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FINKIELKRAUT et MEIRIEU
Une série d'articles dans les journaux, des diatribes dans les groupes de discussion
m'ont donné envie d'essayer de comprendre où se situaient les différences de
position entre ces deux personnages devenus des symboles de "représentations" de
l'école et de l'enseignement.
Plus exactement j'ai eu envie de poser des hypothèses concernant deux pôles qui
pourraient être symbolisés par ces deux personnes.
Il n'est pas question ici, de chercher à synthétiser des pensées, ou des oeuvres. Bien des éléments
seront laissés certainement de côté .
Il s'agit d'essayer de dépasser les "injures", les "reproches" ... en proposant des hypothèses d'analyse
de deux pôles de représentations sur l'école et l'enseignement, dans le but de provoquer la réflexion
à partir des articles cités ci-dessus.
Trois hypothèses :
* Les pôles se différencient par leurs représentations du fonctionnement des "personnes"
* Les pôles se différencient, également, par une importance plus ou moins grande accordée aux
liens paradigmatiques ou syntagmatiques (ou liens dans le temps et liens dans l'espace)
* Les pôles se différencient, encore, par une dynamique inverse dans le mouvement (idéal-réalité)
Dans le Pôle M,
«la culture et la raison, à elles seules,
-Dans le Pôle F, la personne est conçue comme un ensemble de fonctions (perception, émotion,
motivation, volonté, imagination, intelligence...) qui peuvent être considérées indépendamment les
unes des l'autres. Il en résulte qu'on peut donner à l'école pour seul objectif de "former
l'intelligence" pour "instruire" les élèves par "la transmission des connaissances", des disciplines
que possède le Maître. D'où l'importance des exercices de gnose, de dissertation... pour la
rencontre des intelligences du maître et des élèves.
Ceci n'est pas sans conséquences sur la façon dont on conçoit le "métier d'enseignant".
Les différences s'observent dans l'attention portée:
soit à la professionnalisation
soit aux disciplines
car elle seule permet de former à un
car elles seules comptent
métier
pour la formation de l'intelligence
tourné vers le jeune dans son ensemble.
Dans le Pôle F on dira par exemple : Dans le Pôle M ce sera : « Plus que jamais,
« Attaques contre les professeurs, suppressions l'école doit aujourd'hui engager un effort
massives d'heures de cours au lycée, important pour préparer les jeunes à être des
"professionnalisation" du CAPES qui consiste à citoyens accomplis dans un monde en perpétuelle
caporaliser les professeurs des lycées et collèges évolution...Cela ne pourra pas se faire sans des
et à les priver de l'enseignement universitaire évolutions profondes des pratiques
indispensable à une véritable formation: les d'enseignement et des modes d'organisation du
réformes Allègre se poursuivent »(cf). système scolaire »(cm).
« Pour les partisans de l'innovation, les
professeurs trop attachés à leur discipline et à
leur bibliothèque, sont simultanément coupables
d'archaïsme, d'égoïsme et d'élitisme. Ils avaient
choisi un vieux métier humaniste, on les
enjoint désormais d'exercer un nouveau métier
humanitaire »(f).
Il est bien évident que ces différences de représentations ont aussi des incidences sur
la conception des modes de recrutement des enseignants en I.U.F.M.!
LES LIENS
Les deux pôles reconnaissent l'importance de l'établissement de liens pour la formation des
jeunes, mais ils mettent l'accent sur des types de liens différents:
- Pour le pôle F les liens privilégiés sont sur un axe paradigmatique (ou axe
du temps), ils sont de l'ordre de l'enracinement (se former en prenant racine). Ils
sont encore de l'ordre d'une recherche généalogique. S'enrichir de tout ce que le
monde a accumulé de connaissances et de valeurs au travers des siècles. La valeur
privilégiée est ici "la reconnaissance et la sauvegarde de l'héritages des ancêtres".
C'est pourquoi dans ce pôle on défendra:
- les langues anciennes, grec et latin: « La politique aujourd'hui conduite et que nous dénonçons
consiste à effacer lentement, avec patience et détermination, les langues anciennes de nos
programmes » (r);
-et tout ce que nous a apporté la tradition: la littérature: « Et quand une pétition dénonce
l'effacement de la littérature "comme un coup de chiffon sur un tableau noir", le parti de la réforme
s'étonne de voir des intellectuels éminents ajouter foi à des rumeurs »(f)
-la dissertation : « Vous vous inquiétez pour la dissertation, on vous répond qu'il n'a jamais été
question de supprimer cet exercice »(f)
-la culture en général {à l'opposé de" la cuculture"(f)} « Jaurès ne voyait pas "en vertu de quel
préjugé nous refuserions aux enfants du peuple une culture équivalente à celle que reçoivent les
enfants de la bourgeoisie". Marie-Danielle Pierrelée ne voit pas en vertu de quel préjugé nous le
leur donnerions. »(f).
Il nous faut donc préserver ce qui vient du passé:
-les horaires: Finkielkraut accuse de vouloir « réduire à 15 heures hebdomadaires la part des cours
obligatoires pour les collèges »(f),
-les disciplines telles qu'elles existent dans la mesure où ce dernier accuse l'autre position de
vouloir « desserrer l'étau de la culture scolaire sur l'enseignement en combattant les "lobbies
disciplinaires", en renversant la tendance des concours de recrutement "à favoriser les grosses
têtes, les érudits, les passionnés d'une discipline au détriment des pédagogues" et en tablant sur le
multimédia. Bienvenue dans la vie.com. »(f)
La réforme devient alors un concept chargé de sens « On prend, de nos jours un risque considérable
à se présenter comme l'adversaire d'une réforme quelle qu'elle soit. Dans le monde affairé et fébrile
du mouvement pour le mouvement, réforme est le mot le plus convoité du vocabulaire
politique. Le concept d'action est tout entier occupé par la réforme, comme si, pour préserver, il
suffisait de laisser faire, comme si sauvegarder une institution, un paysage, un principe ou une
relation avec les morts, ce n'était pas agir »(f).
Relation avec les morts, relation avec le passé, enracinement; tout cela s'oppose à réformer. Du
reste réformer est le véritable conservatisme : « L'orientation de la réforme est-elle bonne? Peut
importe, la question ne sera pas posée, "réformer" est devenu un verbe intransitif. Voilà le vrai
conservatisme. »(cf)
Solidarité qui ne peut être comprise dans le pôle F:»Il s'agit de substituer des moniteurs aux
professeurs, et de punir ces derniers de s'accrocher aux "vieilles lunes" du savoir et de la culture, en
leur faisant supporter le poids d'une mesure de solidarité nationale qu'il eût été plus juste, à ce titre,
de financer par l'impôt»(cf)
Différence encore plus perceptible dans: «La réforme ne parle pas la langue sordide de l'intérêt: elle
parle le langage du coeur. Elle fait le procès de l'intellectualisme au nom de la fraternité»(f).
On retrouve l'opposition intelligence/solidarité.
Dans le pôleM un objectif important de l'école est, entre autres, d'apprendre à communiquer
avec les autres ; un des buts du français est donc :»d'abord, d'apprendre aux élèves à s'exprimer
clairement, oralement et par écrit, à être capables de bien comprendre ce qu'ils lisent ou
entendent»(t).
De même l'objectif de l'école est de "former à l'exercice de la démocratie"(m) , «préparer les
jeunes à être citoyens accomplis dans un monde en perpétuelle évolution.»(cm).
Ces différences ont aussi des incidences sur la façon dont est ressentie l'hétérogénéité":
Pour le pôle F»Les gardes rouges de la cuculture ne désarment pas pour autant. Ils redoublent de
colère et ils incriminent le sabotage des professeurs ou les manoeuvres inciviques des parents
bourgeois pour soustraire leur progéniture aux bienfaits de l'hétérogénéité»(f).
Au contraire, pour le pôle M, l'hétérogénéité n'est-elle pas la condition d'une solidarité et d'une
connaissance de l'autre "différent"?
Hétérogénéité, citoyenneté: liens avec les autres; mais aussi liens avec son temps dans l'espace
actuel du monde: «un effort important en faveur d'Internet et des nouvelles technologies de l'école
à l'Université»(cm) doit être fait.
Mais c'est cette culture commune qui est importante à construire justement.
La dynamique
L'éducation des jeunes est une confrontation
d'une réalité avec un devenir idéal désiré pour
ces jeunes.
-Les uns partent de cet idéal -Les autres partent de la réalité
pour chercher à y amener les des jeunes pour chercher à les
jeunes. amener à cet idéal.
La dynamique est différente.
Pour le pôle F,
c'est l'idéal qui est important,
et tout ce qui pourra paraître l'amoindrir ne sera pas accepté:
Si partir de l'élève c'est haïr le maître et détester l'école, on comprend que la diminution
des horaires, l'allégement des programmes soient ressentis comme une diminution de cet
idéal vers lequel il faut amener les élèves. Mais est-ce vraiment cela?
Pour le pôle M,
il semble que l'accent soit mis sur l'élève
et donc, prioritairment, sur la prise en compte de ce qu'il est.
« Des corporatistes étroits ont empêché la loi de 1989 qui place l'élève au centre du système
éducatif et qui fait des parents des partenaires à part entière de l'école, de s'appliquer
pleinement »(cm).
Il se crée alors un double mouvement dû à une double dissymétrie : « La parole de l'éducateur est
première. Son antériorité n'est pas seulement chronologique, elle est aussi ontologique: il porte et
présente le monde à ceux qui arrivent. Mais la parole de l'éducateur n'est pas "dernière": en effet,
son projet est bien de susciter une autre parole dont le texte ne soit pas écrit à l'avance. Il n'y a pas
d'équivalence" entre l'éducateur et l'éduqué, mais bien une double dissymétrie: dissymétrie de
l'enseignement qui place l'éducateur en amont et au dessus de l'éduqué; dissymétrie de
l'apprentissage qui place l'éduqué en position de s'approprier, de prolonger et de démentir ce qui
lui a été enseigné. C'est cette seconde dissymétrie qui permet à l'éducation de n'être pas seulement
reproduction »(m).
Dans ce pôle "l'élève est au centre du système" et "l'aide individualisée" représente une
avancée importante.
« Ni retour en arrière, ni fuite en avant, ni invectives: une réflexion collective pour que
la société regarde son école en face ».
« Il peut y avoir dans l'enseignement des dérives qu'il faut combattre; mais pas avant
d'avoir reconnu et mesuré l'ampleur des difficultés. Or elles tiennent aux élèves. Non
qu'ils soient moins vifs ou moins intelligents; ce n'est pas une question de niveau mais de
comportement. Beaucoup d'entre eux ne se comportent plus comme des élèves; on ne
sait plus comment les faire travailler et, sans travail, quelque chose d'essentiel se défait,
qui est grave pour la société toute entière. Cette situation radicalement nouvelle n'appelle
pas des diatribes, mais un travail d'analyse et d'explication qu'il n'y a pas plusieurs
façons d'entreprendre; la méthode est la même que pour tout travail universitaire. »
....et par cet éditorial, j'ai souhaité participer à cette réflexion collective.