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THEME : L’ISLAMISATION
DE L’ESPACE PUBLIC AU
TCHAD
S’il est difficile de donner avec précision l’année de la pénétration de l’islam au Tchad,
nous pouvons dire avec les historiens que les premiers contacts entre cette religion et les
peuples du Kanem remontent à la fin du IXè siècle et au début du Xè siècle. Avec le temps,
l’islam s’impose dans les grands royaumes du Kanem-Bornou, du Baguirmi et du Ouaddaï
avant de devenir une religion importante avec laquelle il faut composer aussi bien à l’époque
coloniale qu’avec l’indépendance. Déclaré religion majoritaire au recensement de 1993 et à
celui de 2009, l’islam, depuis l’accession du Tchad à l’indépendance, cherche à faire valoir sa
domination en faisant de l’espace public un cadre d’expression de cette domination. Nous
voulons par là dire qu’en observant la vie socio-politique du Tchad, nous nous rendons
compte des pratiques explicites ou implicites qui font afficher la tendance à l’islamisation
générale au Tchad. Notre travail consistera à relever les indices, clairs ou masqués, de cette
tentation d’imposer dans la sphère publique la religion musulmane. Il sera donc question
d’aspects visibles, d’aspects plus subtils et de tentatives échouées qui dénotent cette réalité
qui va à l’encontre de l’idée de laïcité de la République.
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Constitution de la République du Tchad, Vème République, promulguée le 29 décembre 2023
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guise de dédommagement2 ». Ceci laisse voir qu’une fois construite, il est difficile de détruire
une mosquée, sauf si la cause est le bien des Musulmans. C’est un signe explicite qui participe
à la volonté manifeste de montrer la supériorité de l’islam sur les autres croyances religieuses
dans le pays.
Le pèlerinage à la Mecque fait partie des cinq piliers de l’islam. Chaque année, l’État
tchadien octroie des subventions aux musulmans pour réaliser ce qui constitue pour beaucoup
un rêve pieu. Certes, on pourrait dire que c’est un acte de générosité qui permet à certaines
couches démunies de remplir cette prérogative religieuse. Cependant, l’unilatéralité de cette
faveur doit interpeller : l’État envisage-t-il subventionner les pèlerinages des chrétiens sur les
lieux saints (Jérusalem, Vatican, Lourdes, Fatima…) ? Ou y a-t-il du moins des aides
financières proportionnelles accordées directement aux chrétiens ?
Les chercheurs montrent que la diya est à la croisée de chemin entre la religion et la
tradition. Pourtant, sa pratique dans les zones septentrionales du Tchad laisse voir un désir de
faire primer une loi musulmane étrangère aux autochtones, et de surcroît appliquée de
manière dérisoire, en fonction de la victime et du coupable. C’est ce qui est explicité par un
juriste : « Dans les provinces du Sud du Tchad où la pratique de la diya n'est pas ancrée dans
les mœurs, les abus sont fréquents. Ils sont l’œuvre de responsables qui, au moindre homicide
2
Dar al-Iftaa d’Egypte, « Détruire une mosquée pour construire une boutique », 03 janvier 2016, www.dar-
alifta.org, (consulté le 23 février 2024).
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avec une victime musulmane et un auteur non musulman, s'érigent en juges statuant en
dernier ressort3.» Abstraction faite de la justice positive et des particularités locales, la partie
dominante applique des règles étrangères aux personnes obligées de les subir. Avec ce
procédé, on se croirait dans un pays où les normes musulmanes prennent le dessus sur les lois
de l’État. Et très souvent, ce sont les responsables musulmans représentant légalement la loi
dans leurs zones d’intervention qui sombrent dans le déni de la loi républicaine. Au plan
juridique et politique, cette pratique laisse subsister des doutes sur l’effectivité de la laïcité du
Tchad et du primat du droit positif.
Une attention plus fine à la télévision nationale (Office Nationale des Médias Audio-
visuels) peut faire constater une orientation islamophile de l’image du Tchad. La couverture
médiatique que l’ONAMA assure aux fêtes musulmanes, touchant toutes les régions du Tchad
et avec un temps de reportage conséquent, est loin de celle réservée aux évènements religieux
chrétiens. De même, le pèlerinage à la Mecque est suivi de bout en bout par la télévision
nationale, ce qui n’est pas le cas pour les activités religieuses chrétiennes. Nous savons que
les médias sont les vecteurs de l’image d’un pays, et lorsque le traitement médiatique sur une
chaîne nationale manque d’équilibre au niveau des religions, il est clair que le but est
d’affirmer la supériorité d’une religion sur une autre. Par la même occasion, pour une
personne qui suit la télévision nationale tchadienne sans avoir mis pied au Tchad, ce pays est
clairement un pays musulman en vertu de tout le folklore autour des activités religieuses
musulmanes (la période du pèlerinage à la Mecque consomme un large « Gros plan »).
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sultanat est un concept musulman et « sultan » est un « titre de souverain de divers États
musulmans5 ». Par cet acte, on comprend donc que pour bénéficier de certains avantages, les
autorités traditionnelles du Sud (en grande partie chrétienne et animiste) doivent se couvrir
d’un rang protocolaire issu d’un titre typiquement musulman. Cette colonisation
terminologique est une marque plus ou moins subtile d’imposer les données d’une religion
dans l’espace public.
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arabophones sont majoritairement musulmans, tous les francophones ne sont pas de facto
chrétiens ou animistes, ce qui rend toujours majoritaires les musulmans dans les institutions
publiques. Il y a vraisemblablement une instrumentalisation de la langue à des causes
religieuses.
En 2016, par décret 425 et 426 signés au mois de juin, la ville de Sarh a été érigée en
sultanat et un sultan y fut désigné. Mais c’est en 2018 que les décrets seront appliqués, en
raison de la résistance des populations. Face à la réaction virulente des ressortissants de la
région et des chefs traditionnels unanimes sur le rejet après cette application, le président
Idriss Déby Itno, par décret n° 1670 signé le jeudi 18 octobre 2018, supprima ce sultanat pour
instaurer à sa place une chefferie cantonale urbaine. Mais il n’en demeure pas moins que cette
tentative participe à une islamisation forcée à travers divers procédés. Car nous l’avons dit, le
sultanat fait référence à la religion musulmane. Or Sarh est loin d’être traditionnellement une
contrée musulmane : c’est la plus vaste ville du Sud avec une domination sans appel des
chrétiens et des animistes.
2. Le serment confessionnel
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Lors des consultations au premier Dialogue National Inclusif, une proposition fut
adoptée : tous les candidats aux fonctions publiques doivent prêter serment pour une gestion
honnête. La proposition fut actée par l’ordonnance 013/PR/2018, et le libellé commence
ainsi : « Moi…je jure au nom d’Allah, le Tout-Puissant… ». Le texte a été rédigé par le
Conseil Supérieur des Affaires Islamiques. Le chrétien donc, tout en posant la main gauche
sur la Bible et en levant celle droite, doit jurer « au nom d’Allah ». La séquence virale de
madame Amane Rosine Djibergui ayant refusé la mention « Allah » pour la remplacer par
« Dieu » a fait le tour du monde. Contraindre le chrétien ou l’animiste à jurer au nom d’Allah
est une manière sournoise d’imposer dans la sphère publique une religion dans les fibres
même de la vie de la République. Après un temps de protestation, le serment confessionnal fut
sèchement abandonné avec le deuxième Dialogue National et la Constitution de la IV e
République a opté pour une formule non-confessionnelle. Ce fait est révélateur d’un désir
bien présent dans l’inconscient collectif musulman.
Conclusion
Ce que nous venons d’exposer constitue pour nous des preuves plus au moins explicites
de l’accaparement de l’espace public par une communauté religieuse qui se targue de sa
position dominante au sommet de l’État pour s’octroyer des privilèges et faire de l’État une
entité à l’image de sa religion. Face à ce fait que nul n’ignore, il est impératif de repenser la
notion de laïcité au Tchad, de chercher à réduire et éliminer les traitements discriminatoires et
de poser le socle d’une réelle égalité des personnes et des religions. Il suffit donc de passer de
la lettre à l’effectivité en respectant ce que dit la loi fondamentale. Par ailleurs, il est
nécessaire de respecter les us et coutumes des peuples autochtones dans la prise de décisions
politiques. Les questions du sultanat et de la diya notamment sont étrangères au grand Sud du
Tchad, composé de divers peuples avec des organisations socio-culturelles particulières. C’est
seulement à ce prix qu’on peut envisager une véritable paix sociale, par-delà les discours
politiciens.