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Revue numismatique

La thésaurisation de l’or en France depuis 1914 : d’une


thésaurisation monétaire à une thésaurisation refuge
Thi Hong Van Hoang

Citer ce document / Cite this document :

Van Hoang Thi Hong. La thésaurisation de l’or en France depuis 1914 : d’une thésaurisation monétaire à une
thésaurisation refuge. In: Revue numismatique, 6e série - Tome 168, année 2012 pp. 119-134 ;

doi : 10.3406/numi.2012.3176

http://www.persee.fr/doc/numi_0484-8942_2012_num_6_168_3176

Document généré le 26/01/2017


Résumé
L’objectif de cet article est d’étudier l’évolution de la thésaurisation de l’or par les Français et la
Banque de France depuis 1914. Cette date marque le début du déclin de l’étalon-or en France.
Nous constatons que malgré sa démonétisation définitive en 1978, l’or continue à être thésaurisé
en France. En 1914, la quantité d’or thésaurisé par les Français est d’environ 1 600 tonnes.
Aujourd’hui, elle est estimée entre 3 000 et 5 000 tonnes. Quant à la Banque de France, son
encaisse or passe de 1 030 tonnes en 1914 à 2 435 tonnes en 2010. Ceci montre que de nos
jours, l’or est toujours considéré comme une valeur réelle et tangible. Il représente un placement
refuge pour les épargnants.

Abstract
This paper considers the evolution of gold hoarding in France since 1914, both by individuals and
by the Banque de France. The start date was chosen because it marks the beginning of the end of
the Gold Standard in France. We note that despite its definitive demonetization in 1978, gold
continues to be hoarded in France. In 1914, the amount of gold hoarded by French individuals was
roughly 1 600 tons. Nowadays, it is estimated at between 3 000 and 5 000 tons. As for the Banque
de France, its gold reserve increased from 1 030 tons in 1914 to 2 435 tons in 2010. This shows
that gold is still considered a real and tangible asset nowadays. It represents a safe haven
investment for savers.
Thi Hong Van Hoang*

La thésaurisation de l’or en France depuis 1914 :


d’une thésaurisation monétaire à une thésaurisation refuge1

Résumé − L’objectif de cet article est d’étudier l’évolution de la thésaurisation de l’or par les
Français et la Banque de France depuis 1914. Cette date marque le début du déclin de l’étalon-or
en France. Nous constatons que malgré sa démonétisation définitive en 1978, l’or continue à être
thésaurisé en France. En 1914, la quantité d’or thésaurisé par les Français est d’environ 1 600
tonnes. Aujourd’hui, elle est estimée entre 3 000 et 5 000 tonnes. Quant à la Banque de France,
son encaisse or passe de 1 030 tonnes en 1914 à 2 435 tonnes en 2010. Ceci montre que de nos
jours, l’or est toujours considéré comme une valeur réelle et tangible. Il représente un placement
refuge pour les épargnants.

Mots clés − Or, thésaurisation, démonétisation, valeur refuge.

Summary − This paper considers the evolution of gold hoarding in France since 1914, both by
individuals and by the Banque de France. The start date was chosen because it marks the begin-
ning of the end of the Gold Standard in France. We note that despite its definitive demonetization
in 1978, gold continues to be hoarded in France. In 1914, the amount of gold hoarded by French
individuals was roughly 1 600 tons. Nowadays, it is estimated at between 3 000 and 5 000 tons.
As for the Banque de France, its gold reserve increased from 1 030 tons in 1914 to 2 435 tons
in 2010. This shows that gold is still considered a real and tangible asset nowadays. It represents
a safe haven investment for savers.

Keywords − Gold, hoarding, demonetization, safe haven.

Introduction

Depuis sa découverte (vers 4000 ans avant Jésus Christ)2, l’or ne cesse
d’être un métal important dans la vie des hommes. Pendant plusieurs siècles,

* Professeur assistant en Finance au Groupe Sup de Co Montpellier Business School,


Montpellier Recherche en Management, 2300 avenue des Moulins, 34185 Montpellier.
Courriel : thv.hoang@supco-montpellier.fr.
1. Je tiens à remercier le professeur Georges Gallais-Hamonno (Université d’Orléans) pour
son constant soutien et ses précieux conseils. Je remercie également le professeur Olivier Picard
(Université Paris-Sorbonne), madame Frédérique Duyrat (Bibliothèque nationale de France) et
monsieur Arnaud Suspène (Université d’Orléans) pour leurs précieuses remarques lors du sémi-
naire « Amasser. Thésaurisation et chasse au trésor de l’Antiquité à nos jours » tenu le 2 avril
2010 à l’Université d’Orléans. Je remercie également les membres du service des Archives de la
Banque de France pour leur aide durant mes recherches de documents historiques depuis 2007.
2. Sédillot 1972. Cependant, il existe d’autres sources indiquant des dates différentes. Dans
le domaine archéologique, il est en effet difficile de déterminer les dates avec certitude. Je tiens
à remercier le professeur Olivier Picard pour avoir attiré mon attention sur ce point lors du
séminaire précité.

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il a joué le rôle de monnaie. Il était, et est encore, une des indications impor-
tantes de la situation financière d’un pays. Ses ressources limitées font de lui un
métal rare, précieux et très recherché.
De nos jours, l’or est considéré soit comme un métal, une matière première,
soit comme un actif financier représentant une valeur refuge, une valeur de
réserve et un facteur de diversification de portefeuille (cf. Hoang 2010). Il peut
être librement échangé partout dans le monde sans aucune contrainte monétaire.
Ce qui n’a pas toujours été le cas puisque l’or n’a été réellement libéré de son
rôle monétaire qu’à partir du 1er avril 1978 quand le régime de change fixe de
Bretton-Woods3 a été officiellement dissous.
En France, l’or commence à se détacher de son rôle monétaire à partir de
1914, à la veille de la Première Guerre Mondiale. Avant cette date, et notam-
ment depuis 1803, l’or jouait un rôle central dans le système monétaire français
puisque le franc, nommé germinal, était défini par un poids d’or et d’argent4.
De 1914 à 1948, l’or fait l’objet de plusieurs restrictions telles que l’interdiction
d’exporter de l’or en 1915, l’interdiction d’échanger de l’or au-dessus du cours
légal en 1916, l’interdiction de la refonte des pièces d’or en 1919, la réquisition
de l’or par l’État en 1936, et finalement l’interdiction de la détention, du
commerce, de l’importation et de l’exportation en 1939...5 Face à ces restrictions,
le commerce clandestin de l’or commence à s’organiser en 1940 pour devenir
un véritable marché parallèle à partir de 1941 à Paris. Ce dernier traverse la
Deuxième Guerre Mondiale et subsiste jusqu’en 1948 quand René Mayer,
Ministre des Finances de 1947 à 1948, décide de libérer la détention et le
commerce de l’or en France6. Un marché officiel de l’or est ainsi ouvert à la
Bourse de Paris le 19 février 1948. Il est organisé et réglementé par la Chambre
Syndicale des Agents de Change. Après 56 ans d’existence, ce marché est fermé
en juillet 2004 pour laisser place à un marché de gré à gré où le prix d’équilibre
est déterminé par la Compagnie Parisienne de Réescompte7.

3. Le régime de change fixe de Bretton-Woods est créé en 1944 au lendemain de la Deuxième


Guerre Mondiale dans le but de stabiliser le système monétaire international. L’or a un rôle central
dans ce système car il est l’intermédiaire des échanges internationaux et est équivalent au dollar
américain à un taux fixe de 1 once = 35 $ (1 once = 31,10348 grammes). De même, les réserves
monétaires des pays membres du Fonds Monétaire International doivent être constituées d’or et
de dollars américains. Par ailleurs, chaque pays doit déterminer la parité de sa monnaie par rapport
à l’or et au dollar américain. Le système ainsi défini s’appelle l’étalon de change dollar-or. Pour
plus de détails, voir Sédillot 1953, Wood 1998, Du Bois 2005.
4. Sur l’histoire du franc, voir Neurisse 1967, Sédillot 1979, Chélini 2001.
5. Voir De Litra 1950, Sédillot 1979, Hoang 2010.
6. 1 franc germinal = 4,5 grammes d’argent fin = 0,2903225 grammes d’or fin. Sur le rôle de
René Mayer dans la libération du commerce de l’or en France, voir Caron 1982, Hoang 2010.
7. Sur le marché de l’or à Paris de 1941 à 2009, voir Hoang 2010.

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Dans cette riche histoire de l’or en France, nous nous intéressons particulière-
ment à son aspect « thésauriseur » de 1914 à aujourd’hui. L’année 1914 marque
le début de la démonétisation de l’or en France. Avec le déclenchement de la
Première Guerre Mondiale, la Banque de France a décidé de suspendre le rem-
boursement des billets en pièces d’or qui était l’un des principes fondamentaux
de l’étalon or. Le rôle monétaire de l’or commence ainsi à s’affaiblir en France.
En 1928, pour la première fois, le franc germinal est supprimé officiellement
et remplacé par le franc Poincaré. Ce dernier est de nouveau défini par l’or.
Cependant, l’étalon-or devient l’étalon-or lingot car le remboursement des
billets en or n’est possible qu’à partir d’un montant équivalent à 12,5 kg d’or
(soit 215 000 anciens francs)8. La loi monétaire du 1er octobre 1936 supprime
le franc Poincaré et marque ainsi la fin définitive de l’étalon-or en France.
Cependant, en 1944, l’établissement du système de change fixe de Bretton-
Woods redonne à l’or un rôle central dans le système monétaire international.
Le franc a de nouveau une définition or9. Celle-ci n’est cependant appliquée
que dans le système de paiements internationaux. Le système Bretton-Woods a
rencontré plusieurs difficultés, notamment à partir de 1960 quand le déficit
budgétaire des États-Unis est apparu. La perte de la confiance dans le dollar
américain a pour effet d’augmenter la demande d’or dans le monde et le prix
fixe de 35 $ l’once a du mal à se maintenir. Pour faire face à cette situation,
plusieurs solutions ont été appliquées, notamment la création d’un Pool de l’or
en 1961 et du double marché international de l’or en 196810. Malgré cela, le
système Bretton-Woods s’effondre en novembre 1973 quand le FMI a décidé
de ne plus maintenir le prix officiel de l’or et de le laisser évoluer librement selon
les conditions du marché. Avant cette date, la suppression de la convertibilité
entre l’or et le dollar, le 15 août 1971, décidée de manière unilatérale par les
États-Unis a été un signal fort de la fin du régime de change fixe. De manière
officielle, le système Bretton-Woods prend fin en avril 1978 quand l’Accord
Jamaïque entre en vigueur11.

8. Sur le franc Poincaré, voir Blancheton 1997, Mouré 1998, Soavi 2003.
9. L’évolution de la définition or du franc dans le système de Bretton-Woods est présentée
en Annexe (figure 6).
10. Le Pool de l’or a pour but d’intervenir sur le marché international de l’or en cas de crise
par des programmes de ventes officielles ou de rachat pour maintenir le prix officiel à 35 $ l’once.
Les membres de ce pool sont les Banques Centrales de la Grande-Bretagne, de la France, de la
Belgique, de l’Italie, de la Suisse, de l’Allemagne et des Pays-Bas. Elles mettent en commun
leurs réserves d’or qui sont mobilisables par l’intermédiaire de la Banque d’Angleterre. Le
double marché est composé d’un marché officiel et d’un marché libre. Le marché officiel, réservé
aux autorités, voit le prix fixe de $35 l’once d’or maintenu. Le marché libre, auquel participent
les producteurs, les industriels et les investisseurs privés, voit le prix de l’or évoluer librement en
fonction de l’offre et de la demande. Voir Kissas 1988.
11. L’Accord de la Jamaïque porte sur deux réformes essentielles : légalisation du régime de
change flottant (appliqué dans la pratique depuis novembre 1973) et élimination de l’or du
système des paiements internationaux. L’or cesse d’être le dénominateur commun définissant

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Ainsi, le rôle monétaire de l’or a été complètement supprimé en avril 1978


dans le système monétaire international. En France, l’étalon-or a pris fin en 1936.
Les questions que l’on se pose sont alors : pourquoi est-il toujours thésaurisé
non seulement par les Français mais également par la Banque de France ?
Quelle est la quantité d’or thésaurisé en France ? Quels sont les facteurs qui
peuvent avoir des impacts sur cette quantité ?
Afin de répondre à ces questions, l’article est structuré de la manière suivante.
La première section cherche à comprendre pourquoi l’or est toujours thésaurisé.
La deuxième section analyse l’évolution de la thésaurisation de l’or par les
particuliers en France de 1914 à aujourd’hui. La troisième section est consacrée
à la thésaurisation de l’or par la Banque de France.

I. Pourquoi l’or est-il toujours thésaurisé ?

Avant de répondre à cette question, cherchons tout d’abord à comprendre


quels sont les rôles de l’or dans notre société actuellement.

L’or : un actif financier métallique différent des autres

L’or est avant tout un métal. Il est utilisé dans la bijouterie et cela fait partie
de près de 70 % de la demande mondiale d’or12. L’or est également utilisé dans
l’industrie et dans la médecine. La forte conductivité thermique et électrique de
l’or, sa résistance à la corrosion expliquent pourquoi la moitié de la demande
industrielle résulte de son utilisation dans les composants électriques. L’or est
également utilisé dans le domaine médical grâce à sa biocompatibilité, sa résis-
tance à la corrosion bactérienne. Ces utilisations font partie de près de 10 %
de la demande mondiale d’or. L’or est aussi considéré comme un placement
financier et cela fait partie de 20 % de la demande mondiale de ce métal C’est
dans cette partie de la demande que l’on trouve la composante « thésaurisation ».
En tant qu’actif financier, l’or représente des caractères typiques que n’ont pas
d’autres actifs financiers.
Première particularité, l’or n’a pas d’émetteur. L’actif or ne fait pas partie
du capital social d’une entité émettrice. Ce n’est pas cette dernière qui décide
de la quantité d’or disponible sur le marché. Elle dépend de la quantité que les
mines d’or sont susceptibles de trouver et d’en extraire, de l’or ancien recyclé
et de l’or que vendent les banques centrales. Cette particularité de l’or constitue

les parités officielles des monnaies et les monnaies ne sont plus définies par un poids d’or. Le prix
officiel de l’or est supprimé. Voir Kissas 1988.
12. Source : Conseil Mondial de l’Or (World Gold Council). C’est une organisation anglaise
fondée en 1987 pour but de dynamiser la demande d’or dans le monde en créant une liaison entre
les consommateurs, les investisseurs et les sociétés de mines d’or. Il est en collaboration avec
GFMS Ltd, une compagnie anglaise de consultation en métaux précieux, et avec le FMI pour
fournir des informations sur les marchés de l’or. Site Internet : http://www.gold.org.

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un avantage pour les placements en or dans la mesure où ils ne dépendent pas


de la promesse de paiement d’un émetteur. Ainsi, l’or protège les investisseurs
contre le risque d’insolvabilité.
Deuxième particularité, l’actif or ne procure pas de revenu fixe à ses détenteurs
comme les actions, avec le dividende, ou les obligations, avec le coupon. Ceci
est la conséquence directe de la première particularité : l’or n’a pas d’émetteur.
C’est pour cette raison que les investisseurs ne sont intéressés par les placements
en or que dans un but spéculatif ou thésaurisateur.
Troisième particularité, l’or est également un actif de réserve et de refuge.
L’or est un actif de réserve puisqu’il est très liquide. En cas de besoin, il peut
être échangé très facilement partout dans le monde. Le caractère universel de
l’or constitue un avantage non négligeable des placements en or. Il est une
valeur refuge parce qu’il représente la sécurité. L’or a joué pendant plusieurs
siècles le rôle de monnaie. Bien que ce rôle soit abandonné, l’or garde toujours
l’image d’une valeur sûre et tangible.
Quatrième particularité, l’or est également utilisé comme un instrument de
diversification de portefeuille et de protection de ce dernier contre l’inflation. L’or
est souvent utilisé pour diversifier les portefeuilles boursiers puisqu’il est peu
corrélé avec les autres actifs financiers, notamment avec les actions. De même,
d’après les études anglo-saxonnes13, l’or permet de protéger l’investisseur contre
le risque d’inflation. Quand l’inflation augmente, le prix de l’or augmente et
inversement. Ranson 2005 affirme que le prix de l’or permet de prévoir l’inflation
future mieux que l’indice du prix à la consommation ou que le prix du pétrole.
Cinquième particularité, l’or est « précieux ». Ce qui n’est pas le cas des
autres actifs financiers. L’or est précieux parce qu’il est rare. Les ressources d’or
ne sont pas illimitées. Depuis plusieurs années, la quantité d’or nouvellement
extrait est assez stable (environ 2 500 tonnes par an14). De même, la tendance à
long-terme de la demande d’or est à la hausse. Ce qui peut rassurer les investis-
seurs puisque la tendance à long-terme du prix de l’or est également à la hausse.

Pourquoi l’or est-il toujours thésaurisé ?

Pendant plusieurs siècles, l’or a été une monnaie. Même si ce n’est plus le cas,
l’or reste incontestablement le seul véritable actif monétaire, de par sa valeur
stratégique intrinsèque. Il est toujours considéré comme une valeur réelle, tangible
et surtout très liquide car il peut se transformer en monnaie papier très facile-
ment et ce partout dans le monde. De plus, l’or est commode à mettre à l’abri
et disponible en toutes circonstances. L’épargnant peut le garder purement et
simplement pendant un certain nombre d’années, pour le vendre finalement à
un prix tel que son pouvoir d’achat reste intact.

13. Voir Hoang 2010.


14. Source : Conseil Mondial de l’Or.

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Dans le contexte actuel, l’or est considéré comme un refuge et un actif de


dernier recours qui peut être utilisé en cas de besoin. Il est un refuge contre
l’instabilité monétaire et l’inflation, parfois contre le fisc15, contre l’incertitude
politique, économique ou sociale. Par ailleurs, le phénomène de thésaurisation
de l’or montre le manque de confiance des épargnants vis-à-vis de la monnaie
papier émise par les banques centrales dont la stabilité dépend des décisions
politiques. L’or est l’épargne de précaution par excellence, celle à laquelle on
ne touche qu’en dernier recours dans les périodes très difficiles. Enfin, l’or est
considéré comme un refuge contre l’arbitraire des gouvernements, contre les
mauvaises gestions monétaires, les dévaluations, l’inflation, contre les exigences
fiscales, contre des risques de bouleversements politiques et même d’invasion
étrangère. Il est devenu le refuge traditionnel pour les capitaux en quête de
sécurité ou d’immunité fiscale.
Afin de démontrer le caractère refuge de l’or, le graphique suivant (figure 1)
montre l’évolution du prix de l’or en France avant et après l’arrivée de la crise
financière en août 2007.

500
08/2004-07/2007 : Période avant l'arrivée de la crise financière 08/2007-12/2011 : Crises financières

450 Août 2011 / 455 points


Sept. 2008 / 325 points Baisse de la note de la dette
Adoption du plan d'aide de la américaine à AA+ par S & P
BCE et du FMI à la Grèce
400

350
Sept. 2008 / 112 points
Faillite de Lehman Brothers
300
Lingot
L'OR
361 points
250

200
Napoléon
L'OR ET CAC 40
412 points

150

100
CAC 40

50 CAC 40
88 points

0
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Lingot Napoléon CAC 40

Source : les valeurs de l’indice CAC 40 sont disponibles sur le site Internet de l’Euronext. Les cours de l’or sont disponibles
sur le site Internet de la Banque de France. Le graphique est réalisé par l’auteur.

Figure 1 - Évolution mensuelle des indices des cours du lingot, de la pièce Napoléon à Paris et
de l’indice CAC 40 d’août 2004 à décembre 2011 (base de 100 en août 2004).

15. Ce point est discuté plus en détails dans la section suivante.

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Sur le graphique précédent, l’aspect « valeur refuge » de l’or est très bien
illustré. Avant l’arrivée de la crise des subprimes des États-Unis, en août 2007,
le prix de l’or (lingot d’un kilogramme et pièce Napoléon) et l’indice des actions
CAC 40 évoluent dans le même sens. Le coefficient de corrélation entre l’or et
les actions est de près 0,1 durant cette période. Pendant la crise financière
des subprimes (2007-2009) et pendant la crise de la dette publique européenne
(2010-…), cette tendance s’inverse. Pendant que l’indice des actions baisse de
manière continue (- 44 % entre août 2007 et décembre 2011), le prix de l’or
augmente et atteint son niveau record en août 2011 (40 000 euros pour le lingot
et 240 euros pour le Napoléon) alors que la baisse de la note de la dette améri-
caine a été annoncée par l’agence Standards and Poors. La corrélation entre
l’or et les actions devient négative à - 0,4. Cette forte montée du prix de l’or
montre que la demande de thésaurisation d’or augmente quand la conjoncture
économique et financière devient menaçante.
La crise des subprimes16 débutant en août 2007 a fait augmenter le prix de
l’or de manière remarquable : le prix de la pièce Napoléon a augmenté de près
de 22 % entre 2008 et 2007 (122 euros contre 100 euros) ; le prix du lingot d’un
kilogramme de près de 10 % (19 800 euros contre 18 200 euros). Cette forte
réaction du prix de l’or devant la crise financière montre bien son rôle de valeur
refuge. Quand le marché des actions est en baisse, le prix de l’or monte. La
méfiance des investisseurs vis-à-vis des actions se traduit par l’augmentation
de la demande des investissements en or, et donc de son prix.

II. Les Français : les premiers thésauriseurs d’or dans le monde17

Dans cette section, nous analysons les aspects suivants de la thésaurisation


d’or en France. Premièrement, nous faisons l’état de la quantité d’or thésaurisé
par les Français de 1914 à aujourd’hui. Deuxièmement, nous essayons de
comprendre des motivations de cette thésaurisation.

De 3 000 à 5 000 tonnes d’or dans le « bas de laine » des Français18

Historiquement, les Français sont classés premiers en termes de quantité d’or


thésaurisé. Ils possèdent plus d’or que tous les autres pays européens réunis
(selon le World Currency Report (WRC), 1963)19 et un quart de la quantité
totale d’or thésaurisé dans le monde (WCR, 1964, 1967). Les Français sont
les champions du monde de la thésaurisation en or (selon l’Agence Française

16. Sur la crise des subprimes, voir Artus et al. 2008.


17. Selon la revue « Actualité Économique » du 9 septembre 1969.
18. Source : Les Échos, 3 août 2004.
19. Source : Archives de la Banque de France, boîte no 1467200501/78.

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de Presse, le 23 février 1976). Selon la même source, l’encaisse or de la Banque


de France est inférieure à la quantité d’or détenue par les Français20.
Ces quelques commentaires de la presse dans les années 70 conduisent aux
remarques suivantes. D’une part, il est incontestable d’admettre que les Français
sont connus comme de grands thésauriseurs d’or dans le monde. D’autre part,
la thésaurisation d’or était un sujet important dans les débats monétaires des
années 60 et 70. Rappelons que durant la période de Bretton-Woods (1944-1978),
l’or détenu par le public est considéré comme de l’or « perdu » pour les réserves
monétaires des banques centrales.
La figure 2 rassemble des chiffres illustrant l’importance du stock d’or détenu
par les Français.21. À travers ces chiffres, nous constatons que dans tous les cas,
la quantité d’or thésaurisé par les Français dépasse celle des autres pays
d’Europe réunis, de l’Asie, de l’Afrique, de l’hémisphère occidental et du reste
du monde. Elle occupe entre 20 % et 37 % du stock d’or privé total dans le monde.
Sa valeur varie entre 3,7 milliards $ (en 1955) et 5,2 milliards $ (en 1976).
Dans le même temps, nous constatons que la quantité totale d’or thésaurisé dans
le monde augmente. De 11,1 milliards $ en 1951, elle atteint les 25,9 milliards $
en 1976.

1951 1955 1962 1963 1964 1966 1967 1976

France 4,1 3,7 4,1 4,2 4,2 4,55 4,6 5,2

% par rapport au total 37 % 33 % 27 % 26 % 25 % 25 % 23 % 20 %

Autres pays d’Europe 2,0 2,7 3,0 3,2 3,8

Asie 1,8 3,3 3,5 3,7 4,3

Afrique 1,8 1,7 1,8 1,8 2,1

Hémisphère occidental 0,8 2,5 2,5 2,8 3,4

Divers 0,6 1,0 1,1 1,1 1,5

Total 11,1 11,4 15,3 16,1 16,8 18,6 19,7 25,9

NB : « % par rapport au total » signifie la proportion de l’or thésaurisé en France par rapport à la quantité totale d’or
thésaurisé dans le monde.
Figure 2 - L’or thésaurisé en France et dans le monde
(en milliards de dollars22, avec 1 once = 35 $).

20. Les chiffres en détail sont analysés dans la deuxième partie de cette section.
21. Source : Archives de la Banque de France, boîte no 1467200501/78. La Banque de France
a extrait ces chiffres des Pick’s World Currency Reports.
22. Pendant la période du régime de change de Bretton-Woods, l’unité monétaire internationale
la plus utilisée est le dollar américain. C’est cette unité qui est utilisée pour exprimer la quantité
d’or thésaurisé dans les Pick’s World Currency Reports.

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La thésaurisation de l’or en France depuis 1914 127

Pourquoi les Français thésaurisent-ils autant d’or ? Dans plusieurs études


réalisées par la Banque de France23, différents motifs sont énoncés. Traditionnelle-
ment, les Français sont très sensibles à tout ce qui touche leur « bas de laine »
secret. Pour beaucoup d’entre eux, posséder de l’or, c’est pouvoir échapper aux
impôts24, disposer d’un trésor à l’abris de toute atteinte. De même, les carac-
tères individualistes, soucieux d’épargner et attachés aux biens réels renforcent
le besoin de thésauriser pour se protéger des jours difficiles.

Le besoin de thésaurisation de l’or ne revête cependant pas un caractère


permanent. C’est un phénomène qui se déclenche de préférence lorsque les évé-
nements semblent menaçants. Toutefois, le gonflement anormal de la demande
en période de crise est rarement suivi d’un mouvement inverse de même
ampleur et ne peut être imputé à des préoccupations exclusivement spéculatives.
C’est ce que montrent dans le graphique et le tableau qui suivent (figures 3 et 4).

4500
1973
Dissolution du double marché
4000 1960 - 1969
Crise du dollar
1951-1958
3500 Inflation du franc

3000
1971
Fin de la convertibilité entre l'or
2500 et le dollar

2000
1968
1981
Création du double marché
1952 Élection de François Mitterrand
Stabilisation Pinay
1500

1000 1961
Création du Pool de l'or

500
51

53

55

57

59

61

63

65

67

69

71

73

75

77

79

81

83

85

87

89

91

93

95

97

99
19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

Source : Archives de la Banque de France, boîtes nos 1467200501/78, 1467200501/92, 1495200501/270, et Conseil Mondial
de l’Or.

Figure 3 - L’évolution de la quantité estimée d’or thésaurisé par les Français,


de 1951 à 2000 (en tonnes).

23. Source : Archives Banque de France, boîte no 1467200501/78. Il s’agit des études réalisées
par la Direction Générale des Services Étrangers (DGSE).
24. C’était le cas jusqu’en 1977 quand une taxe forfaitaire de 4 % sur les ventes d’or est
entrée en vigueur. Actuellement, ce taux est de 8 %.

RN 2012, p. 119-134
128 Thi Hong Van Hoang

Année Estimations (tonnes) Source


1914 1600 De Litra 1950

1919 900 De Litra 1950

1932 412 BDF


1936 812 De Litra 1950
1939 2320 BDF
Actuellement Entre 3 000 et 5 000 Les Échos

Figure 4 - La quantité estimée d’or thésaurisé par les Français


en 1914, 1932, de 1933 à 1936 et en 1939.

Sur la figure 3, nous voyons les estimations de la quantité d’or thésaurisé


par les Français de 1951 à 1981 et de 1993 à 2000. De 1914 à 1950 et de 2001
à 2011, nous n’avons trouvé des données que pour certaines années et non pas
sur la période complète. Ces données sont présentées dans la figure 4.
Avant de procéder à l’analyse des figures 3 et 4, il est important de souligner
qu’il est très difficile de mesurer avec exactitude la quantité d’or thésaurisé par
les particuliers. Il ne s’agit ici que d’estimations, soit des calculs de la Banque
de France à partir de 1951 avec les données fournies par la Bourse de Paris, soit
du Conseil Mondial de l’Or pour la période 1993 à 2000. Nous n’avons pas trouvé
de données pour la période 1982 à 1992. À partir de 2001, les seuls chiffres que
nous avons trouvés viennent d’un article dans Les Échos en 2004 estimant qu’il
y a entre 3 000 et 5 000 tonnes d’or entre les mains des Français.
En 1914, à la veille de la Première Guerre Mondiale, la quantité d’or thésaurisé
par les Français était d’environ 1 600 tonnes (voir figure 4). Cette thésaurisation
était purement monétaire car l’étalon-or restait encore très présent (cf. Intro-
duction). À la fin de la Première Guerre Mondiale, la thésaurisation d’or diminue
pour atteindre le niveau de 900 tonnes. Cette baisse est en partie la cause, de
l’appel au patriotisme de l’état en 1915 pour financer la guerre. Cet appel
demande aux citoyens français de porter leur or aux guichets de l’Institut
d’émission. En échange de cet or, ils reçoivent des billets ou des bons de la
Défense Nationale ou des certificats. Les ventes d’or du public pendant la
Première Guerre Mondiale atteignent le niveau de 2,5 milliards de francs
germinal, soit près de 725 tonnes25. En 1932, la quantité d’or thésaurisé par les
Français diminue de manière significative et est estimée à 412 tonnes seule-
ment. À la suppression du franc Poincaré en 1936, cette quantité augmente pour
atteindre 812 tonnes environ. À l’arrivée de la Deuxième Guerre Mondiale en
1939, la quantité d’or thésaurisé par les Français est estimée à 2 320 tonnes
malgré l’interdiction de la détention et du commerce de l’or.

25. Source : De Litra 1950.

RN 2012, p. 119-134
La thésaurisation de l’or en France depuis 1914 129

Entre 1951 et 2000, la quantité estimée d’or thésaurisé par les Français se
situe entre 3 000 et 4 000 tonnes. Ces quantités sont donc bien plus élevées
qu’avant la Deuxième Guerre Mondiale. Elles restent assez stable et comme
nous l’avons souligné ci-dessus, il est rare de voir qu’un mouvement de hausse
soit suivi par un mouvement de baisse d’une même ampleur. Entre 1951 et 1969,
la quantité estimée d’or thésaurisé est en hausse continue. De 3 000 tonnes en
1951, elle passe à 3 800 tonnes en 1969. Depuis, cette quantité est restée stable
jusque dans les années 2000.
Entre 1951 et 1958, le manque de confiance en la monnaie papier, dû à la
hausse de l’inflation après la Deuxième Guerre Mondiale, a été le principal
motif de la hausse continue de la thésaurisation de l’or. L’indice des prix à la
consommation (IPC) est de près de 136 points en décembre 1951 (avec une base de
100 en décembre 1949). Il atteint le niveau de 170 points en décembre 1958,
soit une hausse de 25 % en 8 ans26. En 1958, l’émission du deuxième emprunt
Pinay27 indexé sur le prix de la pièce Napoléon a participé à réduire la quantité
d’or thésaurisé de 105 tonnes par rapport à 1957 (3 126 contre 3 231 tonnes).
Cette baisse est liée au fait que les particuliers possédant de l’or, notamment
des pièces Napoléon, en vendent pour acheter les obligations d’État indexées
sur le prix de cette pièce. En effet, le nombre de pièces Napoléon achetées par
le Fonds de Stabilisation des Changes (FSC)28 en 1958 a connu une forte
augmentation par rapport à 1957 (6 500 000 pièces contre 300 000 pièces).
En 1960, on commence à voir apparaître le déficit dans la balance des paiements
des États-Unis, le pays qui tient le rôle central dans le système de Bretton-
Woods. La méfiance vis-à-vis du dollar américain a pour effet d’augmenter la
demande d’or qui était considéré comme son équivalent sous Bretton-Woods.
Parallèlement à la demande de thésaurisation d’or en raison de la méfiance
monétaire, se développe également une demande spéculative des investisseurs
cherchant à profiter de la hausse du prix de l’or exprimé en dollars pour réaliser
des bénéfices. En 1960, la quantité estimée de l’or thésaurisé en France est de près
de 3 169 tonnes, soit une hausse de près de 6 % par rapport à 1951. Durant la
crise du dollar, cette quantité est en hausse constante pour atteindre 3 789 tonnes
en 1969, soit une augmentation de 620 tonnes en 9 ans. Après 1969, la quantité
d’or thésaurisé se stabilise autour de 3 700 tonnes jusqu’en 2000. Cette stabilité
intervient après la démonétisation progressive de l’or, notamment à partir de

26. Source : Insee.


27. Sur les emprunts d’État indexés sur l’or (Pinay 1952 et 1958, et Giscard 1973), voir
Hoang 2010.
28. Le FSC est créé en 1936 et a pour mission de régulariser les rapports entre le franc, les devises
étrangères et l’or. Il est géré par la Banque de France pour le compte et sous la responsabilité du
Trésor public. Il effectue notamment des opérations d’achat et de vente d’or sur le marché de l’or
à la Bourse de Paris dans le but de stabiliser le prix de l’or en France. Ses interventions étaient
très actives entre 1948 et 1960, se réduisent entre 1961 et 1969 et cessent complètent à partir de
1970. Pour plus de détails, voir Hoang 2010.

RN 2012, p. 119-134
130 Thi Hong Van Hoang

1971 quand les États-Unis ont décidé de suspendre toute convertibilité entre
l’or et le dollar. Ceci n’entraîne cependant pas une baisse significative de la
quantité d’or thésaurisé en France. Cela signifie que malgré sa démonétisation
définitive au niveau mondial, l’or est toujours considéré comme un actif quasi-
monétaire qui peut se transformer en argent liquide très facilement en cas de
besoin.
Pour la période 2001 à 2011, nous n’avons pas trouvé de données sur la
quantité d’or thésaurisé par les particuliers en France. À la fermeture du marché
de l’or à la Bourse de Paris en 2004, l’article de Prandi dans le journal
Les Échos du 3 août 2004 fait état du stock d’or privé en France variant entre
3 000 et 5 000 tonnes.
Quant à la composition de l’or thésaurisé, selon une étude de la Banque de
France publiée en 1962, les proportions sont de 2 300 tonnes pour les pièces
françaises (78 %), 200 tonnes pour les pièces étrangères (7 %) et 450 tonnes en
barres et lingots (15 %). Dans la revue Le Creuset du 8 novembre 1975, il est
mentionné que parmi les 3 500 tonnes d’or thésaurisées, il y a 2 500 tonnes de
pièces françaises et étrangères (71 %) et 1 000 tonnes en barres et lingots (29 %).
Selon l’Agence Française de Presse le 23 février 1976, une fois les pièces d’or
thésaurisées, elles ne « sortent » pratiquement plus ; tandis que les barres et les
lingots ont une rotation plus importante. Selon la même source, les transactions
annuelles des pièces françaises ne représentent qu’environ 1 % du stock détenu
par le public. Ce qui veut dire qu’il faut un siècle pour que ce stock de pièces
françaises « change de mains » complètement !

III. L’or thésaurisé par la Banque de France : un actif de dernier ressort

Dans les relations monétaires internationales, l’or n’a plus aucun rôle depuis
l’adoption par le Fonds Monétaire International (FMI) du second amendement
de 1978 (article IV). Celui-ci a mis fin au système de change fixe de Bretton-
Woods où les monnaies des pays membres du FMI doivent être définies par
l’or, où les réserves monétaires de ces banques centrales doivent contenir une
quantité minimale d’or et où les échanges entre les banques centrales doivent
respecter le prix de l’or fixé à une once égale à 35 $. À partir de 1978, plus
aucune monnaie n’est définie par rapport à l’or. Alors pourquoi les banques
centrales, y compris la Banque de France, continuent-elles de conserver de l’or
dans leurs réserves ? D’une part, l’or reste l’instrument de réserves en dernier
recours. Il peut être revendu facilement en cas de besoin et ce partout dans le
monde. D’autre part, la crédibilité de la Banque Centrale concernée dépend
aussi de l’état de son stock d’or. Les réserves or restent une garantie de solva-
bilité d’un pays et contribuent le cas échéant à la qualité de sa signature.
La figure 5 présente l’évolution de l’encaisse or de la Banque de France de
1914 à 2010.

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La thésaurisation de l’or en France depuis 1914 131

5000

1968-1973
4000 Double marché

2007-2010
Crise financière

3000
1961-1967
Pool de l'or
1939-1945
2e Guerre Mondiale
2000 1928-1936
Franc Poincaré 1999
Accord des banques
1978 centrales sur les ventes d'or
Fin officielle de Bretton-Woods
1000
1914-1919
1re Guerre Mondiale

0
1914
1916
1918
1920
1922
1924
1926
1928
1930
1932
1934
1936
1938
1940
1942
1944
1946
1948
1950
1952
1954
1956
1958
1960
1962
1964
1966
1968
1970
1972
1974
1976
1978
1980
1982
1984
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010
Source : Archives de la Banque de France (boîte n° 1495200501/270) et site Internet du Conseil Mondial de l’Or.

Figure 5 - Évolution des réserves or de la Banque de France de 1914 à 2010 (en tonnes).

À travers la figure 5, nous voyons que le niveau de l’encaisse or de la Banque


de France est très variable entre 1914 et 1978 (entre 1 226 tonnes en 1914 et
3 172 tonnes en 1978). Le niveau maximal est atteint en 1932 à 4 961 tonnes,
pendant la période du franc Poincaré. De 1978 à 1997, après la dissolution défi-
nitive de Bretton-Woods, son niveau reste très stable à 2 500 tonnes. En 1998,
ce niveau passe à 3 200 tonnes pour ensuite avoir une baisse continue et atteint
un niveau de près de 2 500 tonnes en 2010. Comment peut-on expliquer cette
évolution ?
En 1915, l’appel du Gouvernement aux Français à apporter leur or à la Banque
de France a porté ses fruits car son encaisse or passe à près de 1 500 tonnes en
1915, soit environ 500 tonnes de plus qu’en 1914. Ensuite, entre 1915 et 1925,
l’encaisse or de la Banque de France a connu une baisse de 300 tonnes (de
1 500 tonnes à 1 200 tonnes). Celle-ci peut être expliquée par le besoin de capitaux
pour redresser le pays après la Première Guerre Mondiale. En 1932, le stock
d’or de la Banque de France remonte à près de 4 961 tonnes. En effet, pendant
les premières années de la crise financière de 1929, la France a été perçue
comme un « havre de prospérité » quand les impacts de la crise étaient encore
atténués. L’afflux des capitaux en France a entraîné une hausse importante des
réserves or de la Banque de France durant cette période29. En 1935, un an avant
la dissolution du franc Poincaré et la fin définitive de l’étalon-or en France,

29. Jeanneney 2011, p. 193.

RN 2012, p. 119-134
132 Thi Hong Van Hoang

l’encaisse or de la Banque de France se maintient à un niveau très élevé de


près de 3 900 tonnes. En 1936, les conséquences de la crise financière de 1929
plus visibles en France font fuir les capitaux, créant ainsi une baisse importante
de l’encaisse or de la Banque de France à 2 773 tonnes30. Après la Deuxième
Guerre Mondiale, l’encaisse or de la Banque est très faible. Elle est de 1 378
tonnes en 1945, soit une baisse de 1 307 tonnes par rapport à 1939. La raison
principale de celle-ci est l’utilisation de l’or pour financer la Guerre. En 1948,
la situation économique difficile de l’après-guerre ramène le stock d’or à un
niveau très bas de 487 tonnes. Par la suite, en étant un pays membre de l’Accord
de Bretton-Woods, la France doit respecter le niveau de réserves or imposé par
celui-ci. C’est pour cette raison que l’encaisse or de la Banque de France est en
constante augmentation tant que dure cet Accord. En 1948, elle est de 487 tonnes ;
en 1978, elle est de 3 172 tonnes (soit une hausse de près de 551 %). En 1961,
la création du Pool de l’or (cf. Introduction) a pour effet d’augmenter l’encaisse
or des Banques Centrales membres. Quant à la France, son niveau maximal est
atteint en 1966, à 4 654 tonnes, juste avant qu’elle décide de se retirer de ce
Pool31. Cet événement, ainsi que la création du double marché en 1968, ont
pour effet de réduire la quantité d’or thésaurisé par la Banque de France. Entre
1968 et 2010, elle est en baisse continue (de 3 445 tonnes en 1968 à 2 500 tonnes
en 2010). La fin officielle de Bretton-Woods en 1978 renforce encore cette
tendance. En 1999, la mise en œuvre de l’Accord entre les Banques Centrales
des quinze pays plus grands détenteurs d’or32 a pour effet d’augmenter l’en-
caisse or de la Banque de France à 3 024 tonnes en 2009, au lieu de 2 500 tonnes
depuis 1979. En 2010, la Banque détient 2 435 tonnes dans son stock.

Conclusion

Malgré une quantité importante d’or thésaurisé en France, cette forme


d’épargne est considérée comme un frein au développement économique. L’or
thésaurisé est perçu comme une ressource « morte » car il n’est pas productif
et ne participe pas au financement de l’économie. À plusieurs reprises, les
responsables politiques ont tenté de résoudre ce problème en cherchant à sortir
l’or des « bas de laine » des Français. C’est le cas des emprunts Pinay en 1952

30. Jeanneney 2011, p. 195.


31. Devant les difficultés du Pool de l’or à intervenir sur le marché international, la France
a décidé de s’en retirer à la fin de l’année 1967.
32. Cet Accord, nommé CBGA, Central Bank Gold Agreement, est renouvelable tous les
5 ans et a pour objectif de stabiliser la quantité des ventes d’or des 15 pays grands détenteurs d’or
(Italie, France, Portugal, Suisse, Belgique, Luxembourg, Allemagne, Espagne, Angleterre,
Autriche, Finlande, Hollande, Irlande, Suède et la Banque Centrale Européenne). Dans l’Accord
de 1999, la quantité maximale effectuée par an est fixée à 400 tonnes. Dans l’Accord de 2004,
cette quantité est fixée à 500 tonnes. Dans l’Accord de 2009, elle est de 400 tonnes. Pour plus de
détails, voir Hoang 2010.

RN 2012, p. 119-134
La thésaurisation de l’or en France depuis 1914 133

et 1958 qui sont indexés sur le prix de la pièce Napoléon. Un des objectifs de
ces deux emprunts a été d’inciter les épargnants à vendre leurs pièces d’or pour
investir dans ces obligations d’État. À la fin des années soixante et au début des
années soixante-dix, Valéry Giscard d’Estaing (Ministre de l’économie et des
finances de 1969 à 1974) a de nouveau souligné les conséquences de la thésau-
risation d’or pour l’économie française33. Afin de sortir l’or de ses « cachettes »
et le transformer en épargne productive, un nouvel emprunt d’État indexé sur
l’or a été émis en 1973 sous l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing. Il est, cette
fois, indexé sur le prix du lingot d’un kilogramme. Malgré ces mesures,
la proportion de l’or sorti reste infime par rapport à la quantité d’or thésaurisé34.
Ces deux exemples montrent à quel point les Français sont attachés à l’or et à
la thésaurisation.

Annexe

Dates Définition du franc en milligrammes d’or

à 900/1000 fin

26 décembre 1945 8,29 7,46

16 août 1950 2,80 2,52

24 juillet 1958 2,35 2,115

27 décembre 1958 2,00 1,80

1 janvier 1960
er
200,00 180,00

8 août 1969 177,77 160,00

Source : Sédillot 1979, p. 291


Figure 6 - L’évolution de la définition or du franc
dans le système de Bretton-Woods (1944-1978).

Bibliographie

Artus et alii 2008 : P. Artus, J.-P. Betbèze, C. Boissieu, G. Capelle Blancard,


La crise des subprimes, Paris, 2008.
Blancheton 1997 : B. Blancheton, La stabilisation Poincaré est-elle à l’origine
d’une récession ? Les malentendus d’une controverse, Histoire, Économie
et Société, 4, 1997, p. 709-741.
Caron 1982 : F. Caron, Le plan Mayer : un retour aux réalités : trois personnalités
de l’après-guerre face à l’action (1945-1946), Histoire, Économie et Société,
3 (1), 1982, p. 423-437.

33. Source : La revue Actualité Économique, le 9 septembre 1969.


34. Voir Hoang 2010.

RN 2012, p. 119-134
134 Thi Hong Van Hoang

Chelini 2001 : M.-P. Chelini, Histoire du franc français au XXe siècle, Paris,
2001.
De Litra 1950 : De Litra, Le marché des monnaies d’or de 1900 à nos jours,
Paris, 1950.
Du Bois 2005 : P. Du Bois, Des accords de Bretton-Woods à l’accord sur
l’Union Européenne des paiements (1944-1950), Relations Internationales,
124, 2005, p. 17-27.
Favier 2005 : J. Favier, 5 décembre 1360 : La naissance du franc, dans D’or et
d’argent, la monnaie en France du Moyen Âge à nos jours, Actes du cycle
de Conférences tenues à Bercy entre le 22 octobre 2001 et le 18 février 2002,
Paris, 2005.
Hoang 2010 : Th. Hoang, Le marché parisien de l’or de 1941 à 2009 : histoire
et finance, Thèse de doctorat, Université d’Orléans, 2010.
Jeanneney 2011 : J.-M. Jeanneney, Monnaies et mécanismes monétaires en
France de 1878 à 1939, Revue de l’OFCE, 24, 2011, p. 121-204.
Kissas 1988 : C. Kissas, Le marché international de l’or, Paris, 1988.
Marchal 1975 : J. Marchal, Le système monétaire international : de Bretton
Woods aux changes flottants, 1944-1975, Paris, 1975.
Moure 1998 : K. Moure, La politique du franc Poincaré, Paris, 1998.
Neurisse 1967 : A. Neurisse, Histoire du franc, Paris, 1967.
Prandi 2004 : M. Prandi, Or : le marché libre de Paris s’achemine vers sa
disparition, Les Échos, 19213, 3 août 2004.
Ranson 2005 : D. Ranson, Why Gold, not Oil, is the Superior Predictor of
Inflation?, Londres, 2005.
Sédillot 1953 : R. Sédillot, Le franc, histoire d’une monnaie des origines à
nos jours, Paris, 1953.
Sédillot 1972 : R. Sédillot (1972), Histoire de l’or, Paris, 1972.
Sédillot 1979 : R. Sédillot (1979), Histoire du franc, Paris, 1979.
Soavi 2003 : J. Soavi, La crise de stabilisation de 1927-1928 en France,
Vingtième Siècle, Revue d’Histoire, 77 (1), 2003, p. 85-93.
Wood 1998 : G. E. Wood, Gold Exchange Standard, dans The New Palgrave
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RN 2012, p. 119-134

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