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Revue internationale de droit

comparé

La remise en cause de l'information du public et des actionnaires


aux États-Unis
Marie-Dominique Leibler

Résumé
Pour protéger l'épargnant individuel, la Securities and Exchange Commission (S.E.C.) limite l'information du public et des
actionnaires aux faits objectivement vérifiables et maintient des méthodes comptables inadaptées en période d'inflation. En
outre, elle ne tient compte ni de l'enseignement des récentes théories économiques ni de l'importance nouvelle des
professionnels dans le monde financier. Depuis peu cependant, la S.E.C. s'efforce d'adapter le système d'information au
processus moderne d'investissement. Elle allège les obligations d'information des grandes sociétés, encourage l'utilisation des
estimations et exige la publication des valeurs de remplacement dans les comptes.

Abstract
To protect small investors, the Securities and Exchange Commission (S.E.C.) focuses on disclosure of past events which can
be objectively verified and maintains accounting methods which are irrelevant in an inflationary context. Moreover, the S.E.C.
takes into accountneither the challenges of new économies nor the increasing prédominance of professionals in the financial
world. Recently however, the S. E. C. has shown commendable efforts to adapt the disclosure System to modem investment
décisions. The S. E. C. reduces the burdens of disclosure for widely-traded companies, encourages the use of projections in
documents and requires current values accounting.

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Leibler Marie-Dominique. La remise en cause de l'information du public et des actionnaires aux États-Unis. In: Revue
internationale de droit comparé. Vol. 36 N°3, Juillet-septembre 1984. pp. 523-540;

doi : https://doi.org/10.3406/ridc.1984.1503

https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1984_num_36_3_1503

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R.I.D.C. 3-1984

LA REMISE EN CAUSE DE L'INFORMATION DU


PUBLIC ET DES ACTIONNAIRES AUX
ÉTATS-UNIS

par

Marie-Dominique LEIBLER
Docteur de 3e cycle
Master of Comparative Law (University of San Diego, U.S.A.).

Pour protéger l'épargnant individuel, la Securities and Exchange


Commission (S.E.C.) limite l'information du public et des actionnaires aux faits
objectivement vérifiables et maintient des méthodes comptables inadaptées
en période d'inflation. En outre, elle ne tient compte ni de l'enseignement
des récentes théories économiques ni de l'importance nouvelle des
professionnels dans le monde financier. Depuis peu cependant, la S.E.C. s'efforce
d'adapter le système d'information au processus moderne d'investissement.
Elle allège les obligations d'information des grandes sociétés, encourage
l'utilisation des estimations et exige la publication des valeurs de
remplacement dans les comptes.
To protect small investors, the Securities and Exchange Commission
(S.E. C.) focuses on disclosure ofpast events which can be objectively verified
and maintains accounting methods which are irrelevant in an inflationary
context. Moreover, the S.E.C. takes into account neither the challenges of new
economics nor the increasing predominance of professionals in the financial
world. Recently however, the S. E. C. has shown commendable efforts to adapt
the disclosure system to modern investment decisions. The S.E. C. reduces the
burdens of disclosure for widely-traded companies, encourages the use of
projections in documents and requires current values accounting.

Dans un pays capitaliste, il est important d'orienter l'épargne publique


vers les entreprises pour les aider à financer leurs investissements. Les
États-Unis ont très tôt compris l'importance d' une réglementation juridi-
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que des valeurs mobilières pour maintenir un marché financier actif. En


1933 et 1934, le gouvernement fédéral adopte deux lois qui réglementent
respectivement les émissions publiques et les opérations sur les titres des
sociétés (1). En outre, une agence administrative, la Securities and
Exchange Commission (S.E.C.) est créée pour mettre en œuvre cette
réglementation.
L'essentiel du dispositif juridique américain développé à l'extrême par
la S.E.C. consiste à exiger des sociétés des informations détaillées sur leur
gestion et leurs titres afin que les épargnants et les actionnaires puissent
prendre des décisions « éclairées » en matière d'investissement.
L'information du public et des actionnaires est donc la pièce maîtresse d'une politique
qui pendant plus de cinquante ans s'est révélée très fructueuse : avec
29,8 millions d'actionnaires en 1980 et un nombre double de personnes
possédant un intérêt dans un fonds de retraite, les États-Unis disposent
actuellement du marché financier le plus développé au monde.
Malgré cela, le système d'information mis en œuvre par la S.E.C. est
violemment critiqué aux État-Unis et le principe même d'une information
du public obligatoire sérieusement remis en cause par de nouvelles théories
économiques. Les critiques des juristes et économistes sont renforcées par
l'extrême instabilité des marchés boursiers américains ces derniers temps.
Ainsi, l'indice Dow Jones qui dépasse pour la première fois le cap des
1000 le 27 décembre 1982 (2) et atteint 1287 le 29 novembre 1983 perd à
partir du 9 janvier 1984 90 points en quatre semaines. Cette baisse est
causée essentiellement par le déficit budgétaire qui suscite une hausse des
taux d'intérêt. Le 24 mai, l'indice tombe au-dessous de 1 100 : on craint
que les taux d'intérêt n'entraînent la cessation du service de la dette des
grands pays d'Amérique latine et n'ébranle le système bancaire des
Etats-Unis. Dans ce contexte économique instable, la question se pose de
savoir quel rôle peut encore jouer une politique d'information des
épargnants.
Le but de cette étude sera d'apporter quelques éléments de réponse
gar l'observation des critiques faites à la philosophie d'information aux
États-Unis, des bouleversements socio-économiques intervenus dans le
monde financier américain et des réformes juridiques actuellement en
cours dans ce pays.
La réglementation des valeurs mobilières est en pleine mutation aux
États-Unis. L'enjeu est de l'adapter aux nouvelles forces du marché. Le
défi concerne l'ensemble des pays occidentaux (3)et plus spécialement la
France, où la politique d'information de la Commission des Opérations de
Bourse, fortement influencée par celle de la S.E.C, commence à porter
ses fruits.

(1) LOSS, Securities Regulation, 2e éd., Boston, Little, Brown & Co, 1961, 3 vol. et
Supplement, 1969, 3 vol.
(2) HILTZIK, « It took Months but Market Bear Finally Left Lair, Sprouted Horns »,
L.A. Times 3 janv. 1983.
(3) TUNC, Le droit anglais des sociétés anonymes, 2e éd., Paris, Dalloz, 1978 ; « A
French Lawyer Looks at British Company Law », 45 M.L.R. 1 (1982).
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I. LA PHILOSOPHIE DU SYSTÈME D'INFORMATION ET SA REMISE EN


CAUSE

Rappelons dans ses grandes lignes le système d'information mis en


place en 1933 et 1934 (4)
Adopté au moment où la responsabilité des professionnels financiers
dans l'effondrement de 1929 était dénoncée (5), le système d'information
préconisé par Brandeis (6) représente pour F. D. Roosevelt un compromis
politique : en exigeant la publicité de nombreuses informations, le
gouvernement fédéral assure le public que les abus de 1920 ne pourront se
renouveler, sans pour autant détruire la confiance du monde des affaires
par une intervention excessive (7). Le système d'information, loin de
reposer sur une base théorique solide, se caractérise donc par un certain
pragmatisme.
La loi de 1933 réglemente l'information nécessaire lors d'une émission
publique de valeurs mobilières.
L'article 5 exige qu'avant toute émission publique, l'émetteur dépose
auprès de la S.E.C. une déclaration à fin d'enregistrement contenant toutes
les informations prescrites par la loi elle-même ou par la S.E.C Avant le
dépôt de cette déclaration, toute offre ou vente de titres, écrite ou orale,
est interdite. Le dépôt ouvre une période d'attente de vingt jours, qui
permet aux épargnants d'étudier les informations données et à la S.E.C.
de vérifier leur conformité à la loi. La S.E.C. exige souvent par des lettres
de commentaires des clarifications ou précisions qui font à chaque fois
répartir le délai de vingt jours. Durant cette période, l'émetteur peut
librement faire des offres verbales, mais il doit respecter des exigences
d'information strictes en cas d'offres écrites et ne peut en aucun cas
commencer la vente (8). A l'issue de la période d'attente, la déclaration devient
effective et l'émetteur peut vendre ses titres au public. Cependant, toute
offre écrite doit être accompagnée d'un prospectus dans lequel chaque
investisseur éventuel doit retrouver l'essentiel des informations contenues
dans la déclaration. Les informations exigées comprennent de nombreuses
données sur le projet d'émission, les affaires et biens de l'émetteur et
surtout sur la situation financière et les résultats des opérations de ce
dernier. Tout manquement aux obligations d'information est lourdement
sanctionné par le droit pénal (art. 24) et le droit civil (art. 11) (9), ce qui
incite les émetteurs à confier à des spécialistes (avocats,
experts-comptables) le soin de rédiger les documents d'information.

(4) TUNC, Le droit des sociétés anonymes aux États-Unis, Centre de polycopie de Paris
I, 1979, 3e éd.
(5) Hearings on Stock Exchange Practices before the Senate Committee on Banking and
Currency, 72 d & 73 d Congress, 1932-34.
(6) BRANDEIS, Other People's Money and How The Bankers Use It, 1914.
(7) Roosevelt's Message to Congress, H.R. Rep. n° 85, 73 d Cong. 1st session 1.2., 1933.
(8) In Re Franklin, Meyer & Barnett, 37 S.E.C. 47 (1956).
(9) THIÉTART, L'information des actionnaires et des épargnants aux États-Unis et les
responsabilités qui en découlent dans le droit fédéral des valeurs mobilières, (thèse d'État,
Université de Paris I), 1979.
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La S.E.C. a reçu pour mission de définir l'étendue et la nature des


informations à fournir au public et de contrôler l'application des normes
qu'elle édicté. La S.E.C. n'a aucun pouvoir pour juger le bien-fondé d'une
émission. Mais, en vérifiant que toutes les informations importantes sont
données et exactes, le S.E.C. dispose en fait d' un pouvoir immense. Il est
très rare qu'une déclaration devienne effective sans avoir été préalablement
modifiée pour répondre à une lettre de commentaires de la S.E.C En
outre, la S.E.C. a le pouvoir d'accélérer la procédure d'enregistrement en
réduisant, voire supprimant la période d'attente de vingt jours. Ce pouvoir
d'accélération, très important dans la mesure où le facteur « temps » est
capital pour la réussite d'une émission (10), est utilisé pour inciter les
émetteurs à corriger ou compléter leurs déclarations conformément aux
lettres de commentaires. La S.E.C. utilise donc au maximum son pouvoir
de contrôle préalable pour soumettre les sociétés à sa politique
d'information. Nul doute que la S.E.C. est parvenue à obtenir des émetteurs des
documents d'information de haute qualité (11). Mais cette qualité a un
prix. En 1978. la rémunération des experts juridiques et comptables
employés pour préparer les documents lors d'une première émission
publique s'élevait en moyenne à 105 000 dollars et les coûts d'impression de la
déclaration et du prospectus à 66 000 dollars (12). La question du rapport
coût/utilité de l'information lors des émissions publiques se pose d'autant
plus vivement que l'accroissement du volume des opérations boursières
ces dernières années a considérablement modifié l'importance du marché
primaire au profit du marché secondaire (13) . La réglementation fédérale
des opérations sur les titres des sociétés est-elle adaptée à cette nouvelle
situation ?
Complétant la loi de 1933, celle de 1934, plusieurs fois modifiée, crée
un système d'information continue du public et des actionnaires. Elle exige
de toute société, qui atteint cinq cents actionnaires dans une catégorie
d'actions et trois millions de dollars d'actif, l'enregistrement de ses titres
auprès de la S.E.C. . La demande d'enregistrement, comparable à la
déclaration prévue par la loi de 1933 quant au contenu des informations exigées,
en diffère quant à sa portée. Elle constitue un point de départ (14) d'où
découle pour les sociétés l'obligation d'actualiser périodiquement les
informations initiales par l'envoi à la S.E.C. de rapports annuels, trimestriels,
voire même mensuels lors de la survenance d'événements importants. Les
dossiers ainsi constitués sont tenus à la disposition du public.
En outre, les sociétés sont tenues d'informer plus particulièrement
leurs actionnaires lorsque leurs mandats sont sollicités pour la tenue de
l'assemblée générale annuelle. Si l'assemblée doit élire les directeurs, la
société doit envoyer au domicile de chaque actionnaire une notice écrite

(10) WOODSIDE, « Development of S.E.C. Practices in Processing Registration


Statements and Proxy Statement », 24 Bus. Law. 375 (1969).
(11) CARY, « Le développement des exigences d'information du public dans le droit
américain des valeurs mobilières », cette Revue 1976, p. 251 et s.
(12) HALLORAN, Going Public, 3e éd., Sorg Printing Company I.A.C., 1979.
(13) SPENCER, « Current Corporation Finance », Secu. Reg. Conf. San Diego 19-21
janv. 1983.
(14) COHEN, « Truth in Securities Revisited », 79 Harv. L. Rev. 1340 (1966).
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:
comprenant des informations sur la nature de la sollicitation et du mandat
ainsi que les comptes certifiés de la société. En outre, chaque actionnaire
doit recevoir un rapport présentant notamment les résultats financiers des
cinq dernières années et leur analyse par la direction. Une copie de la
notice et du rapport annuel aux actionnaires doit être adressée à la S.E.C.
qui n'effectue cependant aucun contrôle préalable sur ces documents.
Alors que la loi de 1933 offre des informations à un moment donné,
qui dépend pour chaque société de la décision ou non de recourir au
financement public, la loi de 1934 constitue un immense réservoir
d'informations sur les sociétés régulièrement mises à jour. Pourtant, les
documents d'information produits dans le cadre de la loi de 1934 sont loin
d'avoir la qualité qui fait la force des documents de la loi de 1933. Si les
règles de responsabilité moins strictes de la loi de 1934 peuvent expliquer
partiellement ce décalage, la raison principale doit être recherchée dans
l'attention inégale que la S.E.C. porte à la mise en œuvre de l'une et l'autre
loi. La priorité accordée à la loi de 1933 (15)reflète un choix politique qui
est violemment critiqué aujourd'hui.
En l'absence d'une définition claire des objectifs assignés à
l'information par le législateur, la S.E.C. oriente dès le départ sa politique vers une
protection maximale des épargnants et notamment du petit épargnant
individuel, principal victime des abus des années 1920 (16).
Malheureusement, alors que le monde financier évolue vers une professionnalisation
de l'investissement en valeurs mobilières qui engendre des exigences
d'information plus précises et poussées, la S.E.C. persiste dans son attitude
de défiance à l'égard des sociétés pour protéger un investisseur individuel
mythique. La politique d'information de la S.E.C. évaluée en termes
d'utilité pour une décision d'investissement se révèle alors peu performante
(17).
En témoignent trois principaux reproches : le maintien volontaire
d'un certain flou juridique, le conservatisme et la délégation de pouvoirs.
Pour prévenir toute astuce juridique de la part de ceux qui souhaitent
frauder, la S.E.C. préfère interpréter les textes au cas par cas plutôt que
d'établir des règles claire (18). Elle refuse par exemple de délimiter de
façon précise les offres de titres soumises à la procédure d'enregistrement
des offres « exemptées ». Les sociétés doivent donc étudier toutes les
lettres d'interprétation de la S.E.C. pour connaître leurs droits et
obligations dès qu'un doute apparaît, ou encore essayer d'obtenir pour elles-
mêmes l'assurance que la Commission ne les poursuivra pas en justice (19).

(15) ANDERSON, « The Disclosure Process in Federal Securities Regulation A Brief


Review », 25 Hastings L. Rev. 311 (1974).
:

(16) KARMEL, Regulation by Prosecution. The S.E.C. v. Corporate America, 1982.


(17) MORTON & BOOKER, « The Paradoxical Nature of Federal Securities
Regulation », 44 Del. Law J. 479 (1967).
(18) BLACKSTONE, « A Roadmap for Disclosure v. A Blueprint for Fraud », 26
U.C.L.A. Law Rev. 14 (1978).
(19) KRONSTEIN, « S.E.C. Practice », 9 Sec. Reg. L.J. 197 (1981).
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II résulte de ce flou juridique un « vaste labyrinthe d'interprétations » (20)


qui nuit aux sociétés honnêtes et peut être mis à profit par les fraudeurs.
Le conservatisme de la S.E.C. se traduit par le refus d'admettre toute
information subjective dans les documents d'information et par le maintien
de principes comptables inadaptés.
Pour éviter d'induire en erreur les épargnant, en effet la S.E.C. interdit
dans les documents sociaux l'utilisation de données concernant le futur
(estimations, prévisions, etc.), de jugements subjectifs ou déclarations
d'intention (soft information) (21). Seules sont autorisées les estimations
négatives (22), ce qui, allié à l'exigence de mises en garde constantes, font
du prospectus par exemple un récit de calamités potentielles (23). Le
pessimisme des documents ne permet pas aux investisseurs de discerner la
situation réelle de l'entreprise et peut dérouter les actionnaires.
En outre, l'interdiction des informations subjectives va à rencontre
des principes économiques d'investissement (24). L'épargnant a besoin de
connaître les prévisions de la société puisqu'il « mise ses fonds sur la
capacité de l'entreprise à dégager des profits dans le futur » (25). La
politique d'interdiction de la S.E.C. comporte dès lors deux conséquences
négatives : elle favorise les ventes orales où les prévisions même les plus
excentriques peuvent avoir libre cours (26) ; elle accentue l'inégalité
d'accès à l'information entre les investisseurs professionnels qui ont les
moyens de se procurer par d'autres voies ces informations vitales et les
petits épargnants (27).
Les méfaits de la politique conservatrice de la S.E.C. sont encore
violemment dénoncés au sujet de l'information comptable.
Pour mettre fin aux abus des années 20, la S.E.C. exige au départ que
les sociétés comptabilisent leurs éléments d'actif, non sur la base d'une
estimation de leur valeur réelle, mais sur celle de leur valeur d'acquisition
(coût historique) (28). Conserver cette méthode est contestable en période
d'inflation. Par exemple, en maintenant les coûts d'amortissement au
dessous de ce qu'ils devraient être pour refléter les coût de remplacement
actuels, la méthode des coûts historiques gonfle inconsidérément les
bénéfices (29) . Le coût des actifs utilisés pour produire le revenu n'est pas le coût
historique, mais le coût du renoncement à utiliser ces actifs à d'autres fins

(20) KRIPKE , The S. E. C. and Corporate Disclosure : Regulation in Search of a Purpose,


New York, Law & Business Inc. The Harcourt Brace Jovanovich, 1979.
(21) SCHNEIDER, « Nits, Grits and Soft Information in S.E.C. Filings », 121 U.Pa.L.
Rev. 254 (1972).
(22) « Universal Camera Corp. (in the matter of) », 19 S.E.C. 648 (1945).
(23) V. note (20).
(24) MANN, « Prospectuses : Unreadable or Just Unread ? A Proposal to Reexamine
Policies Against Permitting Projections », 40 Geo. W.L.R. 222 (1971).
(25) HELLER, « Disclosure Requirements under the Federal Securities Laws », 16
Bus. Law 300 (1961).
(26) KRIPKE, « The Myth of the Informed Layman », 28 Bus. Law 631 (1973).
(27) V. note (20).
(28) KRIPKE, « The S.E.C, the Accountants, Some Myths and Some Realities », 45
N.Y.U.L. Rev. 1151 (1970).
(29) KRIPKE, « Fifty Years of Securities Regulation in Search of a Purpose », 21 San
Diego Law Rev. 257 (1984).
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ou à les vendre (30) . La méthode des coûts historiques ne permet donc pas
à l'épargnant d'évaluer correctement la valeur de l'entreprise.
D'autre part, il importe aux épargnants de connaître l'état de liquidités
d'une entreprise.
Deux méthodes permettent de comptabiliser les recettes et dépenses
des sociétés et donc de présenter les bénéfices. La première (cash method)
ne reconnait une recette (ou dépense) que l'année où le paiement est
effectué. La seconde (accrual method)répartit les recettes et dépenses sur
les diverses périodes comptables au cours desquelles les droits au paiement
ou obligations de paiement sont acquis, quelle que soit la date du règlement
effectif. Le paiement d'une assurance pour trois ans, par exemple, sera
comptabilisé pour sa totalité l'année du versement par la première
méthode, par fractions étalées sur les trois ans par la seconde.
Pour éviter les entrées ou sorties de liquidités accidentelles ou
frauduleuses, la S.E.C. autorise les société à utiliser uniquement la seconde, leur
interdisant formellement de présenter leurs bénéfices par la méthode du
cash flow, même à titre purement complémentaire (31).
Cette attitude est critiquable. La seconde méthode ne fait pas
apparaître l'état réel des liquidités des sociétés à un moment donné.
L'exemple de la W.T. Grant Company a montré, il y a quelques années,
qu'une société pouvait comptabiliser des bénéfices année après année,
puis faire faillite parce qu'elle ne générait pas suffisamment de liquidités.
En outre, cette méthode ne prend pas en compte l'influence du temps sur
la valeur de l'argent. Alors que les sociétés ont très fréquemment recours
à la méthode du cash flow pour leur usage propre, est-il souhaitable de
bannir complètement celle-ci des documents d'information ?
Ces débats soulignent la difficulté de rendre compte des réalités par
les chiffres. Une étude montre que sur 223 milliards de dollars de bénéfices
affichés par les entreprises américaines en 1979, 25 % au moins étaient
une pure illusion créée par les méthodes comptables traditionnelles (32).
La S.E.C. peut-elle rester indifférente ?
Plus encore que son conservatisme, on reproche à la S.E.C. de ne pas
avoir joué le rôle qui lui était imparti dans l'établissement des comptes,
clé de vôute de l'information du public. Alors que le législateur lui confie
tout pouvoir pour établir les méthodes comptables, la S.E.C. préfère
déléguer aux professionnels du secteur privé son autorité. Est-il souhaitable,
cependant, qu'un organisme privé, essentiellement composé d'experts-
comptables, soit chargé de déterminer l'étendue des informations
financières à publier lorsque celles-ci doivent être certifiées par ses confrères aux
frais des sociétés (33) ? Il est douteux qu'un organisme privé bénéficie
d'une légitimité suffisante pour opérer, à travers la réglementation des
normes comptables, une redistribution potentielle des richesses (34).

(30) V. note (20).


(31) Franchard Corporation, 42 S.E.C. 163 (1964).
(32) KOLTON, « Accounting Issues for the Eighties », The Corporate Director, sept,
oct. 1980.
(33) V. note (20).
(34) RAPPAPORT, « Economic Impact of Accounting Standards. Implications for the
F.A.S. B. », /. Accountancy 89 (1977).
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Le retrait de la S.E.C. n'est probablement pas sans lien avec les trois
grandes déficiences du système comptable américain (35) : le foisonnement
de principes généraux de comptabilité très « flexibles » en l'absence d'une
procédure d'adoption rigoureuse ; la liberté laissée aux sociétés de choisir
les principes « les plus appropriés », tandis que le pouvoir de certification
des experts-comptables est interprété de façon restrictive ; enfin, l'absence
d'indépendance réelle des experts-comptables soumis au pressions des
dirigeants des sociétés (36).
Rendue responsable des manipulations de chiffres qui ont conduit aux
faillites spectaculaires de grosses sociétés comme la Penn Central dans les
années 70 (37), la profession des experts-comptables est soumise à un
contrôle plus strict du juge et du législateur. La S.E.C, quant à elle,
continue d'avaliser le droit comptable qu'élabore les professionnels, mais
n'hésite pas à se retourner contre eux dès qu'il se révèle insuffisant. Cette
position ambiguë ne cache-t-elle pas une part de responsabilité dans les
échecs du système comptable américain ?
Au nom de la protection des épargnants, la S.E.C. a limité sa politique
d'information à des faits essentiellement pessimistes, concernant le passé
et objectivement vérifiables. Son absence dans l'élaboration d'un système
comptable cohérent confirme qu'elle a négligé d'évaluer sa politique
d'information en termes d'utilité pour une prise de décision d'investissement.

II. LE SYSTEME D'INFORMATION ET LE NOUVEAU CONTEXTE SOCIO-


ÉCONOMIQUE.

Le système d'information obligatoire élaboré dans le cadre duNew


Deal est remis en cause par deux éléments : les nouvelles théories
économiques et les nouvelles caractéristiques du marché financier.
Les études statistiques conduites sur les lois de 1933 (38) et 1934
(39) n'ont pas réussi à mesurer l'influence d'un système d'information
obligatoire sur le fonctionnement des marchés financiers. En revanche,
deux nouvelles théories économiques s'attaquent au principe même
d'information.
Selon la théorie de l'efficacité du marché (efficient market hypothesis) ,
toute information mise à la disposition du public est immédiatement
incorporée dans le prix des valeurs mobilières. Ainsi, à tout moment, le prix
des actions reflète la totalité des informations publiques concernant les
sociétés, et il est impossible de réaliser des bénéfices anormaux. Si elle
est exacte, cette théorie comporte des implications importantes pour la
politique d'information de la S.E.C.

(35) EISENBERG, The Structure of the Corporation, 1976.


3e éd.,
(36)1973.
COHEN, ZINBARG, ZEIKEL, Investment Analysis and Portfolios Management,
(37) BRILOFF, « We often Paint Fakes », 28 Vand. L. Rev. 165 (1975).
(38) STIGLER, « Public Regulation of the Securities Markets », 37 /. Bus. Ill (1964).
(39) BENSTON, « Required Disclosure and the Stock Market, An Evaluation of the
Securities Exchange Act of 1934 », 63 Am. Econ. Rev. 132 (1973).
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1) Seules les informations inédites ont une certaine valeur (40).


Or, les documents exigés par la S.E.C. sont émis avec un retard tel
que les informations qu'ils contiennent sont déjà répercutées dans les cours
au moment de l'enregistrement à la S.E.C. L'utilité des informations
exigées par la S.E.C. est donc à reconsidérer au regard des données déjà
disséminées dans le public (41).
2) Une lutte acharnée contre l'utilisation d'informations privilégiées
fait obstacle à l'absorption par le marché d'informations importantes (42).
3) Enfin, parce qu'il est très difficile, même pour les professionnels,
d'obtenir des informations nouvelles, il est peu probable que l'analyse
financière procure des profits supérieurs à ceux obtenus par des achats ou
ventes au hasard (43). Le rôle des analystes financiers est donc vivement
mis en cause.
La théorie et ses implications sont loin d'être unanimement acceptées.
Tout d'abord, l'efficacité du marché est relative : le plus souvent,
l'information est reflétée dans les prix, non dès qu'elle est rendue publique,
mais uniquement lorsqu'elle est correctement interprétée (44). Le rôle des
professionnels reste donc primordial. En outre, le prix peut tout aussi bien
refléter une information fausse ou incomplète, ce qu'un système
d'information contrôlée permet d'éviter (45). Enfin, la théorie repose sur un
paradoxe : le marché n'est efficace que si des professionnels, parce qu'ils
ne croient pas en cette théorie, s'efforcent d'obtenir et d'analyser des
informations nouvelles (46).
A l'heure actuelle, cette théorie économique ne peut donc justifier
l'abandon d'une politique d'information. En revanche, un consensus
semble se dégager pour admettre l'efficacité du marché au regard des titres
des sociétés les plus suivies par les professionnels. Pour ces valeurs bien
connues, le prix refléterait toute information publique et ne laisserait
aucune chance de réaliser des gains anormaux. En revanche, pour les
valeurs moins connues, moins suivies par les analystes financiers, le marché
ne serait pas aussi efficace et une politique d'information resterait
justifiée. Nous verrons que cette distinction entre les sociétés peu et très
suivies par les analystes financiers sert de fondement aux réformes mises
en place par la S.E.C.

(40) BEAVER, The Nature of Mandated Disclosure, ch. XX, note 41.
(41) Report of the Advisory Comittee on Corporate Disclosure to the S.E.C., 3 nov.
1977 ; 95e Congress, 1st session. Committee Print 95.29.
(42) MANNE, Insider Trading and the Stock Market, 1966 ; HELLER « Chiarella,
S.E.C. Rule 14e. 3 and Dirks : Fairness versus Economic Theory », 37 Bus. Law. 517 (1982).
(43) FAMA, « The Behavior of Stock Market Prices », J. of Business, jan. 1965 ;
BENSTON, « An Appraisal of the Costs and Benefits of Government Required Disclosures :
S.E.C. and F.T.C. Requirements », 41 Law & Contemp. Prob. 30 (1977).
(44) SOMMER, « Book Review : The S.E.C. and Corporate Disclosure : Regulation
in Search of a Purpose by Homer Kripke », 93 Harv. L.R. 1595 (1980).
(45) A panel discussion : « Corporate Responsability in the Financial Accounting and
Disclosure Areas. Who Makes and Who Implements the Rules ? », 34 Bus. Law. (1979).
(46) V. note (20).
532 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARE 3-1984

La politique d'information obligatoire a été attaquée sous un autre


angle. La théorie du portefeuille moderne ou théorie de la diversification
(modem portfolio theory) prétend permettre à un épargnant de quantifier
le risque de son investissement, c'est-à-dire la probabilité que le rendement
réel diffère du rendement escompté. Les économistes distinguent le risque
non systématique, lié à la politique de l'entreprise elle-même, du risque
systématique, lié à l'évolution du marché. Selon la théorie, le premier peut
être complètement éliminé par une diversification adéquate du
portefeuille. Quant au second, il peut au moins être mesuré à l'aide du coefficient
bêta obtenu par le ratio risque résiduel/risque du marché. La théorie offre
donc aux investisseurs les moyens d'éliminer le risque non systématique et
de mieux appréhender le risque résiduel. En introduisant le concept de
risque, cette théorie souligne les faiblesses des théories d'investissement
classiques qui privilégiaient la notion de bénéfices. En outre, la théorie de
la diversification diminue l'importance des informations concernant les
sociétés elles-mêmes et accroît celle des données concernant le marché.
Or la S.E.C. continue de se concentrer exclusivement sur les premières.
Les sociétés doivent, par exemple, publier les cours trimestriels de leurs
actions. Il serait intéressant de leur demander de comparer ces courbes à
l'évolution d'un indice financier dans le même temps (47). Enfin, la théorie
de la diversification met en question l'utilité de l'information pour
l'épargnant qui investit peu dans beaucoup de sociétés. Prendra-t-il le temps de
lire la masse des documents des sociétés avant d'investir ou pour exercer
son droit de vote ?
L'une et l'autre théorie, au surplus, soulignent l'inadéquation d'une
politique qui, fondée sur le schéma traditionnel d'une société où
l'assemblée générale des actionnaires aurait le pouvoir suprême, s'adresse en
réalité à des investisseurs soucieux avant tout de la gestion et du rendement
de leurs portefeuilles.
L'évolution du marché financier, d'autre part, oblige à réexaminer
une politique qui date des années 30. Le marché est devenu très complexe.
L'apparition de nouveaux produits financiers qui atténuent les distinctions
entre actions et obligations ou entre argent liquide et valeur mobilière, le
gigantisme des sociétés américaines qui, telle American Telephone &
Telegraph Company avant sa division, possèdent plus d'actionnaires que n'en
possède la France, l'évolution technologique rapide qui fait d'un secteur
« de pointe » aujourd'hui un secteur démodé demain : l'ensemble de
ces facteurs rend difficile la sélection de valeurs mobilières et favorise
l'effacement de l'épargnant individuel au profit de l'épargne collective et
des professionnels de l'investissement.
Des institutions (banques d'investissement, compagnies d'assurance,
sociétés d'investissement, fonds de retraite) dominent l'activité de la
bourse de New York. Elles détiennent 36 % des actions cotées sur cette
bourse, 46 % de la capitalisation boursière et réalisent en valeur 70,3 %
des transactions. Les plus puissantes financièrement sont les fonds de

(47) V. note (20).


M.-D. LEIBLER : INFORMATION DES ACTIONNAIRES AUX U.S.A. 533

retraite qui possèdent un tiers de l'industrie américaine (48). Phénomène


récent, l'institutionnalisation des bourses modifie le fonctionnement
traditionnel du marché financier. Elle favorise par exemple, les négociations
de blocs, portant sur 100 000 à 500 000 titres, ce qui, dans les années 70,
a entraîné la faillite de nombreux spécialistes boursiers dont les techniques
restaient orientées vers l'acheteur de cent titres. En outre,
l'institutionnalisation entraîne une baisse de la valeur sociale du marché dans la mesure
où cette épargne collective s'intéresse quasi-exclusivement aux grosses
entreprises (49). Le processus « de dé-réglementation » entamé par le
Président Reagan peut atténuer ce dernier phénomène, car il ouvre l'accès
du monde financier à des entreprises non spécialisées (grands magasins
tels que Sears, Roebuck & Co et assurances) qui viennent concurrencer
les institutions traditionnelles. Sous l'effet de cette compétition accrue, les
unes et les autres commencent à acheter des obligations à moyen terme et
non plus exclusivement à long terme ou encore des actions de niveau
secondaire.
En tout cas, chargée de la protection et de l'information des
épargnants, la S.E.C. ne peut négliger la puissance nouvelle de ce relais collectif
de l'épargne individuelle.
Le marché financier se trouve également transformé par l'apparition
de deux nouvelles professions, celles d'analyste financier et de gérant
de portefeuille, et par le développement de la presse financière quasi-
inexistante dans les années 30.
14 600 analystes financiers consacrent leur temps et leur compétence
à collecter et sélectionner des faits, puis à établir des liens entre ces
informations et l'évolution des cours sur le marché. Souvent spécialisés dans un
secteur ou même une entreprise déterminée, les analystes touchent des
rémunérations importantes pouvant atteindre 200 000 dollars par an. Leurs
recommandations influencent les décisions d'investissement de l'épargne
collective et des particuliers.
Or, la confrontation de l'activité de ces professionnels de l'information
et de la politique d'information obligatoire de la S.E.C. permet de
relativiser l'importance de cette dernière. Il ressort en effet de l'examen que :
1) Les analystes étudient d'abord les conditions économiques
générales, puis l'état du marché boursier, enfin les différents secteurs d'activité,
avant de s'intéresser aux données concernant une société particulière.
Celles-ci ne représentent que 20 % de l'ensemble des informations utilisées
par les analystes (50).
2) En outre, même en ce qui concerne l'information sur les entreprises,
objet de la politique de la S.E.C, les documents officiels ne fournissent
pas toutes les données nécessaires. Ainsi, les informations par produit ou
par branche, vitales pour évaluer la place d'une société dans un marché
donné, sont si imprécises qu'une société peut regrouper et publier sous

(48) DRUCKER, L'entreprise face à la crise mondiale. 1981.


(49) TUNC, « A French Lawyer Looks at American Corporation Law and Securities
Regulation », 130 U. Pa. L. Rev. 757 (1982).
(50) « The S.E.C. and Corporate Disclosure. A Program by the American Bar
Association Committee on Federal Regulation of Securities », 36 Bus. Law. 119 (1980).
534 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 3-1984

une même « ligne d'activité » ses opérations de construction immobilière,


location de voitures, publication et formation professionnelle (51).
3) Enfin, la source principale d'information des analystes reste les
contacts directs avec les dirigeants des sociétés. Mesurant 1' importance
des recommandations des analystes pour les titres de leurs sociétés, les
dirigeants acceptent rencontres ou entretiens téléphoniques et adressent
automatiquement aux professionnels leurs principaux documents
d'information, complétés le plus souvent par des suppléments spécialement
rédigés à leur intention.
L'existence de ce réseau d'information réservé à une poignée de
spécialistes met en cause le principe d'égalité des épargnants face à
l'information, incarné par la règle 10 b-5. Celle-ci fait obligation aux détenteurs
d'une information inédite et significative, soit de la révéler publiquement,
soit de s'abstenir de toute opération (52). Cette règle est d'une
application délicate pour les analystes, dont le métier consiste justement à partir
d'une étude minutieuse des informations qu'ils récoltent et de leurs
propres déductions à obtenir une information significative non publique.
Peuvent-ils l'exploiter ou doivent-ils la rendre publique auparavant ?
L'absence de réponse claire (53) , bien illustrée par l'arrêt de \983Dirks v. S. E. C.
(54) , fait peser une menace constante sur les analystes contraints à la plus
grande prudence dans leurs relations avec les sociétés. Elle révèle surtout
une hésitation profonde entre deux options : maintenir la politique du
passé, ou reconnaître que des réseaux personnels d'information favorisent
la dissémination des informations dans le public.
Les firmes d'agents de change (brokerage houses) et de gestion de
portefeuille (investment counseling firms) , qui emploient tout un personnel
spécialisé, constituent une autre source d'information et de conseil pour
les épargnants. Elles peuvent construire un portefeuille de titres « sur
mesure » correspondant à l'âge, au montant d'épargne et objectifs
d'investissement de chacun (55) . Le client peut leur donner tous pouvoirs légaux
pour la gestion du portefeuille ou conserver un droit de regard. Dans les
deux cas, cependant, ces intermédiaires constituent un écran, les
documents légaux ne parvenant plus aux mains des actionnaires proprement
dits (56). La S.E.C. ne voit dans cette évolution qu'un problème technique
de transmission de documents (57). Il se pourrait pourtant que ce
phénomène traduise le désintérêt des actionnaires individuels pour le
fonctionnement des sociétés.

(51) I.T.T. cité par STEVENSON, Corporations and Information, 1980.


(52) GEORGES, L'utilisation en bourse d'informations privilégiées dans le droit des
États-Unis, Paris, Economica, 1976.
(53) FOGELSON, « Disclosure Laws Retain Teeth despite Recent Court Limitations »,
The National Law J. 15-22 fev. 1982.
(54) Dirks y . S.E.C, 43 C.C.H.S. Ct Bull P. B. 4687, Ier juil. 1983.
(55) GRAHAM, The Intelligent Investor, 4e éd., 1973.
(56) HAMILTON, Cases and Materials on Corporations, 2e éd., 1981.
(57) Final Report of the S.E. C. on the Practice of Recording the Ownership of Securities
in the Records of the Issuer in other than the Name of the Beneficial Owner of such Securities,
3 dec. 1976.
M.-D. LEIBLER : INFORMATION DES ACTIONNAIRES AUX U.S.A. 535

Relais essentiel d'une politique d'information, la presse spécialisée a


pour mission de collecter, traiter, puis diffuser aux utilisateurs les données
importantes. La presse financière a pour principales sources d'information
l'administration pour les données de politique économique, les sociétés qui
privilégient les communiqués de presse pour annoncer leurs résultats ou la
sortie d'un nouveau produit, enfin les organismes d'information eux-
mêmes, car l'information est souvent réutilisée sous formes variées.
Les « produits » offerts par les organismes d'information sont
nombreux : journaux de haute qualité (New York Times et Wall Street Journal) ,
publications statistiques spécialisées et très diversifiées (par Moody's
Investor Service Inc., Standard & Poor's Corp. ou Media General Financial
Services, Inc.), conseils en investissement pour les personnes
particulièrement actives en bourse (Argus Research). Le nombre et la variété des
organismes de presse assurent une diffusion nationale des informations
concernant les plus grosses sociétés et, par le biais de publications
spécialisées, une diffusion plus restreinte, mais destinée à un public précis, des
informations concernant les sociétés moins importantes. En outre, les
organismes de presse s'efforcent de trouver des présentations originales
pour rendre plus performante la diffusion des informations. Ces deux
atouts sont essentiels pour une politique d'information.
Ainsi, la professionnaiisation de la fonction d'investissement, qui
caractérise « la troisième étape du capitalisme » (58), diminue l'importance de
l'information, puisque des spécialistes sont à même de dégager l'épargnant
de tout souci de gestion de portefeuille. En outre, l'importance des
professionnels favorise la divulgation volontaire de la part des sociétés des
informations les concernant. Doit-on dans ces conditions maintenir une
législation d'information obligatoire fort coûteuse ?
Celle-ci semble avoir encore sa raison d'être : des enquêtes révèlent
que les professionnels s'intéressent en fait à un nombre restreint de
sociétés. Ainsi, les analystes ne suivent que 10 % des 10 000 sociétés soumises
à la loi de 1934 et certaines de façon très irrégulière (59). En outre, malgré
le poids des professionnels auprès des sociétés, il existe un seuil au delà
duquel l'entreprise n'a plus intérêt à divulguer certaines informations (60).
Ainsi, la société taira une information qui peut profiter à un concurrent
ou faire apparaître les difficultés qu'elle rencontre. Enfin, la suppression du
système obligatoire recréerait les risques d'abus contre lesquels le Congrès
s'était insurgé.
Pour ces diverses raisons, la S.E.C. souhaite conserver le système
actuel. Cependant, elle fait un pas important en reconnaissant aujourd'hui
que les professionnels analysent, simplifient, et présentent une foule
d'informations sous des formes très variées. En outre, elle admet que le système
officiel doit viser à favoriser les décisions d'investissement d'un public
« averti », le profane pouvant bénéficier des informations soit par le
mécanisme d'ajustement des prix, soit par l'intermédiaire de la communauté

(58) CLARK, « The Four Stages of Capitalism Reflections on Investment


Management Treatises », 94 Harv. L. Rev. 561 (1980).
:

(59) V. note (41).


(60) V. note (40).
536 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARE 3-1984

professionnelle. Après vingt ans de critiques, la S.E.C. finit par accepter


de reconsidérer sa politique à la lumière des nouvelles caractéristiques du
marché et s'engage dans un mouvement de réformes profond.

III. LA S.E.C. RELEVE LE DEFI

Les réformes s'orientent autour de deux axes : intégrer le double


système d'information au profit de l'information continue et améliorer
l'information.
A travers le processus d'intégration, la S.E.C. modèle un nouveau
système d'information qui repose sur deux principes : l'équivalence des
deux lois et la prise en compte des nouvelles données socio-économiques.
Abandonnant sa préférence pour la loi de 1933, la S.E.C, depuis
1980, érige en principe l'égalité des lois de 1933 et 1934 (61). Celle-ci se
traduit par une harmonisation des instructions concernant la façon de
remplir les documents financiers et non financiers, désormais communes
aux deux lois. L'égalité passe, en second lieu, par une simplification du
système d'information continue : le rapport annuel aux actionnaires, qui
doit désormais contenir un certain nombre de mentions obligatoires,
devient le document de base auquel les sociétés peuvent se référer pour
satisfaire d'autres obligations d'information identiques. Les informations
sont alors réputées « incorporées » dans le nouveau document « par
référence » au rapport annuel.
En outre, la S.E.C. souhaite que le nouveau système d'information
prenne en compte l'existence de la communauté professionnelle et
l'efficacité des marchés (62). Elle apporte donc trois réformes importantes :
1) Un système d'enregistrement modulé lors des émissions
publiques. Depuis 1982, la S.E.C. distingue trois catégories de sociétés
auxquelles s'appliquent des obligations d'information différentes.
— Les sociétés qui, remplissant les obligations d'information
périodique de la loi de 1934, ont un certain montant de titres (150 millions
de dollars) déjà émis dans le public ou un volume de titres négociés
annuellement important (capitalisation de 100 millions de dollars et
volume annuel de transactions de 3 millions de titres au moins). Les
sociétés qui remplissent ces critères jugés représentatifs de leur « suivi »
par les professionnels se voient offrir la possibilité de ne fournir qu'une
information minimale lors de l'émission publique. Elles peuvent, en effet,
dans leur prospectus, incorporer un bon nombre d'informations par
simple référence avec différents rapports périodiques.
— Les sociétés qui ont un passé satisfaisant en matière d'information
périodique, mais ne peuvent satisfaire les critères mesurant le « suivi » par
les professionnels. Ces sociétés peuvent soit fournir avec le prospectus une
copie de leur rapport annuel aux actionnaires, soit reprendre dans le
prospectus les mêmes informations.

(61) Securities Act Release n° 6235 du 2 sept. 1980.


(62) Securities Act. Release n° 6231 du 18 sept. 1980.
M.-D. LEIBLER : INFORMATION DES ACTIONNAIRES AUX U.S.A. 537

— Les sociétés qui ne sont pas soumises à la loi de 1934 ou le sont


depuis moins de trois ans. Ces sociétés doivent, comme par le passé, fournir
un prospectus complet.
La S.E.C. tient ainsi compte du passé de la société en matière
d'information et de l'intérêt que portent les professionnels à cette société pour
alléger (ou non) les obligations d'information lors d'une émission publique.
2) Adoption d'une nouvelle procédure d'examen.
En 1980, la S.E.C. décide de n'exercer qu'un contrôle sélectif des
demandes d'enregistrement, ce qui réduit considérablement l'importance
des lettres de commentaires à l'avenir. En pratique, la S.E.C. conserve les
demandes 48 heures avant de les déclarer effectives. Ainsi, un émetteur
qui dépose sa déclaration le lundi matin à 9 heures peut être autorisé à
commencer la vente le mercredi à 9 heures, rapidité inconcevable lorsque
la S.E.C. pratiquait un contrôle systématique des demandes.
3) Adoption d'une procédure d'enregistrement continu.
Mise à l'essai en mars 1982 et définitivement adoptée le 17 novembre
1983, la Règle 415 autorise une société qui souhaite faire appel au public à
mettre en réserve ses titres après que la demande d'enregistrement est
devenue effective (shelf registration) . Cette technique permet à une société
d'attendre que les conditions du marché soient propices, pour vendre en
l'espace de quelques heures ses titre déjà enregistrés (63).
Pour bénéficier de cet avantage, l'émetteur doit de bonne foi avoir
l'intention de vendre ses titres. La vente doit au plus tard intervenir dans
les deux ans. En outre, obligation est faite à l'émetteur d'actualiser son
prospectus soit par le dépôt d'un amendement (en cas de changement
fondamental notamment), soit par un autocollant. Cette procédure
d'enregistrement continu est principalement utilisée par les entreprises qui
émettent fréquemment des obligations. La règle 415, qui offre aux sociétés
l'avantage, capital en période de volatilité des marchés, de la rapidité ne
fait pas l'unanimité.
On redoute que l'investisseur ait à se décider sur le champ, sans
information. On souligne que l'intermédiaire financier (underwriter) ,
sélectionné à la dernière minute par la société, ne pourra plus garantir le
sérieux de l'offre. La S.E.C. n'a-t-elle pas dû déjà alléger les règles de
responsabilité les concernant (64) ?
En fait, au-delà de la règle 415 elle-même, les inquiétudes portent sur
l'ensemble du sytème d'information intégrée. Il n'est pas aisé de passer
d'un système qui avait fait de l'émission publique le moment privilégié
pour informer les investisseurs sur les sociétés et contrôler ces informations,
à un système qui facilite les financements instantanés, sans contrôle à
priori, accompagnés d'une information très succincte. On comprend alors
que la S.E.C. ait cru devoir accomplir un effort nouveau pour améliorer
l'information.

(63) V. « Annual Review of Federal Securities Regulation » 39 Bus. Law. 1105-1113


(1984) ; cf. FERRARA, KIERNAN, « S.E.C. Tests Waters with Shelf Registration
Release », Legal Times 8 mars 1982.
(64) Securities Act. Release n° 6383 du 16~mars 1982.
538 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARE 3-1984

II s'agit pour elle de clarifier les règles juridiques et d'abandonner son


attitude conservatrice.
Le principal effort porte sur la rationalisation des règles exemptant de
la procédure d'enregistrement de la loi de 1933 les offres d'un faible
montant, d'une part, les placements privés, d'autre part (réglementation
D).
Les offres inférieures à 500 000 dollars sont exemptées de la
procédure d'enregistrement à condition, essentiellement, que la société continue
d'informer et les acheteurs et la S.E.C. Les offres inférieures à cinq millions
de dollars doivent, outre ces conditions, être limitées à trente cinq
acheteurs pour être exemptées. Cependant, les émetteurs peuvent vendre sans
limite quantitative ni obligation d'information spécifique à une catégorie
particulière d'investisseurs dits « accrédités ». Parce qu'ils sont
suffisamment compétents (les banques, par exemple), proches de l'émetteur (les
directeurs, par exemple), ou parce qu'ils ont une fortune personnelle
suffisante (au moins un million de dollars, par exemple) pour suppléer leur
ignorance éventuelle par les conseils de professionnels, ces investisseurs
« accrédités » sont jugés aptes à apprécier le risque de l'émission sans
nécessiter la protection de la loi de 1933. L'extension de cette notion,
fondée sur le fonctionnement de la communauté professionnelle devrait
favoriser le recours des petites sociétés aux marchés publics.
Pour être qualifiée « privée » et donc exemptée de la procédure
d'enregistrement, une offre doit se limiter à trente cinq acheteurs (investisseurs
accrédités non compris) possédant, soit par eux-mêmes, soit à l'aide d'un
professionnel, une connaissance suffisante du monde financier pour
apprécier les risques de l'émission. L'offre doit, en outre, satisfaire les autres
conditions, notamment d'information, imposées aux offres d'un faible
montant.
La réglementation D a le grand mérite de simplifier les critères
d'exemption et de reconnaître que, pour certains investisseurs, la
protection de la loi de 1933 est inutile. Certains regrettent cependant qu'elle
laisse subsister de lourdes obligations d'information pour les sociétés (65) .
La S.E.C. a également été sensible aux critiques de conservatisme qui
lui étaient adressées.
Depuis 1978, elle s'est ouverte à la soft information. Elle permet aux
sociétés de publier des estimations, à condition qu'elles soient faites de
bonne foi et aient un fondement raisonnable. En insistant sur l'actualisation
des estimations, la publication des données sous-jacentes ou la
comparaison des prévisions avec les résultats réels obtenus, la S.E.C. cherche à
contenir ces informations dans des limites raisonnables.
En outre, depuis 1982, la S.E.C. autorise, pour les obligations et
actions préférentielles, la publication dans les documents d'information
des classements effectués par les principaux organismes financiers. De
nouveau, l'épargnant est aidé dans la lecture de cette information par
certaines mentions complémentaires obligatoires (le nom de l'organisme,

(65) KRIPKE, « Has the S.E.C. Taken All of the Dead Wood out of its Disclosure
System ? », 39 Bus. Law. 833 (1983).
M.-D. LEIBLER : INFORMATION DES ACTIONNAIRES AUX U.S.A. 539

le système de classement, etc.). La S.E.C. adopte donc le principe de la


souplesse pour encourager, sans l'imposer, la publication d'informations
subjectives utiles pour une prise de décision d'investissement. En acceptant
d'alléger les règles de responsabilité civile applicables aux sociétés qui
publient ce type d'information, la S.E.C. confirme le revirement
fondamental de sa politique en la matière (66).
En outre, un effort considérable a été accompli pour rendre
l'information financière plus fiable en période d'inflation. Poussé par la S.E.C,
le Financial Accounting Standards Board(F.A.S.B., organisme auquel la
S.E.C. a délégué ses pouvoirs) exige depuis 1979 que les plus grosses
sociétés publient, à titre complémentaire, certaines données sur la base
d'un dollar constant et d'un dollar courant. La première méthode doit
permettre d'ajuster les coûts historiques des comptes en fonction de
l'inflation ; la seconde doit permettre d'identifier les variations de certains coûts
spécifiques de l'actif. Pour l'année 1980, le F.A.S.B. conclut que les
revenus comptabilisés au coût historique des 1 100 sociétés soumises à
l'obligation sont réduits de 60 % par la méthode des coûts courants et de
53 % par celle des dollars constants (67).
Enfin, la S.E.C. exige désormais que les dirigeants des sociétés
fournissent des indications sur l'état des liquidités de la société, ses ressources
en capital disponibles, les résultats de ses opérations, ainsi que sur toute
autre information nécessaire à la compréhension de sa condition financière.
La S.E.C. force ainsi les sociétés à renseigner l'épargnant sur les variations
du cash flow ou à préciser dans quelle mesure les chiffres concernant le
passé ne sont pas représentatifs des tendances à venir.
Ces réformes, sur lesquelles se greffe en toile de fond un vaste projet
de reconceptualisation de l'information financière (68) , soulignent le souci
qu'a la S.E.C. d'accroître l'utilité des informations et d'améliorer la
véracité des chiffres présentés par les sociétés.

Pour ou contre le maintien d'un système d'information obligatoire ?


Aux États-Unis, un consensus paraît se dégager pour conserver le cadre
et les principes juridiques des années 30 en adaptant leur contenu au monde
financier moderne. La nouvelle réglementation favorise une information
continue, orientée désormais beaucoup plus vers un public averti, capable
d'évaluer des estimations et souhaitant connaître la réalité cachée derrière
les chiffres. Parallèlement, les procédures d'enregistrement lors d'une

(66) Safe Harbor Rule for Projections, Securities Act. Release n° 6084 du 25 juin 1979.
(67) Fin. Analyst Jnal. sept.-oct. 1981.
(68) Pour une critique, DOPUCH & SUNDER, « FASB's Statements on Objectives
and Elements of Financial Accounting A. Review », 2 The Accounting Rev. L. V. n° 1,
janv. 1980.
:
540 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARE 3-1984

émission publique sont considérablement allégées. Les émetteurs peuvent


recourir très rapidement au marché, puisque la S.E.C. n'opère plus qu'un
contrôle sélectif et encourage la formule des offres différées.
Faut-il aller plus loin et, par exemple, exempter les grosses sociétés de
toute procédure d'enregistrement lorsqu'elles émettent auprès du public,
comme le suggèrent certains (69). Ou est-on allé trop loin en modifiant si
fondamentalement le droit des valeurs mobilières ? Il appartient au
Congrès, en dernier ressort, de trancher ce débat. L'occasion lui est offert
de se prononcer par l'adoption du projet de Code Fédéral des Valeurs
Mobilières préparé par YAmerican Law Institute (70). Souhaitons qu'il
sache la saisir, car le Congrès ne peut rester à l'écart d'un débat qui touche
si fondamentalement les sociétés et les épargnants.

(69) V. note (65).


(70) AMERICAN LAW INSTITUTE, Federal Securities Code with Reporter's
Commentary, 2 vol., 1980.

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