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PARTIE 1 : Cultiver la terre - ou comment l’être humain, par son

travail, transforme la nature.

Nature : Ensemble de ce qui existe en dehors de l’activité des sociétés humaines.


- Les êtres humains font partie de la nature.
- On peut dégager des lois (des mécanismes réguliers) qui sont étudiées dans les sciences.
« L'univers m'embarrasse, et je ne puis songer - Que cette horloge existe et n'ait point
d’horloger » (Les Cabales, Voltaire)

Travail : activité par laquelle l’homme transforme la nature, se transforme lui-même et produit une
oeuvre.
- A la fois : l’action (voilà le travail à faire), le résultat (un bon travail !) et le métier (c’est
mon travail, je suis jardinier)
- Souffrance (tripaliare) : sur la nature ? sur la personne (aliénation) ?

Est-il bon que l’être humain transforme la Nature ?


Analyse d’une question type dissertation :
- Est-il bon => Enjeu de la question bien/mal
- pour qui ? Pour l’homme ou pour la nature ?
- Au nom de quoi ? L’homme peut-il faire ce qu’il veut ? Est-il le maître ?
Dieu ? —> droit de la nature ?
- l’être humain transforme => élément n°1
- Changement opéré par l’être humain => cultivation, domestication,
construction/destruction,
- => dans la nature de l’homme de transformer son environnement
- Conséquence négative : domination (hybris)
- Comment : par son travail / technique
- Pourquoi ? Survie ? Plaisir ?
- la Nature => élément n°2 - Notion
- Déf : ce qui existe avant l’action de l’Homme
- Les végétaux, les animaux, la terre, (et même l’Homme lui-même)
- Dimension sacrée de la nature (à respecter => pensées. animistes)

==> (I) Il est nécessaire pour l’homme de transformer la nature pour sa survie.
(II) Cette transformation peut s’avérer excessive pour la nature et l’être humain lui-même
(III) Peut-être faut-il transformer nos lois pour protéger la nature
I. Transformer la Nature : entre domination et destruction
L’être humain transforme sans cesse la nature qui l’entoure, comme s’il en avait le droit,
comme si c’était son droit, sa propriété. Ce n’est que récemment qu’on commence à contester à
grande échelle cette manière de voir la nature comme étant au service de l’homme.

A. Domestication de la nature (+)


*= Vision traditionnelle dans la pensée occidentale. La Nature est vue comme le territoire de
l’être humain, comme son lieu de vie (la nature est extérieure à l’homme). La transformation de la
nature correspond à un processus de domestication : la nature est domestiquée pour devenir un
lieu de vie agréable (domus = maison).

*Cette vision est légitimée par l’argument suivant : c’est une nécessité pour la survie de
l’espèce humaine.
- Repère : nécessaire / contingent
- Nécessaire (la nécessité) : qui ne peut pas ne pas être (ne cesse sum = je ne cède pas)
- Contingent (la contingence) : qui arrive par hasard
En effet, On parle souvent de catastrophe naturelle, la nature apparaît comme une puissance
menaçante et dangereuse à laquelle nous serions soumis. Il est nécessaire que l’homme crée,
transforme, invente pour survivre.
C’est en ce sens que John Stuart Mill, dans son œuvre intitulée, La Nature (1874), nous
invite à « reconnaitre que les puissances de la nature sont souvent en position d’ennemi face
à l’homme, qui doit user de force et d’ingéniosité afin de lui arracher pour son propre usage
le peu dont il est capable », et « que l’homme mérite d’être applaudi quand ce peu qu’il
obtient dépasse ce qu’on pouvait espérer de sa faiblesse physique comparée à ces forces
gigantesques. »

- Il est important de comprendre que cette légitimation de la transformation de la nature


par l’homme s’est justifiée en trouvant recourt dans les textes sacrés, et notamment dans
la pensée chrétienne occidentale. Exemple - La Bible (Gen, I)
Puis Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine
sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous
les reptiles qui rampent sur la terre.
Dieu vit tout ce qu’il avait fait et voici, cela était très bon. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut
un matin : ce fut le sixième jour.

=> Réutilisation en philosophie, notamment au 17ème siècle par les rationalistes comme René
Descartes, DDM, « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. »
(attention, car l’être humain aurait ici presque tendance à oublier qu’il fait partie de la nature !!)

B. Destruction de la nature
*= Visions non occidentales, nous invitent à prendre du recul par rapport au rôle qu’a pris l’être
humain en transformant la nature. La nature, dans la philosophie taoïste, et dans des visions
animistes du monde, un tout sacré. Il y a un ordre des choses qu’il ne faut pas toucher. Toute
transformation humain est donc non pas construction positive, mais destruction négative.

Zuanghzi, philosophie chinoise (taoïsme) : passage où il se désole du monde actuel et regrette le


monde d’avant, où les hommes ne transformaient rien. Age d’or d’harmonie entre les hommes et
la nature, où les hommes vivent au rythme de la nature. (cf. Hannah Arendt, rythme déréglé avec
les machines)

* Aujourd’hui, l’Occident se rend compte des effets dévastateurs de cbes transformations.


Descola évoque le concept d’anthropocène : une nouvelle ère géologique où l’être humain est
le principal acteur des transformations sur Terre. Pour Descola, nous sommes allés trop loin dans
les transformations que nous avons opérées et il faut à tout prix faire attention à notre impact et
protéger la nature.
* Conséquence négative pour la nature : elle disparaît
(espèces en voie de disparition - le Dodo)
* Conséquence négative pour l’espèce humaine : si la
nature se dégrade, les conditions de notre vie aussi
(exemple des catastrophes naturelles qui se multiplient,
séisme au Japon, inondations dans le Nord de
l’Europe, raréfaction de l’eau au Moyen-Orient, etc.).
En transformation la nature soi-disant pour sa propre
survie… l’être humain menace sa survie !!!

=> questions : est-ce qu’il ne faut plus rien transformer alors ?


Est-ce « mal » à 100% ? Si on considère effectivement que
c’est « mal », comment l’espèce humaine peut-être continuer à se développer ? En économie,
théories de la « décroissance » très en vogue en ce moment.
Peut-être ne faut-il pas condamner toute nos transformations, mais seulement les limiter (avion,
élevage intensif, etc.)

C. Malheur de l’humanité ainsi dénaturée


Il faut enfin regarder comment notre vie a été transformée indirectement par les transformations
que nous avons opérées sur la nature. Vie moderne vs. Vie de l’homme des cavernes. A priori, on
a gagné au change… Mais est-ce vraiment le cas ?

Rousseau, dans Essai sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, nous
dit, par exemple, qu’en cherchant à se faciliter la vie grâce à de multiples transformations de la
nature, c’est l’homme lui-même qui s’est dénaturé. Il distingue deux temps : un temps passé où
l’homme était dans « l’état de nature » et le temps présent, celui de la société civilisée :

« Dans ce nouvel état, avec une vie simple et solitaire, des besoins très bornés, et les instruments qu’ils
avaient inventés pour y pourvoir, les hommes jouissant d’un fort grand loisir l’employèrent à se procurer
plusieurs sortes de commodités inconnues à leurs pères ; et ce fut là le premier joug qu’ils s’imposèrent
sans y songer, et la première source de maux qu’ils préparèrent à leurs descendants ; car outre qu’ils
continuèrent ainsi à s’amollir le corps et l’esprit, ces commodités ayant par l’habitude perdu presque tout
leur agrément, et étant en même temps dégénérées en de vrais besoins, la privation en devint beaucoup
plus cruelle que la possession n’en était douce, et l’on était malheureux de les perdre, sans être heureux de
les posséder. (...) Mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre ; dès qu’on s’aperçut
qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le
travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la
sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les
moissons. La métallurgie et l’agriculture furent les deux arts dont l’invention produisit cette grande
révolution. »
Activité - Entrainement à l’explication de texte — corrigé :

Explication de texte

Jean-Jacques Rousseau - Essai sur l’origine et les


fondements de l’inégalité parmi les hommes
(à intégrer au chapitre 3 sur la culture, partie 1, I. C)

INTRODUCTION

Introduire directement le La transformation de la nature / la culture / les progrès techniques = a priori


thème positifs mais conséquences négatives sur l’homme (à développer)

Introduire le texte (auteur, Rousseau Essai sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les
oeuvre, date + contexte hommes
historique si pertinent) Contexte : début Rév° Industrielle (UK) ; mvt des Lumières (à développer)

Thèse défendue par L’homme, en opérant des transformations sur son environnement naturel, a
Rousseau cru améliorer ses conditions de vie mais crée en réalité son propre malheur.

Montrer que le texte n’est > Thèse à contre courant de la pensée qui valorise le progrès
pas simple (originalité, > Thèse qui s’appuie sur un paradoxe : ce qui semble bon est en fait mal
paradoxe, etc.) > Texte court et dense qui nécessite d’être décortiqué : qu’est-ce que ce
« nouvel état » dont parle J.-J. R. ? En quoi s’oppose-t-il à ce qui aurait
existé avant ? Comment est-on passé de l’un à l’autre ?

Problématique En quoi les améliorations que l’être humain a mis en place sont-elles
susceptibles de lui nuire ?

Plan du texte Voir plan détaillé

I. Une thèse : le développement de « commodités » a paradoxalement causé


le malheur de l’être humain.

A. Une thèse fondée sur l’opposition entre deux « états » et une phase
transitoire

(i) Antithèse « père » / « descendant » —> une génération de transition qui est à
l’origine d’un changement
(ii) Antithèse « nouvel » / « inconnues » —> changement structurel de la société qui
est en train de se faire
(iii) Caractéristiques de ce changement :
(i) « jouissant d’un fort grand loisir » => état où il y a du « loisir » donc pas
de travail [analyser / déduire des idées pour tomber sur les notions au
programme].
(ii) « sans y songer » => non réfléchi : les être humains ne réalisent pas les
conséquences de ce qu’ils entreprennent (phénomène inconscient)
B. Un état idyllique des premiers temps

(i) Rythme ternaire « avec une vie simple et solitaire, des besoins très bornés, et les
instruments qu’ils avaient inventés pour y pourvoir » qui reprend l’essentiel de la
période passée => état de nature idéalisé par Rousseau.

(ii) Caractéristiques mises en avant par Rousseau :

(i) L’être humain est « solitaire » —> pas de communauté, pas de culture

(ii) « des besoins très bornés » —> que les besoins primaires, rien de superficiel

(iii) « les instruments qu’ils avaient inventés pour y pourvoir » —> pas d’outils ni de
machine, seulement des instruments qui montre le faible développement
technique de l’être humain dans cet état de nature. [utiliser les oppositions
vues en cours comme ici instrument/outils pour aller au fond de l’analyse]

(iii) Dimension extrêmement méliorative : « les hommes jouissant d’un fort grand loisir
» —> jouissance = bonheur

(iv) Attention : cet état de nature est une fiction, un mythe, une construction de
l’esprit /!\ [essayer de montrer votre sens critique en fin d’analyse]

C. Un « nouvel état » doublement condamné

(i) Parallélisme de construction / rythme binaire : « le premier joug […] et la première


source de maux » => insiste sur la dimension dramatique de ce changement d’état
(exagération : le texte est presque plus littéraire que philosophique ! [sens
critique])

(ii) Des « commodités » vues comme un « joug » et la « source des maux » =>
paradoxe :

(i) « commodités » : a priori, terme mélioratif puisque ce sont des choses ou


techniques devant être « commodes », c’est-à-dire utiles, pratiques et
facilitant la vie. Par exemple, on peut penser à l’invention des premières
assiettes en terre cuite qui ont nettement facilité les repas (!) [essayer de
trouver des exemples pour expliquer des idées abstraites du texte]

(ii) « joug » au sens propre, la pièce de bois que l’on met sur la tête des bœufs
pour les atteler, au sens figuré c’est une contrainte. [donner des définitions
des termes du texte, surtout quand vous connaissez une étymologie] +
« source de maux » => deux expressions péjoratives qui condamnent ces
« commodités » sans nuance.

II. Deux arguments qui expliquent le paradoxe de la thèse de Rousseau

A. Une logique argumentative qui prend de l’ampleur

(i) « car » : connecteur logique qui lance l’argumentation


(ii) Double justification introduite par « outre que » [je parle des connecteurs
logiques pour montrer comment le texte est structuré]

(iii) Structure argumentative avec un argument présenté comme évident et qui est à
peine expliqué (« outre qu’ils continuèrent ainsi à s’amollir le corps et l’esprit »), un
second argument plus long

B. Un premier argument évoqué comme presque évident

« outre qu’ils continuèrent ainsi à s’amollir le corps et l’esprit »

(i) Reprise de la vision dualiste corps / âme, ici « esprit » => idéal d’un corps et d’un
esprit vif, tant en ce qui concerne la condition physique que l’agilité de l’esprit
(facultés intellectuelles) [ici, il faut expliquer les termes « corps » et « esprit »
pour expliquer ce à quoi pense Rousseau et montrer que vous comprenez
concrètement de quoi il parle]

(ii) « s’amollir » : passage du dur au mou => Rousseau considère que le nouvel état ne
permet plus d’entraîner les capacités physiques et intellectuelles de l’être humain.
Pourquoi ? On peut penser que si l’être humain a une vie plus « commode », il a
moins besoin de faire d’effort [argument valable aujourd’hui : avec ubereat,
« commodité » par excellence du XXIè siècle (!) je peux me nourrir sans faire le
moindre effort et m’affaler - m’amollir - sur mon canapé pour prendre un repas…
CQFD !]

C. Un second argument fondé sur la dénaturation de l’être humain

(i) « par l’habitude perdu presque tout leur agrément » : Etymologiquement, un


« agrément », c’est quelque chose en plus (qui s’agrège). Que veut dire Rousseau
ici ? Il insiste sur le fait qu’on oublie que ces commodités étaient « extra », « en
plus ». [ici, je paraphrase pour montrer que j’ai compris quand un passage est
compliqué]

(ii) « dégénérées en de vrais besoins » : Pour Rousseau, « ces commodités » sont


finalement perçues comme des « besoins », c’est-à-dire comme quelque chose de
« nécessaire » et non plus de « contingent » (exemple : le frigidaire n’est pas
nécessaire en soi, mais qui aujourd’hui pourrait vivre sans ?) [ici, je dépasse la
paraphrase en allant chercher des outils d’analyse, comme les mots repères]

(iii) Conséquence : on devient « malheureux » dès qu’on se retrouve privé de ces


« commodités » et on n’a oublié que c’était au départ seulement quelque chose en
plus.

III. L’avènement d’un nouvel état où l’homme vit dans la souffrance

A. L’Homme contre l’homme : inégalité et propriété

(i) « L’égalité » : alors que les hommes vivaient seuls et tous égaux, le développement
des « commodités » créent des rapports de force entre les hommes : certains sont
« utiles » au d’autres. Conséquences : certains ont plus de valeurs que d’autres. Ce que
décrit Rousseau ici de façon mythifiée, c’est le début de la société humaine, avec des
échanges (troc puis monétisation des échanges) et de l’inégalité (cf. Titre de l’œuvre !)
[ici, je conceptualise ce dont parle Rousseau pour montrer que je comprends
l’enjeu de sa thèse].

(ii) La « propriété » : c’est la théorie de Jean-Jacques Rousseau. A l’état de nature,


personne n’est propriétaire et tout est à tous. Mais dès lors qu’un être humain
commence à posséder quelque chose, c’est la fin de l’état de nature. Ici, il insiste peu.

B. Le travail comme nécessité

(i) « les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes » => Entreprise de
cultivation de la terre (nature) a priori positive qui ici est perçu comme négative

(ii) « Travail » comme « nécessaire » mais surtout comme souffrance (Etymologie :


tripaliare = instrument de torture dans l’antiquité, c’est de là que vient le terme de
travail)

(iii) Conséquences :

(i) souffrance individuelle (« sueur des hommes »)

(ii) Déchéance collective (« misère » et « esclavage ») avec en arrière fond une


interrogation sur les injustices de ce système [justice]

(iv) Causes : la technique (métallurgie + agriculture)


+ Montaigne, Essais, « Des Cannibales » : « Ils sont sauvages, de même que nous appelons
sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits : là où, à la vérité, ce
sont ceux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l’ordre commun, que nous
devrions appeler plutôt sauvages.

II. Transformer la nature : travailler

Travail : activité par laquelle l’homme transforme la nature, se transforme lui-même et produit une
oeuvre.
- A la fois : l’action (voilà le travail à faire), le résultat (un bon travail !) et le métier (c’est mon
travail, je suis jardinier)
- Activité simple (secteur primaire) : labourer, moissonner, défricher —> activités industrielles et
tertiaires, de plus en plus déconnectées de la nature
- Objectif —> vie ? Utilité (argent, mais pas toujours)

A. L’être humain, condamné au travail ?


- Souffrance (tripaliare) : sur la nature ? sur la personne (aliénation) ?

* Lien avec Rousseau, qui nous dit que dans l’état de nature, il n’y a pas de travail (« oisiveté »,
qui rime pour lui avec bonheur). Dans l’état de société, l’homme doit travailler : ce travail est vu
péjorativement, il est source de difficulté (« sueur des hommes ») et d’effort permanent. En
effet, le travail nous marque physiquement (dos courbé du paysan).

* Dans les récits mythiques ou religieux, le travail est souvent vu comment une peine
* Textes bibliques (la chute d’Adam et Eve, qui dans un temps premier, ne devaient pas
travailler, puis, à cause de leur « pêché » - fruit de la connaissance - , se retrouvent sur terre
à devoir travailler)
* Théogonie d’Hésiode : l’âge d’or puis l’âge de fer, passage d’un âge heureux où la nature
est riche et donne ses fruits sans que l’homme ait besoin de travailler, puis, après le passage
de Prométhée, qui donne le feu et la connaissance aux hommes, Zeus condamne ces
derniers au travail et la la discorde (le fer est le métal des armes, pour la guerre, et des
outils, pour le travail/technique)

* C’est cependant ce même travail qui permet de rendre compte de l’ingéniosité de l’homme :
c’est parce qu’il est contraint de travailler que l’homme peut se réaliser dans ce qu’il fait. S’il
l’on n’est obligé de rien, on ne fait rien, mais c’est la contrainte qui nous fait agir, qui nous fait
réellement devenir ce que nous sommes.
* Soit je crois que je suis né pour quelque chose de précis — C’est l’idée de Platon quand
il imagine une cité idéale où les hommes vivraient en harmonie (La République manuel p.
374) (même conception antique que Aristote « la nature ne fait rien en vain) => chaque
être humain aurait des capacités naturelles, il serait fait pour travailler et doué dans un
domaine précis. Exemple : avoir des mains de pianiste. C’est ce postulat qu’on a quand on
se pose la question « Pour quel métier suis-je fait ? »
* Soit je ne crois pas que je suis fais pour quelque chose en particulier, mais c’est en
travaillant que je construis qui je suis. Je fais des choix : celui de faire tel travail, de
devenir médecin parce que je veux devenir quelqu’un qui sauve des vies par exemple. Ici,
on est dans une vision du monde qu’a défendu JP Sartre : « l’existence précède
l’essence », c’est-à-dire j’existe, et ensuite je définis qui je suis (= mon essence).

B. Le travail : monotone ou créateur ?

Il ne faut pas en rester au concept générique, « le » travail, mais bien distinguer les différents
types de « travail ».
- Le travail comme réalisation (transformation) ou le travail comme emploi salarié => deux buts
différents s’opposent, d’un côté le travail pour produire, de l’autre pour de l’argent
- travail technique de l’artisan : est-ce une simple répétition technique ou un maniement
admirable
- Travail artistique de l’artiste
- Travail aliénant de l’ouvrier

« Melancholia », Et qui ferait – c'est là son fruit le plus certain –


D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Les Contemplations, Victor Hugo Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? Qui produit la richesse en créant la misère,
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ? Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ? Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? Que veut-
Ils s'en vont travailler quinze heures sous il ? »
des meules 1 ; Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement somme,
Dans la même prison le même mouvement. Une âme à la machine et la retire à l'homme !
Accroupis sous les dents d'une machine sombre, Que ce travail, haï des mères, soit maudit ! Maudit
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans comme le vice où l'on s'abâtardit 4,
l'ombre, Maudit comme l'opprobre 5 et comme
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer, le blasphème 6 !
Ils travaillent. Tout est d'airain2, tout est de fer. Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue. Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,
Aussi quelle pâleur ! La cendre est sur leur joue. Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las. !
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous 1. Grosse pierre cylindrique servant à broyer.
sommes, 2. Bronze.
Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! » 3. Maladie due à la malnutrition qui rend les
Ô servitude infâme imposée à l'enfant ! enfants petits, maigres et fragiles.
Rachitisme 3 ! travail dont le souffle étouffant 4. Où l'on perd sa pureté, sa dignité.
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, oeuvre insensée, 5. Déshonneur.
La beauté sur les fronts, dans les coeurs la pensée, 6. Outrage contre Dieu.

* Marx : le travail est aliénation, c’est-à-dire qu’il déshumanise l’homme (alien- = autre en latin,
donc aliénation, c’est devenir autre) en le plaçant derrière la machine. Il s’agit particulièrement du
travail de l’ouvrier, en usine, post société industrielle.
Non seulement déshumanisé (aliéné) mais aussi exploité puisque son travail ne lui profite pas : sa
valeur ajoutée (celle de son travail) lui est usurpée par le Capital (la bourgeoisie), ce qui abouti à
la création d’une société de classe

Alexandre Kojève, Commentaires de la Phénoménologie de l’Esprit de F. Hegel


Voir manuel et questions
III. Transformer la nature en la protégeant
A. Une législation croissant

- Retour sur la législation croissante autour de l’environnement (parcs naturels, zones protégées,
etc.)

- Année 2000 : apparition des « droits de la nature »

- Aboutissement à un changement dans le domaine juridique : la nature peut-être considérée


comme une « personne juridique », un « sujet de droit » , cad qu’il peut passer devant un
tribunal (si elle est victime ou si elle est coupable. Concept qui existe depuis le 19è siècle.

—> Faut-il accorder une personnalité juridique à la nature ?

B. La nature a-t-elle des droits ?

Article du Monde et réflexion en classe

Il existe deux positions générales conditionnement la volonté ou non de donner des « droits » à la
nature :

- Posture n°1 : non, la nature n’a pas de droit en soi, s’il faut la protéger, c’est uniquement pour
le bien de l’être humain. On crée alors des droits de l’environnement. Ethique
anthropocentriste

- Posture n°2 : la nature est vivante, il faut la respecter, à l’instar des peuples autochtones et de
leur vision animiste du monde. On reconnaît alors des droits à la nature. Ethique écocentriste.
Il faut alors se demander pourquoi, sous quel motif, on donne des droits à la nature :

- Intelligence ?

- Individualité ?

- Sensibilité ? > Concernant le cas particulier de la souffrance animale, la loi Grammont


au 19è siècle réprime les mauvais traitements. En 1976, la première loi sur la protection
de la nature qualifie l’animal « d’être sensible ».

C. Droits de la nature vs. Culture ?


La dernière question qui se pose quand aux droits à donner (à reconnaître ?) à la nature
concerne est la suivante : dans quelle mesure les droits de la nature peuvent-ils entrer en
contradiction avec nos pratiques culturelles ?

En effet, notre manière de vivre est ainsi faite que nous nous demandons rarement si l’on
offense la nature quand on fait quelque chose. Quand on construit une maison, on ne se
demande pas si on crée un « dommage » à la nature (éventuellement on se demande si ce n’est
pas problématique d’urbaniser à outrance la surface de la Terre).

Néanmoins, plusieurs courants actuels remettent en question nos modes de vie, à


commencer par notre alimentation au regard du droit des animaux :
- les excès de l’agriculture intensive (élevage intensif - cf. images pour le moins effrayantes des
élevages de poulets, qui ont fait le tour de la planète)
- L’importance croissante du végétarianisme et du véganisme dans les sociétés occidentales
Pour information, le droit des animaux est aujourd’hui reconnu, notamment par l’ONU. Depuis
les années 1960, aux Etats-Unis, 5 libertés ont été attribuées aux animaux.
• Ne pas souffrir de la faim ou de la soif – accès à de l'eau fraîche et à une nourriture adéquate
assurant la bonne santé et la vigueur des animaux.
• Ne pas souffrir d’inconfort – environnement approprié comportant des abris et une aire de
repos confortable.
• Ne pas souffrir de douleurs, de blessures ou de maladies – prévention ou diagnostic rapide et
traitement.
• Pouvoir exprimer les comportements naturels propres à l’espèce – espace suffisant,
environnement approprié aux besoins des animaux, et contact avec d’autres congénères.
• Ne pas éprouver de peur ou de détresse – conditions d'élevage et pratiques n’induisant pas de
souffrances psychologiques.
En France, depuis 1976, la loi reconnait que les animaux sont des « êtres sensibles ».

Ce sont enfin parfois nos pratiques culturelles et traditionnelles qui se heurtent aux
réclamations croissantes des droits de la nature.
Etude de cas - le cas du
bouzkachi. Le bouzkachi est un jeu
national en Afghanistan, reconnu
comme pratique culturelle d’un
peuple, et pourtant pratique d’une
grande violence vis-à-vis des
animaux. Dans ce jeu, des cavaliers
se battent violemment pour
attraper une carcasse de chèvre et
marquer une sorte de « but » avec.
(1) Regardez la vidéo suivante
(2) Faut-il renoncer à cette pratique
culturelle aux vues de la violence
produite sur les animaux ?

Conclusion Plus largement, les nouvelles capacités techniques de l’humanité impliquent une
forme de responsabilité totale vis-à-vis de la nature "nous n’héritons pas la terre de nos ancêtres,
nous l’empruntons à nos enfants." (Antoine de Saint-Exupéry)
PARTIE 2 : Cultiver la beauté - ou comment l’art imite et sublime la
nature

Qu’attendez-vous d’une œuvre d’art ? (réponse collective)


- Beauté + sublime - Avoir un contexte
- Talent - travail - technique - Emotions, sensations
- Dire quelque chose, avoir un message - Ne pas être limpide

Définitions :
(1) Art et technique — Au départ, le terme art vient du latin ars, artis qui fait référence à la
maîtrise technique de quelque chose. Le terme vient ensuite à désigner les arts mécaniques
d’un côté, et les arts libéraux de l’autre, c’est-à-dire ceux qui font appel à l’esprit. De là, le
terme de technique va progressivement servir à évoquer tout ce qui est du côté des « arts
mécaniques », et celui d’art tout ce qui concerne les « arts libéraux ». Les termes « artisans »,
« arts martiaux », etc. continuent de faire le lien avec la dimension technique, toujours vivante,
dans l’art.
(2) Art, œuvre d’art et Beaux-Arts — Le terme « art » est désormais associé à la création par un
artiste d’une oeuvre d’art, c’est-à-dire un objet réel ayant pour but de susciter des émotions.
On considère ainsi les Beaux-Arts ( l’architecture, l’art décoratif, la gravure, la musique, la
peinture et la sculpture qui sont les 6 arts initiaux, complétés désormais par le cinéma - 7ème
art - puis la télévision et la bande dessinée 8ème et 9ème art)..
(3) Art figuratif, art abstrait — on oppose l’art qui représente la réalité (figuratif) à l’art abstrait
(qui ne représente pas la réalité)
(4) Esthétique — souvent associé à l’interrogation sur l’art, le terme vient du grec et signifie
sensation.
(1) Employé comme adjectif, il fait référence à la recherche de la beauté.
(2) Employé comme nom, c’est la discipline qui étudie les règle de l’art, la théorie de l’art.

I. Du côté de l’œuvre d’art : quand y a-t-il de l’ « art » ?


A. L’art : une technique inutile ?
Par opposition à la technique (—> voir cours technique), la création artistique semble a priori
inutile. Pensons aux théoriciens du mouvement de l’Art pour l’Art ou du Parnasse, au 19ème siècle,
comme Théophile Gautier pour qui l’art ne devait qu’être beau.
Préface de Mademoiselle de Maupin : « Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir
à rien ; tout ce qui est utile est laid. »

Observons donc ce paradoxe : l’art, malgré toute


son inutilité, a de la valeur et est même parfois
extrêmement couteux. Pensons à l’oeuvre de
Banksy, célèbre artiste contemporain, « La Fille au
ballon » qui s’était en partie auto-détruite devant un
public stupéfait, une fois la vente actée en 2018
(pour 1 million d’euros). Un broyeur dissimulé dans
le cadre avait permis le « happening ». Trois ans plus
tard, l’oeuvre valait près de 20 millions d’euros…
Constantin Brancusi contre l'État américain -
L'affaire de l’oiseau - ou quand la définition de
l'œuvre d’art rencontre des problèmes juridiques.

L’oiseau dans l’espace, Brancusi, 1927

B. L’art : une simple imitation de la nature ?


Revenons en arrière, et regardons comment les Grecs percevaient l’art. Pour les Anciens,
la nature était un objet de perfection et le monde était perçu comme une entité harmonieuse, où
tout était conçu avec une fin (= un but). L’art devait donc toujours être une reproduction fidèle de
la nature - un art figuratif donc. On parle d’imitation, de mimésis en grec. Allons plus loin et
évoquons la beauté : pour les Grecs, c’est la nature qui est belle, et non la création humaine, qui
sera toujours inférieure. L’artiste, pour les Grecs, sera toujours celui qui essaiera de représenter la
nature le mieux possible, sans jamais y parvenir parfaitement. Hegel dans Esthétique I, (1829)
nous donne un aperçu de la vision de l’art dans la Grèce antique :
« On peut dire d’une façon générale qu’en voulant rivaliser avec la nature par l’imitation, l’art
restera toujours au-dessous de la nature et pourra être comparé à un ver faisant des efforts
pour égaler un éléphant ».

Certains auteurs, à l’instar de Platon, regardaient d’un mauvais œil cet art de l’imitation :
parce que l’art reproduit la nature, il crée une illusion et donc, nous éloigne de la vérité (—> lien
avec la vérité). C’est un mensonge et l’art est alors condamnable. Pour Platon, notre monde réel
reflète un autre monde, celui des Idées, qui correspond au monde suprême de la connaissance. la
Dans La République, il montre que l’art est le dernier degré de connaissance. Il prend l’exemple
d’un lit. Pour lui, il y a trois degré de connaissance du lit :
1. L’idée du lit, ou le lit idéal : c’est la connaissance abstraite que j’ai de ce qu’est un lit.
2. Le lit réel, réalisé par l’artisan menuisier à partir de l’idée qu’on se fait d’un lit (c’est donc une
représentation)
3. Le lit peint par l’artiste : c’est la représentation du lit réel, qui est déjà une représentation
d’une idée : l’art est donc la manière la moins « vraie » de connaître quelque chose.

C. L’art : simple divertissement ou ouverture au monde ?


A quoi peut donc servir l’art ? On pourrait être tenté d’y voir un simple divertissement :
du côté de l’artiste, on peint une tableau pour passer le temps - c’est un passe-temps comme un
autre - et du côté du récepteur, aller au musée, voir un spectacle de musique est une occupation
comme une autre de son temps. L’art, ainsi, ne serait qu’un vain « divertissement », comme le
souligne Pascal dans ses Pensées, qui nous détourne de choses essentielles de notre vie ?

On peut cependant penser que l’art, parce qu’il n’est pas directement utile, nous permet
d’accéder à quelque chose qui nécessite de prendre de la distance, du recul. Il nous montre une
autre vérité, une vérité sur nous-mêmes, sur le monde qui nous entoure. C’est paradoxal : grâce
au recours à la fiction - à un mensonge -, l’art exprime une vérité. On appelle cela le « mentir-
vrai ». Prenons l’exemple des romans réalistes : les personnages de la Comédie Humaine de
Balzac n’ont jamais existé, ce sont des artifices, mais pourtant, le Père Goriot, Vautrin, Lucien de
Rubempré, etc. disent tant de vérités sur l’être humain et sa complexité.

Finalement, l’œuvre d’art a bien un but : celui de


révèle le monde et de nous aider à mieux le percevoir. Le
peintre Paul Klee exprime ainsi cette idée : « L’art ne
reproduit pas le visible, il rend visible » (Théorie de l’art
moderne). On retrouve cette même idée chez les poètes
symbolistes comme Rimbaud et Baudelaire : le monde - la
nature - est confuse et opaque, et l’œuvre d’art est le résultat
d’un déchiffrage de l’artiste. Le poème de Baudelaire,
« Correspondance », extrait des Fleurs du Mal, traduit ce
travail opéré par l’artiste : ce que l’ « Homme » ordinaire ne
comprend pas, l’artiste le traduit (ici, avec des comparaisons Paul Klee, Château et Soleil, 1928
qui confondent nos différents sens) :

La Nature est un temple où de vivants piliers


Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
[…]
II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies […]

Cette dimension sacrée (—> cours religion) que revêt alors l’œuvre d’art, elle la doit en
grande partie à la figure de l’artiste, qui semble se détacher du commun des mortels. Rappelons
d’ailleurs que dans la tradition égyptienne, on meurt deux fois : une première fois quand le corps
meurt, et une seconde fois quand on n’arrête de prononcer votre nom. L’artiste donc, est bien
placé pour être « immortel » puisque ses œuvres rappellent toujours le souvenir de son nom…

II. Du côté du créateur : figure d’artiste et création artistique


A. L’artiste et l’artisan
La figure de l’artiste, au sens où on l’entend aujourd’hui - un homme ou une femme qui
pratique l’art, qui se voue à la création - est un concept moderne. Avant, il n’y a pas de
distinction entre l’artiste est l’artisan. Ainsi, le peintre du 16ème siècle peignait dans son atelier
entouré d’apprentis qui l’aidaient constamment : un tableau n’était jamais fait à une main. La
signature du peintre était la signature du maître et ce dernier enseignait son savoir-faire technique
à ses apprentis. Ce n’est qu’à partir de la fin du 19ème siècle que la figure du peintre solitaire,
pauvre, fou, etc. se développe et devient un mythe. C’est évidemment Van Gogh qui incarne
cette figure.

Un atelier d’artiste peint par Horace Vernet en


La Chambre, Vincent Van Gogh, 1888
Pour distinguer artiste et artisan, lisons le philosophe Alain. Selon lui, si l’artiste est un artisan, il
est plus qu’un artisan.

« Il reste à dire en quoi l’artiste diffère de l’artisan. Toutes les fois que l’idée précède et règle
l’exécution, c’est industrie. Et encore est-il vrai que l’œuvre souvent, même dans l’industrie, redresse
l’idée en ce sens que l’artisan trouve mieux qu’il n’avait pensé dès qu’il essaie ; en cela il est artiste,
mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d’une idée dans une chose, je dis même d’une
idée bien définie comme le dessin d’une maison, est une œuvre mécanique seulement, en ce sens
qu’une machine bien réglée d’abord ferait l’œuvre a mille exemplaires. Pensons maintenant au travail
du peintre de portrait ; il est clair qu’il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu’il emploiera à
l’œuvre qu’il commence ; l’idée lui vient à mesure qu’il fait ; il serait même rigoureux de dire que
l’idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu’il est spectateur aussi de son œuvre en train de
naitre. Et c’est là le propre de l’artiste. Il faut que le génie ait la grâce de la nature et s’étonne lui-
même. Un beau vers n’est pas d’abord en projet, et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et
la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu’il la fait ; et le portrait nait sous le pinceau.
(...) Ainsi la règle du Beau n’apparait que dans l’œuvre et y reste prise, en sorte qu’elle ne peut servir
jamais, d’aucune manière, à faire une autre œuvre. »
Alain, Système des Beaux-Arts, 1920
B. L’artiste : génie créateur
D’où vient le talent de l’artiste, ce qui fait qu’il ne serait pas tout à fait comme le commun
des mortels ? Ce talent mystérieux a souvent été mis en lien avec l’idée que l’artiste aurait reçu un
don divin et que son art lui est inspiré par les dieux. Pensons aux poètes de l’Antiquité qui
remerciaient Apollon de les avoir inspirés. L’artiste est celui qui est possédé par la Muse.

« Ma Bohème », Arthur Rimbaud


« Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal* »
*« Féal » signifie « serviteur »

Une limite apparaît : avec cette notion de génie, le question de l’origine n’est pas résolue,
puisque le divin n’explique pas tout : le talent de l’artiste est-il inné ou acquis ? Est-on né pour
être un artiste ? Comment le devient-on ?

C. L’artiste au travail
Ce qui distingue l’artiste, c’est son travail et surtout la quantité de travail mise en œuvre
pour la création. Pensons à Flaubert qui, lorsqu’il écrivait, prononçait chaque phrase à voix haute
pour s’assurer qu’elles étaient suffisamment belles. Il mettait, avoue-t-il, parfois 6 semaines à
écrire 25 pages.
Le philosophe Nietzsche s’intéresse à cette question du travail de l’artiste, et souligne que
tout est mis en œuvre pour qu’on n’imagine pas le travail derrière l’œuvre. Le projet
philosophique de Nietzsche est de détruire ce qu’il appelle les « idoles », c’est-à-dire les grandes
valeurs de la société dans laquelle il évolue, au 19ème siècle. Pour lui, l’oeuvre d’art est une
« idole » : elle est sacrée et porte le soi-disant « génie » de l’artiste. Nietzsche nous dit que face à
une œuvre d’art, on éprouve du plaisir et de l’admiration. Or, pour ne pas gâcher ce plaisir, l’être
humain se laisse berner en se disant que l’artiste a du génie et qu’il ne peut pas rivaliser avec lui.
Pour Nietzsche, il n’y a pas de génie mais du travail. Ainsi, n’importe qui pourrait en fait réaliser
une œuvre d’art. Pour faire taire une possible rivalité, le concept de génie est bien pratique.
Nietzsche ajoute que l’être humain est toujours plus satisfait devant un produit fini : sous-
entendre qu’il y a du travail dévalorise l’œuvre car cela nous fait l’imaginer en cours de réalisation.
III. Du côté du récepteur : émotion, beauté et action
A. Apprécier une œuvre d’art
Le récepteur de l’œuvre d’art, qu’il soit public dans un musée, acheteur dans une maison
de vente, etc. est d’abord celui qui regarde (ou dans le cadre d’une réalisation musicale, celui qui
écoute, bien sûr). Il y a donc d’abord un passage par les cinq sens que sont la vue, l’ouïe, le
toucher, le goût et l’odorat : pour apprécier une œuvre d’art, il faut être attentif à ce que nos sens
perçoivent. C’est à travers cette attention sensorielle première que l’émotion peut subvenir.

L’émotion ressentie face à une œuvre d’art s’appelle l’émotion


esthétique : c’est un plaisir des sens. On est heureux à l’écoute d’une belle
mélodie, à la vue d’une couleur particulièrement vive, etc. Prenons l’exemple de
la couleur bleue de le peintre Yves Klein a particulièrement travaillée (on parle
d’ailleurs maintenant du « bleu Klein ») : cette couleur vive, pénétrante, peut
susciter ce plaisir, une émotion esthétique. Remarquons trois caractéristiques de
cette émotion esthétique :
1) Cette émotion semble dénuée de raison, inexplicable donc. (→ lien cours raison)
2) Cette émotion peut nous faire perdre la notion du temps : on contemple l’œuvre et tout le
reste disparait. (→ lien cours temps)
3) Cette émotion peut entraîner un bouleversement chez le sujet : on peut pleurer devant un
tableau, mais aussi avoir un véritable choc. Ainsi, l’écrivain Stendhal raconte avoir été
bouleversé en visitant la basilique Santa Croce à Florence :
« J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les
Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur,
la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. » Stendhal

Ce phénomène décrit Stendhal a été étudié par des psychiatres et a donné son nom à un syndrome
psychosomatique (accélération du rythme cardiaque, vertiges, suffocations, voire hallucinations)
chez certains voyageurs exposés à une œuvre d'art personnellement signifiante, ou à une surcharge
d’œuvres d’art. (→ lien inconscient)

B. Le jugement esthétique : le beau, le sublime et le laid


> La beauté, jugement relatif ? Voltaire, dans son article « Beau » du Dictionnaire
philosophique, fait un constat : les goûts diffèrent. Ce que l’un trouve beau peut être trouvé laid
par un autre. Il y a donc une diversité subjective des goûts. Voltaire ajoute que ces goûts sont
souvent culturels : ce qui plaît à un Jordanien n’est donc pas nécessairement ce qui plaît à un
Français !

> La beauté, jugement universel ? Pour Emmanuel Kant, le beau est « ce qui plaît
universellement sans concept » (Critique de la faculté de juger, 1790). Pour Emmanuel Kant, la
beauté est absolument universelle, c’est-à-dire que ce que je perçois comme beau, tout le monde
le perçoit aussi comme beau. Kant oppose « l’agréable » et « le beau » : ce qui est agréable est
ce qui me provoque un plaisir esthétique qui ne tient qu’à moi. En revanche, si je ressens le
sentiment du beau, ce sentiment - qui est bien lui aussi subjectif - prétend néanmoins à
l’universel. Kant nous dit que nous avons en nous une capacité de ressentir subjectivement
quelque chose qui peut s’étendre à tous, c’est-à-dire à l’universel.

> Dépassement de la beauté : la recherche du sublime A partir du 18ème siècle, les théoriciens
de l’art développent un autre sentiment esthétique, le sentiment du sublime qui dépasse la
beauté. Face au déchaînement de la nature (représentation d’une tempête par exemple, comme
dans le tableau si contre de William Turner), naît un
sentiment de grandeur bouleversant. Ce sentiment du
sublime a été particulièrement repris par le mouvement
romantisme, à commencer par Victor Hugo en France.

« Tout ce qui est propre à exciter les idées de la


douleur et du danger, tout ce qui est en quelque sorte
terrible, est source du sublime, c’est-à-dire capable de
susciter la plus forte émotion que l’âme puisse
ressentir. »
Edmund Burke, Recherche philosophique sur l’origine Tempête de neige en mer, W. Turner (1842)
de nos idées du sublime et du beau, 1757

> Faut-il exclure le laid de l’art ? Par provocation par rapport aux normes de son temps,
Baudelaire a cherché à inclure le laid dans l’art. C’est le thème de « Une Charogne », poème
extrait de la section « Spleen et Idéal » des Fleurs du Mal. En décrivant une charogne (c’est-à-dire
une bête morte) en pleine décomposition, Baudelaire transforme le laid en objet poétique.
Comme un alchimiste qui transforme la boue en or, Baudelaire sublime le laid grâce à l’art :
« Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint »
Rappelons que la sublimation est un processus chimique correspondant à la transformation d’un solide en gaz.

> Quelle réaction avoir devant certaines œuvres contemporaines qui semblent ne plus
chercher l’expression du beau dans la pratique artistique ? Prenons deux exemples de
courants qui se détachent de la recherche du beau :

1) L’art du ready-made au 20è siècle. Pensons à la présentation


de la Fontaine de Marcel Duchamp, datant de 1917 et
aujourd’hui exposée au Musée Georges Pompidou à Paris.
Cette œuvre ne cherche pas à susciter la beauté, mais un
choc esthétique. L’objectif est bien de bouleverser le
récepteur, de le déconcerter et de l’amener à une réflexion.
L’art ici ne cherche plus à montrer le beau, mais à déclencher
une réflexion chez le récepteur. Duchamp n’appartient à
aucun mouvement artistique, mais a beaucoup influencé l’art
contemporain, et notamment le développement du pop art, La Fontaine, Marcel Duchamp (1917)
de l’art conceptuel et de l’art minimal.
2)L’art kitsch. En parallèle de l’industrialisation et de l’émergence
d’une culture de masse, une production d’objets artistiques à
moindre coût voit le jour au 19ème siècle. Cette production va être
progressivement reprise dans l’art contemporain au 20ème siècle
pour s’opposer à la norme esthétique en vigueur et choquer par le
mauvais goût : culture populaire (nains de jardin, ballons, etc.),
couleurs excessives, mélange de motifs, etc. Aujourd’hui, le
style kawaii (mignon) imprégné de la culture manga au Japon
Balloon Dog, Jeff Koons (1993)
s’inscrit dans l’art kitsch.
C. Eduquer son goût : apprentissage et capitalisation culturelle
Comment expliquer que certaines œuvres d’art deviennent des classiques et traversent les
siècles ? Il semble que certaines œuvres d’art sont reconnues par tous : La Joconde de Léonard
de Vinci, les Nénuphars de Monet, etc.

> Pour certains philosophes, nos goût s’éduquent. C’est ce que pense David Hume,
philosophe empiriste du XVIIIe siècle. Comme pour Kant, selon lui, « les principes du goût sont
universels » et il précise que seuls certains individus sont autorisés à faire de leurs sentiments sur
ce qui est beau la norme du goût. Ils seraient en effet dotés de plusieurs compétences, comme la
finesse de perception et un sensibilité aiguisé. De plus, la fréquentation régulière des œuvres
d’art est indispensable pour pouvoir juger comparativement. Enfin, il faut être impartial, c’est-à-
dire pouvoir se détacher de ses préjugés pour accepter toutes les formes d’art. Pensons ainsi à de
nombreuses œuvres d’art d’abord déconsidérées avant d’être érigées en classique (les toiles de
Van Gogh, etc.)

> Cependant, derrière l’éducation du goût se cache la disparité sociale : ainsi apparaît la
critique sociologique de l’art. La sociologie est l’idée que l’on peut comprendre un
comportement humain en l’inscrivant dans un contexte social. Ainsi, ce que l’on dit et pense de
l’art n’émane pas de notre subjectivité, mais de notre environnement. Plus précisément, selon
Pierre Bourdieu, dans La Distinction, notre jugement sur l’art repose sur l’acquisition d’un
capital, c’est-à-dire de la somme de ce que nous avons reçu de notre environnement (entourage,
famille, etc.) :
- capital culturel : on aime l’art si notre entourage nous a familiarisé à l’art dès notre enfance en
nous emmenant au musée, au théâtre, etc.
- capital économique : les moyens financiers sont nécessaires pour pouvoir être habitué à voir
de l’art.
Pierre Bourdieu souligne que ce sont les classes dirigeantes qui possèdent ces différents types
de « capital » : l’art est donc le terrain de jeu de la classe dominante qui érige sa vision du beau
en une norme universelle. En ce sens, Bourdieu se place dans la lignée de la pensée de Karl Marx.

D. Réception politique de l’art : art et engagement


L’œuvre d’art est un objet qui se contemple. S’il serait dommage de réduire l’art à un
instrument, l’histoire nous permet d’observer que qu’il y a une autre facette à la réception de l’art,
plus politique. En effet, l’art est un domaine dont ce sont toujours méfiés les régimes totalitaires :
parce que l’art a une fonction subversive, il peut véhiculer des idées et faire office de contre-
pouvoir.
- Pensons au poème « Melancholia » de Victor Hugo (→ cours travail et technique), qui
dénonce les conditions de travail des enfants au 19ème siècle.
- Pensons également à la façon donc le régime nazi en Allemagne a condamné un soit disant
« art dégénéré » au profit d’un art officiel - « l’art héroïque » - contrôlé par le régime.

Vers la conclusion : Ces exemples mettent en évidence la dimension collective de l’art qui n’est
pas seulement une activité en solitaire mais bien culturelle et représentative d’une société à une
époque donnée. Cela semble obliger à s’interroger sur l’appartenance d’une œuvre à un contexte
historique. Mais est-ce vraiment nécessaire ?
1) D’après le critique littéraire du 19ème siècle Sainte-Beuve, l’œuvre doit toujours être prise
dans son contexte et l’on doit pouvoir expliquer l’œuvre à l’aune de la vie de l’auteur.
2) D’après Proust, au contraire, dans Contre Sainte-Beuve, l’œuvre littéraire (et a fortiori l’œuvre
d’art) doit au contraire se détacher du contexte qui l’a vu naître et de son auteur.
Autre
- L’art envahi nos vies ? cf. Télévision : 8ème art
- Règles de l’art
- Faut-il théoriser son art pour bien le maîtriser ? (art brut)
- Unifier grâce à l’art
-
Le philosophe américain Walter Benjamin est connu pour son
texte L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité
technique (1936). Il se fonde en particulier sur l’apparition de
la photographie et du cinéma les décennies qui ont précédé
l’écriture de son texte.

Il est inquiet qu’à l’époque de la reproductibilité technique,


les œuvres perdent leur “aura”.

- Art dionisiaque et apolonien de Nietzsche, importance


créatrice
Activité : classez ces sujets de dissertation selon les grands enjeux ci-dessous
Du côté de Du côté du Du côté du
l’œuvre d’art : créateur : figure récepteur :
Quand y’a-t-il de l’artiste et émotion,
beauté et action
art? création artistique

L’art peut-il se passer de la technique?

Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Comment


la définir ?

Que nous apprend une œuvre d’art?

L’art n’est-il qu’un mensonge ?

L'artiste travaille-t-il?

Une œuvre d’art peut-elle ne pas être


belle?

Peut-on aimer une œuvre d’art sans la


comprendre?

L’art doit-il plaire?

Faut-il être cultivé pour apprécier une


œuvre d’art?

Peut-on convaincre q’un de la beauté


d’une œuvre d’art ?

Peut-on concevoir une société sans art ?

A quoi reconnaît-on une oeuvre d’art?

Pourquoi l’homme a-t-il besoin de l’art?

L’artiste n’est-il qu’un technicien?

Qu’est-ce qui distingue une œuvre d’art


d’un objet technique?

Ceci n'est pas de l'art. Peut-on justifier ce


jugement ?

L’art modifie-t-il notre rapport à la réalité ?

L’art n’est-il qu’un mensonge ?

L’œuvre d’art nous apprend-elle quelque


chose?

L’art est-il un moyen d’accéder à la vérité ?

L’art éloigne-t-il du réel?

Qu’est-ce qu’un artiste?

L’art peut-il se passer de règles?


Activité : s’entraîner à problématiser

Rappel - la problématique est le problème que vous devez faire ressortir du sujet.
Pensez à Socrate qui disait qu’il était maïeuticien des esprits, càd « accoucheur » : faites pareil mais avec
votre sujet ! (On retrouve la métaphore de la poule et du poussin !)

Ce qu’une problématique n’est pas :


‣ Le sujet
‣ Une question qui ressemble au sujet tout en étant différente… Vous risquez le hors sujet !
exemple :
Sujet : Est-il raisonnable de perdre son temps ?
Mauvaise problématique : En quoi est-il acceptable de perdre son temps ?

Mes trois conseils :


(1) Ne formulez pas une question qui vous fait risquer un hors sujet
(2) Formulez une phrase affirmative qui commence par « Le problème posé par le sujet est
donc le suivant : d’un côté… de l’autre… »
(3) réutiliser les mots du sujet dans la problématisation

***
Exercice : par petit groupe (entre 2 et 4), choisissez un sujet parmi la liste distribuée et
problématisez-le. Vous présenterez ensuite votre travail.
1) Expliquez sur quoi porte le sujet et pourquoi ce sujet se pose (=enjeu)
2) Mettez en évidence les deux termes qui sont présents dans le sujet, définissez-les en
vous forçant à utiliser « c’est-à-dire » et expliquez la relation à interroger.
3) Formulez la problématique

Exemple d’attendu :
1) Sujet : Est-il raisonnable de perdre son temps ?
> Le sujet porte sur l’utilisation / la gestion de son temps, et pose la question de la bonne/
mauvaise utilisation de son temps.
> Le sujet se pose parce que notre temps sur Terre est limité : notre temps est précieux, il est donc
normal de se demander comment bien l’utiliser.
2) Deux termes : ce qui est « raisonnable » càd ce que ma raison suge bon et « perdre son temps » càd
a priori gâcher son temps en ne faisant rien ou en faisant quelque chose d’inutile, de vain, de futile.
Relation : « est-il » (relation d’égalité)
3) Problématique : Le problème posé par le sujet est donc le suivant : d’un côté, parler de perte de
temps, c’est émettre un jugement négatif et donc a priori s’éloigner du domaine du raisonnable, c’est-
à-dire de ce qui semble bon ; de l’autre côté, il y a bien quelque chose de l’ordre du plaisir et du bien
vivre quand on « perd son temps », et donc, il y a de bonnes raisons de perdre son temps.

Pourquoi ce travail ? Si vous travaillez ainsi le sujet, vous n’avez plus qu’à tout glisser en intro :
1) Accroche
2) Répétition du sujet
3) Explication du sujet (« Le sujet porte sur/se [c] sur …. + mots du sujet + càd)
4) Problématisation
5) Plan
PARTIE 3 : Cultiver le sacré - ou comment les religions se trouvent
au fondement des communautés humaines

Eléments d’introduction
Qu’est-ce que la religion ? Observons plusieurs niveaux de définition :
(1) Religion comme croyance. On serait tenté de définir la religion comme la croyance en un
Dieu ou plusieurs dieux (rappel : majuscule à Dieu au singulier, car renvoie à un créateur
suprême et unique, mais pas de majuscule à dieux au pluriel). Cette croyance religieuse est ce
qu’on appelle la foi. Le mot « foi » vient du latin « fides, fidei » qui renvoie à la fidélité.
(1) Limite n°1 : comment distinguer une religion d’une superstition, qui est elle aussi une
forme de croyance.
(2) Limite n°2 : Il semble qu’il existe certaines religions sans dieux : pensons au bouddhisme

(2) Religion comme pratique. Dans toutes les religions, il existe des pratiques observées par les
croyants, comme des cultes et des fêtes religieuses (exemple : le ramadan musulman, la fête
de Noël chrétienne, Hanouka dans le rite juif,
(1) Limite : peut-on se dire « croyant non pratiquant » dans la mesure où la croyance même
repose sur la pratique ?

Une des étymologies possible du nom « religion » vient du latin religare, qui signifie
relier. En effet, la religion unit les hommes entre eux, en une communauté, comme l’Église, et elle
unit aussi l’homme à Dieu. Il y a donc un lien double : une liaison horizontale, entre les hommes,
et une liaison verticale, entre Dieu et les hommes. Cette étymologie s’illustre dans les pratiques
religieuses comme la prière, qui est à la fois collective (lors des cultes, messes, etc.) et individuelle
(car personnelle).

Pour comprendre l’essence de la religion, il faut croiser la croyance et la pratique. En


effet, toute religion s’appuie sur la distinction entre ce qui est profane et ce qui est sacré. La
croyance fondamentale dans toute religion est donc la croyance en une dimension sacrée des
choses, à laquelle on ne peut accéder que par l’intermédiaire d’un rite. Par opposition, le profane
est ce qui est accessible sans la médiation d’un rite.
→ Le sacré regroupe l’ensemble des coutumes, des traces matérielles ou immatérielles,
des rites, des miracles, des textes fondateurs, des personnes, soit des manifestations
qu’une puissance supérieure est à l’œuvre. À l’inverse, le profane regroupe tout ce qui est
non-sacré.

L’enjeu de ce cours est de mieux cerner en quoi la religion est au coeur des
communautés humaines, c’est-à-dire en quoi il a vocation à rassembler les hommes en
promettant l’accès à une vérité sacrée, qu’il s’agira d’interroger.
I. La religion, ciment de la société

A. Sauver : la religion pour apaiser l’individu (dimension individuelle)


Comme nous l’avons vu dans le cours sur le temps, l’être humain est marqué par sa
finitude : il meurt, et sa vie est donc limitée. On peut donc concevoir la religion comme un
moyen de vaincre cette angoisse de la mort car elle fait miroiter l’éternité. Les religions sont
souvent fondées sur une doctrine du salut : le salut, en latin salve, c’est la même étymologie que
le mot « sauver ».
Exemple : la croyance en la réincarnation dans le bouddhisme
Exemple : la croyance en la vie après la mort et en un paradis céleste dans la religion
chrétienne qui affirme « la résurrection de la chair » et « la vie éternelle » dans le Credo
(texte affirmant ce en quoi croit un chrétien et récité lors des célébrations religieuses).

Regard critique - Freud et la critique psychanalytique


Cette fonction de la religion a été critiquée par Freud qui y voit un mensonge. Pour lui, la
religion agit comme un anesthésiant. Il fait une analogie entre le rôle de Dieu pour les croyants et
d’un père avec ses enfants. Lorsque l’enfant grandit, il ne peut plus être rassuré par son père, car
il est devenu adulte. Il s’invente alors un père fictif - Dieu - qui pourra le rassurer. La religion a
alors un rôle affectif dénoncé par Freud dans Nouvelles Conférences sur la psychanalyse,
1932 :
« Nous le savons déjà : l'impression terrifiante de la détresse infantile avait éveillé le
besoin d'être protégé – protégé en étant aimé – besoin auquel le père a satisfait ; la
reconnaissance du fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l'homme s'est
cramponné à un père, à un père cette fois plus puissant. »

La religion offre donc d’abord une sécurité à l’échelle individuelle, qui permet alors de
fonder une société.

B. Réunir : la religion pour unir les hommes (dimension collective)


La religion réunit tout simplement, et fournit des occasions de vivre ensemble dans un
cadre moral, c’est-à-dire en définissant ce qui est bien et ce qui est mal.. Le sociologue Émile
Durkheim, dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912) insiste sur l’émergence
d’une communauté à partir des pratiques religieuses :
« Nous ne rencontrons pas, dans l’histoire, de religion sans Église. Une religion est un système
solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées,
interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée
Église, tous ceux qui y adhérent. »

* Le terme église, qui désigne la communauté de croyants dans la religion chrétienne, mais aussi
plus largement toute communauté construite autour de la religion, renvoie au terme latin Eclesia
qui signifie assemblée.
Exercice 13 page 289

Religion Croyances (doctrine) Pratiques (culte) Distinction sacré/ pro Église(s)


fane

Hindouisme Contenues dans les - Pratiques Vache, animal sacré Les Brahmanes
Vedas, elles religieuses (ne tuer aucun être
comportent la croya quotidiennes vivant dans
nce en la chez soi ou dans l’hindouisme)
réincarnation et en u des temples
- Offrandes et
n rythme
du monde fait de cré
ation, de
conservation et de d
estruction
(polythéisme unifié
par le Brahma)

Bouddhisme Les enseignements d - Dharma, Loi - Posture de Le Sangha (la


onnés par le enseignée par le méditation (Lotus), communauté
Bouddha (le Dharma) Boudha l’encens, permettent spirituelle)
: la vie implique - Méditations d’accéder au sacré
souffrance, la souffra
- Offrandes - Nirvana
nce est liée au
désir et aux attache
ments

Judaïsme Dans la Torah, un Halakha (la loi juive) Jour mis à part (sacré Le Qahal,
Dieu unique définit précisément la ) pour « communauté » en
vie juive : se sanctifier : le shab hébreu, mais rare
- Temps de l’année bat, du
ritualisé (fêtes de vendredi soir au sam La synagogue (du
Roch Hachana, edi soir grec Sunagôgê, «
Yom Kippour, etc.) assemblée » adapté
- Régime casher de l'hébreu ‫בית כנסת‬
- Bar Mitsva et (Beit Knesset), «
circoncision chez le maison de
jeune garçon l'assemblée »)

Christianisme Dans la Bible et la th - Messe du dimanche - Dimanche, jour férié L’Eglise


éologie - Prière - Lors de la messe, (communauté de
chrétienne: un Dieu - Carême communion croyant, assemblée
unique en trois - Temps ritualisé (Eucharistie) en grec)
personnes (Père, Fils (Avent, Noël, Carême,
, Esprit) Pâques, etc.)

Islam Dans le Coran, un Les 5 piliers de l’Islam - Le Coran, texte L’Oumma


Dieu unique et : sacré car dicté par (communauté
indivisible - 5 prières Dieu des musulmans)
quotidiennes - La Kaaba, lieu
- Ramadan sacré
- Aumône - Lieu de prière sacré
- Témoignage de la (retrait de ses
foi chaussures en gage
- Pèlerinage à La de purification)
Mecque - Jour du vendredi
Régime halal
Regard critique - Karl Marx et la religion comme opium du peuple
Pour Marx, dont la pensée s’appuie toujours sur le même postulat, que le peuple est
dominé par la classe sociale dirigeante, la religion est un poison qui endort le peuple, d’où la
formule consacrée, « l’opium du peuple ». Ainsi, dans Contributions à la critique de la philosophie
du droit de Hegel, « introduction », Karl Marx explique :
« La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme
elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple.
L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que
formule son bonheur réel. »
* Notons ici le lien entre la religion et le bonheur - « illusoire » et non « réel » selon Marx. En effet,
la religion rend heureux le croyant puisqu’elle lui fournit l’espérance d’une vie après la mort.

C. Protéger : la religion pour garantir la paix sociale


La religion répond à un besoin social (donc collectif) : garantir la paix sociale. Ici, la
religion revêt encore une dimension morale. En effet, toutes les religions définissent des règles,
édictent des lois.

Exemple : dans la religion juive, Moïse a reçu les Tables de la Loi de Dieu sur le Mont
Sinaï et fonde la base de la loi et de la moralité juive. Parmi les Dix Commandement
retranscrits dans le Livre de l’Exode, figure le 6ème commandement « Tu ne tueras
point » et le 7è « Tu ne commettras point d’adultère ».

Exemple : dans la religion musulmane, l’opposition entre le licite et l’illicite (haram et


halal) définit aussi les règles morales de la vie en société.

Ces règles permettent de garantir la sécurité et la stabilité au sein d’une communauté. On voit
bien ici en quoi elles sont nécessaires (repère nécessaire/contingent) pour la vie collective.

Regard critique - Nietzsche et la religion comme « monde de fictions pures »


Donner une fonction morale, un « rôle » à la religion introduit une vive critique : celle que
la religion est un mensonge, un artifice, une création humaine pour contenir l’être humain.

Friedrich Nietzsche (1844-1900) a beaucoup remis en cause la morale judéo-chrétienne et


a cherché toute sa vie à montrer qu’il s’agissait là de fictions - il parle « d’idoles » - pour contenir
l’être humain. Pour lui, au contraire, l’être humain doit vivre pleinement, sans peur des codes
sociaux. Œuvres principales : Par delà bien et mal, 1886 ; Le Crépuscule des idoles 1888 ;
L’Antéchrist, 1896
Pour Nietzsche, la religion ne peut que s’opposer à la vie car toutes les lois qu’elle édicte
dévalorisent le corps et renie la part naturelle et instinctive qui est en nous (celle, pour
Nietzsche, qui est pleine d’énergie). Exemple : en s’appuyant sur les notions de pêché, de
rédemption et de salut, la religion chrétienne encourage l’homme à se sentir toujours
coupable, faible. Bref, la religion est « un monde de fictions pures » (Antéchrist), qui
« a sa racine dans la haine contre le naturel ».

D. Régir : la religion à proscrire de la vie politique ?


Parce que l’adhésion à une religion est un choix individuel dans une société collective, elle
peut entraîner les conflits. C’est alors le rôle de l’Etat qui est à interroger. En effet, l’Etat, c’est
l’institution qui organise le pouvoir sur un territoire donné et on peut attendre de lui qu’il
assure l’égalité des individus, garantisse leur liberté et leur sécurité. (→ cours l’Etat).

Se pose ainsi la question du type de régime à mettre en place. Nombreux sont les régimes
qui se réclament d’un droit divin, associant ainsi le pouvoir du monarque à celui de Dieu. C’est le
cas de la monarchie française jusqu’à la Révolution française de 1789. Les philosophes des
Lumières, comme Emmanuel Kant, Voltaire, Rousseau, etc. ont critiqué ce modèle en réclamant
l’indépendance entre pouvoir politique et pouvoir religieux. Certains régimes ont alors choisi de
mettre en place un pouvoir laïque, où le religieux est conscrit à la sphère privée.

Repères philosophiques : privé / public


- Est public ce qui est commun à tous, ce qui appartient à tout un peuple, ou ce qui dépend de
l'État.
- À l'inverse, est privé ce qui est propre à la personne, à son intimité, ou à un petit groupe

Cette réflexion sur la séparation entre la religion et l’Etat n’est pas un refus de la religion.
Certains philosophes se revendiquaient d’ailleurs théistes ou déistes, c’est-à-dire qu’ils croyaient
en Dieu mais refusaient la religion. C’est le cas de Voltaire : « Je ne puis songer que cette horloge
existe et n’ait point d’horloger. » Ce refus de la religion s’inscrivaient dans une lutte contre
l’obscurantisme religieux.

> Locke : Etat et rôle de la tolérance religieuse

Conclusion : rôle de la religion qui permet globalement d’assurer l’ordre, que l’on croit en un
Dieu immanent (polythéisme) ou transcendant (monothéisme). Mais attention, dès qu’on donne
un rôle, cela sous-entend la dimension instrumentale de la religion - utilisée, ou crée
artificiellement pas l’homme pour…

II. Foi et raison

Rappel - repères philosophiques : transcendant / immanent


- Transcendant : qui se situe à un niveau supérieur au niveau considéré (Dieu est transcendant si
on considère comme un être supérieur qui est « au-dessus » de nous ; la loi est transcendante
aux individus ; d’après Hegel, l’esclave transcende - c’est-à-dire dépasse - sa nature en
travaillant)
- Immanent : qui se maintient au niveau considéré (Dieu est immanent s’il fait partie du monde,
comme le pensent les religions animistes)

ORAL
- Quels arguments pourriez-vous donner pour dire qu’il existe un Dieu ? (que vous y croyiez ou
non vous-mêmes)
- Peut-on convaincre quelqu’un de croire en Dieu selon vous ?
- Sinon, pourquoi certaines personnes arrêtent-elles de croire ?

A. Foi et raison, une relation sous tension


> Il semble a priori que la croyance religieuse soit hors du domaine de la raison.
Nous connaissons tous cette phrase de Pascal, tirée des Pensées, « Le coeur a ses raisons que la
raison ne connait pas. », mais nous l’associons rarement à la croyance religieuse. Or, c’est
justement de foi dont il est question ici pour le philosophe. Il nous dit ici que l’adhésion à la foi
religieuse vient d’un rapport émotionnel (« le coeur a ses raisons ») et non rationnel. Pensons à
l’ensemble des rites qui attirent nos sens lors d’une célébration religieuse comme l’encens dans la
religion chrétienne ou les rites païens, l’importance de l’art religieux.

> La foi, substitut à la « raison terrestre » ?


Pour le croyant, la foi va s’avérer plus forte que la raison. Observons un passage du philosophe
danois Søren Kierkegaard (1813-1855). Dans son ouvrage Crainte et Tremblement, il interprète
l’histoire d’Abraham et de son fils Isaac, que Dieu lui avait demandé de sacrifier.

« C’est par la foi qu’Abraham quitta le pays de ses pères et fut étranger en terre promise. Il laissa
une chose, sa raison terrestre, et en prit une autre, la foi ; sinon, songeant à l’absurdité du voyage,
il ne serait pas parti. C’est par la foi qu’il fut un étranger en terre promise où rien ne lui rappelait ce
qu’il aimait ».

La force du croyant, c’est d’avoir laissé sa « raison terrestre » pour suivre sa foi. Est-ce à
dire que le croyant agit comme un fou ? Pour les non-croyants, peut-être, mais dans la logique
religieuse, il s’agit là de faire confiance au lieu de se poser des questions. De fait, celui qui se
pose des questions, qui doute, qui remet en cause la demande divine se place à la même hauteur
que le divin. Au contraire, en restant à sa place d’être humain soumis à la demande d’un Dieu,
entité supérieure, Abraham fait confiance, nous dit Kierkegaard et c’est cette confiance qui fait
que Dieu épargne son fils Isaac, choisissant le sacrifice d’un bouc à la place - ce qui donne lieu
aux fêtes de la Pâques juive et d’autres fêtes dans les autres religions monothéistes.

> On voit ici la force et la certitude que donne la foi


> Attention ici à la distinction entre secte et religion, car on voit bien comme la secte peut entraîner
les mêmes mécanismes de suspension de la « raison terrestre » et entrainer bon nombre de dérives.
A ce sujet, le film Les Eblouis de Sarah Suco.

> De fait, foi et raison s’opposent sur leur fin


(1) Expliquer ou comprendre Il faut remarquer que la religion ne cherche pas à tout expliquer -
au contraire, beaucoup de religion reconnaissent avec humilité que l’être humain est trop
faible pour expliquer les mystères divins. Cependant, les religions, parce qu’elles offrent une
vision du monde, permette de le comprendre. Ainsi s’oppose le discours scientifique -
explicatif - qui explique comment les phénomènes surviennent et le discours religieux -
compréhensif - qui montre pourquoi les phénomènes surviennent.

Repères philosophiques : expliquer / comprendre


- Expliquer : rechercher la cause de quelque chose, expliquer comment cela fonctionne (c’est le
but de la science)
- Comprendre : rechercher le sens de quelque chose, saisir une chose dans son entièreté
(étymologiquement, c’est cum prehendere, « prendre avec ».
(2) Croire ou savoir
Bertrand Russell s’est interrogé sur la distinction de ces deux termes dans son ouvrage Science
et Religion : « Un credo religieux diffère d’une théorie scientifique en ce qu’il prétend exprimer la
vérité éternelle et absolument certaine, tandis que la science garde un caractère provisoire : elle
s’attend à ce que des modifications de ses théories actuelles deviennent tôt ou tard nécessaires,
et se rend compte que sa méthode est logiquement incapable d’arriver à une démonstration
complète et définitive. »
→ On retrouve ici l’idée qu’une théorie scientifique doit être « falsifiable », comme l’indiquait
Popper. (→ cours l’Inconscient).

Repères philosophiques : croire / savoir


- Croire (nom : une croyance) : avoir une opinion qui ne repose pas sur des preuves ou des faits
véritables (ex : On croit qu’il fera beau demain ; on croit en soi ; etc.)
- Savoir (nom : un savoir) : disposer d’une connaissance fondée sur des preuves, des faits
rationnels ou constatés (ex : On sait que la Terre tourne autour du Soleil ; on sait quelle heure il
est.)

Cette question sera à nouveau travaillée en fin d’année lorsque nous parlerons de science et de
vérité (→ cours Sciences et Vérité(s)) mais on peut déjà voir que si la religion vise la quête de La
vérité, la science établit, quant à elle, des vérités. D’un côté, un absolu - La Vérité - ; de l’autre, du
relatif - une vérité.

B. Concilier foi et raison


Néanmoins, cette opposition entre foi et raison est souvent très critiquée, et notamment
par d’éminents croyants (Saint Thomas d’Aquin chez les Chrétiens, Averroès chez les musulmans).
En effet, s’il y a certainement un « saut de la raison » pour atteindre la foi en Dieu, il n’en demeure
pas moins que la raison, en tant qu’instrument qu’a reçu l’être humain, doit être utilisée et peut
même rapprocher de Dieu.

Prenons l’exemple d’Averroès, philosophe musulman du XIIème siècle. Selon lui, l’usage de la
raison est primordial lorsque nous lisons les textes sacrés.

Puisque donc cette Révélation est la vérité, et qu’elle appelle à pratiquer l’examen rationnel qui
assure la connaissance de la vérité, alors nous, Musulmans, savons de science certaine que
l’examen des choses par la raison n’entraînera nulle contradiction avec les enseignements
apportés par le Texte révélé : car la vérité ne peut être contraire à la vérité, mais s’accorde avec
elle et témoignes-en sa faveur. S’il en est ainsi, et que l’examen rationnel aboutit à une
connaissance quelconque à propos d’une chose quelle qu'elle soit, alors de deux choses l’une :
soit sur cette chose le Texte révélé se tait, soit il énonce une connaissance à son sujet. Dans le
premier cas, il n’y a même pas lieu à contradiction […]. Dans le second, de deux choses l’une :
soit le sens littéral de l’énoncé est en accord avec le résultat de la démonstration, soit il le
contredit. S’il y a accord, il n’y a rien à en dire ; s’il y a contradiction, alors il faut interpréter le
sens littéral.

C. Prouver Dieu : à la recherche de preuve de l’existence de Dieu


1) Le pari de Pascal
Examinons donc ce point, et disons : "Dieu est, ou il n’est pas." Mais de quel côté pencherons-
nous ? La raison n’y peut rien déterminer : il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à
l’extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ?
Par raison, vous ne pouvez faire ni l’un ni l’autre ; par raison, vous ne pouvez défendre nul des deux.
Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ; car vous n’en savez rien.
- "Non ; mais je les blâmerai d’avoir fait, non ce choix, mais un choix ; car, encore que celui qui
prend croix et l’autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point
parier."
- Oui ; mais il faut parier. Cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc
?
Voyons. Puisqu’il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre
: le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et
votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l’erreur et la misère.
Votre raison n’est pas plus blessée, en choisissant l’un que l’autre, puisqu’il faut nécessairement
choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que
Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez
rien. Gagez donc qu’il est, sans hésiter.
- "Cela est admirable. Oui, il faut gager ; mais je gage peut-être trop."
- Voyons. puisqu’il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n’aviez qu’à gagner deux vies pour
une, vous pourriez encore gagner ; mais s’il y en avait trois à gagner, il faudrait encore jouer
(puisque vous êtes dans la nécessité de jouer), et vous seriez imprudent, lorsque vous êtes forcé de
jouer, de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois, à un jeu où il y a pareil hasard de perte et
de gain. Mais il y a une éternité de vie et de bonheur. [...]
Il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini
de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini. Cela ôte tout parti : partout où est l’infini, et où il
n’y a pas infinité de hasards de perte contre celui du gain, il n’y a point à balancer, il faut tout
donner. [...] Et ainsi, notre proposition est dans une force infinie, quand il y a le fini à hasarder à un
jeu où il y a pareils hasards de gain que de perte, et l’infini à gagner. Cela est démonstratif ; et si les
hommes sont capables de quelque vérité, celle-là l’est.

2) Les « preuves » philosophiques de l’existence de Dieu

Repères philosophiques : preuve / exemple


- preuve : élément matériel (un fait) ou formel (une argumentation) qui permet de valider une
théorie
- exemple : élément unique et singulier qui permet d’illustrer une idée ou un argument. Il n’est
pas concluant pour valider une théorie.

Nombreux philosophes croyants ont cherché à donner des preuves de l’existence de Dieu.
Kant en identifie trois sortes dans la Critique de la Raison pure :

- l’argument physico-théologique : la beauté du monde, l’ordre qu’on trouve en celui-ci,


prouvent l’existence de Dieu. La matière seule, assistée du simple hasard, ne peut parvenir à créer
l’univers dans la Beauté et les lois harmonieuses et constantes que nous lui connaissons.
- l’argument cosmologique : tout a une cause. Mais si tel effet a une cause qui elle-même a une
cause, qui elle-même a une cause, etc., alors pour éviter une régression à l’infini, il faut bien
parvenir à une cause première : Dieu.

- l’argument ontologique : repris par Descartes de Saint Anselme, il peut se résumer ainsi : Dieu
désigne le concept d’un être parfait. Or ce qui existe est plus parfait que ce qui n’existe pas.
Donc Dieu existe. Son existence se déduit de sa perfection même.

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