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Méthodologie et éthique de la recherche en droits de l'enfant

Rapport autoréflexif

Identité ?
Vous avez dit identité…

N° d’étudiant : 12-695-789

Formation : Master en droit civil et pénal (en cours) & Maîtrise en philosophie
I. Mon « identité » ?

Dans ses Méditations métaphysiques, René Descartes, après avoir révoqué en doute tout ce qu’il tenait pour
vrai, jusqu’à l’existence même du monde extérieur, parvient à cette vérité fondatrice selon laquelle « je suis,
j’existe, moi, toutes les fois que je le prononce ou que je le conçois mentalement » (p.53). Naissance du Sujet
moderne, origine et fondement des sciences, appelant les hommes à devenir « comme maîtres et possesseurs de
la nature » (Descartes, 2000, p. 23). Naissance des disciplines scientifiques comme catégories organisationnelles
au sein des connaissances (Morin, 1997), centrées sur un Objet, « un morceau de nature » spécifique, qui est isolé,
scruté, modélisé, analysé et expliqué par le Sujet.
Cette irruption, comme à partir de rien, d’un sujet dont l’identité est ferme et auto-constituée me rend
perplexe. En effet, si la notion d’identité suggère bien que, sous ou au sein de la diversité radicale du donné que
l’instance subjective reçoit, demeure un noyau ténu d’une certaine stabilité, quelque chose comme un « je »,
paradoxalement ce « je » n’est à proprement parler jamais le même (donc jamais vraiment identique), il diffère
en permanence de lui-même parce qu’il est sans cesse appelé par l’ex-périence de ce qui ne lui a pas encore été
donné : il n’est donc pas, il a à être. En ce sens, l’identité du « je » n’est selon moi jamais un point de départ,
elle est toujours à faire et sans achèvement. Autrement dit, il s’agit d’une quête infinie nourrie par l’incessant
flux expérientiel dont elle se reçoit plus qu’elle ne le constitue : je me reçois continument de ce qui se donne et
m’appelle (l’autre, les phénomènes) et mon identité n’est rien d’autre qu’une réponse provisoire à cet appel.
Autrement dit, l’identité, toujours provisoire se reçoit des ses rencontres, au hasard de ces rencontres.
La pluri- ou multidisciplinarité de mon cursus scolaire, où les savoirs étaient simplement
additionnés/juxtaposés sans que ne soient indiquées leurs possibles convergences (Darbelley, 2011, p. 73) ne me
convenait pas, voire m’insécurisait : je ne m’y retrouvais pas, je n’étais ni « matheux », ni « historien », ni
« littéraire », aucune identité ne m’était adressée par ce flux de savoirs épars, il y manquait du lien. Je ne parvenais
pas à m’identifier, à me reconnaître un ancrage disciplinaire particulier (Sedooka et al., 2015, p. 373). Puis me
fut donné d’entrer en philosophie, activité de l’esprit qui, selon moi, n’est pas une « discipline » quand bien lui
est assignée cette qualification dans le monde académique… L’appel de la philosophie me bouleversa dans la
mesure où, m’installant au-delà ou entre les disciplines traditionnellement enseignées, je trouvais des réponses
au manque de lien de tout ce qui m’avait été donné jusqu’alors : une identité m’advenait, se recevait des liens qui
se tissaient entre les différents savoirs à travers l’exploration et la réflexion sur leur fondement, leur sens et leurs
conditions de possibilité. Si je devais qualifier cette identité, je la qualifierais au moins d’interdisciplinary native,
puisqu’elle ne procédait pas d’un ancrage disciplinaire fixe, la philosophie me donnant à m’intéresser à des
champs du savoir incluant un large spectre de disciplines différentes (Sedooka et al., 2015, p. 374). Je la
qualifierais sinon de transdisciplinaire au sens où mon identité se recevait de la rencontre et du décryptage des
schèmes impensés communs aux savoirs que j’envisageais, un schème se définissant comme quelque chose qui «
pense dans le je pense » sans que, précisément, le « je pense » ne le thématise (Béchillon (de), 1997, p. 194).
Penser l’impensé de ce qui est pensé, voilà l’approche philosophique qui me fut très tôt offerte à la faveur de la
phénoménologie herméneutique de Matin Heidegger. Mon identité s’est donc construite en déconstruisant !
Cette identité inter/transdisciplinaire est toutefois loin d’être aisée à soutenir, car réfléchir sur les savoirs et
leurs points aveugles ne confère pas le statut de spécialiste de ces savoirs. L’inter/transdisciplinarité n’offre en
effet philosophiquement qu’un savoir « critique », « dé-constructif » ou « négatif » ; un savoir « des marges et en
marge » qui installe le chercheur dans une posture précaire qui peut, ce fut le cas pour moi, susciter un certain
sentiment d’imposture : qui suis-je, moi, pour questionner le sens et les fondements de la physique, des
mathématiques, de l’histoire…, sans en être spécialiste. Sentiment « identitairement » peu amène, en vertu duquel
je remets en doute mes compétences, ai tendance à attribuer mes succès aux hasards ou à la bienveillance de ceux
qui m’évaluent et cela dans la crainte permanente que la « fraude » que je suis ne soit à tout moment démasquée…
(Canonne, 2002, p. 21). Sentiment d’incompétence, d’inadéquation, nette impression de tromper les autres, tels
sont les traits, un peu moins aujourd’hui, de « mon » identité (Chayer, 2018, p. 10).
C’est avec cette identité « philosophico-frauduleuse », mais résolument inter/transdisciplinaire, que j’ai
intégré mon groupe de travail. Je n’aurais pas évoqué mon autre identité, plus « disciplinaire », celle de juriste,
puisqu’en « faisant » mon droit, j’ai été fidèle à la première, ne trouvant de plaisir et d’intérêt réels que dans la
réalisation d’un travail de bachelor interdisciplinaire en philosophie du droit, dans l’approche interdisciplinaire
de quelques cours et dans le cadre inter/transdisciplinaire de la Law Clinic de l’Université de Genève, où j’ai pu
étudier et défendre, avec leur participation active, les droits des personnes travailleuses du sexe. Tout en étant au
demeurant mu par un questionnement quasi-obsessionnel sur le sens et les fondements impensés du droit !

I
II. « Mon » rôle ?

Dès le départ, notre groupe fit preuve de cohésion. Bien qu’issus de disciplines différentes, nous avons su
créer une « identité collective », un sentiment d’appartenance à une entité supra individuelle, un sentiment de
cohérence interne, un sentiment de valorisation mutuelle, un sentiment de confiance et un sentiment de puissance
collective, débouchant sur une authentique mobilisation de compétences collectives (Wittorski, 2008, p. 212).
Nous ne nous sommes d’emblée pas assignés de rôles spécifiques. Le choix lui-même de la thématique ne fut pas
imposé par l’un ou l’autre mais émergea d’une discussion où chacun souhaitait aborder le thème du harcèlement
scolaire, pour ma part, parce que j’en fus longtemps victime. Ce phénomène ayant déjà fait l’objet de nombreuses
études théoriques, nous avons décidé de cibler notre recherche sur la manière, encore inexplorée par la littérature
scientifique, dont le harcèlement scolaire est géré par et dans les écoles Steiner-Waldorf.
Une fois le thème déterminé, il était assez naturel que nous commencions par une collaboration
pluridisciplinaire, chacun cherchant des éléments d’analyse du phénomène dans son champ disciplinaire, pour
ma part dans celui du droit ; ma formation de philosophe, quant à elle, me rendait le plus apte au sein de l’équipe
au décryptage, en vue d’en restituer une brève synthèse, de la logorrhée spiritualo-ésotérique de Rudolf Steiner
développée dans son livre-phare : Théosophie. Mais très vite, après ces recherches disciplinaires, nous avons
rejoint les rives de l’interdisciplinarité, que je définirais au moins comme une opération de transfert de concept(s)
d’une discipline à une autre (Resweber, 2011, p. 9) et plus largement, comme la mise en interaction de deux ou
plusieurs disciplines (Darbellay, 2011, p. 73-74) ; et c’est bien là ce qui advint : une authentique relation de
réciprocité entre nos disciplines émergea facilitant et stimulant la description, l’analyse et la compréhension de
la complexité de notre objet d’étude. Cela notamment à travers notre élaboration du concept de harcèlement
scolaire dont nous avons coconstruit une définition transversale qui permettait de faire converger nos
compétences disciplinaires, convergence qui, récursivement venait enrichir le concept. À partir de ce concept
transversal et de ce croisement des savoirs, nous pouvions mettre au point et en œuvre différents outils
méthodologiques issus de nos diverses disciplines pour tester nos hypothèses et éclairer notre problématique. Ce
fut ainsi un réel travail de groupe, fruit d’une indéniable intelligence collective, d’une intégration mutuelle de
savoir-faire et de savoir-être (Kalfon et al., 2020, p. 18).

III. Enseignements et perspective « critique »

Philosophe et juriste de formation, il m’a rarement été donné de faire l’expérience du travail de groupe. Je
redoutais même un peu cette expérience. Or celle-ci, dont a émergé l’intelligence collective déjà évoquée, m’a
radicalement déconcerté : nous étions six personnes, jusque-là étrangères, du moins peu familières, nous avons
su, cela relève plus de la « magie » que de choix réfléchis, nous avons su ensemble construire un raisonnement,
faire émerger de nouvelles idées, aménager un nouveau cheminement pour, ensemble, atteindre un objectif
commun. Cette combinaison de connaissances, d’idées, de compétences, mais aussi de craintes et de doutes nous
a permis d’atteindre un résultat supérieur à ce qui aurait été obtenu par la simple addition des contributions de
chacun de nous (Klafon et al., 2020, p. 18). Une véritable culture du groupe s’est instaurée.
Cette expérience n’a pas fait ou peu évoluer mon identité par nature inter/transdisciplinaire, mais ce qui a un
tantinet changé, c’est le sentiment d’imposture qui accompagnait cette identité et dont j’étais convaincu qu’il lui
était intimement et éternellement lié. Grâce au groupe et à sa dynamique, j’ai pu me rassurer sur mes compétences,
mes connaissances, sur leur « positivité », mes camarades n’ont eu de cesse à cet égard de me renvoyer une image
positive de moi-même, validant objectivement la qualité de mes contributions. Grâce à eux et au travail accompli
en commun, je me sens moins « frauduleux » et j’ai un peu plus confiance en moi.
Par ailleurs, ma double formation, très théorique, ne m’a jamais donné de m’initier aux outils
méthodologiques utilisés, notamment, en psychologie et en sciences sociales, à l’instar des questionnaires, des
entretiens semi-directifs ou directifs. L’étude de la philosophie et celle du droit sont en effet particulièrement
abstraites et solitaires, j’ai donc découvert des outils qui font la part belle à l’empirie, à la mise en œuvre concrète
des concepts, à la saisie de leur portée pratique, engageant ainsi et aussi une dimension d’altérité et un
questionnement éthique.
Il m’est ainsi difficile d’objecter des critiques à ce travail commun. Le seul regret que je nourris est celui de
ne pas avoir pu y intégrer une dimension transdisciplinaire au sens d’une implication forte des enfants dans la
recherche en tant que co-chercheurs. Mais cela posait des problèmes éthiques dans la mesure où le harcèlement
scolaire est un sujet sensible, difficile à aborder frontalement avec des enfants, notamment ceux qui en sont
victimes, car le risque est grand de raviver leurs blessures et de les vulnérabiliser davantage.
II
IV. Bibliographie

Canonne, B. (2005). Le sentiment d’imposture. Calmann-Levy

Chayer, M-H. (2018). Les trajectoires développementales du sentiment d’imposture, ses antécédents familiaux et
ses retombées dans l’adaptation psycho-scolaire d’élèves du secondaire. [Thèse de doctorat, Université du
Québec à Montréal]. Archipel.uqam.ca https://archipel.uqam.ca/11712/1/D3459.pdf

Darbellay, F. (2011). Vers une théorie de l’interdisciplinarité ? Entre unité et diversité. Nouvelles perspectives en
sciences sociales, 7(1), 65-87. https://doi.org/10.7202/1007082ar

Descartes R. (2011). Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences.
Les Échos du Maquis. (Œuvre originale publiée en 1637). Philosophie.cegeptr.qc.ca
https://philosophie.cegeptr.qc.ca/wp-content/documents/Discours-de-la-m%C3%A9thode.pdf

Descartes R. (1990). Méditations métaphysiques (Duc de Luynes, Trad.). Librairie Générale Française. (Œuvre
originale publiée en 1647).

Kalfon, J., Batton, D., Courcelle Labrousse, S., Hamelin, J., Kruskovic, S., Rimbault, G. & Willis, V. (2020).
L’intelligence collective, une question de sens. Dans J. Kalfon, D. Batton, S. Courcelle Labrousse, J.
Hamelin, S. Kruskovic, G. Rimbault & V. Willis (Dir), Intelligence collective : Agir et innover en équipe
(pp. 8-19). Dunod. Caïrn.info https://www.cairn.info/intelligence-collective-agir-et-innover-en-equipe--
9782100808540-page-8.htm

Morin, E. (1997). Sur la transdisciplinarité. Dans Guerre et paix entre les sciences. Disciplinarité, inter et
transdisciplinarité. La revue du MAUSS semestrielle, (10), 21- 29.

Resweber, J.-P. (2011). Les enjeux de l’interdisciplinarité. Questions de communication, 19, 171-200.
https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.2661

Sedooka, A., Steffen, G., Paulsen, T. & Darbellay, F. (2015). Paradoxe identitaire et interdisciplinarité : un regard
sur les identités disciplinaires des chercheurs. Natures Sciences Sociétés, 23(4), 367-377.

Wittorski, R. (2008), La notion d’identité collective. Dans Kaddouri M., Lespessailles C., Maillebouis M., et
Vasconcellos M. (dirs.), La question identitaire dans le travail et la formation : contributions de la
recherche, état des pratiques et étude bibliographique (pp. 195-213). L’Harmattan

III

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