Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
à Meknès
Mohamed Bekraoui
Dans Guerres mondiales et conflits contemporains 2008/2 (n° 230), pages 51 à 58
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0984-2292
ISBN 9782130567899
DOI 10.3917/gmcc.230.0051
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 29/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.157.130.60)
Les services rendus par les soldats marocains aux troupes d’occupation
dans les différentes campagnes de « pacification » menées au Maroc, et
surtout l’expérience de la Première Guerre mondiale, ont largement
démontré aux hauts responsables militaires la richesse des ressources du
Maroc en combattants. Or, les Troupes auxiliaires marocaines (TAM), qui
ont imposé leurs qualités guerrières, leur discipline, leur bravoure et leur
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 29/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.157.130.60)
En juin 1918, cinq mois avant la fin des hostilités en Europe, Lyautey
propose au ministre de la Guerre son projet de création d’une école mili-
taire à Meknès, qu’il expose dans un rapport volumineux, détaillé et pré-
cis qui englobe plusieurs articles et annexes2. Dans ce rapport, le résident
général définit les buts et objectifs du nouvel établissement, son organisa-
tion, son fonctionnement, le personnel d’encadrement, le mode de recru-
tement des élèves officiers et les crédits nécessaires aux travaux d’aména-
gement. Le haut commandement français, les officiers coloniaux
3. Askri, « L’École militaire d’élèves officiers marocains de Meknès », BCAF (Bulletin du comité
de l’Afrique française), 1921, p. 109.
4. MAE-N, dossier no 144, cité, Lyautey à Sa Majesté le Sultan, a/s de la création d’une École
d’élèves officiers marocains, Rabat, le 18 janvier 1919.
5. Ibid., Lyautey à Marc, Rabat, le 18 janvier 1919. Dans cette lettre Lyautey précise : « Mon
intention est double en ouvrant à la jeunesse marocaine la carrière d’officier : j’applique, une fois de
plus, la formule de collaboration qui me paraît si juste et si féconde ; je rends hommage aux qualités
guerrières et au dévouement dont les Marocains nous ont, depuis 1912, donné tant d’admirables
exemples. »
6. Ibid., lettre de Lyautey à Moulay Youssef, citée.
7. Sur le personnage et son œuvre, cf. notamment Mustapha Châbbi, An-Noukhbâ al-Makhza-
nyâ fi Mâghrib al-qarn 19 (L’élite makhzenienne dans le Maroc du XIXe siècle), Publ. de la Faculté des
lettres et des sciences humaines de Rabat, 1995, p. 11 et s. ; ainsi que Mohamed al-Mânouni,
« Mouârikh Maknâss, Ibn Zidâne », Dâoulât al-hâq, 1966, no 1, p. 93 et s.
La création de l’École militaire des élèves officiers marocains 53
11. MAE-N, dossier no 144, cité, le général De la Bruyère, cdt la Région de Marrakech, au com-
missaire résident général, a/s de la plainte du pacha Hadj Thami Glaoui contre le chérif Mézouar
Moulay M’hammed, Marrakech, le 26 août 1921. Ce chérif critiquait ouvertement et publiquement
l’École de Dar el-Beïda, l’enseignement qui y était dispensé...
12. Ibid., lettre de Lyautey à Moulay Youssef, citée.
13. C. André Julien, op. cit., p. 145.
La création de l’École militaire des élèves officiers marocains 55
sont bien accueillis par les notables de la ville, qui les reçoivent chez eux :
Si Al-Mamoun, frère du sultan, et le pacha Bouchta Al-Baghdadi. Du 12
au 27 avril, un autre voyage d’études est organisé à Marrakech et à Moga-
dor (Essaouïra), au cours duquel les élèves officiers sont reçus en « grand
apparat »19 par le pacha Thami Glaoui et El M’Tougui.
L’intérêt et la portée politiques de ces visites d’études se reflètent mieux
dans les voyages qui sont organisés en France au profit des élèves officiers
admis aux examens de sortie de l’École. Ainsi, au cours de l’été 1921, les
autorités du Protectorat envoient en visite, en France les 11 lauréats de la
première promotion, sortie de Dar el-Beïda fin juin 1921. Le voyage dure
du 12 juillet au 6 août20, soit vingt-cinq jours, sous la conduite du directeur
de l’École, le commandant Quétin. Le programme, très chargé de ce
périple, a été soigneusement préparé et exécuté par les soins de Lyautey,
dont nous pouvons suivre l’itinéraire au jour le jour. Après le débarque-
ment à Bordeaux le 11 juillet, il débute par de nombreuses réceptions chez
le président de la République, puis chez le ministre de la Guerre, le colonel
Auroux, l’Office du Maroc à Paris, Qaddour ben Ghabrit... Les élèves visi-
tent ensuite les lieux historiques et culturels renommés de Paris (tour Eiffel,
musée du Louvre), les châteaux de Versailles, de Fontainebleau, etc. Tou-
tefois, au cours de ce premier voyage, on insiste surtout sur les monuments
et les lieux à caractère militaire, comme le Panthéon, les Invalides, la tombe
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 29/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.157.130.60)
Il est sûr que la création d’une École militaire, destinée à former des
officiers marocains, unique en son genre en Afrique du Nord et subsaha-
rienne, est une initiative louable en soi, en dépit des buts politiques
recherchés. Selon Lyautey, le nouvel établissement a atteint tous les
objectifs qui lui ont été assignés. En 1921, il dresse le premier bilan sui-
vant : « L’École a dès maintenant atteint son but, au point de vue de la
formation morale, de la tenue et de l’éducation des élèves officiers, au
point de vue de la répercussion favorable à en attendre dans la haute
société indigène et du relèvement aux yeux de l’élite du métier d’officier
précédemment si discrédité chez elle. »22
Cette institution a, en effet, contribué à former de jeunes cadres mili-
taires marocains, compétents, qui seront utilisés, non seulement à l’inté-
rieur même du pays, dans les campagnes dites de « pacification », mais
également sur de nombreux théâtres d’opérations extérieurs, dans les
conflits que l’armée française eut à mener en Europe, en Afrique, dans le
Sud-Est asiatique.
Plus qu’un établissement militaire, l’École de Dar el-Beïda s’est
affirmée comme un « puissant moyen politique indigène »23, car elle
contribua à « attirer à nous et à utiliser la classe dirigeante indigène »24,
reconnaît Lyautey, qui se réjouit des résultats obtenus : « L’École a pris
dans les classes les plus élevées avec un succès que je n’osais prévoir... »25
Lyautey affecta les 11 sous-lieutenants lauréats de la première promo-
tion, baptisée « Promotion du Maréchal » à des postes prestigieux afin de
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 29/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.157.130.60)
L’effectif très restreint d’officiers marocains formés par l’École fit d’elle
« l’établissement scolaire du Maroc le plus fermé »27, jusqu’à l’indépen-
dance du pays. La première promotion (1919-1921), par exemple, n’a
recruté que 11 candidats sur les 42 demandes reçues. Lors de la constitu-
tion de la deuxième promotion en 1920, sur un total de 35 demandes,
10 élèves seulement ont été retenus, parmi lesquels figurent un fils de
Madani Glaoui, un beau-frère du pacha de Marrakech, Thami Glaoui,
deux neveux du caïd de la tribu des Rehamna, El Ayyadi, le frère du
pacha d’Azemmour28. En 1934, après quinze ans d’existence, l’École
n’avait formé que 62 officiers, parmi lesquels 42 étaient en activité dans
l’armée et 10 occupaient des fonctions makhzeéniennes29. Quatre ans plus
tard, en 1938, leur nombre était de 78 officiers30, dont 54 en activité dans
l’armée et 12 dans des fonctions makhzéniennes.
Au 1er janvier 1953, l’École n’a formé seulement que 200 officiers31,
chiffre très dérisoire, si on tient compte des nombreux cadres militaires et
civils employés, les instructeurs, les professeurs recrutés et les dépenses
énormes allouées au fonctionnement, à la formation... Le nombre très
limité d’élèves admis à Dar el-Beïda poussa les familles à recourir à tous les
moyens possibles, dans l’espoir de faire admettre leurs fils dans cet établis-
sement militaire moderne dont la réputation et le prestige ne cessaient de
grandir et qui offrait des débouchés prestigieux.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 29/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.157.130.60)