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Révélations d'un médecin

sur la maladie de

crohn

1
Crohn : révélations d’un médecin
sur cette maladie « caméléon »

La maladie de Crohn est une pathologie « caméléon » : elle peut se présenter


sous des formes très variées : aphtes, douleurs abdominales, constipation,
diarrhée, carences… Certains signes ne trompent pas quand on sait où
chercher. Le problème, c’est que cette maladie est encore mal diagnostiquée,
ou trop tardivement…

2
Philippe Humbert est professeur de médecine en
dermatologie, et spécialiste en médecine interne. Il est
également titulaire d'un diplôme d’endocrinologie et
d’oncologie, disciplines de la médecine qui étudient
respectivement les hormones et les cancers.

3
Après douze ans de souffrances…
Un matin, une femme de 50 ans se présente à mon cabinet, simplement pour se faire
enlever un petit carcinome basocellulaire1. Mais comme à mon habitude, je tiens à
la questionner, même si apparemment elle n’avait pas de problème de santé à me
signifier2.

À peine ai-je commencé mon questionnement qu’une avalanche de symptômes qu’elle


n’avait même pas pensé à me signaler me permettent d’établir un diagnostic bien plus
complet, voire vital pour cette patiente : brûlures d’estomac, ballonnements, gaz et
même douleurs abdominales… depuis douze ans ! « C’est ma colopathie fonctionnelle »,
affirme-t-elle. Mais surtout, cette patiente avait constaté la présence de glaires en
allant aux toilettes.

Cela ne peut signifier qu’une seule chose : j'ai devant moi une femme qui souffre d’une
entéropathie, c’est-à-dire d’une maladie intestinale, très certainement une maladie de
Crohn.

« Vous arrive-t-il d’aller


dans des parcs ? »
Terminant mon questionnement par la recherche de démangeaisons, la patiente me
dit qu’elle fait même de l’urticaire chronique, un calvaire pour elle. L’urticaire dans ces
circonstances m'intrigue et je lui demande s’il lui arrive d’aller dans les parcs.

« Mais pourquoi me posez-vous cette question ? » me demande-t-elle, étonnée. « Parce


que j’ai fait une constatation. Je suis, comme vous le savez, le spécialiste d’une maladie
parasitaire qui peut se déclarer chez l’homme du fait de la présence de larves dans son
sang. Cette maladie s’appelle la toxocarose. Eh bien ! j’ai pu observer que les personnes
qui avaient une maladie de l’intestin souffraient en réalité de cette maladie parasitaire
qui altère la barrière intestinale, facilitant le passage des parasites vers le secteur
vasculaire. »

Trois semaines plus tard, je reçois un message de cette patiente me remerciant


chaleureusement d’avoir mis le doigt sur sa maladie de Crohn et sur sa toxocarose, en
plus d’avoir mis en évidence qu’elle souffrait également d’une infection à Helicobacter
pylori dans l’estomac et d’un déficit en vitamine B12. C’était d’ailleurs pour ces
dernières raisons que j’avais conclu dans mon courrier à son médecin traitant
qu’elle souffrait vraisemblablement d’une maladie de Crohn (j’avais en effet reçu ses
examens biologiques et n’ayant pas le temps de la revoir, j’avais donné toutes mes
recommandations à son médecin qui avait fait le nécessaire pour la traiter).
Ainsi cette femme déclarait-elle être soulagée de tous les symptômes qu’elle subissait
depuis douze ans !
1 Cancer de la peau le plus fréquent dont le développement est lent et la chirurgie très efficace dans la plupart des cas.
2 Le Dr Humbert utilise, en début de chaque consultation, un questionnaire d’une cinquantaine d’items pour balayer les soucis de
santé du patient dans leur globalité.

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Trois faits à connaître sur la maladie de Crohn

Pourquoi porte-t-elle ce nom ?


Elle porte le nom de M. Burril Crohn qui en a fait état dans une publication en 1932.
Cette maladie « vedette » a moins d’un siècle de reconnaissance !

Est-ce dans mes gènes ?


Non, la maladie de Crohn n’est pas héréditaire, même s’il y a des facteurs génétiques
de prédisposition, notamment certains gènes qui se situent sur le chromosome 16.

Et si je fume ?
Comme dans d’autres maladies, le tabac semble jouer un rôle nocif dans cette maladie.

Un rapport avec la croissance ?


Oui ! Car si la maladie touche un individu en pleine croissance, du fait des
malabsorptions, on peut observer un retard de croissance, une petite taille…

Tout ne se passe pas dans le tube


digestif
Généralement, la maladie de Crohn fait peur : elle est associée – à tort – dans l’esprit des
malades à une maladie chronique incurable, avec des désagréments majeurs.

Bien entendu, dans un passé récent on pouvait mourir de cette maladie, surtout si
le diagnostic n’avait pas été encore posé. Et il reste vrai que certains désagréments
peuvent la rendre très handicapante en l’absence de traitement efficace (diarrhées,
glaires, pus…). Cependant, il existe aujourd’hui plusieurs moyens thérapeutiques pour y
faire face et rares sont les malades qui ne répondent à aucun d’entre eux.

En revanche, ce que l’on ne sait pas de cette maladie est qu’elle se manifeste relativement
fréquemment par des signes en dehors du tube digestif. La maladie ne se contente pas
d’affecter le côlon : elle part de la bouche et va jusqu’à l’anus, même s’il est vrai qu’elle
affecte le plus souvent le côlon et, à un moindre degré, la région de l’anus.

5
Un Français sur mille,
surtout chez les jeunes
La maladie de Crohn touche 150 000 personnes en France, avec quatre à cinq nouveaux
cas pour 100 000 habitants. Ainsi on peut dire qu’une personne sur mille en France est
porteuse de cette maladie. Vous voyez que ce n’est pas si rare puisque, dans votre village,
il y a peut-être une, deux ou trois personnes atteintes. Elle touche plus fréquemment la
femme que l’homme et c’est une maladie du sujet jeune, plutôt entre 20 et 30 ans.

Et si c’était une maladie cœliaque ?

On entend beaucoup parler de la maladie cœliaque, une maladie génétique qui


provoque également des douleurs digestives avec des carences, de la diarrhée mais
parfois de la constipation et qui touche, contrairement à la maladie de Crohn, la partie
plutôt proximale de l’intestin grêle (soit le segment le plus proche de la bouche).

Dans le cadre du bilan de douleurs abdominales et de troubles fonctionnels de


l’intestin, le gastro-entérologue réalisera une endoscopie digestive haute et les
biopsies systématiques permettront d’écarter la maladie cœliaque.

Les autres maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) sont relativement


peu nombreuses. On y inscrit la rectocolite hémorragique qui, elle aussi, évolue par
poussées, avec des phases de rémission, et dont les signes cliniques sont proches de la
maladie de Crohn.

Il ne faudra pas oublier l’existence des MICI inclassées, après qu’auront été évoquées
les colites lymphocytaires et les colites collagène dont le diagnostic est fait par
biopsie.

Les médecins oublient cette cause


primordiale
La maladie de Crohn est revenue à l’honneur depuis que l’on s’intéresse au microbiote,
c’est-à-dire à la flore microbienne intestinale.

Pendant longtemps on a voulu exclure le rôle de certains aliments, et c’est assez


curieux en médecine de voir combien les médecins vont mettre de temps à considérer
les aliments comme facteur déclencheur d’une maladie inflammatoire. J’en veux
pour preuve les intolérances alimentaires au lait et à d’autres aliments au cours de la
dermatite atopique, ou encore le rôle de certains aliments comme le lait et le chocolat
dans l’acné.

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Ainsi, le spécialiste de la maladie de Crohn n’évoquera qu’exceptionnellement le rôle du
gluten dans cette maladie… mais pourquoi ?!

Certains ont souvent peur de tomber dans une mode qui voudrait que l’on supprime le
gluten sans raison. D’autres ont peut-être lu un jour un gros titre du journal Le Monde
qui indiquait : « Suivre un régime sans gluten n’a aucun intérêt3 ». Et, bien entendu, il
manquait la suite de la phrase qui était « chez les personnes qui ne sont pas intolérantes
au gluten » !

Car jusqu’en 2015, la seule maladie connue due au gluten était la maladie cœliaque. Mais
les choses ont changé depuis, avec les travaux de Benjamin Lebwohl dans le British
Medical Journal4 , qui différencie une maladie intestinale due au gluten et un syndrome,
lui aussi dû au gluten, caractérisé par des symptômes le plus souvent extradigestifs.

Et puisque le gluten est capable d’être l’un des agents de la polyarthrite rhumatoïde ou
du psoriasis, pourquoi ne serait-il pas l’un des facteurs de la maladie de Crohn ?

Eh bien en dépit des publications qui soit en attestent, soit le suggèrent fortement, il
est très difficile de faire admettre que le gluten puisse être le facteur causal d’un grand
nombre de maladies de Crohn. Pourquoi ? Parce qu’un médecin ne va considérer le
rôle de tel ou tel facteur que s’il y a un marqueur biologique qui le confirme. Or, dans
la plupart des intolérances au gluten non cœliaques, il n’y a aucune présence des
fameux anticorps antitransglutaminase (généralement utilisés comme référence pour
confirmer un diagnostic de maladie cœliaque)…

3 www.lemonde.fr/sante/article/2017/10/04/sans-gluten-ce-regime-est-prone-comme-un-mode-de-vie-benefique-mais-
aucun-benefice-clair-n-a-ete-demontre_5196150_1651302.html
4 Lebwohl, Ludvigsson, Green, « Celiac disease and non-celiac gluten sensitivity », BMJ, 2015 Oct.

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Des symptômes
trop souvent négligés
La maladie de Crohn va se manifester, comme beaucoup de problèmes digestifs, par
des signes peu spécifiques, banals, qui sont souvent peu pris en considération. Cela
parce que, dans les années 1950, on avait décidé qu’il pourrait y avoir des maladies
psychosomatiques de l’intestin que l’on appellerait les colopathies fonctionnelles (ce
dont ma patiente était persuadée d’être affectée, d’ailleurs).

Ne négligez jamais le mental

La maladie de Crohn n’est pas une maladie psychosomatique, en revanche le rôle de la


dépression et de l’anxiété sont importants à considérer.

Ce serait une erreur de ne pas interroger son malade avec des questions telles que :
« Avez-vous un sentiment de dévalorisation ? Avez-vous une baisse de l’estime de
vous ? Souffrez-vous d’un sentiment de culpabilité ? Êtes-vous triste ? Avez-vous des
troubles du sommeil ? Qu’avez-vous eu comme coups durs dans votre vie… »

Il n’est pas difficile d’appréhender l’existence d’un syndrome dépressif. Certes, ce


n’est pas la dépression telle que les malades l’imaginent et, en général, ils se refusent
à considérer qu’ils sont dépressifs. Mais il faut leur montrer les publications qui
démontrent le bénéfice du traitement neuropsychique des personnes ayant une
maladie de Crohn.

Aujourd’hui, ce genre de pathologie, que l’on a aussi appelée côlon irritable, ou encore
sensibilité au gluten (pour en minimiser le rôle), représente un nombre important de
maladies inflammatoires chroniques de l’intestin.

Quoi de plus banal que d’avoir mal au ventre, d’avoir des ballonnements, des gaz, avoir
des diarrhées ou être constipé ?

Car si, en effet, la diarrhée va orienter vers une maladie de l’intestin, c’est rarement le
cas de la constipation alors que, pourtant, c’est un signe important de la maladie de
Crohn. Si diarrhée il y a, il faudra rechercher l’émission de glaires, de pus, de sang.

Non, une digestion douloureuse n’est pas normale

Les douleurs ne sont pas normales. Pourquoi une digestion serait-elle douloureuse ?

Toute douleur abdominale inexpliquée, notamment lorsqu’elle se localise dans la


région de l’appendice (c’est-à-dire dans la fosse iliaque droite), mais pas seulement,
fera l’objet de toute l’attention du médecin. Vous ne devez donc pas non plus les
négliger de votre côté et en parler dès leur apparition à votre médecin.

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Des aphtes ? C’est peut-être
la maladie de Crohn…
Les dermatologues connaissent particulièrement les localisations cutanées de cette
maladie, souvent en l’absence de signe digestif majeur. Les aphtes sont un motif de
consultation qui ne doit pas être sous-estimé, car la première maladie qui rend compte
des aphtes, c’est bien la maladie de Crohn.

Les dermatologues auront parfois affaire à des fissures anales, des fistules anales ou des
abcès de cette même région.

Dès lors qu’il y a, au niveau périnéal, une pathologie qui peut paraître infectieuse alors
qu’elle n’est en fait qu’inflammatoire ; dès lors qu’il y a, à ce même niveau, des plaies
superficielles avec des rhagades (ulcérations ou lésions cutanées à proximité des
muqueuses), il faut alors penser systématiquement à la maladie de Crohn.

Car c’est une chance inespérée pour le patient de voir déceler sa pathologie sous-jacente
devant des signes cutanés que l’on voudrait absolument guérir sans tenir compte de la
cause digestive.

Ainsi, si vous avez une maladie dermatologique au pourtour de l’anus ou des organes
génitaux externes, dites-vous que c’est certainement l’expression d’une maladie
intestinale. Parce que même en l’absence de troubles digestifs, on se doit de faire des
explorations pour chercher cette maladie responsable de foyers purulents mais non
infectieux.

Traité pour une spondylarthrite


ankylosante… c’était une maladie
de Crohn
Comme toute maladie inflammatoire, il y a des organes qui y sont plus sensibles
que d'autres, tels que les articulations et notamment les grosses articulations sacro-
iliaques, les articulations de la hanche… Si bien que de nombreux malades traités pour
une spondylarthrite ankylosante ont en fait une maladie de Crohn.

A ce sujet, un jour l’un de mes voisins vient me voir ; j’ai l’impression que c’est
beaucoup plus par curiosité, pour voir comment je suis installé que pour me
parler de ses problèmes puisqu’il est parfaitement suivi par un rhumatologue pour
sa spondylarthrite ankylosante. Certes, le traitement n’est pas très efficace (il a
toujours mal aux articulations) mais qu’importe, il a le spécialiste qui lui convient.

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Je décide pourtant de l’interroger, du haut du crâne à l’extrémité des pieds, comme je
le fais pour chacun de mes patients afin de découvrir de potentiels symptômes et de
pouvoir les mettre en relation les uns avec les autres. Bien entendu, je le questionne sur
les aphtes dont il souffre, ainsi que sur des douleurs abdominales qu’il ressent comme
des coups de poing, sur les ballonnements et surtout à propos de sa terrible constipation.

Il y a ainsi suffisamment d’éléments pour suspecter une entéropathie.

Lorsqu’il revient un mois plus tard, c’est pour sabrer avec moi la bouteille de champagne
qu’il a sous le bras, fêtant la fin de ses douleurs articulaires après que j’ai traité
l’inflammation intestinale au moyen des traitements appropriés.

Les yeux aussi peuvent être touchés

Plus rarement, la maladie de Crohn peut provoquer des manifestations oculaires


avec des uvéites. Cependant, l’ophtalmologiste sait très bien que ce type de
pathologie, également appelée iridocyclite, est à mettre sur le compte d’une maladie
inflammatoire et soupçonnera donc vite le problème.

Un lien avéré avec les migraines


Comme beaucoup de maladies, c’est parfois un tableau général non spécifique qui
conduira, après un questionnement systématique, à ce diagnostic. Ainsi fatigue,
altération de l’état général, anémie… seront les motifs suffisants à questionner et
examiner.

On se rend compte également qu’il y a de plus en plus de symptômes neurologiques qui


vont conduire au diagnostic de maladie de Crohn. Saviez-vous que les maux de tête ou
migraines sont plus fréquents chez des personnes qui ont cette entéropathie ?

Il est vrai qu’il y a encore un an j’ignorais totalement la relation privilégiée qui existait
entre la maladie de Crohn et les migraines. Mais un jour, une personne vient me
consulter pour des migraines récidivantes résistant à tous les traitements.

Suivant toujours la même méthode, je me suis mis à questionner le patient, notamment


à propos de son intestin. J’ai ainsi découvert l’existence d’une maladie de Crohn, un
diagnostic bien surprenant au vu de la raison première de sa visite !

Cependant, j’ai appris que bien rares sont les malades qui ont une seule maladie ou un
seul symptôme isolé, et je sais que lorsqu’on souffre d’un problème particulier, il y a deux
ou trois autres problèmes associés qui vont aider au diagnostic et donc au traitement.

Cela a été le cas également pour ce malade qui a vu disparaître ses maux de tête en
suivant le traitement de la maladie de Crohn.

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Parkinson et Crohn intimement liées
Savez-vous également qu’il y a un lien entre la maladie de Parkinson et la maladie de
Crohn5 ?

C’est grâce à un patient qui venait me consulter pour des vertiges que j’ai eu la plus
belle des révélations : en l’examinant, je découvre qu’il a une maladie de Parkinson. Et
je m’interroge : y a-t-il des relations entre vertiges et maladie de Parkinson ?

Mes recherches montreront en effet que les vertiges, au même titre que la rigidité ou les
tremblements, sont un signe de maladie de Parkinson ! Jusque-là, pas de problème. Je
traite donc la maladie de Parkinson, et les vertiges disparaissent. Quelque temps plus
tard, je revois le patient pour des troubles digestifs.

Il avait mal au ventre depuis des années, mais il n'avait jamais osé en parler car, à
chaque fois, on lui disait qu'il mangeait trop, qu'il n'avait qu'à boire moins de bière…

Tellement soulagé d'avoir vu disparaître ses vertiges, il s'est dit qu'il ne risquait rien
à venir m’en parler. C’était une bonne idée, car par ma connaissance du lien pouvant
exister entre la maladie de Parkinson et la maladie de Crohn, il ne fut pas difficile pour
moi d'établir la prescription d'examens biologiques montrant de l'existence d'une
inflammation intestinale.

Poussé par son médecin traitant, pour qui la maladie de Crohn ne peut être posée sans
preuve endoscopique, il prit rendez-vous chez un gastro-entérologue qui fut surpris de la
démarche diagnostique mais qui, réalisant des biopsies systématiques le long du côlon,
révéla des phénomènes inflammatoires dits granulomateux, tout à fait caractéristiques
de la maladie de Crohn.

Ainsi, de « simples » vertiges cachaient en réalité à la fois une maladie de Parkinson et


une maladie de Crohn.

Pour mieux souligner les liens entre des souffrances du système nerveux et la maladie
de Crohn, il est nécessaire de connaître l'existence de véritables neuropathies sensitives
ou motrices.

5 Anadol Kelleci, Calhan, et al., « The Prevalence of Headache in Crohn's Disease : Single-Center Experience », Gastroenterol
Res Pract., 2016 jan. / Lee, Lobbestael, et al., « Inflammatory bowel disease and Parkinson's disease : common pathophysiological
links », Gut, 2021 Feb. / Derkinderen, Neunlist, « Crohn's and Parkinson disease : is LRRK2 lurking around the corner ? », Nat
Rev Gastroenterol Hepatol., 2018 Jun. / Rolli-Derkinderen, Leclair-Visonneau, et al., « Is Parkinson's disease a chronic low-grade
inflammatory bowel disease ? », J Neurol., 2020 Aug.
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Pourquoi tant de retard
au diagnostic ?
Cependant, trop souvent cette maladie est diagnostiquée sur le tard. Je dirais volontiers
que ce retard est dû au médecin qui ne veut pas considérer l’existence d’une maladie
derrière des symptômes fonctionnels intestinaux.

Donc pendant des mois, voire des années, ce médecin traitera de façon symptomatique
le patient qui tantôt ira bien, notamment pendant les phases de rémission, puis se
plaindra à nouveau de symptômes plus violents dans les phases actives.

Le diagnostic de la maladie de Crohn doit tout d’abord être envisagé à la lecture de


signes biologiques non spécifiques et qui peuvent parfois paraître « banals », tels que :

• Une monocytose sur l’hémogramme, c’est-à-dire une augmentation du nombre


des globules blancs monocytes ;
• Une baisse des lymphocytes ;
• Une baisse des gammaglobulines (protéines contribuant à l’immunité) ;
• Un déficit en vitamine B12.

Les examens les plus efficaces


non remboursés…
Bien entendu, dès lors que le diagnostic est fortement envisagé, le médecin va prescrire
des examens qui, malheureusement, pour la plupart dans cette maladie, ne sont pas
pris en charge par les caisses d’assurance-maladie. Je veux parler par exemple de la
calprotectine fécale qui mesure indirectement l’état inflammatoire de la muqueuse
intestinale ; ou encore les anticorps antisaccharomyces, autre outil de diagnostic
qui a une valeur prédictive positive de presque 100 % pour l’existence d’une maladie
inflammatoire de l’intestin.

C’est bien dommage car de nombreux malades ne vont pas réaliser ces tests sur lesquels
tout le diagnostic peut reposer, puisqu’ils sont plus sensibles et ont une valeur prédictive
positive plus importante que les autres examens remboursés que sont la coloscopie ou
les examens radiologiques comme l’entéro IRM.

Il faut donc arriver à convaincre nos patients qu’il y a suffisamment d’arguments


cliniques pour la réalisation de ces analyses – l’une dans les selles, l’autre sanguine –
pour pouvoir ensuite avancer vers un traitement efficace.

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…mais des examens inutiles
pris en charge
On peut s’étonner que des dosages continuent à être remboursés alors que de nombreuses
études ont montré qu’ils étaient inutiles. Je pense par exemple au dosage de l’urée qui
figure très souvent dans le bilan des médecins sans que jamais ceux-ci n’en aient la
quelconque utilité.

Que penser de ces dosages toujours remboursés, comme le cholestérol et les triglycérides,
répétés pratiquement à chaque motif de consultation, sans qu’il n’y ait la moindre
relation entre un trouble du métabolisme lipidique et la raison pour laquelle le malade
consulte ?

En gastro-entérologie on aime visualiser, on aime avoir des preuves pathologiques, alors


qu’en médecine interne on va réfléchir et traiter sur la base d’éléments biologiques sans
forcément voir de lésions.

En effet, si la prise en charge gastro-entérologique veut que le malade bénéficie d’une


coloscopie, l’existence de lésions au niveau du côlon n’est malheureusement pas
constante puisque, nous l’avons dit, la maladie de Crohn affecte l’ensemble du tube
digestif, dont l’intestin grêle difficilement examinable.

Si l’on veut se donner les moyens de rechercher des atteintes focales dans l’intestin
grêle, on aura recours à une vidéo capsule qui comprend une caméra avalée par la
bouche et qui va prendre, tout au long de son cheminement dans l’intestin, des images
qui seront analysées.

Il existe un moyen encore plus simple : l’échographie, qui permet de voir un


épaississement des « anses » de l’intestin grêle. Celui-ci peut aussi être examiné au
moyen d’un entéro IRM ou d’un entéroscanner.

Mais ce qu’il faut savoir, c’est que la maladie de Crohn doit être diagnostiquée parfois en

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l’absence de lésions visibles par les examens morphologiques.

Ce signe un peu gênant


que vous devez mentionner
C’est tout le travail du médecin que d’établir le diagnostic dit différentiel, qui permettra
de faire la différence entre une diarrhée annonciatrice d’une gastro-entérite ou qui
serait plutôt le premier signe d’une maladie de Crohn.

Poser le diagnostic de maladie de Crohn n’est certainement pas comme poser le diagnostic
d’une angine. Pour celle-ci, il suffit de quelques symptômes, douleurs pharyngées lors
de l’ingestion d’aliments ou de boissons, fièvre, ganglions sous la mandibule, et enfin
visualisation d’amygdales rouges avec du pus.

Pour la maladie de Crohn, les choses ne sont pas si faciles puisqu’il y a des symptômes
extrêmement banals qui peuvent se rencontrer dans des circonstances différentes. On
peut en effet avoir mal au ventre sans que cela ne vienne de l’intestin.

La diarrhée est quelque chose de fréquent, tout comme la constipation. Si l’on s’arrête
à ce type de constat, on ne pourra jamais aller plus loin. Or ce qu’il est important de
voir, c’est la chronicité des choses : une diarrhée chaque jour de plusieurs selles ; des
douleurs digestives que le patient ne peut pas ignorer ; des gonflements de l’abdomen
très pénibles ; et ces gaz qui perturbent la vie sociale. Voilà des signes à prendre en
compte.

Par ailleurs, le malade ne parlera jamais spontanément des glaires – sortes de crachats,
de substances visqueuses ressemblant parfois au blanc d’œuf – qu’il émet en allant aux
toilettes, alors qu’il s’agit d’un signe primordial qui témoigne de ce qu’on appelle une
entéropathie exsudative, c’est-à-dire d’une perte excessive de protéines tout au long du
tube digestif.

De plus, si le médecin ne le questionne pas sur les aphtes, le patient ne mettra jamais
en relation sa diarrhée avec les aphtes chroniques. Et cela ne figure certainement pas
sur les soi-disant « bilans complets », qui ne sont rien d’autre que des dosages visant
à dépister des situations pathologiques souvent terminales et certainement pas des
maladies en cours.

N’oublions pas qu’il existe des territoires privilégiés d’atteinte de la muqueuse par des
bactéries, comme le bacille de Yersin, si prompt à se développer sur la partie terminale
de l’intestin grêle et qui provoque la tuberculose intestinale. Cette pathologie est devenue
rare mais du fait des traitements immunosuppresseurs, ou des maladies immuno-
déprimantes, elle doit rester dans nos mémoires.

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Une poche en plastique
reliée à l’intestin
On a coutume de dire que la principale complication, ce sont les « poussées » parfois si
sévères qu’elles nécessitent une hospitalisation. Une maladie chronique évolue souvent
sous la forme de crises que l’on peut appeler poussées, alternant avec des périodes
d’accalmie.

Ainsi, le patient souffrira pendant des périodes de huit à quinze jours d’importants
maux de ventre, de crampes, de sensations de torsion, avec de l’insomnie, de la diarrhée
plusieurs fois par jour et une augmentation de la gravité des signes : par exemple du
sang, du pus, des glaires dans les selles…

Puis spontanément ou après traitement, une période d’accalmie peut survenir. Même
si cela n’est pas le lot habituel des patients, ils peuvent souffrir d’une occlusion, ou d’un
abcès qui va se transformer en fistule, le plus souvent vers la peau ou vers un autre
organe interne.

Dans certaines formes graves, la chirurgie va s’imposer. Il s’agira pour le chirurgien de


pratiquer une stomie, autrement dit de poser une poche externe, au niveau de l’abdomen,
pour recueillir les selles, ce qui permettra de mettre l’organe au repos.

Traiter sa dépression
est indispensable face à Crohn
Lorsque l’on pense traitement d’une telle maladie, on se précipite toujours sur les
médicaments susceptibles d’arrêter les poussées… en oubliant les traitements
importants des comorbidités.

Il ne faut pas, par exemple, sous-estimer ou méconnaître un état dépressif et anxieux (et
pour ce faire il faut bien sûr questionner sur les sentiments de dévalorisation, la baisse
de l’estime de soi, sentiment de culpabilité, tristesse…), car le traitement de cet état sera
d’un apport considérable dans le traitement de la maladie.

Et puisqu’il s’agit d’une maladie intestinale, elle va être caractérisée par des infections
des muqueuses, chose qui n’est pas souvent considérée et qui devrait pourtant l’être :

• La muqueuse gastrique peut ainsi être infectée par une bactérie appelée
Helicobacter pylori ;
• La muqueuse intestinale peut être infestée d’helminthes, c’est-à-dire des

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parasites qui vont profiter des suintements dans certains endroits (perte
de protéines au niveau des lésions), pour adhérer à la muqueuse et jouer
des rôles pathogènes. On sait aujourd’hui que ces helminthes créent une
immunosuppression à l’égard de virus comme l’herpès ou le papillomavirus et
suscitent une réactivité de type immuno-allergique.

Une muqueuse altérée est une muqueuse qui ne pourra pas jouer son rôle d’absorption
des nutriments. Il ne sera donc pas rare d’observer des patients carencés en fer, en
vitamine B12, en vitamine B9 et bien d’autres choses.

Tout sauf la chirurgie


Le traitement médical traditionnel de la muqueuse malade repose sur un médicament
appelé mésalazine, un anti-inflammatoire intestinal, administré par voie orale ou en
suppositoire. Il est généralement réservé plutôt aux formes légères, notamment face
aux douleurs type crampes, sensation de coup de poing dans le ventre, de coliques, de
torsion… ou face à des symptômes de type diarrhée et constipation.

S’agissant d’une maladie inflammatoire au même titre que la polyarthrite rhumatoïde,


le traitement conventionnel fera aussi appel aux corticoïdes systémiques ou encore
à un corticoïde libéré au niveau de la partie terminale de l’intestin grêle comme le
budésonide.

Parce que certains anti-infectieux ou antibiotiques ont aussi des propriétés anti-
inflammatoires ou agissant sur la migration des globules blancs que sont les
polynucléaires neutrophiles, on utilise le metronidazole, les quinolones.

Dans les formes nécessitant un traitement prolongé, pour éviter les corticoïdes on
aura recours à un immunosuppresseur qui, aux posologies utilisées, sera plutôt un
immunorégulateur comme le méthotrexate ou l’azathioprine.

Aujourd’hui on dispose d’une nouvelle famille de traitements dits « biologiques » qui


sont des anticorps visant à inhiber une des molécules impliquées dans le processus
inflammatoire, à savoir le TNF-alpha.

L’expérience du prescripteur lui fera associer plusieurs traitements en même temps.


Comme dans toutes les maladies, le traitement chirurgical doit être envisagé en cas
d’occlusion, ou lorsque la partie de l’intestin atteinte nuit au bon fonctionnement de
l’organe et qu’il est préférable de la couper.

La chirurgie n’est certainement pas la solution pour cette maladie. Mais c’est pourtant
parfois le seul moyen qui reste pour prévenir, empêcher par exemple une péritonite, liée
à une perforation, une nécrose… C’est pourquoi, dans la mesure où la médecine dispose
de différents moyens, il est important, si ce n’est urgent, d’avoir un diagnostic posé par
votre médecin, d’avoir l’aide du gastro-entérologue qui saura choisir la bonne molécule,
le bon traitement.

Dr Philippe Humbert

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Directrice de la publication :
Carole Levy
Textes :
La rédaction de La Pharmacie secrète de Dame Nature
Éditrice :
Claire Fouilleul
Société éditrice :
PureSanté Editions SA, Place Saint-François
12B, c/o Loralie SA,
1003 Lausanne
Date de dépôt légal :
01/2023
ISBN :
978-2-940704-42-2

Crédits photos :
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Crohn : révélations d’un médecin
sur cette maladie « caméléon »
La maladie de Crohn est une pathologie « caméléon » : elle peut se présenter sous des
formes très variées : aphtes, douleurs abdominales, constipation, diarrhée, carences… Cer-
tains signes ne trompent pas quand on sait où chercher. Le problème, c’est que cette mala-
die est encore mal diagnostiquée, ou trop tardivement…

Un matin, une femme de 50 ans se présente à mon cabinet, simplement pour se faire enle-
ver un petit carcinome basocellulaire. Mais comme à mon habitude, j’ai tenu à la question-
ner, même si apparemment elle n’avait pas de problème de santé à me signifier.

À peine avais-je commencé mon questionnement qu’une avalanche de symptômes qu’elle


n’avait même pas pensé à me signaler me permirent d’établir un diagnostic bien plus complet,
voire vital pour cette patiente : brûlures d’estomac, ballonnements, gaz et même des douleurs
abdominales… depuis douze ans ! « C’est ma colopathie fonctionnelle », affirmait-elle. Mais
surtout, cette patiente avait constaté la présence de glaires en allant aux toilettes.

Cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : j’avais devant moi une femme qui souffrait
d’une entéropathie, c’est-à-dire d’une maladie intestinale, très certainement une maladie
de Crohn.

Philippe Humbert est professeur de méde-


cine en dermatologie, mais aussi spécialiste
en médecine interne. Il a également obtenu
un diplôme d’endocrinologie et d’oncologie,
disciplines de la médecine qui étudient res-
pectivement les hormones et les cancers.

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