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Résumé
Pour protéger l'épargnant individuel, la Securities and Exchange Commission (S.E.C.) limite l'information du public et des
actionnaires aux faits objectivement vérifiables et maintient des méthodes comptables inadaptées en période d'inflation. En
outre, elle ne tient compte ni de l'enseignement des récentes théories économiques ni de l'importance nouvelle des
professionnels dans le monde financier. Depuis peu cependant, la S.E.C. s'efforce d'adapter le système d'information au
processus moderne d'investissement. Elle allège les obligations d'information des grandes sociétés, encourage l'utilisation des
estimations et exige la publication des valeurs de remplacement dans les comptes.
Abstract
To protect small investors, the Securities and Exchange Commission (S.E.C.) focuses on disclosure of past events which can
be objectively verified and maintains accounting methods which are irrelevant in an inflationary context. Moreover, the S.E.C.
takes into accountneither the challenges of new économies nor the increasing prédominance of professionals in the financial
world. Recently however, the S. E. C. has shown commendable efforts to adapt the disclosure System to modem investment
décisions. The S. E. C. reduces the burdens of disclosure for widely-traded companies, encourages the use of projections in
documents and requires current values accounting.
Leibler Marie-Dominique. La remise en cause de l'information du public et des actionnaires aux États-Unis. In: Revue
internationale de droit comparé. Vol. 36 N°3, Juillet-septembre 1984. pp. 523-540;
doi : https://doi.org/10.3406/ridc.1984.1503
https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1984_num_36_3_1503
par
Marie-Dominique LEIBLER
Docteur de 3e cycle
Master of Comparative Law (University of San Diego, U.S.A.).
(1) LOSS, Securities Regulation, 2e éd., Boston, Little, Brown & Co, 1961, 3 vol. et
Supplement, 1969, 3 vol.
(2) HILTZIK, « It took Months but Market Bear Finally Left Lair, Sprouted Horns »,
L.A. Times 3 janv. 1983.
(3) TUNC, Le droit anglais des sociétés anonymes, 2e éd., Paris, Dalloz, 1978 ; « A
French Lawyer Looks at British Company Law », 45 M.L.R. 1 (1982).
M.-D. LEIBLER : INFORMATION DES ACTIONNAIRES AUX U.S.A. 525
(4) TUNC, Le droit des sociétés anonymes aux États-Unis, Centre de polycopie de Paris
I, 1979, 3e éd.
(5) Hearings on Stock Exchange Practices before the Senate Committee on Banking and
Currency, 72 d & 73 d Congress, 1932-34.
(6) BRANDEIS, Other People's Money and How The Bankers Use It, 1914.
(7) Roosevelt's Message to Congress, H.R. Rep. n° 85, 73 d Cong. 1st session 1.2., 1933.
(8) In Re Franklin, Meyer & Barnett, 37 S.E.C. 47 (1956).
(9) THIÉTART, L'information des actionnaires et des épargnants aux États-Unis et les
responsabilités qui en découlent dans le droit fédéral des valeurs mobilières, (thèse d'État,
Université de Paris I), 1979.
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:
comprenant des informations sur la nature de la sollicitation et du mandat
ainsi que les comptes certifiés de la société. En outre, chaque actionnaire
doit recevoir un rapport présentant notamment les résultats financiers des
cinq dernières années et leur analyse par la direction. Une copie de la
notice et du rapport annuel aux actionnaires doit être adressée à la S.E.C.
qui n'effectue cependant aucun contrôle préalable sur ces documents.
Alors que la loi de 1933 offre des informations à un moment donné,
qui dépend pour chaque société de la décision ou non de recourir au
financement public, la loi de 1934 constitue un immense réservoir
d'informations sur les sociétés régulièrement mises à jour. Pourtant, les
documents d'information produits dans le cadre de la loi de 1934 sont loin
d'avoir la qualité qui fait la force des documents de la loi de 1933. Si les
règles de responsabilité moins strictes de la loi de 1934 peuvent expliquer
partiellement ce décalage, la raison principale doit être recherchée dans
l'attention inégale que la S.E.C. porte à la mise en œuvre de l'une et l'autre
loi. La priorité accordée à la loi de 1933 (15)reflète un choix politique qui
est violemment critiqué aujourd'hui.
En l'absence d'une définition claire des objectifs assignés à
l'information par le législateur, la S.E.C. oriente dès le départ sa politique vers une
protection maximale des épargnants et notamment du petit épargnant
individuel, principal victime des abus des années 1920 (16).
Malheureusement, alors que le monde financier évolue vers une professionnalisation
de l'investissement en valeurs mobilières qui engendre des exigences
d'information plus précises et poussées, la S.E.C. persiste dans son attitude
de défiance à l'égard des sociétés pour protéger un investisseur individuel
mythique. La politique d'information de la S.E.C. évaluée en termes
d'utilité pour une décision d'investissement se révèle alors peu performante
(17).
En témoignent trois principaux reproches : le maintien volontaire
d'un certain flou juridique, le conservatisme et la délégation de pouvoirs.
Pour prévenir toute astuce juridique de la part de ceux qui souhaitent
frauder, la S.E.C. préfère interpréter les textes au cas par cas plutôt que
d'établir des règles claire (18). Elle refuse par exemple de délimiter de
façon précise les offres de titres soumises à la procédure d'enregistrement
des offres « exemptées ». Les sociétés doivent donc étudier toutes les
lettres d'interprétation de la S.E.C. pour connaître leurs droits et
obligations dès qu'un doute apparaît, ou encore essayer d'obtenir pour elles-
mêmes l'assurance que la Commission ne les poursuivra pas en justice (19).
ou à les vendre (30) . La méthode des coûts historiques ne permet donc pas
à l'épargnant d'évaluer correctement la valeur de l'entreprise.
D'autre part, il importe aux épargnants de connaître l'état de liquidités
d'une entreprise.
Deux méthodes permettent de comptabiliser les recettes et dépenses
des sociétés et donc de présenter les bénéfices. La première (cash method)
ne reconnait une recette (ou dépense) que l'année où le paiement est
effectué. La seconde (accrual method)répartit les recettes et dépenses sur
les diverses périodes comptables au cours desquelles les droits au paiement
ou obligations de paiement sont acquis, quelle que soit la date du règlement
effectif. Le paiement d'une assurance pour trois ans, par exemple, sera
comptabilisé pour sa totalité l'année du versement par la première
méthode, par fractions étalées sur les trois ans par la seconde.
Pour éviter les entrées ou sorties de liquidités accidentelles ou
frauduleuses, la S.E.C. autorise les société à utiliser uniquement la seconde, leur
interdisant formellement de présenter leurs bénéfices par la méthode du
cash flow, même à titre purement complémentaire (31).
Cette attitude est critiquable. La seconde méthode ne fait pas
apparaître l'état réel des liquidités des sociétés à un moment donné.
L'exemple de la W.T. Grant Company a montré, il y a quelques années,
qu'une société pouvait comptabiliser des bénéfices année après année,
puis faire faillite parce qu'elle ne générait pas suffisamment de liquidités.
En outre, cette méthode ne prend pas en compte l'influence du temps sur
la valeur de l'argent. Alors que les sociétés ont très fréquemment recours
à la méthode du cash flow pour leur usage propre, est-il souhaitable de
bannir complètement celle-ci des documents d'information ?
Ces débats soulignent la difficulté de rendre compte des réalités par
les chiffres. Une étude montre que sur 223 milliards de dollars de bénéfices
affichés par les entreprises américaines en 1979, 25 % au moins étaient
une pure illusion créée par les méthodes comptables traditionnelles (32).
La S.E.C. peut-elle rester indifférente ?
Plus encore que son conservatisme, on reproche à la S.E.C. de ne pas
avoir joué le rôle qui lui était imparti dans l'établissement des comptes,
clé de vôute de l'information du public. Alors que le législateur lui confie
tout pouvoir pour établir les méthodes comptables, la S.E.C. préfère
déléguer aux professionnels du secteur privé son autorité. Est-il souhaitable,
cependant, qu'un organisme privé, essentiellement composé d'experts-
comptables, soit chargé de déterminer l'étendue des informations
financières à publier lorsque celles-ci doivent être certifiées par ses confrères aux
frais des sociétés (33) ? Il est douteux qu'un organisme privé bénéficie
d'une légitimité suffisante pour opérer, à travers la réglementation des
normes comptables, une redistribution potentielle des richesses (34).
Le retrait de la S.E.C. n'est probablement pas sans lien avec les trois
grandes déficiences du système comptable américain (35) : le foisonnement
de principes généraux de comptabilité très « flexibles » en l'absence d'une
procédure d'adoption rigoureuse ; la liberté laissée aux sociétés de choisir
les principes « les plus appropriés », tandis que le pouvoir de certification
des experts-comptables est interprété de façon restrictive ; enfin, l'absence
d'indépendance réelle des experts-comptables soumis au pressions des
dirigeants des sociétés (36).
Rendue responsable des manipulations de chiffres qui ont conduit aux
faillites spectaculaires de grosses sociétés comme la Penn Central dans les
années 70 (37), la profession des experts-comptables est soumise à un
contrôle plus strict du juge et du législateur. La S.E.C, quant à elle,
continue d'avaliser le droit comptable qu'élabore les professionnels, mais
n'hésite pas à se retourner contre eux dès qu'il se révèle insuffisant. Cette
position ambiguë ne cache-t-elle pas une part de responsabilité dans les
échecs du système comptable américain ?
Au nom de la protection des épargnants, la S.E.C. a limité sa politique
d'information à des faits essentiellement pessimistes, concernant le passé
et objectivement vérifiables. Son absence dans l'élaboration d'un système
comptable cohérent confirme qu'elle a négligé d'évaluer sa politique
d'information en termes d'utilité pour une prise de décision d'investissement.
(40) BEAVER, The Nature of Mandated Disclosure, ch. XX, note 41.
(41) Report of the Advisory Comittee on Corporate Disclosure to the S.E.C., 3 nov.
1977 ; 95e Congress, 1st session. Committee Print 95.29.
(42) MANNE, Insider Trading and the Stock Market, 1966 ; HELLER « Chiarella,
S.E.C. Rule 14e. 3 and Dirks : Fairness versus Economic Theory », 37 Bus. Law. 517 (1982).
(43) FAMA, « The Behavior of Stock Market Prices », J. of Business, jan. 1965 ;
BENSTON, « An Appraisal of the Costs and Benefits of Government Required Disclosures :
S.E.C. and F.T.C. Requirements », 41 Law & Contemp. Prob. 30 (1977).
(44) SOMMER, « Book Review : The S.E.C. and Corporate Disclosure : Regulation
in Search of a Purpose by Homer Kripke », 93 Harv. L.R. 1595 (1980).
(45) A panel discussion : « Corporate Responsability in the Financial Accounting and
Disclosure Areas. Who Makes and Who Implements the Rules ? », 34 Bus. Law. (1979).
(46) V. note (20).
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(65) KRIPKE, « Has the S.E.C. Taken All of the Dead Wood out of its Disclosure
System ? », 39 Bus. Law. 833 (1983).
M.-D. LEIBLER : INFORMATION DES ACTIONNAIRES AUX U.S.A. 539
(66) Safe Harbor Rule for Projections, Securities Act. Release n° 6084 du 25 juin 1979.
(67) Fin. Analyst Jnal. sept.-oct. 1981.
(68) Pour une critique, DOPUCH & SUNDER, « FASB's Statements on Objectives
and Elements of Financial Accounting A. Review », 2 The Accounting Rev. L. V. n° 1,
janv. 1980.
:
540 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARE 3-1984