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Modèle de dissertation rédigée pour le sujet Anatole France (le besoin du

mensonge)

(Introduction)
Dans Le Neveu de Rameau, le philosophe Diderot fait dire à un
personnage : « On avale à pleine gorgée le mensonge qui nous flatte, et l’on boit
goutte à goutte une vérité qui nous est amère », soulignant la tendance de
l’homme à vouloir éviter de se confronter à ce qui est vrai mais fait mal, et à
accueillir favorablement une tromperie réconfortante ou valorisante. Dans La
Vie en fleur paru en 1922, Anatole France affirmera aussi : « J’aime la vérité. Je
crois que l’humanité en a besoin ; mais elle a bien plus grand besoin encore du
mensonge qui la flatte, la console, lui donne des espérances infinies. Sans le
mensonge, la vie périrait de désespoir et d’ennui ». On pourrait reformuler l’idée
de la façon suivante : nous sommes attachés à la vérité parce que nous voulons
nous conformer au réel, ne pas être dans une erreur ou une illusion qui
pourraient nous porter préjudice. Et pourtant le mensonge rend la vie plus
supportable parce que la réalité peut être brutale, ennuyeuse ou dépourvue
d’espoir. La « vérité » est à ce à quoi l'esprit peut et doit donner son assentiment,
ainsi que la connaissance conforme au réel. Quant au « mensonge », il est
l’affirmation contraire à la vérité faite dans l’intention de tromper. Dans les deux
cas de figure, idée d’une nécessité (l’humanité « a besoin » de la vérité, et
encore plus du mensonge). On sort de la condamnation morale souvent associée
au mensonge dans l’opinion commune. Il s’agit d’un paradoxe : le mensonge ne
serait pas du côté du mal, mais de celui du bien puisqu’il fait du bien (« flatte »,
« console », donne « des espérances infinies » et éloigne du « désespoir » et de
l’ennui »). Si le mensonge est systématiquement perçu comme le remède à
l’ennui et au désespoir, est-ce à dire qu’il est la solution à tous les malheurs de
l’homme ? N’est-il pas réducteur de considérer qu’il peut même sauver
l’humanité du pire ? Fait-il vraiment du bien à défaut de ne pas toujours faire le
bien ?
À la lumière des Liaisons dangereuses de Laclos, de Lorenzaccio de
Musset, de « Vérité et politique » et de « Du mensonge en politique » d’Arendt,
nous expliquerons que certes, le mensonge peut aider l’homme à vivre parce
qu’il réconforte et valorise. Pourtant, il peut aussi devenir source de souffrance
s’il est employé à des fins malveillantes ou peu réfléchies. En réalité, l’homme
doit apprendre à faire bon usage du mensonge pour atteindre une vérité qui
l’épanouira et le rendra plus solide.

***
(Première partie)
Comme l’affirme Anatole France, dans un monde qui aime la vérité, le
mensonge est pourtant nécessaire car il aide l’homme à vivre.
Il faut certes rechercher la vérité dans la mesure où c’est un repère,
quelque chose qui nous est bénéfique. L’homme a besoin d’être guidé dans sa
vie et dans ses choix. Hannah Arendt rappelle dans « Vérité et politique »,
extrait de La Crise de la culture, que depuis Platon la vérité est une valeur
philosophique et que l’homme la recherche avidement. De même, dans Les
Liaisons dangereuses, un personnage comme la présidente de Tourvel appelle de
ses vœux une relation fondée sur l’honnêteté, la transparence parce que c’est
ainsi qu’elle choisit de vivre. La vérité est absolument fondamentale pour elle et
son comportement est vrai aussi : Valmont dit d’elle dans la lettre IV que « pour
être adorable il lui suffit d’être elle-même » et qu’« elle n’a point, comme nos
femmes coquettes, ce regard menteur qui séduit quelquefois et nous trompe
toujours ». Notons qu’elle est quand même bien seule dans une société
aristocratique qui laisse la part belle aux rumeurs et aux intrigues… Dans la
pièce de Musset, le héros éponyme a bien du mal à savoir qui il est, à trouver sa
vérité et cela le ronge : « Suis-je un Satan ? » (III, 3), « De quel tigre a rêvé ma
mère enceinte de moi […] Suis-je le bras de Dieu ? » (IV, 3), « quel homme de
cire suis-je donc ? » (IV, 5).
Il arrive pourtant que le mensonge soit tout aussi nécessaire parce qu’il
permet de rendre la vie plus variée, plus divertissante et plus valorisante. Dans
Les Liaisons dangereuses, les libertins Valmont et Merteuil, symboles d’une
noblesse désœuvrée, prennent un grand plaisir à ourdir des intrigues
amoureuses, à mentir à leurs victimes trop crédules, ils s’amusent (« il faut bien
s’amuser : Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs », écrit la marquise de
Merteuil à Valmont dans la lettre LXIII, citant le dramaturge Gresset). Ils
apprennent même aux jeunes gens qu’ils veulent pervertir à mentir. La marquise
de Merteuil explique à Cécile dans la lettre CV que l’intérêt des lettres n’est pas
de tenir un discours de vérité et de sincérité, mais de séduire en respectant un
horizon d’attente : « Vous voyez bien que, quand vous écrivez à quelqu’un, c’est
pour lui et non pas pour vous : vous devez donc moins chercher à lui dire ce que
vous pensez, que ce qui lui plaît davantage ». D’une façon générale, la figure du
libertin aime jouer avec les sentiments des autres, feindre des sentiments comme
un comédien de théâtre ou pour imiter un personnage de roman (Merteuil et
Valmont sont de grands lecteurs). Il feint de valoriser sa proie pour mieux la
détruire ensuite. Dans la scène 4 de l’acte I de Lorenzaccio, Alexandre de
Médicis est ravi d’avoir en la personne de son cousin Lorenzo un manipulateur
qui l’aide à savoir qui complote contre lui : « Il est glissant comme une
anguille ; il se fourre partout et me dit tout ». Lorenzo a une allure sinistre mais
il semble s’amuser constamment à dire tout et son contraire, à ne pas prendre la
vie au sérieux et à mentir. En politique, Arendt affirme dans la section I de « Du
mensonge en politique » que « le menteur possède le grand avantage de savoir
d’avance ce que le public souhaite entendre ou s’attend à entendre. Sa version a
été préparée à l’intention du public, en s’attachant tout particulièrement à la
crédibilité ».
Le mensonge est même la condition de l’espoir, la vérité étant parfois
cruelle à envisager ou à entendre, ou tout simplement incompréhensible. Hannah
Arendt revient sur le traumatisme qu’a été la guerre du Vietnam dans « Du
mensonge en politique » et explique qu’ayant compris que le conflit était
injustifié et qu’il menait à une impasse, le gouvernement américain a préféré
mentir à ses concitoyens pour se protéger. En politique, explique la philosophe
dans « Vérité et politique », le récit qu’on sert au peuple est cohérent et plausible
par opposition à la réalité, contingente et donc surprenante et illogique. Il est
donc tentant d’accorder de l’importance au mensonge politique, qu’on ne
reconnaît pas comme tel et qui a l’avantage d’expliquer l’inexplicable ou le
complexe. Dans Lorenzaccio, Florence est corrompue et les habitants se voilent
la face : ils préfèrent s’amuser ou vaquer à leurs occupations professionnelles
plutôt que de lutter contre cette corruption. Dans Les Liaisons dangereuses, la
présidente de Tourvel est ravie d’apprendre que le vicomte de Valmont est
capable de faire preuve de charité et veut croire que ce n’est pas le libertin cruel
qu’on lui a dépeint. Elle s’abuse elle-même, ce mensonge la conforte, la rassure,
comme il le fait pour tous, selon Anatole France.
Que le mensonge puisse être un besoin, c’est donc une évidence. Pourtant
il est aussi condamné à juste titre.

***

En effet, le mensonge peut aussi devenir source de souffrance à certaines


conditions.
Trop longtemps appliqué, entretenu, il peut aboutir à une crise de
confiance immense et rendre malheureux. Le peuple américain apprend qu’on
lui a menti dans la guerre du Vietnam grâce aux Pentagon Papers, explique
Hannah Arendt et cela provoque une grave crise de conscience, une crise
politique aussi. De même, les victimes des libertins prennent conscience qu’elles
ont été manipulées et c’est très douloureux : Danceny, Cécile, la présidente de
Tourvel... Les Florentins ne croient plus un Lorenzo qui leur a trop menti… et
c’est un tort pour la ville, qui ne pourra pas se rebeller contre l’autorité du pape
et de l’empereur après l’assassinat d’Alexandre.
Le mensonge est aussi celui qu’on se fait à soi-même, on s’aveugle et cela
ne peut pas apporter la moindre satisfaction. Dans « Mensonge en politique »
d’Hannah Arendt, les « spécialistes de la résolution des problèmes » qui
travaillent sans le moindre sens des réalités et sans comprendre que leurs
« scénarios » n’agiront pas sur les publics qu’ils veulent convaincre. Dans le
drame de Musset, la marquise Cibo essaie de se persuader qu’elle va fléchir
Alexandre en devenant sa maîtresse, mais ce sera un échec. La présidente de
Tourvel des Liaisons dangereuses a du mal à (s’)avouer qu’elle est amoureuse
de Valmont, qu’elle ne peut plus lutter contre des valeurs morales et religieuses
qui lui interdisent d’être la maîtresse d’un libertin.
Enfin mis au jour, le mensonge peut anéantir tout motif d’espérer. Il peut
avoir été dicté par la méchanceté, la vengeance, l’impuissance politique de
dirigeants qui n’assument pas leurs actes. Cécile et la présidente de Tourvel sont
très malheureuses quand elles apprennent qu’elles ont été les jouets de Valmont,
et si la vérité est douloureuse, c’est parce qu’elle rend lucide la victime qui a été
abusée. C’est ainsi que la présidente de Tourvel se confie dans la lettre CXLIII à
madame de Rosemonde : « Le voile est déchiré, Madame, sur lequel était peinte
l’illusion de mon bonheur. La funeste vérité m’éclaire, et ne me laisse voir
qu’une mort assurée et prochaine, dont la route m’est tracée entre la honte et le
remords ». Mme de Volanges avait mis en garde la présidente de Tourvel contre
Valmont dans la lettre IX : « depuis sa plus grande jeunesse, il n’a fait un pas ou
dit une parole sans avoir un projet, et jamais il n’eut un projet qui ne fût
malhonnête ou criminel ». La liaison entre Valmont et Tourvel ne pourra aboutir
qu’à la mort. De même, les mensonges de Lorenzo et l’assassinat du duc de
Florence n’ont rien résolu, au contraire ils confirment l’inaction et la cécité de
tout un peuple. Peu de temps avant de se faire tuer à son tour, Lorenzo confie sa
désillusion à Philippe dans la scène 7 de l’acte V : « Qu’une centaine de jeunes
étudiants, braves et déterminés, se soient faits massacrer en vain, que Côme, un
planteur de choux, ait été élu à l’unanimité – oh ! je l’avoue, je l’avoue, ce sont
là des travers impardonnables, et qui me font le plus grand tort ». La propagande
américaine n’a fait que prolonger un conflit qui n’aurait jamais dû avoir lieu,
explique Arendt dans « Du mensonge en politique », et qui a causé la mort
injustifiée de centaines de milliers d’hommes dans les deux pays belligérants.
L’homme n’aurait donc pas « besoin » de tous les mensonges…
Les conséquences sont forcément néfastes pour l’homme quand le
mensonge protège une vérité dérangeante qui finira bien par éclater, quand il est
inconscient ou malveillant. Et pour autant, peut-on se passer de cette attitude qui
consiste à nier la vérité ?

***
(Troisième partie)
En réalité, l’existence étant faite de changements, de nuances, l’homme
doit accepter de vivre à la fois dans le mensonge et la vérité.
Il doit d’abord admettre que la vérité est un concept fluctuant. Il y a des
vérités rationnelles très solides et des « vérités de fait » beaucoup plus sujettes à
l’interprétation et au changement, affirme Arendt dans « Vérité et politique ». À
cela s’ajoute l’autosuggestion dans « Du mensonge en politique » : « On peut en
conclure que plus un trompeur est convaincant et réussit à convaincre, plus il a
de chances de croire lui-même à ses propres mensonges ». Il arrive que parfois
le processus d’autosuggestion soit inversé : « Les trompeurs ont commencé par
s’illusionner eux-mêmes », et ces intellectuels qui ont bâti la propagande ayant
« choisi de vivre à l’écart des réalités ». La vie de Lorenzo témoigne, dans son
évolution, de la difficulté à suivre un parcours cohérent où la vérité est toujours
de mise. Le héros s’interroge sur ses motifs, ses sentiments et se perd. Il est tour
à tour menteur et sincère, selon ses interlocuteurs et les situations qu’il
rencontre : honnête avec le brave Philippe Strozzi, fourbe avec l’ignoble
Alexandre à qui - suprême ironie ! – il confie toutefois dans la scène 4 de l’acte
II : « Si vous saviez comme cela est aisé de mentir impudemment au nez d’un
butor ! ».

Il arrive aussi que la mise au jour de la vérité soit libératrice et qu’il soit
socialement nécessaire de condamner le mensonge. Telle est la portée morale
des Liaisons dangereuses selon « le rédacteur » et « l’éditeur » qui sont tous les
deux un Laclos qui se cache derrière des textes préliminaires. Les menteurs
finissent par être châtiés (Valmont décède sous les coups de Danceny en duel et
Merteuil connaît une disgrâce sociale). Si certaines victimes sont tout aussi
affectées par le mensonge, d’autres sont réhabilitées quand la vérité éclate,
prouvant qu’elles ont été calomniées : c’est le cas de « l’affaire Prévan », dont
l’histoire commence à la lettre LXXXV. Dans Lorenzaccio, les paroles
politiques de Philippe Strozzi sur la liberté à retrouver vont dans le bon sens,
même si elles ne sont malheureusement pas suivies d’actes. La révélation de
l’adultère par la marquise Cibo à son mari dans la scène 4 de l’acte IV aboutit,
elle, à une réconciliation finale du couple dans le dernier acte. Dans « Du
mensonge en politique », Arendt revient sur le fait que la révélation des
journalistes - les Pentagon Papers - a pour but de dessiller les yeux des
Américains et les faire réfléchir aux mensonges politiques. C’est aussi une façon
de prouver que la démocratie n’est pas morte, affirme Arendt à la fin du même
article.
Mais la littérature et la philosophie sont aussi là pour témoigner du fait
que l’homme acceptera toujours de vivre dans un monde régi à la fois par le
mensonge et la vérité, que ces derniers soient agréables ou non. Dans « Du
mensonge en politique », Hannah Arendt rappelle dans la troisième section que
les autorités ne savent plus distinguer la vérité qui se trouve derrière leurs
dissimulations et leurs mensonges. À la fin de « Vérité et politique », elle
explique que la sphère politique est aussi la sphère du débat et du partage, si on
garde à l’esprit qu’elle est limitée par la sphère de la vérité sur laquelle l’homme
n’a pas de prise. Chez Laclos, le vicomte de Valmont est aussi sincère qu’il
ment : il raconte à Mme de Tourvel son passé de libertin pour mieux endormir sa
confiance dans la lettre VI, et reconnaît qu’elle l’a influencé dans son acte de
charité avec la famille endettée dans la lettre XXIII. Même les personnages les
plus honnêtes du roman ont la tentation de recourir au mensonge : la présidente
de Tourvel n’hésite pas à mentir elle-même pour ne pas devoir affronter son
séducteur (lettre XXIII où « elle fit dire » au moment du dîner « qu’elle s’était
trouvée indisposée et s’était mise au lit », « prétexta un mal de tête qui ne lui
permettait de voir personne »). Laclos lui-même joue avec le lecteur, avec ses
deux textes, l’« Avertissement de l’éditeur » et la « Préface du rédacteur » où il
brouille les pistes en présentant son livre comme vrai et faux à la fois. Le mot de
la fin appartient sûrement à Lorenzo quand il s’adresse à Valori dans la scène 2
de l’acte II : « Sans doute ; ce que vous dites là est parfaitement vrai et
parfaitement faux, comme tout au monde ». Vérité et mensonge sont donc plus
poreux qu’on ne croit, et l’homme doit le reconnaître.

***
En conclusion, il est évident que l’humanité a tout autant besoin de
mensonge que de vérité : elle plaide la transparence morale mais vit aussi la
nécessité de contourner cette vérité, de l’altérer, de l’alléger. Parfois les
conséquences du mensonge sont tragiques, nos œuvres s’en font l’écho. C’est
pourquoi il faut penser ce mensonge, prendre de la hauteur avec lui : les auteurs
veulent avertir le lecteur des risques potentiels qu’il encourt à être crédule ou à
s’attirer l’amitié d’hypocrites. Le mensonge ne fait pas toujours du bien, mais il
aura toujours sa place dans la psyché humaine, un monde si complexe que ce qui
relève de la vérité pour les uns sera un mensonge pour d’autres, ou du moins une
autre interprétation. C’est d’ailleurs sur le terreau de cette vérité parfois relative
et fluctuante des sciences humaines que naissent certaines théories complotistes
dont il faut se méfier. Tout ce qui est écrit n’est pas forcément vrai, surtout sur
les réseaux sociaux.

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