles savent déjà, ou à prétendre mieux maîtriser certains sujets qui
les concernent pourtant au premier plan, porte également un nom : on appelle cela le
mansplaining (que l’on peut littéralement traduire par "mecxpliquer").

Les privilèges ne sont pas uniquement des choses que l’on peut faire, ce sont également des
choses que l’on ne doit pas faire, auxquelles on ne doit pas penser. Ainsi, l’un des immenses
privilèges masculins dans la sphère publique, c’est de se sentir en sécurité, de ne pas
ressentir de danger, de ne pas risquer de subir de regards insistants, de violences verbales
ou physiques, ou encore d’agressions sexuelles. C’est également celui de ne pas devoir en
tout temps soigner son apparence ou sa posture, et, à plus large échelle, de ne pas devoir
répondre à toutes ces injonctions de soin et de beauté qui régissent la perception que les
femmes ont de leurs corps en tant qu’"être-perçus", pour reprendre les termes de Pierre
Bourdieu.

64
Certaines villes, comme Madrid, se mettent d’ailleurs à lutter activement contre cette tendance.
65
En témoignent les réactions outrées lorsque des espaces en "non-mixité" sont proposés aux personnes
opprimées par certains systèmes de domination, comme le genre ou la race. Ces hommes n’auraient jamais mis
les pieds à ce type d’événements, mais s’insurgent que l’on leur en interdise l’accès car cela va à l’encontre de
leur privilège à pouvoir aller où bon leur semble.
66
Un reportage très intéressant a été réalisé par France 2 pour illustrer cette tendance au sein du parlement
européen : https://www.facebook.com/95750947597/videos/2871816139756161
67
On peut garder à l’esprit cette semaine de débat sur le port du voile qui a eu lieu sur les chaînes françaises en
2019. Malgré les 286 invité.e.s, pas une de ces personnes n’était une femme voilée (Andraca, 2019).

52
Le monde extérieur ne vous est pas hostile, il ne vous gêne pas, il ne vous rappelle pas
de mille manières que vous n’êtes pas à votre place ; il est fait pour vous, il est adapté
à vos besoins, à vos usages. (Tuaillon, 2019, pp. 86-87)

Des privilèges au sein de la sphère privée


Ces privilèges ne se limitent pas à l’espace public. Comme nous avons pu le voir dans le
chapitre précédent, en particulier dans la partie consacrée à la "division sexuée du travail",
la sphère privée est également un lieu d’oppression pour les femmes, et donc de privilèges
pour les hommes. Ainsi, les hommes bénéficient également du privilège de pouvoir
consacrer moins de temps aux tâches domestiques et de moins devoir supporter la "charge
mentale" relative à l’organisation de ces tâches. Sur une semaine, les hommes disposent dès
lors, en moyenne, de 3 à 4 heures de temps libre de plus que les femmes (Brousse, 2015,
p.140). Ce temps libre peut être consacré à des hobbys, mais peut également servir aux
hommes à pouvoir s’investir bien davantage dans leur travail que leurs collègues féminines,
et ainsi mieux répondre aux critères de flexibilité et de disponibilités qui sont souvent requis
pour des postes "importants". C’est le privilège auquel Victoire Tuaillon a donné le nom de
« syndrome "J’ai une épouse formidable" », pour qualifier le fait que beaucoup d’hommes
arrivent à faire « preuve d’un investissement professionnel total, sans faille et continu » grâce
au travail domestique (et émotionnel) de leurs compagnes (2019, p.90). Cela explique
également, en partie, le principe du "plafond de verre" auquel sont confrontées beaucoup
de femmes qui voudraient progresser dans la hiérarchie professionnelle.

Sur le plan de la sexualité, les hommes disposent également de nombreux privilèges, l’un des
plus importants étant celui de ne pas devoir être responsables de leur fertilité, de ne pas
risquer une grossesse, et de ne pas angoisser outre mesure en cas de rapport sexuel non-
protégé. En conséquence, les hommes ne s’impliquent que très peu souvent dans les coûts
induis par la contraception, qu’ils soient financiers, de santé ou psychologiques, ainsi que
dans le suivi des méthodes68 (Tuaillon, 2019, pp.139,142). Le dernier privilège que nous
aborderons ici est également relatif aux organes sexuels : les hommes n’ont pas à faire les
frais de cette tendance sociétale qui consiste à négliger et invisibiliser les impacts du cycle

68
Car la contraception masculine existe, et elle a déjà fait ses preuves ! Mais la société n’accorde encore que
trop peu d’attention (et de budget) à sa promotion et à son développement.

53
menstruel sur la vie quotidienne de très nombreuses femmes69, et à concevoir les règles
comme un véritable tabou, transformant un trait naturel en une véritable discrimination 70.

Nommer ces privilèges, et les exposer au grand jour, semble particulièrement utile pour
avoir un aperçu concret de cette position de pouvoir qu’occupent les hommes dans nos
sociétés. Visibiliser ces privilèges masculins permet également de rendre compte des
nombreux avantages que les hommes retirent de la domination masculine, et de ne plus les
considérer comme "allant de soi". Etant donné que nous évoluons dans une société aux
tendances individualistes, promouvant l’intérêt personnel et la compétition, on peut dès lors
constater, à travers ces nombreux privilèges, à quel point les hommes n’ont pas intérêt à ce
que la situation change.71 Malgré la tendance de plus en plus forte à reconnaitre que les
femmes subissent des oppressions et discriminations, beaucoup d’hommes éprouvent
toujours des difficultés et même des réticences à reconnaitre qu’ils sont privilégiés et qu’ils
sont prisonniers de stéréotypes.

Mais être un homme cisgenre, cela ne comporte pas que des avantages, même si ceux-ci
semblent démesurés. Répondre sans cesse aux critères de la masculinité hégémonique sans
jamais s’y conformer parfaitement peut également nuire à beaucoup d’hommes, qu’ils en
soient conscients ou non. Ainsi, correspondre à ce modèle hégémonique de masculinité
donne accès à un ensemble de privilèges, mais implique également un certain "prix à payer",
un ensemble de "coûts", pour accéder à cette position de pouvoir. Dans le chapitre suivant,
nous allons donc tenter d’expliciter au mieux ces impacts négatifs de la domination
masculine pour les hommes eux-mêmes.

69
On pense à la période de règles, mais également au syndrome prémenstruel (SPM), qui reste assez méconnu.
70
Il a fallu attendre 2021 pour que, pour la première fois en France, une entreprise propose à ses employées de
prendre un "congé menstruel" en cas de règles douloureuses.
71
Comme le note Victoire Tuaillon : « Aucun bénéficiaire de privilèges n’a objectivement intérêt à le remettre en
question » (2019, p.106).

54
Partie 3 : les coûts de la domination
masculine
Introduction
Nous avons donc souligné, dans les chapitres précédents, que nous évoluons dans une
société traversée par une pluralité de systèmes de pouvoir (sexe, classe, handicap, race,
âge…) qui influencent, voire conditionnent, l’identité de chaque individu, et les rapports
sociaux que cet individu va entretenir avec les autres personnes qui composent la société.
Nous avons choisi ici de nous intéresser spécifiquement au système de pouvoir et de
domination basé sur le genre, en gardant à l’esprit qu’il est impossible de l’isoler des autres
systèmes de pouvoir. Nous avons donc pu définir que nos sociétés sont, entre autres, régies
par une domination masculine (des "hommes") sur les autres groupes sociaux de genre (les
"femmes" et les minorités de genre). Nous avons vu que cette domination masculine, loin
d’être invariable, doit constamment se redéfinir et se réaffirmer, au moyen de pratiques
concrètes et/ou discursives. Nous avons d’ailleurs pu regrouper les caractéristiques de ce
rapport dominant à la masculinité, elles-mêmes en constante évolution, au sein de ce que
Raewyn Connell a défini comme le "modèle hégémonique de la masculinité", dont l’un des
traits principaux est de se distancier à tout prix de ce qui est socialement défini comme
"féminin". Nous avons rapidement exploré les principales instances via lesquelles les garçons
et les hommes sont socialisés à correspondre à ce modèle. Enfin, nous avons eu un aperçu
des avantages, appelés privilèges, dont les hommes bénéficient à travers la position de
pouvoir qu’ils occupent.

Cependant, nous avons surtout remarqué que tous les hommes n’entretiennent pas le
même rapport vis-à-vis de ce modèle hégémonique de masculinité, et ne bénéficient pas de
la même façon de ces privilèges. Ainsi, les hommes sont hiérarchisés, et dominés, entre eux.
Certains, notamment les hommes homosexuels, ne correspondent pas à ce modèle, et
subissent de nombreuses violences et discriminations. D’autres hommes, à l’instar des
hommes pauvres, racisés, ou non-valides, voient leurs rapports à la masculinité être
systématiquement dévalorisés, car ils subissent l’oppression induite par d’autres systèmes
de pouvoir (classe, race…). L’oppression et la dévalorisation de ces deux types de

55
masculinités permettent ainsi de poser le modèle hégémonique de masculinité comme la
norme socialement promue et encouragée, donc dominante. Ces groupes d’hommes font
donc également les frais, à des degrés différents, de la domination masculine.

Bien qu’une majorité d’hommes tire profit de ce rapport dominant à la masculinité, sous
forme de nombreux privilèges, rares sont ceux qui se conforment parfaitement aux
injonctions de ce modèle hégémonique de la masculinité. Au contraire, une grande partie
des hommes, bien qu’ayant intériorisé les normes de la masculinité hégémonique, tentent
tant bien que mal d’y correspondre, sans jamais y parvenir parfaitement. Au vu de la nature
de ces injonctions (être fort, taire sa tristesse ou sa peur…) et de la normativité du modèle
hégémonique, devoir à tout prix y correspondre semble donc être une entreprise qui peut se
révéler, de manière consciente ou non, assez contraignantes pour beaucoup d’hommes, qui
se trouvent ainsi, pour reprendre les mots de Pierre Bourdieu, « dominés par leur propre
domination » (1998). Il semble y avoir, pour bon nombre d’individus masculins, un "prix à
payer" pour accéder à cette position de pouvoir, et aux privilèges qui l’accompagnent,
comme le résume si bien le sociologue Michael Kaufman :

Les hommes et les garçons jouissent du pouvoir social, de plusieurs formes de


privilèges et d’un sens souvent inconscient de leur bon droit en raison de leur sexe.
Mais la manière dont ce monde de pouvoir a été établi est la cause d’énormes
souffrances, d’isolation et d’aliénation, non seulement pour les femmes, mais aussi
pour les hommes. Cela ne permet toutefois pas d’associer la souffrance des hommes
aux formes d’oppression systémique et systématique des femmes. Cela veut plutôt
dire que les hommes ont un prix à payer pour le pouvoir universel qu’ils ont. (2003,
p.11)

Ne pas invisibiliser d’autres coûts


A l’entame de ce chapitre, il nous faut impérativement préciser que la mise en exergue de
"coûts" du rapport dominant à la masculinité pour les hommes eux-mêmes ne devra jamais
invisibiliser ou amoindrir les violences et discriminations auxquelles font face les
nombreuses personnes opprimées par la domination masculine. Nous pouvons notamment
penser aux personnes qui se reconnaissent comme femmes ou aux personnes faisant partie
de la communauté LGBTQIA+, mais également à ces nombreux enfants qui subissent de

56
plein fouet la violence de leurs pères, qu’elle soit dirigée contre eux, ou contre un autre
membre de la famille72. Il nous faut constamment avoir à l’esprit l’ensemble de ces
oppressions indues par la domination masculine lorsque l’on pense aux coûts de celle-ci, car
c’est au prix de ces "coûts" que les hommes accèdent à ces positions de pouvoir, et s’y
maintiennent73.

Il existe également une autre forme de "coûts du rapport dominant à la masculinité" sur
laquelle nous ne nous étendrons pas davantage, mais qui semble particulièrement
intéressante à mentionner : il s’agit des coûts, induits par les comportements violents de
beaucoup d’hommes, qui sont assumés par l’ensemble de la société. L’historienne Lucile
Peytavin, à travers son essai intitulé Le coût de la virilité. Ce que la France économiserait si
les hommes se comportaient comme les femmes (Anne Carrière, 2021), tente de donner un
aperçu de ces coûts et de leur ampleur. Partant du constat qu’une immense majorité des
auteurs d’infraction, de crimes et délits, en particulier ceux impliquant de la violence, sont
des hommes (90% des personnes condamnées par la justice française en 2020), et que la
socialisation de genre masculine incite les hommes à embrasser des comportements violents
et dangereux, l’autrice s’est dès lors attachée à estimer le coût financier de ces
comportements. Elle a ainsi pris en compte les dépenses inhérentes au traitement de ces
violences (forces de l’ordre, justice, prison), les dépenses relatives au soin des victimes, ainsi
que, très froidement, l’équivalent financier des préjudices moraux et de la perte de
productivité que peuvent connaitre les victimes. A l’issue d’un savant calcul, elle aboutit à
une estimation de 95,2 milliards d’euros, soit l’ensemble du coût financier pour la société
française, dont l’Etat, induit par les comportements violents et dangereux des hommes
(Peytavin, 2021, pp. 107-165). Bien que ce montant garde l’imprécision d’une estimation et
qu’il doit impérativement être nuancé74, il permet de se rendre compte à quel point les
normes de genre masculines coûtent à la société.

72
En 2020, en Belgique, 89,3% des violences conjugales et 81,5% des violences « envers des descendants » ont
été perpétrées par (au moins) un homme (Police fédérale - DGR/DRI/BIPOL, 2020, p.69)
73
Raison pour laquelle nous avons tenu, dans les pages précédentes, à expliciter les nombreuses oppressions
induites par la domination masculine, mais également les nombreux privilèges que les hommes en retirent.
74
Paradoxalement, on peut également se dire que ces coûts créent de l’emploi et donc de la valeur.

57
3.1 Un rapport dominant à la masculinité qui suppose certains coûts
Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser à ces nombreux hommes qui tentent, tant bien
que mal, de correspondre au modèle hégémonique de masculinité, partout promu et
valorisé. Se conformer au mieux à ce modèle permet d’accéder à une position de pouvoir, de
la maintenir, et de bénéficier d’une série de privilèges, nous l’avons vu. Mais cela implique
également, pour beaucoup d’hommes, des sacrifices, un véritable "prix à payer" pour
intégrer ces normes et répondre aux injonctions d’un modèle très contraignant. Les hommes
sont donc bénéficiaires de ce rapport dominant à la masculinité, mais peuvent également en
être victime. Cependant, tous les hommes ne vivent pas ces éventuels coûts de la même
manière. Ici encore, il nous faut prendre garde de ne pas homogénéiser la perception des
coûts de la domination masculine, car ils diffèrent en fonction du degré d’adéquation avec le
modèle dominant et de la personnalité de chaque homme, mais également en fonction de la
culture et du milieu social au sein duquel chaque homme évolue.

Il ne fait dès lors aucun doute que certains hommes s’épanouissent parfaitement en
incarnant les traits de ce modèle hégémonique de masculinité. Mais, pour beaucoup
d’autres, il semble assez aisé de concevoir que répondre à un modèle aux caractéristiques
aussi contraignantes, qui implique d’incarner la force et l’assurance en tout temps, et de
taire toute expression de faiblesse, de fragilité ou de sensibilité, peut impliquer de réelles
peines, même si celles-ci peuvent parfois être occultées par la position de pouvoir ainsi
atteinte, et les privilèges qui l’accompagnent. Ces peines peuvent également être masquées
par le puissant pouvoir normatif de ce modèle, qui amène certains hommes, non pas à
remettre en question des normes de genre oppressives, mais bien à s’auto-stigmatiser en se
considérant comme "anormaux".

3.1.1 Un sujet peu pensé


Il nous est quelque peu difficile de nous baser sur un réel corpus scientifique francophone
pour étayer ce constat de coûts de la masculinité. Bien sûr, il existe beaucoup de travaux
épars, émanant de différentes branches des sciences humaines et sociales, qui suggèrent
que les normes de genre masculines ont un impact négatif sur la vie de certains hommes.
Nous pouvons également penser à Bourdieu qui, se basant sur les travaux de nombreuses
féministes, déclarait que :

58
Le privilège masculin est aussi un piège et il trouve sa contrepartie dans la tension et
la contention permanente, parfois poussées à l’absurde, qu’impose à chaque homme
le devoir d’affirmer en toute circonstance sa virilité. (1998)

Il existe également certaines statistiques75 qui permettent de constater une prédominance


masculine au sein de certains "problèmes sociétaux", tels que les crimes et délits, comme
nous avons déjà pu le noter quelques lignes plus haut, mais également les taux de suicides
ou d’accidents de la route. Cependant, peu de personnes, au sein de la littérature
francophone, se sont réellement attachées à analyser en profondeur et en détail les impacts
négatifs, voire délétères, que peuvent avoir les normes de genre masculines sur certains
hommes, et à les réunir pour en montrer la diversité. Nous avons néanmoins pu nous référer
à l’ouvrage Boys don't cry! Les coûts de la domination masculine (Dulong, Guionnet & Neveu,
2012), qui propose un recueil des travaux de plusieurs scientifiques sur le sujet, mais au sein
duquel les autrices et l’auteur déplorent également que « peu de travaux se sont interrogés
sur l’hypothèse de coûts liés à la masculinité hégémonique » (p.24).

Il y a plusieurs raisons qui expliquent ce peu d’intérêt et d’attention pour ce sujet, en


particulier en Europe76. Premièrement, les études sur le genre se sont avant tout attachées à
expliciter et à déconstruire les nombreuses formes d’oppression et d’inégalités dont sont
victimes les femmes, ainsi que les ressorts de la domination masculine. S’intéresser au
groupe oppresseur et aux impacts négatifs de cette domination sur les hommes a donc, très
légitimement, été longtemps considéré comme un véritable tabou, susceptible de desservir
les idéaux qui sont à la base de la déconstruction des rapports de genre.

Ces coûts de la domination masculine ont également été, pendant fort longtemps,
invisibilisés, dans des sociétés au sein desquelles les rapports de genre étaient naturalisés.
Ces coûts, ce "poids" des normes de genre est en effet bien plus visible dans nos sociétés
contemporaines, au sein desquelles, comme nous avons déjà pu le noter, nous assistons à
une remise en question des normes de genres, et à une mutation du modèle hégémonique
de masculinité, même si la domination masculine subsiste. L’aspect coercitif et contraignant

75
Le peu d’entre elles qui sont analysées sur base du sexe.
76
Aux Etats-Unis, l’impact négatif de la masculinité pour les hommes est bien davantage étudié au sein des
études de genre. Nous pouvons notamment penser au sociologue Mickael Kimmel, qui a écrit une série
d’ouvrages sur ce sujet.

59
de ces normes de genre n’a jamais été aussi apparent, cela a donc permis de visibiliser le
"prix à payer" pour certaines personnes afin d’y correspondre.

Enfin, il a pendant longtemps été fort difficile de se rendre compte de ces coûts car ils
n’étaient que trop peu formulés par les hommes eux-mêmes. Les normes de genre
masculines encourageant les hommes à taire leurs émotions et leurs ressentis "intimes", il
était dès lors très compliqué de se rendre compte de l’ampleur des sacrifices que certains
hommes doivent consentir pour épouser les contours de ce modèle hégémonique de la
masculinité. Nous pouvons parler ici d’une "double contrainte" dans laquelle sont pris une
majorité d’hommes : celle de devoir correspondre à un modèle très contraignant, qui
occasionne son lot d’angoisses, d’incertitudes et de stress, et celle de devoir en tout temps
paraître fort et maître de soi, et donc de taire ces sentiments négatifs qu’ils peuvent
ressentir.

Les mouvements masculinistes


Certains hommes, qualifiés de "masculinistes", formulent pourtant depuis longtemps une
"souffrance", une "détresse" masculine77. Cependant, leur objectif n’est pas de dénoncer
des normes de genre qui seraient oppressives et contraignantes, mais bien de « se
mobiliser contre le féminisme » (Dupuis-Déri, cité par Lootvoet, 2018) qui aurait provoqué
une véritable "crise de la masculinité". Selon ces mouvements masculinistes, les hommes
souffriraient de ne plus avoir aucun repère, ni aucun modèle pour construire leur identité
masculinité au sein d’une société qui se "féminise dangereusement"78. Ces mouvements
d’hommes tiennent dès lors systématiquement à « (ré)affirmer la masculinité
conventionnelle et la différence hiérarchisée des sexes » (Dupuis-Déri, 2012, p.99). Il nous
faut nous distancier au maximum de ces théories, radicalement antiféministes, car elles
véhiculent une vision traditionnaliste des questions portant sur le genre. Néanmoins, il serait
particulièrement intéressant d’analyser et de déconstruire ces différents discours

77
Nous pouvons penser à Éric Zemmour et à son livre Le premier sexe (Denoël, 2006), ou aux ouvrages de
Patrick Guillot. Au-delà d’une littérature de niche, ces hommes cumulent également les interventions
médiatiques, à l’instar des nombreux propos polémiques tenus par le philosophe Alain Finkielkraut.
78
Les "Incels" (pour INvoluntary CELibate) représentent une frange particulièrement réactionnaire et violente
de ce mouvement. Ils vouent une haine aux femmes, qu’ils considèrent comme responsables de leur célibat. Ils
appellent dès lors à se venger d’elles, en allant jusqu’à les tuer, comme lors du massacre de l’Ecole de
Polytechnique de Montréal en 1989, ou de l’attaque à la voiture bélier de 2018 à Toronto.

60
réactionnaires formulés par les hommes79. Comme le précise Virginia Woolf, « l'histoire de la
résistance des hommes à l'émancipation des femmes est encore plus instructive que l'histoire
de l'émancipation des femmes » (citée par Groult, 2003).

Leur sentiment de souffrance n’en reste pas moins légitime. Nous pouvons même le
considérer comme une expression des coûts de ce modèle dominant, formulée par des
hommes qui constatent que l’hégémonie masculine et les privilèges qui l’accompagnent sont
remis en question et s’érodent quelque peu, alors que les coûts pour la maintenir n’ont pas
changé. Comme le précise si bien Éric Neveu, « un coût inchangé peut être perçu comme
insupportable si les bénéfices qui l’accompagnent chutent » (Dulong et al., 2012, p.118).
C’est l’analyse que font ces hommes de la souffrance qu’ils ressentent, ainsi que les
conclusions qu’ils en tirent qui sont dangereusement biaisées par la position de pouvoir
qu’ils occupent. En effet, ce ne sont pas les hommes qui sont en crise, mais bien le modèle
hégémonique de masculinité. Et la solution ne consistera pas en un retour aux normes
traditionnelles et viriles de la masculinité dominante, qui serait préjudiciable pour la société
entière, mis à part pour une poignée d’hommes qui retrouveraient leurs pleins pouvoirs. Au
contraire, déconstruire ce modèle, qui contraint et oppresse tant les hommes eux-mêmes
que leur entourage, semble être une piste qu’il nous faut privilégier pour mener vers une
société au sein de laquelle règnerait une réelle égalité des genres.

Prendre conscience des coûts de la masculinité hégémonique ne conduit pas à


plaindre les hommes victimes de mutations sociales, mais au contraire à souligner
combien ceux-ci auraient eux aussi intérêt à se mobiliser pour modifier un ordre
patriarcal au sein duquel ils sont loin de s’épanouir complètement. (New, citée par
Dulong et al., 2012, p.27)

3.1.2 Les impacts positifs de la prise de conscience de ces coûts


Ces coûts représentent donc une série de sacrifices, de "prix à payer" pour répondre aux
injonctions du modèle hégémonique de la masculinité, et ainsi accéder à une position de
pouvoir et de domination. La perception par les hommes de ces coûts et de leur origine
semble dès lors être un levier crucial, voire indispensable, pour mener à un véritable

79
Pour ce faire, nous pourrons notamment nous tourner vers les travaux de Francis Dupuis-Déri et de Mélissa
Blais.

61
changement concernant l’égalité des genres. En effet, les mouvements féministes ont,
pendant des décennies, tenté de faire prendre conscience aux hommes de la position de
pouvoir qu’ils occupent, des privilèges qui l’accompagnent, et des innombrables inégalités et
discriminations qui en découlent. Bien que nous ne contestions en rien l’utilité de ce type de
démarche, force est de constater que ces remises en question de leur position sociale
oppressive sont rarement accueillies de façon constructive par les hommes, qui ont parfois
tendance à les considérer comme de véritables "attaques personnelles"80. Ainsi le féminisme
est-il encore souvent considéré comme une "affaire de femmes" au sein de laquelle les
hommes n’auraient rien "à gagner".

Et c’est ici que réside tout l’intérêt de la perception de ces coûts. La mise en valeur de ces
coûts induits par le modèle hégémonique de masculinité, et de leur ampleur, permettrait
aux hommes de prendre conscience des nombreux "gains" qu’ils auraient, eux aussi, à
remettre en question ces normes de genre coercitives. Dans des sociétés marquées par des
tendances individualistes, orientées vers le profit personnel et la "rentabilité" de chaque
action, il semble particulièrement intéressant de montrer à quel point les hommes peuvent
avoir intérêt, pour leur santé, leur bien-être et leur épanouissement, à se libérer de la
contrainte de ces nombreuses injonctions, à se positionner comme "victimes secondaires"
de cette domination masculine et d’avoir ainsi davantage à gagner à s’affranchir des normes
de ce modèle hégémonique de la masculinité plutôt que de s’y conformer81. La prise de
conscience de ces nombreux coûts pourrait dès lors inciter certains hommes à développer
un réel intérêt personnel à déconstruire ces normes de genre82, et à s’engager aux côtés des
féministes et des mouvements queer.

Les hommes ne sont ni exploités, ni opprimés par le sexisme, mais ils souffrent de
certaines façons des conséquences de celui-ci. Cette souffrance ne devrait pas être
ignorée. Et si elle ne minimise en rien la gravité des violences masculines et de
l’oppression des femmes ni ne nie la responsabilité masculine dans les actes

80
Pensons au célèbre Not all men (pas tous les hommes) formulés par certains hommes qui n’acceptent pas le
fait d’être considérés comme faisant partie du groupe oppresseur.
81
Comme nous l’avons vu, cela n’est pas aussi simple, car le fait de performer "son genre" est également très
sécurisant pour la construction de l’identité des individus.
82
Les hommes bénéficient d’ailleurs souvent, sous un certain angle, de conditions bien plus "favorables" pour
déconstruire leurs rapports au genre (plus de temps, moins d’énergie dépensée à faire face aux oppressions ou
à se battre pour ses droits…).

62
d’exploitation, la souffrance vécue par les hommes peut servir de catalyseur pour
attirer l’attention sur la nécessité de changement. (hooks, 2017, p.160)

Enfin, nous pouvons également émettre l’hypothèse que la perception de ces coûts par les
hommes permettra d’amorcer une meilleure compréhension de leur part des
discriminations et des oppressions que peuvent subir les femmes, les personnes issues des
minorités de genre, ou d’autres hommes. En effet, il est très compliqué de se rendre compte
de ces oppressions chez d’autres personnes, si on ne les expérimente pas consciemment soi-
même. En d’autres termes, il est difficile de concevoir l’oppression avec un esprit
d’oppresseur. Ainsi, reconnaitre le caractère coercitif et contraignant des normes de genre
masculines permettrait davantage d’empathie de la part des hommes concernant
l’oppression que peuvent vivre d’autres personnes, notamment les femmes.

3.1.3 Eviter une compréhension biaisée de ces coûts


Malgré la portée émancipatrice de cette entreprise, la mise en valeur des divers coûts de la
domination masculine pour les hommes peut également mener à certains biais, qu’il semble
important d’expliciter pour nous assurer de ne pas les reproduire. Nous avons déjà noté qu’il
nous fallait à tout prix nous écarter des théories masculinistes selon lesquelles la souffrance
masculine proviendrait d’une "féminisation de la société". Il nous faut également prêter
attention à ne pas symétriser les coûts et la souffrance des hommes et des femmes. En effet,
comparer ces souffrances mène bien souvent à négliger les rapports de pouvoir qui
maintiennent les hommes dans une position dominante, puissent-ils en souffrir le martyr.
Pareille comparaison, en plus d’être dangereuse, est également infondée, car les hommes et
les femmes ne sont pas symétriquement opprimé.e.s : « alors que les hommes occupent une
position qui leur permet d’agir systématiquement comme des agents de l’oppression des
femmes, il n’en est pas de même pour les femmes » (Dulong, et al., 2012, p. 183). Beaucoup
d’hommes cisgenre ont ainsi "juste" à subir l’oppression induite par ce modèle masculin aux
normes de genre contraignantes, tandis que les femmes et les minorités de genre font
également face, en plus du poids de ces normes, aux inégalités, discriminations et violences
systémiques de la domination masculine.

Il est d’ailleurs très difficile pour un homme de prendre de la distance par rapport aux
schémas oppressifs de domination (de soi, des autres) dans lesquels il est pris, et qu’il a

63
intégrés depuis de longues années. Nous l’avons déjà souligné en abordant ces théories dites
"masculinistes", les hommes peuvent facilement développer une interprétation biaisée de la
souffrance qu’ils peuvent ressentir. Comme le précise Caroline New, « l’oppression ne peut
toutefois pas être directement déduite de l’expérience, justement parce que la subjectivité
est socialement construite » (citée par Dulong, Guionnet & Neveu, 2012, p. 185). Ainsi, il
n’est pas aisé de développer une vision la plus objective possible de coûts de la domination
masculine en demandant uniquement aux hommes "ce qu’ils ressentent", soit la manière
dont ils vivent leurs rapports au modèle hégémonique de la masculinité. D’autant plus que
chaque homme entretient un rapport différent par rapport à ce modèle, chacun a donc une
perception différente des coûts de ces normes de la masculinité hégémonique. C’est
pourquoi, dans les pages qui vont suivre, dans lesquelles nous détaillerons certains de ces
coûts, nous tiendrons à nous appuyer le plus souvent possible sur des faits objectivables, des
statistiques et des sources scientifiques, pour tenter de démontrer au mieux le caractère
systémique de ces coûts, épousant ainsi une approche bien plus "réaliste" que
"subjectiviste". Nous n’ignorons pas pour autant ces nombreux coûts ressentis, et formulés,
par certains hommes. Mais, à l’instar de Caroline New, nous préférerons les considérer
comme des « éléments de preuves » plutôt que comme des « vérités fondamentales » (citée
par Dulong et al., 2012, p. 187).

Pour les approches réalistes, le critère-clé de l’oppression n’est pas le fait que
certaines relations sociales soient perçues comme nuisibles ou non par un groupe
particulier, mais le fait qu’elles soient objectivement nuisibles à ce groupe, soit
directement, soit en le privant de potentielles ressources extérieures. (New, citée par
Dulong et al., 2012, p. 185)

Enfin, lorsque l’on tente de penser les différents coûts de la domination masculine pour les
hommes, il nous faut impérativement garder à l’esprit une vision intersectionnelle de la
masculinité. En effet, les chiffres, statistiques et analyses sont souvent très globalisantes
(homme/femme) et ne permettent que rarement d’attester de l’immense disparité qu’il
peut exister entre différentes catégories d’hommes. Ainsi, nous pouvons constater qu’en
2018, en France, les femmes ont une espérance de vie de 6 ans supérieure à celle des
hommes. Mais cela cache d’importantes disparités entre les hommes, notamment en
fonction de leur classe sociale. En effet, nous pouvons nous rendre compte que les hommes

64
"très pauvres" ont une espérance de vie de 13 ans inférieure à celle des hommes "très
riches" (Grenouilleau & Suarez, 2020, p.29). Nous pouvons également penser au taux de
suicide, qui est trois fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes (Centre de
Prévention du Suicide, 2017, p.11 ; Grenouilleau & Suarez, 2020, pp.42,47). Mais ici
également, cela cache d’immenses disparités, notamment une prévalence du suicide auprès
des hommes homo-, bi- et trans-sexuels (Adjei et al., 2017 ; Tuaillon, 2019, p.50).
Malheureusement, ces données sont très souvent absentes des analyses mises à disposition
du grand public, et sur lesquelles nous nous baserons dans les pages qui vont suivre. Il reste
donc important de garder à l’esprit que les différents "coûts" que nous allons aborder ici ne
touchent pas les différentes catégories d’hommes de façon similaire.

3.2 Violence et prise de risque, éléments centraux du rapport


dominant à la masculinité
Avant de nous intéresser dans le détail à ces différents "coûts", il parait indispensable de
nous pencher sur deux éléments, à savoir la violence et le rapport au risque, qui permettent
de mieux comprendre l’origine de bon nombre de ces coûts. En effet, ces deux notions sont
des éléments constitutifs de la masculinité hégémonique, et doivent dès lors être exprimés
par les hommes lorsqu’ils ont besoin de prouver ou de réaffirmer leur masculinité.

3.2.1 La violence comme élément constitutif du modèle hégémonique masculin


Nous avons pu constater, dans les chapitres précédents, que la violence est constitutive des
rapports de genre, et est utilisée par les hommes pour asseoir leur position de pouvoir et de
domination et réaffirmer celle-ci. Nous avons déjà pu expliciter les nombreuses façons via
lesquelles cette violence s’exprime envers les femmes et les personnes issues des minorités
de genre (agressions physiques et sexuelles, féminicides…). Mais cette violence ne s’exprime
pas qu’envers des personnes extérieures, elle s’exerce d’abord, et avant tout, sur les
hommes eux-mêmes.

Le chercheur canadien Michael Kaufman, a développé une approche très intéressante pour
analyser les différentes façons dont la violence régit la vie de nombreux hommes, qu’il a
regroupé sous le nom des Sept "P" de la violence masculine (1999). Nous avons déjà eu un
bel aperçu des trois premiers de ces "P", à savoir le Pouvoir patriarcal (la violence pour
établir et maintenir cette hiérarchie), le sentiment du Privilège dû et la Permission d’exercer

65
de la violence (celle-ci étant partout représentée et valorisée, et encore trop peu
sanctionnée), soit trois éléments qui permettent d’expliquer le pouvoir et la violence exercés
sur les femmes, les minorités de genre, et les hommes épousant des masculinités
considérées comme subalternes.

Le Paradoxe du pouvoir des hommes permet de montrer que l’accession à une position de
pouvoir masculin s’accompagne également d’une série d’attentes très contraignantes
(réussite sociale et financière, rétention de certaines émotions, capacités physiques, courage
et assurance…), qui sont souvent « impossibles à satisfaire ou à atteindre » (Kaufman, 1999,
p.3). Ainsi, lorsque certains hommes n’arrivent pas à remplir ces attentes, à accomplir ces
tâches, la violence devient dès lors un « mécanisme compensatoire » qui leur permet de
réaffirmer leur supériorité, et donc leur masculinité, les entrainant dans « une spirale de
crainte, d’isolement, de colère et de haine » (In't Zandt & Maquestiau, 2019, p.36).

Ces violences ne sont d’ailleurs que trop peu souvent reconnues à leurs justes valeurs par les
hommes qui les commettent, car la masculinité hégémonique agit comme une véritable
armure Psychologique. En effet, la masculinité hégémonique est caractérisée par un rejet de
tout ce qui est connoté comme "féminin", dont, entre autres, les qualités liées au soin, à
l’affection et à la compassion, entrainant ainsi « une capacité d'empathie (ressentir ce que
les autres éprouvent) amoindrie et une incapacité à percevoir les besoins et les sentiments
des autres comme forcément liés à ses propres besoins et sentiments. Exercer de la violence
envers autrui devient alors possible » (Kaufman, 1999, p.4).

Le modèle hégémonique de la masculinité contraint également les hommes à intérioriser


toute une gamme d’émotions et de sentiments, comme la peur, la souffrance, l’insécurité ou
la douleur, vues comme des "preuves de faiblesse". Cette intériorisation nous permet de
concevoir la masculinité dominante comme une véritable casserole à Pression
psychologique, qui empêche l’expression saine de ces émotions, celles-ci étant bien souvent
exprimées sous la forme de la colère et de la violence, sur soi ou sur les autres.

Enfin, nous pouvons également rajouter les expériences du Passé vécues par certains
hommes, qui ont grandi dans un cadre familial violent83, et qui sont dès lors « beaucoup plus
enclins à se montrer violents eux-mêmes » (Kaufman, 1999, p.6). Le Monde selon les femmes

83
Ce qui est encore trop souvent le cas à l’heure actuelle

66
a ajouté un huitième "P" à cette liste, celui de la Pornographie, qui contribue à reproduire
ces violences sur le plan de la sexualité (In't Zandt & Maquestiau, 2019, p. 37), mais qui
induit également un processus très violent de normalisation des relations sexuelles, les
nombreux hommes ne correspondant pas aux "standards" de la sexualité se considérant très
rapidement comme "anormaux". Se conformer au modèle hégémonique de masculinité
implique donc de la violence envers d’autres personnes, mais c’est également un processus
très violent pour les hommes eux-mêmes.

Le premier acte de violence que le patriarcat demande aux hommes n’est pas
d’exercer de la violence envers les femmes. Au lieu de cela, le patriarcat demande à
tous les hommes de se livrer à des actes d’automutilation psychique et qu’ils tuent
leurs émotions. Si un individu ne réussit pas à se déprécier émotionnellement, il peut
compter sur les autres hommes qui exerceront sur lui des rituels de pouvoir afin
d’attaquer son estime personnelle. (hooks, 2004)

Différents rapports à la masculinité, différents rapports à la violence


L’utilisation de la violence permet donc de réaffirmer un sentiment de puissance et
d’autorité, en particulier lorsque celui-ci est mis en doute. Des chercheurs.euses
étasunien.ne.s ont d’ailleurs remarqué, que les hommes qui expriment le plus de
comportements physiquement violents sont ceux qui ont le plus de difficultés à
correspondre aux normes de genre (Cross, Harrington & Overall, 2021). Les travaux de
l’anthropologue belge Pascale Jamoulle permettent également d’attester de ce type de
tendance. S’intéressant aux jeunes des cités wallonnes, dont les masculinités sont
systématiquement dévalorisées et stigmatisées à cause de leur origine socio-culturelle, elle a
pu remarquer que ces jeunes développent souvent des rapports à la masculinité
« agressifs » et « autodestructeurs » qui sont dès lors « à la fois un moyen de préserver
l’honneur et une ressource dans le monde de l’économie souterraine et délinquante » (citée
par Dulong et al., 2012, p.132).

Il nous faut donc impérativement garder à l’esprit que tous les hommes n’ont pas à exprimer
la violence de la même manière. En effet, la violence "visible" est souvent davantage utilisée
par des individus qui possèdent moins de pouvoir économique, culturel ou social, voire
aucun, pour réaffirmer leur position de pouvoir. Ainsi, même s’il parait indéniable que "les
hommes" possèdent le monopole de la violence, au vu de l’écrasante majorité de crimes et

67
de délits qui auraient été commis par des hommes, soit 83,5% des infractions constatées en
Belgique en 202084 (Police fédérale - DGR/DRI/BIPOL, 2020, pp. 65-72), ou de l’omniprésence
des hommes dans nos prisons, représentant à eux seuls 95% de la population carcérale belge
(Wauters, 2020), cela cache à nouveau de profondes disparités. Ici encore, c’est bien
souvent la violence exercée par des populations déjà discriminées85 (pauvres, racisés,
jeunes…) qui sera stigmatisée et condamnée, avec le risque d’invisibiliser les nombreuses
violences commises par des hommes issus des classes sociales plus aisées, qui ont tendance
à être davantage tolérées par la société.

3.2.2 La prise de risque comme élément constitutif du modèle hégémonique


masculin
A côté de la violence, la prise de risque est également un moyen essentiel pour les hommes
d’attester leur masculinité et de la réaffirmer si celle-ci est mise en doute. En effet, prendre
des risques, se mettre en danger et n’en montrer aucune crainte permet d’attester d’une
certaine forme d’assurance, de puissance et de pouvoir. Cette tendance a d’ailleurs été
prouvée par des scientifiques, qui ont démontré qu’il existe bien « une relation entre le
genre et les comportements à risque accidentel » (Granie, 2013). Mais cela va encore plus
loin, car il a également été établi que l’appartenance au genre masculin induit une plus faible
perception (sous-estimation) du risque, et, en corollaire, une perception plus élevée
(surestimation) de leur propre maitrise et de leur "invulnérabilité" (Granie, 2013). En lien
avec les nombreux comportements illégaux que nous évoquions plus haut, ces études ont
également permis d’attester un lien de cause à effet entre l’appartenance au genre masculin
et le fait d’avoir moins tendance à se conformer aux règles, et à davantage embrasser des
« comportements antisociaux » (Granie, 2013), ces comportements servant également à
attester une masculinité "toute-puissante". Ces fortes tendances à la violence et à la prise de
risque comme outil de réaffirmation d’une masculinité dominante sont l’une des sources
principales de ces différents coûts que nous allons évoquer dans les pages suivantes.

84
Avec des taux dépassant souvent les 90% concernant les crimes et délits les plus violents.
85
Il est d’ailleurs intéressant de constater que, lors de beaucoup d’affaires de viols ou de violences, on tienne
souvent à préciser l’origine ethnique ou socio-économique des auteurs pour prouver que ces violences sont le
fait de groupes d’hommes spécifiques, et ainsi se distancier de "l’image du violeur".

68
3.3 Les impacts de la domination masculine sur la santé physique
des hommes
Ces comportements violents et à risque ont donc un immense impact sur la vie des hommes.
Avant de se pencher plus précisément sur ces différentes conséquences très concrètes, nous
pouvons déjà mentionner le fait que les hommes ont, à tout âge, « un risque de décès plus
élevé que les femmes » (Grenouilleau & Suarez, 2020, p.28). Les hommes ont dès lors une
espérance de vie moins élevée que les femmes86. Les femmes vivent en moyenne 4,4 ans de
plus que les hommes en Belgique (Statbel, 2020), et ce, quelle que soit leur catégorie
sociale : on constate d’ailleurs que « même l’espérance de vie des ouvrières est supérieure à
celle des hommes cadres » (Grenouilleau & Suarez, 2020, p. 29). Et ce constat ne s’arrête pas
à nos régions, à l’échelle de l’Europe entière, on peut également constater que « les taux de
mortalité standardisés ont été plus élevés chez les hommes que chez les femmes pour toutes
les principales causes de décès, sauf pour le cancer du sein » (Eurostat, 2020).

3.3.1 Les hommes davantage victimes d’accidents


Cette propension à la prise de risque se traduit de manière très visible lorsque l’on se
penche sur les taux d’accidents (de la vie courante, de la route ou de travail) commis par des
hommes (et dont ces mêmes hommes sont également victimes). Ici encore, nous sommes
face à un biais sociologique car les tâches, les activités considérées comme les plus
"dangereuses" sont en majorité pratiquées par des hommes. On peut ainsi noter, par
exemple, qu’en France, une immense majorité (88%) des personnes décédées lors de la
pratique d’un sport sont des hommes (Beltzer, Pédrono, Thélot, 2020, p.10), ou que les
hommes sont davantage (89%) victimes d’Accidents de la Vie Courante (AcVC) ayant trait au
bricolage et à la manipulation d’outils (Santé publique France, 2018). Même si ces chiffres
restent très généraux, ils permettent d’apporter la preuve de cette tendance à la prise de
risque chez les hommes, et de leur moins bonne estimation de ce "risque" ou de leurs
capacités personnelles.

86
Ici encore, les données sont souvent analysées en termes de "hommes" et "femmes" et empêchent
d’appréhender les disparités au sein de ces "groupes sociaux de sexe". Cela mène également à invisibiliser les
personnes intersexes et/ou non-binaires, qui ne se reconnaissent pas dans cette dichotomie.

69
Les risques au travail
Même si cet écart tend à se réduire avec les années, les hommes restent les principales
victimes des accidents de travail. En 2019, en Belgique, ils représentaient 62.8% des victimes
d’accidents survenus sur le lieu de travail (Fedris, 2019, p.19). Cette tendance semble encore
davantage marquée en France, où « les hommes subissent deux fois plus souvent que les
femmes des accidents au travail » (Babet & Lê, 2018). Comme précisé plus haut, ces chiffres
s’expliquent également par la nature du travail effectué. En effet, les hommes sont toujours
sur-représentés, voire omniprésents dans les professions qui impliquent davantage de risque
pour leur santé physique87. En 2020, ils représentent ainsi, en Belgique, plus de 95% des
ouvriers·ères du bâtiment (maçons, charpentiers, électriciens, couvreurs… ), plus de 99% des
pompiers·ères ou plus de 97% des conducteurs et conductrices de poids lourds (Statbel,
2021), alors que les professions qui concentrent les fréquences d’accident de travail les plus
élevées sont le « transport et l’entreposage » et la « construction » (Fedris, 2019, p.26).

Et cette prédominance des accidents de travail chez les hommes n’est pas uniquement due à
cette tendance masculine à prendre plus de risques, mais également à leur tendance à les
sous-estimer, ou à surestimer leurs capacités. Ainsi, par exemple, être un ouvrier du
bâtiment implique souvent « de passer outre certaines consignes de sécurité, de prendre des
risques, afin de se prouver qu’on "en a", qu’on est à la hauteur » (Dulong, et al., 2012, p.26).
J’en ai fait moi-même l’expérience, en allant prêter main forte à un charpentier-couvreur sur
ses chantiers. J’ai été stupéfié, et parfois même vraiment choqué, par le nombre de
situations particulièrement dangereuses (et souvent évitables), mais également, par le fait
que lui et son collègue ne portaient jamais d’équipement de sécurité (gants, casques,
lunettes…). Cela a été d’autant plus révélateur que, quand je m’en suis affublé, la peur et la
faiblesse face au danger que cela induisait m’ont valu les doux qualificatifs de "fillette" ou de
"chochotte" de la part de ces deux ouvriers du bâtiment.

87
On peut également penser à l’armée, dont les effectifs et les valeurs prônées sont très "masculines", et qui a
provoqué la mort ou les blessures de nombreux hommes, même si celles-ci sont « présentées comme les
risques normaux de la guerre pour les hommes » (Dulong, et al., 2012, p.200)

70
Les risques sur la route
Les statistiques sur la sécurité routière88 permettent également d’avoir un bel aperçu de la
prédominance de la prise de risque chez les hommes, qui mène régulièrement à de tragiques
accidents. Les hommes représentent, en 2019, 79% des personnes impliquées dans des
accidents qui ont mené au décès d’une personne (De Vos & Pelssers 2020, p.11). Les
hommes sont donc les auteurs majoritaires des accidents graves ou mortels, mais ils en sont
également les principales victimes : en 2018, les hommes représentaient 68% des blessés
graves, et 78% des personnes tuées sur nos routes (Institut VIAS, 2018). Les conducteurs
sont donc, en moyenne, impliqués dans des accidents plus graves que leurs homologues
féminines. Nombre de ces accidents sont dus au fait que les hommes embrassent davantage
de comportements à risque (conduite sous influence, excès de vitesse…) que les femmes. Ce
sont d’ailleurs des hommes qui sont le plus souvent condamnés devant le tribunal de police,
représentant trois condamnations sur quatre (Institut VIAS, 2018).

Nous l’avons vu, le fait d’outrepasser les lois, et d’aller au-devant du danger, permet à
beaucoup d’hommes de réaffirmer leur masculinité. La conduite automobile ne fait pas
exception à la règle. Ici encore, ce sont les hommes qui prennent le plus de risque, et qui le
perçoivent le moins. Ainsi, plus de deux européens sur trois (68%) déclarent rouler au-dessus
des limitations de vitesse, contre 55% des européennes. Ils sont également presque deux
fois plus nombreux à considérer que cette vitesse excessive, en dehors des centres-villes,
leur semble "personnellement acceptable" (16,4% contre 8,75% pour les femmes). (Holocher
& Holte, 2019, pp.16,21). Les hommes ont aussi davantage tendance à négliger les risques
de la conduite sous l’influence de l’alcool : en 2018, en Belgique la probabilité qu’un homme
se fasse contrôler, « en ayant dépassé la limite légale en matière d’alcoolémie [était] quatre
fois plus élevée que pour les femmes » (Institut VIAS, 2018). En Europe, les hommes sont
d’ailleurs plus du double des femmes à déclarer avoir roulé sous l’influence de l’alcool
durant les 30 derniers jours (Achermann, Stürmer, Berbatovci & Meesmann, 2019, p.15).

Et les comportements dangereux des conducteurs ne s’arrêtent pas à la consommation


d’alcool. Les hommes ont également tendance à davantage conduire sans porter leur
ceinture (17.2% contre 10.9%) (Schoeters & Tant, 2019, p.35) et à davantage utiliser leur

88
Ici également, il nous faut garder à l’esprit les inégalités structurelles de genre. Ainsi, il y a plus d’hommes
que de femmes détenteurs d’un permis de conduire, ils roulent globalement davantage en voiture que les
femmes, ils ont donc plus de chances de se faire contrôler, ou d’avoir un accident.

71
téléphone en conduisant (37% contre 29,7%) (Areal, Pires & Trigoso, 2019, p. 17). Et, assez
paradoxalement, malgré cette prédominance d’accidents causés par des hommes, et dont
les hommes sont victimes, ces mêmes conducteurs se sentent toujours davantage sûrs d’eux
et "en sécurité" lorsqu’ils prennent le volant que les conductrices (Evennou, Granié, Lyon,
Thévenet, & Vanlaar, 2019, p.11), preuve que beaucoup de conducteurs masculins sous-
estiment, voire négligent les risques encourus, ou surestiment leurs capacités.89

3.3.2 Les hommes, moins attentifs à leur santé préventive


Comme nous avons pu en avoir un aperçu avec les stéréotypes qui peuvent entourer les
mesures de sécurité sur les chantiers, le fait de "prendre soin de soi", de s’inquiéter de sa
propre santé, est également un élément connoté comme "féminin", donc systématiquement
dévalorisée au sein de la représentation dominante de "l’idéal masculin". Cela a également
des impacts non-négligeables sur la vie des hommes, qui ont alors tendance à moins
s’inquiéter de leur santé préventive, soit de tous ces gestes que l’on pose, ou non, afin
d’éviter de se blesser, de tomber malade, ou de détériorer son état de santé. Ici également,
on peut constater une sous-estimation, ou une négligence, des risques encourus par leurs
actions.

Les hommes ont ainsi, par exemple, plus souvent tendance à consommer du tabac, ou à être
usagers de drogues, que les femmes, l’écart se creusant encore plus dans le cas d’usage
régulier ou intensif (Debusscher, 2019, p.7 ; Observatoire européen des drogues et des
toxicomanies, 2018, p.41). Ils ont également tendance à boire de l’alcool en plus grande
quantité, de manière plus régulière que les femmes, et ont davantage de chances d’en
développer un usage problématique (Demarest, Drieskens & Gisle, 2019, pp. 17,24,25).90 Il y
a 15 ans, on constatait d’ailleurs qu’en Europe, les hommes avaient six fois plus de chances
que les femmes de décéder prématurément à cause de leur consommation d’alcool
(Anderson & Baumberg, 2006, p.211). Nous pouvons également penser à l’alimentation, au
sein de laquelle les repas "sains" sont encore fortement connotés comme féminins, donc fuis
par beaucoup d’hommes. Ceux-ci mangent davantage d’aliments gras et, surtout de

89
Il est d’ailleurs éloquent de constater que, malgré ces nombreux constats, les campagnes de sécurité routière
prennent très rarement cet angle genré pour sensibiliser les conducteurs, préférant souvent se concentrer sur
"les jeunes", à l’instar de la récente campagne "Déjouez les pronostics" de Bruxelles Mobilité.
90
La consommation de ces drogues (légales ou non) par les hommes peut être également un moyen assez nocif
de faire face à leur manque de conformité par rapport au modèle dominant, ou de soulager des détresses
personnelles qu’ils s’obligeraient à taire.

72
viande91, toujours considérée comme un véritable « marqueur de masculinité » (Tadli, 2019,
p.12). Et ce, bien que les effets nocifs de la (sur)consommation de viande pour le corps
humain soient dénoncés par des nutritionnistes du monde entier (cancer, maladies cardio-
vasculaires…)92.

Ce peu d’intérêt pour leur santé préventive s’exprime également dans les nombreux gestes
de "soin personnel" que les hommes ont tendance à moins poser que les femmes. En 2012,
l’Institut National de Statistique espagnol a ainsi montré que les hommes se brossaient les
dents moins régulièrement que les femmes (Instituto Nacional de Estadistica, 2012). Plus
original, mais tout aussi révélateur, des études ont également prouvé que

La forte prévalence du cancer de la peau chez les hommes était essentiellement


redevable d’un comportement masculin hostile à l’application de crème solaire, l’idée
que les "vrais hommes" sont capables de supporter le soleil sans protection poussant
nombre d’entre eux à refuser la protection. (Vuattoux, 2013)

Et il existe sans doute de nombreux autres exemples pour attester des effets nocifs de ces
normes de la masculinité hégémonique sur la santé des hommes. Ces conséquences
délétères se vérifient d’ailleurs dans les statistiques, les hommes ayant deux fois plus de
chances que les femmes de mourir prématurément, soit avant 65 ans (Grenouilleau &
Suarez, 2020, p.40), et quatre fois plus de chances de décéder des suites d’alcoolisme ou de
toxicomanie (Eurostat, 2020). On peut dès lors suggérer que tous ces comportements nocifs,
induits par les normes de genre de la masculinité hégémonique, ont un impact considérable
sur la santé physique des hommes et permettent d’expliquer, du moins en partie, la
prédominance de ces accidents et maladies chez les individus masculins.

3.4 Les impacts de la domination masculine sur la santé mentale des


hommes
Ces normes du modèle hégémonique de la masculinité ont également un impact non
négligeable sur la santé mentale et l’équilibre psychologique de bon nombre d’hommes. Ces
nombreux comportements à risque évoqués plus haut peuvent d’ailleurs parfois être
91
Pour s’en convaincre, il suffit d’entrer le hashtag #dudefood (nourriture de mec) sur Instagram. Nous
pourrons également nous tourner vers le livre de Carol J. Adams intitulé "La Politique sexuelle de la viande, une
théorie critique féministe végane" (Editions L’Âge d’Homme, 2016).
92
A côté de ces études et rapports, les documentaires What’s the Health (2017) et The Game Changers (2018),
disponibles sur Netflix, abordent également cette problématique.

73
interprétés comme l’expression de malaises identitaires ou d’angoisses psychologiques, que
beaucoup d’hommes s’obligent à taire, la sensibilité et l’expression d’émotion comme la
tristesse ou la peur étant encore fortement stigmatisées. Certains hommes se retrouvent
dès lors pris dans cette "double contrainte" que nous avons déjà évoquée : devoir
correspondre à un modèle très contraignant, qui occasionne son lot d’angoisses,
d’incertitudes et de stress, tout en taisant ces sentiments négatifs qu’ils peuvent ressentir.
Contrairement aux impacts sur la santé physique, il est ici bien plus compliqué de se baser
sur des statistiques précises pour situer l’ampleur (ou non) de ces impacts psychologiques,
car ceux-ci sont tus par beaucoup d’hommes.

Pour beaucoup d’entre eux encore, dévoiler ses problèmes à d’autres signifie qu’ils
échouent en tant qu’homme, en n’y faisant pas face seul. La peur d’être perçus
faibles, hypochondriaques, paranoïaques ou non masculins semble motiver les
hommes à rester silencieux sur leur état de santé physique et
psychologique. (Anceaux, 2016, p.23)

3.4.1 Suicide
L’un des marqueurs qui traduisent avec le plus d’éloquence cette tendance à taire ces
angoisses jusqu’à ne plus en pouvoir sont les chiffres concernant les taux de suicide. En
épousant une lecture genrée de ces statistiques, on peut s’apercevoir que les taux de décès
par suicide sont plus de trois fois plus élevés chez les hommes que chez les femmes, que ce
soit en Belgique, en France, ou en Europe (Eurostat, 2020). Il a d’ailleurs été constaté qu’en
France, 75% des personnes décédées des suites d’un suicide sont des hommes (Grenouilleau
& Suarez, 2020, p.47). Les hommes ont également davantage tendance à concevoir le suicide
comme une "fin en soi" plutôt que comme un "appel à l’aide". Nous pouvons nous en
apercevoir en comparant ces chiffres à ceux des tentatives de suicide, au sein desquels les
femmes sont majoritaires, commettant deux fois plus de tentative de suicide que les
hommes (Grenouilleau & Suarez, 2020, p.47), permettant ainsi de constater que les
tentatives de suicide des hommes aboutissent bien plus souvent à un décès (1 suicide abouti
pour 2 tentatives) que celles des femmes (1 pour 14) (Anceaux, 2016, p.26)93.

93
L’un des éléments qui peut, en partie, expliquer cela, est la tendance masculine à utiliser (et à avoir accès à)
des moyens plus "violents" (pendaison, arme…) pour mettre fin à leurs jours que les femmes, qui passent plus

74
Lorsque l’on se penche sur les détails de ces statistiques, on peut constater un taux de
suicide particulièrement élevé chez les hommes ayant entre 45 et 55 ans (Grenouilleau &
Suarez, 2020, p.47 ; Centre de Prévention du Suicide, 2014, p.10), permettant de suggérer un
lien avec la "crise du milieu de vie"94, soit ce moment où beaucoup d’hommes font le bilan
de leur vie, et où certains réalisent qu’ils n’ont pas obtenu tout le prestige et la réussite
(sociale, économique, culturelle, familiale), censées être inhérents à leurs "statuts"
d’hommes, ou que cette recherche de prestige s’est faite au détriment de leur
épanouissement personnel (Barraud & Hovaguimian, 2012, p.29). Enfin, la tendance
masculine à la (sur)consommation d’alcool a également un impact conséquent sur les
suicides des hommes. En effet, on estime que plus d’un suicide masculin sur cinq est
attribuable à l’alcool, alors que celui-ci est responsable de moins d’un suicide sur 15 chez les
femmes (Grenouilleau & Suarez, 2020, p.36).

3.4.2 La dépression masculine


La dépression étant l’une des causes principales des suicides, il paraitrait dès lors
relativement logique, au vu des taux de suicides, que les hommes soient davantage sujets à
cette maladie. Pourtant, les statistiques tendent à prouver le contraire, les troubles
dépressifs étant constatés chez deux fois plus de femmes (13%) que d’hommes (6.4%)
(Grenouilleau & Suarez, 2020, p 46). Mais ces chiffres souffrent d’un double biais : la
dépression est moins verbalisée chez les hommes, qui tendent à davantage "fuir l’aide"
(Barraud & Hovaguimian, 2012, p.19), car la détresse émotionnelle est fortement
stigmatisée95 dans le rapport dominant à la masculinité ; et elle est moins systématiquement
repérée et diagnostiquée par les professionnel·le·s de la santé, car elle s’exprime
différemment par rapport aux comportements dépressifs "classiques" (Grenouilleau &
Suarez, 2020, p.46 ; Barraud & Hovaguimian, 2012, pp.19-22).

Toutefois, l’observation d’une plus grande fréquence de troubles anxieux et dépressifs


chez les femmes, et des signes cliniques différents et souvent méconnus, conduisent à
sous-estimer ces pathologies chez les hommes, et à moins les prendre en charge. Une

souvent par l’ingestion de médicaments (Anceaux, 2016). On peut également penser au fait que "rater son
suicide" peut être considéré, en particulier par les hommes, comme un aveu de faiblesse et d’impuissance.
94
Que l’on peut également qualifier de "crise de la quarantaine" ou de "crise de la cinquantaine".
95
Au-delà de la seule dépression, c’est l’entièreté des troubles mentaux qui sont également stigmatisés.
Consulter un·e psychologue est un fait difficilement avouable pour beaucoup d’hommes.

75
autre hypothèse est que les hommes seraient moins enclins à admettre une
dépression en entretien, qu’ils exprimeraient autrement leur mal-être. Quand la
dépression se traduit plus souvent chez les femmes par des accès de tristesse, une
fatigue ou une fragilité émotionnelle, les hommes tendent plutôt à adopter des
comportements agressifs ou, à risque, comme la consommation d’alcool ou de
drogues. (Grenouilleau & Suarez, 2020, p.46)

Il y aurait donc une importante proportion d’hommes victimes de dépression qui ne sont
pas, ou mal, soignés. Seul un homme dépressif sur deux consulterait un ·e professionnel·le de
la santé (Grenouilleau & Suarez, 2020, p.46), et un nombre important d’entre eux ne
recevraient pas un diagnostic correct (Barraud & Hovaguimian, 2012, p.22). En 2013, une
étude étasunienne a d’ailleurs montré que, si l’on se réfère tant aux symptômes "masculins"
(consommation de drogue ou d’alcool, comportements agressifs ou à risque) qu’aux
symptômes dépressifs "conventionnels", on arrive à des taux de dépression beaucoup plus
similaires entre les hommes et les femmes (Griffith, Martin & Neighbors, 2013). Ces
tendances à moins exprimer ces pensées dépressives chez les hommes, et à moins
reconnaitre les symptômes dépressifs "masculins" chez les professionnel.le.s de la santé
permettent également de mieux comprendre cette prédominance du suicide ou de la
surconsommation d’alcool et de drogues chez les individus masculins.

3.4.3 Epanouissement personnel


Ces normes de la masculinité hégémonique affectent également le quotidien de beaucoup
d’hommes. En effet, comme Kaufman a pu le mettre en valeur, la masculinité hégémonique
agit comme une véritable "casserole à pression psychologique" pour beaucoup d’hommes,
contraints de réprimer leurs sentiments de peur ou de douleur, ou de ne pas se livrer sur
leurs ressentis intimes. Bon nombre d’hommes ont ainsi tendance à entretenir des relations
très superficielles avec leur entourage, auquel ils ne se confient pas, ou peu, sur leurs
ressentis profonds. On peut d’ailleurs parler d’un véritable « tabou de l’intime » (Dulong et
al., 2012, p.216). Étant donné que les hommes ont tendance à moins développer les
compétences d’attention, d’empathie et de soin, ils bénéficient, en conséquence, moins
souvent de réseaux d’entraide, d’écoute et de soutien (Tuaillon, 2019, p.133). Or, ces
notions d’amour, de soin (à soi, aux autres), d’affection et d’empathie semblent être des
préalables indispensables à une vie épanouie, permettant une influence positive sur le bien-

76
être de notre entourage, et une influence de cet entourage sur notre propre bien-être. Ne
pas pouvoir faire pleinement l’expérience de cet épanouissement personnel peut dès lors
constituer un véritable coût pour beaucoup d’hommes.

Faute de pouvoir s’épanouir dans ce type de relation, ou de bénéficier de leurs "bénéfices",


certains hommes cherchent dès lors à compenser cela, notamment via la consommation
d’alcool ou de drogue, mais également par un investissement démesuré dans leur travail, qui
est parfois l’un des derniers éléments qui donne un sens à leur existence96. Cette tendance à
s’investir de manière excessive dans son travail, au détriment de sa vie extra-
professionnelle, et à développer une véritable addiction, une « dépendance pathologique au
travail », porte d’ailleurs un nom : le "Workaholisme"97. Peu d’études ont été réalisées
autour de ce trouble dans nos régions, mais les premières estimations tendent à montrer
une plus grande prévalence auprès des individus masculins (Auger, 2020).

3.4.4 Invisibilisation des violences sur les hommes


Pour de nombreux hommes, l’invisibilisation et le manque de reconnaissance des violences
dont ils sont, ou ont été, victimes représentent également un coût induit par le rapport
dominant à la masculinité. En effet, les hommes étant supposés détenir le monopole de la
force et de la violence, il paraît dès lors inimaginable, aux yeux de beaucoup d’individus
masculins, que "l’un des leurs" puisse être victime de violences. Cette stigmatisation des
hommes victimes de violences, combinée à cette tendance masculine à intérioriser leurs
émotions intimes, pousse de nombreux hommes à taire ces violences qu’ils ont subies,
devant en supporter seuls le traumatisme. On peut notamment penser aux jeunes garçons
victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de proches : en France, en 2014,
on estimait que seuls 8% des jeunes garçons ayant subi des violences sexuelles ont été
repérés comme « en danger » (contre 20% des femmes), mais également qu’à peine 6% des
garçons victimes de violences physiques ont été pris en charge (Naves & Wisnia-Weill, 2014,
p.178). La sous-détection de ces violences physiques est d’autant plus alarmante qu’il a été
démontré que, chez les enfants, « les garçons sont deux fois plus nombreux à avoir souffert
de violences physiques répétées » (Naves & Wisnia-Weill, 2014, p.178), tandis que les filles

96
Le fait de s’accomplir dans son travail et d’y performer est d’ailleurs une composante toujours très prégnante
de la masculinité hégémonique, le chômage étant toujours considéré comme un véritable échec, et donc
craint, par beaucoup d’hommes.
97
Il s’agit également de l’un des éléments principaux qui mènent à un burn-out

77
sont, elles, dix fois plus nombreuses à avoir subi des violences sexuelles. Mais si les violences
sexuelles touchent moins les hommes, on peut néanmoins constater que ceux qui en font
l’expérience ont davantage tendance à taire ces violences, et à n’en parler à personne
(Naves & Wisnia-Weill, 2014, p.178). On peut également penser aux hommes (adultes)
victimes de viols et d’agression sexuelle. Même s’ils en sont moins la cible que les femmes,
ils représentent, en Belgique, 10% des victimes de violences sexuelles (Baert & Keygnaert,
2019, p.15). Mais, très souvent, ces violences ne sont pas prises au sérieux, car, à l’heure
actuelle, il est toujours « impensable » pour de nombreuses personnes qu’un homme soit
violé (Tuaillon, 2019, p. 173).

3.5 Les impacts de la domination masculine sur la sexualité des


hommes
Comme nous avons pu en avoir un léger aperçu dans les pages précédentes, la sexualité est
l’une des sphères au sein de laquelle les normes de genre ont le plus d’impacts. Ainsi, c’est
tout l’acte sexuel qui est traversé par des stéréotypes de genre. Depuis l’avènement de la
télévision, et surtout d’internet, ces représentations normées du rapport sexuel sont
essentiellement véhiculées à travers une immense majorité des productions
pornographiques "mainstream". Ainsi, le premier des coûts de la domination masculine vis-
à-vis de la sexualité des hommes est celui de devoir à tout prix correspondre à ces normes
qui régissent la position et les actes de l’homme dans le rapport hétérosexuel. À nouveau,
c’est l’expression de toute forme de faiblesse qui est fuie par beaucoup d’hommes, ceux-ci
étant supposés, dans l’imaginaire de nombreuses personnes, être endurants et performants
lors de l’acte sexuel.

On peut dès lors s’imaginer comment cette recherche de la "performance à tout prix" peut
limiter l’épanouissement sexuel de bon nombre d’hommes. Le rapport sexuel est, par
exemple, très souvent pensé sous l’égide de la pénétration, ce qui empêche beaucoup de
personnes de découvrir les plaisirs de la sexualité non-pénétrative, et qui contraint surtout
les hommes à devoir avoir une érection, ce qui n’est pas si simple pour certains d’entre eux.
Cela mène également à un mythe, assez répandu, que les "meilleurs hommes" en matière de
sexualité seraient "ceux qui ont le plus gros pénis", condamnant beaucoup d’hommes à se
complexer quant à la taille de leurs organes génitaux. A côté de cela, cette "performance"
masculine de l’acte sexuel se traduit également par la capacité à faire jouir sa partenaire,

78
représentation largement véhiculée, une nouvelle fois, par la pornographie. Or, on sait
maintenant qu’une minorité de femmes atteignent l’orgasme via la pénétration, qui reste
pourtant la norme dans le rapport sexuel. Bon nombre d’hommes restent donc condamnés à
s’auto-stigmatiser comme "incapables de contenter leur partenaire"98.

Beaucoup d’hommes semblent dès lors prisonniers de ces représentations du rapport sexuel
que l’on peut qualifier de "pénétro-centrées", qui sont largement véhiculées, une fois de
plus, par la pornographie. Ces conceptions priveraient dès lors de nombreux hommes de la
découverte d’autres pratiques qui leur apporteraient autant, si pas plus, de plaisir. Nous
pouvons notamment penser à l’orgasme prostatique, qui reste un véritable tabou pour une
immense majorité d’hommes. Ce rapport dominant à la masculinité contraint dès lors les
hommes à ne pas explorer toutes ces sources de plaisir que peuvent leur offrir leurs corps.
Cette recherche du plaisir peut être envisagée comme un véritable "gain" qu’auraient les
hommes à se détacher de ces représentations dominantes de l’acte sexuel.99

Et ces normes de genre ne s’expriment pas qu’au sein des rapports sexuels, elles régissent la
plupart des relations affectives, amoureuses, au même titre que le processus de "drague".
En effet, dans l’esprit de bon nombre de personnes, c’est l’homme qui est censé "prendre
l’initiative" de la relation de drague, condamnant de nombreux hommes timides ou sensibles
à de profonds malaises personnels. On voit également partout représentée,
particulièrement dans les productions audio-visuelles, la figure du bad boy comme celle de
l’homme qui parvient à "conquérir les femmes", contraignant bon nombre d’individus
masculins à estimer qu’ils n’arriveront pas à séduire en étant un "mec bien"100 (Messias,
2021). Et cela va jusqu’aux relations amoureuses, qui sont elles aussi, dans bon nombre de
cas, régies par ces mêmes normes de genre, au sein desquelles certains hommes ne se
reconnaissent pas101.

98
Ben Névert prolonge ces réflexions, en compagnie d’autres hommes, dans sa série de vidéos Entre Mecs.
99
Nous pourrons nous tourner vers Martin Page et son livre Au-delà de la pénétration (Le nouvel attila, 2019)
pour davantage creuser ce passionnant sujet.
100
On voit ici aussi à quel point la masculinité peut être une véritable relation, qui se construit également sur
base des codes dominants de la féminité. Ainsi, bon nombre de femmes sont, elles aussi, prisonnières de ces
normes de genre, et ont donc, elles aussi, intériorisé ces représentations de la drague ou du bad boy. Pour
creuser ce sujet, on peut penser au livre de Manon Garcia "On ne naît pas soumise, on le devient" (Flammarion,
2018), ou l’interview de cette même autrice dans l’épisode 30 de la série de podcast Les Couilles sur la Table.
101
Nous n’avons ni la place, ni le bagage réflexif pour parler plus en profondeur de ce sujet très intéressant.
Pour ce faire, nous pourrons entre autres nous tourner vers la très instructive série de podcast intitulée
"Le cœur sur la table", réalisée par Victoire Tuaillon.

79
Au terme de ce chapitre, nous pouvons dès lors prouver que ces injonctions au modèle
hégémonique de la masculinité peuvent être préjudiciable pour beaucoup d’hommes, et
peuvent induire une série de "coûts" pour ceux-ci. Certains d’entre eux exercent une
influence directe sur leur état de santé, occasionnant des blessures, des maladies, allant
parfois jusqu’à provoquer leur mort. Mais beaucoup de ces "coûts" ont également une
influence bien plus insidieuse, et donc moins visible, sur l’épanouissement des hommes, les
contraignant à se faire eux-mêmes violence pour correspondre à ce modèle hégémonique
de masculinité. Néanmoins, nous avons conscience qu’il reste très difficile de concevoir
l’impact "réel" de ces coûts. D’abord car le ressenti et l’impact de ceux-ci diffèrent d’un
homme à un autre, mais également, et surtout, car les différents chiffres et statistiques ne
sont encore que très peu analysés sous l’angle du genre. Lorsque c’est le cas, ces statistiques
homogénéisent souvent le groupe des "hommes", empêchant de constater la diversité des
impacts sur différentes catégories d’individus masculins. L’estimation de bon nombre des
coûts que nous avons évoqué ici reste donc très approximative, des recherches sur la
diversité de l’impact de ces coûts devant impérativement être menées.

Cette série de coûts ne se veut également en rien exhaustive. En effet, cette "liste de coûts"
se veut davantage comme un outil pour mener à des réflexions sur l’impact du rapport
dominant à la masculinité sur la vie de nombreux hommes. Nous ne cherchons pas ici à
apporter de conclusion, mais plutôt à nourrir les réflexions d’autres personnes pour qu’elles
puissent elles aussi déconstruire leurs rapports au genre et, notamment, à la masculinité.
Comme le note si joliment le sociologue et philosophe Raphaël Liogier :

L’égalité est libératrice parce qu’elle révèle les artifices du théâtre social qui nous
imposait, à l’un comme à l’autre, un rôle écrit d’avance. S’ouvre alors un espace de
confiance en soi et en l’autre, comme une terre inexplorée, où quelque chose de
nouveau et de commun peut se construire. (cité par Tuaillon, 2019, p.112)

80
Conclusion
A l’issue de ce mémoire, nous pouvons constater que la domination masculine implique bel
et bien certains impacts négatifs pour les hommes eux-mêmes. En effet, tenter de
correspondre à un modèle hégémonique de masculinité très contraignant induit une série de
"coûts" pour bon nombre d’hommes, dont les statistiques révèlent le caractère structurel.
Ces "coûts" s’expriment dans différents aspects de la vie des hommes, pouvant affecter leur
santé physique (accidents, alcoolisme), leur santé mentale (dépression) ou encore leur
épanouissement personnel, notamment à travers leur sexualité.

Cependant, nous avons pu constater qu’au sein de la littérature francophone, assez peu de
travaux ont été destinés à compiler, à analyser et à détailler ces impacts sur les hommes de
la domination masculine102. De plus, nous avons également pu remarquer qu’une part
notable des statistiques disponibles actuellement ne sont pas interprétées sur base du sexe,
tout du moins celles auxquelles nous avons eu accès. Il parait donc indispensable de mener
des études plus approfondies sur ces coûts et sur les manières dont ils s’expriment, ainsi que
d’inciter les instituts de statistiques à systématiquement aborder leurs recherches avec une
perspective de genre.

Il semble également essentiel de développer une analyse intersectionnelle de ces "coûts" et


de la manière dont ils s’expriment, car ceux-ci ne touchent pas tous les hommes de façon
similaire. Comme nous l’avons vu, certains de ces impacts affecteraient davantage les
hommes opprimés par d’autres systèmes de domination (hommes racisés, hommes
pauvres…). Or, ici également, les statistiques ont très souvent tendance à homogénéiser le
groupe des hommes, empêchant de constater les disparités qui peuvent exister entre
différentes catégories d’hommes dans l’expression de ces "coûts". Il serait dès lors
intéressant de poursuivre des recherches pour analyser la manière dont les différents
impacts que nous avons évoqués s’expriment, en fonction de la place qu’occupent les
hommes dans les autres systèmes de pouvoir qui régissent nos sociétés.

Nous avons également pu noter qu’il nous fallait constamment garder à l’esprit la position
dominante qu’occupent les hommes, et l’oppression des femmes et des minorités de genre

102
Au contraire de la littérature anglo-saxonne, entre autres, au sein de laquelle ce sujet est bien plus abordé.

81
qu’elle induit, afin d’éviter une interprétation biaisée de ces "coûts". Ceux-ci doivent être
envisagés comme un "prix à payer" pour accéder et se maintenir à cette position de pouvoir,
et bénéficier des privilèges qui l’accompagnent.

Utilisation de ces coûts au sein d’une animation


Comme nous l’avons précisé dans l’introduction, ce mémoire a été pensé comme une
véritable "base théorique" destinée à la réalisation d’une animation en Éducation
Permanente (auprès d’un public adulte) ou en Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et
Sexuelle [EVRAS] (auprès d’un public plus jeune). Ces coûts pour les hommes de la
domination masculine seraient ainsi envisagés comme une véritable porte d’entrée pour
encourager les hommes ou les garçons à déconstruire leurs rapports au modèle
hégémonique de la masculinité, ainsi que la position de pouvoir qu’ils occupent et
l’oppression des femmes et des personnes LGBTQIA+ que cette position dominante induit.
Ces animations permettraient également de découvrir si ces coûts sont ressentis ou non par
les hommes. Partir de ces coûts pour questionner nos rapports à la masculinité paraît en
outre assez pertinent en éducation permanente, car cela permet de se baser sur le vécu des
personnes. En effet, il parait bien plus probable que les hommes perçoivent ces coûts, à
l’inverse de leur position de pouvoir et de leurs privilèges, qui sont souvent invisibilisés et
considérés comme "allant de soi".

Cependant, comme nous avons pu d’ores et déjà le préciser, mener ce type d’animation
comporte de sérieux risques, qu’il ne nous faudra pas négliger. Comme nous le rappelle
Kaufman, il nous faudra éviter toute interprétation biaisée de ces coûts, en précisant
systématiquement qu’ils sont dus à cette position dominante et oppressive que les hommes
occupent, qu’il faut donc déconstruire. « Tout en reconnaissant leurs frustrations et leurs
peurs, on établit clairement que c’est seulement en remettant en question leur pouvoir et
leurs privilèges qu’ils parviendront – et le monde avec eux – à avancer » (2003, p.16). Bien
qu’il nous faille à tout prix éviter les interprétations biaisées de ces coûts, notamment celles
des mouvements masculinistes qui y voient l’expression d’une véritable "crise de la
masculinité", il parait également utile de nous pencher sur ces discours masculinistes
focalisés sur la "cause des hommes", afin de les déconstruire et de pouvoir s’en distancier au

82
maximum. Pour ce faire, nous pourrons, entre autres, nous intéresser aux nombreux travaux
que le chercheur québécois Francis Dupuis-Déri103 a mené sur le sujet.

À plus large échelle, il nous faudra également prendre conscience des risques de dérives que
suppose l’organisation d’une animation centrée sur les hommes, en particulier si celle-ci se
tient en compagnie d’un groupe composé exclusivement d’individus masculins. En effet, il
est très difficile pour les hommes de prendre de la distance par rapport à la position de
pouvoir qu’ils occupent et des nombreux biais de réflexion que celle-ci implique. Comme
l’explique le chercheur Léo Thiers-Vidal, il est très compliqué pour les hommes de penser
l’oppression depuis une position sociale oppressive. Au cours de ses recherches, Thiers-Vidal
a analysé divers groupes d’hommes réunis pour questionner leurs rapports à la masculinité.
Il a ainsi pu noter que ces discussions mènent systématiquement ces hommes à parler d’eux-
mêmes, de leurs peines et de leur souffrance, faisant ainsi abstraction de leur propres
comportements oppressifs (2002). Il semble donc impératif de nous renseigner sur ces
nombreux risques de dérives, afin d’en prendre conscience et de pouvoir au mieux les éviter.
Les travaux de Léo Thiers-Vidal104 paraissent dès lors particulièrement pertinents pour
entamer ce type de réflexions.

Certaines structures francophones, comme Le Monde selon les femmes ou Le Poisson sans
Bicyclette, ont d’ailleurs déjà organisé des animations de ce type, focalisées sur les hommes
et sur la déconstruction de leurs rapports à la masculinité. Il sera donc judicieux de nous
renseigner sur la manière dont ces animations ont été menées, mais également sur les
éventuelles dérives que les animateurs.trices auraient pu remarquer chez les participants,
ainsi que sur la manière dont ces dérives ont été gérées. Il serait d’autant plus intéressant de
savoir si ces animations ont permis d’impulser un changement positif de la part des hommes
et, si oui, sous quelle forme.

Il semblera dès lors également indispensable de questionner ce changement que l’on


pourrait constater chez certains hommes, ou nous-mêmes. En effet, de nombreux hommes
se prétendent "pro-féministes", voire "alliés" des féministes, mais ne remettent pas du tout

103
La chercheuse belge Valérie Lootvoet, qui est également directrice de l’Université des Femmes, mène
actuellement une recherche qui porte sur le masculinisme en Belgique.
104
Nous pouvons notamment noter à son article De la masculinité à l’anti-masculinisme : penser les rapports
sociaux de sexe à partir d’une position sociale oppressive (2002), ainsi qu’à sa thèse nommée De « L’Ennemi
Principal » aux principaux ennemis. Position vécue, subjectivité et conscience masculines de domination (2010).

83
leur position sociale oppressive et leurs privilèges en question. Ces hommes ont tendance à
se revendiquer féministe dans un intérêt purement personnel, destiné à soigner leur image
auprès des femmes, et à se considérer comme "supérieur" aux autres hommes105. Il nous
faudra dès lors éviter de reproduire ces formes insidieuses, mais inchangées, de domination
masculine.

Nous pourrons également nous intéresser aux "bonnes manières de changer" pour les
hommes, qui consistent, essentiellement, à se renseigner et à remettre en question nos
moindres paroles, pensées ou gestes. Ici encore, il s’agit d’un sujet aussi vaste que
passionnant, qui est assez difficile à résumer car la déconstruction est un processus constant
et permanent106, et non un état "final" qu’il serait possible d’atteindre après quelques prises
de conscience. Au-delà de cette indispensable remise en question perpétuelle de nos actes,
paroles ou pensées, il s’agit également de se renseigner, de s’éduquer sur ces nombreuses
théories et réflexions féministes, mais également sur les "bonnes pratiques" à adopter107
afin d’incarner une façon d’habiter le masculin qui soit saine et épanouissante pour les
personnes aux côtés desquelles nous évoluons, mais également pour nous même.

La nécessité d’un changement structurel


Bien qu’il soit primordial d’impulser cette prise de conscience des individus, de façon
individuelle et collective, la lutte contre les inégalités et violences de genre demande
également des changements bien plus structurels. Il semble, par exemple, indispensable
que les autorités compétentes accordent le budget et l’attention nécessaires à la mise en
place de réelles mesures pour enrayer cette problématique sociale majeure. Cela semblait
avoir été compris, en 2016, lorsque la Belgique a ratifié la Convention d’Istanbul, qui fixe un
cadre clair concernant la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique108. Pourtant, force est de constater que ces mesures ne sont pas mises en place
par les autorités belges. En effet, en 2020, le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) constatait, dans son rapport

105
L’article Les hommes proféministes : compagnons de route ou faux amis ? (Recherches féministes
n°21, 2008), rédigé par Dupuis-Déri, est d’ailleurs particulièrement instructif pour prolonger ces réflexions.
106
Il est dès lors impossible d’être "totalement" déconstruit. Laurence Stevelinck a écrit un article sur ce sujet
dans le magazine Axelle (Hors-série n°225-226), appelé “Être un bon allié, c’est un processus, pas un état”
107
Pour continuer à questionner ce rôle d’allié, nous pourrons, entre autres, nous référer au Petit guide du
«disempowerment» pour hommes proféministes (2014) de Francis Dupuis-Déri, ou au blog Scènes de l’avis
quotidien, tenu par Yeun Lagadeuc-Ygouf, et à son article Être "allié des féministes" (2019).
108
Cette convention implique, entre autres, de promouvoir la sensibilisation, notamment auprès des hommes.

84
d’évaluation sur la Belgique, « une relative invisibilisation au sein des politiques en Belgique
des violences fondées sur le genre contre les femmes » ainsi qu’une « fragmentation de la
coordination [qui] nuit à la cohérence des politiques et des approches » (p.7). Ce rapport
déplore, en outre, « la tendance à la baisse et/ou l’insuffisance des moyens dédiés » (p.8). Un
changement de la part des politiques publiques semble dès lors indispensable à la mise en
place d’un travail de sensibilisation à grande échelle.

En parallèle de cela, il paraît également essentiel de travailler auprès des secteurs de la


culture et des médias, qui véhiculent toujours ces normes et ces stéréotypes de genre qui
contribuent au maintien de la domination masculine et de l’oppression des femmes et des
personnes LGBTQIA+. Ce sont ces deux secteurs qui possèdent le pouvoir de questionner les
normes du modèle dominant actuel, et leurs conséquences, ainsi que de valoriser d’autres
modèles positifs, et "sains" de masculinité. Ici encore, c’est d’un véritable changement
structurel dont nous avons besoin pour promouvoir une prise de conscience de la part de la
société, et impulser une dynamique de changement. Mais ce changement structurel ne sera
possible que lorsqu’il sera compris, accepté et porté par une majorité de la population. Il
nous faut donc considérer toute l’importance d’impulser, de toutes les manières possibles,
ce changement de la part des hommes.

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94
Table des matières

Remerciements................................................................................................................. 1
Introduction ..................................................................................................................... 3
Cadre théorique et méthodologie ....................................................................................................... 8
Partie 1 : Genre et patriarcat ........................................................................................... 12
Introduction....................................................................................................................................... 12
1.1 Des sociétés fondées sur un système sexe-genre-sexualité ................................................. 12
1.1.1 Une conception dyadique du sexe biologique .............................................................. 13
1.1.2 Une vision hétéronormée de la sexualité ..................................................................... 14
1.1.3 Le genre, notre « sexe social » ...................................................................................... 15
1.2 Le patriarcat : un système de hiérarchisation basé sur le genre........................................... 18
1.2.1 L’origine du patriarcat ................................................................................................... 19
1.2.2 Un système basé sur la dichotomie Homme/Femme ................................................... 20
1.2.3 La socialisation de genre ............................................................................................... 21
1.2.4 La division sexuée du travail .......................................................................................... 23
1.2.5 L’appropriation des femmes par les hommes ............................................................... 25
1.2.6 La violence, élément constitutif des rapports de genre ................................................ 26
1.3 Des avancées notables, des discriminations persistantes .................................................... 27
1.3.1 Eviter des conceptions ethnocentrées des inégalités de genre .................................... 28
1.3.2 La persistance des inégalités et violences de genre dans nos sociétés ........................ 29
Partie 2 : Les hommes et les masculinités ........................................................................ 32
Introduction....................................................................................................................................... 32
L’importance de la déconstruction des masculinités .................................................................... 33
2.1 Les hommes : un champ d’étude à part ................................................................................ 34
2.1.1 La théorie des rôles sociaux .......................................................................................... 34
2.1.2 De la masculinité aux masculinités................................................................................ 35
2.2 La masculinité hégémonique, le nouveau "rôle de genre" masculin .................................... 37
2.2.1 Différencier masculinité et virilité ................................................................................. 38
2.2.2 Critiques du modèle hégémonique de la masculinité ................................................... 40
2.3 La socialisation de genre masculin ........................................................................................ 41
2.3.1 L’apprentissage du genre chez les garçons ................................................................... 42
2.3.2 La masculinité comme performance de la domination masculine ............................... 45

95
2.3.3 La masculinité comme accès à un ensemble de privilèges ........................................... 49
Partie 3 : les coûts de la domination masculine ............................................................... 55
Introduction....................................................................................................................................... 55
Ne pas invisibiliser d’autres coûts ................................................................................................. 56
3.1 Un rapport dominant à la masculinité qui suppose certains coûts....................................... 58
3.1.1 Un sujet peu pensé ........................................................................................................ 58
3.1.2 Les impacts positifs de la prise de conscience de ces coûts.......................................... 61
3.1.3 Eviter une compréhension biaisée de ces coûts ........................................................... 63
3.2 Violence et prise de risque, éléments centraux du rapport dominant à la masculinité ....... 65
3.2.1 La violence comme élément constitutif du modèle hégémonique masculin ............... 65
3.2.2 La prise de risque comme élément constitutif du modèle hégémonique masculin ..... 68
3.3 Les impacts de la domination masculine sur la santé physique des hommes ...................... 69
3.3.1 Les hommes davantage victimes d’accidents ............................................................... 69
3.3.2 Les hommes, moins attentifs à leur santé préventive .................................................. 72
3.4 Les impacts de la domination masculine sur la santé mentale des hommes ....................... 73
3.4.1 Suicide ........................................................................................................................... 74
3.4.2 La dépression masculine ............................................................................................... 75
3.4.3 Epanouissement personnel ........................................................................................... 76
3.4.4 Invisibilisation des violences sur les hommes ............................................................... 77
3.5 Les impacts de la domination masculine sur la sexualité des hommes ................................ 78
Conclusion ...................................................................................................................... 81
Utilisation de ces coûts au sein d’une animation .............................................................................. 82
La nécessité d’un changement structurel ......................................................................................... 84
Liste des sources ............................................................................................................. 86
Table des matières .......................................................................................................... 95

96
Abstract
Dans nos sociétés d’Europe occidentale, régies, entre autres, par un système de domination
des hommes sur les femmes, les hommes occupent une position de pouvoir, qui leur donne
accès à une série de privilèges. Cependant, tenter de correspondre aux normes dominantes
de la masculinité impliquerait également une série d’impacts négatifs pour les hommes. Sur
base d’un ensemble d’études et de statistiques, nous proposons, dans cet article, un
panorama de ces différents "coûts" induits par le rapport dominant à la masculinité. Dans la
perspective d’une animation en Education Permanente, la perception de ces coûts par les
hommes se veut être une véritable porte d’entrée pour encourager les hommes à
déconstruire leurs rapports à la masculinité, et à remettre en question leurs positions
sociales oppressives.

In our Western European societies, characterized by a system of male domination over


women, men occupy a position of power, which gives them access to a series of social
privileges. However, attempting to match the prevailing norms of masculinity would also
imply a series of negative impacts on men. On the basis of an array of studies and statistics,
we propose, in this article, an overview of these different "costs" induced by the prevailing
relationship to masculinity. In a Popular Education perspective, the perception of these costs
by men is intended to be a real gateway to encourage men to deconstruct their relationship
to masculinity, and to question their oppressive social positions.

In onze West-Europese samenlevingen, die worden gekenmerkt door een systeem van
mannelijke dominantie over vrouwen, bekleden mannen een positie van macht, waardoor ze
toegang hebben tot een reeks privileges. Maar proberen om de dominante normen van
mannelijkheid te evenaren zou ook een reeks negatieve effecten voor mannen
betekenen. Op basis van een reeks studies en statistieken stellen we in dit artikel een
overzicht voor van deze verschillende "kosten" die worden veroorzaakt door de dominante
relatie tot de mannelijkheid. Vanuit een Populaire Onderwijsperspectief is de waarneming
van deze kosten door mannen bedoeld als een echte toegangspoort om mannen aan te
moedigen hun relatie met mannelijkheid te deconstrueren, en hun onderdrukkende sociale
posities in vraag te stellen.

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