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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
VS/CS
Numéro 21/167
2ème CH - Section 1
ARRET DU 12/01/2021
Nature affaire :
Affaire :
DGX
C/
DFY
Grosse délivrée le :
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
ARRET
*****
Valérie SALMERON, en application des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile
et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de H
C et en a rendu compte à la Cour composée de :
Monsieur H C, Conseiller
APPELANT :
...
...
INTIMES :
...
...
...
...
...
La société Bobion et Joanin possède un capital social fixé à la somme de 648.000 euros
divisé en 25920 actions, chacune de 25 euros de valeur nominale.
Selon le pacte d'associés en date du 1er septembre 2009, les 25920 actions sont réparties
comme suit :
- D F Y 1 actionnaire
En décembre 2015, E X, qui était également salarié de la société Bobion et Joanin, a fait
part de son souhait de quitter l'entreprise, demandant la conclusion d'une convention de
rupture conventionnelle et le rachat de ses actions suivant les conditions de l'article 6.2 du
pacte d'associés.
Il a été licencié pour faute grave le 22 mai 2016 et a saisi le conseil des prud'hommes.
Le 8 septembre 2016, il a été embauché par un concurrent direct, la société Eiffage
energie thermie sud ouest.
Par arrêt du 10 janvier 2019, la cour d'appel a confirmé l'ordonnance de référé et validé la
cession des actions. Un pourvoi est en cours d'examen.
- dit qu'une décote cumulée de 30% doit être appliquée à la valeur brute des titres de E X
- fixé à la somme de 395.334,63 euros la valeur des titres de E X
- rappelé que la somme de 337.382 euros a déjà été versée à Monsieur X le 27 février
2018
- jugé que la valeur des titres restant due s'élevait à la somme de 57.952,63 euros et devait
être versée par la société Bily BTK ltdt à E X
- jugé que les frais de l'expertise judiciaire seraient supportés pour moitié par E X et
condamné E X à verser à la société Bobion et Joanin la somme globale de 4.264,82 euros
en remboursement de sa part relative aux frais d'expertise
Vu les conclusions notifiées le 23 mars 2020 auxquelles il est fait expressément référence
pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de D G X demandant de :
- Entendre la Cour surseoir à statuer d'une part dans l'attente de l'issue du pourvoi en
cassation à rencontre de l'arrêt de la Cour d'appel du 10 janvier 2019 et, d'autre part dans
l'attente de l'issue de la procédure pénale engagée par D G X selon plainte du 11 février
2019.
- Entendre, à défaut, fixer à la somme de 1.497.784 euros la valeur des parts du concluant
- Entendre très subsidiairement ordonner une nouvelle expertise pour tenir compte des
reprises relevées par le cabinet SMS de l'impact des méthodes frauduleuses décrites dans
l'expertise et la plainte pénale du 11 février 2019, de l'exercice 2017
- Entendre débouter les intimées principales de leurs appels incidents et de toutes leurs
demandes.
- dit qu'une décompte cumulée de 30% doit être appliquée à la valeur brute des titres de E
X
- jugé que la valeur des titres restant dus s'élève à 57.952,63 euros et devra être versée par
la société SAS Bily BTK ltdt à E X et, statuant à nouveau,
- dire qu'une décompte cumulée de 40% doit être appliquée à la valeur brute des titres de
EX
- juger que la valeur des titres restants dus s'élève à 1.476,26 euros
- constater que la somme de 52.660,49 euros a été adressée à E X par acte d'huissier du 3
juillet 2019 en application du jugement
- ordonner la compensation entre les sommes versées par la SAS Bily BTK ltdt et les
sommes qui lui restait devoir à l'issue de la procédure et condamner E X à verser le
différentiel
Motifs de la décision :
E X sollicite un sursis à statuer dans l'attente du pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel
de Pau du 10 janvier 2019 et de la procédure pénale qu'il a lui même initiée sur plainte du
11 février 2019. Il expose qu'une décision de référé n'a pas autorité de la chose jugée
s'agissant du pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel du 10 janvier 2019 et que sa plainte
pénale est fondée sur les constatations de l'expertise ordonnée pour évaluer ses titres.
Eu égard à l'objet du litige qui porte sur l'évaluation des titres de E X dans la SAS Bobion
et Joanin et l'application du pacte d'associés du 1er septembre 2009, le sursis à statuer
sollicité doit être rejeté dans la mesure où l'arrêt de la cour d'appel de Pau frappé d'un
pourvoi est exécutoire, peu important qu'il n'est pas acquis autorité de la chose jugée,
alors que les parties ont eu recours à l'expertise judiciaire pour évaluer les titres de E X et
que, selon le pacte d'associés du 1er septembre 2009, en cas de recours à l'expertise, le
prix était payable dans les 8 jours de sa fixation par l'expert (article 6).
De même, le dépôt de plainte pour abus de biens sociaux ou faux en écritures privées
fondée sur des éléments recueillis dans le rapport d'expertise, aux fins d'évaluation des
titres de E X, ne peut justifier la demande de sursis à statuer alors que les éléments
relevés dans le cadre de la plainte ont été retraités et pris en considération par l'expert
dans l'évaluation des dits titres pour écarter toute dévaluation des titres ainsi évalués.
L'action diligentée par la SAS Bobion et Joanin dans le présent litige, porte sur
l'affirmation de la date de cession des actions telle que l'a fixée le juge des référés et
partant la cour d'appel par arrêt confirmatif, et surtout sur l'évaluation des titres de E X
établie par l'expert désigné, en cherchant à lui appliquer des décotes.
A l'examen des statuts de la société et notamment de son article 12 repris par le pacte
d'associés du 1er septembre 2009, la désignation de l'expert sur le prix des titres devait se
faire dans le cadre de l'article 1843-4 du code civil conformément à la volonté des parties.
En application des articles 1843-4 et 1869 du code civil dans leur version applicable au
cas d'espèce, dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé,
ou le rachat de ceux ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de
contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles,
par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours
possible .
Saisie par assignation en fixation du prix des titres après rapport de l'expert désigné, la
cour d'appel, avant de condamner à payer la somme fixée par un expert, au motif que les
parties ayant choisi de s'en remettre à un tiers pour fixer le prix de cession des titres, doit
rechercher si les griefs allégués à l'encontre des opérations d'expertise constituent ou non
des erreurs grossières.
Le tiers estimateur détermine seul les critères appropriés pour fixer la valeur des droits
sociaux en cause, sans que le juge puisse lui indiquer la méthode à suivre.
Sur les griefs allégués par les parties à l'encontre du rapport d'expertise, il convient donc
de rechercher si ces griefs constituent des erreurs grossières de l'expert désigné pour
évaluer le prix recherché.
La SAS Bobion & Joanin, D F Y et la SAS Bily BTK Ltdt, parties intimées en appel,
demandent que la cour valide l'estimation retenue par le tribunal de commerce soit une
évaluation de la société SAS Bobion & Joanin à 13.949.747,37 euros pour les 25920
actions en retenant qu'il s'agit d'une société distribuant des dividendes et qu'il convient
d'appliquer la fourchette basse à la valeur globale de la société et en considérant que D F
Y est l'homme clé de la société, assurant à lui seul plus de 70% du chiffre commercial
grâce à son réseau personnel.
Elles entendent obtenir que la cour retienne par conséquent une valeur de la société à
12.554.772, 64 euros soit une valeur des titres de E X de 564.763,76 euros après
application de diverses décotes.
Sur les décotes sollicitées, il convient de relever que l'erreur grossière de l'expert n'est pas
établie.
En effet, dans son rapport daté du 31 juillet 2018, après avoir répondu aux dires des
parties, Madame Z, expert, a estimé, avec une fourchette de plus ou moins 10% pour une
entreprise non cotée, que la valeur moyenne de la société était de 15.758.385 euros
s'agissant d'une société qui ne pratiquait plus de politique systématique de distribution de
dividendes dès 2015, et ce, sans décote de minorité conformément à la mission découlant
du pacte d'associés.
L'expert a toutefois fait également une estimation de la valeur des titres de E X avec
décote de minorité de 20%.
Mais elle a expliqué les conditions d'application d'une décote de minorité et a précisé
«'dans notre cas, un accord impose le fait que M. X vende ses titres à l'actionnaire
principal.
Les parties intimées développent leur argumentation sur l'application des décotes de
minorité dans le cadre d'une évaluation judiciaire classique des titres et non dans le cadre
de l'article 1843-4 du code civil mais ne précise pas en quoi l'expert a fait une
appréciation gravement erronée ; or, dans le cadre de l'article 1843-4 du code civil
l'appréciation de la valeur est celle de l'expert sauf erreur grossière de sa part.
La cour ne retiendra donc pas l'erreur grossière sur le défaut d'application de la décote de
minorité dès lors qu'en effet, l'associé majoritaire en acquérant les titres de E X n'aura pas
d'effet négatif lié à la minorité des dits titres.
Sur la valorisation de la société, l'expert judiciaire avait en effet, dans un premier temps,
considéré que la SAS Bobion et Joanin était une société à distribution de dividendes puis,
à l'issue d'une réunion avec les parties tenue le 26 juillet 2018 et pour répondre à un dire
de E X, a reconsidéré sa position en constatant que les représentants de la société lui
répondaient que pour 2017, il n'y avait pas eu de dividendes et que ce n'était pas
automatique.
Le seul fait qu'il y ait eu des distributions de dividendes plusieurs années de suite depuis
1998 ne suffit pas à établir que l'expert a commis une erreur grossière dans l'évaluation de
la société en retenant qu'en 2017 ce n'est pas une société à distribution de dividendes
alors que les distributions n'ont en effet pas eu lieu en 2016.
De même, le seul fait d'affirmer que D F Y assure plus de 70% de l'activité commerciale
ne suffit pas à justifier que la formule basse de l 'expert doive être nécessairement
retenue.
Il rappelle que la société est une société qui ne distribue pas de dividendes, selon lui
depuis 2015, et que l'expert devait pouvoir intégrer les comptes de l'exercice 2017 qui
n'ont été déposés au greffe du tribunal de commerce que le 30 juillet 2018 alors que le
rapport d'expertise a été déposé le 31 juillet 2018.
La cour rappelle que, dans le cadre des dispositions de l'article 1843-4 du code civil, il
n'appartient pas au juge de dire quelle méthode d'évaluation de la société doit être
retenue.
Par ailleurs, la cour constate que, dans ses conclusions, E X ne décrit aucune erreur
grossière de l'expert, madame Z, dans son rapport. Il se borne à produire une autre étude,
celle du cabinet SMS dont les travaux ont été vérifiés par le cabinet d'Audit et de conseils
BDAC, et à critiquer l'analyse de ses adversaires.
Or, le pacte d'associés du 1er septembre 2009 stipulait qu'en cas de désaccord, les parties
demanderaient au tribunal la désignation d'un expert ; l'évaluation de cet expert doit donc
être la fixation du prix et non celle du cabinet SMS.
La cour relève que cette étude du cabinet SMS ne comporte aucune critique de l'expertise
de madame Z sauf quelques anomalies de report qui ne sont guère explicites, qu'elle n'est
ni signée par son auteur ni datée et qu'elle évoque l'omission du B alors qu'en page 20 du
rapport, madame Z a traité et intégré les fonds B. De même, elle a retraité notamment les
fonds provenant de la sous traitance de l'établissement de Bordeaux avant 2017.
Elle a ainsi privilégié la valeur mathématique (VM = la valeur des fonds qu'il serait
nécessaire d'investir pour reconstituer le patrimoine de la société dans son état actuel), la
valeur de rendement (VR = la valeur globale de la société fondée sur les seuls bénéfices
distribués à partir de ses moyens actuels), la valeur de rentabilité de MBA (VRMBA=
marge brute d'autofinancement), la valeur de productivité (VP = capacité à générer des
bénéfices), la valeur de rentabilité du chiffre d'affaires (VRCA = excédent brut
d'exploitation à partir d'un chiffre d'affaires moyen) et la valeur fondée sur le good will
( VG = la capacité éventuelle de la société à dégager un bénéfice supérieur à celui qui
correspondrait à une rémunération normale des capitaux engagés).
Pour une société ne distribuant pas de dividendes elle a utilisé la formule suivante
combinant l'ensemble des méthodes :
[(VM+VP+2VRCA/4+VG]/2 .
Force est de constater que E X n'établit aucune erreur grossière du travail de l'expert de
nature à remettre en cause son évaluation.
La cour en déduit qu'à défaut d'établir des erreurs grossières dans le travail de l'expert, les
parties ne peuvent demander de remettre en cause l'évaluation de la société faite par
l'expert désigné selon leur volonté dans le pacte d'associés.
Il convient de rappeler que la valorisation de la société Bobion & Joanin devait se faire
sans décote de minorité selon le pacte d'associé et selon les critères retenus par l'expert.
La valeur de la société est donc celle retenue par l'expert, Madame Z, comme valeur
moyenne sans décote de minorité soit 15.758.385 euros et la valeur des titres de E X pour
1166 actions est donc de 708.884 euros.
- sur la demande de condamnation de la Sas Bily BTK ltdt à 150.000 euros en application
de l'article 7 du pacte d'associés du 1er septembre 2009 :
L 'article 7 intitulé «'garantie de revenus'» stipule que «' la SAS Bily BTK Ltdt s'oblige à
garantir à M. D G X, en sus de la rémunération résultant de son contrat de travail un
revenu annuel complémentaire de 50.000 euros net et avant impôts et prélèvements à la
charge personnelle de M. D G X qui lui sera versé ou bien sous forme de prime ou bien
sous forme de dividende au choix de l'actionnaire majoritaire, dès lors que le résultat net
annuel après impôt de la société sera supérieur ou égal à 800.000 euros'»
Les parties intimées font observer qu'au titre de l'année 2015, alors que E X était encore
salarié de la société Bobion & Joanin, la société lui a versé plus de 50.000 euros de
revenus annuels complémentaires à son salaire en primes et dividendes. Et en revanche,
l'ayant licencié à compter du 22 mars 2016, elles considèrent qu'il ne pouvait prétendre à
l'application de l'article 7 ni en 2016 ni en 2017 et ce d'autant plus qu'il a été embauché
par un concurrent dès septembre 2016.
E X ne répond pas aux parties intimées sur l'interprétation de la clause ni sur le versement
des sommes versées en 2015.
Or, la clause de l'article 7 doit s'interpréter strictement et selon l'article 1162 ancien du
code civil, elle doit s'interpréter dans le doute en faveur de celui qui a contracté
l'obligation.
Cette rémunération complémentaire est donc bien liée au statut de salarié de l'associé
signataire du pacte d'associé et doit être allouée en fonction de la contribution du salarié
associé à la richesse de l'entreprise par son activité personnelle.
En revanche, elle est due pour l'année 2016 dont le résultat net de la société après
retraitement par l'expert a été de 1.260.206 euros, mais a proportion de la durée de travail
effectif de E X sur l'année 2016 soit du 1er janvier au 23 mars 2016 =31+28+23 =82
jours. La garantie pour 2016 sera donc de 50.000 euros x 82/365 =11.232,87 euros. La
SAS Bily BTK Ttdt versera la somme de 11.232,87 euros à E X au titre de l'article 7 pour
2016.
Eu égard à l'issue du litige, cette demande des parties intimées est sans objet du fait du
montant des condamnations qui incombent à la SAS Bily BTK Ltdt en définitive.
En effet, la SAS Bily BTK Ltdt dit avoir exécuté le jugement de première instance à
concurrence de 52.660,49 euros. Il conviendra de prononcer la condamnation en deniers
et quittances et les parties feront le décompte des sommes restant à verser.
Eu égard à la spécificité du litige, les parties se partageront par moitié la charge des
dépens de première instance et d'appel et conserveront la charge de leurs frais
irrépétibles.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a jugé que les frais de l'expertise judiciaire
seraient supportés pour moitié par E X et condamné E X à verser à la société Bobion et
Joanin la somme globale de 4.264,82 euros en remboursement de sa part relative aux frais
d'expertise.
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe,
par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Rejette la demande de sursis à statuer en appel,
- dit qu'une décote cumulée de 30% doit être appliquée à la valeur brute des titres de E X
- rappelé que la somme de 337.382 euros a déjà été versée à Monsieur X le 27 février
2018
- jugé que la valeur des titres restant due s'élevait à la somme de 57.952,63 euros et devait
être versée par la société Bily BTK ltdt à E X
- dit que la valorisation faite par l'expert désigné Madame Z est la seule à retenir en
application du pacte d'associés du 1er septembre 2009
- condamne par conséquent la SAS Bily BTK Ltdt à verser à D G X la somme de 708.884
euros pour la cession de ses 1166 actions en deniers et quittances
- rappelle que E X a déjà perçu la somme de 337.382 euros au titre de la part invariable
de la valeur de ses actions, condamnation ordonnée en référé le 20 février 2018
- condamne la SAS Bily BTK Ltdt à verser la somme de 11.232,87 euros à E X au titre
de l'article 7 uniquement pour l'année 2016 et déboute E X de ses demandes pour 2015,
somme déjà versée, et pour 2017, somme non due.
- fait masse des dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile pour les fais
irrépétibles en première instance et en appel.,
Le présent arrêt a été signé par Madame SALMERON, Président, et par Madame
SAYOUS, greffier suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT,