MARDI 19 MARS 2024

80E ANNÉE – NO 24637

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FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Poutine renforce son emprise sur la Russie

▶ Le président russe a ob-
tenu un nouveau mandat
▶ Un mois après la mort
en prison d’Alexeï Navalny,
▶ Etalé sur trois jours,
le scrutin s’est tenu dans
▶ Aucune inflexion
n’est à attendre de la part 1 ÉDITORIAL
de six ans au terme d’un l’appel de l’opposition dé- un climat de tensions exa- du président russe, UN TRIOMPHE
processus électoral con- mocrate à voter dimanche cerbées par des incidents notamment sur le front
trôlé, qui a pris des allures à midi en signe de défi n’a et des incursions armées de la guerre en Ukraine FORCÉ
de plébiscite personnel pesé que symboliquement dans le sud du pays PAGE S 2 E T 4 PAGE 3 1

Politique
Pourquoi LFI
UNE SÉCHERESSE CRITIQUE S’INSTALLE Education
La Seine-Saint-
met en avant DANS LE BASSIN MÉDITERRANÉEN Denis réclame
la cause ▶ Dans toute la région, le déficit de précipitations devient peu à peu la norme un « plan
palestinienne ▶ Les effets sur l’agriculture et l’alimentation en eau potable sont rapides et importants
PAGE S 8 - 9
d’urgence »
En vue des européennes Depuis fin février, des
de juin, les « insoumis » enseignants, des élèves
assument un positionne- et des parents du départe-
ment propalestinien et ment francilien sont
espèrent en faire un motif mobilisés. Entre manque
de mobilisation électorale structurel de personnels
PAGE 1 0 Bucarest
et bâti scolaire dégradé,
Milan le « 9-3 » cumule
les difficultés
Florence

Israël
PAGE 1 4
Sarajevo
Kayseri
Bari
Benny Gantz, Barcelone Paris 2024
le rival indécis Malaga
Palerme Thomas Bach :
de Nétanyahou Rabat
Oran « Je suis plus
Tunis
Présenté par ses proches Mer Méditerra
née que confiant »
comme l’« adulte dans la
pièce » au sein du gouver- Dans un entretien, le
nement, l’ancien parachu- président du CIO évoque
tiste est populaire, mais la préparation des Jeux
refuse de se différencier Déficit d’eau dans les sols et la lourde question de la
trop fortement du participation des athlètes
premier ministre russes aux cérémonies
Important Modéré Infographie Le Monde Sources : Chirps ; Copernicus PAGE 2 1
PAGE 6

Economie Tribune Séries Energie

Cinq responsables « La Fièvre »,
François Ecalle,
l’« influenceur » syndicaux contre une prémonition Dans l’Allier,
des finances la « stigmatisation de la guerre civile, le rêve de l’« or
blanc » et
BELLES ADRESSES – À PARIS ET AILLEURS
publiques des chômeurs » par Eric Benzekri
PAGE 1 3 PAGE 3 0 PAGE 2 3

la controverse
VU PAR URBS (FRANCE) CARTOONING FOR PEACE A Echassières, Imerys veut
ouvrir une mine de li-
thium, emblématique des
ambitions françaises. Le
projet suscite un vif débat
PAGE 1 6

Bonnes feuilles
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Le cyberespace,
nid d’espions et
terrain de guerres
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INTERNATIONAL
0123
MARDI 19 MARS 2024

Poutine, chef de guerre tout-puissant

Le président russe, 71 ans, a été réélu avec 87 % des suffrages, lors d’un scrutin organisé sans réel opposant

moscou - correspondant

F
ace à ceux qui la rêve-
raient faible ou désunie, la
Russie affiche un front
uni, monolithique jus-
qu’à la caricature. En plus du plé-
biscite personnel accordé à Vladi-
mir Poutine, qui se voit reconduit
au pouvoir pour un nouveau
mandat de six ans, c’est le message
qu’envoie le résultat de l’élection
présidentielle conclue dimanche
soir 17 mars, au terme de trois
jours de vote. Les chiffres quasi dé-
finitifs attribuaient lundi matin le
score exceptionnellement élevé
de 87,32 % des suffrages au prési-
dent sortant, 71 ans, que la télévi-
sion rebaptisait en « leader natio-
nal », dimanche soir. La participa-
tion, elle, a été annoncée à 74,22 %.
Avec ce résultat, Vladimir Pou-
tine bat son record précédent de
2018 (76 %) – et passe de la catégo-
rie des résultats « à la biélorusse » à
ceux pratiqués dans la baroque
dictature turkmène. Autre record :
à moins d’un accident, M. Poutine
aura dépassé à l’issue de ce man-
dat, en 2030, le record de longévité
au Kremlin de Joseph Staline.
Le scrutin avait été planifié pour
coïncider avec les dix ans du « rat-
tachement » de la Crimée à la Rus-
sie, le « grand œuvre » du premier
quart de siècle de Vladimir Pou-
tine au pouvoir. Il a finalement été
rattrapé par la guerre : les trois
jours d’élections ont été émaillés
de bombardements et d’incur-
sions armées dans les régions du
sud du pays, d’attaques de drones
en profondeur et d’incidents visi- Le président russe, Vladimir Poutine, à Moscou, le 18 mars. NATALIA KOLESNIKOVA/AFP
blement téléguidés de l’extérieur
dans quelques bureaux de vote.
quartier général, M. Poutine a lui- a pu voir des isoloirs sans rideaux dredi soir, à l’issue du premier jour des suffrages, devant le jeune
Entorses au secret du vote même attribué les bons chiffres de
Le chef de l’Etat et des urnes surveillées de près par de vote, un chiffre de participation homme d’affaires Vladislav Da-
Là encore, les résultats sont affi- participation au fait que « la Russie s’est depuis des policiers. Plusieurs arresta- identique de 47 %. En 2018, cette vankov, censé capter le vote d’une
chés comme une preuve de la dé- défende les armes à la main son tions ont été signalées pour des étude des bureaux de vote où la partie des libéraux orphelins de
termination de Moscou. M. Pou- droit à se développer ». Il a consacré
longtemps messages inscrits sur des bulletins participation et le soutien au pou- toute représentation politique.
tine est crédité de 96,45 % des l’essentiel de cette intervention convaincu que (qui ne sont en Russie pas fermés voir font des bonds inexpliqués Quel que soit son poids symboli-
suffrages à Belgorod, la région la aux questions géopolitiques, évo- dans une enveloppe). avait permis d’évaluer le nombre que, l’appel de l’opposition démo-
plus touchée par les combats, ou quant aussi bien la possibilité
son peuple Cette année, les autorités ont de voix indûment attribuées à Vla- crate à voter dimanche à midi, en
de 95 % et 92 % dans celles de Do- d’une guerre mondiale, celle d’une le suivrait aussi eu un recours plus extensif dimir Poutine entre 10 millions et signe de défi, pèse bien peu. Au
netsk et Zaporijia, occupées par annexion de la région ukrai- que d’ordinaire à la « ressource ad- 17 millions sur 56 millions. cours de sa brève conférence de
l’armée russe. Pas question pour nienne de Kharkiv que – vague-
jusqu’au bout ministrative », qui consiste à faire presse improvisée dans la soirée,
autant de laisser croire à de quel- ment – la proposition d’une trêve pression sur tous ceux – retraités, La loyauté des poursuivants M. Poutine s’est même payé le luxe
conques divergences régionales. olympique formulée par le prési- fonctionnaires ou employés des Le président russe sort quoi qu’il de prononcer pour la première
La Tchétchénie attribue 99,3 % au dent français, Emmanuel Macron. tions permettant de rendre moins grandes entreprises – dont la sub- en soit renforcé de cette séquence fois de sa vie, en réponse à la ques-
chef du Kremlin, et même Mos- La guerre était bien dans les es- visibles, voire moins nécessaires, sistance dépend de l’Etat. Le site électorale. Il s’agissait avant tout tion d’un journaliste américain, le
cou, réputée être un foyer de prits des électeurs rencontrés no- les falsifications les plus grossiè- économique The Bell donnait pour lui de rappeler, tant en in- nom d’Alexeï Navalny, mort en pri-
contestation, atteint les 85,3 %. tamment à Koroliov, à une cin- res : vote électronique ; vote sur l’exemple de la compagnie aé- terne qu’à l’extérieur, la solidité de son le 16 février. « C’est la vie » et
Ce climat de tensions exacerbées quantaine de kilomètres de Mos- trois jours ; réduction drastique rienne Aeroflot, sommée de faire son contrôle sur la Russie. « Si les « de telles choses n’arrivent-elles
a probablement renforcé le réel cou. Elle inquiète, elle angoisse, des possibilités offertes aux ci- voter 90 % de ses employés. Même candidats placés face à lui avaient pas aux Etats-Unis ? », a-t-il com-
soutien dont bénéficie M. Poutine mais elle n’est pas portée au passif toyens qui le souhaitent d’obser- des parents d’élèves ont reçu des obtenu ensemble plus de 20 %, les menté, confirmant qu’un échange
auprès d’une partie importante de de Vladimir Poutine. Même chez ver le scrutin… Résultat : on a peu enseignants de leurs enfants des élites auraient commencé à se po- de prisonniers avait été envisagé.
la population. C’est même là le les plus tièdes : « Puisqu’il l’a com- de vidéos de bourrages d’urnes ou SMS leur demandant des comptes ser des questions, note le polito- Le président russe dispose plus
génie des propagandistes du mencée, il doit être capable de la de votes multiples, qui font le folk- et le nombre de membres de leur logue en exil Dmitri Orechkine. que jamais d’un pouvoir sans limi-
Kremlin : avoir réussi à transfor- terminer », plaidait une retraitée, lore des élections russes depuis famille à s’être déplacés. Là, le message sera bien reçu. » tes. Il semble en bonne forme phy-
mer l’invasion de l’Ukraine en une quand d’autres y voient une que des caméras ont été installées Reste, pour se faire une idée des Ses poursuivants, sélectionnés sique ; la Constitution, qu’il a mo-
agression occidentale, et une source de « fierté » retrouvée. dans les bureaux, en 2012. Depuis dynamiques électorales à l’œuvre, pour leur discrétion et leur loyauté difiée en 2020, lui permet désor-
guerre de conquête en un combat Pour autant, ce soutien est-il 2021, l’accès à ces caméras a par l’étude des anomalies statistiques, sans faille au pouvoir, sont de fait mais de rester au Kremlin jus-
pour les « valeurs traditionnelles » aussi massif que l’affirment les ailleurs été restreint. qui livrera ses secrets progressive- condamnés à ramasser les miet- qu’en 2036. Pour quoi faire ? Rien,
ou la « souveraineté » de la Russie. chiffres de la commission électo- A l’inverse, et de manière nou- ment. Exemple : à Stary Oskol, tes. Le communiste Nikolaï Khari- au sommet de l’Etat, ne laisse en-
Dimanche soir, lors d’une confé- rale ? Ces dernières années, le pou- velle, des entorses au secret du 230 000 habitants, les 136 bureaux tonov semblait dimanche soir te- trevoir une quelconque inflexion
rence de presse improvisée à son voir russe a multiplié les innova- vote ont été constatées. Le Monde de vote de la ville affichaient, ven- nir la deuxième place, avec 4,30 % ou un changement de la politique.
Depuis deux ans, Vladimir Pou-
tine fait même preuve d’une cons-
A l’étranger, la diaspora répond à l’appel de l’opposition tance à toute épreuve. Lorsque
Moscou semblait en difficulté, cel-
le-ci pouvait ressembler à de la
la file d’attente s’est brusquement al- cher les cases de deux candidats autres que Des files d’attente d’une longueur très celui d’Athènes donne une majorité à Vla- passivité. Aujourd’hui, l’armée
longée de plusieurs centaines de mètres, Poutine, comme l’équipe de Navalny nous inhabituelle ont également été obser- dimir Poutine. Le chef de l’Etat russe est russe avance, l’économie résiste,
au milieu de la journée, dimanche l’a recommandé, pour que mon vote vées, dimanche, devant de nombreuses presque partout ailleurs devancé par le l’opposition est décapitée, l’élite
17 mars, pour voter à l’ambassade de compte et soit considéré comme ex- ambassades et consulats à travers le candidat « libéral » Vladislav Davankov. A tient. Et le chef de l’Etat s’est depuis
Russie, boulevard Lannes, à Paris. « Il y primé. » « Moi, je m’en fiche du décompte, monde – en Turquie, au Japon, mais sur- Paris, ce dernier récoltait 51 % des votes, longtemps convaincu que son
avait peu de monde jusqu’à 10 h 30. A par- intervient Alexandra, 25 ans. Je vais écrire tout à Berlin, où des centaines de per- contre 11 % pour Vladimir Poutine ; 28 % peuple le suivrait jusqu’au bout.
tir de 11 heures, j’ai observé un gros af- Navalny en gros et rayer les autres noms. » sonnes sont restées sur le trottoir, après des bulletins étaient non valides, tou- En clair, il faut attendre que l’en-
flux », raconte Olga Emelianova, 27 ans, Peu après midi, un rassemblement la fermeture du consulat. Des images jours selon Voteabroad.info. nemi s’écroule – sur le champ de
postée à l’angle de l’ambassade pour réa- grossit du flot de ceux qui ont déjà voté, diffusées sur Telegram montrent une « Le MID [ministère russe des affaires bataille ou sur le terrain diplomati-
liser un sondage de sortie des urnes de ceux qui n’iront pas, et aussi de Fran- foule plutôt jeune scandant en russe des étrangères] divise le monde en deux que, dans la foulée de la présiden-
pour l’organisation indépendante Vo- çais venus témoigner leur solidarité. Des slogans tels que « Honte ! », « Où est ma camps : les pays où l’électorat est loyal en- tielle américaine de novembre. En
teabroad.info. A Paris, comme partout drapeaux blanc, bleu, blanc sont brandis, voix ? ! » et « Non à la guerre ! » vers le pouvoir et les autres, où le vote pro- Russie, si des changements ont
dans le monde, les composantes de l’op- aux couleurs d’un pays qui n’existe pas testataire a dominé dans le passé », expli- lieu, ils seront de second ordre : il y
position russe avaient appelé les élec- encore : la Russie démocratique. A Paris, 11 % pour Poutine que un expert du système électoral, qui a d’abord le traditionnel remanie-
teurs à venir voter à midi pour faire « Aujourd’hui, l’affluence est énorme, Un incident plus sérieux s’est déroulé à requiert l’anonymat. « Ainsi, l’Allemagne ment gouvernemental qui devrait
masse et exprimer leur défiance envers aucun doute là-dessus, assure Olga Chisinau, la capitale de Moldavie, où un ne compte que 2 bureaux de vote pour 2 à suivre l’investiture, prévue le
le scrutin présidentiel du jour, faisant Kokorina, 45 ans, directrice d’Espace Li- homme a jeté deux cocktails Molotov 3 millions de citoyens russes, alors que le 7 mai ; des hausses d’impôts sont
écho à l’opération « Midi contre Pou- bertés, un centre de soutien aux oppo- par-dessus la clôture de l’ambassade, MID en a ouvert 27 pour les 250 000 élec- aussi attendues pour financer l’ef-
tine », également organisée en Russie. sants à Vladimir Poutine, inauguré en fé- provoquant momentanément la ferme- teurs de Transnistrie », une région sépara- fort de guerre. Reste la question
La plupart des Russes patientant sous le vrier à Paris. Il y a six ans [lors de la précé- ture du bureau de vote. tiste prorusse de Moldavie. Malgré ces en- d’une éventuelle nouvelle vague
crachin parisien ont moins de 35 ans et dente élection présidentielle russe], il n’y Le caractère majoritairement protesta- traves, estime l’expert, l’opération « Midi de mobilisation, qui, elle, préoc-
beaucoup sont venus en groupe. « Je suis avait pas du tout d’attente pour voter à taire du vote de la diaspora est corroboré contre Poutine » « a fonctionné à l’étran- cupe les Russes. Il n’en a été ques-
là parce que la mort de [l’opposant russe l’ambassade. » Cette fois-ci, Olga n’a pas par les résultats non définitifs du son- ger, démontrant que les Russes sont loin tion ni durant la campagne électo-
Alexeï] Navalny me reste en travers de la voté, estimant que participer à la mani- dage de sortie des urnes réalisé par Votea- de tous soutenir Poutine et la guerre ». p rale, ni après le vote. p
gorge, explique Anton, 21 ans. Je vais co- festation suffit. broad.info. Sur 62 bureaux de vote, seul emmanuel grynszpan benoît vitkine
4 | international
A Odessa,
ville meurtrie,
le fatalisme
des habitants
La population de la cité ukrainienne
sur la mer Noire a appris à vivre
au rythme des bombardements
REPORTAGE
odessa (ukraine) - envoyé spécial
P
lus de vingt-quatre heu-
res se sont écoulées de-
puis que la rue Dacha-
Kovalevsky a été frappée.
Un mémorial de bouquets de
fleurs pour les vingt et un morts
du bombardement recouvre le
banc d’un arrêt de bus. Les mots
« mémoire éternelle » ont été appo-
sés sur des blocs de pierre à côté de
la date du vendredi 15 mars. Des
passants défilent le long de l’allée
boisée traversant le quartier rési-
dentiel d’ordinaire si paisible, mar-
quant un arrêt devant les restes de
plusieurs maisons éventrées, in-
terdites d’accès par des policiers.
Denys se trouvait à quelques
rues lorsqu’un premier missile
tiré depuis la Crimée occupée s’est
abattu. Ce samedi 16 mars, au len-
demain de la frappe la plus meur-
trière sur Odessa depuis le début
de l’invasion, l’électricien de
20 ans peine à cacher sa fatigue.
Le jeune homme désigne d’un
geste gêné l’espace où des secou-
ristes tués et blessés étaient éten-
dus. Ces derniers ont été fauchés
par un deuxième missile alors
qu’ils tentaient de secourir les vic-
times de la première frappe. Cette
tactique, qui vise les services de
secours, a été fréquemment em-
ployée par la Russie, d’abord en
Syrie, puis en Ukraine. « Je n’ai
plus peur, lâche Denys en parlant
des attaques régulières sur la ville
portuaire. Mais quand nous som-
mes arrivés ici, c’était très dur. »
« Les Russes sont prêts à tout
pour occuper Odessa », souffle Ar-
L’opposition de plus en plus critique envers l’administration Zelensky
Plusieurs députés dénoncent un contrôle abusif de leurs déplacements à l’étranger et accusent le pouvoir de vouloir étouffer leur voix
kiev - correspondant
S olomiia Bobrovska ne cache
plus son irritation contre
l’administration présiden-
tielle. Jeudi 7 mars, la députée de la
Verkhovna Rada, le Parlement
ukrainien, s’agace de n’avoir pas
été autorisée à sortir du territoire
alors qu’elle avait été invitée par
l’ambassade américaine de Kiev à
se rendre à Washington pour une
session de travail de dix jours, en
février. « Je considère ces interdic-
tions comme une tentative de nous
faire taire pour écarter le Parle-
ment des décisions-clés », dit au
Monde l’élue du parti d’opposition
Holos (« Voix »), membre de la
commission pour la sécurité na-
tionale et la défense. « Le gouver-
nement, poursuit-elle, ne peut pas
dicter au Parlement, qui est une
institution indépendante séparée,
ce qu’il doit faire, c’est totalement
anticonstitutionnel. »
La situation de Solomiia Bobro-
vska n’est pas unique. Depuis
quelques mois, plusieurs députés
appartenant aux partis d’opposi-
tion Holos et Solidarité euro-
péenne, de l’ancien président
Petro Porochenko, se sont publi-
quement plaints de ne pas avoir
reçu l’autorisation, requise par les
autorités depuis le début de l’in-
vasion russe, pour assister à un
tur, 42 ans, regardant au loin
avant de désigner les impacts
d’éclats projetés par les explo-
sions sur les murs de la zone. Il
fait défiler les photos de son télé-
phone : un corps dans un sac
blanc, des traînées de sang
au sol… Cet homme à la barbe de
trois jours explique faire partie de
ces réseaux de volontaires civils
qui interviennent systématique-
ment autour des zones qui ont été
bombardées afin de proposer de
l’aide. « Tout le monde sait que ce
n’était pas une simple cible au ha-
sard », détaille-t-il en revenant sur
l’attaque de la veille, assurant
qu’elle visait une base militaire
installée dans le quartier.
Attaques de drones kamikazes
En plus des dizaines de blessés et
des victimes civiles tuées, les
autorités ukrainiennes ont an-
noncé la mort de deux anciens
hauts fonctionnaires de la police
d’Odessa servant dans une bri-
gade d’assaut composée de poli-
ciers, Lyut. L’un d’eux était le com-
mandant d’un bataillon. Un an-
cien premier adjoint au maire de
la ville, engagé dans l’armée, a
aussi été tué. « Ils revenaient à
« Bien sûr, nous
sommes inquiets.
Mais la douleur
nous unit »
PASHA DRACHYNSKYI
volontaire de l’ONG World
Central Kitchen
événement international dans le
cadre de leurs fonctions.
Au pouvoir de 2014 à 2019, et dé-
sormais député, Petro Poro-
chenko est même allé jusqu’à en-
voyer une lettre, fin février, au
commissaire européen à l’élargis-
sement et à la politique euro-
péenne de voisinage, Oliver Va-
rhelyi, pour contester l’utilisation
« abusive de la loi martiale et de la
guerre » dans le but, selon lui, de
« nettoyer le champ politique de
l’opposition et de l’isoler de la
scène internationale ».
L’ex-chef d’Etat, qui entretient
des relations notoirement détes-
tables avec son successeur, n’a lui-
même pas été autorisé à quitter le
territoire à au moins deux repri-
ses. La première fois, en décem-
bre 2023, alors qu’il comptait se
rendre en Pologne et aux Etats-
Unis. La seconde fois, mi-février, il
n’avait pas pu assister à la confé-
rence sur la sécurité de Munich.
La publication, sur le réseau so-
cial X, de la lettre de M. Poro-
chenko par le commissaire Va-
rhelyi a provoqué un scandale
dans le pays. Moins à cause du
commentaire ajouté par le diplo-
mate hongrois – « dans une démo-
cratie qui fonctionne, l’opposition
ne peut pas être restreinte » – qu’en
raison de la suggestion de l’ancien
président de soulever la question
Indication
d’un abri
antibombe
dans le
centre-ville
d’Odessa, le
17 mars. RAFAEL
YAGHOBZADEH POUR
« LE MONDE »
peine de la ligne de front », se dé-
sole Veronika Etnarovych, con-
seillère de l’édile, venue en visite
sur les lieux du drame. Les ru-
meurs sur l’arrestation d’une in-
formatrice ukrainienne qui aurait
indiqué la présence de ces militai-
res aux forces armées russes
n’ont pas été confirmées.
Les attaques meurtrières sur la
ville d’Odessa ont augmenté ces
dernières semaines. Cinq person-
nes ont été tuées les 22 et 23 février,
douze le 2 mars, cinq le 6, alors que
le président ukrainien, Volodymyr
Zelensky, et le premier ministre
grec, Kyriakos Mitsotakis, étaient
en visite, et vingt et une le 16 mars.
Les attaques nocturnes de drones
kamikazes lancés depuis la Cri-
mée sont particulièrement fré-
quentes. Le ciel d’Odessa est alors
balayé par les faisceaux de lumière
des projecteurs de la défense aé-
rienne, dont la tâche consiste à les
repérer pour les abattre.
Les équipes chargées de la dé-
fense du ciel de la marine ukrai-
nienne, elles, « travaillent quasi-
ment chaque nuit », affirme son
porte-parole, Dmytro Pletent-
chuk. Dans la nuit de samedi à di-
manche, une vague de drones ka-
mikazes, dont la majorité a été
de la pluralité politique « dans le
contexte du prochain rapport de la
Commission européenne et de
l’élaboration du cadre de négocia-
tions avec l’Ukraine ». Olga Stefa-
nishyna, vice-première ministre
d’Ukraine chargée de l’intégra-
tion européenne et euroatlanti-
que, a ainsi accusé ce dernier de
vouloir perturber le processus
d’intégration de l’Ukraine au sein
de l’Union européenne.
« Censure politique »
La controverse sur les interdic-
tions de sortie du territoire de dé-
putés ukrainiens remonte au dé-
but de l’année 2023. En pleine
guerre, les images d’un parlemen-
taire du parti présidentiel, Servi-
teur du peuple, en maillot de bain
sur une plage de Thaïlande alors
qu’il était en voyage d’affaires,
avait indigné la population. Le
gouvernement avait alors pris la
décision d’imposer un contrôle
plus ferme des déplacements des
élus afin de renvoyer l’image d’un
Parlement mobilisé.
Mais d’autres révélations, no-
tamment les vacances aux Maldi-
ves d’un autre député du parti
majoritaire, en juillet 2023, ont
poussé les autorités à réguler un
peu plus les sorties et à exiger
l’autorisation préalable d’offi-
ciels, dont celle du président du
abattue, a endommagé des entre-
prises agricoles et détruit plu-
sieurs bâtiments industriels dans
le port d’Odessa.
L’officier de presse assure que la
majorité des attaques visent des
« infrastructures civiles » sur le
port, crucial pour les exporta-
tions de céréales à travers un cor-
ridor qui longe les côtes ukrai-
niennes, roumaines, bulgares et
turques, avant de rejoindre le dé-
troit du Bosphore et la Méditerra-
née. Cette voie d’exportation
fonctionne depuis la fin de l’été
2023, après que la marine est par-
venue à briser le blocus russe en
obligeant la flotte ennemie à se
replier dans la partie orientale de
la mer Noire. « Les Russes veulent
bloquer notre accès à la mer pour
nous détruire économiquement,
assure Dmytro Pletentchuk.
Odessa est en première ligne. »
Menace constante
Reste que les capacités de l’armée
ukrainienne pour arrêter les mis-
siles balistiques sont limitées.
« Nous avons besoin de plus de dé-
fense antiaérienne et de plus de
munitions », affirme Veronika Et-
narovych, qui réveille désormais
son fils de 4 ans à chaque alerte
Parlement, Ruslan Stefanchuk. Ce
dernier, un proche de Volodymyr
Zelensky, avait justifié ce contrôle
renforcé en évoquant, sur Face-
book, en décembre 2023, les
« abus » de certains élus.
En outre, selon le dernier décret
entré en vigueur le 1er janvier, les
députés ukrainiens doivent désor-
mais consulter le ministère des af-
faires étrangères et fournir des dé-
tails sur les « points de discussion »
qu’ils aborderont lors de déplace-
ments hors du pays. Une manière,
selon le président du Parlement,
de « promouvoir le principe d’une
seule voix dans la politique de l’Etat
sur la scène internationale ».
Plusieurs journalistes et repré-
sentants de la société civile ukrai-
nienne s’inquiètent de ces contrô-
les. « Nous voyons que c’est un vrai
« Les autorités
craignent
les critiques
de l’opposition
auprès
de responsables
étrangers »
MYKOLA KNIAZHYTSKYI
député de l’opposition
aérienne nocturne afin de passer
la nuit dans un parking souter-
rain. « Il est difficile de décrire ce
que l’on ressent », dit Pasha Dra-
chynskyi, un volontaire derrière
un stand de l’ONG World Central
Kitchen, évoquant la menace
constante sur la ville. « Bien sûr,
nous sommes inquiets, mais ce
n’est pas de la peur, lâche-t-il. La
douleur nous unit. »
« Malheureusement, c’est comme
si on s’y était habitué, explique
Olena Kushnir, 35 ans, en balade
avec ses deux filles de 13 et 3 ans,
Viktoria et Anya, dimanche
17 mars. Quand il y a une alerte,
mon mari se met à la fenêtre pour
regarder la défense antiaérienne. »
La famille vit en face d’un immeu-
ble fracassé dans la nuit du 2 mars
par une attaque de drones russes.
Un mémorial recouvert de fleurs
et de portraits des douze Ukrai-
niens tués, dont cinq enfants, a été
installé au milieu de la cour du
quartier résidentiel.
Viktoria, l’adolescente, qui souf-
fle d’un air blasé quand sa mère
lui retire un cil de la joue, raconte
qu’elle connaissait deux des cinq
jeunes victimes de l’attaque.
« Mais on n’était pas amis », préci-
se-t-elle. Beaucoup de ses connais-
problème, reconnaît Oleksandr Sa-
lizhenko, analyste d’une ONG spé-
cialisée dans le suivi de la vie parle-
mentaire, Chesno. Des députés
membres de délégations parlemen-
taires auprès d’institutions telles
que l’Assemblée parlementaire du
Conseil de l’Europe ne sont pas cer-
tains de se voir autorisés à voyager
à l’étranger, pour diverses raisons.
Or, la diplomatie parlementaire est
très importante pour l’Ukraine. »
Plus la controverse dure et plus
les critiques s’intensifient. Deux
ans après le début de l’invasion,
alors que la Verkhovna Rada de-
meure inaccessible aux journalis-
tes pour des raisons de sécurité,
les députés pâtissent d’un man-
que de visibilité. Les débats ne
sont pas diffusés en direct mais
avec quelques heures de décalage
sur la chaîne YouTube du Parle-
ment. Plusieurs élus parlent
ouvertement, désormais, de
« censure politique ». Ainsi, dans
une chronique publiée le 6 mars
sur le site du média Kyiv Indepen-
dent, le député du parti Holos Ya-
roslav Zhelezniak accuse « le bu-
reau du président et, apparem-
ment, Zelensky lui-même », de blo-
quer les déplacements des
législateurs « en fonction de leur
vote sur certains projets de loi con-
sidérés comme extrêmement im-
portants pour le président ».
0123
MARDI 19 MARS 2024
sances sont rentrées de pays
étrangers dans lesquels ils
s’étaient réfugiés au début de l’in-
vasion. Lorsqu’ils se retrouvent
tous ensemble sans leurs parents,
Viktoria explique qu’ils s’éloi-
gnent le moins possible du quar-
tier afin de rester à proximité d’un
abri. « S’il y a une alerte, on va tous
regarder nos portables pour savoir
s’il s’agit de missiles ou de drones. »
Les cafés et les restaurants ont
beau être remplis et les rues em-
bouteillées, les visages se font dé-
sormais plus inquiets lorsque ré-
sonne une alerte aux bombarde-
ments. « C’est de l’amour russe »,
commente amèrement Oleksiy
devant son salon de coiffure
d’une petite rue perpendiculaire à
l’avenue Taras-Chevtchenko,
frappée par une attaque de dro-
nes qui n’a pas fait de victimes, à
la mi-février. Les murs sont cri-
blés d’impacts et certaines fenê-
tres recouvertes de planches de
contreplaqué. « Qu’est-ce qu’on
ressent ?, reprend cet homme,
l’œil distrait par des plants d’iris
et des rosiers plantés un an plus
tôt. Les gens vivent… Même si on
sait que la guerre finit toujours par
nous rattraper. » p
thomas d’istria
« Malheureusement, l’adminis-
tration présidentielle abuse de
son droit et l’utilise comme le-
vier », juge aussi le député du
parti Solidarité européenne
Oleksiy Hontcharenko. L’élu re-
connaît que les députés du parti
Serviteur du peuple sont égale-
ment concernés par ces règles et
ont été, pour certains, interdits
de déplacement. « Mais eux ne
s’en plaignent jamais ouverte-
ment » se désole-t-il.
Mykola Kniazhytskyi, un autre
député du parti de l’ancien prési-
dent Porochenko, considère que
les autorités limitent les déplace-
ments car « elles préfèrent que
seuls les partis proprésident par-
lent avec des responsables politi-
ques étrangers parce qu’elles crai-
gnent les critiques de l’opposition ».
L’élu fait partie de cette poignée
de députés ukrainiens de l’oppo-
sition qui militent pour la créa-
tion d’un gouvernement d’union
nationale alors que les élections
législatives et présidentielles ont
été annulées en raison de la loi
martiale. De telles initiatives ren-
contrent cependant peu d’écho
au sein de la population, qui sou-
tient toujours fermement Volo-
dymyr Zelensky en dépit d’une
baisse de sa popularité, affectée
par le temps long de la guerre. p
t. d’i.
0123
MARDI 19 MARS 2024 international | 5

Des Américains condamnés pour leurs enfants tueurs

Le père d’un adolescent ayant tué quatre de ses camarades a été reconnu coupable d’homicide involontaire

new york - correspondant nal, mais il y eut des signaux, c’était James Crumbley. » Le cas de décision. « Les détenteurs d’armes vier 2023, a été condamnée la
Quatre jours comme en témoigne un message la mère, Jennifer Crumbley, fut ag- voient ce qu’il se passe et vont de- même année à vingt et un mois

J
ames Crumbley n’est pas jugé
pour ce que son fils a fait. Ja-
mes Crumbley est jugé pour
ce qu’il a fait et ce qu’il n’a pas
fait. » La procureure de l’Etat
du Michigan, Karen McDonald,
avait insisté sur cette mise en
garde avant que les jurés se reti-
rent. Le procès contre ce père de
famille était, en effet, inédit. La
procureure poursuivait James
Crumbley, 47 ans, accusé de ne
pas avoir réagi en dépit des nom-
breux signaux précurseurs, avant
que son fils Ethan Crumbley,
15 ans à l’époque des faits, com-
mette une tuerie de masse dans
son lycée d’Oxford (Michigan).
Le 30 novembre 2021, l’adoles-
cent avait tué quatre de ses cama-
rades et en avait blessé sept
autres ; il fut condamné à la per-
pétuité en décembre 2023. Pour le
père, le verdict est tombé, jeudi
14 mars : il a été jugé coupable
d’homicide involontaire. Empri-
sonné depuis la tuerie, James
Crumbley encourt quinze ans de
prison, tout comme son épouse,
Jennifer, 45 ans, jugée quelques
semaines plus tôt par le même tri-
bunal et elle aussi reconnue cou-
pable. La sentence sera pronon-
cée dans les prochaines semaines.
L’affaire a souligné la responsa-
bilité accablante des parents,
mais elle ouvre deux pistes de ré-
flexion. D’abord face à l’incapa-
cité du Congrès américain de ré-
guler la détention d’arme du fait
du deuxième amendement de la
Constitution, les autorités locales
avant la tuerie,
Ethan Crumbley
s’était vu offrir
par son père
un pistolet semi-
automatique
recourent à d’autres moyens
pour arriver à leurs fins. Poursui-
vre les parents de jeunes coupa-
bles de tueries de masse en est un.
Ensuite, l’affaire pose une ques-
tion de principe, en dépit des pré-
cisions apportées par la procu-
reure : peut-on être jugé respon-
sable de faits commis par autrui ?
Le cas lui-même est révélateur
de la dérive d’adolescents, le plus
souvent des jeunes Blancs, ayant
accès aux armes en dépit de leurs
troubles psychiatriques. Quatre
jours avant la tuerie, Ethan Crum-
bley s’était vu offrir par son père
un pistolet semi-automatique
9 mm Sig Sauer, pour la fête de
Thanksgiving. Le père avait fait ce
cadeau en accord avec son épouse
et n’avait pas sécurisé l’arme alors
qu’il connaissait les problèmes
psychiatriques graves de son fils.
Le journal intime de l’adoles-
cent révèle sa longue dérive : « Je
n’ai aucune aide pour mes problè-
mes mentaux et cela me pousse à
tirer sur cette putain d’école », ou
encore « je veux de l’aide mais mes
parents n’écoutent pas ». Le père a
prétendu ne pas avoir lu ce jour-
envoyé par Ethan à un de ses amis
peu avant le massacre : « J’ai dit à
mon père de m’emmener chez le
médecin hier, mais il m’a donné
des pilules et m’a dit de les sucer. »
Il avait aussi déclaré à ce propos :
« Ma mère a ri quand je lui ai dit. »
Le matin de la tuerie, un ensei-
gnant remarque des dessins trou-
blants en marge d’un devoir de
mathématiques d’Ethan : une
arme à feu, un corps en sang et cri-
blé de balles, accompagnés de ces
mots : « Les pensées ne s’arrêteront
pas. Aidez-moi », « du sang par-
tout » et « le monde est mort ». Les
parents sont convoqués à l’école
mais s’en retournent en laissant
leur fils dans l’établissement sco-
laire. Les adultes croient à ce mo-
ment que l’adolescent a des pen-
sées suicidaires et les parents se
voient donner quarante-huit heu-
res pour qu’il voie un médecin.
Personne n’a l’idée de fouiller le
sac à dos d’Ethan qui contient le
pistolet 9 mm.
« Un début de réponse »
Deux heures plus tard, le père ap-
prend qu’il y a une tuerie au lycée.
Il compose le 911 pour appeler la
police alors que le coffre-fort où
est censé être enfermé le pistolet
est vide. « Il me manque un pisto-
let à la maison. Je pense que mon
fils a pris l’arme », confesse James
Crumbley. « Il y avait 1 800 élèves à
l’Oxford High School, a accusé la
procureure McDonald. Il y avait
un parent qui soupçonnait que
son fils était le tireur à l’école et
gravé lorsque les jurés ont appris
qu’elle passait des après-midi
avec son amant, chef des pom-
piers, à l’hôtel en compagnie
d’« invités », se passionnait pour
ses deux chevaux, mais s’occupait
peu de son fils.
La condamnation des parents
provoque un petit séisme, dans
un pays marqué par les tueries de
masse. Dans la ville d’Oxford, tou-
tes les familles ont des armes,
mais elles ont fait part de leur
colère face à la désinvolture des
parents Crumbley.
A travers le pays, la tendance à
mettre en cause parents ou fabri-
cants d’armes s’accélère. « Les
gens sont exaspérés par les tueries
de masse et ne voient pas de solu-
tion. C’est un début de réponse »,
assure Thaddeus Hoffmeister,
professeur de droit à l’université
de Dayton (Ohio), qui estime que
« le vent commence à tourner ».
Même analyse optimiste d’Erin
Davis : la directrice juridique de la
fondation Brady contre la vio-
lence des armes se réjouit de la
« Les détenteurs
d’armes vont
devoir agir de
manière plus
responsable »
ERIN DAVIS
directrice juridique
de la fondation Brady
voir agir de manière plus respon-
sable. Ce cas montre que les jurys
et les communautés prennent
conscience que les armes sont la
première cause de mortalité des
enfants », confie Erin Davis. Et elle
estime que les marchands d’ar-
mes et les écoles vont regarder le
cas de près.
« Les avocats cherchent de plus
en plus à tenir pour responsables
les personnes – et les entreprises –
qui n’ont pas appuyé sur la gâ-
chette », résume CNN, tandis que
le Washington Post approuve la
méthode : « Poursuivez les parents
imprudents lorsque leurs enfants
utilisent leurs armes lors de fusil-
lades de masse », titre l’éditorial.
La presse est toutefois relative-
ment prudente face au cas du Mi-
chigan et le professeur Hoffmeis-
ter l’explique ainsi : « Notre sys-
tème est fondé sur la responsabi-
lité pénale individuelle et l’affaire
en perturbe certains. »
La tendance à la poursuite des
parents apparaît de plus en plus
puissante. Ainsi, le père d’un ado-
lescent ayant tué sept personnes
lors d’une parade du 4 juillet 2022
dans une banlieue de Chicago, Ro-
bert Crimo Jr, a été condamné en
novembre 2023 à soixante jours
de prison après une procédure de
plaider coupable. Il avait appuyé la
demande de permis d’arme de son
fils âgé de 21 ans lors de la tuerie en
dépit de ses troubles psychiques.
Deja Taylor, mère d’un garçon
de 6 ans ayant tiré sans la tuer sur
son institutrice en Virginie en jan-
de prison par un tribunal fédéral
et deux ans supplémentaires par
un tribunal de l’Etat de Virginie.
Enfin, le Michigan poursuit pour
la première fois un résident de
Flint, Michael Tolbert, dont la fille
de 2 ans a pris un pistolet et s’est
grièvement blessé en se tirant
dans la tête le 14 février 2024. L’in-
cident a eu lieu le lendemain de
l’entrée en vigueur d’une loi de
l’Etat sur le confinement des ar-
mes à feu adoptée dans la foulée
de la tuerie perpétrée par Ethan
Crumbley.
Dans un podcast, la reporter du
New York Times Lisa Miller cite
des experts inquiets d’une possi-
ble dérive : « Ils ont évoqué des si-
tuations comparables, par exem-
ple, si vous prêtez une voiture à vo-
tre enfant, que l’enfant se saoule et
tue quelqu’un. En êtes-vous péna-
lement responsable ? Cela semble
être une pente glissante, et les ex-
perts juridiques s’en inquiètent. »
Thaddeus Hoffmeister n’y croit
guère, estimant que le cas des ar-
mes est spécifique, puisqu’elles
sont faites pour tuer, à la diffé-
rence d’une voiture.
Un an avant le procès, une cour
d’appel du Michigan saisie par les
parents Crumbley avait mis le
doigt sur le risque de précédent :
« Nous partageons les inquiétudes
des accusés quant à la possibilité
que cette décision soit appliquée à
l’avenir à des parents dont la situa-
tion ou les signes avant-coureurs
ne sont pas aussi notables. » p
arnaud leparmentier

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6 | international
En Israël, Gantz, rival hésitant de Nétanyahou
Depuis son entrée au gouvernement après le 7 octobre, beaucoup voient en ce général centriste une option
jérusalem - correspondant
L
orsque le général Benny
Gantz rencontre des mi-
nistres occidentaux de
passage en Israël, il est
rare qu’il leur confie, derrière les
portes closes, autre chose que les
platitudes qu’il exprime publi-
quement devant la presse. Ces
visiteurs cherchent en lui un
opposant. Ils ne trouvent qu’un
ministre du cabinet de guerre, qui
dirige les opérations à Gaza. Ils
rêvent d’une alternative à
Benyamin Nétanyahou et butent
sur un simple garde-fou.
Le silencieux M. Gantz, ancien
chef d’état-major à la haute sta-
ture et au regard bleu acier, est
présenté par ses proches comme
l’« adulte dans la pièce » au sein du
gouvernement. Son humeur
égale, ses manières franches et un
peu raides rassurent. L’ancien
parachutiste est populaire : il
devance de loin le premier minis-
tre dans les sondages.
C’est à lui notamment que son-
geait le leader de la majorité démo-
crate au Sénat américain, Chuck
Schumer, lorsqu’il a souhaité le
14 mars que les Israéliens retour-
nent aux urnes, afin de chasser
l’extrême droite et M. Nétanyahou
du pouvoir. M. Gantz incarne l’Is-
raël que le sénateur américain a
aimé et défendu toute sa carrière,
face à ces ministres suprémacis-
tes, ouvertement génocidaires,
qui menacent, selon lui, de trans-
former l’Etat hébreu en « paria ».
Début mars, le général a défié
Benyamin Nétanyahou en se ren-
dant à Washington sans lui en de-
mander la permission. Il a quitté la
Maison Blanche atterré par la
force des critiques de l’administra-
tion américaine. Son entourage a
confié au média en ligne Axios
qu’Israël était « dans la merde »
face à cet allié qui l’exhorte à ces-
ser d’affamer les civils gazaouis.
Respectueux des ordres
Cependant, les Israéliens ne veu-
lent pas d’élections tant que la
guerre se poursuit : les enquêtes
d’opinion l’indiquent avec cons-
tance, en dépit de manifestations
qui se succèdent sur ce thème de-
puis plusieurs semaines. M. Néta-
nyahou se pose en rempart con-
tre les « pressions » américaines,
en promettant qu’il poursuivra
les opérations militaires à Gaza
« jusqu’à la victoire totale ». Le gé-
néral, à la tête du petit parti cen-
triste Résilience d’Israël, n’a,
quant à lui, que le mot d’« unité » à
la bouche. « Nous cherchons des
raisons de rester au gouverne-
ment, mais c’est difficile », souli-
gne un collaborateur.
Que ferait d’ailleurs M. Gantz du
poste suprême ? Des manifestants
Dissensions au grand jour entre le Hamas et le Fatah
Le président Mahmoud Abbas est critiqué par les autres mouvements palestiniens, au premier rang desquels les islamistes
jérusalem - correspondant
P ressé par Washington de
« réformer » et de « revita-
liser » l’Autorité palesti-
nienne (AP), le président Mah-
moud Abbas a chargé le 14 mars
un fidèle conseiller, Mohammad
Mustafa, de former un nou-
veau gouvernement à Ramallah.
Cet économiste, haut fonction-
naire respecté et sans relief,
doit rassembler une équipe d’ex-
perts afin de préparer l’après-
guerre à Gaza.
Ce geste permet à M. Abbas de
faire valoir à l’administration
américaine qu’il a commencé un
processus de réforme annoncé
depuis des mois, que ses bailleurs
considèrent toutefois comme
cosmétique. Il donne aussi à ce
L’ancien chef
d’état-major est
présenté par ses
proches comme
« l’adulte dans la
pièce » au sein du
gouvernement
qui demandaient sa démission fin
février, devant chez lui près de Tel-
Aviv, ont rapporté cette réponse
de sa part : « Disons que je devienne
premier ministre demain. Je ferais
quoi ? La même chose. Libérer les
otages [capturés par le Hamas du-
rant l’attaque du 7 octobre] et
continuer à combattre. »
A l’armée, M. Gantz a laissé le
souvenir d’un officier élevant
peu la voix, dirigeant par consen-
sus et par l’exemple, respectueux
des ordres. Tôt destiné à l’état-ma-
jor, il n’en prend la tête
qu’en 2011 à la suite d’une brouille
entre ses supérieurs et d’une série
de scandales, qui disqualifient
des rivaux plus ardents.
La petite équipe qui le pousse à
entrer en politique avant les élec-
tions de 2019 fait de lui une figure
paternelle, capable de réconcilier
les « tribus » d’Israël, que M. Néta-
nyahou dresse les unes contre les
autres. Mais chacun se demande
en quoi il croit. A-t-il même le dé-
sir du pouvoir ? « Benny n’a jamais
eu à dire ce qu’il voulait. Avant son
premier discours, il était déjà pré-
senté comme le premier rival sé-
rieux de Benyamin Nétanyahou
depuis une décennie. Son problème
n’était pas ce qu’il pouvait accom-
plir, mais comment il arriverait au
pouvoir », note un camarade, qui a
accompagné ces premiers pas.
Le général impose à deux an-
ciens chefs d’état-major et au lea-
der centriste Yaïr Lapid de se
ranger derrière lui. Il dévore
l’électorat des partis de gauche.
Puis des soutiens de M. Nétanya-
hou l’enferrent dans une campa-
gne de diffamation sans répit :
on le prétend fragile parce qu’il a
consulté un psychologue, ce qu’il
nie ; on le dit imprudent parce
que son téléphone aurait été
hacké par des Iraniens.
Fils d’un électeur du Parti tra-
vailliste, il s’entoure de collabora-
teurs penchant vers la droite. Il
noue des relations serrées avec des
représentants des colons de Cisjor-
danie et les rabbins ultraorthodo-
xes. Il négocie aussi en coulisses
avec Benyamin Nétanyahou et fi-
nit par rompre les rangs de l’oppo-
sition, en rejoignant son gouver-
nement durant la crise du Co-
vid-19 en 2020. Leur attelage chute
après quelques mois, incapable de
dirigeant profondément impo-
pulaire, élu en 2005 pour un man-
dat de quatre ans, l’occasion de
verrouiller le pouvoir autour de
son cercle restreint, en le dépoliti-
sant un peu plus encore.
Cette annonce a suscité de vives
critiques du Hamas, qui l’accuse
de « prendre des décisions contre
la volonté du peuple palestinien »,
dans un communiqué publié le
15 mars avec le Jihad islamique,
les marxistes du Front populaire
de libération de la Palestine et
l’opposant démocrate Mustafa
Barghouti. « Former un nouveau
gouvernement sans consensus
national va aggraver les divi-
sions » palestiniennes, prédit ce
communiqué, alors que le Hamas
se voit dénier toute influence
sur ce processus.
Benny Gantz, avant une rencontre avec le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, le 5 mars à Washington. KEVIN LAMARQUE/REUTERS
voter un budget. Cette expérience
aurait pu signer sa fin politique.
En 2023, M. Gantz s’oppose
comme la majorité des Israéliens
à la réforme radicale des institu-
tions voulue par le nouveau gou-
vernement Nétanyahou, qui fait
la part belle aux fondamentalis-
tes religieux. Conciliant, le géné-
ral s’efforce de négocier un com-
promis à la Knesset. Le 7 octobre,
il se met à disposition du gouver-
nement afin de mener la guerre.
A la différence de M. Nétanya-
hou, il assume publiquement une
part de responsabilité dans cette
débâcle. Son premier geste est
d’écarter une extension régionale
du conflit : avec le premier minis-
tre et sous l’influence de Washing-
ton, il refuse d’attaquer le Hezbol-
lah libanais, contre le souhait du
ministre de la défense, Yoav Gal-
lant, et d’une part de l’état-major.
A Gaza, cependant, le général ne
parvient pas ou ne souhaite pas
mieux définir un but de guerre va-
gue, la « destruction » du Hamas,
qui ne fixe aucun terme au conflit
et légitime des bombardements
indiscriminés d’une ampleur ra-
rement égalée depuis la seconde
guerre mondiale. Mais il impose
un second objectif : la libération
des otages capturés par le Hamas.
Il milite pour un cessez-le-feu, qui
permet le retour chez eux d’une
centaine de captifs en novembre.
M. Gantz affiche sa proximité
avec le chef d’état-major, Herzi Ha-
Le Fatah accuse
les islamistes
« d’avoir causé
le retour
de l’occupation
israélienne
de Gaza »
Depuis plusieurs mois, les chefs
politiques en exil du mouvement
multiplient les contacts avec des
cadres du Fatah critiques du prési-
dent Abbas, des candidats à la
succession du « raïs » âgé de
88 ans, et avec des victimes des
purges qui ont émaillé son règne.
Le mouvement islamiste cher-
che à survivre en négociant un
levi. Tous deux ont défendu une
ouverture progressive du siège
imposé à l’enclave depuis le 8 octo-
bre. Mais M. Gantz est aussi réputé
avoir proposé dès janvier de condi-
tionner l’entrée de l’aide alimen-
taire à la libération des otages.
Il a cessé de citer une phrase de sa
mère, survivante du camp de con-
centration de Bergen-Belsen, qu’il
a longtemps présentée comme
son « héritage moral ». Durant une
précédente guerre à Gaza, elle lui
avait demandé : « Ne cesse pas de
combattre, mais ne cesse pas non
plus de leur fournir de la nourri-
ture. » Aujourd’hui, il promet de
lancer l’assaut sur Rafah, où se
pressent 1,4 million de déplacés
gazaouis, si aucun accord n’est
trouvé en faveur des otages.
« Gantz perd de l’influence »
M. Gantz s’est adjoint au cabinet
de guerre un autre ex-chef d’état-
major, Gadi Eisenkot, entré en po-
litique à ses côtés en 2022. C’est cet
allié qui a fini par briser l’unité de
façade du gouvernement en jan-
vier. Lors d’une interview télévi-
sée, M. Eisenkot a soupçonné le
premier ministre de prolonger la
guerre afin de se maintenir au
pouvoir, et promis des élections
« dans les mois à venir ».
« Depuis janvier, l’armée ne
mène que des opérations tactiques
de moindre ampleur. Mais rien de
stratégique ne se décide pour le
jour d’après, déplore Israel Ziv,
repli de l’armée israélienne hors
de Gaza, en échange de la libéra-
tion des otages qu’il a capturés
lors de l’assaut du 7 octobre 2023.
Il paraissait jusqu’alors ouvert à la
formation à terme d’un gouver-
nement d’experts, un interlocu-
teur acceptable pour les acteurs
régionaux et les donateurs inter-
nationaux, chargé de prendre en
main ce qu’il reste des structures
administratives de Gaza.
Etouffé économiquement
Le Hamas cherche à terme à re-
joindre l’Organisation de libéra-
tion de la Palestine, organe collé-
gial des factions, que M. Abbas a
presque entièrement dévitalisé,
mais qui demeure le seul repré-
sentant reconnu du peuple pales-
tinien à l’étranger.
A la différence
de Nétanyahou,
il assume
publiquement
une part
de responsabilité
dans la débâcle
du 7 octobre
l’ancien responsable de l’armée
dans Gaza durant la seconde inti-
fada au début des années 2000.
Gantz pousse avec tous les chefs
des services de sécurité pour une
solution afin que des Palestiniens
assument le pouvoir à Gaza, mais
Nétanyahou rejette tout. Gantz
perd de l’influence. S’il reste au
gouvernement, c’est qu’on attend
de lui d’être un baby-sitter pour ce
premier ministre sujet au chan-
tage de l’extrême droite, et pour
maintenir la libération des otages
comme une priorité. »
Plusieurs sources en contact
avec les deux généraux signalent
aussi que la patience et le mutisme
de M. Gantz finissent par irriter
Gadi Eisenkot. « Mais il ne trahira
pas Gantz, qui l’a fait entrer en poli-
tique : il n’est pas encore décidé à
rompre », estime Dan Halutz, leur
prédécesseur à la tête de l’armée et
l’un des organisateurs des mani-
festations massives de 2023 contre
M. Abbas se dit en privé indiffé-
rent au fait que le Hamas sou-
tienne le gouvernement de l’exté-
rieur, à la condition qu’il déman-
tèle son appareil militaire ; cette
condition posée par ses partenai-
res occidentaux est inacceptable
pour le mouvement. Le 15 mars, le
président a fait publier une vive
réponse du Fatah aux critiques de
ses rivaux : le parti a accusé les is-
lamistes « d’avoir causé le retour
de l’occupation israélienne de Gaza
en entreprenant l’aventure du 7 oc-
tobre ». Les attaques du Hamas en
Israël ont fait 1 100 victimes et pro-
voqué les représailles meurtrières
entraînant la mort de plus de
31 700 personnes dans l’enclave.
Ces échanges acrimonieux ont
lieu alors que le gouvernement
israélien étouffe économique-
0123
MARDI 19 MARS 2024
la réforme des institutions. Le gé-
néral demande, lui, la démission
immédiate de M. Nétanyahou, en
participant à des cortèges qui s’al-
longent chaque semaine dans les
rues, mais qui sont encore loin
d’atteindre une masse critique.
« Il n’y a pas assez d’étincelles
dans les airs et nous sommes trop
divisés, constate, déçu, un autre gé-
néral à la retraite, l’ancien pilote
Relik Shafir. Certains parmi nous
attendent un signal de Benny
Gantz pour manifester. Mais, à la
minute où il quittera le gouverne-
ment, “Bibi” Nétanyahou l’accusera
de céder aux pressions de l’étranger
et d’accepter un Etat palestinien. »
Déjà, d’autres candidats se posi-
tionnent sur sa droite. Gideon
Saar, vétéran de la Knesset avec le-
quel M. Gantz a fait liste commune
aux élections de 2022, a rompu
leur alliance le 12 mars. Fondateur
du parti Nouvel Espoir, il revendi-
que un siège au cabinet de guerre.
« Gantz est un peu trop “colombe”
pour nous, résume une députée de
ce parti, Sharren Haskel. Nous vou-
lons plus de pression sur le Hamas,
que l’opération militaire à Rafah ait
lieu, et nous assurer qu’il n’y aura
pas d’Etat palestinien. » Le général
Gantz pour sa part se garde bien
d’employer ce mot radioactif en
Israël. Au désespoir des diploma-
tes européens, il n’évoque plus
qu’une vague « solution à deux
entités ». p
louis imbert
ment l’Autorité palestinienne et
se refuse à négocier son retour de
plein droit à Gaza. L’Etat hébreu
envisage cependant de solliciter
des cadres sécuritaires afin de
« stabiliser » l’enclave et d’empê-
cher toute résurgence du Hamas.
Ces cadres palestiniens s’y prépa-
rent : ils évoquent le possible en-
traînement en Jordanie d’anciens
membres des forces de sécurité
de Gaza, mis sur la touche en 2007
lorsque le Hamas s’est emparé de
l’enclave. Mais, risquant d’être
perçus comme des collaborateurs
d’Israël, ces responsables n’au-
raient aucun intérêt à se précipi-
ter dans l’enclave, où le Hamas
conserve des capacités militaires
et administratives difficilement
contournables. p
l. i.
0123
MARDI 19 MARS 2024
Vaughan Gething, un dirigeant
noir à la tête du Pays de Galles
Avec le nouveau chef de file du Parti travailliste local, trois premiers
ministres du Royaume-Uni sont issus de minorités ethniques
londres - correspondante
V
aughan Gething, 50 ans,
a été désigné chef de file
du Parti travailliste gal-
lois, samedi 16 mars, ce
qui devrait lui garantir la nomi-
nation au poste de premier mi-
nistre du Pays de Galles dans les
prochains jours, son parti étant le
plus important au Senedd, le Par-
lement régional gallois. Cet an-
cien ministre de la santé pendant
la pandémie de Covid-19 rempla-
cera à la tête de l’exécutif Mark
Drakeford, 69 ans, également tra-
vailliste, qui a annoncé sa démis-
sion en décembre 2023. Cet aus-
tère responsable politique, an-
cien enseignant à l’université de
Cardiff, avait promis, à son arri-
vée en 2018, de ne rester que cinq
ans à son poste.
Avocat de formation, ayant fait
ses classes dans l’action syndicale,
son successeur incarne une nou-
velle génération. Né en Zambie,
d’un père gallois et d’une mère
zambienne, Vaughan Gething va
devenir le premier chef de gouver-
nement noir du Royaume-Uni et,
au-delà, d’un Etat européen. Avec
son arrivée, trois des quatre na-
tions du pays sont désormais diri-
gées par des hommes issus de mi-
norités ethniques : Rishi Sunak, le
premier ministre britannique
conservateur, est d’origine in-
dienne ; Humza Yousaf, son ho-
mologue écossais et chef de file
des indépendantistes du Parti na-
tional écossais, est d’origine pa-
kistanaise. En Irlande du Nord,
c’est une femme, Michelle O’Neill,
Au Niger, la junte exige le départ
des quelque 1 000 soldats américains
Les militaires français avaient déjà dû quitter le territoire sous la pression des putschistes
S ept mois après avoir or-
donné aux troupes françai-
ses de quitter son territoire,
le Niger a exigé, samedi 16 mars, le
départ sans délai des soldats amé-
ricains. « Le gouvernement du Ni-
ger, prenant en compte les aspira-
tions et les intérêts de son peuple,
décide en toute responsabilité de
dénoncer avec effet immédiat l’ac-
cord relatif au statut du personnel
militaire des Etats-Unis et des em-
ployés civils du département amé-
ricain de la défense sur le territoire
du Niger », a déclaré le colonel
Amadou Abdramane, porte-pa-
role de la junte au pouvoir depuis
juillet 2023, à la télévision natio-
nale, précisant qu’une « correspon-
dance diplomatique » en ce sens
serait adressée à Washington.
Cette rupture est intervenue
deux jours après le départ de Nia-
mey d’une importante délégation
américaine, à la suite d’une visite
qui a tourné au camouflet. Molly
Phee, la secrétaire d’Etat adjointe
aux affaires africaines, Celeste
Wallander, la secrétaire d’Etat ad-
jointe à la défense, et le général
Michael Langley, le patron du
commandement des Etats-Unis
pour l’Afrique (Africom), n’ont pas
réussi à être reçus par le chef de la
junte, le général Abdourahamane
Tiani, malgré un prolongement
de vingt-quatre heures de leur sé-
jour, et ils ont dû se contenter
d’entretiens avec le premier mi-
nistre. « L’arrivée de la délégation
américaine n’a pas respecté les
usages diplomatiques », a expli-
qué le porte-parole de la junte,
pointant « l’attitude condescen-
issue de la communauté catholi-
que de l’île, qui dirige l’exécutif.
Ces nominations reflètent l’in-
déniable tolérance de l’ex-puis-
sance coloniale où, selon le re-
censement de 2021, 18 % de la po-
pulation est issue des 19 catégo-
ries de minorités ethniques
répertoriées par l’Office national
des statistiques. M. Gething s’est
félicité qu’avec sa désignation, le
Pays de Galles « tourne une page
de son histoire. (…) Cela signifie
que davantage de gens [issus des
minorités] vont se dire qu’ils peu-
vent eux aussi envisager une car-
rière en politique ».
Multiples défis
Pour autant, les inégalités basées
sur l’ethnicité sont loin d’avoir
disparu dans le pays et le racisme
s’exprime encore parfois à haute
voix. Depuis quelques jours, le
Parti conservateur fait face à des
accusations de racisme institu-
tionnel, après que son principal
donateur, l’homme d’affaires
Frank Hester, a tenu des propos
racistes à l’encontre de la députée
Diane Abbott, qui elle aussi mar-
qua l’histoire en étant la première
femme noire élue à Westminster,
en 1987. M. Hester, qui a versé
10 millions de livres sterling
(11,69 millions d’euros) au Parti
conservateur, a assuré, selon le
Guardian, avoir dit de l’élue que sa
vue lui donnait envie « de haïr
toutes les femmes noires » et qu’il
faudrait « descendre Mme Abbott ».
Downing Street a mis deux jours
avant de qualifier ces propos de
« racistes » et les tories résistent
dante assortie de menaces de re-
présailles » de Molly Phee.
Pour son deuxième séjour au Ni-
ger depuis le coup d’Etat, la diplo-
mate américaine était venue rené-
gocier les modalités de la présence
des quelque mille soldats améri-
cains, désormais stationnés uni-
quement à Agadez, une base cen-
trale dans la stratégie américaine
dans la région, qui sert à des opé-
rations de renseignement et d’an-
titerrorisme dans le Sahel et au Sa-
hara. Il y avait urgence, car, selon
un article publié en août 2018 par
le site d’information The Intercept,
l’accord décennal autorisant les
Etats-Unis à exploiter la base
d’Agadez prend fin en 2024. Un ac-
cord « injuste », « imposé unilatéra-
lement par une simple note ver-
bale », a déclaré, le 16 mars, la
junte, qui a qualifié la présence
des soldats américains d’« illé-
gale ». Elle a aussi mis en cause des
« activités illégales de survol » du
territoire nigérien « par les aéro-
nefs américains ».
Le général Tiani ferme ainsi la
porte à toute reprise de la coopéra-
Les Américains
demandent
notamment
la libération
du président
déchu, Mohamed
Bazoum,
et de sa femme
Pour le futur
premier ministre,
les contre-
performances
galloises sont
largement dues
à « des choix faits
au Parlement
de Westminster »
encore aux appels à rendre l’ar-
gent donné M. Hester.
M. Gething sera probablement
davantage jugé sur son action que
sur sa couleur de peau. Ses défis
ne manquent pas : comme
ailleurs en Europe, les agricul-
teurs gallois sont mobilisés
contre un nouveau schéma post-
Brexit de subventions valorisant
leurs efforts pour replanter ou
rendre à la nature une partie de
leurs exploitations.
Les Gallois sont mécontents de
leur système de santé publique :
les listes d’attente pour l’accès au
National Health Service y sont en-
core plus longues qu’en Angle-
terre. Le futur premier ministre
va aussi devoir trouver un moyen
de faire mieux accepter la limita-
tion de la vitesse à 30 miles/heure
(48 kilomètres/heure) sur les rou-
tes secondaires galloises, mesure
introduite en 2023 par son pré-
décesseur et très impopulaire.
Parmi ses autres dossiers délicats,
l’aciérie de Port Talbot, au nord de
tion militaire avec les Etats-Unis –
elle a été interrompue depuis le
coup d’Etat –, à laquelle Molly
Phee avait ouvert la voie dès dé-
cembre 2023. La secrétaire d’Etat
adjointe aux affaires africaines
l’avait conditionnée par l’adop-
tion d’un calendrier de retour à
l’ordre constitutionnel. Les Occi-
dentaux ont également exigé à
plusieurs reprises la libération du
président déchu, Mohamed Ba-
zoum, et de sa femme, toujours sé-
questrés par les militaires. En vain.
Retournement d’alliance
Autre condition posée par
Washington, selon un conseiller
du gouvernement nigérien : que
les militaires américains ne
soient pas « sur le même terrain
que les Russes ». Des « injonc-
tions » dénoncées par Niamey, qui
dit « regretter la volonté de la délé-
gation américaine de dénier au
peuple nigérien souverain le droit
de choisir ses partenaires ».
En exigeant le départ des soldats
américains, le Niger effectue un
retournement d’alliance, alors
que les Etats-Unis ont espéré, du-
rant de longs mois, ne pas subir le
même sort que la France. Dès le
coup d’Etat du 26 juillet, les deux
pays avaient joué des partitions
dissonantes, source d’incompré-
hensions et de tensions entre les
deux nations théoriquement al-
liées dans la région. Face à la fer-
meté française, Washington a pré-
féré afficher son indulgence et a
mis deux mois et demi à qualifier
la prise de pouvoir par les hom-
mes du général Tiani de « coup
Cardiff, la plus importante du
Royaume-Uni, dont les deux
hauts-fourneaux sont menacés
de fermeture, avec 3 000 suppres-
sions d’emploi à la clé.
A quelques mois des élections
générales britanniques, M. Ge-
thing va enfin devoir trouver les
mots pour résister à ceux des
conservateurs qui soulignent
qu’après vingt-cinq ans de gou-
vernement régional travailliste, le
Pays de Galles n’est pas dans un
état plus brillant que l’Angleterre.
Le futur dirigeant a déjà préparé
ses arguments : les contre-perfor-
mances galloises sont largement
dues à des « choix faits au [Parle-
ment de] Westminster » ; le gou-
vernement régional gallois ne
dispose que de pouvoirs limités
en matière d’éducation, d’agricul-
ture, de transport ou de santé. Il
est vrai que le Senedd est le moins
puissant des Parlements régio-
naux britanniques.
Pour autant, les velléités d’indé-
pendance des Gallois demeurent
limitées ; le parti indépendantiste
Plaid Cymru plafonne à 15 % des
voix dans les sondages, derrière
le Labour et les conservateurs. La
fierté des Gallois s’exprime sur-
tout au travers de leur langue,
dont la pratique est encore vi-
vace : fin 2022, selon le dernier
recensement régional, 29,5 % des
Gallois âgés de 3 ans et plus
étaient capables de s’exprimer en
gallois. Contrairement à son pré-
décesseur, Vaughan Gething ne le
parle pas couramment, mais il
l’apprend, a-t-il assuré. p
cécile ducourtieux
d’Etat ». Le gouvernement améri-
cain n’avait pas renoncé à ce que
sa nouvelle ambassadrice, Kath-
leen FitzGibbon, s’installe au Ni-
ger un mois après le putsch,
quand le représentant français
était sommé de quitter le pays.
Pour les Etats-Unis, le sursis a été
de courte durée.
Alors que l’Union européenne
est elle aussi dans une position de
plus en plus délicate dans le pays
(la mission civile de coopération
avec la police aux frontières Eucap
Sahel Niger a été sommée de par-
tir en décembre), le Niger se
tourne résolument vers de nou-
veaux partenaires, Russie en tête.
A la mi-janvier, un renforcement
de la coopération militaire entre
Niamey et Moscou a été annoncé.
Un mois plus tôt, lors d’une vi-
site du vice-ministre Iounous-bek
Evkourov, reçu, lui, par le général
Tiani, un protocole d’accord de dé-
fense avait été signé, sans que ses
termes ne soient révélés. Les puts-
chistes nigériens suivent à la lettre
la voie tracée par les militaires du
Burkina Faso et du Mali, avec les-
quels ils ont fondé l’Alliance des
Etats du Sahel et annoncé quitter
la Communauté économique des
Etats de l’Afrique de l’Ouest.
Comme cela s’est passé dans les
deux pays voisins, les Occiden-
taux guettent avec appréhension
l’éventuel déploiement de parami-
litaires russes au Niger. p
anna sylvestre-treiner
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international | 7
En Inde, des élections
sur fond de manœuvres
et de soupçons
L’opposition dénonce un système de
financement qui a favorisé le parti de Modi
new delhi - correspondante
L es élections générales en
Inde auront lieu du 19 avril
au 1er juin, étalées en sept
phases pour faire voter près d’un
milliard d’Indiens. Ces dix-huitiè-
mes élections législatives de la
jeune république indienne sont
un exercice à l’échelle du pays, l’un
des pays les plus peuplés au
monde. Quelque 970 millions
d’électeurs vont être appelés suc-
cessivement aux urnes, selon leur
région, pour élire les 543 députés
de la Lok Sabha, la chambre basse
du Parlement. « Il s’agit du plus
grand exercice logistique en temps
de paix au monde », a commenté le
président de la commission élec-
torale, Rajiv Kumar.
Il va mobiliser 15 millions
d’agents électoraux pour mettre
en place un million de bureaux de
vote, acheminer les machines
électroniques jusque dans les ré-
gions les plus reculées, car la loi
prévoit que les électeurs ne soient
pas éloignés de plus de deux kilo-
mètres d’un isoloir. Les résultats
seront annoncés le 4 juin.
Au-delà de la logistique, l’enjeu
de ces élections est considérable.
Après dix ans au pouvoir, Naren-
dra Modi, 73 ans, veut non seule-
ment conquérir un troisième
mandat mais aussi obtenir une
majorité qualifiée. L’opposition
redoute qu’il ne veuille modifier
la Constitution de 1950 et instau-
rer un régime différent de celui lé-
gué par les fondateurs après l’in-
dépendance. Le premier ministre
sortant s’est fixé, avec ses alliés,
un seuil de 400 députés, contre
350 en 2019, ce qui lui permettrait
d’atteindre la majorité des deux
tiers requise pour modifier la
Constitution. Ses ambitions
nourrissent un peu plus les dou-
tes sur la transparence des élec-
tions et sur l’organisme chargé de
les organiser.
La commission électorale a an-
noncé les dates du scrutin avec re-
tard, après des manœuvres de der-
nière minute sur la composition
de cette structure indépendante,
l’un des piliers de la démocratie
indienne, garante du bon déroule-
ment du scrutin et de l’équité en-
tre candidats. Deux des trois
membres de la commission ont
été remplacés au dernier mo-
ment. Le dernier n’a donné
aucune explication. Le Congrès,
principal parti d’opposition, ac-
cuse le gouvernement de « déci-
mer systématiquement les institu-
tions indépendantes ». Les deux
nouveaux entrants ont été nom-
més en vertu d’une loi controver-
sée, adoptée par le Parlement en
décembre 2023, qui donne un
avantage au gouvernement dans
le choix des commissaires.
La campagne s’ouvre en plein
scandale du système des « bons
électoraux » mis en place par Na-
CU BA
Des manifestations
contre les pénuries
Des centaines de manifes-
tants sont descendus diman-
che 17 mars dans les rues de
Santiago de Cuba, deuxième
ville du pays, pour protester
contre les longues coupures
d’électricité qu’ont subies
les habitants en fin de
semaine. Le président
cubain, Miguel Diaz-Canel, a
mis en garde, sur le réseau X,
« les ennemis de la révolu-
tion » qui exploiteraient
ce contexte, affirmant
que « des terroristes basés
aux Etats-Unis (…) encoura-
gent des actions pour déstabi-
liser le pays ». – (AFP.)
rendra Modi en 2017 pour financer
les partis politiques. Déclaré in-
constitutionnel par la Cour su-
prême le 15 février, il a permis à des
entreprises d’acheter anonyme-
ment et sans limite des titres
auprès de la State Bank of India,
que la banque reversait aux béné-
ficiaires. La haute juridiction a es-
timé que la source et autres détails
de ce financement ont été cachés
au public, en violation du droit
fondamental des électeurs à l’in-
formation et de leur droit à faire
un choix éclairé avant de voter.
On sait désormais avec certitude
que l’essentiel de l’argent est
tombé dans les poches du parti
majoritaire, le Bharatiya Janata
Party, de 2019 à 2023. Selon les pre-
mières données publiées ces der-
niers jours sur ordre de la Cour su-
prême, il a reçu plus de 750 mil-
lions de dollars (688 millions
d’euros), soit 50 % de l’ensemble
des dons. Le Congrès n’a encaissé
que 170 millions de dollars.
Blanchiment d’argent
« Il s’agit du plus grand scandale de
l’Inde indépendante », a estimé l’un
des porte-parole du Congrès, Jai-
ram Ramesh, avant de s’interroger
sur la spontanéité des dons. La so-
ciété de loterie Future Gaming and
Hotel Services, une entreprise peu
connue, et Megha Engineering
ont, en effet, toutes deux fait l’ob-
jet d’enquête pour blanchiment
d’argent avant de devenir les deux
plus grosses contributrices des
bons électoraux. « Les principales
agences chargées de l’application
de la loi et de la lutte contre la crimi-
nalité financière ont été utilisées
pour terrifier les gens », a accusé Jai-
ram Ramesh. Future Gaming and
Hotel Services a acheté 165,3 mil-
lions de dollars, soit environ 11 %
du total des obligations vendues
entre avril 2019 et janvier 2024.
Quelques grands noms de l’in-
dustrie figurent dans la liste des
donateurs, dont Lakshmi Mittal, le
patron de la multinationale sidé-
rurgique ArcelorMittal, basée au
Royaume-Uni, le géant minier Ve-
danta et le spécialiste des télécom-
munications Bharti Airtel.
En revanche, les entreprises des
magnats qui gravitent autour du
pouvoir, Gautam Adani et Mu-
kesh Ambani, n’apparaissent pas
directement mais indirectement,
selon l’enquête de The Reporter’s
Collective. Ce site indépendant
d’information a fait le lien entre le
troisième plus gros donateur,
Qwik Supply Chain Private Limi-
ted et Reliance, le groupe de Mu-
kesh Ambani. L’entreprise a
donné des sommes considéra-
bles, bien supérieures à ses béné-
fices. Ces révélations sur les bons
électoraux et la disproportion des
moyens entre les partis renfor-
cent encore l’impression que les
jeux sont déjà faits. p
sophie landrin
AFGHAN I STAN
Huit morts dans des
frappes pakistanaises
Huit personnes ont été tuées
tôt lundi 18 mars par des
frappes aériennes pakistanai-
ses dans deux provinces
d’Afghanistan proches de
leur frontière commune,
a annoncé le porte-parole du
gouvernement taliban, Zabi-
hullah Mujahid. L’Afghanis-
tan « condamne fermement
ces attaques », a poursuivi le
porte-parole officiel, dénon-
çant une « violation de la
souveraineté » de son pays.
Depuis le retour au pouvoir
des talibans à Kaboul en 2021,
les tensions entre les deux
pays se sont accrues. – (AFP.)
8|
PLANÈTE
0123
MARDI 19 MARS 2024

C L I M AT

Océan Atlantique Océan Atlantique

FRANCE FRANCE
Mer Noire Mer Noire

ITALIE TURQUIE ITALIE TURQUIE

ESPAGNE ESPAGNE

GRÈCE GRÈCE
CHYPRE CHYPRE
MALTE MALTE
Mer Méditerranée Mer Méditerranée
TUNISIE TUNISIE
ALGÉRIE ALGÉRIE
MAROC MAROC
ÉGYPTE ÉGYPTE
LIBYE LIBYE

Anomalies des précipitations* * Mesurée au cours des trois derniers Anomalies de l’humidité des sols** ** Indice qui mesure l’excès ou le déficit
en millimètres mois (décembre 2023, janvier et février (indice) d’humidité dans les premiers dix centimètres
2024) par rapport à la moyenne de profondeur du sol par rapport
Déficit d’eau Excès d’eau Déficit d’eau Excès d’eau
des mêmes mois entre 1980 et 2010 à la moyenne de la période 1995-2023

– 400 – 200 0 + 200 + 400 –4 –2 –1 1 2 4

Infographie Le Monde Sources : Chirps ; Copernicus

L Le bassin méditerranéen en
es paroissiens de Perpignan ont
décidé de s’en remettre une nou-
velle fois à sant Galdric, saint pa-
tron des Catalans, afin de faire
enfin tomber la pluie sur les Py-
rénées-Orientales. Le dimanche

proie à une sécheresse critique

10 mars, pour la deuxième année consécu-
tive, ils ont organisé une procession dans les
rues de la ville. Dans l’extrême sud de la
France, comme dans tout l’ouest du bassin
méditerranéen, la sécheresse s’est installée.
Les relevés météorologiques ne risquent
pas de tempérer l’inquiétude générale.
« Vingt-deux mois déficitaires en précipita-
tions depuis début 2022 : les Pyrénées-Orien-
tales connaissent une sécheresse historique
en durée et en intensité, la plus sévère depuis
nos premiers enregistrements qui datent de
1959, résume Simon Mittelberger, climatolo-
gue à Météo-France. L’hiver 2023-2024 a été
encore plus sec que le précédent et enregistre
55 % de déficit. »
Du Maghreb à l’Italie, en passant par l’Al-
garve, dans le sud du Portugal, toute la côte
est de l’Espagne, les Baléares, l’extrême sud
de la France, la Sicile, la Sardaigne, Malte et
jusqu’en Crète, le constat s’impose : la
situation actuelle ne relève pas d’un épisode
exceptionnel lié aux températures record
(même si les trois derniers mois se distin-
guent comme l’hiver le plus chaud jamais
enregistré à l’échelle mondiale), mais d’un
phénomène durable.
SÉRIE DE RESTRICTIONS D’EAU
Le sud de l’Europe vit sa deuxième année
sèche consécutive ; le Maroc affronte la
sixième sans précipitations ou presque. Le
niveau de remplissage moyen des barrages
y atteint difficilement 23 %. Le deuxième
plus important du pays, Al-Massira, qui des-
sert la région de Casablanca, est presque
vide. Mi-février, le ministre de l’équipement
et de l’eau, Nizar Baraka, a déclaré que,
depuis septembre 2023, les pluies étaient
inférieures de 70 % à la moyenne, ce qui a
entraîné l’interdiction d’utiliser de l’eau
potable pour arroser les parcs et nettoyer les
rues, entre autres.
L’Algarve, la Sardaigne et la Sicile ont aussi
durci leurs mesures de restriction en ville et
dans les jardins. La Catalogne, confrontée à
sa « pire sécheresse depuis un siècle », selon le
président du gouvernement régional Pere
Aragonès, est placée en état d’urgence de-
Alimentation en eau potable, agriculture et tourisme sont affectés dans la région,
où les effets du réchauffement climatique se font particulièrement sentir
Après les températures extrêmement
élevées qui ont marqué l’année 2023, 2024
débute dans des « conditions critiques » de
sécheresse dans le bassin méditerranéen,
observent les scientifiques du Centre com-
mun de recherche de la Commission euro-
péenne (JRC, selon son acronyme anglais)
dans un rapport sur ce phénomène publié le
20 février. En s’appuyant sur les indicateurs
de leur Observatoire européen de la séche-
resse, fondé sur l’exploitation des images sa-
tellites du programme européen Coperni-
cus, ils évoquent même un état d’alerte pour
le sud et l’est de l’Espagne, le sud de la France,
la majorité de l’Italie, Malte, Chypre, une par-
tie de la Roumanie, de la Grèce et de la Tur-
quie. Globalement, tout l’ouest du bassin
méditerranéen est frappé de plein fouet. Le
JRC insiste sur l’extrême gravité de la situa-
tion au Maghreb.
Combinaison du manque de précipitations
et des températures élevées depuis au moins
deux ans, les sols présentent des taux d’hu-
midité insuffisants dans la majeure partie de
la région. L’impact sur le développement de
la végétation est déjà bien visible, dans le sud
de l’Espagne, de l’Italie, et à Malte. De sur-
croît, fin janvier, le niveau du manteau
neigeux était bien inférieur à sa moyenne
habituelle dans les montagnes transalpines
(– 63 % par rapport à la période 2011-2022),
note le rapport. Résultat : ces réserves d’eau
douce vont fatalement manquer au moment
de soutenir les débits des rivières, au prin-
temps et à l’été. Enfin, les anomalies de tem-
pérature, la sécheresse des sols et celle des ar-
bres ne peuvent que favoriser les incendies,
préviennent les rapporteurs. Ils alertent sur
un danger « très élevé », voire « extrême » en
LES ANOMALIES Afrique du Nord, et « modéré à fort » dans le
sud-est de l’Espagne.
DE TEMPÉRATURE, Moins de piscines, de fontaines, de dou-
ches de plage, le tourisme va probablement
LA SÉCHERESSE DES être affecté par toutes ces pénuries et, avec
SOLS ET CELLE DES lui, l’économie de plusieurs de ces pays mé-
diterranéens. Ce n’est qu’une des dimen-
ARBRES NE PEUVENT sions du phénomène. La sécheresse aiguë se
traduit, dans certaines régions agricoles, par
QUE FAVORISER une inévitable réduction des superficies irri-
LES INCENDIES guées pour cause de barrages presque vides.
Mais elle suscite, en même temps, des pré-
lèvements de plus en plus profonds dans des
nappes souterraines qui ne se renouvellent
pas, notamment au Maroc. Le procédé n’est
pas durable. En outre, la baisse du débit des
fleuves dans les deltas laisse remonter le sel
dans les terres. Fruits, avocats, céréales, pas-
tèques, tomates, miel et élevage ovin… toutes
ces productions qui alimentent les marchés
européens ont besoin d’eau. Alors que les ré-
coltes d’olives se sont effondrées en Espagne,
premier producteur mondial, et en Italie, les
cours de l’huile se sont mis à flamber, ils ont
doublé en un an.
TEMPÊTES EXTRÊMES
En 2022, la Conférence des parties sur le
climat (COP27), qui s’est tenue en Egypte,
accueillait pour la première fois un pavillon
méditerranéen, à l’initiative de l’Union
des endroits de la planète parmi les plus af-
fectés par l’évolution du climat. A son sujet,
selon ce rapport, « les modèles projettent une
diminution constante des précipitations au
cours du XXIe siècle ». Pour le climatologue
Joël Guiot, directeur de recherche au CNRS au
Centre européen de recherche et d’enseigne-
ment des géosciences de l’environnement, et
coordinateur du réseau MedECC : « La situa-
tion actuelle confirme les analyses de MAR1.
La surface de la Méditerranée devrait,
d’ailleurs, continuer de se réchauffer. »
La température de la mer constitue un des
éléments d’une situation globale qui corres-
pond aux prévisions des chercheurs. « Nous
observons, depuis 2017, que la zone des hautes
pressions des Açores s’est déplacée au-dessus
du Maroc, de l’Espagne, du sud de la France, de
l’Italie. L’est de la Méditerranée est moins
concerné, expose Davide Faranda, chercheur
CNRS, climatologue à l’Institut Pierre-Simon
Laplace. Le bassin, fermé, a tendance à stocker
la chaleur de l’eau, ce qui contribue à mainte-
nir en moyenne un anticyclone station-
naire. Cela empêche les pluies d’automne et
d’hiver associées aux dépressions d’origine at-
lantique de se produire, mais cela favorise, en
revanche, la formation d’orages. »
Sécheresses et tempêtes extrêmes sont les
deux faces d’un même phénomène. En sep-
tembre 2023, « l’ouragan » méditerranéen
nommé Daniel a entraîné la rupture de deux
barrages à Derna, en Libye, causant près de
6 000 morts et 8 000 disparitions, puis de
fortes inondations en Grèce. Mais pour le
reste des précipitations, « cette saison, leur

puis le 1er février, ce qui a déclenché une série
de restrictions sur la consommation de la
ressource. Barcelone s’apprête à aller cher-
cher de l’eau douce en bateau jusqu’à Valence
et elle est en train de se doter de deux gran-
des usines de dessalement d’eau de mer pour
approvisionner ses habitants. Dans tout le
Maghreb, les gouvernements annoncent,
eux aussi, de nouvelles infrastructures de ce
type (huit usines au Maroc, sept en Tunisie)
et des transferts d’eau entre régions plus ou
moins déficitaires.
ZONES REFUGES
pour la Méditerranée et du plan d’action
pour la Méditerranée du Programme des
Nations unies pour l’environnement. Des
Le bassin méditerranéen est considéré comme un des points chauds (hot- scientifiques s’y sont succédé pour évoquer
spot) de biodiversité dans le monde : une zone abritant une grande richesse l’urgence de la situation. Auparavant, ces
d’espèces mais soumise à de grandes pressions d’origine humaine. La organisations avaient soutenu la réalisation
faune et la flore y sont marquées par un fort taux d’endémisme. Ainsi, la d’un important travail de synthèse intitulé
moitié des espèces de plantes à fleurs, au nombre de 25 000 environ, ne MAR1, issu de huit cents experts du change-
sont présentes nulle part ailleurs. Cette situation s’explique par la persis- ment climatique et environnemental – le ré-
tance de zones refuges sur le pourtour méditerranéen, où des populations seau MedECC.
animales et végétales ont pu se maintenir au fil des glaciations du pléisto- Cet imposant diagnostic, publié en 2020,
cène. Les biologistes redoutent l’impact de la sécheresse sur ces espèces. conclut que le bassin méditerranéen est un
couloir préféré passe par l’Ecosse, la Manche
et le nord de la France », glisse le climatolo-
gue. De tous les phénomènes météorologi-
ques extrêmes, la sécheresse est « celui qui lui
fait le plus peur », confie-t-il. Parmi les poten-
tielles solutions d’adaptation, Davide Fa-
randa envisage des changements de prati-
ques culturales ou des grands transferts
d’eau du nord au sud de l’Europe. « L’impor-
tant, c’est que les décisions soient prises rapi-
dement », estime-t-il. p
martine valo
0123
MARDI 19 MARS 2024
« On risque de voir
l’agriculture
sicilienne mourir »
L’île italienne souffre d’un déficit
pluviométrique tel qu’il menace la
survie de nombreuses exploitations
REPORTAGE
lentini et raguse (sicile, italie) -
envoyé spécial
A
u bord du chemin pou-
dreux, les orangers ont
soif. Leurs feuilles sont
flétries et leurs fruits,
minuscules. Alessandro Scire,
producteur d’agrumes dans la
plaine de Catane comme son père
et son grand-père avant lui, sort
son couteau suisse et coupe une
petite orange gorgée de sucre, de
la taille d’une mandarine. Elle a
beau être délicieuse, elle serait in-
vendable. Le manque d’eau, sé-
vère en cette fin d’hiver sicilien, a
engendré des fruits nains, de
taille non conforme aux calibres
de commercialisation et aux
habitudes des consommateurs,
mettant en péril toute la filière
des agrumes.
Legs de la période islamique de
l’île, entre les IXe et XIe siècles, ex-
ploités massivement au XIXe siè-
cle à destination des marins pour
éloigner le scorbut, bientôt ex-
portés à travers le monde et fai-
sant la fortune de premiers ma-
fieux, les orangers, citronniers et
mandariniers siciliens plongent
leurs racines dans les profon-
deurs de l’histoire insulaire. Leur
avenir est désormais menacé
alors que la région affronte la pire
sécheresse hivernale depuis que
les mesures météorologiques ont
commencé à être prises, en 1921.
« Nous sommes en colère et
émotionnellement éprouvés mais il
n’y a rien à faire contre les forces de
la nature », déplore, amer, M. Scire,
42 ans, propriétaire de 80 hectares
d’orangers, soit environ 40 000 ar-
bres dans une exploitation voi-
sine. « C’est un désastre qui avance
et avance et avance… » Les oranges
seront probablement abandon-
nées sur l’arbre. Trop petites pour
le commerce, elles pourraient in-
téresser les industries de transfor-
Mobilisation contre un projet de golf dans les Pyrénées-Orientales
Les opposants à cet aménagement accusé « de ne pas prendre en compte la réalité actuelle du climat » se sont réunis, samedi, près de Perpignan
villeneuve-de-la-raho
(pyrénées-orientales) -
envoyé spécial
P lus de 4 000 personnes
rassemblées à l’appel
d’une vingtaine d’associa-
tions et de partis politiques (Eu-
rope Ecologie-Les Verts, Généra-
tion.s, Horizons et le Parti cata-
lan). Samedi 16 mars, sur les rives
du lac de Villeneuve-de-la-Raho
(Pyrénées-Orientales), au sud de
Perpignan, tous sont venus dé-
noncer, dans le calme, un projet
de golf vieux de plus de vingt ans,
intégré dans une zone d’aména-
gement concerté, qui doit voir le
jour d’ici à 2026.
Sur le site, les engins de chantier
sont à l’œuvre depuis novem-
bre 2023. Au programme, un par-
cours de 18 trous sur 65 hectares,
autant de surface de zones à bâtir
comprenant un hôtel, un restau-
rant, 150 logements sociaux et
500 parcelles privées.
mation, mais, selon l’agriculteur,
les prix d’achat qu’ils imposent se-
raient inférieurs aux coûts de pro-
duction. Les fruits continueront
alors à peser sur les branches et à
affaiblir l’oranger. De fait, la ques-
tion n’est plus tant de savoir com-
ment limiter les dégâts pour la ré-
colte de cette année, mais bien de
savoir comment les arbres vont
survivre à l’été.
Pour les exploitants qui dispo-
sent des moyens suffisants, l’im-
portation de technologies d’irriga-
tion de précision israéliennes per-
met de sauver la mise. Les autres
n’ont d’autres choix que de laisser
une partie de leurs arbres mourir,
selon M. Scire. « Ce n’est pas qu’ils
ne veulent pas cultiver, explique-
t-il, ils n’ont pas la force économi-
que pour continuer. L’abandon des
cultures a déjà commencé et il va se
poursuivre. » Les agrumes ne sont
pas les seuls à être menacés par la
sécheresse historique dont souffre
l’île. Le blé dur qui n’atteint pas la
hauteur normale pour la saison
ainsi que toutes les cultures maraî-
chères, les vignes et les oliviers
sont aussi touchés tandis que les
éleveurs manquent de foin.
Chutes de neige insuffisantes
« La situation tend à la catastro-
phe, alerte à Palerme Dario Carta-
bellotta, directeur régional à
l’agriculture et nommé commis-
saire pour l’urgence sécheresse
par l’exécutif sicilien. Nous som-
mes dans le rouge. La seule chose
que nous pouvons espérer, ce sont
de très importantes précipitations
au printemps. Ce n’est pas idéal,
mais c’est mieux que rien. » Mani-
festation des événements climati-
ques extrêmes de plus en plus fré-
quents, la tempête Helios de fé-
vrier 2023 et les pluies violentes
du mois de mai ont fait plus de
mal que de bien, rencontrant un
sol imperméabilisé par le man-
que d’eau. Après un deuxième se-
Pour la maire de la commune de
4 500 habitants, Jacqueline Irles
(Les Républicains), il s’agit de
« construire un golf d’avant-
garde ». Le chantier débute ce-
pendant dans un contexte singu-
lier : le département est frappé
par une sécheresse qui perdure et
met viticulture et arboriculture
au supplice. Seulement 252 milli-
mètres de pluie y sont tombés
en 2023, contre une moyenne na-
tionale de 828 millimètres de
précipitations. Une pluviométrie
identique à celle du Sahel. Et,
selon le dernier bulletin hydrolo-
gique du Bureau de recherches
géologiques et minières, les nap-
pes phréatiques, plus basses
qu’en 2023 dans la région, ont
continué à baisser en février sur
la plaine du Roussillon et le mas-
sif des Corbières.
« On sait tout cela depuis long-
temps, ce golf sera exemplaire en
matière d’économies d’eau et d’ar-
rosage », balaie Jacqueline Irles,
Des oranges endommagées et sèches, le 26 février à Lentini, en Sicile. ALBERTO PIZZOLI/AFP
mestre 2023 historiquement sec
et chaud, le mois de janvier a été le
cinquième mois de déficit hydri-
que dans l’île avec des chutes de
neige insuffisantes sur les Appe-
nins siciliens, qui servent norma-
lement de château d’eau à l’île
pendant les mois les plus chauds.
Du fait du manque de pluie res-
tauratrice à l’automne et des tem-
pératures élevées, les niveaux des
bassins de rétention utilisés pour
l’irrigation l’été sont très bas et en
déclin à une période où ils de-
vraient se remplir. Leur volume
potentiel est de 800 millions de
mètres cubes d’eau. Ils en contien-
nent moins de 200 millions selon
les données de l’administration ré-
gionale. « On risque de voir l’agri-
culture sicilienne mourir. Cette si-
tuation, c’est du jamais-vu. Pour
beaucoup de cultures, il est déjà
trop tard », estime Marcello Melfa,
agronome à Enna, dans le centre
de l’île, au cœur d’une province
comptant, avec la plaine de Ca-
tane, parmi les zones les plus tou-
chées. L’agriculture représentait
7,7 % du produit intérieur brut sici-
lien, soit près de 6,3 milliards
d’euros en 2022 selon les données
officielles de la région.
« Si nous avons le même été que
l’année dernière, nous sommes de-
vant un désastre annoncé », avertit
aussi Giuseppe Amato, chargé des
ressources hydriques siciliennes
pour Legambiente, la principale
organisation de défense de l’envi-
ronnement en Italie. Le change-
qui fut également députée de la
circonscription de 2007 à 2012.
L’élue s’appuie sur le savoir-faire
de deux aménageurs, Belin Pro-
motion à Toulouse et GGL à
Montpellier, qui affirment que la
ressource utilisée sur le site pro-
viendra à 100 % des eaux usées de
la station d’épuration voisine.
Aucune des deux entreprises n’a
souhaité s’exprimer, laissant le
soin à l’édile de défendre mordi-
cus le projet : « Nous nous inspi-
rons des golfs en Espagne ou au
Maroc, qui traitent les eaux usées.
Ce sera une première en France. »
« Du vert, pas des greens »
Les deux entreprises auraient
déjà engagé plus de 20 millions
d’euros d’investissements, dont
1 million pour le système de trai-
tement à installer à la sortie de la
station d’épuration, dénommé
« Re-Use ». Elles promettent éga-
lement le traitement des eaux gri-
ses des habitations, ainsi que la
« LA SEULE CHOSE
QUE NOUS POUVONS
ESPÉRER, CE SONT
DE TRÈS IMPORTANTES
PRÉCIPITATIONS
AU PRINTEMPS »
DARIO CARTABELLOTTA
directeur régional à l’agriculture
ment des conditions climatiques
n’est cependant pas l’unique fac-
teur de la catastrophe en cours. Il
se conjugue, selon M. Amato, à une
gestion défaillante du territoire
qui rend l’île particulièrement vul-
nérable. « Les réservoirs sont en
mauvais état par manque de main-
tenance, il y a beaucoup de gas-
pillage parmi les usagers, les infras-
tructures de distribution d’eau sont
très anciennes et, dans certains en-
droits, faute de carte, on ne sait
même pas où les canalisations se
trouvent, des prélèvements illicites
dans les aqueducs sont monnaie
courante à la campagne… », énu-
mère Giuseppe Amato. D’après Le-
gambiente, les déperditions d’eau
induites peuvent atteindre 75 % du
volume total dans certaines zones.
« Le secteur se trouve à un tour-
nant historique et les responsables
politiques doivent agir très vite
pour améliorer les infrastructures
d’irrigation », juge Dario Mazzola,
plantation de 1 500 arbres et l’ins-
tallation de géothermie dans cha-
que construction ou logement.
En novembre 2023, la préfecture
des Pyrénées-Orientales a pro-
longé de cinq ans la déclaration
d’utilité publique, et les travaux
ont donc pu démarrer, malgré le
réveil de certains opposants.
Des recours hiérarchiques ont
été déposés le 22 février au tribu-
nal administratif ainsi qu’auprès
des ministères de la transition
écologique et de l’intérieur, qui
peuvent se prononcer dans les
deux mois. L’avocat Mathieu
Pons-Serradeil, qui représente le
mouvement #Agissons et le col-
lectif Pays catalan Ecologie, stig-
matise « un chantier d’un autre
temps, qui ne prend pas en compte
la réalité actuelle du climat ». Le
6 mars, c’est la présidente socia-
liste du conseil départemental,
Hermeline Malherbe, qui a écrit à
Christophe Béchu, ministre de la
transition écologique, en lui de-
directeur de la branche catanaise
de Coldiretti, la principale fédéra-
tion agricole italienne. Les autori-
tés siciliennes prévoient de parer
au manque d’eau grâce à des uni-
tés de désalinisation, des stations
d’épuration des eaux usées pour
l’agriculture et un rationnement
pour toutes les communes de l’île,
dont on doit réduire de 20 % l’ac-
cès à l’eau d’après le commissaire
Dario Cartabellotta.
« C’est moche »
Dans son champ de la province de
Raguse, Emmanuele Nobile, éle-
veur bovin de 38 ans, actionne
avec un air ironique une vanne
rouillée à l’arrivée d’une conduite
d’eau souterraine parfaitement
sèche. « Elle n’a jamais été raccor-
dée au réseau », signale-t-il. Plus
loin, son border collie s’égaie en-
tre les graminées et les fleurs sau-
vages. On distingue au-delà du
champ le profil de jolies bâtisses
aux murs ocre. Des caroubiers
centenaires aux troncs trapus,
autre héritage de la Sicile islami-
que, se découpent sur un paysage
qui glisse vers la mer et son loin-
tain horizon bleu.
Dans le regard d’Emmanuele
Nobile, pourtant, la scène n’a rien
de bucolique. « C’est moche », lâ-
che-t-il. De fait, les herbes du pré
qu’il utilise pour le fourrage, des-
tiné à nourrir ses vaches limousi-
nes, sont beaucoup trop basses
pour la saison. Les marguerites
jaunes innombrables qui parsè-
mandant de « réévaluer [le projet]
et son impact environnemental ».
La veille, une trentaine de mili-
tants du mouvement Extinction
Rebellion avaient mené une ac-
tion devant les locaux de GGL à
Perpignan, avec un slogan : « On
veut du vert, pas des greens ».
Du côté de la région Occitanie,
Agnès Langevine, vice-prési-
dente, se dit « totalement opposée.
Vertueux ou pas, ce golf est devenu
un symbole. Aujourd’hui, chaque
goutte d’eau compte, je ne com-
prends pas que l’Etat ait donné son
aval. » La maire de Villeneuve-de-
la-Raho s’étonne de son côté de ce
qu’elle qualifie de « volte-face de la
part du département, qui ne s’était
jamais positionné contre le golf.
Mme Malherbe a même financé le
rond-point qui mènera au site »,
justifie l’élue.
De son bureau surplombant le
village, la maire peut presque
apercevoir les 250 hectares du lac
de la Raho, ouvrage artificiel da-
planète | 9
ment la surface du champ
n’auraient pas dû s’épanouir
avant le mois d’avril. Les maisons
aux airs pittoresques ne sont que
des ruines, leurs anciens occu-
pants ont abandonné la campa-
gne. Les arbres manquent d’eau et
leurs feuilles se dessèchent. Cette
année, il s’attend à une récolte de
caroubes réduite de moitié. Dans
le champ adjacent, autour de leur
mangeoire, les bêtes ne se repo-
sent pas dans la boue, mais sur
une étendue de terre sèche.
« Mon père me disait que, de son
temps, il pleuvait en septembre, on
semait en octobre, on mettait les
animaux au pâturage et, à la fin
du mois d’avril, les bêtes étaient de-
hors parce qu’il y avait de l’herbe
trois mois dans l’année, raconte
l’éleveur. Il y avait une constance
dans la production. Aujourd’hui,
on vit au jour le jour et on n’arrive
pas à gérer les coûts de produc-
tion. » A cause de la sécheresse et
des événements climatiques ex-
trêmes, nourrir ses vaches est de-
venu un défi pour lui. Plus rare, le
fourrage est plus cher. Pour faire
face aux coûts, il a dû se séparer
d’un tiers de son cheptel et ne gar-
der que 35 têtes, les autres étant
vendues ou envoyées à l’abattoir
faute de nourriture suffisante.
Quand on lui demande à quoi res-
semblera à l’avenir son coin de
campagne si rien ne change,
Emmanuele Nobile répond en
deux mots : « un désert ». p
allan kaval
tant des années 1970, qui ravit les
touristes et alimentait jusqu’à il y
a peu quelques agriculteurs et
deux autres golfs du départe-
ment. Depuis deux ans, avec les
restrictions mises en place, per-
sonne ne peut plus y puiser d’eau.
A Perpignan, le 6 février, 92 uni-
versitaires ont signé une tribune,
parue dans plusieurs journaux lo-
caux et dénonçant « parmi les dé-
cisions symptomatiques de projets
hors-sol (…), celui du golf de Ville-
neuve-de-la-Raho (…), emblémati-
que d’une vision dépassée, symbo-
lique d’une manière d’agir et de dé-
cider d’un autre temps ». Wolfgang
Ludwig, l’un des signataires et di-
recteur de recherche au CNRS,
spécialiste des fleuves de la Médi-
terranée, se dit « frustré, en colère
de ne pas être écouté depuis long-
temps ». « Réutiliser l’eau, pour-
quoi pas, mais certainement pas
au seul bénéfice de gens privilé-
giés », ajoute-t-il. p
philippe gagnebet
10 |
FRANCE
0123
MARDI 19 MARS 2024

LFI veut mobiliser sur la cause palestinienne

Le parti s’est positionné à la pointe de la défense des Palestiniens, afin d’en faire un argument électoral

C’
est une longue et to-
tale minute de si-
lence que la juriste
franco-palestinienne
Rima Hassan fait régner, samedi
16 mars, dans un hall du Parc des
expositions de Villepinte (Seine-
Saint-Denis) où La France insou-
mise (LFI) tient son premier mee-
ting pour les élections européen-
nes. « Les Palestiniens exigent une
chose, d’avoir ce que vous avez
tous, une carte d’identité et une
nationalité », lance à la salle celle
qui figure en septième position
sur la liste du mouvement pour le
scrutin du 9 juin.
Si cette position est désormais
assumée comme une « fierté » par
les cadres « insoumis », la colora-
tion propalestinienne donnée à la
liste n’avait rien d’évident au dé-
part. Fin 2023, quand le nom de
Rima Hassan circule en interne
après sa rencontre avec Jean-Luc
Mélenchon, l’hypothèse de la voir
candidater sous les couleurs de LFI
semble déjà compromise. Selon
une rumeur, le coordinateur Ma-
nuel Bompard pense que le mou-
vement a déjà fait la preuve de son
engagement pour la Palestine.
Cela fait trois mois que la direc-
tion subit de vives critiques de la
part de ses adversaires politiques
pour avoir refusé de qualifier le
Hamas de groupe « terroriste », à
la suite de son attaque contre Is-
raël le 7 octobre 2023. De la part de
ses partenaires de gauche aussi,
puisque la Nouvelle Union popu-
laire écologique et sociale (Nupes)
a trouvé une raison, sur ce point,
de voler en éclats. Jean-Luc Mélenchon, au premier meeting de La France insoumise pour les élections européennes, à Villepinte (Seine-Saint-Denis), samedi 16 mars. BERTRAND GUAY/AFP
Et puis, entend-on alors, Rima
Hassan, figure des droits des Pales-
tiniens, ne défend pas la solution à pel, étaient en tête. Le PCF, lui, nienne ». Selon elle, des militants Hassan, ne fait pas non plus l’una- de l’universitaire Judith Butler à
deux Etats, un point bloquant à non signataire, s’est retrouvé à la déplorent que la direction du PCF nimité en interne. Une députée
Une députée LFI Pantin (Seine-Saint-Denis), le
l’époque. Quelques jours avant la fin du cortège. soit « en dessous de son soutien ha- redoute que l’orientation fasse redoute 3 mars, qui a fait couler beaucoup
finalisation de la liste, qui sera dé- Les communistes n’ont signé bituel à la cause palestinienne ». fuir une partie de l’électorat tradi- d’encre pour les propos sur le Ha-
voilée le 6 mars et qui est menée que deux des dix appels à mani- Cette première place prise par tionnel de gauche. Un autre, plus
que l’orientation mas tenus par cette dernière (elle
par Manon Aubry, cette dernière fester du Collectif depuis le 7 oc- LFI est aussi le fruit d’une straté- sévère, la compare au souvenir fasse fuir a qualifié l’attaque du 7 octo-
se rend compte que l’hypothèse tobre 2023 : leurs négociateurs gie électorale des « insoumis ». malheureux de la liste Euro Pales- bre 2023 d’« acte de résistance »),
est en réalité loin d’être enterrée. posaient comme condition la Pour dépasser le socle de 6 %, tine ; lors des européennes de
une partie M. Omarjee déplorait ainsi la
qualification du Hamas comme considéré comme le lot du parti 2004, cette liste comptant l’hu- de l’électorat « solidarité de fait » entre l’Europe
Le PCF en retrait organisation terroriste et la de- aux européennes, il s’agit de mo- moriste Dieudonné en deuxième et Israël. « Le fait colonial est in-
De fait il est trop tard, l’arrivée est mande de la libération des ota- biliser ceux qui ont voté Mélen- position (condamné depuis pour
traditionnel contestable. Dans les raisons qui
déjà actée. Ce choix conforte en ges. Deux exigences qui ont rare- chon à la présidentielle de 2022, injure antisémite), avait obtenu de gauche expliquent cette solidarité, je
tout cas la volonté de LFI de se po- ment été satisfaites. mais plongent habituellement quelques voix en Seine-Saint-De- pense qu’il y a le fait colonial, par-
sitionner comme fer de lance de Sur la question palestinienne, le dans l’abstention aux européen- nis, alors même qu’elle était désa- tagé par d’ex-puissances colonia-
la défense des Palestiniens, aux chef de file des communistes, Fa- nes. La cible principale : des élec- vouée par les associations de dé- qui avait eu pour conséquence de les et la puissance coloniale qu’est
côtés des associations. Et ce bien Roussel, cherche un équilibre teurs des banlieues que la cause fense des Palestiniens. diviser l’extrême gauche en Israël », poursuit-il auprès du
d’autant plus que le Parti commu- que certains militants du PCF sa- palestinienne peut mobiliser, es- Matthias Tavel, député (LFI) de France : celui de la prise d’otages Monde. Une analyse aux antipo-
niste français (PCF), tendance Fa- luent, alors que d’autres le jugent père la direction du mouvement. Loire-Atlantique et directeur de des Jeux olympiques de Munich, des de celle des socialistes, pour
bien Roussel, n’est plus aussi as- trop prudent. Depuis son voyage Ce choix, clivant, comme en té- campagne de Manon Aubry, ba- en septembre 1972, par l’organisa- qui caractériser ainsi l’Etat d’Is-
sidu qu’autrefois à leur côté. en Cisjordanie, début mars, il moignent les accusations de légi- laie ces accusations d’électora- tion palestinienne Septembre raël relève de l’anathème.
« Ceux qui sont là tout le temps, n’hésite plus à parler de « génocide timation du Hamas visant Rima lisme : « A la fois on nous dit qu’on noir, qui avait notamment coûté
c’est LFI. Ils sont nombreux, et en cours » à Gaza. Dans le même aurait perdu des plumes le 7 octo- la vie à onze athlètes israéliens. Le choix des mots
constants, investis », relève Anne temps, il fustige la candidature de bre, et maintenant on nous accuse « La cause palestinienne a payé Interrogé sur le terme de « puis-
Tuaillon, présidente de l’Associa- Rima Hassan et son projet, selon de vouloir gagner des voix en par- très cher pendant plusieurs décen- sance coloniale », le premier secré-
tion France-Palestine Solidarité, lui, « pas porteur d’une solution
« Ceux qui sont là lant de la situation à Gaza. Un tel nies la tragédie de Munich, de la taire du Parti socialiste, Olivier
longtemps proche du PCF. Lors de politique et de paix ». La députée tout le temps, massacre, on est obligés d’en par- même façon qu’ils paient et paie- Faure, estime que « les gens qui
la dernière manifestation à l’ap- (PCF) des Hauts-de-Seine Elsa Fau- ler… On a envie que les gens que la ront très cher celle du 7 octobre », disent ça pensent que 1948 [date de
pel du Collectif national pour une cillon, qui était dans le cortège pa-
c’est LFI » situation à Gaza politise se tour- estime Dominique Vidal, journa- la création de l’Etat d’Israël] est une
paix juste et durable entre Palesti- risien le 9 mars, déplore une « vo- ANNE TUAILLON nent vers nous, oui on l’assume. » liste spécialiste du Proche-Orient, horreur ». Cyrielle Chatelain,
niens et Israéliens, le 9 mars, les lonté de démarcation de Fabien présidente de l’Association Le massacre du 7 octobre ravive auteur d’Antisionisme = antisémi- cheffe de file des députés écologis-
« insoumis », signataires de l’ap- Roussel sur la question palesti- France-Palestine Solidarité le souvenir d’un autre épisode, tisme ? Réponse à Emmanuel Ma- tes, préfère un vocabulaire diffé-
cron (Libertalia, 2018). rent pour, dit-elle, ne pas donner à
Dans ce contexte, le dialogue voir « une négation du droit du
Européennes : un premier meeting axé sur les guerres entre les différents camps politi-
ques semble impossible : les inci-
peuple israélien à avoir un Etat ».
Des débats du même ordre s’at-
dents opposant des étudiants tachent à d’autres mots. Celui de
c’est au parc des expositions de Ville- roriste du Hamas contre Israël du 7 octo- Hormis les prises de parole des députés propalestiniens et une militante « génocide » à Gaza, terme que le
pinte, en Seine-Saint-Denis, au cœur de bre 2023. La minute de silence qu’elle a de- sortants, comme Leïla Chaibi, qui s’est ré- de l’Union des étudiants juifs de candidat des socialistes aux euro-
son épicentre électoral, que La France in- mandée pour les morts de Gaza a été scru- jouie de la ratification prochaine de la direc- France (UEJF) à Sciences Po, le péennes, Raphaël Glucksmann, se
soumise (LFI) a lancé, samedi 16 mars, sa puleusement respectée. La militante des tive sur les travailleurs des plates-formes 12 mars, en sont la preuve, ne se- refuse à employer, ou encore la no-
campagne en vue des élections européen- droits des Palestiniens a notamment dé- numériques, ce meeting a peu parlé d’Eu- rait-ce que par la récupération im- tion défendue par LFI, le PCF et une
nes. Devant près de 3 000 militants, la di- fendu la reconnaissance du « crime d’apar- rope. M. Mélenchon a refusé l’idée de faire médiate dont ils ont fait l’objet. A partie des Verts de « crime d’apar-
rection a annoncé que la liste pour le scru- theid », un terme utilisé pour qualifier les une « lettre au Père Noël » à l’Europe ou, pire, cette occasion, Emmanuel Ma- theid », utilisée par Amnesty Inter-
tin du 9 juin avait été approuvée en ligne à actions du gouvernement israélien contre de dessiner « l’Europe idéale ». Après lui, la cron a parlé de « début de sépara- national et Human Rights Watch.
92 % par les militants. Et de révéler l’iden- les Palestiniens par des rapports d’Amnesty tête de liste pour le scrutin du 9 juin, Manon tisme », le premier ministre, Ga- Mais les lignes de fracture va-
tité de deux derniers candidats à s’y trou- International et de Human Rights Watch. Aubry, a appelé à « rassembler pour cons- briel Attal, a saisi la justice, quand rient peu. « Il y a toujours le
ver : il s’agira d’Huguette Bello, présidente truire une alternative au duo entre Emma- M. Mélenchon, lui, a dénoncé une schisme historique entre les socia-
du conseil régional de La Réunion, et, sans Appel aux abstentionnistes nuel Macron et Marine Le Pen ». « manipulation médiatique me- listes, la SFIO d’autrefois, qui entre-
surprise, de Jean-Luc Mélenchon, qui figu- « Si vous ne voulez pas de la guerre, votez Alors que sa liste n’est créditée que de 7 % née pour faire taire la protestation tenait une sympathie idéologique
rera en 80e position, c’est-à-dire sans “insoumis” ! », a lancé M. Mélenchon, avant des intentions de vote, selon un sondage contre le génocide à Gaza ». et stratégique avec Israël, et l’autre
aucune chance d’être élu. Sur scène, la pre- d’évoquer la situation à Gaza et en Ukraine. Ipsos pour Le Monde, les « insoumis » ten- Face à cette situation, certains à gauche. Les socialistes sont restés
mière a paraphrasé Nelson Mandela : « No- Tout en reconnaissant la dangerosité du tent de se rassurer en se rappelant le score LFI aimeraient que, dans l’intérêt fidèles à eux-mêmes », estime De-
tre liberté ne sera complète que lorsque les Kremlin, il a expliqué que « Poutine est un de M. Mélenchon lors de la présidentielle des Palestiniens, le parti cesse nis Sieffert, éditorialiste à Politis
Palestiniens seront libres. » chef d’Etat qui fait ce qu’il croit être son de- de 2022 (près de 22 %). Ce dernier tente de d’animer des débats théoriques et auteur d’Israël-Palestine. Une
Applaudie par une salle debout, la juriste voir, comme nous-même faisons ce que nationaliser le scrutin européen, en le pré- prêtant le flanc à des accusations, passion française (La découverte,
franco-palestinienne Rima Hassan – qui fi- nous croyons être notre devoir ». sentant comme un « vote de mi-mandat » même instrumentalisées, d’anti- 2004). L’« autre gauche », elle, em-
gure en septième position sur la liste de LFI Le fondateur de LFI s’est aussi lancé dans contre le gouvernement et regarde déjà sionisme voire d’antisémitisme. menée par LFI, a choisi de faire du
pour les européennes – était sans doute la un appel aux abstentionnistes, parmi le une autre échéance. « L’élection euro- A contrario, Younous Omarjee, conflit un axe central des élec-
figure la plus attendue de ce meeting. La « peuple des cités populaires » ou « la jeu- péenne de 2024 prépare l’élection présiden- eurodéputé sortant, assume de tions européennes. Le 9 juin dira
plus polémique aussi, celle-ci ayant été ac- nesse ». « Si vous abandonnez le combat, ne tielle de 2027 », a-t-il assuré. p faire fi de « la police de la pensée ». si son message a été entendu. p
cusée par certains de légitimer l’attaque ter- vous étonnez pas ensuite qu’il soit perdu ! ». j. ca. Lors d’une conférence aux côtés julie carriat
12 | france
Colère agricole: débat sur l’indemnisation des dégâts
Collectivités et Etat se renvoient la balle concernant le règlement des factures des dégradations
toulouse - correspondant
A
près le temps de la co-
lère, des manifesta-
tions et des barrages
vient celui des évalua-
tions des dégâts. Et des factures à
régler, ou pas. Quelques semaines
après la crise agricole, qui s’est
manifestée par des multitudes
d’actions dans tout le pays, essen-
tiellement sur les autoroutes,
mode d’action assez inédit, qui va
payer la note, parfois salée ?
Le point de départ de ce mouve-
ment se situe à Toulouse, le 16 jan-
vier. Ce jour-là, 1 000 manifes-
tants et environ 400 tracteurs dé-
filent dans les rues, déchargent
du fumier en centre-ville ou sur la
rocade. Le lendemain, la munici-
palité porte plainte contre X. Elle
évalue les dégâts et les frais de
nettoyages à 90 000 euros, selon
le maire, Jean-Luc Moudenc (di-
vers droite). Deux mois après, elle
est bien la seule collectivité im-
portante à avoir saisi la justice.
Préfectures, communes, départe-
ments et Etat se renvoient la balle
pour savoir qui va payer les factu-
res, qui s’élèveraient à plusieurs
millions d’euros.
A Agen, le maire, Jean Dionis du
Séjour (MoDem), après plusieurs
journées d’action des troupes de
la Coordination rurale, a rapide-
ment passé l’éponge. « Nous paie-
rons les dégâts, qui se montent à
plus de 400 000 euros, avec l’aide
de l’Etat », affirmait-il dès la fin du
mois de janvier.
La situation n’est pas la même à
Auch, où de nouvelles actions se
12 eme é d i t i o n
Les Français de
L’ é t r a n g e r o n t u n
i n c r oya b L e ta L e n t !
Le 1 9 m a rs 2024 , l e p etit j o u r n a l .co m , l e m éd i a d es F ra n ça is et
d es f ra n co p h o n es à l ’ét ra n g e r, a réco m p e n sé a u Q u a i d ’o rsay
6 F ra n ça is exce ptio n n e ls q u i o n t ré ussi à l ’ét ra n g e r.
océane SoreL
Virologue
Prix du Public
banque transatlantique
Le moroni
céciLe
Humoriste
trophée culture/art de vivre
misterFly
L e p e t i tj o u r n a L .c o m r e m e r c i e s e s pa rt e n a i r e s
sont déroulées le 21 février. « La tourne entre 300 000 et pour agir, en déposant des plain-
ville est toujours en discussion 400 000 euros. Le mieux, c’est que tes ou en se retournant vers l’Etat.
avec l’Etat pour déterminer la ré- l’Etat prenne la facture à sa charge, « Je n’ai pas reçu de dossier à ce
partition du coût », indique le ser- à travers un fonds à sa disposi- jour, il faut dire que cette crise est
vice de communication. Le mon- tion », insistant sur la clémence assez particulière, les agriculteurs,
tant cumulé des dégâts depuis la du ministre de l’intérieur envers ce ne sont pas les “gilets jaunes” »,
fin janvier atteindrait plusieurs les manifestants : « Puisque l’Etat précise Me Landot.
centaines de milliers d’euros. Qui laisse faire, qu’il assume la facture « Les dégâts, s’il y en a, ne sont
va payer l’addition ? Christian jusqu’au bout. » Le socialiste Sté- pas significatifs. Aucun agent pu-
Laprébende, le maire socialiste phane Destruhaut, vice-président blic n’a été malmené. La ligne
d’Auch, ne cache pas son agace- de la Haute-Vienne, est du même rouge n’a donc pas été franchie »,
ment et répond « ne pas savoir ». avis : « Nous considérons que les juge, pour sa part, le préfet de Lot-
Même réponse du préfet du Gers, départements en général ne sont et-Garonne, Daniel Barnier. Lisier
Laurent Carrié. « Je ne sais pas qui en rien responsables de la cause de déversé devant la préfecture, feux
paie ! On s’occupe de beaucoup de ce conflit et, donc, pour nous, il se- de paille et de palettes, hypermar-
choses, mais le nettoyage de la rait logique que les frais soient en- chés et voies ferrées dégradés,
voie publique n’est pas de la com- gagés par l’Etat », déclarait-il sur autoroute A62 bloquée plusieurs
pétence de l’Etat », affirme-t-il, RMC, début février. jours… Le département a été l’un
dans un article paru le 12 mars « Par défaut, c’est l’Etat qui doit des plus malmenés par la colère
dans La Dépêche du Midi. indemniser des dégâts commis agricole. Sans que, à ce jour,
Même cas de figure dans le dé- lors des attroupements ou rassem- aucune plainte ne soit déposée.
partement de la Haute-Vienne et blements (…), armés ou non armés,
à Troyes, dans l’Aube. François Ba- soit contre les personnes, soit con- Plaintes de Vinci Autoroutes
roin, maire (Les Républicains) de tre les biens », rappelle l’avocat pa- Il faut dire que Serge Bousquet-
Troyes et ancien ministre de l’éco- risien Eric Landot, spécialiste en Cassagne, président de la chambre
nomie, estimait début février, droit public. Et de préciser que les d’agriculture de Lot-et-Garonne et
dans L’Est éclair, que « la facture différents élus ont quatre ans leader départemental de la Coor-
dination rurale, est un habitué des
prétoires. Il a cumulé dix-huit pro-
FNSEA : report d’une réunion à l’Elysée cès en trente ans, mais devrait y
échapper cette fois-ci. En Occita-
Une réunion, prévue mardi à l’Elysée, avec le principal syndicat nie, la préfecture de région avoue
agricole a été « reportée », a annoncé, samedi 16 mars, le prési- « marcher sur des œufs ». « S’agis-
dent de la FNSEA, Arnaud Rousseau, selon qui « les conditions sant du réseau routier sous gestion
pour sortir de la crise agricole ne sont pas réunies ». M. Rousseau de la direction des routes du Sud-
dénonce des propos rapportés par la presse, selon lesquels Ouest, plusieurs déversements in-
les pouvoirs publics auraient fustigé des « syndicats incapables de cendiés ont causé des dégâts, en-
se mettre d’accord sur quatre ou cinq mesures fortes ». La FNSEA traînant des frais de remise en état
souhaite que l’ensemble de ses 62 demandes, formulées après non encore engagés », se conten-
le grand mouvement de protestation paysanne qui a eu lieu tent de signaler les services.
fin janvier et début février, soient prises en compte. Le gouverne- Dans le Sud-Ouest, des centai-
ment a précisé, jeudi soir, qu’un projet de loi d’orientation pour nes de tracteurs avaient bloqué,
la souveraineté agricole et le renouvellement des générations ou filtré, des bretelles d’autorou-
en agriculture serait présenté au conseil des ministres le 29 mars. tes, un mode opératoire qui avait
L’exécutif accusé de tarder sur la
réforme des pensions agricoles
Une loi de 2023, en attente d’application, doit calculer les retraites
des exploitants à partir de leurs vingt-cinq meilleures années
I ls ont fini par perdre patience.
Invités à Matignon, vendredi
15 mars, pour une nouvelle
réunion sur les pensions, les re-
présentants de la Fédération na-
tionale des syndicats d’exploitants
agricoles (FNSEA) sont partis avant
la fin du temps d’échange pour
manifester leur exaspération. La
principale organisation de pay-
sans reproche au gouvernement
de vouloir différer une réforme
sur le calcul des retraites des ex-
ploitants. Des critiques auxquelles
s’associent les parlementaires du
nicoLaS LaPorte chLoé
Loé viaLard parti Les Républicains (LR).
astrophysicien support centre for women Le dossier fait désormais partie
trophée education victims of violence des thèmes de préoccupation,
cned trophée humanitaire comme l’eau, les règles sur l’em-
cFe
ploi des produits phytosanitaires
ou la simplification administra-
tive, sur lesquels l’exécutif est ac-
cusé par la profession de ne pas
se montrer à la hauteur de ses en-
gagements.
Si la FNSEA dit avoir « claqu[é] la
porte » vendredi, c’est parce
Johanna Levy BenJamine oBeroi qu’elle a la désagréable impres-
Hope-bangkok objectif France inde sion de se faire balader sur la
trophée alumni des lycées trophée impact Social mise en œuvre de dispositions is-
français du monde malakof Humanis sues d’une proposition de loi
aeFe
adoptée en février 2023. Porté par
Julien Dive, député LR de l’Aisne,
le texte a pour objet de détermi-
ner, à partir de 2026, la retraite de
base des « non-salariés agricoles »
– c’est-à-dire les exploitants, pour
l’essentiel – « en fonction des
vingt-cinq années d’assurance les
plus avantageuses », et non plus
sur l’intégralité de la carrière.
Le but est de mettre un terme à
une injustice en introduisant les
mêmes règles que pour les sala-
riés du privé. Aux yeux de ses par-
tisans, un tel mécanisme pré-
sente, qui plus est, l’intérêt d’éli-
miner du calcul des pensions les
années où les paysans ont en-
« Le nettoyage de
la voie publique
n’est pas
de la compétence
de l’Etat »
LAurent CArrié
préfet du Gers
causé dégradations et surtout
manque à gagner pour le conces-
sionnaire, Vinci Autoroutes. Quel-
que 500 tonnes de déchets sur les
autoroutes dans l’Aude (A61),
presque autant sur l’A62 entre
Agen et Montauban. « Le réseau
routier n’est pas une décharge de
déchets classés ! Et les salariés de
Vinci Autoroutes ont mieux à faire
que de nettoyer et de réparer les dé-
gâts », réagit, auprès du Monde,
Pierre Coppey, président de Vinci
Autoroutes et sa filiale Autorou-
tes du sud de la France.
L’entreprise évalue le montant
des frais de nettoyage à plusieurs
centaines de milliers d’euros.
« L’autoroute A62 a été bloquée du
20 février au 3 mars, et ce sont
364 000 déplacements qui ont été
entravés pendant cette période
d’occupation », précise M. Coppey,
qui, là encore, chiffre le manque à
gagner à « des millions d’euros sur
l’ensemble du réseau ».
Vendredi 8 mars, l’entreprise a
franchi le pas et a décidé de dépo-
ser sept plaintes, dont une auprès
du procureur de la République de
Montauban. Selon les tronçons
touchés, ces plaintes portent sur
grangé des revenus faibles, à
cause, par exemple, d’une mau-
vaise récolte ou de la baisse du
prix des produits qu’ils vendent.
La « loi Dive » a été votée à l’una-
nimité par l’Assemblée nationale
comme par le Sénat, avec la béné-
diction du pouvoir en place, ce qui
semblait témoigner d’un bel élan.
Mais son application s’avère plus
laborieuse que ce que souhaite-
raient ses défenseurs. Elle avait
prévu que le gouvernement re-
mette, avant le début de l’été 2023,
un rapport détaillant les condi-
tions de son entrée en vigueur,
avec différents scénarios à la clé.
Potentiels perdants
Réalisée conjointement par l’ins-
pection générale des affaires so-
ciales et par le Conseil général de
l’alimentation, de l’agriculture et
des espaces ruraux, cette exper-
tise a finalement été transmise
au Parlement à la fin janvier. Ces
retards ont constitué une pre-
mière source d’agacements.
Le contenu même du rapport a
également déplu. Présentant un
panel d’hypothèses, il en a ap-
profondi trois, qui montrent que
la règle des vingt-cinq meilleures
années pourrait faire des per-
dants, plus ou moins nombreux
selon les options retenues. Les
élus de droite – Julien Dive en
tête – ont objecté que d’autres so-
lutions étaient envisageables,
sans causer le moindre préjudice
aux agriculteurs.
Vendredi, lors de la rencontre à
Matignon, les conseillers ministé-
riels présents ont, selon la FNSEA,
remis sur la table des proposi-
tions consistant à décaler en 2028
l’application de la « loi Dive » et à
calculer les pensions à partir des
revenus dégagés sur la période
0123
MARDI 19 MARS 2024
« délit d’entrave à l’exercice nor-
mal d’une activité économique »,
« dégradation de bien privé »,
« violation d’arrêté préfectoral »
ou « mise en danger de la vie
d’autrui ». « Tout cela est désolant,
ajoute M. Coppey. Vinci Autoroutes
a noué un partenariat avec la Fédé-
ration nationale des syndicats d’ex-
ploitants agricoles [FNSEA] depuis
très longtemps, et nous n’avons rien
à voir avec leurs revendications. »
Contactée, la direction nationale
de la FNSEA n’a pas donné suite.
« Nous avions demandé aux gars
de respecter les biens publics et les
personnes. Oui, il y a eu des dégâts,
mais ça ne vient pas de chez nous »,
explique Philippe Jougla, le prési-
dent de la fédération Occitanie du
syndicat agricole. Avant d’ajouter :
« Les collectivités discutent avec le
gouvernement, cela demande de la
discrétion, ce n’est pas le moment
de remettre le feu aux poudres. »
A l’autre bout de la Garonne, à
Bordeaux, lundi 11 mars, environ
150 militants de la Coordination
rurale ont manifesté devant l’hô-
tel de région, avant de s’inviter
lors de la séance plénière. Après
des heurts avec les forces de l’or-
dre, ils ont ensuite déambulé sur
les quais de la ville, déversant là
encore quelques bennes de lisier.
Dans la soirée, après avoir « cons-
taté des dégradations commises
sur une porte du conseil départe-
mental et sur les quais de la ville,
dont le miroir d’eau », le préfet de
la Gironde condamnait « avec la
plus grande fermeté ces actes de
vandalisme ». p
philippe gagnebet
2016-2028 (soit une douzaine
d’années, au lieu de vingt-cinq).
« Ils veulent toujours nous la
“faire à l’envers”, tempête Luc
Smessaert, vice-président du syn-
dicat d’exploitants. Avant de quit-
ter la réunion, j’ai dit que c’était in-
digne, que ça tenait du mépris. »
D’après lui, son organisation a un
schéma clé en main qui permet
de concrétiser la réforme dès
2026, sans générer de perdant ni
de surcoût pour la collectivité.
Une analyse soutenue par Phi-
lippe Mouiller, le président (LR) de
la commission des affaires socia-
les au Sénat. En février, il a déposé
« en urgence » une proposition de
loi qui cherche à rendre effectif le
principe des vingt-cinq meilleu-
res années, tout en garantissant
qu’aucune pension versée n’en
pâtira. « Le dossier n’avance pas,
explique M. Mouiller. Notre initia-
tive vise à placer le gouvernement
devant ses responsabilités. »
Le texte des sénateurs de droite
devrait être débattu mardi
26 mars après-midi. Une démar-
che dans laquelle M. Dive se re-
trouve. Mais au-delà de ce « coup
de pression », le député LR attend
maintenant que l’exécutif fasse
évoluer sa position, le but étant
de trouver un terrain d’entente
d’ici à l’été prochain afin que les
mesures requises soient inté-
grées dans le projet de budget de
la « Sécu » de 2025 et qu’elles de-
viennent réalité début 2026.
A Matignon, on souligne que
« les discussions sont encore en
cours entre les parties en présence
sur ce sujet ». Le ministère du tra-
vail fait chorus en ajoutant que
« l’objectif est de parvenir à la
meilleure solution pour les agricul-
teurs dans les meilleurs délais ». p
bertrand bissuel
0123
MARDI 19 MARS 2024 france | 13

François Ecalle,
l’« influenceur »
des finances
publiques
Cet ex-haut fonctionnaire, qui fait
figure de référence sur le budget, a
été reçu par le ministre de l’économie

aux journalistes : « Les retraites,

PORTRAIT c’est un quart de la dépense publi-

L
es journalistes connais-
sent bien son petit rire
modeste, semblable en
toutes circonstances.
François Ecalle, 65 ans, est le spé-
cialiste incontesté des finances
publiques. Celui que tous les mé-
dias, experts ou engagés, sollici-
tent pour décrypter le jargon de
Bercy. Celui qui pointe les angles
morts des discours sur la dépense,
les incohérences des réformes, et
les choix politiques qui sous-ten-
dent des décisions en apparence
budgétaires. Sans faire de politi-
que – « Jamais, jamais ! », jure-t-il.
L’homme est à la fois un ancien
de Bercy et de la Cour des comptes
– où il était conseiller maître ho-
noraire –, deux maisons rivales
qui se disputent l’expertise bud-
gétaire. Il en a conservé des ré-
flexes de neutralité de grand com-
mis d’Etat, capable de pondre une
note en deux heures sur à peu
près n’importe quel sujet. Les
agriculteurs sont dans la rue ? Le
voilà qui dégaine une fiche sur les
politiques de soutien au secteur
agricole. Le débat revient sur la
fiscalité du logement ? Un article
de son blog recense aussitôt les
aides et les compare à celles de
nos voisins. Ses fiches en deux ou
trois parties – on ne se refait pas –
alimentent le site Fipeco.fr (sorte
d’encyclopédie des finances pu-
bliques pour les nuls, consultée
par 45 000 visiteurs par mois),
qu’il a créé il y a huit ans après
avoir quitté la rue Cambon.
Est-ce à ce titre que Bruno
Le Maire, le ministre de l’écono-
mie, l’a reçu à Bercy, vendredi
15 mars ? C’est la première fois que
François Ecalle est invité dans le
bureau d’un ministre des finan-
ces, et que cela figure à l’agenda
officiel. « Que feriez-vous à ma
place ? », a demandé le ministre.
L’intéressé a répété ce qu’il dit
que, il faut les sous-indexer. » Cel-
les-ci suivent aujourd’hui le ni-
veau de l’inflation, contrairement
aux salaires qui les financent, ce
qui a coûté 14 milliards d’euros
cette année. En l’entendant,
Bruno Le Maire a souri. L’exécutif
ne veut pas entendre parler d’une François Ecalle, au ministère de l’économie et des finances, à Paris, le 19 juin 2023. JULIEN DE ROSA/AFP
contribution des retraités, sur-
tout à l’approche des élections
européennes du 9 juin. plique l’intérêt du numéro deux tal recevait de temps en temps la les Hauts-de-Seine, où il rédige
du gouvernement. Et la nécessité lobbyiste de droite libérale Agnès
Les médias ne seul ses notes, et les frais liés à
13 500 abonnés à son site de « traiter », comme on dit dans Verdier-Molinié, pourfendeuse sont pas les seuls « quelques services informati-
« J’ai aussi proposé mon idée de les cabinets ministériels, celui de l’« Etat obèse », figure du think ques », dit-il. Les dons couvrent les
bouclier sanitaire », précise-t-il. Un que « tous les journalistes appel- tank Ifrap (Fondation pour la re-
à l’appeler. Des deux tiers de son budget, à côté de
dispositif pour contenir les dépen- lent », de l’aveu même de l’entou- cherche sur les administrations et élus, y compris quelques conférences qu’il donne
ses de l’Assurance-maladie sans rage du ministre. les politiques publiques), omni- parfois. En plein confinement, il a
pénaliser les ménages modestes, Ses anciens collègues de la Cour présente dans les médias. Et pas
à l’extrême tenté un recours, en vain. « L’admi-
en plafonnant le reste à charge. Sa des comptes ont fait le recense- franchement appréciée des droite, sollicitent nistration est tatillonne, et n’aime
marotte depuis quinze ans, portée ment : « Plus de cent soixante cita- « technos » du ministère. pas se contredire », résume-t-il.
en son temps par Martin Hirsch, tions dans la presse depuis le début Avec son CV plus conforme aux
son expertise Même s’il défend les vertus de
alors haut-commissaire aux soli- de l’année 2023, 13 500 abonnés à standards maison, François Ecalle comptes publics maîtrisés, ce qui
darités actives contre la pauvreté, son site, soit l’équivalent de 15 % des y est mieux toléré, même s’il lui vaut d’être parfois taxé de « libé-
en 2007. Bruno Le Maire a écouté abonnés de la Cour à lui seul ! », a agace aussi parfois, à corriger avec conseiller de l’ex-première minis- ral », lui qui n’a jamais quitté le ser-
poliment. Mais le ministre voulait dénombré, admiratif, le procureur entêtement les chiffres des élus et tre Elisabeth Borne. C’est une sorte vice de l’Etat, l’affaire lui a laissé un
plutôt parler de la prise en charge général près la Cour, Louis Gautier, des ministres. Comme lors des d’influenceur des finances publi- goût « saumâtre ».
des maladies chroniques, sur les- à l’occasion d’un discours pour Assises des finances publiques, ques. Il fait ses petits calculs dans L’impression de se répéter le dé-
quelles le gouvernement espère son départ à la retraite, le 6 février. en juin 2023 à Bercy, lorsqu’il a re- son coin et met des sujets dans le courage aussi parfois. Il trouve que
faire quelques économies. Le tout Avec les temps difficiles qui pris publiquement la ministre débat. C’est utile à défaut d’être uti- ses notes ressemblent beaucoup à
aura duré vingt minutes. s’annoncent pour le ministère des collectivités territoriales, Do- lisé. Mais à vrai dire, en France, qui celles qu’il écrivait il y a trente ans
Sans doute est-ce aussi l’écho re- des finances, ce n’est en effet pas minique Faure, qui s’était aventu- pèse sur ces sujets ? » Son public à la direction de la prévision à
latif des travaux de François le moment de se fâcher avec lui. rée à contester ses données sur les compte aussi des bataillons d’étu- Bercy. « Sur les baisses de charges
Ecalle dans le débat public qui ex- Lorsqu’il était à Bercy, Gabriel At- concours financiers de l’Etat aux diants de Sciences Po, et de fonc- sur les bas salaires par exemple,
collectivités. « De temps en temps, tionnaires de l’administration fis- soupire-t-il. Le produit intérieur
il faut dire les choses telles qu’elles cale. Parfois, ils lui écrivent pour le brut a augmenté, mais le débat est
Bruno Le Maire plaide pour la fin sont ! », s’est-il échauffé, détaillant remercier. Car ses fiches servent le même que sous Balladur. Les pro-
au micro toutes les contributions. aussi à préparer les concours. blèmes et les solutions sont identi-
de l’Etat-providence Avec son petit rire, toujours. Ironiquement, le fisc lui a joué ques. » Même lassitude sur les
Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a étalé sa vision politi- un mauvais tour en 2022, refusant plans d’économies, qu’il a vu se
que dans un long entretien au Journal du dimanche, à l’occasion L’impression de se répéter d’accorder à son association le sta- succéder depuis quarante ans. Le
de la sortie d’un nouveau livre. La Voie française, à paraître Les médias ne sont pas les seuls à tut qui permettrait à ses donateurs 6 mars, en entendant le ministre
le 20 mars chez Flammarion, est un « acte de foi envers la France » l’appeler. Des élus – y compris à de bénéficier d’une réduction délégué aux comptes publics, Tho-
et non un programme présidentiel, assure-t-il. L’interview du l’extrême droite – sollicitent son d’impôt, comme les autres fonda- mas Cazenave, annoncer 20 mil-
locataire de Bercy depuis sept ans, à qui l’on prête régulièrement expertise. Les budgétaires et les tions et think tanks. Motif ? Son ac- liards d’euros d’économies pour
des ambitions pour l’Elysée, a pourtant l’allure d’un programme conseillers ministériels aussi ad- tivité « n’a pas un caractère éduca- 2025, il a levé les yeux au ciel. « Ils
politique. Dans le contexte de déficit public élevé, il appelle à ré- mettent à voix basse consulter ses tif ou scientifique », a avancé l’ad- n’en feront même pas 12 », a-t-il pro-
duire la dépense publique, plaidant notamment pour en finir avec travaux. Pas pour s’instruire, mais ministration fiscale. L’enjeu finan- phétisé. Et puis il s’est dit qu’il
l’Etat-providence et passer à un modèle d’« Etat protecteur », afin pour avoir un œil dessus. « Il a de cier est modeste – le budget de son pourrait aider à faire de la pédago-
de « reprendre la maîtrise » d’un système devenu « incontrôlable ». Il l’audience et il est très souvent re- association est de l’ordre de gie. « Il faut avoir la foi, sourit-il.
propose de sortir du « mirage de la gratuité universelle » ou de res- pris, parfois même par des comptes 30 000 euros. De quoi régler le pe- Croire, faute de preuves. » p
serrer les conditions d’attribution de l’assurance-chômage. – (AFP.) anglo-saxons, admet un ancien tit bureau de Levallois-Perret, dans elsa conesa

Armées : un plan pour remédier aux problèmes de recrutement

Le ministre Sébastien Lecornu devait annoncer des mesures visant à améliorer la « fidélisation » des personnels, lundi 18 mars

C’ est le branle-bas de
combat au ministère
des armées. Alors que
l’année 2023 s’est terminée avec
quelque 3 000 postes non pour-
vus, Sébastien Lecornu a décidé
d’afficher une reprise en main de
ce dossier de plus en plus gênant
dans le cadre de la remontée en
puissance des armées voulue de-
puis la guerre en Ukraine. Pour re-
médier aux problèmes de recru-
tement, un vaste de plan de « fidé-
lisation » devait ainsi être an-
noncé par le ministre des armées,
lundi 18 mars, au fort neuf de Vin-
cennes (Val-de-Marne), compre-
nant en particulier une revalori-
sation des pensions et de la solde
pour les officiers.
Composé d’une quarantaine de
dispositions, ce plan de secours à
« 360 degrés » est en grande partie
la synthèse de mesures déjà large-
ment amorcées et prébudgétées
dans la loi de programmation mi-
litaire 2024-2030, avec 500 mil-
lions d’euros qui y sont prévus
pour contribuer à la fidélisation
des militaires. Mais la communi-
cation du ministre, lundi, se veut
aussi un moyen assumé de « ga-
gner la bataille des perceptions ».
« Ce n’est plus possible, on veut que
tout le monde [au sein du minis-
tère] se mette en marche », indi-
que-t-on au cabinet de M. Lecornu.
Le plan vise notamment à don-
ner de la visibilité aux projets
d’amélioration des conditions de
logement dans les bases ou les ré-
giments. Seul « un quart » du parc
immobilier est considéré comme
dans un état neuf ou bon, selon
l’état-major des armées. Un autre
projet du ministère est de réussir à
obtenir, notamment dans les dé-
serts médicaux, la désignation
dans chaque département, de mé-
decins référents acceptant une pa-
tientèle militaire. Des discussions
sont aussi en cours pour faciliter
les allers-retours entre les armées
et le secteur privé des personnels.
La principale annonce que de-
vait faire M. Lecornu, lundi, con-
cerne l’amélioration de la rému-
nération et des pensions des mili-
taires, ces questions étant un des
principaux motifs de départ après
les critiques sur les conditions de
logement. Une partie des primes
dont ils bénéficient durant leur
carrière devrait ainsi être intégrée
dans le calcul des pensions. Une
enveloppe de 70 à 75 millions
d’euros devrait être mise sur la ta-
ble, avec l’objectif que la mesure
soit effective en 2026.
Revalorisation des soldes
De même, le ministre devait an-
noncer une accélération de la re-
valorisation des soldes des offi-
ciers. Celle-ci devait initialement
être étalée entre 2025 et 2027,
mais elle sera finalement intégra-
lement versée dès 2025. Alors que
les militaires du rang ont été aug-
mentés en 2023, et que doit venir
le tour des sous-officiers en 2024,
« on anticipe la manœuvre », indi-
que-t-on au cabinet du ministre.
Ce nouveau plan n’est pas le pre-
mier. Sa prédécesseure, Florence
Parly, avait amorcé le mouvement
avec, en 2017, un plan d’accompa-
gnement des familles et d’amélio-
ration des conditions de vie des
militaires, dit « plan famille », et
un budget de 302 millions d’euros
pour la période 2018-2022. Un
« plan famille 2 » a ensuite été an-
noncé en février 2023 par M. Le-
Les personnels
du cyber, du
renseignement,
ou liés aux
technologies de
pointe sont très
démarchés par
le secteur privé
cornu, avec 750 millions d’euros
pour 2024-2030. Mais comme l’a
souligné la commission des finan-
ces de l’Assemblée nationale en
juin 2023, une grande partie de ces
efforts ont fait l’objet d’une « com-
munication défaillante ».
En choisissant de faire ses an-
nonces au fort de Vincennes, futur
siège de la direction générale de la
sécurité extérieure, le ministre
cherche à inverser la tendance, no-
tamment en envoyant un signal
particulier aux personnels les
plus difficiles à fidéliser dans les
armées. En clair, tous ceux liés aux
métiers du renseignement, du cy-
ber, ou aux technologies de pointe
(ingénieurs, informaticiens, etc.),
très démarchés par le secteur
privé. Des réflexions sont par
exemple en cours pour accorder
des primes particulières aux civils
et militaires affectés au comman-
dement du cyberespace.
Avec tous ces projets mis sur la
table, le ministre espère parvenir à
augmenter le niveau moyen d’an-
cienneté de l’ensemble des per-
sonnels. Pour les militaires du
rang, l’objectif est de parvenir à six
ans, contre environ quatre ans ac-
tuellement ; pour les sous-officiers
vingt ans – contre dix-huit – et
pour les officiers, vingt-sept ans de
carrière – contre vingt-cinq.
En prenant l’initiative sur le su-
jet de la fidélisation de ses effec-
tifs, M. Lecornu coiffe au poteau
deux missions d’information qui
venaient juste d’être lancées sur
ce thème au Sénat et à l’Assem-
blée nationale. Cette dernière a ef-
fectué sa toute première audition,
le 13 mars, en entendant le direc-
teur des ressources humaines du
ministère des armées, Thibaut de
Vanssay. La mission, confiée aux
députés Loïc Kervran (Horizon,
Cher) et Caroline Colombier (Ras-
semblement national, Charente),
est censée rendre son rapport
d’ici à l’été. p
élise vincent
14 | france
Ecole : mobilisation d’ampleur en Seine-Saint-Denis
Depuis le 26 février, grèves, réunions publiques et manifestations se succèdent pour réclamer un plan d’urgence
D
epuis le 26 février, la
Seine-Saint-Denis est
traversée par une mo-
bilisation dans la
sphère scolaire qui ne faiblit pas.
Aux grèves des enseignants lan-
cées par une intersyndicale réu-
nissant la FSU, la CGT-Educ’action,
SUD-Education, et la Fédération
des travailleurs de l’éducation,
succèdent les journées « écoles
désertes » à l’appel de la FCPE, as-
sociation de parents d’élèves. Le
mot d’ordre est double : l’aban-
don de la politique du « choc des
savoirs », et l’obtention d’un
« plan d’urgence » de 358 millions
d’euros pour le département.
De Saint-Denis à Rosny-sous-
Bois, de Montreuil à Sevran, Pan-
tin, Bondy ou Aubervilliers, les se-
maines sont jalonnées d’assem-
blées générales, de réunions publi-
ques, et de manifestations
réunissant des centaines, voire
des milliers d’enseignants, de pa-
rents et d’élèves. Les professeurs
sont à nouveau appelés à la grève
mardi 19 mars dans le cadre d’un
mouvement national, et une ma-
nifestation vers Matignon est pré-
vue jeudi 21 mars.
L’ampleur de la mobilisation ne
surprend pas Stéphane Troussel,
président socialiste du départe-
ment, pas plus que ses raisons,
tant l’école catalyse le sentiment
d’injustice des habitants. « La Sei-
ne-Saint-Denis connaît des muta-
tions urbaines, culturelles, sociales,
économiques considérables, ana-
lyse l’élu, qui soutient la mobilisa-
tion. La seule chose qui ne change
pas, c’est son école publique. »
Difficultés sociales
Une école dont un rapport parle-
mentaire des députés Christine
Decodts (Renaissance, Nord) et
Stéphane Peu (PCF, Seine-Saint-
Denis), présenté le 30 novem-
bre 2023, a conclu qu’elle « pein[ait]
à tenir la promesse républicaine »
en dépit du plan L’Etat plus fort
en Seine-Saint-Denis annoncé en
2019. Territoire de tous les superla-
tifs, la Seine-Saint-Denis est le dé-
partement le plus jeune de métro-
pole, et le plus pauvre. Le taux de
pauvreté (28 %) y est deux fois su-
périeur à la moyenne nationale ; le
taux de logements surpeuplés y
est le plus important du pays
(20,6 %). On y trouve la part la plus
élevée de jeunes dont les parents
sont non diplômés ou titulaires du
seul baccalauréat (40,5 %).
« On a des trous dans les murs et pas d’eau chaude dans les locaux »
Professeurs et élèves alertent sur la dégradation du bâti scolaire. Les collectivités déplorent un manque de moyens pour le rénover
O n est à Blaise-Cendrars,
évidemment qu’on n’a
pas de plafond dans nos
toilettes », scande une élève du ly-
cée situé à Sevran (Seine-Saint-De-
nis), dans une vidéo devenue vi-
rale sur le réseau social TikTok. En
une minute et demie, élèves et en-
seignants dressent un portrait
alarmant de leur établissement :
fuites d’eau, absence de chauffage,
manque de chaises et de tables…
« On souhaitait mettre en avant
ce qu’on vit au quotidien, mais
aussi dénoncer les conditions d’en-
seignement dans tout le “9-3”, indi-
que une élève de 1re. La plupart
d’entre nous ont grandi ici donc
l’état des bâtiments ne nous cho-
que même plus… le fait de manquer
de profs, de ne pas avoir de toilettes
fonctionnelles, c’était devenu une
habitude. » Priya Bhavsar, an-
cienne élève du lycée, abonde : « Je
suis peinée de voir qu’on est obligés
de se mobiliser pour avoir le strict
minimum : des salles de classe où
on ne craint pas que le plafond
nous tombe sur la tête. »
Les quatre enseignants qui ont
participé à la vidéo ont reçu un
Cette concentration de difficul-
tés sociales se répercute directe-
ment sur les parcours scolaires.
Les collégiens séquanodiony-
siens ont l’indice de position so-
ciale le plus faible de France mé-
tropolitaine ; autrement dit, ils
ont, selon l’éducation nationale,
l’environnement familial le
moins favorable à la réussite sco-
laire du pays. Scolarisés à 60 % en
éducation prioritaire, ils ont les
résultats les plus faibles aux éva-
luations nationales de 6e en fran-
çais et en mathématiques.
« Nous faisons face à des élèves
qui, en grand nombre, sont empê-
chés par leurs conditions de vie »,
explique Marie-Hélène Plard, pro-
fesseure des écoles et responsable
départementale du syndicat
SNUipp-FSU. Dans l’école mater-
nelle à L’Ile-Saint-Denis dont elle
est directrice, des familles sont
confrontées à la précarité alimen-
taire et au mal-logement, certai-
nes vivent en hôtel social…
« Les enfants n’ont pas la disponi-
bilité d’esprit nécessaire pour en-
trer dans des apprentissages de
l’école », déplore-t-elle. « Beau-
coup grandissent loin de la culture
scolaire », ajoute Emilie Garcia,
professeure des écoles à Aulnay-
sous-Bois, elle aussi syndiquée au
SNUipp-FSU. « Ils n’ont pas de li-
vres à la maison, parfois même
pas de stylo, certains ne parlent
pas français chez eux… l’école a un
travail énorme », poursuit-elle.
Les scolarités se heurtent aussi
aux obstacles pour prendre en
charge certains besoins des en-
fants sur un territoire qui est aussi
le premier désert médical. « Des
élèves ont des problèmes d’appren-
tissage pour lesquels ils ont besoin
d’aide, mais n’en obtiennent pas
parce que les familles n’arrivent pas
à trouver d’orthophonistes ou de
psychomotriciens, ou peinent à
faire les démarches », rapporte
Agnès Brielles, assistante sociale et
représentante du SNUASFP-FSU.
Or, l’école en Seine-Saint-Denis
est le miroir grossissant de toutes
les difficultés de l’éducation natio-
nale. Le département manque de
personnels, notamment d’accom-
pagnants d’élèves en situation de
handicap (AESH) et d’enseignants,
et la situation se dégrade dans le
sillage de la crise de recrutement.
Les taux de non-remplacement
des professeurs y sont parmi les
plus élevés, notamment en pri-
maire. Dans les réunions publi-
rappel au règlement pour ne pas
avoir « respecté leur droit de ré-
serve », a précisé l’académie de
Créteil à l’Agence France-Presse,
vendredi 15 mars. Une manifesta-
tion en soutien aux professeurs a
réuni une centaine de personnes.
La vidéo, réalisée il y a une se-
maine et vue plus de 2,7 millions
de fois sur TikTok, s’inscrit dans
un contexte de mobilisation, de-
puis le 26 février, des enseignants
de Seine-Saint-Denis pour deman-
der un plan d’urgence au gouver-
nement. Selon les chiffres avancés
par l’intersyndicale 93 (FSU, CGT-
Educ’action, SUD-Education, Fé-
dération des travailleurs de l’édu-
cation), plus de la moitié des collè-
ges du département seraient mal
isolés et 30 % des écoles infestées
par les nuisibles.
Le bâti scolaire relève, pour les ly-
cées, de la région, pour les collèges
du département, et pour les écoles
des communes. « L’idée selon la-
quelle les collèges seraient majori-
tairement délabrés est fausse, as-
sure Stéphane Troussel, président
socialiste du conseil départemen-
tal. Je déplore un faux procès qui, en
Manifestation d’enseignants demandant notamment des moyens financiers, à Bobigny, le 14 mars. ÉRIC BRONCARD/HANS LUCAS VIA AFP
ques, parents et élèves sont nom-
breux à raconter des mois sans
cours de langue ou de français au
collège et au lycée, et les journées
sans enseignant en primaire. « Le
cumul représente en moyenne plus
d’un an de scolarité, la perte de
chance est énorme pour nos en-
fants ! », s’insurge Isabelle Lacroix,
coprésidente de la FCPE 93, très
impliquée dans la mobilisation.
Même si la situation s’améliore
depuis 2019, les professeurs titu-
laires sont plus jeunes et moins
expérimentés qu’ailleurs dans ce
département que les enseignants
demandent plus à quitter qu’à re-
joindre. Les cohortes de contrac-
tuels, moins formés, sont les plus
importantes du pays. Presque
inexistants sur le reste du terri-
toire, ils représentent désormais
près d’un professeur de primaire
sur dix en Seine-Saint-Denis.
« L’école de la République est la
plus fragile là où les familles en
ont le plus besoin, et placent le
plus d’espoir en elle », déplore Sté-
phane Peu.
« On peut
descendre sous
14 °C en hiver
et monter à plus
de 34 °C en été »
CAMILLE VALLOIS
représentante
CGT-Educ’action 93
globalisant les situations, contri-
bue un peu plus à dévaloriser l’école
publique dans le “9-3”. » « Je ne nie
pas les cas particuliers, mais il ne
s’agit pas d’un problème généra-
lisé », ajoute Radouane M’Hamdi,
secrétaire départemental du Syn-
dicat national des personnels de
direction de l’éducation nationale.
Pour les enseignants mobilisés,
le constat est différent. Une expo-
sition de photos, présentée le
6 mars devant le conseil régional
d’Ile-de-France, mettait en évi-
dence des dizaines d’établisse-
ments en mauvais état, comme le
collège Georges-Braque à Neuilly-
sur-Marne. Camille Vallois,
Ce « fonctionnement en mode
dégradé », selon les mots de plu-
sieurs enseignants, nourrit, en-
tend-on dans les mobilisations, la
fuite des familles qui en ont les ca-
pacités vers les établissements
privés du département ou de Pa-
ris, bien moins en difficulté, limi-
tant ainsi les effets de la mixité ur-
baine là où elle existe.
« On demande juste l’égalité »
Pour renforcer ce qui constitue le
principal service public pour beau-
coup de familles, l’intersyndicale
plaide pour l’embauche de
5 000 enseignants, de personnels
de vie scolaire, d’AESH, d’assistants
sociaux, d’infirmières. « On de-
mande juste l’égalité dans les con-
ditions d’apprentissages pour des
enfants qui, pour beaucoup, n’ont
que l’école, martèle Nassime (qui
veut rester anonyme), ensei-
gnante de collège mobilisée. On a
de vraies pépites en face de nous et
nos élèves sont aussi capables que
les autres, on n’en peut plus de voir
que les moyens ne suivent pas. »
conseillère principale d’éducation
et représentante CGT-Educ’action
93, rapporte des fenêtres qui ne
ferment plus et des salles de classe
mal isolées. « On peut descendre
en dessous de 14 °C en hiver et mon-
ter à plus de 34 °C en été. Pour des
élèves qui passent huit heures en
cours, c’est compliqué… On a des
trous dans les murs, des tiges de fer
qui dépassent et pas d’eau
chaude dans les locaux, déplore-t-
elle. On ne demande pas de bosser
à Stanislas [établissement catholi-
que privé huppé de Paris], mais
simplement d’avoir des tables et
des chaises en bon état. » Contac-
tée, la direction n’a pas répondu.
« Présence de rats »
Marie Tamboura, principale du
collège Cesaria-Evora, à Mon-
treuil, évoque des problèmes d’in-
filtration, dans son établisse-
ment, construit il y a dix ans. Elle
admet toutefois que le conseil dé-
partemental fait ce qu’il peut avec
un budget contraint. Même chose
pour son homologue au collège
Pierre-André-Houël à Romain-
ville, Fahrida Bezzi : « Mon établis-
« Il s’agit du seul
département
de l’académie
où ont été menés
à terme tous les
dédoublements
de classe »
ANTOINE CHALEIX
directeur académique
des services
de l’éducation nationale
Au rectorat de Créteil, on souli-
gne que la Seine-Saint-Denis fait
de longue date l’objet d’une « at-
tention particulière » en matière
de dotations pour répondre à ses
spécificités. « Il s’agit du seul dé-
partement de l’académie où ont
été menés à terme tous les dédou-
blements de classe en grande sec-
tion, CP et CE1 en éducation priori-
taire », souligne Antoine Chaleix,
directeur académique des servi-
sement est fonctionnel, mais il y a
encore des rénovations nécessai-
res comme la cantine qui est trop
petite, abîmée et vieillissante. »
L’école Opaline de Saint-Denis
est devenue un terrain de jeu pour
les nuisibles, rapporte Louise Pa-
ternoster, institutrice et cosecré-
taire de la CGT-Educ’action 93 :
« Au début, on voyait des souris et
on trouvait des crottes dans les dor-
toirs, puis on a constaté la présence
de rats. Des enfants ne veulent plus
venir. Les services d’hygiène de la
mairie ont été contactés lors des
vacances de février, mais le pro-
blème n’est pas résolu. » La direc-
tion n’a pas souhaité s’exprimer.
Leyla Temel, adjointe socialiste à
l’éducation du maire de Saint-De-
nis, confirme que des nuisibles
ont été repérés et qu’une équipe a
été chargée de « reboucher les
trous ». « On est conscients que ces
problèmes existent, mais quand il y
a de la nourriture [qui traîne], il y a
des nuisibles », justifie l’élue. La
mairie soutient que l’étanchéité
du bâtiment fait partie des priori-
tés. « On a de l’eau souillée qui coule
dans le dortoir quand il y a des for-
0123
MARDI 19 MARS 2024
ces de l’éducation nationale du
département, ce qui représente
« 1 500 emplois d’enseignants et
110 millions d’euros par an ».
« L’école est là en Seine-Saint-De-
nis, elle agit pour décorréler l’ori-
gine sociale et le destin scolaire,
avec des équipes pédagogiques
très innovantes », insiste M. Cha-
leix, selon qui « l’enjeu majeur du
département est celui de l’attracti-
vité ». Pour M. Peu, les investisse-
ments restent insuffisants au re-
gard des besoins, d’autant que
« les politiques dérogatoires,
comme l’éducation prioritaire, ne
compensent jamais le déficit des
moyens de droit commun ».
L’intersyndicale a été reçue pour
la première fois au ministère de
l’éducation vendredi 15 mars,
mais n’a pas obtenu gain de cause.
Un précédent sert de modèle et
nourrit cependant les espoirs : les
grèves de 1998, qui avaient débou-
ché sur l’annonce d’un plan pour
la Seine-Saint-Denis. La mobilisa-
tion avait duré deux mois. p
éléa pommiers
tes pluies », décrit Mme Paternoster.
Leyla Temel, elle, rappelle la disso-
nance entre les attentes des usa-
gers et les contraintes qui s’impo-
sent aux municipalités. « C’est évi-
dent qu’il faudrait faire plus, mais
nous n’avons pas de baguette ma-
gique. Nous n’avons pas les
moyens. » La mairie précise que
l’enveloppe dévolue aux écoles est
passée de 1,5 million d’euros par
an en 2020 à 5 millions en 2024.
Mairies, région et département,
affirment leur engagement pour
rénover les établissements. James
Chéron (Union des démocrates et
indépendants), vice-président de
la région Ile-de-France, précise
qu’elle a déjà investi 426 millions
d’euros dans des travaux de réno-
vation dans les deux tiers des
68 lycées publics du « 9-3 ».
M. Troussel, assure, lui, que la Sei-
ne-Saint-Denis fait partie des cinq
départements qui investissent le
plus en France pour le bâti scolaire,
avec 100 millions par an. Il rap-
pelle que celui-ci, ne peut agir seul
et demande 240 millions à l’Etat
pour les six prochaines années. p
minh dréan
0123
MARDI 19 MARS 2024
Airbnb et JO : ces copropriétaires qui s’inquiètent
Des syndics proposent un soutien aux propriétaires pour louer. Mais certains s’agacent des nuisances
L
a proposition est arrivée
sur sa boîte e-mail, en-
voyée par son syndic, Ora-
lia. « Copropriétaire, louez
votre logement pendant les épreu-
ves sportives », indiquait le cour-
riel, début février, avec cet argu-
ment : « Générez des revenus com-
plémentaires en toute sérénité pen-
dant la période des Jeux de Paris
grâce à notre partenariat exclusif ! »
Claude (les prénoms ont été modi-
fiés), retraitée, copropriétaire dans
un immeuble du Quartier latin,
dans le 5e arrondissement de Paris,
a répondu « qu’il n’en était pas
question ». « Notre syndic inonde
les copropriétaires de cette proposi-
tion, et utilise des informations ac-
quises dans son mandat pour déve-
lopper une activité sans rapport, à
nos dépens », s’insurge-t-elle.
Supposant que de nombreux
propriétaires voudront profiter
des Jeux olympiques (JO) pour
louer leur logement sur des pla-
tes-formes, Oralia, propriété du
groupe immobilier Nexity, a jugé
« opportun de proposer aux copro-
priétaires de la résidence qui le
souhaiteraient, un accompagne-
ment dans la mise à disposition de
leur logement », justifie l’e-mail.
Le partenariat, passé avec la
conciergerie WeHost, elle-même
partenaire de la plate-forme de
location Airbnb, propose de « sé-
curiser » la location saisonnière, le
temps des JO, en proposant de li-
miter « au maximum » les arrivées
tardives (après 22 heures) des
voyageurs, d’encadrer l’emplace-
ment des boîtes à clés ainsi que de
les retirer à la fin des Jeux…
Un procédé « culotté »
Il s’agit-là d’une « offre défensive »,
fait valoir Karine Olivier, direc-
trice générale du pôle services
aux particuliers de Nexity. « Plu-
tôt que d’aller à la sauvette sur Air-
bnb, nous proposons une concier-
gerie très “quali” », explique-t-elle.
L’offre a été proposée à quelque
10 000 copropriétaires clients des
syndics Oralia et Nexity Lamy, à
Paris et dans six autres grandes
villes de France. WeHost prélève
une commission de 20 % pour
chaque réservation, et sur cette
somme, Nexity touchera des frais
de gestion à hauteur de 4 %.
Six cents copropriétaires ont
déjà rempli le formulaire, trois pre-
miers contrats ont été signés. « Les
conseils syndicaux ont trouvé cette
proposition plutôt pas mal, peu ont
mis leur veto », affirme Mme Olivier,
en constatant toutefois que « cer-
tains quartiers sont plus réticents,
comme le Marais, où les gens n’en
peuvent plus de Airbnb ». Des co-
propriétaires, qui n’avaient pas co-
ché la case donnant leur accord
pour recevoir des offres commer-
ciales, ont été contactés, mais
La transformation du collège entérinée par le gouvernement
Groupes en maths et français, cycle préparatoire à la 2de… Les arrêtés officialisant ces évolutions contestées ont été publiés au « Journal officiel »
C’ est peu de dire qu’ils
étaient attendus. Les ar-
rêtés qui officialisent
l’enseignement par groupes en
français et en mathématiques,
l’expérimentation d’un cycle pré-
paratoire à la classe de 2de et le re-
tour en grâce du redoublement
sont parus au Journal officiel du di-
manche 17 mars. Ils concrétisent
les changements d’ampleur pour
le collège voulus par Gabriel Attal,
alors ministre de l’éducation, lors
de la présentation en fin 2023 de
son « choc des savoirs » destiné à
« élever le niveau des élèves ». Des
évolutions qui suscitent des oppo-
sitions chez les enseignants.
Objet de tensions, selon les ob-
servateurs, entre le premier mi-
nistre, Gabriel Attal, et la ministre
Nexity « plaide l’erreur humaine, et
prépare un courrier d’excuse ».
Pour Claude, ce procédé « cu-
lotté » témoigne « de cette pani-
que liée aux JO ». « On paye le syn-
dic pour gérer les parties commu-
nes, et là on va ouvrir nos immeu-
bles pour qu’ils fassent leur
business », proteste-t-elle, agacée
par les allées et venues des touris-
tes qui louent déjà des meublés
Airbnb dans sa copropriété : « On
leur fait un peu la guerre, enfin di-
sons qu’on ne leur facilite pas la tâ-
che. On les engueule lorsqu’ils
nous demandent le code d’entrée,
on ne leur ouvre pas la grille en leur
disant : on ne vous connaît pas ! »
Les crispations se généralisent,
observe Gilles Frémont, directeur
du service copropriété au sein du
syndic parisien Corraze, qui a
posté il y a peu un billet « choses
vues » sur le réseau LinkedIn
commençant par ces mots : « Le
Airbnb dans les copropriétés est
une plaie. » Sur son portefeuille
d’une cinquantaine d’immeu-
bles, il estime que « quasi tous ont
au moins un appartement Air-
bnb », et recense des nuisances et
des plaintes dans au moins 20 %
de ces copropriétés. Les nuisances
sonores arrivent en tête des récla-
mations. En cause, bien sûr, les fê-
tes. Même si les plates-formes et
les conciergeries les interdisent.
Le problème pour les habitants,
« c’est ce sentiment d’être dans une
de l’éducation nationale, Nicole
Belloubet, le texte qui organise les
enseignements au collège intro-
duit des cours en groupe sur la to-
talité des heures de français et de
maths. Les regroupements en
classe entière pourront avoir lieu
pendant une à dix semaines, soit
au maximum un tiers de l’année.
Exit le terme « groupe de ni-
veau » cher au premier ministre :
« Les groupes sont constitués en
fonction des besoins des élèves
identifiés par les professeurs »,
même si l’idée de la constitution
de groupes d’élèves « les plus en
difficulté » bénéficiant « d’effectifs
réduits » est bien inscrite noir sur
blanc. « Cet arrêté est la quintes-
sence du “en même temps” et cor-
respond davantage à un compro-
auberge espagnole ; c’est de voir
constamment passer des person-
nes étrangères à la copropriété. On
ne sait pas qui sont ces gens, ils ne
respectent pas les parties commu-
nes, sonnent quand ils n’ont pas le
code, stationnent devant le bâti-
ment avec leurs grosses valises… »,
énumère le syndic.
« C’est dur au quotidien »
Locataire, côté cour, dans un im-
meuble haussmannien du 7e ar-
rondissement, proche de la tour
Eiffel, Isabelle, quinquagénaire, a
assisté, en 2021, à la transforma-
tion du bâtiment côté rue. Un in-
vestisseur a acheté un immense
appartement, qui courait sur
deux étages, pour en faire une di-
zaine de studios à mezzanine.
« C’est loué 365 jours par an. Il y a
un service de blanchisserie, donc
on a le chariot avec tous les ballots
de linge qui se trimbale dans la
cour pavée. Mon immeuble est de-
venu un hôtel », juge-t-elle.
Les désagréments vont de la
boîte à clés installée dans la cour,
qui résonne et amplifie le bruit des
valises à roulettes à toute heure,
aux voyageurs qui lui demandent
où trouver un taxi, un bus, un res-
taurant… « Je réponds d’autant
moins volontiers que certains ne di-
sent jamais bonjour, ne me tien-
nent pas la porte… il n’y a pas que
des gens bien élevés », poursuit Isa-
belle. Le pire cas de figure reste
mis politique qu’à une visée péda-
gogique », juge Sophie Vénétitay,
responsable du SNES-FSU, le prin-
cipal syndicat des enseignants
des collèges et lycées.
Quelle autonomie ?
Depuis dix jours, la confusion rè-
gne, Mme Belloubet préférant l’ex-
pression « groupe de besoin » là
où M. Attal utilise, encore diman-
che dans un tweet, « groupe de ni-
veau ». Ces différences sémanti-
ques marquent une divergence
majeure : les groupes de niveau
permanents et sur de gros volu-
mes horaires accroissent les iné-
galités, selon les travaux de re-
cherche, quand ceux de besoin
ponctuels permettent de tra-
vailler des compétences précises.
« les trois copines américaines qui
viennent faire la bamboche à Paris,
rentrent bourrées et rigolent jus-
qu’à 4 heures du matin, fenêtres
ouvertes, poursuit-elle. Elles sont
en vacances, c’est un moment su-
per pour elles, mais ça dérange tout
le monde. Des voisins ouvrent la fe-
nêtre et leur disent “chut”, mais on
a un peu honte, moi ça me met
dans la position d’être une vieille
aigrie. » La vie dans un immeuble a
ses codes, « on fait attention, on se
respecte. Là ce sont des gens qui ont
payé cher, qui viennent s’amuser à
Paris, donc le rythme est différent,
et c’est dur au quotidien ».
Le sujet des meublés fait jaser en-
tre voisins, « pourtant le public pa-
risien est ambivalent. Le Airbnb des
autres te dérange, mais il y a plu-
sieurs propriétaires qui sont bien
contents de louer aussi quand ils
Pour Isabelle,
habitante du
7 arrondissement
e habitants se plaignent, mais quand
de Paris, le pire cas
de figure reste
« les trois copines
américaines
qui viennent faire
la bamboche »
Si les syndicats saluent la dispa-
rition du terme « groupe de ni-
veau » dans l’arrêté, « l’histoire
n’est pas terminée pour autant »,
souligne Elisabeth Allain-Mo-
reno, secrétaire générale du SE-
UNSA. Une note de service, atten-
due lundi 18 mars, doit préciser
les modalités d’application de la
réforme et la souplesse accordée.
« Il ne faudrait pas que cette note
ou ensuite des consignes internes
viennent ajouter des contraintes
supplémentaires », prévient-elle.
Bruno Bobkiewicz, secrétaire
général du syndicat des chefs
d’établissement SNPDEN-UNSA,
attend, avec cette note, « la réaffir-
mation de la confiance au terrain
et de l’autonomie qui leur sera lais-
sée ». « Le gouvernement fait
partent en vacances, souligne la lo-
cataire. Ils savent que leur apparte-
ment peut leur permettre d’arron-
dir leurs fins de mois ». Surtout
dans la perspective des JO, période
où les prix vont en moyenne être
multipliés par deux.
Alors que les assemblées généra-
les de copropriétés « tournent par-
fois à la foire d’empoigne », Gilles
Frémont note que le syndic est ré-
gulièrement sommé de faire ces-
ser les nuisances. « Nous venons
d’assigner devant le tribunal judi-
ciaire un propriétaire aguerri, ar-
rivé comme un cow-boy dans une
copropriété du quartier de l’Opéra.
Il a racheté en 2023 un apparte-
ment pour en faire quatre studios
indépendants, et a commencé les
travaux sans rien demander à per-
sonne. » Or cette division contre-
vient au règlement de copropriété.
Le syndic explique que les habi-
tants peuvent également attaquer
pour troubles anormaux du voisi-
nage, « mais il faut des constats
d’huissier, des témoignages de voi-
sins, et c’est là que le bât blesse. Les
il faut remplir une attestation for-
melle, là il n’y a plus grand monde »,
observe Gilles Frémont.
La Mairie de Paris, où sont enre-
gistrées plus de 60 000 locations
de type Airbnb, est aussi le récep-
tacle de plaintes de voisins pour
nuisances. Son site Internet per-
met de recueillir les avis, questions
comme si l’intendance allait sui-
vre, alors qu’elle ne suit pas », juge
Catherine Nave-Bekhti, du SGEN-
CFDT. Quelle que soit leur appel-
lation, la mise en place de ces
groupes a tout d’un big bang dans
l’organisation du collège. Les en-
seignants de maths et de français
devront avoir cours en même
temps et se mettre d’accord sur
les progressions des enseigne-
ments pour pouvoir faire passer
les élèves d’un groupe à un autre.
Deux décrets viennent complé-
ter ces évolutions et transforment
la physionomie du collège. Pour le
redoublement, le dernier mot
n’est plus laissé aux parents. Il
peut être décidé par le chef d’éta-
blissement, après dialogue et avis
du conseil de classe. Il n’est plus
france | 15
et réclamations, dont plusieurs
centaines concernent chaque an-
née les meublés de tourisme. « Et le
nombre va croissant. A l’approche
des JO, nous avons beaucoup plus
de sollicitations, de personnes qui
se renseignent pour savoir com-
ment louer, et de personnes qui si-
gnalent des nuisances. On voit
monter le ras-le-bol », constate le
bureau de la protection des locaux
d’habitation (BPLH).
Jurisprudence mouvante
« Là j’ai le signalement d’un mon-
sieur qui ne comprend pas qu’il y ait
des Airbnb dans son immeuble car
le règlement de sa copropriété l’in-
terdit. Mais les règlements sont
souvent mal rédigés, et les copro-
priétaires n’aiment pas beaucoup
se lancer dans des procédures, donc
ils préfèrent que la Mairie de Paris
agisse », raconte un contrôleur as-
sermenté du BPLH qui veut rester
anonyme. Il est chargé de débus-
quer les meublés touristiques en
infraction, c’est-à-dire n’ayant pas
été enregistrés, ou ne disposant
pas d’autorisation lorsqu’il s’agit
d’une résidence secondaire, ce qui
serait le cas de 25 000 locations, se-
lon les estimations de la Ville.
Les copropriétaires hésitent
d’autant plus à choisir la voie con-
tentieuse que la jurisprudence est
mouvante. Le règlement de copro-
priété peut prévoir une « clause
d’habitation bourgeoise exclu-
sive », qui réserve l’immeuble à
l’habitation, et exclut toute acti-
vité commerciale. Pendant plu-
sieurs années, la jurisprudence,
avec cette clause, a estimé que si
une « location meublée de courte
durée revêtait un caractère “com-
mercial”, elle devait y être pros-
crite », indique le cabinet d’avocats
Naudin, dans une note de février.
Toutefois, « un courant jurispru-
dentiel » – toutes les juridictions ne
sont pas sur cette ligne – condi-
tionne la « nature commerciale »
de cette activité à la fourniture de
services para-hôteliers (petits-dé-
jeuners, etc.). « Les copropriétaires
ne pourront plus simplement se re-
trancher derrière une clause d’habi-
tation dite bourgeoise (…) pour ten-
ter de s’opposer à la pratique du Air-
bnb », conclut le cabinet.
Airbnb n’ignore rien de ces diffi-
cultés. « Pour les JO, nous avons
conçu un guide du voyageur res-
ponsable, dans une logique de pré-
vention, explique Aurélien Perol,
son responsable de la communi-
cation en France. Il sortira en avril
ou en mai, et évoquera le tri sélectif
ou l’attention à accorder aux par-
ties communes, l’importance de ne
pas faire de bruit, de ne pas claquer
les portes. Nous y préciserons que
les parquets et les murs parisiens
ne sont pas très épais. » p
véronique chocron
mentionné que cette décision est
prise « à titre exceptionnel ». Un re-
tour en arrière qui fait débat.
Un cycle préparatoire à la classe
2de pour les élèves n’ayant pas ob-
tenu le brevet doit être expéri-
menté à partir de septembre 2024
avec des élèves volontaires dans
au moins un lycée par départe-
ment. Cette phase préfigure le
couperet que doit représenter le
diplôme à partir de la rentrée
2025 : les collégiens ayant échoué
se verront refuser l’accès en 2de.
Mme Allain-Moreno s’en désole :
« Avec cet ensemble de textes “choc
des savoirs”, la ligne idéologique
de M. Attal reste. S’installe l’idée
que la difficulté scolaire se traite en
mettant les élèves à part. » p
sylvie lecherbonnier
16 |
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
MARDI 19 MARS 2024

REPORTAGE
échassières, moulins, gannat,
saint-bonnet-de-rochefort
(allier) - envoyé spécial

L
e panneau routier à l’en-
trée du village est tou-
jours à l’envers, signe de
la colère agricole qui a tra-
versé les campagnes françaises
ces dernières semaines. Echassiè-
res, dans l’Allier, est niché au bout
d’une départementale en lacets
qui longe la forêt des Colettes, un
massif de 2 000 hectares classé
Natura 2000, à la frontière du
Puy-de-Dôme, entre Moulins et
Clermont-Ferrand. En son centre,
l’église jouxte l’école et la mairie.
Une boulangerie, une épicerie et
un restaurant complètent le ta-
bleau. L’Ehpad est en travaux
pour s’agrandir, et le cimetière,
comme souvent, ferme la balade.
Une bourgade rurale de quelque
400 habitants, comme il en existe
des milliers dans le pays, qui
pourrait devenir demain le site de
la plus grande mine de lithium en
France et peut-être en Europe,
dans ce coin bucolique et un peu
oublié de l’Auvergne.
En octobre 2022, le groupe fran-
çais Imerys (13 700 salariés répar-
tis dans 57 pays et 3,8 milliards
d’euros de chiffre d’affaires
en 2023) crée la surprise en an-
nonçant son projet d’ouvrir une
mine de lithium sur la carrière de Photo aérienne de la mine de kaolin d’Echassières (Allier), le 17 janvier. L’extraction du lithium aura lieu entre 75 et 400 mètres sous la mine actuelle. HASSAN AYADI/AFP
Beauvoir, sur les hauteurs
d’Echassières, où la multinatio-
nale exploite du kaolin pour céra-
miques depuis 2005. Des prospec-

Dans l’Allier, la future mine

tions ont montré que le sous-sol
granitique riche en mica contien-
drait en moyenne 1 % de lithium,
ce minerai blanc utilisé dans la fa-
brication entre autres des batte-
ries automobiles électriques. Une
nouvelle mine en France métro-
politaine, du jamais-vu depuis
pratiquement un demi-siècle !

Les chiffres impressionnent

En janvier 2024, le projet baptisé
« Emili » (pour « exploitation du
mica lithinifère ») se précise.
Trois sites sont retenus pour sa
réalisation : à Echassières, la
mine souterraine et l’usine de
concentration pour séparer les
minéraux contenus dans le gra-
nite ; à Saint-Bonnet-de-Roche-
fort, un village distant de 15 kilo-
mètres, la construction d’un es-
pace de stockage du lithium en-
voyé ensuite à Montluçon, à
59 kilomètres, qui abritera l’usine
de conversion pour son raffinage.
Démarrage de la production en-
visagé à la fin de 2028, pour une
exploitation devant durer au
moins un quart de siècle.
Le projet est colossal, et les
chiffres présentés par Imerys
impressionnent : 1 milliard d’eu-
ros d’investissement envisagé ;
34 000 tonnes d’hydroxyde de li-
thium produites par an, de quoi
équiper en batteries « 700 000 vé-
hicules électriques » ; « entre 500 et
600 » emplois directs créés et « au
moins 1 000 emplois indirects ». Le
tout avec l’engagement par la
multinationale de réaliser une
« mine responsable », c’est-à-dire
respectueuse des enjeux environ-
nementaux et sanitaires.
Imerys promet entre autres
qu’aucun transport du minerai ne
se fera par camion, mais par cana-
lisations entre Echassières et
Saint-Bonnet-de-Rochefort, puis
par train jusqu’à Montluçon. L’ex-
traction du lithium dans la mine
NIÈVRE
CHER
ALLIER
Moulins
Montluçon
Echassières
Saint-Bonnet-
de-Rochefort
Gannat
PUY-DE-DÔME
Clermont-Ferrand
30 km
de lithium enflamme le débat
L’ouverture envisagée par Imerys, en 2028, d’une des plus grandes mines
d’« or blanc » en Europe divise les populations locales, qui redoutent
des effets sur l’environnement. Un débat public est organisé jusqu’en juillet
aura lieu entre 75 et 400 mètres de
profondeur, ce qui diminuera les
nuisances sonores et les émis-
sions de poussières. Les résidus
serviront à combler les galeries
souterraines ou seront déposés à
l’extérieur dans la carrière de kao-
lin qui continuera à être exploitée.
Enfin, la consommation en eau
est estimée à 1,2 million de mètres
cubes chaque année. Imerys s’en-
gage à ne pas pomper dans les
nappes phréatiques, mais dans la
rivière voisine, la Sioule ; 90 % de
l’eau utilisée sera recyclée, et la
raffinerie à Montluçon utilisera
les eaux usées de la station d’épu-
ration. « Une mine propre ou à
zéro impact, ça n’existe pas. Toute
activité industrielle et a fortiori mi-
nière a un impact. Mais je mets au
défi quiconque de citer une mine
dans le monde plus écoresponsa-
ble que le projet Emili », affirme
Alan Parte, vice-président chargé
des projets lithium chez Imerys.
L’affaire a reçu d’emblée le sou-
tien de la région Auvergne-Rhô-
ne-Alpes et du département. La
préfète de l’Allier, Pascale Trim-
bach, qui devra signer les autori-
sations finales des travaux, a déjà
salué un « projet très important
pour la France ». Le maire (Les Ré-
publicains) de Montluçon, Frédé-
ric Laporte, y voit un moyen pour
sa ville de renouer avec un loin-
tain passé industriel. Surnom-
mée la « Manchester française »
au XIXe siècle, la ville a longtemps
abrité de nombreuses industries,
avant d’être frappée par le mouve-
ment général de désindustrialisa-
tion en France depuis près de qua-
rante ans. « C’est une opportunité
d’avenir pour Montluçon, afin de
retrouver une image industrielle
positive », explique M. Laporte.
Le gouvernement aussi applau-
dit : le ministre de l’économie,
Bruno Le Maire, vante un « projet
exemplaire », et Roland Lescure,
chargé de l’industrie et de l’éner-
gie, une « étape historique pour
l’industrie française ». Il faut dire
qu’Emili s’inscrit pleinement
dans la politique industrielle et
minière souhaitée par Emmanuel
Macron. Le chef de l’Etat veut bâ-
tir une filière électrique française,
afin de décarboner le pays, avec la
création d’usines géantes (giga-
factories) de production de batte-
ries électriques (avec l’objectif de
« 2 millions de véhicules électri-
ques produits en France en 2027 »).
Dans ce plan, l’accès aux matiè-
res premières devient stratégi-
que, à commencer par le lithium,
alors que la production mondiale
de l’« or blanc » est assurée princi-
palement par l’Australie, le Chili, l-
’Argentine et la Chine, et que
l’Agence internationale de l’éner-
gie estime que sa demande pour-
rait être multipliée par vingt-cinq
d’ici à 2050. « En France, on n’a pas
de pétrole, mais on a du lithium, a
prévenu Emmanuel Macron en
octobre 2022. Si on fait des batte-
ries, il faut pouvoir sécuriser les ap-
provisionnements en matières
premières. C’est pour ça qu’on va
ouvrir des mines de lithium. »
Pollution des sols
Dans l’Allier, pourtant, le minerai
magique ne fait pas rêver tout le
monde. Emili divise et inquiète
une partie de la population qui
craint des effets sur la pollution
des sols et sur l’accès en eau pota-
ble, déjà en tension ces dernières
années sous l’effet du dérèglement
climatique et des sécheresses.
A Echassières, le maire sans éti-
quette, Frédéric Dalaigre – qui n’a
pas répondu au Monde –, est
plutôt favorable au projet pour ses
retombées économiques et socia-
Surnommée
la « Manchester
française »,
Montluçon a
longtemps abrité
de nombreuses
industries
les pour son village. Jusqu’en 1962,
l’actuelle carrière de Beauvoir a
abrité une mine de tungstène. Une
histoire minière qui fait encore la
fierté des anciens sur la com-
mune, mais qui a aussi laissé des
traces environnementales. En
2018, un rapport rédigé par Geode-
ris, le bureau d’expertise public
spécialisé dans l’après-mine, mon-
tre qu’une partie des sols et des
eaux sont toujours contaminés
aux métaux lourds comme le
tungstène, le plomb ou l’arsenic.
A Saint-Bonnet-de-Rochefort, le
conseil municipal a voté contre
l’installation de la plate-forme de
stockage et de chargement ferro-
viaire. Les pancartes « Non au
chargement de lithium » se multi-
plient dans le village qui accueille
un parc Naturopôle. « On n’est pas
forcément contre le projet Emili,
mais Imerys doit trouver un autre
site pour le chargement. Saint-Bon-
net est labellisé Station verte, ça se
marie assez mal avec une mine de
lithium », explique son maire
(sans étiquette), Henri Giraud.
Pétitions, distributions de
tracts, interpellations des élus lo-
caux… des associations citoyen-
nes locales commencent à s’orga-
niser contre le triple chantier. « Ni
ici ni ailleurs ! », clame Stop mi-
nes 03, qui rappelle qu’« en plus
d’être très énergivore la mine est le
secteur industriel qui produit le
plus de déchets au monde ». « Les
habitants d’Echassières doivent
comprendre que la mine de lithium
est d’une ampleur sans commune
mesure avec l’ancienne mine de
tungstène. Si on prend les chiffres
donnés par Imerys, on sortirait en
trois mois d’exploitation l’équiva-
lent de cinquante ans de l’ancienne
mine ! », s’inquiète Patricia Laede-
rich, membre du collectif Préser-
vons la forêt des Colettes.
Les opposants reprochent à Ime-
rys de ne pas livrer les résultats de
ses études environnementales,
notamment hydrauliques et hy-
drogéologiques. « Ces études sont
en cours de réalisation, mais pour
qu’elles soient fiables, on doit les
faire sur des temps longs, prenant
en compte plusieurs saisons », ré-
pond Christopher Heymann, di-
recteur du site de Beauvoir. Ime-
rys, qui mène ces mesures avec le
cabinet Antea, promet de présen-
ter des premiers éléments en mai
et la publication de l’ensemble des
études d’impact en 2026.
Le cas est scruté
Signe de l’importance du projet, la
Commission nationale du débat
public (CNDP), autorité adminis-
trative indépendante, a été saisie
pour organiser une série de réu-
nions locales avec la population.
Deux premiers rendez-vous ont
eu lieu mardi 12 mars et jeudi
14 mars, dans les villes de Moulins
et de Gannat, dans l’Allier, réunis-
sant plus de deux cents personnes,
en présence des équipes d’Imerys
mais sans représentant de l’Etat.
D’autres sont prévues jusqu’en
juillet. « Le débat a lieu au bon mo-
ment, on est dans la phase de pré-
faisabilité du projet, tout est en-
core à débattre », assure Mathias
Bourrissoux, chargé du débat pu-
blic à la CNDP. Mais les anti-mine
dénoncent un débat ficelé
d’avance et aux conclusions non
contraignantes pour Imerys. « On
nous demande notre avis, mais
est-ce que ma parole a du pouvoir,
alors que l’Etat et les élus locaux
soutiennent le projet et qu’Imerys
a déjà choisi les sites pour ses usi-
nes ? », s’indigne Sophie, une par-
ticipante à la réunion de Moulins
qui a souhaité garder l’anonymat.
Ces deux premières assemblées
ont surtout montré que la poten-
tielle future mine dépasse large-
ment le simple territoire de l’Al-
lier, et questionne l’ensemble de
la politique énergétique décidée
par l’Etat. A Moulins comme à
Gannat, plusieurs personnes ont
pris la parole pour dénoncer l’« ex-
tractivisme minier » destiné à la
production automobile de SUV
électriques « aux batteries gigan-
tesques qui ne participent en rien à
la transition énergétique et clima-
tique ». « Si on remplace le tout-pé-
trole par le tout-métal et le tout-
mine, on n’aura rien réglé », estime
Michelle Petit, vice-présidente de
France Nature Environnement Al-
lier, qui souhaite que l’« on s’inter-
roge sur le modèle de société et de
consommation que l’on veut ».
Le cas bourbonnais est scruté
ailleurs en Europe, où des projets
de mines de lithium sont en déve-
loppement au Portugal, en Espa-
gne et en Finlande. Imerys prévoit
d’extraire du minerai dans les Cor-
nouailles, au Royaume-Uni. L’en-
jeu du chantier d’Echassières est
donc considérable, et la multina-
tionale prévient que s’il ne devait
pas aboutir, c’est toute la future po-
litique minière de la France qui
s’effondrerait. Une bien grande
responsabilité pour ce petit trou
de verdure où chante une rivière. p
bastien bonnefous
0123
MARDI 19 MARS 2024 économie & entreprise | 17

« Je suis sous
le smic » : l’autre
réalité des
petits patrons
En France, un patron de TPE
et de PME sur cinq se paie
moins que le salaire minimum

C
ôté pile, Carlos Tavares,
PDG de Stellantis, et ses
36,5 millions d’euros de
rémunération annuelle
en 2023. Côté face, des milliers de
« petits patrons » débutants ou
confirmés, à la tête de commerces
ou d’entreprises individuelles,
qui se paient au smic, voire
moins. Comme Nelly Bouet,
42 ans, propriétaire d’un café-res-
taurant près de Vichy (Allier).
Dans le brouhaha de l’établisse-
ment, sa voix est empreinte d’une
colère mêlée de fatalisme. « Avant
de m’installer ici, en 2018, je faisais
de la gestion de patrimoine, té-
moigne-t-elle. J’ai voulu arrêter
afin de ne plus sillonner la France
pour aller voir les clients, je voulais
travailler pour moi, ne plus courir
après le pognon. » Mauvais pari.
« Aujourd’hui, je suis au-dessus du
seuil de pauvreté, et en dessous du
smic », dit-elle d’un ton grinçant.
La pandémie de Covid-19 et les
changements de mode de vie
qu’elle a cristallisés ont fait plon-
ger son café-restaurant. « Jus-
qu’en 2020, tout allait très bien.
J’avais une clientèle de personnes
âgées qui venaient déjeuner ici
pour rompre leur solitude et ne pas
avoir à faire la cuisine. Depuis la
crise liée au Covid-19, les muni-
cipalités ont passé des contrats
avec des sociétés qui leur livrent
leurs repas tout prêts, à des prix dé-
fiant toute concurrence. D’un côté,
ils isolent nos anciens, de l’autre,
mon chiffre d’affaires a plongé. »
La restauratrice, qui a cinq en-
fants, dont trois à charge, ne s’en
sort plus, malgré une gestion
drastique. « Je n’ai plus de salariés,
je ne prends que des extras. J’ai
supprimé la carte bancaire et tous
les faux frais. Je trime durement
pour essayer de m’en sortir, mais
ça devient fatigant de travailler
pour survivre. »
Francine Morand, elle, est gé-
rante de six auto-écoles dans
l’Ain, et emploie quinze person-
nes. La concurrence et l’augmen-
tation des charges l’ont obligée à
diminuer sa rémunération de
30 % depuis 2019. « Cela fait tren-
te-cinq ans que je suis à mon
compte, je travaille de 8 heures à
19 heures, tous les samedis matin,
et à la fin du mois je gagne entre
1 500 et 2 000 euros, expose cette
sexagénaire. Je n’ai pas l’espoir de
mieux me payer, je suis résignée. »
A cinq ans de la retraite, elle pour-
rait envisager de vendre son
fonds de commerce, car elle n’est
pas propriétaire des murs. « Mais,
dans cette activité, ça se vend une
misère. La clientèle n’a pas de
valeur, les gens changent d’auto-
école comme de chemise. »
« La liberté se paie parfois cher »
Selon une enquête menée par la
Confédération des petites et
moyennes entreprises en début
d’année, un patron de très petite
entreprise (TPE) ou de petite ou
moyenne entreprise (PME) sur
cinq se paie moins de 1 400 euros,
soit moins que le smic, qui s’éle-
vait à 1 398,69 euros net au 1er jan-
vier. Un petit tiers (31 %) se paie
entre 1 400 et 2 600 euros – ce qui
« Le phénomène
s’est aggravé
après la crise
sanitaire »
JEAN-GUILHEM DARRÉ
délégué général du Syndicat
des indépendants et des TPE
correspond au salaire moyen
dans le secteur privé en 2022, se-
lon les chiffres de l’Institut natio-
nal de la statistique et des études
économiques. Un quart d’entre
eux gagne entre 2 600 et
4 000 euros net, et un quart, plus
de 4 000 euros mensuels.
« Les gens ont l’idée que lorsque
l’on est à son compte on gagne
beaucoup, mais c’est faux », s’in-
surge David Chedoz, photogra-
phe maître artisan installé depuis
2003 en Bourgogne, qui « se paie
1 400 euros les bons mois ».
« Quand on pense patron, on
pense à ceux du CAC 40, pas aux
toutes petites entreprises. Mais la
liberté se paie parfois cher. »
« Le phénomène s’est aggravé
après la crise sanitaire, explique
Jean-Guilhem Darré, délégué gé-
néral du Syndicat des indépen-
dants et des TPE. Nous sommes
dans une conjoncture compliquée,
avec des dettes Covid-19 et des det-
tes Urssaf. Quand l’entreprise est
en difficulté, les patrons de TPE
n’ont pas beaucoup de leviers. Ils
peuvent jouer sur trois éléments :
la masse salariale, les investisse-
ments ou leur rémunération. »
Souvent, pour sauvegarder l’ave-
nir de l’entreprise, c’est sur ce der-
nier poste qu’ils choisissent de
porter le tour de vis budgétaire.
« La rémunération est en effet l’une
des premières variables d’ajuste-
ment en cas de problème, confirme
Philippe Fourquet, président de
l’association 60 000 rebonds, qui
vient en aide aux entrepreneurs
ayant déposé le bilan. Les petits pa-
trons préfèrent se payer moins plu-
tôt que de se séparer d’un collabo-
rateur-clé ou de leurs salariés. Ils
pensent que c’est une solution,
mais cela ne suffit jamais. Quand ils
arrivent chez nous, la boîte est au
tapis, et cela fait souvent des mois
qu’ils ne se payent plus. »
« Rideau de fumée »
Du haut de ses 22 ans, Oscar Lan-
dry, jeune entrepreneur à la tête
de la start-up Hunel, destinée à op-
timiser la gestion des candidatu-
res pour les sociétés d’intérim, dé-
nonce le « rideau de fumée » qui
s’est installé entre une certaine
idée de l’entrepreneuriat, véhicu-
lée notamment sur les réseaux so-
ciaux, et la réalité : « Sur LinkedIn,
par exemple, on lit un baratin pas
possible autour du fait d’entrepren-
dre en solo. Au démarrage, on est
un peu biberonné à ce genre de dis-
cours, on se fait une image des en-
trepreneurs, style Silicon Valley, qui
fait rêver. » Mais le rêve peut tour-
ner au cauchemar. « Je connais pas
mal de créateurs qui ont arrêté leur
activité parce qu’ils n’arrivaient pas
à gagner leur vie », poursuit Oscar
Landry. Lui-même ne se rémunère
pas, depuis la création de son en-
treprise en 2021 – mais il a la
chance d’habiter encore chez ses
parents. « L’an dernier, plus d’une
radiation sur deux [56 %] enregis-
trée par les tribunaux de commerce
était le fait d’entrepreneurs qui di-
saient : “Je n’en peux plus, j’ar-
rête” », renchérit M. Darré.
Parmi la population de ces chefs
d’entreprise précarisés, on compte
aujourd’hui beaucoup de com-
merçants, d’entreprises de la
mode, du textile ou de l’équipe-
ment de la personne. Ils sont victi-
mes à la fois de la crise liée au Co-
vid-19, de la baisse de la consom-
mation dans les rayons non ali-
mentaires liée à l’inflation, et de la
concurrence d’Internet. Les com-
merçants, qui gagnent souvent
peu mais comptent sur la vente de
leurs fonds de commerce ou de
leurs murs au moment de la re-
traite, se trouvent aujourd’hui pié-
gés par les fermetures en série
dans les centres-villes, qui font dé-
gringoler le prix de leurs actifs. p
béatrice madeline

PERTES & PROFITS | INDUSTRIE AUTOMOBILE I MMOBILIER

Le régulateur bancaire

21 mars
p a r p hil ip p e e s ca nde européen s’alarme de la
crise dans l’immobilier

Renault et Nissan cherchent 22 2024

commercial
Les banques européennes
doivent s’apprêter à suppor-

de nouveaux partenaires ter un fardeau persistant

On ne peut pas demander à des
couples fraîchement divorcés de
renoncer à chercher de nouveaux
partenaires. Même si l’amertume
de l’expérience passée rend cha-
cun, en général, plus prudent. Ce
vendredi 15 mars, le constructeur
japonais Nissan, tout juste séparé,
industriellement, de Renault, a
prudemment fait part de son pro-
jet d’alliance avec son concurrent
japonais Honda. Ce sera juste une
tentative non engageante, qui
commencera par un travail sur
les logiciels et systèmes intelli-
gents pour les voitures électri-
ques. La question d’un enfant
ensemble, un nouveau véhicule
électrique, se posera plus tard.
ignoré des constructeurs euro-
péens en 2021 et 2022 quand les
pénuries de composants et l’ap-
pétit des clients allongeaient les
listes d’attente, revient en force.
Course au modèle à petit prix
La période des marges grasses est
passée. Après l’euphorie, symbo-
lisée par l’engouement pour
Tesla, l’industrie revient aux fon-
damentaux. On ne peut pas du-
rablement vendre une voiture
15 000 euros de plus que son
équivalent thermique, juste parce
qu’elle a un moteur électrique.
L’urgence à faire baisser les coûts
est d’autant plus grande que les
chinois frappent à la porte. Ils
25 000 euros. Or, de son propre
aveu, il ne parviendra pas à sortir
une voiture électrique à moins
de 20 000 euros avant dix ans.
Pour l’instant, le seul européen à
savoir faire cela, c’est Renault,
avec son modèle Dacia Spring,
mais qui est fabriqué en Chine.
La course au modèle à petit
prix produit en Europe est lan-
cée. Toutes ces discussions entre
ennemis d’hier, dont l’issue est
très incertaine, traduisent une
grande fébrilité face à une transi-
tion de plus en plus chaotique.
Samedi 16 mars, le PDG du
loueur américain Hertz, Stephen
Scherr, a été débarqué car il avait
acheté trop de voitures électri-
causé par la chute des prix
de l’immobilier commercial,
prévient, lundi 18 mars, le pa- 5e édition
tron du régulateur du secteur
européen. « Les banques
doivent se préparer à une crise
qui durera plusieurs années »,
a déclaré le patron de l’Auto-
rité bancaire européenne,
José Manuel Campa, dans
une interview au quotidien
allemand Handelsblatt. Il n’y
a pas cependant de « danger
systémique » à craindre pour
le système bancaire dans son
ensemble, assure-t-il. – (AFP.)
BAN QU E
Une place pour chacun
BNP Paribas : Isabelle Loc
à la tête de la Banque
dans un monde en mouvement
commerciale en France
BNP Paribas a annoncé, lundi

Inscrivez-vous :
Renault n’est pas en reste. Re- sont pour l’instant entrés en Eu- ques. Or, la demande a été plus 18 mars, la nomination d’Isa-
froidi par son aventure à l’autre rope par la voie des modèles haut faible que prévu, les réparations belle Loc à la tête des activités

bout du globe, il tente un rappro-
chement moins exotique avec
l’un de ses vieux adversaires, l’al-
lemand Volkswagen. Ce dernier
semble néanmoins plus partisan
de l’union libre que ses homolo-
gues nippons. Oliver Blume, son
PDG, a confirmé discuter, avec
Renault, la possibilité de cons-
truire un modèle commun. C’est
la seule façon pour lui de parve-
nir rapidement à un prix de vente
proche des voitures à essence ou
diesel. Le prix, superbement
de gamme plus lucratifs qu’ils ex-
pédient de Chine par cargos en-
tiers. Mais Renault, comme Volk-
swagen ou Nissan savent qu’ils
ont la capacité d’écraser les prix,
comme ils le font actuellement
dans l’empire du Milieu face au
ralentissement du marché. Le
numéro un chinois et mondial
BYD sortira ses premières voitu-
res de son usine hongroise, au
cœur de l’Europe, avant 2027.
Pour Volkswagen, la priorité est
donc de descendre sous les
plus coûteuses et le prix à la re-
vente s’est effondré. Le groupe a
revendu le tiers de son stock en
décembre 2023 à prix cassé. La
raison de cette vente catastrophi-
que qui lui a fait perdre plus de
200 millions d’euros ? La concur-
rence chinoise qui a poussé Tesla
à brader ses voitures neuves, dé-
valorisant d’autant le prix de
l’occasion. Scènes de ménage et
déceptions amoureuses à pré-
voir sur le chemin escarpé de la
transition énergétique. p
agefiph-universite-rrh.fr
de banque commerciale du
groupe en France et au sein
de son comité exécutif pour
succéder à Marguerite Bérard,
dont le départ a été annoncé
le 15 mars. La Banque
commerciale en France, qui
réunit les activités de banque #URRH2024
d’entreprise, de banque
privée et de banque de détail,
a réalisé (hors assurance)
un bénéfice de 1,19 milliard
d’euros sur les 11 milliards
affichés par le groupe. – (AFP.)
18 | économie & entreprise
Après le
décrochage
d’une falaise
sur une route
départementale,
à Excideuil
(Dordogne),
le 2 février. ROMAIN
LONGIERAS/HANS LUCAS
Transformer la route,
un enjeu durable
DOSSIER
L’
Aa n’a pas l’air commode. A
Renty (Pas-de-Calais), en ce
sombre jour de février, le vent
souffle, la pluie menace, et le
premier fleuve de France par
ordre alphabétique déboule
en furie le long d’un moulin abritant un gîte
de vacances et emporte un morceau de route
départementale. A deux reprises, en novem-
bre 2023 puis en janvier, « le fort courant est
passé derrière un muret et a miné le terrain »,
explique Cyrille Duvivier, directeur de la Mai-
son du département aménagement et déve-
loppement territorial de l’Audomarois
Depuis, afin de mieux résister aux assauts
redoutés de l’Aa, les services du département
ont fait enfoncer un rideau métallique à
6,5 mètres de profondeur. Le coût des travaux
pour protéger ces 60 mètres de route atteint
500 000 euros. Le secteur de Saint-Omer, au
centre du Pas-de-Calais, très touché par les
épisodes de cet hiver, compte 800 kilomètres
de routes départementales, dont 15 % ont été
touchés par les intempéries. Cyrille Duvivier
estime les dégâts à 5 millions d’euros.
Des chantiers équivalents à celui de Renty,
les services du département en ont identifié,
à la mi-février, plus de 250, contre une dizaine
en moyenne chaque année. Les sommes an-
nuelles consacrées aux 6 200 kilomètres de
routes départementales, dans le Pas-de-Ca-
lais, atteignent « 90 millions d’euros, dont
40 millions pour l’entretien, sur un budget to-
tal de 2,1 milliards d’euros », explique, à Arras,
le président de l’exécutif départemental,
Jean-Claude Leroy (PS). Un million d’euros
sont provisionnés pour les travaux urgents.
Mais en 2024, les seules urgences coûteront
« au minimum 50 millions d’euros, d’après les
premiers constats visuels », explique l’élu, en
précisant que le bilan définitif attendra la fin
de l’hiver. Les inondations n’ont pas seule-
ment submergé les maisons et emporté le bi-
tume, elles ont aussi asséché le budget.
Cette année, l’Etat et l’Europe ont promis
de contribuer, et le département a « mis de
l’argent de côté », assure Jean-Claude Leroy.
Mais les années suivantes ? Car « tout le
monde pense que ça va revenir régulière-
ment », reconnaît-il, en résumant, fataliste :
« C’est l’heure des choix. »
L’Ille-et-Vilaine est confrontée aux mêmes
décisions. A la fin octobre 2023, la tempête
Ciaran a endommagé 220 tronçons de route
et recouvert de sable une partie de la départe-
mentale reliant Saint-Malo à la pointe du
Avec les intempéries, les coûts s’envolent pour maintenir
l’un des premiers réseaux routiers d’Europe
et poussent les collectivités locales à en repenser
les usages à la lumière de la transition climatique
Grouin, au point que l’exécutif s’interroge
sur sa fermeture définitive, explique Sté-
phane Lenfant, conseiller départemental
(PS). Dans la Manche, département voisin, le
budget des 7 800 kilomètres de voies, de l’or-
dre de 10 millions d’euros par an, a grimpé à
13 millions en 2023. Outre l’inflation et le ren-
chérissement des matériaux, « les quantités
d’eau ne sont plus les mêmes, et les dommages
deviennent plus importants », constate Jean
Morin, président (divers droite) de l’exécutif.
SURCOÛT DE L’ENTRETIEN
L’inquiétude n’épargne pas les concession-
naires autoroutiers. En décembre 2023, lors
d’une conférence organisée par le groupe de
réflexion TDIE, Pierre Coppey, président de
Vinci Autoroutes, énumérait « le feu, l’eau, les
températures élevées, des épisodes sans pré-
cédent », qui coupent le trafic plusieurs jours
d’affilée. « Le sujet n’est pas chiffré, mais est
en train de nous rattraper », admettait-il.
Dès la fin de 2021, pourtant, le bureau
d’études Carbone 4 évaluait le coût des « in-
vestissements curatifs », destinés à remettre
L’ingénierie routière au service des pistes cyclables
trois mètres de large, un enrobé
rouge, une pente et un rayon de cour-
bure adaptés à la puissance moyenne
d’un cycliste, des grilles d’évacuation
de l’eau pensées de façon à ne pas se
coincer les roues dedans… A La Mé-
zière (Ille-et-Vilaine), au nord de Ren-
nes, cette piste cyclable rappelle l’ex-
cellence que l’on ne voit qu’aux Pays-
Bas, numéro un de la bicyclette en Eu-
rope. L’ouvrage a été conçu par des
agents habitués à bâtir des routes, les
« ex-DDE », comme on dit en réfé-
rence aux directions départementa-
les de l’équipement, services décon-
centrés de l’Etat supprimés en 2009.
Utiliser les compétences des ingé-
nieurs routiers pour bâtir un réseau
cyclable ? Ce choix s’explique par le
en service l’infrastructure routière à la suite
d’un aléa climatique, à 22 milliards d’euros
d’ici à 2050. En mars 2022, la Cour des comp-
tes alertait les élus et les constructeurs. Par
ailleurs, « le changement climatique produit
dès maintenant des effets sensibles, en parti-
culier dans les territoires de montagne, du fait
de l’accélération des cycles gel-dégel, de la
multiplication des inondations et des glisse-
ments de terrain, ou encore des périodes de
sécheresse », avertissaient les magistrats.
Chez Routes de France, qui rassemble les
entreprises de construction et leurs fournis-
seurs, le président, Jean-Pierre Paseri, recon-
naît que « les modifications du climat entraî-
nent de nouvelles contraintes ». La situation
s’aggrave proportionnellement au trafic des
camions, qui endommagent bien plus la
chaussée que les millions d’automobiles, fus-
sent-elles des SUV. Et « le trafic routier conti-
nue d’augmenter, sur le modèle du commerce
et du e-commerce », reconnaît le président de
Routes de France, qui conseille aux collectivi-
tés, pour éviter des dégradations sur un axe,
d’y « limiter le trafic de poids lourds ».
moratoire sur les contournements
routiers, décidé en Ille-et-Vilaine après
les élections départementales de 2021.
« On s’est interrogé, on s’est demandé à
quoi on servait », confie Pierre Ewald,
directeur des grands travaux d’infras-
tructures au département.
« Nous avons réussi à ruser »
« Cela a été difficile pour eux, mais nous
avons adapté l’organigramme et créé
une direction des mobilités qui n’exis-
tait pas », indique Schirel Lemonne,
conseillère départementale (divers
gauche). Les services, une centaine de
personnes au total, ont été en partie
réaffectés à la réalisation du plan Vélo,
décidé lors du mandat précédent.
Quelque 70 millions d’euros financent
0123
MARDI 19 MARS 2024
Avec 1,1 million de kilomètres, le réseau
routier français est, selon la Cour des comp-
tes, « l’un des plus longs et plus denses d’Eu-
rope ». Cette infrastructure garantit à cha-
cun, à condition d’être équipé d’un véhicule,
la possibilité de se rendre pratiquement
partout, gratuitement sauf sur les 9 000 ki-
lomètres d’autoroutes concédés. En consé-
quence, nul étonnement à ce que, d’après
les calculs de Routes de France, 89 % des ki-
lomètres parcourus soient accomplis par la
route et que celle-ci se révèle « indispensable
aux Français », comme le répètent les entre-
prises du secteur.
Mais le surcoût de l’entretien éclaire d’un
jour nouveau la bataille de la route, dont le
projet d’autoroute A69 dans le Tarn n’est
que la partie visible. Faut-il vraiment cons-
truire de nouveaux axes contre vents et ma-
rées ? Les nuisances du tout-routier sont am-
plement documentées, des impacts sur le
climat à l’insécurité routière en passant par
l’aménagement, en bordure de rocade, des
zones commerciales que le gouvernement
veut désormais transformer en quartiers
LE PROJET d’habitation. Le 10 février, Nicolas Lacroix,
président (LR) du département de Haute-
D’AUTOROUTE A69 Marne a involontairement résumé les en-
jeux, en annonçant « un plan d’abattage
DANS LE TARN massif des arbres [bordant les départemen-
N’EST QUE tales] qui tuent », « pour sauver des vies ».
Les constructions d’autoroutes, contour-
LA PARTIE VISIBLE nements, ponts et autres échangeurs ne
sont pas terminées. En novembre 2023, le
DE LA BATAILLE magazine Reporterre comptabilisait 55 pro-
jets pour une longueur totale de 922 kilomè-
tres et un coût de 18 milliards d’euros, finan-
cés aux deux tiers par les pouvoirs publics.
Ces projets, où qu’ils soient programmés,
« s’appuient tous sur les mêmes éléments de
langage, promettant le désenclavement et la
fluidification », assure Céline Scornavacca,
porte-parole de la Déroute des routes, un
collectif d’associations locales qui demande
un moratoire national. Depuis quelque
temps, les promoteurs évoquent « la suppo-
sée déconnexion des bobos parisiens opposés
la création de 24 pistes dites « à haut car cet échelon maîtrise la voirie et les
niveau de service » . services qui la conçoivent.
« Le département accueille 10 000 Dans la Manche, l’exécutif a choisi de
nouveaux habitants chaque année. transformer une partie de son réseau
Nous voulons éviter que l’usage de la routier, 8 000 kilomètres, en axes cy-
voiture individuelle augmente dans les clables. Le département s’est appuyé
mêmes proportions. C’est une projec- sur un décret d’avril 2022 qui élargit le
tion à cent ans », assure Schirel Le- concept de « voie verte », réservée aux
monne. Après un voyage d’étude en piétons et aux cyclistes, désormais
Belgique, les agents ont rédigé un « ré- ouverte aux riverains et aux engins
férentiel très complet » pour les aména- agricoles. La formule permet de créer
gements cyclables, avance Pierre davantage d’axes sans pénaliser la
Ewald. « Nous concevons de véritables desserte motorisée locale. Pour Axel
routes à vélo, en partant de notre cœur Fortin-Larivière, vice-président (divers
de métier », explique Katell Colas, centre) chargé des déplacements dans
cheffe de service études et travaux. Si le département, c’est une opportu-
le département n’a pas de compétence nité : « La mobilité de demain nous per-
en matière de mobilité, « nous avons met de repenser le réseau routier. » p
réussi à ruser », admet Mme Lemonne, olivier razemon
0123
MARDI 19 MARS 2024
La route représente 89 % des kilomètres parcourus par les Français
Longueur des routes, en 2021, en km
Autoroutes
12 530 km
Nationales Départementales
8 380 km 378 834 km
Seulement
Part de la circulation et son évolution entre 1990 et 2019, en %
des routes 32 %
sont gérées Autoroutes
par l’Etat
Une chaussée dégradée par les poids lourds
Part de la chaussée Comparaison du coût de l’usage
exigeant des travaux des infrastructures entre
d’entretien un véhicule léger et un poids lourd
en %
sur autoroute
en 2009
Véhicule léger
(en euros, par passager et par km)
43 %
en 2023 Poids lourd
(en euros, par tonne
et par km)
50 %
Infographie : Le Monde,
Benjamin Martinez, Floriane Picard
à la construction de nouvelles routes », ajoute
cette habitante d’un village de l’Hérault.
La perspective d’un moratoire ne suscite
pas l’enthousiasme des premiers concernés.
« On ne peut pas dire que le pays soit totale-
ment équipé », avance Jean-François Paseri.
Tous les professionnels du secteur l’assurent
dans un même élan : « Il ne faut pas négliger
la route. » Mais en a-t-on seulement les
moyens ? Une solution consisterait, plutôt
que d’élargir les routes publiques, à confier
la construction d’autoroutes au privé. C’est
le choix fait dans le Tarn pour l’A69, avec
seulement 5 % de financement public, et
une interrogation, à terme, sur la mainmise
du secteur privé sur le réseau.
RECHERCHE ÉPERDUE DE FINANCEMENTS
François Durovray (Nouvelle France), prési-
dent de l’Essonne et de la commission mo-
bilités de l’association des départements de
France, a trouvé une cagnotte. « Il faut utili-
ser les recettes des autoroutes pour inventer
un nouveau modèle de la route », affirme-
t-il. Alors que le bal du renouvellement des
concessions autoroutières doit commencer
en 2031, il préconise que cette « manne soit
répartie sur l’ensemble du réseau à grand ga-
barit, 45 000 kilomètres au total », cinq fois
plus que les autoroutes actuellement concé-
dées. C’est aussi l’avis de Thierry Dallard, an-
cien président de la Société du Grand Paris.
Car, au-delà de la recherche éperdue de fi-
nancements, le secteur doit intégrer la donne
climatique. « Le lobby routier n’a pas tort de
dire que le réseau se dégrade. C’est justement
une opportunité pour répondre à la transition
écologique et à l’insécurité routière », assure
Sébastien Marrec, consultant pour le cabinet
BL Evolution. « Les acteurs du routier ont acté
le fait que le réseau avait atteint sa maturité.
Ils savent que la seule manière de continuer à
gagner de l’argent est de développer des usa-
ges différents », ajoute Thomas Matagne, fon-
dateur de la société de covoiturage Ecov.
Depuis décembre 2023, une « Alliance pour
la décarbonation de la route » rassemble des
experts et des acteurs économiques, y com-
pris Vinci Autoroutes ou BMW France. « La
route, le plus gros poste d’émissions de gaz à
effet de serre en France, reste un parent pau-
vre de la politique des transports », rappelle le
politiste François Gemenne, coauteur du
sixième rapport du GIEC et porte-drapeau
de cette structure. « Il s’agit de faciliter la mo-
bilité et non plus seulement de construire des
infrastructures », vante M. Durovray, l’un des
« experts » mis en avant par l’Alliance. Ce
« changement culturel », dit-il, se traduirait
de trois manières : « massifier, diversifier,
Communales
705 000 km
4%
Nationales
+ 60,9 %
pour les autoroutes
et les routes nationales
en 2021
+ 7,5 %
pour les routes
64 % départementales
Départementales et communales
et communales
Les usages de la route représentent 20 % des émissions de CO
Répartition des 650 millions de tonnes de CO2 émises
par la France en 2019
sur départementale
USAGES DES INFRASTRUCTURES
USAGES
DE LA ROUTE
138
1,6 0,6
13,6
4,8
USAGES DES AUTRES RÉSEAUX
53
Sources : Routes de France ; Cour des comptes ; ERF ; Commission européenne ; DGCL ; ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Carbone 4 ; Geovelo
électrifier », ou, pour le dire autrement, en-
courager les cars rapides et le covoiturage,
affecter une partie du réseau aux modes ac-
tifs que sont la marche et le vélo, et conti-
nuer à installer des bornes de recharge.
L’idée de remplir les véhicules, cars ou voi-
tures individuelles, n’a pas attendu les crues
à répétition. « Cette transformation a com-
mencé à bas bruit au milieu des années 2000,
avec les aires de covoiturage, qui ont officia-
lisé une pratique informelle », rappelle Tho-
mas Matagne, chez Ecov. Les décideurs s’en
sont emparés. « Il faut changer notre regard
sur les routes. Ce qu’il faut considérer, c’est ce
qu’on fait rouler dessus », disait le 30 novem-
bre 2023 la présidente (LR) de la région Ile-
de-France, Valérie Pécresse, en présentant
les cars express franciliens. Un leitmotiv qui
peine à se concrétiser. L’élue disait déjà la
même chose après sa première élection
en 2015. En pratique, les premières des 45 li-
gnes du réseau francilien de cars express ne
verront le jour qu’« après les Jeux olympi-
ques, autour de la Toussaint », assure M. Du-
rovray qui en est le principal promoteur. La
transformation du réseau routier est plus ra-
« L’Etat tend à se désengager de la construction comme de l’entretien »
louis baldasseroni est maître de
conférences en histoire contempo-
raine à Nîmes, auteur d’Histoire des
transports et des mobilités en France.
XIXe-XXIe siècles (Armand Colin, 2022).
De quelle époque date-t-on
le réseau routier moderne ?
Louis XV crée en 1716 le corps des in-
génieurs des ponts et chaussées et,
en 1747, l’Ecole royale des ponts et
chaussées, au sein de laquelle les in-
génieurs forment leurs pairs. Les pra-
tiques d’aménagement, ainsi harmo-
nisées, aboutissent à la construction
d’un réseau routier unifié, qui garan-
tit à chaque région une desserte rou-
tière. Au XVIIIe siècle, les Cassini, fa-
mille de cartographes, répertorient
les routes royales, qui deviendront
routes impériales puis nationales.
Cette logique d’équité territoriale
est-elle toujours en vigueur
aujourd’hui ?
Elle a irrigué la construction des rou-
tes jusqu’au milieu du XXe siècle. Mais,
à partir des « trente glorieuses », sur le
modèle américain, la France s’est
économie & entreprise | 19
Densité du réseau routier
par pays en 2020, en nombre de kilomètres de route par km2
Allemagne Royaume- France
0,6 Uni 2 Le réseau
1,7 routier français
est le 5e plus dense
d’Europe
Deux principaux postes de dépenses
d’investissements des départements,
en 2021, en milliards d’euros
Transports, routes
et voiries
dont 3,6 pour les routes
Enseignement, formation
et apprentissage
dont 2,3 pour les collèges
CO2 en France
Evolution des infrastructures cyclables
en km
Pistes cyclables
CONSTRUCTION DES INFRASTRUCTURES
(voies séparées de la route)
22,9
USAGES DU GAZ AUTRES SECTEURS
134 (AGRICULTURE, INDUSTRIE...)
302,1
Bandes cyclables et voies de bus partagées
(voies incluses sur la route)
pide dans le reste de la France. Selon une
« IL FAUT CHANGER carte figurant sur le site du Centre d’études
NOTRE REGARD et d’expertise sur les risques, l’environne-
ment, la mobilité et l’aménagement (Ce-
SUR LES ROUTES. rema), le kilométrage de voies réservées aux
bus ou aux covoitureurs ne cesse de s’allon-
CE QU’IL FAUT ger, entre Aix et Marseille ou autour de Gre-
CONSIDÉRER, C’EST noble, Lyon, Nantes, Rennes ou Annecy.
Pour renforcer cette stratégie, Thomas Ma-
CE QU’ON FAIT tagne plaide pour « un système covoiturage,
comme il faut un système vélo », des voies ré-
ROULER DESSUS » servées mais aussi des arrêts et des parkings
VALÉRIE PÉCRESSE aménagés, reliés aux autres moyens de
présidente (LR) de la région transport. Et ce n’est pas gratuit. Le promo-
Ile-de-France teur infatigable du « remplissage des véhicu-
les », comme il dit, chiffre le coût d’une aire à
« plusieurs milliers d’euros par place » et d’un
« hub avec arrêt de covoiturage à quelques di-
zaines de milliers d’euros, voire plusieurs mil-
lions sur les grands axes ». Ainsi, « pour aller
vers la sobriété, il faut investir », une idée, il le
reconnaît, « très difficile à faire passer ». La
route a toujours besoin d’argent.
Dans le Pas-de-Calais, qui se remet lente-
ment de la submersion, Jean-Claude Leroy
se veut pragmatique. Certes, le président du
mise, avant de construire des routes, à Cette politique a également contribué
calculer leur rentabilité économique. à la métropolisation et justifié le dé-
clin du fret ferroviaire.
Comment définit-on les autorou-
tes, qui se sont généralisées Peut-on considérer qu’on n’a plus
après-guerre ? besoin de nouvelles routes
Selon la loi du 18 avril 1955, ces voies aujourd’hui ?
ne comportent pas de croisement à ni- Non, car la question de l’équité terri-
veau, les deux sens de circulation sont toriale demeure. Si on se réfère au
séparés et les véhicules lents en sont plan des années 1960 et 1970, il reste
exclus. La loi prévoit la possibilité des barreaux routiers à aménager. Des
d’instituer des péages pour les finan- régions, notamment dans le Massif
cer. Elles ont accompagné les grandes central, sont toujours décrites comme
opérations à vocation touristique de à désenclaver. En outre, la route con-
l’Etat aménageur, dans le Languedoc serve sa puissance symbolique. C’est
ou vers les stations de ski des Alpes. En la route que bloquent les mouve-
Bretagne, il s’agissait aussi de garantir ments de contestation, comme l’ont
l’accès des produits de la mer au mar- fait les agriculteurs cet hiver.
ché d’intérêt national de Rungis.
Les projets sont contestés pour
Quels sont les impacts du réseau des raisons environnementales…
routier à long terme ? La contestation a toujours existé.
Outre le développement du tou- Dans les années 1950, elle émanait
risme, on a constaté une augmenta- surtout des agriculteurs expropriés,
tion des déplacements domicile-tra- dans les villages proches du tracé.
vail. Car, si le temps de transport n’a Aujourd’hui, les arguments environ-
pas bougé depuis cent ans, le renfor- nementaux sont plus complexes et
cement du réseau routier s’est traduit difficiles à contrer par les aména-
par une augmentation des distances. geurs, car ils impliquent des valeurs
Pays-Bas
3,3
Dépenses des administrations
pour la route,
en milliards d’euros
par les collectivités
locales
par l’Etat
63 262
40 761
mars 2018 mars 2024
21 176
8 713
mars 2018 mars 2024
département admet qu’il conserve encore,
dans les cartons, des infrastructures en pro-
jet. Mais elles sont de plus en plus difficiles à
réaliser, en raison « du contexte réglemen-
taire, de la nécessité de préserver les terres
agricoles et des actions de groupe » menées
par des opposants.
Alors, le département donne prudemment
la priorité à « l’entretien du réseau existant ».
Depuis septembre 2023, sur l’autoroute A1
qui file vers Lille, la voie de gauche est réser-
vée aux covoitureurs lorsque le trafic se den-
sifie. Les aires de covoiturage doivent s’adap-
ter progressivement aux nouveaux besoins,
dotées d’ombrières, d’arceaux à vélo, reliées
aux arrêts de bus. Des routes de troisième ca-
tégorie sont transformées en voies vertes.
Sur l’itinéraire qui mène à la station balnéaire
du Touquet, très fréquentée le week-end,
« nous avons posé des panneaux à messages
variables pour dévier la circulation en cas de
bouchon. Cela nous permet de retarder la
construction d’un contournement », plaide
l’élu. La route apprend, lentement, la sobriété
que lui imposent les éléments. p
olivier razemon
plus largement partagées par le pu-
blic. En outre, les territoires traversés
par les nouveaux axes sont davantage
urbanisés qu’autrefois.
Comment voyez-vous l’avenir
du système routier ?
Plusieurs logiques héritées de l’his-
toire s’entrechoquent aujourd’hui : la
connaissance technique, le raisonne-
ment économique, les méthodes fi-
nancières, avec l’intervention de socié-
tés concessionnaires aux objectifs lu-
cratifs, et enfin les effets de la décen-
tralisation, depuis les années 1980.
L’Etat tend à se désengager de la cons-
truction comme de l’entretien des rou-
tes. La logique d’unification du réseau,
qui a longtemps prévalu, est battue en
brèche avec la départementalisation
des routes nationales. Mais cette dé-
centralisation ouvre aussi la porte à la
transformation, comme à Lyon, où la
métropole réduit le nombre de voies
sur les M6 et M7 [les anciennes auto-
routes de part et d’autre du tunnel de
Fourvière] au profit des transports en
commun et du covoiturage. p
propos recueillis par o. r.
20 | économie & entreprise
La Chine se cherche de nouveaux moteurs
Pour monter en gamme, Pékin investit massivement dans les technologies et le numérique
pékin - correspondant
C
ette fois, il n’y aura pas
de nouvelles lignes de
métro à Harbin, dans le
nord-est de la Chine. A
l’autre bout du pays, la phase 3 de
celui de Kunming, capitale du
Yunnan, n’a pas non plus été ap-
prouvée par les autorités centra-
les, selon le site Yicai, tandis qu’à
Baotou, en Mongolie intérieure,
le chantier de métro a été mis en
pause. A mesure que la croissance
ralentit, la Chine cherche un nou-
veau modèle. Elle n’a pas renoncé
aux dépenses d’infrastructures,
de loin les plus élevées de la pla-
nète ces dernières décennies et
qui ont porté son développement
économique, mais elle veut les ra-
tionaliser.
La dette des gouvernements lo-
caux, opaque car souvent sous-
crite via des plates-formes d’endet-
tement externes aux comptes pu-
blics, inquiète les dirigeants. Les
constructions de routes, ponts, li-
gnes à grande vitesse ont forte-
ment contribué à quatre décen-
nies de forte croissance mais il est
devenu difficile de trouver des pro-
jets pertinents et de les financer.
Quant à l’immobilier, qui aupa-
ravant représentait 20 % de l’acti-
vité économique en Chine, il est
entré dans sa troisième année de
crise. Le nombre de nouveaux
chantiers a chuté de 60 % com-
paré à avant la pandémie de Co-
vid-19, selon le Fonds monétaire
international. En 2023, les prix de
l’ancien ont chuté de 6,3 % sur un
an dans les grandes villes. Le chô-
mage des jeunes était à 21 % à l’été
2023, avant qu’une nouvelle mé-
thode de calcul ne le fasse tomber
à 14,9 % en janvier. Si les prix ont
augmenté pour la première fois
depuis six mois en février, de
0,7 % d’une année sur l’autre, en
période de dépenses autour du
Nouvel An lunaire, le risque défla-
tionniste demeure.
Malgré ces vents contraires, un
objectif de croissance ambitieux
d’environ 5 %, similaire à 2023, a
été fixé lors de la grande réunion
politique annuelle, la session
d’une semaine de l’Assemblée na-
tionale populaire, qui s’est ache-
vée le 11 mars. Le Parti commu-
niste chinois veut stabiliser les an-
Au Japon, les nouvelles technologies pour pallier le manque de bras
Face à la forte réduction de la population active, l’Archipel se convertit à un rythme accéléré à la robotique et à l’intelligence artificielle
tokyo - correspondance
S anté, distribution, hôtelle-
rie-restauration, agricul-
ture… Au Japon, aucun sec-
teur économique n’est épargné
par un déficit de main-d’œuvre de
plus en plus criant. Le problème
est si aigu qu’il a parfois des con-
séquences tragiques : comment
rebâtir rapidement la péninsule
de Noto, où le tremblement de
terre du 1er janvier a détruit plus
de 60 600 maisons et bâtiments,
lorsque le nombre de travailleurs
de la construction a diminué de
30 % par rapport au pic de 1997 ?
Et à quel prix ? Le coût de l’Exposi-
tion universelle d’Osaka en 2025 a
déjà doublé en raison de l’infla-
tion des coûts des matières pre-
mières et du manque de bras.
Et la situation est susceptible de
s’aggraver : selon l’institut de re-
cherche indépendant Recruit
Works, il pourrait manquer 11 mil-
lions de travailleurs en 2040 à la
quatrième économie mondiale,
qui compte aujourd’hui 123,3 mil-
lions d’habitants. En cause : le
vieillissement démographique et
la faiblesse de la fertilité. En 2023,
le nombre de décès (1 590 503) a
été deux fois plus important que
« L’Etat
veut éviter
des graves
problèmes,
le chômage
et l’instabilité
sociale »
XIANG SONGZUO
économiste chinois
ciens moteurs de l’économie, im-
mobilier en tête. Le gouvernement
a poussé les villes à créer des « lis-
tes blanches » de projets immobi-
liers que les banques – très majori-
tairement étatiques – sont invitées
à financer. Et le président chinois,
Xi Jinping, s’est rendu à Shanghaï,
fin novembre 2023, où sa visite sur
un projet de logements subven-
tionnés par l’Etat a marqué le lan-
cement d’une campagne d’appui
étatique pour des loyers modérés.
En parallèle, l’homme qui
concentre les plein pouvoirs dé-
ploie un nouveau mantra, les
« nouvelles forces productives »,
un terme néomarxiste qui signi-
fie l’appui aux secteurs de pointe
dans lesquels la Chine réalise des
percées. « Le terme montre à quel
point le gouvernement considère
que l’économie digitale, de pointe,
et celle en faveur de la transition
énergétique peuvent être des accé-
lérateurs de croissance », constate
Wang Huiyao, fondateur du Cen-
tre pour la Chine et la mondialisa-
tion, un think tank de Pékin.
Tensions avec l’extérieur
Car tout n’est pas noir pour l’éco-
nomie chinoise. Les rues de Pékin
ou de Shanghaï ont pris un tour
futuriste avec l’arrivée de voitures
aux designs qui n’ont rien à envier
au constructeur américain Tesla
mais dont les logos sont encore
peu connus du monde extérieur :
BYD, devenu le premier construc-
teur électrique mondial, mais
aussi Nio, Li Auto ou XPeng. La
Chine ne s’arrête pas à ce secteur,
ni à celui souvent évoqué des pan-
neaux solaires qui menace ce qui
reste de concurrents occidentaux,
elle entend s’arroger une bonne
place dans toutes les technologies
celui des naissances (758 631), qui
a chuté de 5,1 %, selon les données
du gouvernement.
Depuis quelques années, les en-
treprises tentent d’élargir leurs
cercles de recrutement, notam-
ment avec l’embauche de davan-
tage de femmes, mais aussi de per-
sonnes âgées, autorisées à tra-
vailler jusqu’à 70 ans, voire plus.
Les autorités envisagent même de
porter l’âge de la retraite des
chauffeurs de taxi à 80 ans, contre
75 ans. Traditionnellement réti-
cent en la matière, le pays a égale-
ment assoupli un peu sa politique
d’immigration. Plus de deux mil-
lions d’étrangers y travaillent,
deux fois plus qu’il y a vingt ans.
Néanmoins, comme cela ne suf-
fit pas, l’Archipel se tourne vers les
nouvelles technologies. En 2017, le
gouvernement a lancé un plan
nommé « Society 5.0 », censé
transformer l’économie en pro-
fondeur. Son ambition est de créer
une « société centrée sur l’humain,
qui concilie le progrès économique
et la résolution des problèmes so-
ciaux grâce à l’intégration du cybe-
respace et du monde réel ». Les en-
treprises suivent : les investisse-
ments dans le numérique ont aug-
menté de 23 % en 2023, selon une
Des excavatrices au sommet d’un bâtiment, près du quartier central des affaires de Pékin, lundi 18 mars. TATAN SYUFLANA/AP
de la transition énergétique, de la
révolution de l’intelligence artifi-
cielle et de l’économie numérique,
ou encore des biotechnologies.
« Il y a un consensus sur le fait que
l’économie chinoise a besoin de
passer à autre chose, que sa struc-
ture, son modèle de croissance,
doit monter en gamme », explique
Xiang Songzuo, directeur de l’Ins-
titut de recherche financière de la
région de la grande baie – réfé-
rence au rapprochement écono-
mique de Shenzhen, Hongkong et
Macao dans le delta de la rivière
des Perles. Cet ancien chef écono-
miste de la Banque agricole de
Chine, l’une des principales insti-
tutions financières du pays, ré-
sume : « Ce qui est crucial pour
comprendre la logique du gouver-
nement, c’est qu’ils veulent une
transition fluide et maîtrisée, pour
éviter les graves problèmes qui
peuvent se présenter, le chômage
enquête du quotidien économi-
que Nihon Keizai (Nikkei), publiée
en décembre. Au total, 40,9 % des
sociétés consultées misent sur la
« transformation numérique ».
Parmi les secteurs les plus ac-
tifs figure la distribution. Seven
Eleven, numéro un des magasins
de proximité, les konbinis, va
ouvrir en avril ses premiers
points de vente entièrement
automatisés. Le groupe veut éga-
lement proposer ce modèle aux
entreprises dont les cafétérias fer-
ment faute de personnel. Son
concurrent, FamilyMart, pourrait
faire de même. Il a par ailleurs
équipé 300 de ses magasins de ro-
bots nettoyants. « Nous nous ef-
forçons d’adapter les robots pour
faire fonctionner les magasins
avec un nombre réduit d’em-
ployés », explique Tsuneo Murai,
directeur général de l’enseigne.
Robots collaboratifs
Le groupe de distribution Lawson
a, quant à lui, recours à un avatar
imaginé par la start-up Avita et
contrôlé à distance par un em-
ployé afin d’interagir avec les
clients. Sa mise en œuvre s’est
faite pendant la pandémie de Co-
vid-19 pour protéger les caissiers
élevé et l’instabilité sociale. Mais ils
savent que les anciens moteurs ne
permettent plus d’assurer l’avenir
économique, c’est pourquoi ils en-
couragent l’investissement dans
ces nouveaux secteurs. » Pour fi-
nancer sa politique de relance, le
gouvernement prévoit d’émettre
pour 1 000 milliards de yuans
(128 milliards d’euros) d’obliga-
tions à très long terme en 2024.
Cette approche – une politique
de l’offre – soulève des difficultés.
Elle suscite des tensions avec le
monde extérieur : même si Pékin
reconnaît l’existence de surcapa-
cités, son discours incite les gou-
vernements locaux à en faire tou-
jours plus pour ces industries,
promettant à la Chine des conflits
commerciaux exacerbés avec les
autres grandes économies.
Cette politique implique que les
consommateurs chinois suivent,
pour acheter ces nouveaux pro-
Le pays
a également
un peu assoupli
sa politique
d’immigration
des contaminations. A l’avenir, un
salarié âgé ou handicapé pourrait
contrôler trois ou quatre avatars,
ce qui permettrait à l’enseigne de
renforcer ses équipes de nuit et sa
présence dans les zones rurales.
Le développement des systèmes
robotisés et de l’intelligence arti-
ficielle (IA) progresse également
dans les transports, avec des ma-
chines facilitant le déchargement
des camions. De quoi économiser
25 % du temps de travail des
chauffeurs. L’agriculture, dont
43 % des 1,23 million de tra-
vailleurs ont plus de 75 ans, et qui
n’assure que 37 % de l’autosuffi-
sance alimentaire nationale, s’y
convertit également.
Yuichiro Asai, 43 ans, a créé la
coentreprise AgriD avec le géant
des pièces détachées Denso pour
la mise au point de robots pou-
vant récolter des tomates dans un
duits et services. Or, il y a eu la fer-
meture des années de crise liée au
Covid-19, puis le choc immobilier
– 70 % de la richesse des foyers
chinois est placée dans le secteur
du logement dans un pays où la
bourse est vue comme incertaine
et où il est difficile de sortir des
fonds pour investir à l’étranger –
et l’ambiance politique qui est au
resserrement a un impact. Résul-
tat, la confiance des consomma-
teurs n’est pas au rendez-vous.
Les Chinois se demandent si de-
main sera meilleur qu’hier. Il faut
les aider à davantage consommer.
Pour ce faire, le gouvernement
central a présenté le 13 mars un
plan de remplacement de vieux
produits par du neuf, qu’il s’agisse
de machines industrielles, d’auto-
mobiles ou d’électroménager. Il
veut doubler le taux de remplace-
ment des véhicules anciens d’ici à
2027 par rapport à 2023 et aug-
site de production de 4,7 hectares
à Tsu, dans le centre du pays. Cha-
que robot peut cueillir les légu-
mes, en transporter 350 kg, les pe-
ser et les apporter au point d’ex-
pédition. « Il est possible d’accroî-
tre la productivité, en concentrant
les terres agricoles et en utilisant la
technologie », veut croire M. Asai.
Le développement de robots
destinés aux secteurs de la cons-
truction ou de la santé s’intensifie
aussi, tout comme pour ceux des-
tinés à la vie quotidienne. « Grâce
aux LLM [pour Large Language
Models, une IA capable de recon-
naître et d’interpréter le langage
humain], nous assistons à une
percée dans le domaine de la robo-
tique », remarque Toru Isobe, PDG
de la start-up Preferred Robotics.
Au Consumer Electronics Show, le
grand salon high-tech qui s’est
tenu à Las Vegas (Etats-Unis) du
9 au 12 janvier, l’entreprise a pré-
senté le robot Kachaka, qui per-
mettra de réduire les tâches du
quotidien à la maison.
Dans l’industrie, la tendance est
aux « cobots », les robots collabo-
ratifs. Les progrès de l’IA permet-
tent de créer des machines capa-
bles d’effectuer des opérations de
plus en plus complexes. Le géant
0123
MARDI 19 MARS 2024
menter de 30 % celui des appareils
électriques domestiques. Les sec-
teurs de l’industrie lourde, de la
construction, de l’agriculture, des
transports, de l’éducation et de la
santé sont invités à augmenter
leurs dépenses d’investissement
de 25 %. Le programme bénéficiera
du soutien budgétaire de l’Etat et
d’incitations fiscales, dont les dé-
tails n’ont pas encore été précisés.
Les dirigeants espèrent que le
coup de pouce sera suffisant pour
instiller le désir de consommer.
Les statistiques montrent que si la
production industrielle a bien ac-
céléré en janvier et février, à + 7 %
par rapport à la même période
en 2023, les ventes de détail sui-
vent pour l’heure un peu moins, à
+ 5,5 %. Les mois à venir montre-
ront si Pékin parvient à décréter
d’en haut la société de consomma-
tion et le retour de l’optimisme. p
harold thibault
mondial de l’électronique Omron,
né au Japon en 1933, a mis au point
une plate-forme pouvant être
adaptée aux besoins des PME
(99,7 % des entreprises japonai-
ses) et les aider à « être compétiti-
ves à l’échelle mondiale ». L’un des
premiers clients pour cette tech-
nologie est le petit fabricant de
moules en métal, Arikawa Works.
Omron a réuni plusieurs géants
de la robotique et des systèmes
automatisés, comme Fanuc ou
Panasonic, au sein d’un partena-
riat pour l’innovation collabora-
tive pour les robots industriels. Le
projet devrait permettre de ré-
duire de 60 % les investissements
nécessaires à la robotisation d’un
site de production. Pour autant,
toutes les entreprises, en particu-
lier les plus petites, ne sont pas
prêtes à sauter le pas. Beaucoup
estiment qu’à court terme conti-
nuer à embaucher des humains
reste moins onéreux. « Le déve-
loppement des robots doit désor-
mais passer par une plus grande
coopération avec les utilisateurs »,
résume Atsuo Takanishi, profes-
seur de robotique à l’université
Waseda, à Tokyo, jugeant que cela
favorisera leur acceptation. p
philippe mesmer
0123
MARDI 19 MARS 2024 sports | 21

« L’agressivité du
gouvernement russe
contre le CIO, les Jeux
et moi grandit »
« Le Monde » a rencontré l’Allemand Thomas
Bach, le président du mouvement olympique

ENTRETIEN réunion de la commission exécu-

tive du CIO. Nous avons plusieurs
tes ne peuvent être tenus pour res-
ponsables des actes de leur gou-
lausanne (suisse) -
envoyés spéciaux
décisions à prendre sur la partici- vernement. S’ils soutiennent ces
pation ou non des athlètes indivi- actes, ils sont sanctionnés. Mais si

L
a commission exécutive duels neutres aux cérémonies, et ce n’est pas le cas, ils doivent avoir
du Comité international sur la structure qui sera chargée les mêmes droits que les autres.
olympique (CIO) se réunit de leur contrôle.
mardi 19 et mercredi Pensez-vous que certains
20 mars, à Lausanne (Suisse), où Le ministre des sports russe athlètes russes puissent réelle-
sera débattue la question de la a affirmé que les athlètes de son ment dire « je suis en désaccord
participation des athlètes russes pays « devaient » participer aux avec mon gouvernement
et biélorusses aux cérémonies JO, mais Vladimir Poutine laisse, et je veux participer aux JO » ?
des Jeux olympiques de Paris lui, planer le doute. Avez-vous, Regardez ce qu’il se passe à Ro-
2024. Dans un entretien au avec le Comité olympique russe land-Garros. Les Russes étaient
Monde, Thomas Bach, le prési- ou avec le Kremlin, des échanges présents ces dernières années. Ils
dent du CIO, évoque notamment qui vous donnent des garanties y seront encore quelques semai-
ce sujet, quelques mois après les sur la présence de sportifs russes nes avant les Jeux, sur le site où
attaques de Vladimir Poutine, qui aux Jeux de Paris ? auront lieu les épreuves de tennis.
a déclaré, en octobre 2023, que Il n’y a aucun échange avec les On voit des sportifs russes partici-
l’attitude du CIO envers les athlè- membres du Comité olympique per à de nombreuses compéti-
tes de son pays relève de la « discri- russe, ils sont suspendus. Les ath- tions internationales où le statut
mination ethnique ». lètes seront invités individuelle- d’athlète individuel neutre est ap-
ment par le CIO, en coordination pliqué. Quelques-uns refusent de
A quatre mois de l’ouverture des avec les fédérations internationa- participer dans ces conditions, ça
Jeux de Paris 2024, le travail du les. Avec le Kremlin, il n’y a pas les regarde. Mais j’ai entendu [le
comité d’organisation français d’échange non plus, depuis plu- tennisman russe] Daniil Medve-
vous rend-il confiant ? sieurs années, compte tenu de ce dev dire qu’il serait ravi de venir
Je suis plus que confiant. Je pense qui s’est passé précédemment. aux JO, que c’est l’une des meilleu-
que les choses ont été très bien an- Concernant leur participation, res expériences qu’il ait vécu dans
ticipées. La récente visite de la nous avons entendu le signal, sa carrière. Pourquoi pourriez-
commission de coordination du plutôt poli [du ministre des sports vous jouer à Roland-Garros et,
CIO, et les rapports que j’ai reçus, russe]. Mais d’autre part, nous quatre semaines plus tard, sur le
sont très positifs. Nous vivons voyons aussi les commentaires, même court, on vous dirait « vous
dans un monde d’agression, de formulés sur un ton très agressif, n’êtes pas le bienvenu » ou l’inté-
haine et de confrontation. Dans le du gouvernement. Le CIO ne fait ressé dirait « je ne viens pas » ?
cœur des gens, dans toutes les con- pas de commentaire, mais nous Cela n’aurait aucun sens.
versations – que vous parliez à un constatons que l’agressivité du A Lausanne (Suisse), jeudi 14 mars. CLARA WATT POUR « LE MONDE »
chef d’Etat, à quelqu’un dans la rue gouvernement grandit de jour en L’actualité internationale
ou à un ami –, on sent que chacun jour, contre le CIO, contre les est marquée par le conflit
est à la recherche de quelque chose Jeux, contre moi… entre le Hamas et Israël, à Gaza. violation. Par ailleurs, dans le inciter à vous représenter. Seriez-
de positif, d’un signe d’espoir, qui En France, certains responsables monde olympique, nous avons
« Les comités vous prêt à amender la Charte
peut se cristalliser sur les Jeux. En quels termes ? politiques ont demandé que depuis trente ans ce que le olympiques olympique pour permettre
Cela va de « fasciste » à « destruc- les athlètes israéliens participent monde politique appelle une so- cette candidature ?
Les autorités françaises viennent teur des Jeux et du mouvement aux Jeux sous statut neutre. lution à deux Etats : nous avons
d’Israël et Sur un plan personnel, je pré-
de réduire à 326 000 le nombre olympique ». Et tout cela vient Quelle est votre position un Comité national olympique de Palestine fère me trouver dans cette situa-
de spectateurs qui pourront d’officiels russes. Je ne sais pas si sur ce sujet ? d’Israël et un Comité national tion plutôt que de savoir que tout
assister à la cérémonie cela vient de Vladimir Poutine lui- Les choses sont très claires. olympique de Palestine. Ces
coexistent le monde attend que le vieux
d’ouverture, le 26 juillet. même, je ne regarde pas Telegram Contrairement au Comité olym- deux comités olympiques natio- pacifiquement monsieur tire sa révérence ! Tout
S’agit-il d’une sage décision ? tous les jours, je ne suis pas maso- pique russe, le Comité olympi- naux coexistent pacifiquement au long de ma présidence, l’un de
Oui, tout à fait. Sur ce point, nous chiste à ce point, mais les attaques que israélien n’a pas violé la depuis trente ans. Et aucun d’en-
depuis mes principes a toujours été de
dépendons des autorités françai- viennent de tous les niveaux… Charte olympique. Le Comité tre eux n’a demandé de sanction trente ans » respecter mes collègues mem-
ses chargées de la sécurité, et j’ai olympique russe veut exercer contre l’autre. bres du CIO. Avant de prendre une
toute confiance en elles. Là encore, Considérez-vous qu’un boycott son autorité sur les régions an- telle décision, il faudrait que j’en
les rapports réguliers du comité des Russes serait une bonne nexées par le gouvernement Donc vous êtes certain olympique, qui établit qu’il faut discute personnellement avec
d’organisation sont très détaillés nouvelle, que cela vous russe. C’est une violation de l’in- qu’il y aura une délégation au moins six athlètes par comité chacun d’entre eux. Je suis très
et rassurants. Et l’ambiance de la faciliterait la tâche ? tégrité territoriale et du Comité palestinienne aux Jeux de Paris ? national olympique. respectueux de la Charte olympi-
cérémonie d’ouverture le long de Un boycott n’est jamais une national olympique d’Ukraine. Oui. Nous sommes en contact que. Et je suis aussi très respec-
la Seine ne sera pas déterminée bonne chose. Notre position et Ils disent que les athlètes des ré- avec les comités nationaux olym- La notion de trêve olympique tueux de mes collègues qui, d’une
par le nombre de spectateurs. nos principes à cet égard sont très gions de Louhansk ou de Do- piques israélien et palestinien de- a-t-elle encore un sens manière démocratique, ont pris
clairs. Nous sommes intransi- netsk doivent être des athlètes puis le premier jour du conflit. La aujourd’hui ou ne s’agit-il plus position en faveur d’une modifi-
Le Comité international geants quand il s’agit de punir russes. C’est une violation fla- situation est tragique, mais tous que d’un vœu pieux ? cation de la Charte.
paralympique a décidé que ceux qui ont violé la Charte olym- grante de la Charte. Le Comité les deux nous ont dit qu’ils veu- Nous aimerions qu’une trêve
les athlètes russes et biélorusses pique. Mais je suis tout aussi in- olympique russe a avancé cet ar- lent être à Paris. Le sport doit être s’installe. Mais nous devons être Si ce n’est pas vous le prochain
ne seraient pas présents à la transigeant pour protéger ceux gument : « Vous ne sanctionnez une source de paix et de réconci- réalistes. Le mouvement olympi- président du CIO, pourrait-il
cérémonie d’ouverture des Jeux qui n’ont pas violé la Charte. C’est pas les Israéliens donc vous ne liation. Si les athlètes palestiniens que n’est pas en situation de s’agir d’une personnalité issue
paralympiques. Pourriez-vous un engagement en faveur des pouvez pas non plus nous sanc- ne sont pas assez nombreux à se prendre des décisions sur la d’un pays non démocratique ?
prendre la même décision ? droits de l’homme et pour défen- tionner. » Mais les deux cas ne qualifier, nous les inviterons. guerre ou la paix. Il existe un Il faudrait déjà me donner la dé-
Nous allons débattre de cela les dre le principe qu’il ne peut y avoir peuvent pas être comparés. Dans Nous pourrons nous appuyer sur grand malentendu à propos de la finition d’un pays non démocrati-
19 et 20 mars, lors de la prochaine de culpabilité collective. Les athlè- celui d’Israël, il n’y a pas eu de notre programme de solidarité relation du CIO avec la politique. que. En tout état de cause, per-
Pour la millionième fois, il faut sonne ne doit être désavantagé à
répéter que nous ne sommes pas cause de son passeport, comme
« La baignade dans la Seine serait un héritage énorme » une organisation politique et
pour rester fidèles à nos valeurs
pour les athlètes. Le rôle des
membres du CIO est de choisir la
et pour survivre, nous devons meilleure personne pour diriger
En France, le prix élevé des billets pour Ce serait un énorme héritage qu’après, je également à un endroit très symbolique qui être politiquement neutres. cette organisation, sans tenir
la cérémonie d’ouverture ou de certai- dirais deux cents ans, la Seine soit de nou- convient parfaitement. compte de son passeport.
nes épreuves fait l’objet de nombreuses veau ouverte à la baignade. Je suis en train Craignez-vous que ces conflits
critiques. Les Jeux sont-ils réservés d’organiser mon planning et j’ai insisté Sur la tour Eiffel ? internationaux s’exportent Comment définiriez-vous
à un public de privilégiés ? pour être au départ du triathlon masculin, Vous pouvez toujours essayer de me faire pendant les Jeux, comme lors les qualités d’un bon candidat
Ce n’est absolument pas le cas. Si vous com- car ce sera la première épreuve de natation parler… La vasque va s’intégrer parfaite- des Mondiaux d’escrime 2023, à la présidence du CIO ?
parez les prix pratiqués cet été à Paris avec dans la Seine, un moment important. J’ai ment dans le concept artistique de la céré- lorsque l’Ukrainienne Olga Le président du CIO doit être
ceux de Londres, en 2012, vous avez les mê- discuté avec le maire de L’Ile-Saint-Denis monie d’ouverture des Jeux, qui mêlera la Kharlan avait refusé de saluer prêt à écouter, à faire preuve de
mes prix moyens. Et si vous tenez compte (Seine-Saint-Denis) [Mohamed Gnabaly], et tradition, la culture, l’histoire de France et la Russe Anna Smirnova ? respect et, bien entendu, à porter
de l’inflation, le prix moyen des billets est il m’a dit ce que représentait pour sa com- l’innovation. On ne peut pas l’exclure, mais j’ai haut les valeurs de l’olympisme. Il
moins élevé à Paris. Un million de billets à mune la possibilité d’ouvrir les quais de vraiment une grande confiance doit respecter le fait que, dans cer-
moins de 24 euros ont été mis en vente, la Seine au public. Il devrait y avoir plus de 200 Une polémique chasse l’autre en France dans les sportifs. Une fois qu’ils taines cultures, puissent exister
moitié est à moins de 50 euros, et 90 % à petites plages ou aires d’activités le long du à propos des Jeux. Vous arrive-t-il sont au village olympique, ils réali- des interprétations et des maniè-
moins de 200 euros… Honnêtement, les JO fleuve. Et ça, c’est quelque chose ! de regretter d’avoir choisi un tel pays sent qu’ils font partie de quelque res différentes de porter ces va-
ne sont pas réservés à un public de privilé- de râleurs pour accueillir les JO 2024 ? chose de plus grand et que les Jeux leurs. Et il doit être passionné par
giés. Et si vous voulez équilibrer votre bud- A Paris, pour la première fois, la vasque Nous connaissions l’amour des Français sont là pour unifier plutôt que le sport et par ses valeurs. Un
get, vous ne pouvez pas offrir des entrées accueillant la flamme olympique pour les discussions et les controverses. pour exprimer une opinion. sportif doit être guidé par sa pas-
gratuites. ne devrait pas se trouver dans un stade, Mais nous connaissons aussi leur passion sion, le président du CIO aussi. p
cela vous convient-il ? pour le sport une fois que les compétitions Votre deuxième mandat à la tête propos recueillis par
Pensez-vous que nager dans la Seine res- Oui. Nous avons discuté de cela. Vous ver- commencent. p du CIO prendra fin en 2025, éric collier
tera comme un héritage des Jeux à Paris ? rez où se trouvera la vasque, elle se situera propos recueillis par e.c. et g. ri. et des voix s’élèvent pour vous et gabriel richalot
22 | bonnes feuilles
Martin Untersinger, journaliste au service Pixels du « Monde », publie, le 20 mars, chez Grasset,
« Espionner, mentir, détruire. Comment le cyberespace est devenu un champ de bataille ».
Il y raconte la guerre constante que se livrent les grandes puissances dans l’univers numérique
Comment la France a découvert
une cyberattaque de haute
volée et a démasqué la Russie
C
e 14 décembre 2022, [Guillaume Poupard] est
las. Les traits tirés derrière son costume gris,
il est auditionné par les députés pour la der-
nière fois. Dans deux jours, il quittera ses
fonctions de directeur de l’Anssi [l’Agence na-
tionale de sécurité des systèmes d’informa-
tion, organisme chargé de la protection nu-
mérique de l’Etat]. Mais il a un ultime mes-
sage à faire passer. Un refrain qu’il a souvent
entonné mais qui n’imprime pas. Ou pas as-
sez. Alors, il se lance dans une longue tirade.
« Il y a une menace dont on parle très peu
car elle est très dérangeante. C’est celle de l’es-
pionnage. Les victimes n’ont pas envie d’en
parler, les attaquants encore moins. On est
condamnés à dire que c’est très grave sans
pouvoir donner beaucoup de détails, mais sa-
chez que la pression qui est mise sur notre éco-
nomie, sur nos institutions et sur nos adminis-
trations est absolument colossale. Face à
nous, on a affaire à des Etats qui ont bien
compris que l’information se trouvait au fin
fond des systèmes informatiques et que la
manière la plus rapide et la moins risquée d’al-
ler chercher l’infor-
mation la plus sensi-
ble, c’était l’attaque
informatique. Je suis
incapable de vous
« LES ESPIONS faire un bilan des
SONT DE PLUS EN conséquences de cet
espionnage. En met-
PLUS NOMBREUX, tant bout à bout ce
que j’ai eu à connaî-
INFINIMENT tre, ça donne froid
dans le dos. En ter-
TALENTUEUX, mes d’impact écono-
REPOUSSANT mique, mais aussi en
termes d’impact sur
LES LIMITES DE CE notre sécurité natio-
nale. Nos adversaires
QUE L’ON PENSAIT savent où il faut atta-
POSSIBLE » quer. Cet espionnage
est massif, il nous
coûte très cher et il
nous met probable-
ment en danger. »
En quelques phrases, Guillaume Poupard a
décrit les caractéristiques de l’espionnage in-
formatique contemporain : omniprésent,
ultra-sophistiqué, inlassable et extraordinai-
rement difficile à repérer. A l’époque [des pi-
ratages] de Bercy, d’Areva ou de Safran, les
Chinois ne se cachaient pas. Ils n’en avaient
pas besoin, tant les défenses étaient abais-
sées. Désormais, c’est une autre histoire. Les
espions sont de plus en plus nombreux, infi-
niment talentueux, repoussant les limites
de ce que l’on pensait possible.
Les Etats-Unis, la Russie et surtout la Chine :
ces trois pays font partie des principales me-
naces en termes d’espionnage. Les pirates y
sont directement liés à leurs services de ren-
seignement ou à des unités de leur armée.
Des codeurs de génie, des ingénieurs de
pointe, mais aussi, pour certains d’entre eux,
des maîtres d’échecs, de grands stratèges qui,
méthodiques, déploient des trésors d’ingé-
niosité pour ne pas se faire détecter, passent
des mois à planifier leur attaque et, une fois
dans les réseaux, se déplacent sans un bruit.
Leurs outils sont sans cesse perfectionnés,
leurs ressources a priori sans limites.
Les agents de l’Etat français passent le plus
clair de leur temps à lutter contre ce type
d’espions. Une bataille silencieuse. Parce
qu’elle est secrète, mais aussi parce qu’elle se
mène contre des ombres, dans le brouillard,
où les certitudes sont temporaires et les ap-
parences toujours trompeuses.
Une histoire récente, qui n’a jusqu’ici ja-
mais été racontée (et pour cause, elle est pro-
tégée par le secret de la défense nationale),
montre combien l’espionnage contempo-
rain mené contre la France est sophistiqué et
à quel point il est difficile de savoir qui en est
réellement responsable.
En 2016, la période de Noël s’annonçait pai-
sible et sans histoire pour l’Anssi. Mais un ba-
nal câble branché là où il n’aurait pas dû
l’être a fait passer à une partie des agents de
bien mauvaises fêtes de fin d’année.
Vingt-quatre heures par jour, sept jours
par semaine et trois cent soixante-cinq
jours par an, l’Anssi inspecte les réseaux de
l’Etat au moyen de sondes. Elle scanne en
permanence le flux des données, à la re-
cherche d’une anomalie, d’un bout de code
suspect, d’une adresse IP défavorablement
connue de ses services. Evidemment, les
propres réseaux de l’agence et ceux de son
organisme de tutelle (le SGDSN, secrétariat
général de la défense et de la sécurité natio-
nale), étroitement mêlés, n’échappent pas à
cette vigilance.
En décembre 2016, des techniciens s’affai-
rent : ils ont été chargés d’une banale opéra-
tion de maintenance sur un routeur, un des
appareils faisant l’interface entre le réseau
du SGDSN et Internet. C’est par ce point que
passent toutes les données en provenance
ou à destination des postes de travail du
SGDSN et de l’Anssi (e-mail, navigation Web,
envoi de documents…). Ces routeurs occu-
pent une place particulière puisqu’ils sont à
la fois à l’intérieur et à l’extérieur du réseau
de l’Etat, à la manière du pont-levis d’un châ-
teau fortifié : d’un côté, vous êtes dans le pé-
rimètre numérique du SGDSN ; de l’autre,
vous êtes sur Internet. Ces routeurs compor-
tent donc une zone, considérée comme à
l’extérieur du réseau, qui n’est pas surveillée.
Lors de leur opération de maintenance, les
techniciens font une erreur de manipula-
tion. Rien de grave : ils branchent une sonde
du mauvais côté du routeur, là où ils ne sont
pas censés regarder. Certaines données qui
passaient auparavant sous le radar remon-
tent désormais automatiquement à l’Anssi
pour analyse.
L’opération terminée, il ne faut pas très
longtemps pour que les capteurs de l’agence
réagissent. Une anomalie a été détectée. Les
routeurs, de la marque américaine Cisco,
sont passés à la loupe. Les agents de l’Anssi y
découvrent des « implants », des petits pro-
grammes espions conçus pour examiner
précisément le trafic entrant et sortant du ré-
seau de l’Anssi et du SGDSN.
Les agents se mettent immédiatement à la
recherche d’autres victimes au sein de l’Etat.
L’enquête est longue, ingrate. Elle est aussi
très sensible : seule une poignée d’analystes
et de cadres sont mis dans la boucle. Il faut
vérifier chaque routeur pour y détecter la
présence, ou non, de ces implants. L’enquête
dure plusieurs mois.
Les analystes comprennent que ces mou-
chards ont été insérés dans les routeurs Cisco
par le biais d’un défaut dans le protocole
SNMP – un des « langages » qu’on utilise pour
communiquer avec eux. Le fabricant améri-
cain est-il complice ? Après analyse, il est mis
hors de cause : les échanges avec lui sont flui-
des et l’imperfection est rapidement corri-
gée. Pour les experts de l’Etat, cela confirme
en tout cas le danger de ce type de dispositifs
– très exposés et, pour certains, bourrés de
failles car très mal codés. Discrètement, la sé-
curité des ambassades françaises à l’étranger
est renforcée. Elles sont particulièrement
vulnérables à ce type de matériel puisqu’elles
sont branchées à un réseau Internet dans un
pays étranger, qui a toute latitude pour agir
et disposer des moyens d’écoute.
Certes, les analystes déterminent rapide-
ment que le réseau classifié n’a pas été com-
promis. Mais en se plongeant dans le code
de ces implants, ils découvrent que les atta-
quants cherchaient spécifiquement à capter
des e-mails reçus et envoyés par les agents
de l’Anssi et du SGDSN, et notamment leurs
pièces jointes. Les pirates ont visé le cœur ré-
galien et secret de l’Etat : l’Anssi, responsable
numéro un de la protection numérique de la
France, qui ferraille avec tout ce que le cybe-
respace compte d’espions de haut vol, et le
SGDSN, un composant majeur de la défense
nationale, chargé de sujets ultrasensibles
comme les exportations d’armement, la
gestion des crises ou la préparation des con-
seils de défense.
Les analystes parviennent à mettre la
main sur les mots-clés qui intéressaient les
pirates : ils cherchaient des informations
liées aux relations de ces deux institutions
avec les industriels, aux échanges franco-
allemands et plus largement aux questions
européennes. Des intérêts très génériques,
qui ne donnent guère d’indications sur
l’identité des pirates. Du côté du code, les
analystes de l’Etat repèrent des points com-
muns avec des attaques découvertes les an-
nées précédentes.
Alors la France se tourne vers ses alliés, et
notamment le GCHQ britannique, avec qui
les relations sont encore bonnes, malgré le
Brexit. Les discussions sont productives et
l’enquête progresse. Les Britanniques finis-
sent par faire comprendre à leurs homolo-
gues français qu’ils ne pourront pas les
aider davantage et leur suggèrent de met-
tre les Etats-Unis dans la boucle. Les Fran-
çais commencent à craindre qu’il y ait an-
guille sous roche, et que l’anguille ait l’ac-
cent du Midwest.
Ils exposent donc la situation aux Améri-
cains. La réponse qui leur est faite est ambi-
guë, dans cette langue pleine de sous-enten-
dus et de faux-semblants, prudente et mesu-
rée, que manient les espions. En substance,
les Etats-Unis font comprendre à l’Anssi
qu’ils voient de quoi il est question, qu’il
s’agit d’un coup venant d’Ukraine – une in-
formation corroborée par la France – et
qu’ils vont s’en occuper.
Deux thèses s’affrontent alors au sein de
l’Etat français, sans qu’aucune ait été officiel-
lement adoptée, faute de renseignement
concluant. Elles confirment, pour les agents
de l’Etat, que l’Ukraine est, en matière cyber,
la chasse gardée des Etats-Unis. Certains esti-
ment que le SBU, le service de renseigne-
ment ukrainien, a servi de « proxy » aux
Américains. Ces derniers ayant été échaudés
par la détection de certaines de leurs opéra-
tions d’espionnage par les services hexago-
naux, ils ont pris la précaution de passer par
un allié pour surveiller la France, de quoi
ajouter une possibilité de nier toute implica-
tion. Une deuxième thèse circule au sein de
l’Etat. D’autres analystes pensent en effet que
le SBU, notoirement corrompu, a pu être
noyauté par les services russes et que les
Etats-Unis, alertés par la France, sont allés
faire un peu de ménage. C’est une troisième
hypothèse qui l’a finalement emporté et a
été validée au plus haut sommet de l’Etat : ce
sont bien les services russes, appuyés par un
intermédiaire ukrainien issu de la pègre et
non des services, qui sont derrière cette atta-
que. Sollicités, ni le gouvernement américain
ni les services ukrainiens n’ont donné suite.
Cette affaire montre que lorsque la France
prend un coup, percer l’épais brouillard du
cyberespace est un immense défi.
0123
MARDI 19 MARS 2024
ESPIONNER, MENTIR,
DÉTRUIRE. COMMENT
LE CYBERESPACE
EST DEVENU UN CHAMP
DE BATAILLE
de Martin Untersinger.
Grasset, 336 p., 24 €
Des trois superpuissances de l’espion-
nage, les Etats-Unis sont sans doute les plus
doués et les plus sophistiqués. (…) Les docu-
ments récupérés par Edward Snowden et
publiés en 2013 vont permettre au monde
de le constater. Ils lèvent notamment le
voile sur une unité au sein de la NSA, le ser-
vice américain de renseignement électroni-
que. (…) Cette unité, dont le nom est devenu
« Computer Network Operations » (« opéra-
tions de réseaux informatiques »), c’est le
lieu où rêvent d’être tous les brillants
informaticiens américains. C’est là qu’est
l’adrénaline, c’est là qu’on fait ce qui,
ailleurs, nous enverrait directement en pri-
son, c’est là qu’est le pouvoir. C’est de là que
proviennent les informations les plus uti-
les, les plus urgentes, celles qui arrivent en
quelques minutes directement sur le bu-
reau du président, dans le bureau Ovale.
En 1997, lorsque l’unité voit le jour, ils ne
sont qu’une poignée. Au fur et à mesure que
le monde se numérise, leur terrain de jeu
s’agrandit et leurs rangs se garnissent.
En 2007, ils sont plus de 600. Ils ont essaimé
dans diverses antennes de la NSA, au Texas,
en Géorgie ou à Hawaï. En 2013, [cette unité]
est à l’intérieur de 50 000 machines, invisi-
ble et prête à agir.
(…) Aujourd’hui, la Chine est [également]
devenue une superpuissance en matière
d’espionnage et la principale menace en la
matière. Aux attaques un brin tapageuses et
peu discrètes ont succédé les offensives furti-
ves et difficiles à attribuer. Selon plusieurs
sources, Pékin soumet la France à un déluge
constant d’opérations d’espionnage visant
ses administrations et ses industries les plus
sensibles. Les autorités restent silencieuses à
ce sujet par crainte des mesures de rétorsion
économique chinoises, et Guillaume Pou-
pard se désole d’être « condamné à faire des
allusions ». Pourtant, entre les lignes, on de-
vine la lutte que mènent ses agents :
en 2021 et 2022, ils ont organisé 36 opéra-
tions suite à des attaques de grande ampleur.
Dans la moitié des cas, c’était face à des pira-
tes chinois. (…) « Les Chinois sont quasiment
aussi forts que les Américains, sauf qu’ils sont
cinq fois plus nombreux », m’explique un ex-
pert chargé de traquer les cybertroupes de
Pékin au sein de l’Etat.
Une source étatique française bien infor-
mée les estime à près de 100 000. A titre de
comparaison, les cybercombattants du mi-
nistère de la défense sont environ 3 000 et
les agents de l’Anssi, dont la mission est de
les repousser, 700.
(…) « Eux, j’ai passé des années à les traquer,
mais malgré cela, ils ont toujours gardé une
longueur d’avance. » Celui qui parle est un vé-
téran français des escarmouches numéri-
ques. « Eux », c’est APT29, un des plus redou-
tables groupes de cyberespions russes, pro-
bablement issus des rangs du SVR, le service
de renseignement extérieur.
Cet ancien des services les a trouvés un peu
partout : dans des start-up de pointe, des
grandes entreprises, des réseaux diplomati-
ques. Souvent, il faut chercher longtemps et
avec insistance pour distinguer des traces de
leur passage. Et celles-ci restent largement
insuffisantes pour savoir comment ils sont
entrés, et ce qu’ils ont pris.
(…) D’autres groupes de pirates russes sont
capables de prouesses. C’est le cas de celui
que l’industrie nomme « Turla », une unité
du FSB, un autre service de sécurité russe,
successeur du KGB. « Eux, ils vont au con-
tact », me dit un expert français qui les a af-
frontés. La preuve ? Les contre-espions fran-
çais ont découvert que les ordinateurs per-
sonnels des vigiles de certaines ambassades
avaient été infectés par des logiciels mal-
veillants transmis via le Wi-Fi. Comment ? En
plaçant des Raspberry Pis, des petits objets
connectés, directement dans les faux pla-
fonds des ambassades. Au nez et à la barbe
des autorités françaises. p
martin untersinger

0123
MARDI 19 MARS 2024
Nina Meurisse, l’hyper-actrice
La comédienne incarne une communicante de crise dans « La Fièvre », créée par Eric Benzekri pour Canal+
RENCONTRE
A
vant de connaître son
nom, vous aviez sûre-
ment déjà croisé le vi-
sage rond et les yeux
doux de celle qui interprète Sam
Berger, la communicante HPI et
très angoissée de La Fièvre. La pre-
mière fois, c’était en 2000, dans le
film Saint-Cyr, sous la direction de
Patricia Mazuy. Partie pour faire de
la figuration, la gamine était reve-
nue du casting avec un rôle princi-
pal. Une vingtaine d’années et une
kyrielle de courts-métrages plus
tard, Nina Meurisse, entre-temps
formée au Studio-théâtre d’Asniè-
res (Hauts-de-Seine), réapparaît en
grand dans Camille (2019), le film
de Boris Lojkine dans lequel elle
incarne la jeune photojournaliste
Camille Lepage, tuée en Républi-
que centrafricaine en 2014. Elle
y révèle sa présence terrienne et
son tempérament franc du collier,
à l’opposé du stéréotype de la
jeune actrice française un poil
éthérée. Depuis, la jeune femme
de 35 ans ne s’arrête plus.
C’est elle la colonne vertébrale
de La Fièvre, série incandescente,
signée Canal+, sur les fractures
identitaires et politiques de la so-
ciété française. La comédienne
s’est saisie sans trembler des kilo-
mètres de dialogues qu’Eric Ben-
zekri (qui fut le créateur de la série
de Canal+ Baron noir) a écrits
pour son personnage – un défi
pour son tempérament de grosse
bosseuse, qui a gardé de ses an-
nées en classe musique le goût
du déchiffrage et des répétitions.
Sens du collectif
« L’apprentissage du texte était pri-
mordial pour moi, car, quand Sam
dit quelque chose, elle est déjà en
train de penser à la phrase d’après,
explique l’actrice dans un café,
près de la gare du Nord, qui lui
permet de relier Paris depuis
la banlieue seine-et-marnaise, où
elle s’est installée. J’adore ce tra-
vail de préparation, mais c’est
dommage car on a de moins en
moins le temps de le faire. »
Pour construire le rôle de Sam,
elle a rencontré des professionnels
de la communication de crise
et découvert le travail « tout en im-
médiateté » des agences. Sur les
conseils du réalisateur Ziad
Doueiri, avec qui elle avait déjà tra-
vaillé sur la série Cœurs noirs, elle
a revu The Social Network (2010),
d’Aaron Sorkin, créateur d’A la
Maison Blanche, dont l’art du walk
and talk irrigue beaucoup le travail
d’Eric Benzekri. Pour éviter que
l’on ne rapproche trop son person-
Une prémonition de la guerre civile sur un coup de tête
La série en six épisodes réalisée par Ziad Doueiri dépeint une société fragmentée où les réseaux sociaux instillent leur venin
SÉRIE
O n peut lire La Fièvre, on
peut voir La Fièvre. Lire
cette série, c’est assimiler
en même temps la masse d’infor-
mations que dispensent Eric
Benzekri, son créateur, et Ziad
Doueiri, son réalisateur, et l’ana-
lyse qu’ils font de la situation
qu’ils dépeignent. A partir d’un
incident – le coup de tête asséné
par une étoile du foot à son en-
traîneur, un soir de remise de tro-
phées –, le duo active une mécani-
que implacable, qui a pour mo-
teur les réseaux sociaux.
En s’écartant du microcosme
politique qu’ils ont peint dans la
série Baron noir (trois saisons dif-
fusées de 2016 à 2020 sur Canal+),
Benzekri et Doueiri s’enfoncent
dans les eaux noires d’une société
fragmentée, dont les maux sont
mis en scène avec l’efficacité
Le footballeur Fodé Thiam (Alassane Diong) et la communicante Sam Berger (Nina Meurisse). RÉMY GRANDROQUES/QUAD + TEN/CANAL+
nage de la Carrie Mathison de Ho-
meland, la comédienne est plutôt
allée regarder du côté de Take Shel-
ter (2011), le beau film fantastico-
paranoïaque de Jeff Nichols. En re-
vanche, elle avoue avoir lâché tout
ce qui relève de la politique pure et
dure. « Je viens d’une famille très
engagée, très, très à gauche, où les
discussions finissent en pugilat. J’ai
toujours voté, j’ai toujours mani-
festé, mais, aujourd’hui, j’agis plu-
tôt à mon niveau, je fais ma part. »
Le sens du collectif fait néan-
moins partie des raisons pour les-
quelles elle fait ce métier. « Je ne
sais pas si je suis une grande ac-
trice, mais je me sens bien dans
un groupe, et j’ai une grosse capa-
cité de travail », assure-t-elle.
D’ailleurs, au fil de la conversation,
reviennent souvent les gens avec
qui elle collabore – les réalisateurs,
mais aussi les chefs opérateurs,
la coach qui l’aide à préparer ses
rôles, les accessoiristes qu’elle ap-
pelle avant de tourner pour caler
qu’on connaît au réalisateur du
film L’Insulte (2017) pendant
qu’une galerie de personnages di-
serts les dissèque.
Si l’on voit La Fièvre, on découvre
un conte de fées (pour mémoire,
les contes de fées sont générale-
ment horrifiques) contemporain
construit autour de l’affronte-
ment entre deux figures fémini-
nes : Sam Berger (Nina Meurisse)
et Marie Kinsky (Ana Girardot),
la vaillante Cendrillon qui tente
de préserver la maison France
du chaos, pendant que sa cruelle
rivale demande sans relâche à son
miroir qui est la plus influente des
influenceuses du royaume.
Cette dissonance entre le pro-
pos et la dramaturgie est souvent
féconde, et les premières heures
de La Fièvre laissent dans un état
de tension – nerveuse et intellec-
tuelle – qui témoigne de l’effica-
cité du procédé. Mais à tout poi-
ces infimes détails qui vont rendre
une scène « plus physique »…
Touche-à-tout des formats – elle
dit aimer la série pour le temps
long des personnages, et le ci-
néma pour sa minutie –, on la voit
aujourd’hui autant dans le ci-
néma indépendant – Petite ma-
man (2021), de Céline Sciamma,
Le Ravissement (2023), d’Iris Kal-
tenbäck – , que dans des produc-
tions plus testostéronées pour la
télévision : dans Cœurs noirs, elle
est une tireuse d’élite, dans B.R.I.,
elle campe la fille très bling-bling
d’un chef de gang gitan.
« Regarder plusieurs vérités »
Malgré son agenda rempli – elle
a trois séries sur le feu, dont les
saisons 2 de Cœurs noirs et de
B.R.I.), Nina Meurisse cultive un
rapport assez détaché à la noto-
riété. « Ça fait des années qu’on me
dit “ça va décoller”… Ce n’est pas
que le succès ne m’intéresse pas,
mais le plaisir et l’exigence passent
Les premières
heures laissent
dans un état
de tension
qui témoigne
de l’efficacité
du procédé
son il faut son antidote, et celui
que prescrivent les derniers épi-
sodes a pour effet secondaire de
défaire en partie le travail accom-
pli en début de saison.
Pour éteindre l’incendie déclen-
ché par le geste de Fodé Thiam
(Alassane Diong), François Ma-
rens (Benjamin Biolay), président
du Racing, le club de cette star de
l’équipe de France, fait appel aux
services d’une agence de commu-
avant tout. Par exemple, j’ai réalisé
un documentaire sur des patients
en psychiatrie, et je l’ai très peu
montré. J’ai surtout eu plaisir à le
faire, je n’ai pas envie de courir
après la reconnaissance. »
En revanche, l’exploration l’inté-
resse. « On me propose beaucoup
de rôles de terre-à-terre de gauche,
qui refuse l’injustice. Je suis ravie,
mais j’adorerais faire autre chose !
Prendre un accent, me transformer
physiquement… Plus jeune, je rê-
vais de tragédie, d’Esther et d’Iphi-
génie. J’adore l’excès, j’y retrouve le
plaisir du déguisement de l’enfant.
Manifesto, c’est mon film de che-
vet », dit-elle de la réalisation de
Julian Rosefeldt (2015), dans le-
quel Cate Blanchett interprète
une douzaine de personnages dif-
férents. Aujourd’hui, elle se ver-
rait bien faire un peu plus de co-
médie, « un truc foutraque, genre
Braqueurs amateurs [Dean Pari-
sot, 2005], Drew Barrymore qui se
prend les pieds dans le tapis… »
nication spécialisée dans la ges-
tion de crise. Sam Berger est l’élé-
ment le plus brillant de cette en-
treprise. Capable de lire l’arbores-
cence des futurs possibles, mais
incapable de se prémunir contre
le tumulte des émotions, elle dis-
cerne tout le parti que son an-
cienne amie Marie Kinsky, deve-
nue l’égérie ironique et sensuelle
de la droite identitaire, peut tirer
de l’incident.
Fiction spéculative
La part de réalisme de cette situa-
tion de départ (rendue encore
plus convaincante par la récente
tempête autour de la chanteuse
Aya Nakamura), s’efface assez vite
au profit d’une fiction spéculative,
aussi détaillée qu’un mode d’em-
ploi : comment rendre imagina-
ble, puis tolérable et, enfin, sou-
haitable ce qui était hier encore
exclu du champ des possibles ? Et
CULTURE
« J’adore l’excès,
j’y retrouve
le plaisir
du déguisement
de l’enfant »
NINA MEURISSE
Entre deux tournages, la jeune
femme a du mal à totalement dé-
crocher. « Ce métier demande
d’être assez actif. Il ne se passe pas
une semaine sans que je fasse quel-
que chose pour mon boulot, je me
cultive beaucoup, je fais de la lec-
ture de scénario pour des amis… »
Récemment, elle a été scotchée
par Le Silence, la pièce muette
mise en scène par Lorraine de Sa-
gazan au Théâtre du Vieux-Co-
lombier, à Paris, justement pour
« l’engagement corporel ». Côté sé-
ries, elle nourrit une éternelle af-
si l’exemple choisi par Benzekri
paraît extravagant, c’est pour
mieux faire voir que notre société
admet aujourd’hui ce qui naguère
était encore considéré comme un
danger mortel. A l’horizon, se pro-
file le spectre de la guerre civile.
Intellectuellement stimulante,
la démonstration se fait tragédie
en s’incarnant. Arrivé à la fin de
la série, on a la sensation que
Nina Meurisse, avec son débit de
stakhanoviste des idées, sa fragi-
lité, et Ana Girardot, qui exacerbe
le narcissisme et la perversité de
son personnage, ont joué tout au
long à deux, alors qu’elles ne sont
jamais – à l’exception d’une sé-
quence paroxystique – ensemble
à l’écran. La force de ce duo ne se
communique pas à toute la popu-
lation de la série. Le groupe de mi-
litants décolonialistes emmenés
par une universitaire pugnace, les
supporters du Racing ressem-
| 23
fection pour The Handmaid’s Tale
et, malgré le manque de temps,
a quand même bingé Polar Park
et D’argent et de sang. Elle sait que
ce n’est pas original, mais elle
reste en boucle sur le film de Jus-
tine Triet, Anatomie d’une chute
(2023) – « j’aime l’idée de regarder
plusieurs vérités ». Après avoir
évoqué Les Herbes sèches (Nuri
Bilge Ceylan, 2023), elle enchaîne
sur Révélations, l’inclassable film
de Michael Mann sur l’industrie
du tabac sorti en 1999, dont elle
apprécie la mise en scène décalée
et très personnelle.
« J’aime quand les temps de repos
ne sont pas trop longs, mais, pour
jouer, il faut aussi vivre à côté.
Alors, c’est ringard, mais je vois les
gens que j’aime, je mène une vie
simple, j’ai acheté un canoé… »
Trois semaines par an, elle coupe
tout, dans un lieu sans Internet, ni
eau ni électricité. « L’entre-deux,
c’est pas trop mon truc. » p
audrey fournier
blent plus à des arguments qu’à
des personnages.
Pour ne pas laisser son public
dans l’état où l’on trouve Sam Ber-
ger au début de La Fièvre (en cure
de repos dans une clinique), Eric
Benzekri a voulu laisser passer
un peu de lumière. Sans indiquer
la voie qu’emprunte cette possi-
bilité de rédemption, elle paraît
fragile et, surtout, peu convain-
cante au regard de l’infernal por-
trait de famille que La Fièvre tire
de notre pays. p
thomas sotinel
La Fièvre, série créée par
Eric Benzekri, réalisée par Ziad
Doueiri (Fr., 2024, 6 × 52 min).
Avec Nina Meurisse,
Ana Girardot, Benjamin Biolay,
Alassane Diong. Deux épisodes
le lundi à 21 heures à partir
du 18 mars sur Canal+.
A la demande sur MyCanal.
24 | culture 0123
MARDI 19 MARS 2024

Max Richter : « L’album

“Autobahn”,
de Kraftwerk, fut
« Je recherche une expérience
extraordinaire
pour moi »
la combinaison comme ce qui se faisait autour de

idéale des sons » moi. Berio m’a demandé de ré-

Le compositeur revient à Paris
pour sa résidence à la Fondation
Louis Vuitton
ENTRETIEN
duire l’expression à l’essentiel. En
m’intéressant aux minimalistes
et aux compositeurs des pays de
l’Est, j’ai découvert une nouvelle
possibilité de langage musical.
Pensez-vous avoir
des « parents » musicaux ?
Pas réellement, mais il y a des
gens qui ont des idées similaires
sur ce que la musique pourrait
être en 2024, qui pourrait se résu-
Double concerto pour violon de
Jean-Sébastien Bach. Pour moi,
mer à une vision sans frontières.

N
é en 1966, à Hamelin, c’était nouveau d’écouter une mu- Vous êtes le compositeur
alors en Allemagne de sique. J’y percevais des mélodies de musique contemporaine
l’Ouest, Max Richter merveilleuses, mais j’avais aussi la le plus « streamé » au monde.
est un des rares com- sensation qu’un principe direc- Qu’est-ce que cela signifie
positeurs d’aujourd’hui à s’être teur existait derrière tout cela. Et pour vous ?
distingué dans tous les genres et à cette idée m’enthousiasmait. Mon travail s’arrête à la fin de la
avoir séduit les publics les plus dif- partition manuscrite. J’y mets
férents. En concert, mais égale- Comment êtes-vous passé toute mon énergie dans la recher-
ment au cinéma, par l’utilisation de l’écoute à la pratique ? che d’une combinaison idéale des
d’une de ses pièces dans la bande- A partir de ce moment-là, j’ai sons. Bien sûr, c’est formidable
son de Shutter Island (2010), de toujours eu de la musique en tête, d’être écouté par de nombreuses
Martin Scorsese, ou par des réali- alors j’ai voulu prendre des cours personnes, puisque la musique est
sations originales, entre autres, de piano. Nos voisins en avaient un moyen de communication et
pour Ad Astra (2019), de James un. Je me rappelle le moment où qu’elle permet de savoir comment
Gray, où il a transformé en sons on m’a présenté cet énorme objet Le 26 janvier 2023. un autre esprit perçoit le monde,
des données recueillies par la en bois, plus grand et plus haut WILLIAM WATERWORTH mais je ne peux pas jouer avec ça.
sonde Voyager aux abords de Nep- que moi, et où on m’a hissé sur le
tune. Considéré comme un musi- siège. J’ai appuyé sur les touches Y a-t-il dans votre musique
cien classique émergé du courant au hasard et j’ai été ébloui. C’était une constante depuis vos
minimaliste, il a obtenu un im- presque trop intense. Ensuite, à l’âge de 13 ans, vous plus tard, j’ai reçu une réponse : schémas et de banques de com- débuts de compositeur ?
mense succès avec son album Re- avez découvert la musique Autobahn, de Kraftwerk. Sans tar- posants qu’on pouvait se procu- Mon opus numéro un est l’al-
composed Vivaldi, retenu en 2018- Vous avez donc voulu prendre du groupe Kraftwerk. der, j’ai pris mon argent de poche rer à bas prix, et j’ai pu avoir un bum Memoryhouse, publié en
2019 pour l’option musique du des cours… Dans quelles circonstances ? et me suis rendu en bus à la ville la synthétiseur, y essayer différen- 2002, où se mêlent des sons trou-
baccalauréat en France. Sa rési- Mon premier professeur sem- Je regardais à la télévision un do- plus proche pour y acheter le dis- tes choses. Ce fut le début de mon vés, des éléments enregistrés
dence à la Fondation Louis Vuit- blait sortir d’un roman de Dic- cumentaire sur la nature dans le- que. Ce fut une expérience extra- intérêt pour la musique électroni- comme les textes, de l’électroni-
ton, à Paris, prendra fin le 22 mars. kens. C’était une femme de la quel était utilisée une musique ordinaire pour moi. Comme une que. La base de mon travail a été que, de la musique instrumentale.
vieille école qui pensait que la qui ne correspondait à rien de ce porte ouverte sur un autre uni- par la suite de faire la synthèse du L’ensemble peut paraître hétéro-
Quel a été votre premier meilleure façon de vous faire pro- que j’avais entendu jusque-là. J’en vers musical. monde de la musique instrumen- gène, mais il y a une raison à cela.
contact avec la musique ? gresser était de vous frapper étais enivré. Je ne voyais pas quel tale, notée sur une partition, et ce- Au-delà des notes se trouve une
Cela remonte à ma prime en- quand vous faisiez une fausse instrument pouvait produire de Celui des synthétiseurs… lui, plus expérimental, associé à histoire qu’on essaie de raconter.
fance, en Allemagne, je devais note. J’ai tenu un petit moment tels sons, alors j’ai écrit une lettre Oui, mais, à l’époque, ils étaient l’électronique. Je pense que là se situe la cons-
avoir un peu moins de 3 ans. Mes puis, découragé, j’ai renoncé, alors à la BBC pour savoir de quoi il trop chers. J’ai donc décidé de tante de ma production.
parents avaient mis un disque du que j’avais une dizaine d’années. s’agissait et, quelques semaines m’en fabriquer un à partir de Vous êtes allemand et britanni-
que, vous avez vécu en Ecosse « Exiles », une des trois œuvres
et en Italie. Les lieux vous jouées à la Fondation Louis
Un alter ego musical de Mark Rothko influencent -ils ?
J’ai étudié à Edimbourg. Il fallait
Vuitton, évoque les migrants et
la notion de voyage, qui sem-
que je m’éloigne de Londres pour ble occuper une place centrale
une soirée consacrée à un concert mo- d’une sorte de duvet duquel émerge une L’édification spectaculaire fait place à la trouver une sorte d’isolement dans votre production…
nographique, deux autres à des « déambu- mélodie au synthétiseur ou au vibraphone. communion intimiste sous l’égide des créatif, puis j’y suis revenu pour Pour quelqu’un qui a beaucoup
lations musicales » dans l’exposition Mark La matière instrumentale s’étoffe peu à peu « déambulations ». Six chanteuses, dans étudier à la Royal Academy. Après déménagé depuis son enfance, la
Rothko, ainsi se décline la résidence de et l’orchestre qui s’apparentait à un frêle es- une salle, s’adonnent à une troublante in- avoir été formé dans de grandes notion de voyage revêt une im-
Max Richter à la Fondation Louis Vuitton, à quif devient un immense paquebot qui fi- cantation tandis que six violoncellistes, institutions, j’ai décidé de me per- portance particulière. Il y a le lieu
Paris. Inaugurée en novembre 2023 puis nit par disparaître derrière les vagues. dans une autre salle, manient l’archet fectionner auprès de Luciano où vous vous trouvez et ceux qui
reproduite à l’identique en janvier, la for- Magnifique. Monumental et minimaliste comme un pinceau. Berio (1925-2003), à Florence. Il sont autour de vous. Se produit
mule connaîtra une ultime application du comme Unity Fields, création inspirée du Ces « offrandes musicales », au sens de m’a beaucoup influencé. Ce que alors une sorte de voyage intérieur
20 au 22 mars. travail de Mark Rothko, où l’expression se Jean-Sébastien Bach, ne nous quittent pas, j’aimais dans sa musique, et que entre ces lieux. Exiles (2021) s’ins-
Trois œuvres, interprétées par l’ensemble concentre sur les variations de texture. car elles sont diffusées simultanément j’aime toujours, relève d’une es- pire du voyage des réfugiés mais
Le Balcon, figurent au programme du con- dans tout l’espace de l’exposition. Loin de thétique très généreuse. Il incar- Infra, mon ballet de 2008, utilise
cert. La première, The Waves. Tuesday « Offrandes musicales » perturber le contact avec les tableaux, elles nait la modernité mais ne mani- aussi des fragments du Voyage
(2017), débute par un extrait de la dernière Après l’entracte est donné Exiles (2015), permettent de ne pas rester à la surface festait aucune hostilité envers le d’hiver, de Schubert… Donc, c’est
lettre adressée par Virginia Woolf à son écho stylisé des pérégrinations des mi- d’une considération visuelle et de se plon- passé. Pour moi, il y avait quelque juste, le voyage, d’un point de vue
mari. A bout de force, l’écrivaine assure grants. Un chef-d’œuvre de gradation infi- ger dans la matière comme dans l’esprit de chose d’aride dans les perspecti- métaphorique, revient souvent
qu’elle ne peut plus ni lire ni écrire. La musi- nitésimale, à l’instar du Boléro, de Ravel, et Mark Rothko, dont Max Richter figure ves modernistes fondées sur la dans mon travail. p
que fait alors ressentir tout ce qui ne saurait d’élévation spirituelle, comparable à la 9e alors un authentique alter ego. p spéculation technique. J’écrivais propos recueillis par
être dit. Les cordes enveloppent le silence Symphonie, de Beethoven. p. gi alors une musique très complexe, pierre gervasoni

Gilles Pécout pressenti pour succéder à Laurence Engel à la BNF

La nomination de l’actuel ambassadeur de France en Autriche doit être entérinée lors du prochain conseil des ministres, mercredi

C’ est avec un gros pince-

ment au cœur que Lau-
rence Engel a annoncé,
dans un courrier à ses équipes,
vendredi 15 mars, son départ, le
6 avril, de la Bibliothèque natio-
nale de France (BNF), qu’elle pré-
side depuis avril 2016 et où elle es-
pérait effectuer un troisième
mandat. D’après les informations
du Monde, Gilles Pécout, l’actuel
ambassadeur de France à Vienne,
qui a la particularité d’être égale-
ment un historien, devrait lui suc-
céder. Sa nomination devrait être
entérinée lors du prochain conseil
des ministres, le 20 mars.
Spécialiste du Risorgimento
(« renaissance » unification ita-
lienne), auquel il a consacré
en 1997 un livre de référence, Nais-
sance de l’Italie contemporaine
1770-1922 (Armand Colin), traduit
en italien, ce Normalien de 62 ans
fut tour à tour recteur de l’acadé-
mie de Nancy-Metz puis de celle
de Paris à partir de 2016. Quatre
ans plus tard, Gilles Pécout est
nommé ambassadeur de France à
Vienne. Un poste particulière-
ment exposé depuis l’invasion,
en 2022, de l’Ukraine par les trou-
pes de Vladimir Poutine, alors que
l’Autriche, dépendante du gaz
russe, s’accroche toujours à une
impossible neutralité.
Quittant les sphères diplomati-
ques, Gilles Pécout prend les rênes
d’une des trois plus prestigieuses
bibliothèques du monde avec la
British Library, à Londres, et celle
du Congrès, à Washington. Soit
une machine de guerre de
2 500 agents, répartis entre le site
Une machine
de guerre
de 2 500 agents,
répartis entre
le site historique
de Richelieu et
celui de Tolbiac
historique de Richelieu, rouvert
après douze ans de travaux
en 2022, et celui de Tolbiac, inau-
guré en 1996. « Une maison de
combat, écrit Laurence Engel dans
le courrier adressé à ses collabora-
teurs. Une maison pour laquelle il
faut combattre. » Le sous-texte est
clair : la BNF est un phare qu’il faut
préserver au moment où le minis-
tère de la culture doit puiser dans
ses crédits de réserve pour com-
penser le coup de rabot de 204 mil-
lions d’euros annoncé par Bercy.
Peu de ressources propres
L’établissement, qui relève du
secteur des industries culturelles,
semble pour le moment épargné.
Mais le président de la Républi-
que a fait savoir qu’il souhaitait
« un nouveau cap et une nouvelle
donne budgétaire », précise
Laurence Engel dans sa missive.
« Il ne faut pas être naïf, confie-t-
elle au Monde. Les établissements
qui ne sont pas touchés par les pre-
mières coupes devraient l’être par
les prochaines. »
Si la BNF est l’établissement cul-
turel le plus doté avec un budget
annuel de 240 millions d’euros,
elle dispose de peu de ressources
propres, ce qui la rend tributaire
des décisions de l’Etat. Pendant
des années, elle a connu une dé-
perdition dramatique de ses effec-
tifs. En 2022, ses tutelles lui avaient
imposé de restreindre la consulta-
tion des ouvrages pour limiter le
coût en magasiniers, suscitant
une grève du personnel et une
fronde des usagers.
Dans une tribune au Monde,
plus de 300 acteurs du monde
culturel et universitaire avaient
alors protesté contre la « dégrada-
tion définitive de la recherche et du
service public ». « J’avais obtenu
l’arrêt de la baisse d’effectifs et la
poursuite de l’activité de dépôt lé-
gal, vitale pour préserver la mé-
moire collective, mais la contre-
partie était la réforme des modali-
tés de consultation », justifie Lau-
rence Engel.
Quelle sera la « contrepartie »
pour préserver le projet de Centre
national de la presse, à Amiens, où
doit être transférée en 2029 sa col-
lection de journaux, soit plus de
270 000 titres conservés depuis le
XVIIe siècle, et pour laquelle la Rue
de Valois doit allouer 5 millions
d’euros cette année ? Réduire le
nombre d’expositions, dont la fré-
quentation est modeste − 30 600
visiteurs pour « L’Aventure Cham-
pollion » en 2022, 26 700 pour
« Giuseppe Penone » la même an-
née ? Rogner sur les colloques ?
Une question, parmi tant d’autres,
à laquelle Gilles Pécout devra trou-
ver une réponse. p
roxana azimi
0123
MARDI 19 MARS 2024 culture | 25

A l’Orangerie, Robert Ryman, au-delà du blanc

Le musée parisien offre sa première grande exposition au peintre new-yorkais disparu en 2019

ARTS ment grumeleux, dans lequel les

mouvements de la brosse lais-
Cet artiste

R
yman : le nom fait naî-
tre de façon à peu près
automatique l’image
d’une surface carrée
uniformément blanche. Robert
Ryman (1930-2019) est en effet ce
peintre new-yorkais qui, à partir
de 1959, a consacré son œuvre à
une question : que faire avec le
seul blanc ? Que l’Orangerie lui
consacre une exposition, la pre-
mière d’ampleur dans un musée
français depuis 1981, ne peut donc
apparaître que comme un para-
doxe ou une provocation. Ryman
à quelques mètres des Nymphéas
de Monet, sa géométrie immacu-
lée à proximité de ses flux de cou-
leurs flottantes : c’est inattendu, à
première vue.
Mais c’est là trop se fier aux ap-
parences et aux idées reçues : car
le propos de la rétrospective est
de montrer que l’art de Ryman
est bien plus complexe que la
formule à laquelle l’histoire de
l’art tend à le réduire et qu’en fait
il n’est pas sans rapport avec
Monet, dont quelques vues de la
cathédrale de Rouen concluent le
parcours.
Tentative réussie, pour peu que
l’on veuille prendre le temps
d’examiner les œuvres exposées
avec assez d’attention. Elles sont
assez peu nombreuses, une qua-
rantaine, de sorte que chacune,
quel que soit son format, dispose
d’assez d’espace autour d’elle et
que ses singularités se voient et la
distinguent des autres. Car elles
se distinguent entre elles : le prin-
cipe de Ryman est celui de la va-
riation, avec des différences plus
ou moins nettes, plus ou moins
perceptibles.
Avant d’y arriver, il fait des étu-
des de musique, étant né à Nas-
hville, et joue du saxophone té-
nor. En 1952, il vient à New York,
toujours pour la musique. Pour
vivre, il s’engage comme gardien
au Museum of Modern Art
(MoMA). Il y fait son éducation ar-
tistique et rencontre Mark Ro-
thko, qui y expose en 1961.
Cette année-là, Ryman lâche
définitivement la musique pour
la peinture, qu’il pratique alors
depuis quelques années. Abs-
traite, comme il se doit à l’époque
à New York, par taches de cou-
leurs, pour autant qu’on puisse
en juger car, sur les toiles les plus
anciennes exposées, qui datent
de 1959, les taches sont déjà pres-
que entièrement recouvertes de
blanc, un blanc épais, légère-
sent des traces.
Ryman n’est certes ni le premier
ni le seul à se laisser éblouir par la
blancheur. Avant lui, il y a eu le
Carré blanc sur fond blanc de
Kasimir Malevitch vers 1918 et,
plus près de lui, les White Pain-
tings de Robert Rauschenberg au
début des années 1950, qui vont
de pair avec les Black Paintings. Il
y a, en même temps que lui, le
développement de ce que son
contemporain Piero Manzoni
nomme « achromes » : des com-
positions blanches obtenues avec
des draps, du coton ou du kaolin.
Plus généralement, ses premiers
travaux participent aux débuts
du minimalisme new-yorkais et
figurent dans plusieurs exposi-
tions de ce courant au fil de la dé-
cennie. Il y montre ce qu’il fait
alors : des bandes horizontales
blanches à l’émail sur bristol ou à
la laque sur coton ou aluminium.
Précision maniaque
Par la suite, il expérimente divers
supports nouveaux : Plexiglas,
plastique, fibres de verre. Chacun
réagit différemment à la pein-
ture qui le recouvre, selon qu’elle
est à l’huile, à l’acrylique ou un
mélange des deux. Les attaches
qui tiennent le carré au mur sont
aussi minutieusement détermi-
nées, jusqu’à la forme et à la taille
des boulons, qu’il laisse visibles
délibérément.
Parfois, ses gestes sont aussi vi-
sibles, entrecroisements de tou-
ches imprimées dans la couche
de pigment, et parfois, à l’inverse,
ils se fondent dans une surface
parfaitement lisse. Chacune de
ses réalisations donne ainsi à
comprendre comment elle a été
obtenue, ce qu’éclairent aussi les
cartels, d’une précision mania-
que. L’artiste accompagne son
travail de déclarations lapidaires,
telle celle-ci : « La question n’est ja-
mais : quoi peindre, mais seule-
ment : comment peindre. » La
peinture n’aurait plus d’autre su-
« La question
n’est jamais : quoi
peindre, mais
seulement :
comment
peindre. »
ROBERT RYMAN
jet que sa définition matérielle et
technique. La plupart des com-
mentateurs de Ryman se sont
précipités depuis dans cette di-
rection à sa suite.
Il se pourrait que l’exposition
leur donne tort. Il y a autre chose à
voir et à ressentir. Le soin mis à
l’exécution, la complexité des
opérations successives et le
temps nécessaire relèvent de l’ob-
session personnelle au moins
autant que d’une décision théori-
que. Les photographies de l’atelier
de Ryman montrent un grand
mur recouvert d’images en noir
et blanc de ses œuvres, alignées
avec la même exigence d’ordre
qu’il met à peindre. Cette accu-
mulation infinie le définit, et il en
est clairement conscient.
Ce qu’il peint, en fait, c’est lui-
même et sa légende. Il y a dans
l’exposition une œuvre étrange :
deux panneaux courbes sont
maintenus par des attaches en
acier et se rejoignent au centre de
l’œuvre dans un rail horizontal.
Tout est blanc, sauf les pattes mé-
talliques, qui sont noires. Et sauf,
écrit sur le rail, au centre donc,
« RYMAN 88 » : son nom et la date
de l’œuvre, 1988. En 1959, déjà, il
avait écrit en grandes lettres
pourpres « RRYMAN59 ». Dans
d’autres cas, la signature est plus
discrète, mais néanmoins pré-
sente. Cet artiste de l’absence de
UN HORS-SÉRIE
HORS-SÉRIE
de l’absence
de sujet, de
couleurs et
de sens, tient à
ce que son nom
soit lisible
sujet, de couleurs et de sens, tient
à ce que son nom soit lisible. Ce-
lui-ci fait intrusion sur la surface,
qu’il perturbe. Le désir de signi-
fier sa présence l’emporte sur le
principe d’effacement si haute-
ment proclamé.
Une deuxième raison de ne pas
réduire Ryman à un système est
que, dans ses dernières années, il
introduit une autre perturbation,
plus directe : des fonds colorés de
diverses nuances de rouge, de vio-
let ou de vert sur lesquels le blanc
pose mais sans en couvrir la tota-
lité de la surface. Aux marges, le
rouge ou le violet sont à nu et la
perception en est évidemment
changée. Les premières bribes
d’un récit se laissent voir, bribes
d’un récit à la première personne
du singulier. p
philippe dagen
« Sans titre » (2010),
de Robert Ryman, « Robert Ryman. Le regard en
huile sur toile. acte », Musée de l’Orangerie,
ROBERT RYMAN/ADAGP, PARIS/ jardin des Tuileries, Paris 1er.
ARS/KERRY MCFATE Du mercredi au lundi de 9 heures
à 18 heures, 21 heures le vendredi.
Entrée de 8,50 € à 12,50 €.
Jusqu’au 1er juillet.
numéro
spécial
e
700
anniversaire
1254—1324

PAR I S 2024 de la guitare classique, ou en- sations », précise le texte

Partenariat entre le core l’humoriste Paul Mirabel, publié par l’agence de com-
Centre Pompidou et Nike a annoncé la salle parisienne, munication du réalisateur.
le fabuleux voyage de

Le Centre Pompidou, à Paris,
et Nike ont conclu un parte-
nariat qui permettra à la mar-
que de sport d’occuper des
espaces du musée pendant
samedi 16 mars. Cette saison
est la dernière du directeur
général et artistique Michel
Franck, avant qu’il ne passe
le flambeau à Baptiste Char-
MARCO
En 2022, une ancienne élève
du cinéaste, Azadeh Masih-
zadeh, l’avait accusé de
plagiat en affirmant que
son film s’inspirait de son

les Jeux olympiques pour
des activités et des récep-
tions, a révélé, vendredi
15 mars, le ministère de la cul-
ture. « Le Centre Pompidou
et Nike signent aujourd’hui
un partenariat d’ampleur
pour célébrer l’art et le sport
avec le plus grand nombre
cet été », selon le cabinet,
qui ajoute que la ministre,
Rachida Dati, y voit une
roing en août 2025. Parmi
les six opéras prévus figure la
création Semele, de Haendel,
mise en scène par Oliver
Mears, directeur du Royal
Opera House, à Londres,
et dirigée par Emmanuelle
Haïm, avec Pretty Yende
et le ténor Ben Bliss. – (AFP.)
C I N ÉMA
Le cinéaste iranien
POL
PO LO
documentaire All Winners,
All Losers. Sept experts dési-
gnés par la justice iranienne
ont « unanimement rejeté
toutes les prétentions de
la plaignante », mentionne
le communiqué. – (AFP.) sur la route de la soie

    
POLI T I QU E CU LT U R ELLE
Montbéliard, capitale
française de la culture
en 2024

MARCO POLO, L’ENCHANTEUR

« belle opportunité pour que
les institutions culturelles
bénéficient des JO ». – (AFP.)
SC ÈN E
Lyrique, humour
et pop au Théâtre
des Champs-Elysées
De grandes voix lyriques,
telle la Sud-Africaine Pretty
Yende, sont programmées
la saison 2024-2025 au Théâ-
tre des Champs-Elysées, qui
accueillera aussi le chanteur
- M -, en duo avec un virtuose
Asghar Farhadi
blanchi des accusations
de plagiat
Le réalisateur iranien Asghar
Farhadi a été blanchi des
accusations de plagiat pour
son film Un héros, portées
par l’une de ses élèves, selon
un communiqué publié mer-
credi 13 mars. « La décision
dans l’affaire des accusations
de violation du droit d’auteur
dans le film Un héros a été
rendue et l’œuvre a été totale-
ment dédouanée de ces accu-
« Rendre la culture plus acces-
sible et toujours plus festive » :
le premier ministre, Gabriel
Attal, a donné, samedi De la Perse à l’Asie centrale, de la Chine à la Malaisie, du Sri Lanka jusqu’en Inde, voyagez durant
16 mars, le coup d’envoi
de Montbéliard, capitale
un quart de siècle, avec Marco Polo. Emerveillez-vous, le long de la Route de la soie,
française de la culture 2024. des diférentes cultures et des richesses de l’Asie du Moyen Age.
L’agglomération du Doubs, L’histoire d’un aventurier marchand, curieux de tout, qui fera découvrir l’Orient à l’Occident.
140 000 habitants, va
multiplier les manifestations
culturelles ces prochains CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
mois grâce à un programme
riche de près de 300 événe- ET SUR LEMONDE.FR/BOUTIQUE - 124 PAGES - 10,99 €
ments avec un budget
de 6 millions d’euros. – (AFP.)
26 | télévision
Une ode à l’Auvergne et à sa gastronomie
Frédérique Mergey détaille les produits alimentaires, notamment les fromages et les races bovines emblématiques
FRANCE 5
MARDI 19 - 21 H 05
DOCUMENTAIRE
E
n Auvergne, ce ne sont pas
les cloches des églises qui
rythment les journées,
mais celles des vaches »,
dit en introduction le commen-
taire sur des images de ferran-
daises. « C’est la race emblématique
du Puy-de-Dôme et elle tient son
nom de Clermont-Ferrand », dé-
clare Virginie Tempère, l’éleveuse.
Tout est dit. Le reportage, au titre
en forme de clin d’œil à Georges
Brassens (1921-1981) et à sa
Chanson pour l’Auvergnat (1954), a
les pieds bien ancrés dans la riche
terre du Massif central, entre tradi-
tion et modernité. Dans certaines
zones rurales du Puy-de-Dôme, les
vaches sont parfois plus nombreu-
ses que les hommes.
C’est la région qui produit le plus
de fromages AOP en France (cinq
labels : bleu d’Auvergne, cantal,
saint-nectaire, fourme d’Ambert,
salers). Mais c’est aussi celle qui est
en première ligne de la crise agri-
cole dont on a vu les signes à l’occa-
sion du Salon de l’agriculture.
Aligot et lentille du Puy
Les images savoureuses se suivent
et se ressemblent un peu, illus-
trant la passion des Auvergnats,
leur savoir-faire, leur solidarité
face aux enjeux de la marchandi-
Michel Gondry se met en scène dans la peau d’un cinéaste mythomane
Le réalisateur du « Livre des solutions » a mis beaucoup de lui-même dans le personnage hyperactif et incompris incarné par Pierre Niney
CANAL+
MARDI 19 - 21 H 10
FILM
U n coup d’œil rapide sur la
carrière de Michel
Gondry permet d’envisa-
ger le processus de « fabrication »
considéré en lui-même comme le
grand motif existentiel et artisti-
que de ce cinéaste. C’est peu de
dire que Le Livre des solutions ne
s’éloigne guère de ce motif, qui a
pourtant déjà beaucoup servi.
C’est le cinéma lui-même qui fait
ici office d’instrument d’appren-
GRILLE N° 24 - 067
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I 1
II
III
IV
V à la mort de Léon IV, son mari.
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 24 - 066
HORIZONTALEMENT I. Redresseuses. II. Emouvoir. Axe. III. Meurettes. Av.
IV. Buta. Héberge. V. Otello. Enfer. VI. Rie. Tare. VII. Réassorti. Am.
VIII. St. Etier. Ute. IX. Eole. Seins. X. Ecosseraient.
VERTICALEMENT 1. Remboursée. 2. Emeut. Etoc. 3. Doutera. Lô.
4. Ruralisées. 5. Eve. Lest. 6. Sotho. Oise. 7. Site. Gréer. 8. Erèbe. Tria.
9. Senti. Ni. 10. Sa. RFA. Usé. 11. Exagérât. 12. Sévèrement.
Image extraite du documentaire « Toi l’Auvergnat quand tu mangeras ! ». ITV STUDIOS FRANCE
sation de l’agroalimentaire. L’« in-
dustrie » bovine est l’un des fers de
lance de la région.
Débat picrocholin : comment
prononcer « salers », le nom de la
race bovine emblématique de la
région, au long pelage acajou ou
ébène, et du fromage qui en dé-
coule ? Deux clans : les uns disent
« salersse », les autres « saler ». « On
dit pas Parisse ? On dit Paris. Eh ben
tissage. L’esprit d’aventure et de
bricole – hérité d’une famille de
musiciens et d’inventeurs far-
fouilleurs – colle aux semelles de
ce Versaillais qui s’est taillé à Hol-
lywood une belle réputation (Eter-
nal Sunshine of the Spotless Mind,
2004 ; Soyez sympas, rembobinez,
2008 ; Le Frelon vert, 2011), sans
pour autant cesser de cultiver son
esprit artisanal, consacrant un do-
cumentaire à sa tante institutrice
cévenole (L’Epine dans le cœur,
2010) ou animant, en 2011, au Cen-
tre Pompidou transformé en mi-
nistudio, des ateliers de tournage.
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
là c’est pareil », tranche un éleveur
venu « de Salers » (sans -s final).
La vache du même nom
n’entend pas renoncer à allaiter
son veau, « elle se tarit si on lui re-
tire son petit ». « On n’a pas le choix,
si on veut du lait, il faut le veau, dit
l’éleveur dont on visite l’étable, qui
connaît chacune de ses bêtes par
son prénom. C’est un peu comme
les gens du pays, elle n’aime pas
Tout commence par une scène
de lynchage. Dans le bureau
huppé de ses producteurs, Marc
(Pierre Niney), cinéaste mytho-
mane et anxieux, se fait sévère-
ment remonter les bretelles et dé-
posséder de sa copie de travail. Ni
une ni deux, il fonce avec une pe-
tite équipe de fidèles – Charlotte,
sa monteuse (Blanche Gardin), et
Sylvia, son assistante (Frankie
Wallach) – mettre la main sur les
précieux ordinateurs et prend la
poudre d’escampette jusqu’à la
maison de Denise (Françoise
Lebrun), sa bonne tantine céve-
HORIZONTALEMENT
I. Ne vous met pas en valeur, bien
au contraire. II. Creuser comme une
bête. Réduire le panneau. III. Pas dé-
tectables en vol. Eface les soupçons.
IV. Mis en fuite. Importants ou se
croient importants. V. Reprendra son
travail au bloc. Bonne carte sur le ta-
pis. VI. Paysan d’autrefois. Crée du
mouvement en tribune. VII. Silicates
présentes dans les roches magma-
tiques. Démonstratif. VIII. Article.
Epicurien et voluptueux. IX. Régente
Cours primaire. Sortie dans l’espace.
X. Cannes, Venise, Aix, elle ne veut
rien rater.
VERTICALEMENT
1. Avancé et déclaré indiscutable-
ment. 2. Sans lame, il s’enfonce
dans les sables. Dieu rayonnant.
3. Donnent belle allure aux majeurs
et aux autres. 4. Enregistre. Règlent
leurs comptes. 5. Font le vide. Entrent
en Seine. 6. Ne se laissent pas facile-
ment démonter. 7. En in d’opération.
D’un auxiliaire. 8. Article de Cordoba.
Emplumé et bavard. Abaisse le ni-
veau. 9. Beaucoup de chantilly pour
une diva. Le césium. 10. Equitable.
Rogué comme un hareng. 11. S’épa-
nouit dans la neige. Chez Georges.
12. Victime d’une forte émotion.
trop le changement. » « La salers a
trouvé malgré elle l’antidote à l’éle-
vage intensif », commente la voix
off de la réalisatrice Frédérique
Mergey. Ce qui n’empêche pas le
milieu des éleveurs de connaître
la crise : ils ne sont plus que sept à
traire des salers pour faire du fro-
mage. D’autres races laitières plus
productives ont pris le relais sur
les pâturages du Cantal, sans que
nole et plus grande fan, pour y ter-
miner son film comme il l’entend.
Idées loufoques
Assailli par les idées, convaincu de
son génie, il écrit pour tenter de
garder la tête froide un « livre des
solutions », recueil de réponses
haut perchées à une liste de pro-
blèmes incongrus. Problème : le
cerveau perpétuellement enfiévré
de Marc, qui croit, comme artiste
démiurge mais privé du soutien
de ses financiers, que tout est pos-
sible, se met au défi de réaliser des
idées souvent loufoques et met à
SUDOKU
N°24-067
9 1
2 5
6 8
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du fromage tiré de leur lait.
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tournable saint-nectaire, pre-
mière AOP fermière en volume ;
l’aligot, parti du plateau de
l’Aubrac à la conquête de la capi-
tale, où il a droit à un championnat
du monde au Salon de l’agricul-
ture – une start-up d’affinage en
profite pour présenter sa machine,
« capable de servir une assiette
d’aligot en moins d’une minute » – ;
la lentille verte du Puy, « le caviar
du pauvre », devenue une « star
mondiale de la gastronomie ».
C’est l’autre volet passionnant
du film : la gastronomie. Origi-
naire du Puy-en-Velay, en Haute-
Loire, François Gagnaire met en
scène ses lentilles vertes sous le
nom de « caviar du Velay » dans le
bistrot gastronomique Anicia (le
nom scientifique de la lentille),
qu’il a ouvert, en 2015, à Paris. « Ce
n’est pas parce que c’est un plat po-
pulaire qu’il n’est pas noble », dit de
la légumineuse ce chef formé par
le cuisinier étoilé Pierre Gagnaire.
Une phrase qui résume bien
l’Auvergne dévoilée par ce docu-
mentaire : une terre rustique, po-
pulaire, mais pleine de noblesse.
« Sans façon », chantait Brassens. p
pascal galinier
Toi l’Auvergnat quand
tu mangeras !, de Frédérique
Mergey (Fr., 2024, 52 min).
très rude épreuve les nerfs de ses
collaborateurs. A cet égard, s’il
possède en Denise une fidèle en
toute situation, c’est une autre
paire de manches avec son équipe,
si attentionnée soit-elle.
Colérique, fouillis, impatient, ty-
rannique, en inadéquation pres-
que constante avec la réalité, Marc
se rend communément insuppor-
table, mais a pour lui la croyance
inébranlable en son projet. C’est sa
force. Et, comme pour tous les
créateurs, la chance, à l’occasion,
est sommée de lui tendre les bras :
la venue improbable de Sting sur
9 5 1 6 4 3
8 4 2 1 5 7
3 7 6 8 9 2
7 6 2 5 9 3 8 7
4 1 3 2 7 6
3 7 9 8 4 1 5 6
1 3 7 5 6 9
2 6 4 7 8 1
8 9 3 2 4 1
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grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
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par colonne et par
carré de neuf cases.
NOUVEAU
0123
MARDI 19 MARS 2024
NOTRE
SÉLECTION
M AR D I 19 M ARS
LCP-Assemblée nationale
La Guerre froide, la croisade
de Truman
20.30 « DébatDoc » revient sur
l’anticommunisme obsessionnel du
successeur de Roosevelt en 1945,
Harry Truman, qui va amorcer
l’escalade face à Staline, de la
bombe atomique contre le Japon à
la guerre de Corée, en passant par la
chasse aux sorcières maccarthyste.
Ciné+ Emotion
Corsage
20.50 Noël 1877, Elisabeth
d’Autriche fête son 40e anniversaire.
Derrière elle, des années de
sacrifices. Devant elle, des efforts
redoublés pour garder sa fraîcheur,
ou tout envoyer valdinguer, option
de la cinéaste Marie Kreutzer.
Arte
L’Europe au défi de l’ingérence
étrangère
20.55 Retour sur le « Qatargate »,
cette enquête sur des soupçons
de corruption au profit de l’émirat
qui ébranla les institutions fin 2022.
NRJ 12
Alita : Battle Angel
22.55 Robert Rodriguez fait
du manga culte Gunnm une série B
dans un habit de superproduction.
En 2563, dans un monde en proie
au chaos, un réparateur de cyborgs
redonne vie au corps détruit d’Alita.
le tournage rattrape ici les déboi-
res qui auraient autrement fini de
ruiner la réputation du réalisateur.
Cette manière d’autoportrait en
zébulon est ainsi pour Gondry
l’occasion de rappeler de manière
explosive, mais toujours em-
preinte d’une inaltérable gen-
tillesse, cette aventureuse folie
qu’est le tournage d’un film. p
jacques mandelbaum
Le Livre des solutions, de Michel
Gondry (Fr., 2023, 102 min).
Avec Pierre Niney, Blanche
Gardin, Françoise Lebrun.
est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 €.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
2 8 7
Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
3 6 9
(prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
4 1 5
Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
4 1
Par courrier électronique :
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3 2 Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 €
8 2 4
5 9 3
Courrier des lecteurs
7 6
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n° 0727 C 81975 ISSN 0395-2037
PRINTED IN FRANCE
67-69, avenue
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Directrice générale
75013 PARIS
Elisabeth Cialdella Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : UK, France.
Taux de fibres recyclées : 100 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0,0083 kg/tonne de papier
0123
MARDI 19 MARS 2024
Frank Darcel
Cofondateur
de Marquis de Sade
En février 2021. VIOLENCE/DALLE
Q
uatre ans après le sui-
cide, le 12 septem-
bre 2019, de Philippe
Pascal, ancien chan-
teur de Marquis de
Sade, c’est Frank Darcel, son com-
plice guitariste et cofondateur de
ce groupe culte du post-punk
français, qui disparaît, rendant un
peu plus orphelins les admira-
teurs de ceux que le magazine Ac-
tuel qualifiait de « jeunes gens mo-
dernes » à l’orée des années 1980.
Musicien, réalisateur artistique,
producteur, romancier, homme
politique, cette figure de la scène
rock rennaise est mort, vendredi
15 mars, à 65 ans, à Ribadeo, en Ga-
lice (Espagne). Son corps a été re-
trouvé sur une plage, sans que l’on
connaisse encore les circonstan-
ces de sa mort.
Fils de médecin, né le 26 septem-
bre 1958, à Loudéac (Côtes-d’Ar-
mor), Frank Darcel choisit la voie
paternelle avant d’abandonner
ses études pour se consacrer à la
guitare, inspiré par l’effervescence
punk qui secoue les voisins
grands-bretons. « Grâce à la ligne
de ferry Saint-Malo - Portsmouth,
nous étions plusieurs à passer des
week-ends à Londres pour rappor-
ter les disques les plus excitants du
moment », se souvenait Frank Dar-
cel dans Le Monde, en 2021. Il fa-
çonne aussi son style en traver-
sant l’Atlantique, à l’affût d’une
nouvelle vague new-yorkaise (Te-
levision, Richard Hell, The Feelies).
Quelques mois après la forma-
tion de Marquis de Sade, en 1977,
un premier chanteur est évincé
au profit de Philippe Pascal. Ce
brun émacié se passionne pour
les arts et la poésie tout en étant
fasciné par le blues, le jazz, le Vel-
vet Underground ou le krautrock
allemand, à l’opposé d’une esthé-
tique post-hippie dominante.
Collabore avec Etienne Daho
Alors que l’essentiel de la scène
française est encore imprégnée de
l’esprit seventies, le premier al-
bum des Bretons, Dantzig Twist
(1979), se fait l’écho d’une désillu-
sion anguleuse, hantée par les
fantômes de la vieille Europe et
dynamisée par une new wave
avide de tabula rasa. Dès la con-
ception du deuxième album, des
tensions minent le groupe. Enre-
gistré dans la douleur, Rue de Siam
(1981) se conclura par une sépara-
tion. Philippe Pascal part fonder le
groupe Marc Seberg (1981-1992).
Frank Darcel et le reste de Marquis
de Sade assument leur désir de
pop et de musique de club en don-
nant un coup de main à un débu-
tant nommé Etienne Daho.
« Frank m’a proposé de m’aider à
enregistrer mes maquettes, se sou-
venait le chanteur. Alors que j’avais
à l’époque une touche rockabilly,
26 SEPTEMBRE 1958 Naissance
à Loudéac (Côtes-d’Armor)
1979 « Dantzig Twist », premier
album de Marquis de Sade
2022 Publie son dernier
roman, « L’Armée des hommes
libres » (Coop Breizh)
15 MARS 2024 Mort
à Ribadeo (Espagne)
c’est lui et les musiciens de Marquis
de Sade qui m’ont permis de trouver
mon son, en s’inspirant de l’électro-
pop new-yorkaise. » Si c’est Jacno
qui produira Mythomane (1981), le
premier album d’Etienne Daho, le
Rennais ne connaîtra le succès
qu’à partir du single Le Grand Som-
meil (1982) et de son deuxième
opus, La Notte, la Notte (1984), réa-
lisés par Frank Darcel. Une collabo-
ration qui fructifie encore avec
Tombé pour la France (1985), avant
de se déliter pendant l’enregistre-
ment de Pop Satori (1986).
La fin des années 1980 et le dé-
but des années 1990 souriront
moins à Frank Darcel. Après
l’échec de nouveaux groupes, Oc-
tobre, puis Senso (avec comme
chanteur un autre Rennais, Pascal
Obispo), et celui du disque solo
ATAO (1995), le Breton se requin-
que au Portugal en produisant
plusieurs artistes locaux. Loin de
sa Bretagne natale, ce petit-fils
d’un militant de l’Ar Falz replonge
dans ses racines. Après avoir re-
joint les rangs des autonomistes
du Parti breton, il cofondera la for-
mation politique Breizh Europa et
se présentera, en 2020, à la mairie
de Rennes (1,92 % des voix).
Le guitariste et réalisateur ren-
tre en France pour produire l’al-
bum Back to Breizh (2000), d’Alan
Stivell. Une expérience marquée
par un accident de studio qui lui
endommage gravement les tym-
pans. Frank Darcel attendra pres-
que dix ans pour rebrancher sa
guitare. Marchand de tableaux en
ligne, puis employé à la mairie de
Rennes, il prend le temps d’épa-
nouir une vocation d’écrivain
avec cinq romans, dont le dernier,
L’Armée des hommes libres (Coop
Breizh), a été publié en 2022.
En avril 2017 germe l’idée d’un
concert de retrouvailles de Mar-
quis de Sade. Philippe Pascal se
laisse convaincre par l’idée d’un
troisième album. Mais les concerts
ravivent de vieux antagonismes.
Frank Darcel choisit de prolonger
l’expérience musicale sous le nom
de Marquis, avec un chanteur
belge, Simon Mahieu. Un premier
album, Aurora (2021), régénère
l’énergie post-punk. Un second,
Konstanz, voit le jour en 2023,
avant une tournée dont la dernière
date française a eu lieu dans la salle
rennaise de l’Ubu, le 11 mai. p
stéphane davet
Le Carnet
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AU CARNET DU «MONDE»
Décès
André et Madeleine Malignac,
son frère et sa belle-sœur,
Huguette et Robert Taieb,
sa belle-sœur et son beau-frère,
Eric Taieb et Sonia Zerrouck,
son neveu et sa nièce
Et ses amis,
ont la profonde tristesse de faire part
du décès de
Micheline ATTOUN,
née MALINIAK,
cofondatrice de Théâtre Ouvert,
chevalier de la Légion d’honneur,
commandeur
de l’ordre des Arts et des Lettres,
survenu le 14 mars 2024.
Quelques mois après le décès de
son époux,
Lucien ATTOUN.
L’inhumation aura lieu le mercredi
20 mars, à 14 h 30, au cimetière du
Père-Lachaise, accès piéton par la porte
du 16, rue du Repos, Paris 20e.
Ni leurs ni couronnes.
Cet avis tient lieu de faire-part.
10, rue Masseran,
75007 Paris.
Anne, Frédéric, Catriona, Emmanuel,
ses enfants,
Sa famille,
Ses amis,
ont la douleur de faire part du décès
de
M. Philippe J. BERNARD,
médaille de la Résistance,
croix de guerre avec Palme,
chevalier de La Légion d’honneur,
ancien président
du département
de sciences humaines
de l’École Polytechnique,
fondateur de CycloTransEurope,
survenu le 12 mars 2024,
à l’âge de cent un ans.
La cérémonie a lieu en la chapelle
du Collège des Irlandais, Paris 5e, ce
lundi 18 mars, à 14 h 30.
15, avenue de Bretteville,
92200 Neuilly-sur-Seine.
Nicole et Kazuto, Brigitte et Jean-
Pierre, Véronique et Jean-Louis,
Philippe et Laurence,
ses enfants et leurs conjoints,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
ont la profonde tristesse d’annoncer
le décès de
M. Michel CHAUVIN,
né le 21 novembre 1931,
ancien ingénieur
à l’Institut national
de physique nucléaire
et de physique des particules
à l’Ecole Polytechnique,
survenu le 11 mars 2024, à Orsay,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
Armelle de Saint Sauveur
et Roussia Djanoumof,
ses illes,
Lou et Rosella,
ses petites-illes,
ont le chagrin de faire part du décès
de
Philippe DJANOUMOFF
de SIOUNIE DJAMGAROFF,
dit Prince Phil,
survenu le 13 mars 2024, à Vendôme.
Sées (Orne).
Françoise Loubet Duprat,
son épouse,
Anne-Marie et Jean-Paul Varon,
sa sœur et son beau-frère,
Anne Varon,
Laurence Krygier,
Marie-Françoise et Andrew Turner,
Jean-Marc et Isabelle Duprat,
ses neveux et nièces,
Jean-Pierre et Josiane Talvard,
son cousin et sa cousine,
Les familles Loubet et Veye dit
Chareton
et leurs enfants,
A la mémoire de Jean-Claude et
Catherine Duprat et de Pierre Duprat,
ses frères et sa belle-sœur
Et toute la famille,
ont le chagrin de faire part du décès
de
M. Jacques DUPRAT,
survenu le mardi 13 mars 2024,
à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
La cérémonie religieuse aura lieu
ce mardi 19 mars, à 14 h 30, en l’église
saint-Martin de Sées, suivie de
l’inhumation au cimetière du Cercueil
(Orne).
Il aimait les leurs naturelles.
PF Mousset Jean-Paul,
61560 Saint-Germain-de-Martigny.
Tél. : 02 33 25 30 68.
Saint-Pardoux-Morterolles (Creuse).
Buze.
Patricia,
sa compagne,
Ses illes,
Ses belles-illes,
Ses petites-illes
Ainsi que toute sa famille
Et ses amis,
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Bruno GAYARD,
survenu à l’âge de soixante-quatorze
ans.
Les obsèques civiles auront lieu le
mercredi 20 mars 2024, à 14 heures,
au crématorium d’Ajain (Creuse).
Paris.
Claude Lumbroso,
son compagnon,
Isabelle Gazengel,
sa ille
et son compagnon, José Da Costa,
Nicolas Feray,
son petit-ils,
Hai Lan et Yi Lin,
ses arrière-petits-enfants,
Vincent Lanvier,
son petit-ils
et sa compagne, Estelle,
Ses amis,
font part du décès de
Claire GAZENGEL,
survenu le 12 mars 2024, à Paris, à
l’âge de quatre-vingt-huit ans, après
une longue et douloureuse maladie.
La crémation aura lieu le 21 mars, à
11 heures, au crématorium du Val-de-
Bièvre, 8, rue Ricardo, à Arcueil.
Ni leurs ni couronnes, des dons
pourront être faits aux Restos du
Cœur.
Carole, Jean-Marie, Sophie, David,
nés Auclair,
ses quatre enfants,
Sarah, Camille, Thomas, Alexandre,
Pauline, Margot, Faustine, Antoine,
Giulia, Elise,
ses dix petits-enfants,
Maxence, Eugène,
ses arrière-petits-ils,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Mme Geneviève
GINGLINGER,
née le 25 août 1931,
survenu le 4 mars 2024,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
La cérémonie d’adieu aura lieu ce
mardi 19 mars, à 14 h 30, en l’église
Saints-Pierre-et-Paul d’Obernai.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Famille Auclair,
12, rue de l’Union,
78600 Maisons-Laitte.
auclair.sophie@gmail.com
carnet | 27
Marie-Anne Lecoanet, Marion Saucier,
son épouse,
Sophie, Priscille, Isabelle, Thomas,
ses enfants
et leurs conjoints,
son épouse,
Ses illes,
Ses gendres
Et ses petits-enfants,
Andréa, Dorian, Thibault, Marie,
Raphaël et Clément,
ses petits-enfants, ont la profonde tristesse de faire part
du décès de
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de Philippe SAUCIER,
ancien professeur d’économie
Yann LECOANET, à l’université d’Orléans,
survenu le 13 mars 2024, entouré survenu à Paris, le 13 mars 2024.
de sa famille, à l’âge de soixante-
dix-huit ans.
Les obsèques seront célébrées
en l’église Saint-Gilles d’Étampes, le
Une célébration œcuménique aura
lieu à Vincennes. vendredi 22 mars, à 14 h 30.
Nous remercions les soignants qui
Geofrey Bodenhausen,
l’ont accompagné.
son époux,
Maÿlis Durand-Lasserve, née
Molinié et Alain Il aurait souhaité un don pour la
Cynthia Natale, née Durand-Lasserve recherche contre le cancer.
et Alessandro
et leurs enfants, Noé, Vasco et Ysée,
Olivier et Elena Durand-Lasserve,
Paris.
née Sviridova
Mme Lydie Touret,
et leur ils, Anatole,
Natacha Bodenhausen et Lukas son épouse,
Elmiger Olivier, Mathilde, Cécile et Anne,
et leurs illes, Alice et Clara, ses enfants et leurs conjoints,
Barbara Bodenhausen et Stéphane Ses petits-enfants
Contet, Et arrière-petits-enfants,
Karen Schafers, née Bodenhausen, Jacqueline Wachs (†), Françoise
Patricia van der Haer, née Rueb et Weber, Bernard Touret, Christiane
Mauke,
Lestage,
Jennifer Ankrah, née van der Haer
et Nii Adjaberg ses sœurs et frère et leurs conjoints,
et leurs enfants, Christiane Poinsignon, Marc Ben
Onno van der Haer, Mohammed,
Ronald et Thérèse Rueb, Parents et alliés,
Carel et Corine Rueb
et leur ille, ont la tristesse de faire part du décès
Philip-Jan Kohnstamm, de
Alexander et Yaeko Kohnstamm,
née Arimura M. Jacques TOURET,
et leurs enfants, Eugene et Natascha,
ingénieur-géologue
Max Kohnstamm,
Ses amis et collègues, (ENSG 58),
professeur émérite
ont la tristesse de faire part du décès à l’université libre d’Amsterdam,
de membre de l’Academia Europaea,
membre de l’Académie royale
Antoinette MOLINIÉ, des arts et des sciences
anthropologue, des Pays-Bas,
directeur de recherche émérite
membre étranger
au CNRS,
de l’Académie des sciences
survenu à Paris, et des lettres de Norvège,
docteur honoris causa
le 12 mars 2024,
de l’université de Liège,
à l’âge de soixante-dix-huit ans.
chevalier
Les obsèques auront lieu le de l’ordre national du Mérite,
vendredi 22 mars, à 15 h 30, au médaille André Dumont
crématorium du cimetière du Père- de la société géologique
Lachaise, Paris 20e. de Belgique (1992),
médaille Van Waterschoot
Cet avis tient lieu de faire-part.
Van der Gracht Penning
de la société royale
geofrey.bodenhausen@ens.fr
de géologie et des mines
des Pays-bas (1996),
Avec une profonde émotion,
prix François Ellenberger
Le Laboratoire d’ethnologie du comité français d’histoire
et de sociologie comparative de la géologie (2023),
(CNRS-Université Paris Nanterre),
survenu le 11 mars 2024, à Paris.
La Société des américanistes,
annoncent la disparition de La cérémonie religieuse sera
célébrée le 25 mars, à 10 h 30, en la
chapelle de l’Est, du cimetière du
Antoinette MOLINIÉ, Père-Lachaise, Paris 20e.
directrice de recherche émérite
au CNRS,
membre du LESC depuis 1976, Paris.
éminente anthropologue
des mondes andins, néo-indiens Claire Weulersse,
et andalous, sa nièce,
membre du comité d’éthique-CNRS,
du conseil d’administration a la tristesse d’annoncer le décès de
et du comité de rédaction
de la Société des américanistes
depuis 1984, Marie-Hélène WEULERSSE,
née le 1er avril 1933,
vice-présidente 2018-2021,
survenu le 10 mars 2024, à Abbeville,
survenue le 12 mars 2024, à Paris. à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
Nous nous souviendrons de ses Un moment de recueillement suivi
contributions brillantes, de son
de l’inhumation dans le caveau
intelligence lucide et de son humour.
familial, aura lieu le mercredi 20 mars,
à partir de 14 h 30, au cimetière de
Pierre, Guy, Marie-Gabrielle et Belleville, dans le 20e arrondissement
Elisabeth Sarton du Jonchay,
à Paris.
leurs épouses et époux,
leurs enfants
et petits-enfants, Cet avis tient lieu de faire-part.
font part du décès de Souvenir
Jean SARTON du JONCHAY,
Pierre-Emmanuel MUSSO
rappelé à Dieu le 12 mars 2024, (28 mars 1971 - 18 mars 1992).
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
« Je te cherche par delà l’attente
La messe d’obsèques sera célébrée
le mercredi 20 mars, à 9 h 30, en Par delà moi-même
l’église Saint-Marc d’Orléans, suivie Et je ne sais plus tant je t’aime
de l’inhumation au cimetière de Lequel de nous deux est absent. »
Rosoy-en-Multien (Oise), à 16 h 30. Paul Eluard.
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
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Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
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28 |
IDÉES
0123
MARDI 19 MARS 2024

Jean Baubérot
« Contrairement à l’école,
l’armée met en œuvre
une laïcité efficace »
L’Etat doit-il mettre au écoles privées. Sinon, elle aurait été jugée
contraire à la préservation de la liberté de
pas les religions ? Telle conscience. C’est quand même paradoxal !

était l’interrogation N’est-il pas néanmoins légitime de

vouloir faire de l’école publique, dont
des pères fondateurs la fréquentation est gratuite et plus
de la laïcité française, massive que dans le privé, un temple des
valeurs républicaines, préservé de toute
selon l’historien. influence religieuse ?
Le problème de l’école publique est que la
Et elle continue de sécularisation touche non seulement la reli-
gion, mais aussi certaines convictions répu-
résonner aujourd’hui blicaines. La morale laïque est en crise, car,
aujourd’hui, le message dominant dans la so-
ciété est un message de réalisation de soi,
porté par la publicité ou les réseaux sociaux.
ENTRETIEN Celui-ci peut s’accompagner de revendica-
tions identitaires, religieuses ou non, qui ten-
tent de répondre à une angoisse de l’avenir. YANN LEGENDRE

L’
historien et sociologue Jean Baubé-
rot publie le dernier tome d’une
vaste enquête sur la loi du 9 décem-
bre 1905 instaurant la séparation
des cultes et de l’Etat (La loi de 1905
n’aura pas lieu. Tome III - L’Eglise ca-
tholique « légale malgré elle », Editions de la
Maison des sciences de l’homme, 432 pages,
29 euros). Dans cet ouvrage, le spécialiste de
la laïcité démontre que, loin de « la légende
dorée républicaine et de la légende noire ca-
tholique », ce texte n’a pas été pensé comme
une mise au pas de la religion, mais répon-
dait avant tout à un besoin de consolider une
société française fracturée, notamment face
à de nouveaux périls géopolitiques. Une si-
tuation non sans résonance avec la nôtre.
Cela fait vingt ans que la loi interdisant
le port de signes religieux ostensibles
dans les établissements scolaires a été
promulguée. En 1849, déjà, la première
occurrence connue du mot « laïcité »
en français (dans un compte rendu du
conseil général du Var) s’inscrivait dans
des débats sur la place du religieux dans
l’enseignement… Pourquoi la question
laïque est-elle si sensible à l’école ?
L’importance accordée à l’école est l’une
des spécificités fortes de la laïcité française.
Dans La Dépêche du 30 avril 1905, quelques
mois avant le vote de la loi du 9 décembre,
Jean Jaurès [1859-1914] prônait « l’éducation
laïque des générations successives » pour in-
culquer aux croyants « les mœurs de la li-
berté ». Il existait déjà, au XIXe siècle, cette
idée que l’école est le lieu de l’apprentissage
de l’esprit critique pour former des citoyens
électeurs. On la trouve au fondement de la
morale laïque, dont l’enseignement rem-
place l’instruction morale et religieuse
en 1882. Ses valeurs étaient la dignité de la
personne humaine et la solidarité. Toute-
fois, la laïcisation scolaire s’est opérée de fa-
çon « conciliante » envers les religions.
Qu’entendez-vous par là ?
Jules Ferry, ministre de l’instruction publi-
Au XIXe siècle, en revanche, on croyait que le
progrès scientifique et technique engendrait
le progrès du bien-être. Maintenant, les dis-
cours apocalyptiques font florès. L’école en
tant qu’institution peine à faire face à cette
nouvelle donne sociétale et culturelle.
Le drame serait d’opposer à un désir de pu-
reté religieuse, qui se développe au sein de
ce climat anxiogène, un désir de pureté sé-
culariste, où le religieux serait nié, rejeté
d’office. Au contraire, il faut se montrer criti-
que face à toute sacralisation de la pureté.
Une pureté néorépublicaine ne parvenant
plus à proposer un avenir meilleur aux fu-
turs citoyens donne du grain à moudre aux
extrémistes religieux, qui s’en servent pour
nourrir leur discours victimaire et susciter
la haine de la République.
Où trouver l’inspiration, selon vous ?
D’abord, il s’agit de se rendre compte qu’il
existe ce que j’appelle une « laïcité immer-
gée » : une laïcité moins présente médiati-
quement mais au fonctionnement tran-
quille, accommodant, conforme aux textes
fondateurs, à commencer par la loi de 1905,
dont l’article 1er dispose que la République
« assure la liberté de conscience et garantit
le libre exercice des cultes ». Grâce à cette
« laïcité immergée », on a ainsi pu passer de
l’« islam des caves » à la construction de
mosquées et de salles de prière ; les émis-
sions religieuses sur France 2 ou France
Culture ont été rendues possibles, les règles
sur l’abattage rituel ou les autorisations
d’absence (en entreprise, voire à l’école)
pour pallier l’absence de jour férié autre
que pour des fêtes catholiques aussi, etc.
Sans être parfaite, l’armée met aussi en
œuvre cette laïcité conciliante, efficace, par la
présence d’aumôniers de différentes confes-
sions ou l’offre de repas casher ou halal pour
les soldats juifs ou musulmans, par exemple.
Chaque année, elle organise également le pè-
lerinage de soldats catholiques à Lourdes et
de musulmans à La Mecque. Et quand l’ar-
mée française était en Afghanistan, dans le
camp qu’elle partageait avec d’autres forces
LA LOI DE 1905 N’AURA
PAS LIEU. TOME III -
L’ÉGLISE CATHOLIQUE
« LÉGALE MALGRÉ ELLE »
par Jean Baubérot (avec
la collaboration de Dorra
Mameri-Chaambi),
Editions de la Maison des
sciences de l’homme,
432 p., 29 euros.
Vous montrez que la loi de 1905 était
loin de constituer une mise au pas
des religions par la République…
A l’époque, des députés voulaient que les
églises soient louées pour dix ans aux ca-
tholiques, souhaitaient l’interdiction des
processions et du port de la soutane en pu-
blic pour les prêtres. Aucune de ces mesu-
res n’a été retenue. Les républicains tels
qu’Aristide Briand, rapporteur de la loi de
1905, et Jean Jaurès, qui l’a soutenu, étaient
conscients du danger que le catholicisme
représentait alors pour l’unité et la survie
de la République. Ils l’ont neutralisé en pri-
vilégiant l’éthique de responsabilité sur
l’éthique de conviction. Ainsi la victoire de
la laïcité a été durable, car pacificatrice.
Dans un discours prononcé le 19 fé-
vrier 1907 à l’Assemblée, Briand demande
aux « républicains » de ne pas désirer des
« victoires excessives », de ne « pas souhaiter
qu’elles soient si entières qu’elles laissent
après elles des rancœurs, des tristesses qui
peuvent se transformer en haines ». Ce dis-
cours fut salué aussi bien par les socialistes
révolutionnaires que par La Croix, alors
journal du catholicisme intransigeant. Mais
il n’est aujourd’hui cité par personne, car il
n’entre ni dans le récit victimaire catholique
ni dans la légende dorée républicaine.
Vous soulignez l’influence qu’a eue
la guerre russo-japonaise (1904-1905)
dans les débats autour de la loi de 1905.
Comment cela s’est-il traduit ?
En 1903, « l’horizon est entièrement à la
paix », déclarait Emile Combes, président
du conseil. On croit à l’instauration future
de règles internationales d’arbitrage pacifi-
que des conflits. On peut donc s’étriper en-
tre Français ! La guerre entre la Russie et le
Japon change complètement la donne. On
craint qu’elle ne gagne l’Europe, que l’Indo-
chine ne soit menacée. Le « péril jaune » est
dénoncé dans la presse. Et la défaite de la
Russie, alliée de la France, dégage le flanc
est de l’Allemagne, qui se montre à nou-
veau menaçante. Des députés proposent
alors de reporter la séparation pour ne pas
raviver les divisions dans le pays. Et si on la
fait, elle doit être libérale. C’est ce qui ad-
vint. Sinon, avec une accentuation de la
guerre religieuse, la France aurait été inca-
pable de résister à l’Allemagne en 1914-1918.
De nos jours, pourtant, la situation inter-
nationale tourmentée provoque un durcis-
sement de la laïcité, au risque de la division
entre Français. A mon sens, il faudrait au
contraire mettre en avant une laïcité qui
permette pour tous une égale liberté de
conscience et contrecarrer ainsi le discours
des extrémistes. Les islamistes radicaux ac-
tuels tiennent un type de discours analogue
à celui des catholiques intransigeants de
1905, qui tentaient de convaincre les catholi-
ques ouverts à la République que celle-ci les
discriminait.
Après la vague d’attentats et d’assassi-
nats commis en son nom, l’islam n’est-il
pas aujourd’hui perçu comme plus dan-
gereux que le catholicisme en 1905 ?
S’il n’y avait pas de menace terroriste, il ne
faut pas sous-estimer la peur du catholi-
cisme, en 1905. La crainte que ce dernier n’in-
vestisse la République de l’intérieur et ne sup-
prime les lois laïques des années 1880 (l’école
publique, le droit au divorce…) était réelle,
comme l’est aujourd’hui celle d’une influence
grandissante de l’islam politique en France.
Le discours séparatiste que l’on redoute
aujourd’hui, qui veut faire prédominer la loi
religieuse sur la loi civile, était tout autant re-
douté par les républicains en 1905. p
propos recueillis par
gaétan supertino

APRÈS 1905, L’ÉGLISE « LÉGALE MALGRÉ ELLE »

que et père de la loi de 1882 sur l’école publi-
que laïque avait notamment instauré un
jour sans école dans la semaine – d’abord le
jeudi, puis le mercredi – pour faciliter la te-
nue du catéchisme : selon ses détracteurs,
on allait permettre aux curés de détruire ce
que l’instituteur construisait le reste de la
semaine. D’autre part, Ferry a défendu la li-
berté de l’enseignement, c’est-à-dire la pos-
sibilité d’ouvrir des écoles privées d’inspira-
tion religieuse, face aux tentatives d’impo-
ser le monopole de l’instruction laïque.
Pour les pères fondateurs de la laïcité
française, l’émancipation ne peut s’acqué-
rir que dans le cadre d’une égale liberté de
conscience. A vouloir imposer une unique
voie pour acquérir l’émancipation, on ris-
que de devenir un nouveau « clérical ».
D’ailleurs, si la Cour européenne des droits
de l’homme n’a pas retoqué la loi de 2004,
c’est précisément parce que les élèves qui
veulent porter des signes religieux dits
« ostensibles » peuvent le faire dans des
armées, elle était la seule force militaire à
avoir construit une mosquée. Aujourd’hui,
elle constitue pour de jeunes musulmans
provenant de milieux défavorisés l’un des ra-
res lieux de promotion sociale. Ces mêmes
soldats protègent les églises, temples et syna-
gogues, contre de possibles attentats terro-
ristes islamistes. Or, aucun dérapage grave
n’a été jusqu’à présent à déplorer en son sein.
L’école, au contraire, ne parvient ni à apla-
nir les tensions liées au religieux ni à jouer
son rôle d’ascenseur social. Elle accroît
même les inégalités : ne masquons pas cela
par un discours hors sol sur les valeurs de la
République. Certes, il ne faut pas tout accep-
ter du religieux. Un critère peut fixer certai-
nes limites : la distinction entre l’irréversible
et le réversible. Le mariage forcé ou l’exci-
sion du clitoris sont de l’ordre de l’irréversi-
ble, et on doit les empêcher par la con-
trainte ; l’habit religieux me semble davan-
tage de l’ordre du réversible : si l’on s’y
oppose, faisons-le par l’argumentation.
la trilogie, démarrée en 2019, est
désormais complète. Avec ce dernier
tome, intitulé La loi de 1905 n’aura pas
lieu. Tome III - L’Eglise catholique « lé-
gale malgré elle », Jean Baubérot para-
chève son travail de décorticage des
conditions d’élaboration et de mise en
œuvre de la loi du 9 décembre 1905, clé
de voûte de la laïcité française.
Jamais un travail aussi complet
n’avait été entrepris sur l’histoire de ce
texte, au moins depuis l’ouvrage de ré-
férence de Jean-Marie Mayeur, La Sé-
paration de l’Eglise et de l’Etat, 1905
(Editions de l’Atelier, 1966). Mais ce
dernier contenait des angles morts, à
l’instar de l’impact de la guerre russo-
japonaise (1904-1905). Dans une
somme érudite mais accessible
(même si l’on s’y perd parfois au mi-
lieu des nombreux acteurs mobilisés),
Jean Baubérot dévoile également le
sort méconnu réservé à certains
« catholiques républicains » après 1905.
« Court-circuit »
Après les quatre refus du pape Pie X de
se plier aux mesures françaises d’enca-
drement du culte, des catholiques ré-
publicains vont tout de même entre-
prendre, contre l’avis de Rome, de
constituer des associations cultuelles,
conformément à la loi de 1905. Il s’en
crée alors environ 200, en rupture
avec le Saint-Siège. Mais, loin de les
soutenir, le gouvernement français va
au contraire choisir de soutenir les ca-
tholiques restés fidèles à Rome afin
qu’ils puissent pratiquer le culte mal-
gré leur absence de statut juridique.
Aristide Briand qualifie les catholiques
républicains de « fantaisistes ». Les prê-
tres opposés au pape sont sommés par
les préfets ou les tribunaux de quitter
leurs églises. Georges Clemenceau,
alors ministre de l’intérieur, fait
même envoyer la police dans une
église corse pour installer de force un
curé fidèle au Vatican, contre les vœux
de la paroisse.
« Il se produit un court-circuit entre
l’objectif de la liberté de conscience et
celui de la pacification de la société. Ce
fut le prix à payer » pour éviter le
conflit avec Rome, résume Jean Bau-
bérot. Cela révèle, aussi, que « la
France n’a jamais vraiment réussi à
adopter un état d’esprit pluraliste en
matière de religion ». p
ga. s.
0123
MARDI 19 MARS 2024 idées | 29

E
n matière de lutte contre les vio-
lences sexistes et sexuelles (VSS),
les responsables politiques s’en re-
mettent, souvent, aux magistrats.
Le mot d’ordre : « Il faut laisser la justice
faire son travail. » La juriste que je suis ne
saurait dire le contraire. Cependant, ce
principe permet également aux pou-
voirs exécutif et législatif de charger les
tribunaux de résoudre, en aval, les con-
séquences de crimes ou délits dont ils
devraient collectivement tenter d’empê-
cher la réalisation en amont.
Nous sommes nombreux à penser que
des politiques publiques sont nécessai-
res en la matière. Or, elles aussi nécessi-
tent d’être justes. Que serait une démo-
cratie qui cantonnerait l’idéal de justice à
la seule sphère judiciaire ?
Et au sujet des VSS, nombre de ques-
tions se posent. Quelle politique de pré-
vention adopter ? Quels ministères de-
vraient en être chargés ? Faut-il une défi-
nition légale du consentement en
matière sexuelle ? Les mineurs peuvent-
ils déposer plainte ? Peut-on différencier
le délai de prescription de l’action publi-
que de celui qui est octroyé à la victime ?
L’adoption des lois relève évidemment
du processus parlementaire institué par
la Constitution, mais, pour assurer leur
effectivité, une volonté de justice ne doit-
elle pas aussi imprégner leur élabora-
tion ? En ce sens, les décisions qui impul-
sent, financent ou enterrent les politi-
ques publiques méritent de faire l’objet
d’un débat, nourri d’une meilleure con-
naissance de la réalité de ces infractions.
Travail considérable
Quand, en 2021, la Commission indépen-
dante sur l’inceste et les violences sexuel-
les faites aux enfants (Ciivise) a été mise
en place, je me suis demandé si le gouver-
nement décidait – enfin – non seulement
d’adopter une politique publique en ma-
tière de lutte contre les violences sexuel-
les faites aux mineurs, mais aussi d’y in-
troduire de la démocratie participative.
En nommant deux coprésidents qui
choisissaient des experts pour débattre,
Camille Kouchner
L’Etat fait peu de cas de la parole
des victimes de violences
sexuelles subies dans l’enfance
Le sort réservé à la Commission indépendante sur l’inceste et les violences
sexuelles faites aux enfants, vidée de sa substance, reflète le renoncement
du gouvernement à donner des suites politiques aux 30 000 témoignages
douloureux recueillis, estime la maîtresse de conférences en droit privé
la Ciivise, le gouvernement donnait
tout son sens à la locution « laisser la
justice faire son travail ». Il organisait la
possibilité d’une justice à l’œuvre dans
les politiques publiques, y compris en
LES MISSIONS dehors des juridictions, pour toucher le
plus grand nombre et véritablement
DE LA CIIVISE changer la société.
Voyant ladite commission travailler,
ONT ÉTÉ MORCELÉES, mon espoir a grandi. La Ciivise a
ET IL N’Y AURA immédiatement mis en place un sys-
tème d’audiences publiques dont le but
VRAISEMBLABLEMENT n’était pas d’ouvrir un espace de lamen-
tations, mais d’associer les citoyens à la
PLUS D’AUDIENCES construction de décisions politiques
PUBLIQUES visant à prévenir et à lutter contre les
violences sexuelles faites aux mineurs.
En trois ans, un travail considérable a
les responsables politiques laissaient été mené. Nourries de 30 000 témoi-
penser que oui. L’Etat donnait naissance gnages, 82 préconisations ont été faites
à une institution ad hoc et engageait au gouvernement.
une procédure d’échanges constructifs Puis est arrivé le jour de la remise du
et démocratiques. En associant experts rapport de la Ciivise. Ce jour-là, j’étais
et citoyens à l’édification de ses dans la salle. Avec les survivants directs
politiques publiques, l’Etat offrait de ou indirects, les mères en lutte, les asso-
nourrir ses travaux. En mettant en place ciations, leurs alliés. Ce jour-là, une ques-
tion revenait sans cesse : à qui remet-
tait-on ce rapport ? Le 20 novembre 2023,
Journée internationale des droits de l’en-
fant, aucun ministre en exercice n’avait
fait le déplacement. Occupant la plupart
des médias, le gouvernement préférait
lancer, de son côté, son « plan de lutte
contre les violences faites aux enfants ».
Espace de reconnaissance étouffé
Depuis lors, que s’est-il passé ? Après plu-
sieurs rebondissements, éviction, dé-
missions et mise en retrait, la Ciivise n’a
plus de présidence. A de rares exceptions
près, personne ne sait quelles suites se-
ront données à ses préconisations. Pis, la
lettre de mission de la commission a été
modifiée : non seulement il n’y aura vrai-
semblablement plus d’audiences publi-
ques, mais les missions de la Ciivise ont
été morcelées. De quoi noyer les esprits,
réduire en faisant mine d’élargir.
Je pense à celles et à ceux qui ont eu la
force et la conscience politique de venir
livrer publiquement les crimes dont elles
et ils ont été victimes. Je pense aux trente
mille personnes qui ont fait confiance
aux membres de la Ciivise et à qui l’on re-
tire ce lieu de reconnaissance. Je pense
enfin à tous les autres survivants qui
n’ont pas pu venir témoigner.
Depuis que la Ciivise n’a plus de prési-
dence, une question me taraude. Elle
concerne les notions de justice et de dé-
mocratie tout autant que celle de respect
de la parole donnée. Comment l’Etat
peut-il se lamenter sur les dangers des
prises de parole sur les réseaux sociaux
ou ceux d’un prétendu tribunal médiati-
que quand il étouffe un espace de recon-
naissance, d’information et de participa-
tion démocratique tel que la Ciivise ?
Aujourd’hui, je lutte contre un mauvais
pressentiment : le problème ne viendrait
pas de la libération ou « non-libération »
de la parole des victimes, mais du peu de
cas que l’Etat fait de leurs délibérations.
La faille ne résiderait pas dans l’absence
de réaction sociétale aux violences
sexuelles faites aux mineurs, mais dans
un renoncement de l’Etat à donner des
suites politiques à la participation ci-
toyenne qu’a suscitée la Ciivise. Si l’on en
restait là, le bilan serait bien triste.
A moins que le gouvernement ne sache
rétablir la confiance des victimes dans
l’institution qu’il a créée, que les audien-
ces publiques de la Ciivise ne soient main-
tenues et que les préconisations déjà for-
mulées ne servent effectivement à fonder
de nouvelles politiques publiques.
L’Etat améliorerait alors les conditions
dans lesquelles le droit s’édifie. Il
donnerait surtout une chance à la jus-
tice, au sens le plus noble du terme, de
faire son travail. En commençant par ce
qui fait le socle de toute société : protéger
ses enfants. p
Camille Kouchner est maîtresse de
conférences en droit privé à l’université
Paris Cité. Elle a notamment publié
« La Familia grande » (Seuil, 2021)

U
ne loi sur la fin de vie est
actuellement en discus-
sion en France. Dimanche
10 mars, le président de la
République s’est prononcé pour
que soit discuté, dans les pro-
chaines semaines, un projet de
loi sur la fin de vie incluant la
possibilité d’accéder à une aide
médicale à mourir. Cette possibi-
lité de choix pourra être ouverte
sous conditions aux personnes
majeures présentant une mala-
die incurable engageant le pro-
nostic vital à court ou moyen
terme, responsable de douleurs
réfractaires, et disposant de leur
total discernement.
Certains, pour s’opposer à cette
proposition, invoquent le ser-
ment d’Hippocrate, qui dit : « Je
ne provoquerai jamais la mort dé-
libérément. » Si l’usage courant a
donné au terme « délibérément »
l’idée d’une action intention-
nelle, la racine de ce mot est le
verbe « délibérer ». Délibérer, c’est
peser tous les éléments d’une
question et débattre, collective-
ment ou avec soi-même, avant de
prendre une décision. Or la déli-
bération doit être précisément au
centre de la relation de soin. Cel-
le-ci est un échange qui prend
place dans un climat de
confiance réciproque et dont le
pivot essentiel est la liberté de
choix de la personne soignée.
Nous, soignantes et soignants,
pensons qu’une personne pré-
sentant une maladie incurable
ou un état grave et incurable avec
douleurs physiques ou psycholo-
giques impossibles à soulager
doit pouvoir recourir, si c’est là sa
demande, à l’aide médicale à
mourir comme soin ultime. Ce
choix, fait par une personne qui
estime que sa vie n’est plus une
existence et demande son inter-
Fin de vie Hippocrate a offert aux soignantes
et soignants un chemin humaniste qui nous oblige
Si certains détracteurs de l’aide médicale active à mourir invoquent le serment d’Hippocrate, un collectif de soignants
soutient que le respect de la volonté du patient – fût-elle de mourir – est tout aussi primordial pour rester fidèle à son esprit
ruption, est une décision prise en
pleine conscience et doit être res-
pecté comme telle.
Qui sommes-nous pour juger
de l’intensité de la souffrance de
la personne atteinte d’une mala-
die incurable quand elle estime
nos traitements insuffisamment
efficaces et leurs effets secondai-
res insupportables ? Surtout
quand ces derniers altèrent la
conscience et la pleine lucidité et
conduisent à la privation de la ca-
pacité à disposer d’elle-même ?
Au contraire, nous pouvons faire
entendre cette parole du patient.
Après discussion collégiale
Il ne s’agit pas d’opposer les soins
palliatifs, qui prennent en charge
avec grande qualité des person-
nes présentant une maladie incu-
rable avec pronostic vital engagé,
et l’aide médicale à mourir. Les
personnes présentant une mala-
die incurable et jugeant que leur
existence est intolérable malgré
nos traitements doivent aussi
avoir le choix de partir après dis-
cussion collégiale.
Nos collègues médecins belges,
comme d’autres, lorsqu’ils sont
confrontés à une demande d’aide
médicale à mourir par une per-
sonne, pratiquent depuis long-
temps cette concertation, où la
personne est l’interlocutrice es-
sentielle d’un dialogue cocons-
truit entre soignant et soigné.
Chez nous, la loi Claeys-Leonetti
permet « délibérément » le lais-
ser-mourir depuis 2016. Utiliser
l’expression « laisser mourir »
pour ce qui paraît être déjà une
euthanasie passive n’est-il pas
surprenant ? La Haute Autorité de
santé fait depuis 2020 la diffé-
rence entre la sédation profonde
et continue maintenue jusqu’au
LES PERSONNES
PRÉSENTANT UNE
MALADIE INCURABLE
ET JUGEANT QUE
LEUR EXISTENCE
EST INTOLÉRABLE
DOIVENT AUSSI
AVOIR LE CHOIX
DE PARTIR
décès (SPCMD) et l’euthanasie par
le moyen employé : l’arrêt des
traitements indispensables à la
vie pour la première, l’adminis-
tration d’un produit létal pour le
second.
Mais elle différencie également
les deux par l’intention et la tem-
poralité : l’intention de la SPCMD
est de soulager une douleur ré-
fractaire, celle de l’euthanasie de
répondre à la demande de mort
du patient ; concernant la tem-
poralité, l’euthanasie provoque
la mort rapidement, tandis
qu’avec la SPCMD la mort sur-
vient dans un temps qui ne peut
pas être prévu.
Soin ultime
Mais la Haute Autorité de santé
souligne que dans le cas de la
SPCMD « l’hydratation fait partie
des traitements qui devraient être
arrêtés ». Or, l’interruption de l’hy-
dratation conduit à l’insuffisance
rénale terminale. Peut-on affir-
mer que le décès est seulement
« dû à l’évolution naturelle de la
maladie » ? Et, comme le souligne
Régis Aubry, ancien président de
la Société française d’accompa-
gnement et de soins palliatifs, rap-
porteur auprès du Comité natio-
nal d’éthique, il est impossible de
savoir si la soif est absente lors de
l’arrêt des liquides chez un patient
sédaté. Ainsi, non seulement le
« laisser-mourir » et l’euthanasie
sont plus proches qu’il n’y paraît,
mais la SPCMD pose un certain
nombre de problèmes éthiques.
Il y a plus de 2 400 ans, Hippo-
crate a offert aux soignantes et
aux soignants un chemin huma-
niste qui nous oblige : celui de
« respecter toutes les personnes,
leur autonomie et leur volonté,
sans aucune discrimination selon
leur état ou leurs convictions,
de ne pas prolonger abusivement
les agonies, de faire tout pour sou-
lager les souffrances ». Son ser-
ment s’est adapté pendant des
siècles aux évolutions sociétales,
législatives et médicales, et no-
tamment au droit à l’interrup-
tion volontaire de grossesse.
Ouvrons la possibilité de choi-
sir ce soin ultime qu’est l’aide mé-
dicale à mourir aux personnes
présentant une maladie incura-
ble qui en font la demande libre,
lucide et réitérée en pleine cons-
cience, grâce à une loi respectant
l’éthique que ce cher Hippocrate
nous a léguée. Les déclarations
récentes d’Emmanuel Macron
constituent un premier pas sur ce
chemin. p
Parmi les signataires :
Brigitte Aelbrecht, médecin
généraliste ; Nathalie
Andrews, accompagnatrice ;
Eida Bui, médecin, cheffe de
service de polyclinique médi-
cale à l’hôpital Saint-Antoine
AP-HP ; Jean Daquin, méde-
cin gynécologue ; François
Guillemot, médecin gastro-
entérologue, ancien chef de
service ; Denis Labayle, méde-
cin gastro-entérologue, ancien
chef de service ; Sandra
Laberthe, infirmière coordina-
trice ; Jacques Orvain, ancien
directeur des études et de la
recherche de l’Ecole nationale
de la santé publique (Rennes) ;
Bernard Senet, médecin gé-
néraliste ; Alfred Spira, méde-
cin de santé publique, membre
de l’Académie nationale
de médecine
Retrouvez la liste complète
des signataires sur Lemonde.fr
30 | idées 0123
MARDI 19 MARS 2024

La foi des chrétiens

évangéliques
Le salut d’Israël passera pour l’Etat hébreu
par la solution à deux Etats ANALYSE UNE FRANGE

I RADICALE
sraël, tu n’es pas seul », en-
Soutenu par la journaliste Anne Sinclair et l’historien Elie Barnavi, le collectif JCall, né de la tendait-on, en novem-
bre 2023, dans un spot dif- DE L’ÉVANGÉLISME
volonté de promouvoir la paix au Proche-Orient, exhorte à mettre fin à la tragédie en cours fusé sur l’un des écrans
géants de Times Square, à New INTÈGRE SON SOUTIEN
York, réalisé par la Christians
United for Israel. Manifestations,
À ISRAËL DANS
UNE THÉOLOGIE

E
n avril 2010, nous fondions JCall, un
mouvement d’opinion se voulant
au-dessus des clivages partisans et
dont l’ambition était de « rassembler
les citoyens juifs européens et les amis
d’Israël qui aspirent à une paix au Proche-
Orient reposant sur un accord entre
Israéliens et Palestiniens, selon le principe
“deux peuples, deux Etats” ».
Dans son texte fondateur, que nous
avions intitulé « Appel à la raison », nous
écrivions que l’occupation et la poursuite
des implantations en Cisjordanie et dans les
quartiers arabes de Jérusalem-Est mettaient
en péril la pérennité du projet sioniste – et
que l’Etat juif et démocratique que les Pères
fondateurs avaient su créer, et qui avait
résisté depuis à toutes les vicissitudes de
l’histoire, ne survivrait pas à l’alternative
sinistre de la guerre civile et de l’apartheid.
Des milliers d’hommes et de femmes de
bonne volonté ont signé cet appel, et
treize personnalités ont apporté leur
contribution à une brochure qui a servi de
manifeste au mouvement (Les Raisons d’un
appel, Liana Levi, 2011).
Opprobre international
Quatorze ans plus tard, force est de
constater que rien n’a changé, sinon en pire.
A peine formé à la fin de l’année 2022,
le sixième gouvernement Nétanyahou, le
plus extrémiste de l’histoire de l’Etat juif, a
tenté un coup d’Etat judiciaire destiné à
liquider la démocratie libérale israélienne
au profit d’un régime d’autocratie élective.
Cette « réforme » a mis le pays au bord de
la guerre civile et a gravement affecté
ses capacités de défense. Cependant, sur le
volet palestinien, les accords de coalition
paix » ainsi éliminée, à l’absence supposée
d’un partenaire pour la paix s’est ouverte-
ment substitué le décret divin.
C’est sur cette toile de fond qu’est survenu
l’assaut barbare du 7 octobre. Ce po-
NOUS RELANÇONS grom inouï, la guerre contre le Hamas, l’hé-
catombe de civils et la dévastation de la
NOTRE « APPEL À LA bande de Gaza qui se sont ensuivies justi-
RAISON ». IL S’ADRESSE fient les pires craintes que l’« Appel à la rai-
son » entendait conjurer. Il est plus que ja-
À TOUS CEUX QUI N’ONT mais évident que le salut d’Israël passe par
un règlement raisonnable de la question
PAS PERDU LA FOI EN palestinienne, à savoir la solution à deux
Etats. Comme souvent dans l’histoire, des
UN AVENIR MEILLEUR tragédies les plus effroyables naissent les so-
lutions les plus audacieuses.
Nous relançons donc notre « Appel à la rai-
affirment le droit exclusif du peuple juif son ». Il est adressé à tous ceux, juifs et non
à l’autodétermination sur l’ensemble juifs, qui ont à cœur le salut des deux peu-
du territoire compris entre le Jourdain et la ples qui se partagent ce bout de terre de
Méditerranée. la Méditerranée orientale ; à tous ceux qui
A cette fin, la responsabilité sur les terri- contemplent avec effroi la dégradation poli-
toires occupés fut enlevée à l’armée, pouvoir tique et morale dans laquelle la coalition au
reconnu par le droit international, et transfé- pouvoir entraîne Israël, les périls qui l’as-
rée aux autorités civiles, sous la férule des saillent aux frontières, l’opprobre internatio-
représentants des colons au sein du gou- nal dont il est l’objet ; à tous ceux qui n’ont
vernement. La double fiction d’une occu- pas perdu la foi en un avenir meilleur, ni
pation « temporaire » et du « processus de l’exercice de leur raison pour y parvenir. p
Elie Barnavi, historien, ancien ambassadeur d’Israël en France ; David Chemla, secrétaire
général européen de JCall ; Daniel Cohn-Bendit, ancien député européen ; David Meyer,
rabbin ; Pierre Nora, historien, membre de l’Académie française ; Henry Rousso, directeur
de recherche émérite au CNRS, président de la mission de préfiguration au Musée-mémorial
du terrorisme ; Dominique Schnapper, sociologue, ancienne membre du Conseil
constitutionnel ; Anne Sinclair, journaliste ; Alain Rozenkier, président de La Paix mainte-
nant ; Meïr Waintrater, président de JCall France
levées de fonds, donation d’équi-
pement, envoi de volontaires sur
place pour aider à reconstruire
les kibboutz… Cette puissante
organisation de chrétiens évan-
géliques, qui revendique dix mil-
lions d’adhérents, multiplie,
avec d’autres, les actions de sou-
tien envers l’Etat hébreu depuis
les massacres du Hamas. Et le
phénomène n’est pas propre aux
Etats-Unis, comme on a pu ré-
cemment le voir au Brésil dans
une vaste manifestation pro-Is-
raël, le 25 février, qui comptait de
nombreux évangéliques.
Comment expliquer une telle
ferveur ? « C’est un acte de foi.
Nombre d’évangéliques soutien-
nent Israël comme ils s’opposent
au droit à l’avortement : cela est
perçu comme conforme à la vo-
lonté de Dieu », décrypte la poli-
tiste Célia Belin, autrice de Jésus
est juif en Amérique (Fayard, 2011).
Cette croyance est basée en
partie sur une lecture littéraliste
de certains textes bibliques, à
commencer par Genèse 12, 3, où
Dieu dit à Abraham : « Je bénirai
ceux qui te béniront, et je maudi-
rai ceux qui te maudiront ; et tou-
tes les familles de la Terre seront
bénies en toi. » Pour nombre
d’évangéliques, ce passage s’ap-
plique aujourd’hui à l’ensemble
des juifs et à l’Etat d’Israël, perçus
comme héritiers de la descen-
dance du patriarche. « Il y a cette
idée que les promesses divines fai-
tes au peuple juif sont de toute
éternité. Les Etats qui, comme les
Etats-Unis, soutiennent Israël
connaîtront la prospérité, alors
que ceux qui s’y opposent connaî-
tront un destin aussi dramatique
que celui de l’Allemagne nazie »,
résume Célia Belin. « S’opère
alors une confusion entre Medi-
nat Israel, l’Etat d’Israël, et Eretz
MESSIANIQUE
DE LA FIN DES TEMPS
bibliques d’Israël (comprenant
Gaza et la Cisjordanie, voire, selon
une version maximaliste, une
partie de l’Egypte et la Jordanie) et
la reconstruction du temple anti-
que de Jérusalem.
« Il y a, sur ce point, une conver-
gence de vues avec les sionistes reli-
gieux juifs – ceux-ci attendent éga-
lement un messie, même si ce n’est
pas Jésus –, qui confine parfois au
fanatisme dangereux. Certains en-
visagent, par exemple, la destruc-
tion de l’esplanade des Mosquées
en vue de reconstruire le temple
antique de Jérusalem », complète
l’historienne Katell Berthelot,
coautrice de Jérusalem. Histoire
d’une ville-monde des origines à
nos jours (Flammarion, 2016).
Le principal penseur d’une telle
vision eschatologique est le pas-
teur évangélique anglais John Nel-
son Darby (1800-1882), père de la
théorie du « dispensationalisme »,
qui divise l’histoire en plusieurs
« dispensations » (sorte de gran-
des étapes du plan divin) : les ori-
gines de l’humanité, le Déluge, la
construction de la tour de Babel, la
venue des patriarches, le don de la
Loi aux Hébreux, la venue du
Christ, puis son retour futur pour
un règne de mille ans, tel qu’an-
noncé dans l’Apocalypse de Jean.
Fracture générationnelle
Pour précipiter cette dernière
étape, des réseaux évangéliques
financent ainsi des migrations de
familles juives sur place, des pro-
jets archéologiques visant à
exhumer des vestiges de l’Israël

A
lors que la négociation
assurance-chômage s’est
terminée depuis moins
de trois mois, le gouver-
nement a déjà annoncé une
nouvelle réforme pour en durcir
les effets. Ce serait la cinquième
depuis 2017, soit quasiment une
tous les ans. Aucune d’entre elles
n’a pu faire l’objet d’évaluations
sérieuses. A l’heure où la simpli-
fication est à la mode, force est
de constater que ce principe ne
vaut pas pour les demandeurs
d’emploi, dont les droits sont de
plus en plus illisibles.
Les multiples réformes combi-
nées ont fait plonger le montant
moyen des allocations de 17 %
par rapport à 2019 et la durée
d’indemnisation de 25 %. Désor-
mais, seuls 36 % des inscrits à
France Travail (anciennement
Pôle emploi) sont indemnisés,
niveau qui n’a jamais été aussi
faible ! Quarante-cinq pour cent
des allocataires sont passés sous
le seuil de pauvreté – un chiffre
qui a doublé –, en grande majo-
rité des jeunes, des femmes à
temps partiel ou des seniors en
fin de droits, sur qui plane
maintenant la menace de sup-
pression de l’allocation spécifi-
que de solidarité (ASS). Ces bais-
ses de droits entraînent des ex-
cédents annuels à l’Unédic que
l’Etat s’empresse de ponction-
ner, à hauteur de 12 milliards
en trois ans. Et le chômage re-
part à la hausse…
Les déclarations incessantes de
l’exécutif sont en totale contra-
diction avec le principe, préten-
dument « de bon sens », brandi
en février 2023 : la « contracycli-
cité » de l’assurance-chômage.
« Quand la conjoncture économi-
Il faut cesser
la stigmatisation
populiste
des chômeurs
Cinq responsables syndicaux appellent
le gouvernement à renoncer à la dernière
réforme budgétaire de l’assurance-chômage
que s’améliore, on peut limiter les
droits des chômeurs, quand elle
se dégrade, il faut améliorer les
protections. » Un an plus tard, de-
mi-tour toute !
Marché de dupes
L’impact positif des réductions
successives de droits à l’assuran-
ce-chômage sur le marché de
l’emploi n’est pas prouvé. Au
contraire. Ce que les études
montrent, c’est que les chô-
meurs sont contraints d’accep-
ter des emplois plus précaires et
que l’insertion n’est pas durable.
Le but, non assumé par le gou-
vernement, est bien sûr de faire
des économies – les baisses de
droits déjà réalisées correspon-
dent à 3 milliards d’économies
par an –, pas de créer de l’emploi.
Un marché de dupes qui, au
lieu d’améliorer les conditions de
travail, les salaires ou les horaires
des « métiers en tension », oblige
les travailleuses et les travailleurs
à accepter des conditions dégra-
dées. Une hérésie aussi pour les
employeurs, qui ne pourront
compter sur le maintien des qua-
lifications au sein de leurs entre-
prises : dès qu’ils et elles auront
une meilleure proposition de tra-
vail, ces salariés iront voir
ailleurs. Quel est donc le pro-
blème avec les chômeurs ? Les
changements de pied du gouver-
nement seraient ridicules si
les conséquences humaines
n’étaient pas si graves.
Selon la direction de l’anima-
tion de la recherche, des études
et des statistiques, six millions
d’hommes et de femmes sont
sans emploi en France. Six mil-
lions de salariés, dont nous
pourrions tous être. Six mil-
lions de personnes qui ne se
satisfont pas de leur situation,
contrairement aux clichés si
souvent véhiculés. S’il faut
trouver des sources d’écono-
mies, conditionnons enfin les
200 milliards d’aides publiques
dont bénéficient actuellement
les entreprises, soit plus d’un
tiers du budget de l’Etat, à plus
de transparence sur leur utilisa-
tion et à des objectifs en ma-
tière d’emploi.
Nous appelons solennelle-
ment le gouvernement à renon-
cer à cette réforme budgétaire
qui rognera à nouveau les droits
à l’assurance-chômage et suppri-
mera l’ASS. Il faut cesser la stig-
matisation populiste des chô-
meurs. Au contraire, pour relan-
cer l’économie et la demande
intérieure, il faut que les entre-
prises partagent mieux la ri-
chesse créée, augmentent les sa-
laires pour que chacun et cha-
cune puisse se loger, se nourrir
et vivre dignement. Pour re-
nouer avec le pacte social, af-
fronter la transition écologique
et les enjeux de modernisation,
il faut enfin investir dans la for-
mation, les compétences et les
qualifications. C’est sur ces en-
jeux importants que nous atten-
dons le gouvernement. p
Sophie Binet, secrétaire gé-
nérale de la CGT ; Cyril Cha-
banier, président de la
CFTC ; François Hommeril,
président de la CFE-CGC ;
Marylise Léon, secrétaire
générale de la CFDT ;
Frédéric Souillot,
secrétaire général de FO
Israel, la terre sacrée du peuple
juif », poursuit l’historienne Sté-
phanie Laithier.
D’autres textes bibliques sont
réactualisés par les théoriciens
évangéliques, à l’instar du livre de
Jérémie, composé durant l’exil du
peuple hébreu à Babylone, aux
alentours du VIe siècle avant notre
ère. Une interprétation sioniste
contemporaine est alors appli-
quée à des passages tels que ce-
lui-ci : « Je rassemblerai moi-même
ce qui reste de mon troupeau, de
tous les pays où je les ai bannis ; je
les ramènerai dans leur domaine »
(Jérémie 23). Selon une telle lec-
ture, la promesse divine du retour
complet des juifs « sur leur terre »
tient toujours. John Hagee, pas-
teur texan de 83 ans, déclarait
même à la télévision américaine,
en 2008, que Dieu avait « créé Hit-
ler pour aider les juifs à atteindre la
Terre promise ».
Une frange radicale (mais très
active et médiatique) de l’évangé-
lisme intègre également son sou-
tien à Israël dans une théologie
messianique de la fin des temps,
basée sur une interprétation de
l’Apocalypse de Jean : Jésus doit
ainsi revenir sur terre après le re-
tour du peuple juif sur les terres
DES RÉSEAUX
ÉVANGÉLIQUES
FINANCENT
ENTRE AUTRES
DES ACTIVITÉS
DE SOUTIEN
AUX COLONS
antique ou des activités de sou-
tien aux colons. « La victoire d’Is-
raël lors de la guerre des Six-Jours,
en 1967, qui s’est traduite notam-
ment par la conquête de la Vieille
Ville de Jérusalem, a ainsi été inter-
prétée comme un signe divin. Une
euphorie est née de ce moment-là,
qui a renforcé le sionisme reli-
gieux, chrétien comme juif », re-
late Stéphanie Laithier.
Reste que les évangéliques ne
s’expriment pas d’une seule et
même voix, et le discours de cer-
taines organisations a évolué,
notamment pour éviter les ten-
sions avec les juifs – pas vraiment
réceptifs au message selon lequel
Jésus viendra les convertir à la fin
des temps. Le cas de l’Interna-
tional Christian Embassy in
Jerusalem est révélateur. « Il y a
encore dix ans, leur commu-
nication était truffée de référen-
ces bibliques et prophétiques.
Aujourd’hui, leur argumentation
s’est diversifiée et adaptée à un
public juif. Ils mettent davantage
l’accent sur le soutien à leurs “frè-
res juifs dans la foi” et sur des réfé-
rences historiques telles que la
Shoah », relate Katell Berthelot.
Une fracture générationnelle
semble également se dessiner :
selon les sociologues américains
Motti Inbari et Kirill Bumin
(Christian Zionism in the Twenty-
First Century : American Evangeli-
cal Opinion on Israel, Oxford Uni-
versity Press, 2023), environ 40 %
des évangéliques de moins de
30 ans refusent de se prononcer
dans le conflit israélo-palesti-
nien, et 20 % affichent un soutien
aux Palestiniens (en particulier
aux chrétiens). p
gaétan supertino
(le monde des religions)
0123
MARDI 19 MARS 2024 0123 | 31

ÉCONOMIE | CHRONIQUE POUTINE,

LE TRIOMPHE
par sté p hane l aue r
l’Ukraine, le 24 février 2022. Il ne fallait pas des fournitures d’armes auprès de la Corée

FORCÉ s’attendre non plus à ce qu’un des trois du Nord et de l’Iran, à engloutir toutes ses

Chine-Allemagne : autres candidats agréés inquiète le prési-

dent sortant : ils avaient précisément été
admis pour lui éviter tout embarras. Les vé-
ressources dans l’industrie de l’armement
et à accepter un statut de vassal à l’égard de
son protecteur chinois. Des élites urbaines
la grande illusion ritables et courageux gêneurs ont été élimi-
nés, physiquement si nécessaire, comme
cela a été le cas d’Alexeï Navalny, mort en
décimées par l’exode massif des jeunes
professionnels partis pour échapper à la
mobilisation. Un système de pouvoir si
prison le 16 février. concentré sur lui-même qu’il fait passer le

L LES AMBIGUÏTÉS
es sujets de discorde entre
la France et l’Allemagne
ne concernent pas seule-
ment les modalités de
l’aide à l’Ukraine face à l’agression
russe. Une autre source de ten-
sions monte en puissance, cette
fois à propos des relations com-
merciales avec la Chine. Au mo-
ment où la Commission euro-
péenne, sous les encouragements
de Paris, durcit le ton et lance des
procédures pour dénoncer les
pratiques déloyales de Pékin qui
cherche à doper ses exportations,
l’Allemagne s’enferre dans une at-
titude de « business as usual ».
Tandis que les investissements
des grandes entreprises alleman-
des restent massifs, le chancelier
Olaf Scholz fait tout pour ména-
ger la Chine. Cette politique de
court terme, qui se pare de prag-
matisme, cherche à sauvegarder
les intérêts de l’industrie alle-
mande au risque de heurter les in-
térêts européens.
Les récentes déclarations au Fi-
nancial Times du patron de Mer-
cedes, Ola Källenius, illustrent
l’état d’esprit qui règne au sein
d’une partie du patronat alle-
ALLEMANDES
SUR LES RELATIONS
COMMERCIALES AVEC
LA CHINE FRAGILISENT
LA COHÉRENCE DU
DISCOURS EUROPÉEN
Chine, confirme Sébastien Jean,
professeur au Conservatoire na-
tional des arts et métiers. En fait,
elles n’envisagent pas leur avenir
sans la Chine. Elles sont comme
frappées par un syndrome de Stoc-
kholm, qui les incite à doubler la
mise en étant persuadées qu’elles
finiront par s’en sortir. » Quatre
entreprises − Volkswagen, Merce-
des, BMW et BASF − représentent
désormais plus du tiers des inves-
tissements européens en Chine.
La conciliation des enjeux straté-
giques européens avec les intérêts
de cette poignée de multinationa-
les défendue par une partie de l’es-
tablishment politique à Berlin de-
E t de cinq. Depuis près d’un quart de
siècle, Vladimir Poutine règne sur la
Russie. Sa réélection pour un cin-
quième mandat présidentiel, dimanche
17 mars, par plus de 87 % des voix, lui per-
met d’étendre ce règne jusqu’à trente ans.
Si le cœur lui en dit, il pourra en briguer un
sixième en 2030, puisqu’il a fait modifier la
Constitution en ce sens.
On ne s’attardera pas sur les conditions
du vote ni sur l’absence d’observateurs in-
dépendants. Ce résultat était attendu,
compte tenu du carcan de propagande
dans lequel son régime enserre la popula-
tion et de l’impitoyable vague de répres-
sion qui s’est abattue sur tout ce qui res-
semble de près ou de loin à une opposition
depuis l’invasion à grande échelle de
Les dictateurs modernes attachent une
grande importance à l’apparence de légiti-
mité que confère le vote populaire, en dépit
de leur mépris pour les procédures démo-
cratiques. Dans le cas de M. Poutine, plus il
est retourné devant les urnes, plus il a eu
besoin de montrer qu’il était plébiscité. Elu
avec seulement 53,44 % des voix en 2000, il
n’a cessé d’améliorer son score aux scru-
tins suivants, hormis en 2012, lorsqu’il a re-
pris la présidence après l’intérim de Dmitri
Medvedev, avec un important mouvement
de protestation contre la fraude électorale.
On peut imaginer qu’une popularité qui
lui a permis de passer en vingt-quatre ans
d’un score de 53 % à 87 % est l’expression de
la gratitude des électeurs pour son bilan.
Mais quel bilan ! Une économie qu’il n’a ja-
mais su diversifier malgré la richesse ap-
portée par les hydrocarbures. Une démo-
graphie si déclinante qu’il a dû supplier les
femmes russes, dans un de ses récents dis-
cours, de faire des enfants. Un pays en
guerre désormais permanente, qui l’a con-
duit à recruter dans les prisons, à négocier
Politburo du Parti communiste soviétique
pour un modèle de démocratie.
Sur le plan diplomatique, en travestissant
sa conquête de l’Ukraine en croisade an-
tioccidentale, le président russe s’est gagné
la sympathie d’une partie du Sud global.
Mais il ne peut même pas en profiter : le
mandat d’arrêt délivré contre lui par la
Cour pénale internationale pour crimes de
guerre le contraint à limiter ses déplace-
ments à l’étranger.
Il a refait l’unité de l’Occident contre lui
en envahissant l’Ukraine. L’OTAN, dont il a
tant condamné l’élargissement, s’est de
nouveau élargie, grâce à lui, à deux nou-
veaux membres et pas des moindres, la
Finlande et la Suède.
Fort de cette nouvelle manifestation
d’adhésion – dont une grande partie est
réelle – à ses desseins, M. Poutine va sans
doute vouloir continuer de plus belle son
entreprise impériale. Le seul moyen de
l’arrêter, de l’empêcher d’avaler ses voisins
et de semer le chaos en Europe est de lui
infliger une défaite en Ukraine. p

mand. Alors que la Commission
européenne envisage d’augmen-
ter les droits de douane sur les im-
portations de véhicules chinois,
le dirigeant appelle à les réduire.
« C’est ça, l’économie de marché !
Laissons la concurrence jouer »,
explique Källenius. A condition
que celle-ci s’exerce avec les mê-
mes règles pour tout le monde.
Pendant deux décennies, l’Eu-
HORS-SÉRIE
vient de plus en plus difficile à gé-
rer. Au-delà de la question de la co-
hérence au niveau de l’UE, la
situation crée des dissensions au
sein de la coalition au pouvoir en
Allemagne. Le chancelier social-
démocrate Scholz est tétanisé par
de possibles mesures de rétor-
sions de la part de la Chine, qui af- UNE VIE, UNE ŒUVRE
faibliraient encore un peu plus
l’économie allemande. Les Verts

ÉD I T I O N
rope a voulu croire que ce monde réclament plus de fermeté. Quant

idéal finirait par voir le jour, jus-
qu’à la récente et tardive prise de
conscience que, sans protection,
le rouleau compresseur chinois
2024
aux libéraux, aveuglés par leur
idéologie, ils poussent à laisser
faire le marché, alors que les dés
sont pipés. A cela s’ajoute une

allait tout emporter.
L’industrie allemande a d’autant
plus de mal à tourner la page que
le marché chinois a constitué
pour elle un véritable eldorado.
Dans un contexte où la croissance
dans le pays était forte, la concur-
rence locale balbutiante, l’apport
de la technologie allemande in-
dispensable, les champions ger-
maniques ont su faire de la Chine
une formidable source de profits.
La logique selon laquelle les béné-
fices réalisés dans l’empire du Mi-
lieu finançaient l’emploi et l’inno-
vation en Allemagne a créé une
dépendance de laquelle Berlin
peine aujourd’hui à se départir.
« Syndrome de Stockholm »
Mais, face à la montée en puis-
sance de l’industrie chinoise, les
parts de marché et la rentabilité
des entreprises allemandes recu-
lent. La logique aurait voulu que
s’opère un virage stratégique con-
sistant à réduire leur exposition à
la Chine et à diversifier leurs in-
vestissements. Paradoxalement,
on assiste au mouvement inverse.
Entre 2009 et 2021, les exporta-
tions allemandes vers la Chine
ont augmenté de 136 %, pour re-
présenter désormais le double de
celles combinées de la France, du
Royaume-Uni et de l’Italie, indi-
que le cabinet d’études Rhodium
Group, basé à Berlin. Au cours des
huit dernières années, la part de
l’Allemagne dans le total des in-
vestissements directs étrangers
de l’Union européenne (UE) en
Chine s’est élevée, en moyenne, à
58 %, 20 points de plus qu’au
cours de la décennie précédente.
« Il n’y a pas de “de-risking” [at-
ténuation des risques] de la part
de ces entreprises vis-à-vis de la
BERLIN
S’ENFERRE
DANS UNE ATTITUDE
DE « BUSINESS
AS USUAL »
Émile
autre fracture qui se forme au sein
même de l’économie allemande
entre le « Mittelstand », le vaste
tissu de PME qui constitue son
épine dorsale, et les multinationa- Zola
Les combats
les. Pendant que le premier souf-
fre du ralentissement de l’écono-
mie, les secondes réinvestissent
leurs bénéfices en Chine pour res-
ter compétitives et réduisent l’em- d’un écrivain
ploi en Allemagne.
Tout indique que la situation va
continuer à se détériorer pour l’Al-
lemagne. La Chine a rattrapé son
retard technologique dans de
nombreux secteurs. Surtout, Pé-
kin, malgré le ralentissement de
son économie, accélère ses inves-
tissements dans l’industrie, pro-
voquant d’importantes surcapaci-
tés qui incitent à faire du dum-
ping. L’impact est déjà sensible sur
les exportations allemandes vers
la Chine, qui ont chuté de 9 %
en 2023. La menace chinoise
s’exerce désormais sur les mar-
chés tiers, en Europe, comme dans
les pays émergents.
« Une tempête parfaite se forme,
anticipe Noah Barkin, expert des
relations Europe-Chine au sein de
Rhodium Group. La concurrence
entre la Chine et l’Allemagne ne
peut que s’intensifier, ce qui va obli-
ger inévitablement Berlin à durcir
ses positions vis-à-vis de Pékin .» La Vu par Clemenceau, Jaurès, Aragon, Mendès France, Taubira…
question est de savoir quand. En
attendant, la Chine joue des diver-
gences de vues entre Paris et Ber-
lin. En réponse à l’enquête lancée
par la Commission européenne
sur les subventions chinoises ac-
cordées à son secteur automobile,
Pékin menace de mesures de ré-
torsion sur le cognac français. Il est toujours utile de relire Zola. L’écrivain qui
Si la Commission européenne a
pris la mesure de la nécessité de
décrit la montée de la bourgeoisie, de l’argent,
rééquilibrer les relations avec la de la corruption et des passions humaines. Le
ÉMILE ZOLA naturaliste au style torrentiel d’une sensualité
Chine, les ambiguïtés allemandes
fragilisent ce discours de fermeté.
Or le manque de cohérence ne épique. Le pamphlétaire du « J’accuse » qui
défend le capitaine Dreyfus et pourfend
peut que faire les affaires de la Un hors-série du « Monde »
Chine. Olaf Scholz doit se rendre à
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Pékin à la mi-avril, tandis qu’Em-
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