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SYNDROMES MYÉLODYSPLASIQUES

Le retour de la décitabine, ■ Auteurs

par voie orale ? Emmanuel GYAN,


Tours.

Sandrine KATSAHIAN,
Équivalence d’exposition pharmacocinétique et résultats préliminaires Paris.
d’efficacité et sécurité d’une étude randomisée en cross-over de
phase 3 (étude ASCERTAIN) d’un agent hypométhylant oral ASTX727
(cédazuridine/décitabine) en comparaison avec la décitabine IV.
Pharmacokinetic Exposure Equivalence and Preliminary Efficacy
and Safety from a Randomized Cross over Phase 3 Study
(ASCERTAIN study) of an Oral Hypomethylating Agent ASTX727
(cedazuridine/decitabine) Compared to IV Decitabine.
D’après la communication orale de Garcia Manero et al., abstract #846, ASH 2019.

Contexte de l'étude agir, avec une augmentation du taux


de réponse avec le temps d’admi-
Utilisée outre-Atlantique de façon nistration (Silverman et al., 2011).
beaucoup plus large qu’en Europe, la La décitabine n’a peut-être pas dit
décitabine est un agent déméthylant son dernier mot, car, à l’instar de
qui est à l’ADN ce que la 5-azacitidine l’azacitidine qui poursuit un dévelop-
est à l’ARN. Les deux agents sont des pement par voie orale, une prodrogue
inhibiteurs de la DNA méthyltransfé- orale de la décitabine associée à la
rase, et ont été associés à une sur- cédazuridine, un inhibiteur de la
vie prolongée dans les SMD de haut cytidine déaminase (qui dégrade la
risque, avec 26 mois de médiane de décitabine) est en cours de mis au
survie avec la 5-azacitidine en compa- point, comme en témoigne cette étude
raison avec 15 mois pour traitement de pharmacocinétique dans laquelle
au choix de l’investigateur (Fenaux le patient est son propre contrôle. Au
et al., 2009), et de 12 mois vs. 7,8 cours de l’étude de phase 1, les au-
mois avec la décitabine en compa- teurs ont montré que 30 à 40 mg de
raison avec le best supportive care décitabine orale associée à 100 mg
(Kantarjian et al., 2006). Dans les de cédazuridine permet d’obtenir une
LAM, la 5-azacitidine est aussi asso- AUC comparable à celle d’une injec-
ciée à une survie plus longue de 4,1 tion de 100 mg de décitabine IV, avec
mois chez les sujet âgés (Dombret un ration d’AUC Oral/IV de 98%. Dans
et al., 2015), et de 2,7 mois avec la une phase II, les 80 patients atteints
décitabine (Kantarjian et al., 2012). de SMD/LMMC ont obtenu des taux
Dans les SMD, la différence de straté- de réponse (RC + RP + amélioration
gie d’administration des deux drogues hématologique) de 60%, avec une du-
a peut-être conduit au déférencement rée médiane de la réponse complète
de la décitabine en France. En effet, de 13,3 mois et de survie de 18,3
dans l’étude de Kantarjian, elle arrêtée mois, ce qui est plutôt encourageant
en cas de non-réponse, tandis que la par rapports aux résultats cliniques de
5-azacitidine était administrée jusqu’à la décitabine IV dans cette population
progression (Fenaux et al., 2009). rappelés plus haut.
Or on sait que les déméthylants
ont parfois besoin de temps pour Objectifs de l'étude
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L’étude ASCERTAIN est une étude étaient à l’appui de cette observa-


de phase 3 randomisée évaluant au tion. En outre, une étude pharma-
cours d’une séquence de traitement codynamique de la méthylation de
par ASTX727, la différence au cours promoteurs de LINE-1 a montré des
des deux premiers cycles entre la résultats comparables (figure 3). Les
pharmacocinétique de l’ASTX727 et résultats de réponse de la phase 2
la décitabine IV (figure 1). étaient confirmés avec une réponse
L’étude randomisée en cross-over globale de 64%, dont un taux de ré-
permet d’évaluer la différence de ponse complète de 12%. 32% des
pharmacocinétique avec un design patients dépendants des transfu-
permettant de s’affranchir de la va- sions à la baseline ont obtenu une
riabilité interindividuelle, mais ne indépendance transfusionnelle de
permettra pas de conclure quant à plus de 8 semaines. Les effets se-
une supériorité dans la mesure où condaires étaient comparables entre
tous les patients sont traités à partir les deux groupes.
du cycle 3 par l’ASTX727.
En résumé, les auteurs concluent que
Résultats de l’étude cette formulation de décitabine orale +
inhibiteur de CDA est pharmacolo-
Les 133 patients randomisés étaient giquement et cliniquement équi-
principalement des hommes (65%), valente à la forme IV, représentant
IPSS Int-1 et Int-2 (64%), dépen- une alternative « patient friendly »
dants des transfusions pour 39%, à la décitabine IV.
et avec une médiane d’ECOG à 1.
L’objectif principal, à savoir le ratio Quels impacts sur les connais-
de la moyenne géométrique de l’AUC sances et les pratiques cliniques ?
entre les deux premiers cycles, était
calculé à 98,9, ce qui témoigne Les contraintes de stabilité et de
d’une comparabilité pharmacoci- préparation des agents déméthylants
nétique malgré une variabilité in- obligent un nombre certain de pa-
Figure 1 : schéma de tra-sujet de 32% (figure 2). Les ana- tients à effectuer des allées et ve-
l’étude ASCERTAIN. lyses de sensibilité supplémentaires nues à l’hôpital pour l’administration

Cycle 1 Cycle 2
(int/high risk MDS;
CMML; AML 20-30% blasts) Oral ASTX727 IV Decitabine ≥ 3 cycles
1 tablet x 5 d 1 h IV infusion x5 d
Sequence A
1.1 Oral ASTX727
Randomization 1 tablet x 5 d

At least 118 evaluable Sequence A


IV Decitabine Oral ASTX727
patients with adequate PK
1 h IV infusion x 5d 1 tablet x 5 d
in Cycles 1 and 2

Major entry criteria Primary endpoint


• Candidates for IV decitabine • Total 5-d decitabine AUC
• ECOG PS 0-1 equivalence (Oral/IV 90% CI
• Life expectancy of ≥ 3 months between 80% and 125%)
• Adequate Organ Function Secondary endpoints
• One prior cycle of HMA is allowed • Efficacy: Response rate; Transfusion
independance; duration of response;
Leukemia-free and overall survival
• Safety of ASTX727
• Max Lina-1 demethylation
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SYNDROMES MYÉLODYSPLASIQUES ■ Abstract #846

ORAL ASTX727 IV DEC


1000
Plasma DEC AUC0-24 (h.ng/mL)

Individual decitabine exposures from


oral fixed-dose ASTX727 dosing
100 largely overlapped with IV decitabine
BSA-based dosing

Individual
Geometric mean

10
Day 1 Day 2 Day 5 Day 1 Day 5

Cycle 1 Cycle 2
(n=62) (n=63) ASTX727
0
IV decitabine
-2
Max. %LINE-1 Demethylation

-4
-6
LSM (95% CI)

-8
-10
-12
-14 -11.2%
-12.0%
-13.3% ∆ -0.8%
-16 -14.0%
-18 ∆ -0.7%

• No significant difference in % LINE-1 DNA demethylation between ASTX727


and IV decitabine (<1% difference in each cycle)

de leur traitement, avec des durées de ces déméthylants oraux :


de traitement qui s’allongent avec • quelle place de l’ASTX727 par Figure 2 : comparaison
les progrès thérapeutiques. rapport à l’azacitidine orale qui de l’AUC0-24 entre
La perspective d’une administra- trouve une place en entretien décitabine IV et
tion orale représente en effet une dans la LAM actuellement ? ASTX727.
amélioration significative de la qua- • comment associer l’ASTX727
Figure 3 : étude
lité de vie des patients, surtout si avec d’autres agents comme
pharmacodynamique
l’efficacité et la tolérance sont au ceux décrits dans l’introduction ? de la déméthylation
rendez-vous. • l’inhibiteur de CDA peut-il en- des promoteurs
Il reste toutefois plusieurs questions traîner des interactions médica- LINE-1.
à traiter avant de pouvoir bénéficier menteuses délétères ?
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• comment accompagner au des perspectives intéressantes d’un


mieux ces patients exposés à point de vue pratique pour les pa-
des effets secondaires ? tients, avec une modification des or-
Même si le concept n’est pas révolu- ganisations hospitalières et/ou d’hos-
tionnaire (l’ASTX727 reste un agent pitalisation à domicile. La place des
déméthylant), le développement de infirmières de thérapies orales voire
cette nouvelle thérapie orale offre d’IPA sera sans doute cruciale.
■ Références
1. Dombret, H., Seymour, J.F., Butrym, A., Wierzbowska, A., Selleslag, D., Jang, J.H., Kumar, R., Cavenagh, J., Schuh, A.C.,
Candoni, A., Récher, C., Sandhu, I., Bernal del Castillo, T., Al-Ali, H.K., Martinelli, G., Falantes, J., Noppeney, R., Stone,
R.M., Minden, M.D., McIntyre, H., et al (2015) International phase 3 study of azacitidine vs conventional care regimens
in older patients with newly diagnosed AML with &gt;30% blasts. Blood, 126, 291–299.
2. Fenaux, P., Mufti, G.J., Hellstrom-Lindberg, E., Santini, V., Finelli, C., Giagounidis, A., Schoch, R., Gattermann, N., Sanz,
G., List, A., Gore, S.D., Seymour, J.F., Bennett, J.M., Byrd, J., Backstrom, J., Zimmerman, L., McKenzie, D., Beach, C. &
Silverman, L.R. (2009) Efficacy of azacitidine compared with that of conventional care regimens in the treatment of
higher-risk myelodysplastic syndromes: a randomised, open-label, phase III study. The lancet oncology, 10, 223–32.
3. Kantarjian, H., Issa, J.-P.J., Rosenfeld, C.S., Bennett, J.M., Albitar, M., DiPersio, J., Klimek, V., Slack, J., de Castro, C.,
Ravandi, F., Helmer III, R., Shen, L., Nimer, S.D., Leavitt, R., Raza, A. & Saba, H. (2006) Decitabine improves patient
outcomes in myelodysplastic syndromes. Cancer, 106, 1794–1803.
4. Kantarjian, H.M., Thomas, X.G., Dmoszynska, A., Wierzbowska, A., Mazur, G., Mayer, J., Gau, J.-P., Chou, W.-C., Buckstein, R.,
Cermak, J., Kuo, C.-Y., Oriol, A., Ravandi, F., Faderl, S., Delaunay, J., Lysák, D., Minden, M. & Arthur, C. (2012) Multicenter,
Randomized, Open-Label, Phase III Trial of Decitabine Versus Patient Choice, With Physician Advice, of Either Supportive
Care or Low-Dose Cytarabine for the Treatment of Older Patients With Newly Diagnosed Acute Myeloid Leukemia. Journal
of Clinical Oncology, 30, 2670–2677.
5. Silverman, L.R., Fenaux, P., Mufti, G.J., Santini, V., Hellström-Lindberg, E., Gattermann, N., Sanz, G., List, A.F., Gore, S.D. &
Seymour, J.F. (2011) Continued azacitidine therapy beyond time of first response improves quality of response in patients
with higher-risk myelodysplastic syndromes. Cancer, 117, 2697–2702 Available at: https://doi.org/10.1002/cncr.25774.

■ Critique méthodologique

Dans l’étude ASCERTAIN, le sujet est ici son propre témoin et reçoit, dans un ordre aléatoire,
l’ASTX727 et la décitabine IV. Le principal avantage de cet essai croisé est d’être, à effectif iden-
tique, plus puissant que l’essai en bras parallèles. Il faut garder à l’esprit que le gain de puissance
est d’autant plus grand que la variabilité intra-sujet est faible par rapport à la variabilité inter-sujets
et que la différence d’effet attendu entre les deux traitements comparés est faible par rapport à
la variabilité inter-sujets.
En effet, l’essai crossover sera plus puissant qu’un essai en bras parallèle s’il existe une corrélation
forte entre les mesures faites chez le même sujet (ici variabilité intra-patient de 32%) et que les
mesures effectuées chez le même sujet soient moins variables que celles effectuées entre sujets
(la variabilité inter sujets n’est pas renseigné).
Lors de l'analyse statistique d’un plan expérimental en crossover, il faut donc tenir compte des
quatre paramètres suivants :
- l'effet sujet;
- l'effet traitement;
- l'effet période;
- l’interaction du traitement et de la période.
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SYNDROMES MYÉLODYSPLASIQUES ■ Abstract #846

Points forts Points faibles

• Cross-over : pas de possibilité


• Étude prospective. de comparaison de la réponse,
• Effectif confortable. de la survie sans leucémie
Cliniques ou de la survie globale.
• Affranchissement de la
variabilité interindividuelle. • Pas de possibilité de comparer
la tolérance à long terme.

• Bénéfice cliniquement pertinent • Analyse exploiratoire faite sur


Statistiques devra être confirmé dans 200 patients alors que l'essai en
une étude confirmatoire. prévoyait initialement plus de 400.

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