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QUES DU FRANÇAIS1
1
Cet article a été élaboré dans le cadre du projet de recherche PGIDT04PXIA26302PR sous le
patronat de la Xunta de Galicia.
2
De ce fait nous distinguons entre identités de sexes, se référant à l’anatomie d’une personne, et
identités de genre, en allusion aux rôles tenus par les unes et les autres au sein d’une société.
3
A Saint-Jacques-de-Compostelle, le bureau municipal de la Femme a été créé en 1992 dans le but de satisfaire
les demandes de la population féminine, de défendre ses droits et d’engager la communauté dans une politique pour
l’égalité entre hommes et femmes.
4
La Xunta de Galicia a décidé de créer la Secretaría xeral da igualdade en 2004, afin de concilier la vie
professionnelle et la vie au foyer aussi bien pour les femmes que pour les hommes, d’égaliser
l’accès à un même poste de travail pour les unes et pour les autres, d’éviter l’harcèlement et la
violence conjugale.
5
Au niveau du Gouvernement central, le Ministerio de Trabajo y de Asuntos Sociales inclut depuis
2004 dans l’organigramme de ses bureaux celui de Igualdad, consacré au développement d’une
politique pour l’égalité des genres et la défense de la femme contre la violence conjugale.
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nous amène à observer, malgré les bonnes dispositions prises, une certaine résis-
tance plus ou moins explicite. Celle-ci se manifeste d’emblée dans les coutumes, les
croyances, les pratiques sociales plus ou moins dissimulées. Toute étude de nature
sociolinguistique est à même d’en vérifier l’existence dans des comportements
concrets. Or, la langue, apparemment innocente dans cette procédure, n’en est pas
moins fautive car nombre de ses éléments sont porteurs d’idées reçues qui émer-
gent dans des représentations mentales et comportementales.
2. LA LANGUE, À EXAMEN
La langue est mouvante et évolue en fonction de l’usage, on le sait. Mais il est vrai
aussi qu’elle le fait bien après que les consciences se soient mises en marche. Les
changements dans les mentalités et les comportements passent à la langue de façon
paradoxale, très vite dans l’avant-garde des parlers subversifs, mais très lentement
dans les procédés de normalisation. Ceci est particulièrement évident dans l’emploi
du genre6.
Le problème du genre dans les langues consiste dans le fait qu’il n’est pas
toujours lié à la séparation des sexes. Chaque famille de langues construit le genre
grammatical selon des principes de catégorisation propres, fondés sur des distinc-
tions autres que la polarité mâle / femelle, telles que les traits humain / non hu-
main ou animé / inanimé. Ceci peut donner lieu à des systèmes linguistiques à un
seul genre (le chinois), à deux genres (l’espagnol, l’italien, le portugais, le français), à
trois genres (l’allemand) et même plus (4 pour le dyirbal, langue aborigène d’Austra-
lie, North Queensland; 6 pour le swahili, langue parlée en Afrique orientale et cen-
tre-orientale). Ce constat nous amène tout naturellement à conclure que la distinc-
tion des genres grammaticaux fondée sur la séparation des sexes n’est pas toujours
un critère fondamental dans la construction du lexique des langues, en ce qui
concerne, bien sûr, les êtres animés.
En ce qui concerne les systèmes linguistiques comme le français et
l’espagnol, où le féminin représente le genre marqué et le masculin le genre non
marqué, c’est le masculin qui joue le rôle de genre générique pour faire référence à
tous les êtres humains (p. ex. La Déclaration universelle des droits de l’homme). Cet état
des faits en langue révèle un manque de rigueur dans l’usage du masculin puisqu’il
ne possède, en tant que genre non marqué, aucun sens sans le féminin. De ce fait, il
ne peut représenter les deux sexes dans des cas de généricité. Cette inégalité linguis-
tique n’est que le reflet de l’inégal traitement des genres dans des sociétés où
l’homme occupe une place dominante par rapport à la femme.
Ainsi, pour le français en particulier, existe-t-il des moyens formels pour
fonder l’opposition de genre sur la différence de sexe. Deux mécanismes, propres
aux langues romanes, construisent le genre féminin des noms des êtres humains :
l’un, par l’opposition établie sur des bases nominales différentes (p.ex.
6
À ce propos, on peut rappeler ici le vif débat qu’avait soulevé la décision lors d’un conseil des
ministres (17 décembre de 1997) de féminiser les appellations des emplois administratifs. Cette
question avait agité pendant trois mois les colonnes des quotidiens, Le Figaro et Le Monde en
particulier, surtout sur la légitimité de se faire appeler “Madame la Ministre”.
Les identités de genre dans les expressions idiomatiques du français 255
femme / homme ; fille / garçon) ; l’autre, par l’ajout du morphème -e à la base nominale
du masculin (p. ex. ami / amie)7. Toutefois, il est intéressant d’observer qu’il existe
concurrence dans ces deux procédés lorsque les préjugés s’y mêlent. Ainsi, le
cas des liens maritaux illustre-t-il bien les mentalités mises en place dans la société
où les langues romanes se sont imposées. On dira d’une femme mariée qu’elle est
la femme (en esp. mujer) ou l’épouse (en esp. esposa) de M. X. A rebours, on dira d’un
homme marié qu’il le mari (en esp. marido) ou l’époux (en esp. esposo) de Mme X. Le
couple époux-épouse est bd et bien construit sur la règle grammaticale de nature
morphématique. Or, la paire femme-mari8 représente un cas de sexisme linguistique
dans la mesure où le mot femme renvoit au sens primaire d’être humain appartenant
au sexe capable de concevoir. L’ambiguïté du terme permet même d’interpréter une
phrase telle que C’est la femme de Jean de deux façons : c’est son épouse ou c’est sa
maîtresse. En tout cas le rapport signalé, de nature nettement sexuelle, souligne au
passage un lien de propriété physique et morale sous-jacent entre homme et femme
visant à en interdire l’accès à toute autre personne. Par contre, l’énoncé C’est le mari
de Monique9 ne contient que la connotation de la respectabilité sociale liée au statut
de la femme mariée. De ce point de vue, il est inutile de préciser que le couple
époux-épouse ne présente aucune difficulté d’interprétation.
Cela dit, il existe des cas de disparité encore plus sensible dans la langue
française. Or, les raisons de cette disparité ne sont pas toujours par manque de
termes. Comme le rappelle le professeur Bernard Cerquiglini10, “la langue reflète les
structures sociales, parfois anciennes et dépassées” et l’exemple hôte/ hôtesse l’illustre
bien: la polysémie du terme “hôte” (celui qui donne ou reçoit l’hospitalité: p. ex.
hôtelier vs. chambre d’hôte) face à la monosémie de “hôtesse” (celle qui donne
l’hospitalité : p. ex. hôtesse de l’air, hôtesse d’accueil) s’explique par le fait que c’était
toujours la femme qui recevait dans l’ancienne société, alors que c’était l’homme qui
voyageait. La langue, ici, garde bien l’opposition entre le masculin et le féminin mais
pour des raisons éloignées de la simple distinction des sexes. Nous allons voir que
c’est bien le cas de nombreuses expressions figées dont l’univers représente un lieu
particulièrement propice à la diffusion des idées reçues.
Le figement qui opère dans la langue produit des séquences où vont se loger sou-
vent des représentations collectives stéréotypées. Il s’agit de suites de mots lexicali-
sées qui forment une image chargée de véhiculer des concepts abstraits de façon
expressive et concrète. Ces constructions imagées reçoivent le nom d’expressions
7
L’application de ces deux règles fondamentales donne lieu à de nombreuses particularités qui
rendent la formation du genre grammatical français singulièrement complexe, surtout en ce qui
concerne les dérivés (p. ex. chanteur > chanteuse, mais acteur > actrice ; vendeur > vendeuse, mais ambas-
sadeur > ambassadrice).
8
Le terme français mari provient du latin maritus, auquel correspondait le féminin latin marita
(« femme mariée ») mais qui n’est pas passé dans la langue française.
9
La phrase C’est l’homme de Monique est possible dans un contexte restreint, en connotation surtout
avec le monde de la prostitution ou employée à un niveau de langue relâché.
10
Cf. http:/ / www.TV5.org/TV5Site/lf.
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idiomatiques du fait d’êtres propres à une langue donnée, le passage d’une langue à
l’autre donnant lieu fréquemment à une tournure différente, issue de l’idiosyncrasie
de la culture particulière à chaque pays11. Les images conformées par les expres-
sions idiomatiques ont pour fonction d’impacter sur le récepteur afin d’attirer son
attention sur ce qui est dit. Elles sont donc construites de manière à séduire les
esprits devenus garants de leur succès par une diffusion permanente dans le temps
et dans l’espace. Une fois consolidées dans l’usage, elles ne sont plus senties comme
telles et elles passent le plus souvent inaperçues parmi les locuteurs. Le danger est
là, lorsque l’emploi automatique qui en est fait annule toute pensée critique envers
certains stéréotypes qui circulent impunément dans la langue.
La notion de stéréotype s’est transformée en objet d’étude scientifique de-
puis le lancement des recherches menées à ce propos par les sciences sociales12. Par
la suite s’y sont intéressées la sociologie, la psychologie, et enfin la linguistique13, où
le caractère paradoxal du phénomène, dont la nature consiste à allier un aspect
négatif et positif à la fois, le premier découlant des idées préconçues et fausses
installées dans les esprits des gens et le second du fait d’être considéré comme un
élément nécessaire à l’adaptation des individus à la vie en société, est toujours mis
en avant. Cette ambivalence représente pour Jean-Louis Dufays (2004 : 24) le trait
le plus saillant du stéréotype, car il en fait « un signe indécidable soumis aux fluctua-
tions de la réception ».
Cela dit, les études menées en linguistique se sont attachées à en récupérer
l’aspect positif, en soulignant la condition de représentation collective figée où se
déroulent les éléments constitutifs de l’interaction verbale. Cependant, en phraséo-
logie on en est à se demander si toute expression lexicalisée porteuse d’une idée
reçue, malgré son appartenance au fonds langagier, et de ce fait légitimée pour être
utilisée au même titre que tout autre élément de la langue, est bonne à être em-
ployée. Ainsi, Marie Estripeaut-Bourjac (2002 : 131) est-elle de l’avis qu’il faudrait
bannir de notre vocabulaire toute une série de locutions dont la nuisance se trouve
dans le déclenchement de pensées automatiques qui influencent directement notre
comportement. Pour analyser la portée du problème, nous nous sommes penchée
sur un ensemble d’expressions visant directement les identités de genre.
11
Nous renvoyons le lecteur désireux d’approfondir l’étude des caractéristiques des expressions
idiomatiques à González Rey, 2002.
12
Le terme a été introduit par Walter Lippmann en 1922 qui le décrit comme «une image dans
notre tête», la vision de la réalité ne nous parvenant qu’à travers les moules transmis par notre
culture. Le stéréotype est donc considéré comme un procédé cognitif au moyen duquel l’individu
perçoit la réalité, s’approprie du réel qui lui est inconnu en réduisant sa complexité.
13
En sociologie le terme est employé pour cerner les représentations collectives que les groupes
sociaux se font les uns des autres au point d’interférer dans leur interaction commune. En psy-
chologie on associe le terme à la manière dont les représentations collectives conditionnent la
perception et l’interprétation du réel. La linguistique, en rejoignant le groupe des sciences
s’intéressant à la stéréotypie à travers les recherches transdisciplinaires de la sociolinguistique, a
développé ses propres études, menées à ce sujet par la sémantique, l’École française de l’Analyse
du discours, la pragmatique et la praxématique, ou la sociocritique.
Les identités de genre dans les expressions idiomatiques du français 257
Les suites figées de mots les plus à même de colporter des stéréotypes de genre se
trouvent rangées parmi les expressions idiomatiques inspirées du bestiaire.
L’univers animal occupe une place de choix dans la langue française, à commencer
par sa littérature. Les Fables de La Fontaine en sont bien la pierre de touche, surtout
dans cette vision du monde des animaux conçue à l’image d’une société organisée et
hiérarchisée. Héritier d’une typologie traditionnelle née de l’Antiquité, où les
animaux représentent des types sociaux et humains, La Fontaine reprend volontiers
la division entre prédateurs, symboles des puissants détenant le pouvoir, et proies,
victimes des premiers, assimilées au menu peuple. Investis des qualités et des dé-
fauts des hommes, les uns et les autres suivent un comportement en accord avec le
personnage qu’ils représentent. Les animaux reflètent ainsi les individus à travers le
statut social, le caractère et les agissements. Or, l’idée n’est pas neuve, loin s’en faut,
ni exclusive des œuvres littéraires. Les rapports de mimétisme entre les deux grou-
pes d’êtres animés peuplant la terre ont été largement décrits par la mythologie,
l’histoire de l’Art ou l’histoire des religions, et sont actuellement analysés par des
sciences nouvelles, telles que l’éthologie ou la sociobiologie. Toutefois, il faut éga-
lement signaler que le recours aux animaux se justifie dans la réminiscence de la
composante animale qui détermine l’homme, de ses instincts et de ses impulsions.
Dans le domaine linguistique, la langue courante fourmille d’expressions
animalières faisant l’objet de recensements dans des glossaires divers14. Il manque
cependant des études approfondies sur le sujet, en quête d’une description des
mécanismes de formation de ces expressions et du bien fondé de leur usage. De ce
fait, l’analyse des séquences figées recensées ici se donne pour but de dégager une
typologie permettant d’examiner les réservoirs d’images et d’extraire les caractérisa-
tions de l’homme et de la femme donnant lieu aux stéréotypes de genre collective-
ment ancrés au sein d’une même société. Les critères de collecte et de classification
de ces expressions15 sont fondés sur deux principes: le respect du mode normal de
désignation où le genre correspond au sexe de la personne désignée et l’inversion
du genre où le masculin désigne la femme et à rebours. Les résultats obtenus per-
mettent de dégager deux grands ensembles, les zoomorphismes intensifs et les
zoomorphismes extensifs.
Le premier ensemble, regroupant les zoomorphismes à construction inten-
sive, se compose de deux sous-groupes, les expressions de nature hypocoristique et
les expressions péjoratives. Parmi la séquence hypocoristiques figurent les expres-
sions : ma biche, ma biquette, mon canard, mon gros loup, mon lapin, ma poule, mon poulet, ma
poulette, mon poussin, ma puce. Le constat qui émane de ce premier sous-groupe
concerne le type d’animal auquel renvoie chaque expression, à savoir celui des ani-
14
Cf. G. Greverand (1988=1994), Nom d’un chien, les animaux dans les expressions du langage courant. P.
Vigerie (2004), Quand on parle du loup. Les animaux dans les expressions de la langue française. La pre-
mière édition de cet ouvrage a été publiée, en 1992, sous le titre La Symphonie animale, les animaux
dans les expressions de la langue française.
15
Les expressions ont été extraites du Dictionnaire des Expressions et Locutions, d’A. Rey et S. Chan-
treau (1993).
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maux domestiques (sauf pour la séquence mon gros loup). Ce choix s’explique
d’emblée par le rôle que joue l’appellatif hypocoristique dans le discours, chargé
généralement d’exprimer une intention affectueuse, dans une fonction analogue à
celle des diminutifs en lexicologie. L’animal en question peut être élu selon la taille
(poussin, puce), renforcée même par des diminutifs (biquette, poulette), ou les connota-
tions subjectives (biche = blancheur, douceur, etc.), connotations associées à des
sentiments chaleureux envers la personne visée: celle-ci est petite, pure, douce, d’où
des sentiments de protection et d’amour à son endroit. Cependant, ces animaux
traduisent en quelle considération le locuteur tient cette personne. Lorsque ces
expressions s’utilisent envers des enfants, le lien affectif entre locuteur et interlocu-
teur relève de critères variés : taille physique, âge et/ou liens parentaux, amicaux,
etc., marquant tous un rapport de subordination du récepteur à l’émetteur. Quand il
s’agit d’un couple, c’est un rapport de « domestication » de la personne désignée
que le locuteur cherche à établir, et cela devient sensiblement évident lorsque ces
mêmes expressions sont employées avec l’adjectif « petit » : ma petite puce, mon petit
canard, etc., l’idée de l’apprivoisement de l’autre étant renforcée à travers sa peti-
tesse. En ce qui concerne l’expression mon gros loup, l’animal sauvage, le loup, redou-
blé de l’adjectif gros, en appelle à des valeurs de courage, de force, associées à la bête
et admirées chez la personne concernée. L’emploi explicite de l’adjectif renforce les
qualités signalées et exprime cette fois-ci la reddition du locuteur à la personne
désignée à travers une image qui le place au-dessus de lui, à nouveau dans un rap-
port de subordination. Dans toutes ces expressions le genre de l’animal correspond le
plus souvent au genre des êtres humains (ma biche, pour une femme, mon gros loup
pour un homme). Dans d’autres cas, il est difficile de déterminer si la personne est
un homme ou une femme : mon canard, mon lapin.
Un second sous-groupe lié aux zoomorphismes intensifs est formé par les
péjoratifs, de nature insultante, inspirés sur les animaux pour signaler les défauts
physiques ou moraux des individus. On y distingue plusieurs catégories : les ani-
maux à un seul genre, les animaux à deux genres employés indifféremment pour les
deux sexes ou selon le sexe des individus, et finalement les cas d’inversion où un
animal mâle désigne une femme et un animal femelle désigne un homme.
Dans la première catégorie, l’animal à un seul genre (mâle) est employé de
préférence pour attribuer le même défaut aux deux genres humains. Ce n’est pas un
aigle se dit ainsi de quelqu’un (homme ou femme) qui n’est pas très intelligent. Dans
la deuxième catégorie, l’animal, mâle ou femelle, désigne aussi bien un homme
qu’une femme, le défaut pouvant être présent chez les deux. Ainsi pourra-t-on dire
de l’un ou de l’autre qu’il/elle est un mouton (enragé), ou une brebis (galeuse, égarée).
Un cas à part consiste dans l’emploi du mâle désignant chez l’homme un défaut
qui sera signalé chez la femme par un autre animal, femelle cette fois16. Ainsi un âne
(individu à l’esprit borné) s’emploie toujours au masculin pour faire allusion aux
hommes. Pour les femmes, on dira plutôt une bécasse, une dinde. Dans la troisième
catégorie, les expressions adaptent le genre des animaux sur celui des individus : un
cochon, une cochonne : homme/femme sale, peu hygiénique ; un maquereau, une maque-
16
L’application du genre des animaux à celui des individus privilégie l’emploi distributionnel des
locutions.
Les identités de genre dans les expressions idiomatiques du français 259
relle : homme / femme proxénète ; un tigre, une tigresse : homme / femme agressif-ve
et jaloux /-se. Dans la dernière catégorie se trouvent les cas d’inversion du genre : un
chameau (femme méchante et désagréable : Ah ! le chameau ! / / Ah ! la chameau. ; un
grand cheval se dit d’une femme virile et robuste ; un dragon17 désigne une femme
acariâtre; une femme corbeau signale la mère qui travaille et délaisse sa progéniture,
expression moderne née du nouveau mode de vie des femmes, inspirée sur
l’expression employée au masculin pour désigner un homme avide et sans scrupule.
Par contre pour un homme on dira que c’est une poule mouillée, pour indiquer son
manque de courage, dans une renvoi subtil à la femme, si l’on sait que mouillée est
associé au sens figuré de mollir « rendre efféminée »18. De ce fait, il convient de
rappeler des expressions à inversion de la qualité dans la correspondance du genre
des animaux et celui des êtres humains. Ainsi un coq est un homme avide de
conquêtes féminines, tandis qu’une poule est une femme légère19.
Le second grand ensemble de zoomorphismes regroupe les expressions
contenant des animaux dans des séquences figées à construction extensive. Les
extensions remplissent un rôle figuratif contribuant à modifier la perception initiale
de l’animal. Deux sous-groupes se partagent cet ensemble que nous convenons de
nommer le premier, zoomorphismes extensifs de nature métaphorique, en ce sens
que le centre de l’image est occupée par l’animal dans son entièreté physique pour-
vu d’attributs externes, et le second, zoomorphismes extensifs de nature métony-
mique, en ce qu’une partie du corps de l’animal est placée au cœur de l’expression.
À l’intérieur du premier sous-groupe se trouvent des séquences telles qu’être un
ours mal léché ou bien un tigre de papier pour signaler un homme dont les qualités sont
rabaissées; une oie blanche pour indiquer qu’une femme est trop naïve, ou une vache à
lait si elle est trop grosse. Même les animaux de la ferme ou domestiques ne sont
plus si aimables s’ils sont accompagnés de certains adjectifs pour qualifier le com-
portement des deux genres, hommes et femmes pouvant être des moutons noirs, de
vilains petits canards, des canards boiteux. Un cas respectant les genres, cependant : un
rat d’hôtel (personne qui dévalise les clients d’un hôtel) ayant donné lieu au féminin à
une souris d’hôtel, femme qui fait le « rat d’hôtel ». Il est évident que le passage au
féminin s’est réalisé sur le parallélisme d’un défaut né au masculin, mais qui passe
au féminin pour des raisons de disponibilité des termes dans la langue.
17
A. Rey et S. Chantreau (1993: 293) vont dans ce même sens lorsqu’ils soulignent que “outre le
contenu évocateur du mot, son genre masculin en fait un terme fortement péjoratif, appliqué à
une femme” surtout si l’on compare avec des expressions telles que dragonner une femme, à la dra-
gonne, faits positivés chez un homme.
18
L’espagnol marque la même tendance pour désigner chez l’homme une qualité au moyen du
genre masculin de l’animal (un gallito : homme qui se donne de l’importance), et un défaut au
moyen du genre féminin correspondant (un gallina : homme lâche).
19
Il est à souligner que l’espagnol est une langue particulièrement portée sur ce genre de dicho-
tomie pour distinguer une qualité chez l’homme et un défaut chez la femme: un zorro (homme
rusé), una zorra (une garce); un toro (homme fort et courageux), una vaca (femme grosse et pares-
seuse), etc. (Cf. Suárez Sandomingo, 1991). Le français, par contre, joue sur des couples plutôt
littéraires, le loup et l’agneau, par exemple (le grand méchant loup-une candeur d’agneau), ou bien le chat
et la souris, paire très productive en expressions : jouer au chat et à la souris; quand le chat n’est pas là
les souris dansent.
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Les qualités sont également signalées par des animaux plus menus, mais dans une
moindre mesure :
A rebours, les défauts sont plutôt portés par des animaux placés au bas de
l’échelle de la hiérarchie animale (insectes, oiseaux, poissons et petites bêtes en
général) :
20
La distinction que nous faisons ici entre zoomorphismes métaphoriques et zoomorphismes
métonymiques est fondée sur la différence entre produit et procédé stylistiques, étant bien enten-
du que tout procédé métonymique donne lieu à un produit métaphorique.
Les identités de genre dans les expressions idiomatiques du français 261
Dans une moindre mesure les défauts peuvent êtres également représentés par des
animaux plus grands, en analogie avec leur aspect physique :
2.- En ce qui concerne la correspondance entre le genre des animaux et les qualités
et défauts qu’ils représentent, il existe une tendance dans la langue à utiliser les
femelles pour signaler les défauts, ce qui s’apprécie surtout dans les variantes. Ainsi,
pour ce qui est des mélioratifs, les hommes ont des qualités en relation à la force et
au courage (un loup, un tigre), la ruse (un renard), la séduction (un paon), bêtes aux at-
traits liés à la chasse et à la conquête. Les femmes, par contre, sont associées à des
animaux qui tantôt soulignent leur pureté (une colombe), leur docilité sensuelle (une
chatte), des êtres, en somme, à petite taille et à l’apparence attrayante aux sens (la
vue, le tact). Quant aux défauts, les femelles dominent pour signaler des attributs
« typiquement » féminins, ce qui est illustré par l’emploi de variantes : une perruche,
une pie indiquent le penchant des femmes pour le bavardage, d’autres telles que la
bécasse, la dinde, l’autruche qualifient leur manque d’intelligence.
6. POUR CONCLURE
bent en désuétude quand leur référent disparaît, d’autres survivent à cette dispari-
tion. À ce groupe appartient nombre d’expressions imagées sur l’homme et la
femme venant ·à l’encontre des avancements sociaux pour combattre la discrimina-
tion sexuelle. La prégnance des stéréotypes de sexe présents dans les expressions
idiomatiques nuit en fait aux résultats visés par les campagnes pour l’égalité des
hommes et des femmes au sein des sociétés occidentales. Il importe donc de les
combattre par une mise à distance permettant d’annuler ce qui sépare l’homme et la
femme pour mieux aller vers ce qui les unit.
BIBLIOGRAPHIE