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Le militaire des élèves officiers marocains de Dar El-Beïda

à Meknès
Mohamed Bekraoui
Dans Guerres mondiales et conflits contemporains 2008/2 (n° 230), pages 51 à 58
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0984-2292
ISBN 9782130567899
DOI 10.3917/gmcc.230.0051
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LA CRÉATION DE L’ÉCOLE MILITAIRE
DES ÉLÈVES OFFICIERS MAROCAINS
DE DAR EL-BEÏDA À MEKNÈS

Les services rendus par les soldats marocains aux troupes d’occupation
dans les différentes campagnes de « pacification » menées au Maroc, et
surtout l’expérience de la Première Guerre mondiale, ont largement
démontré aux hauts responsables militaires la richesse des ressources du
Maroc en combattants. Or, les Troupes auxiliaires marocaines (TAM), qui
ont imposé leurs qualités guerrières, leur discipline, leur bravoure et leur
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endurance, sont encadrées par d’anciens officiers des méhallas chérifien-
nes : caïds rha, khalifas, caïds mia...1, sortis des rangs, souvent âgés, insuffi-
samment instruits, sans prestige, ni ascendant sur leurs hommes. C’est
pourquoi le général Lyautey décide de créer, en 1918, une école spéciale
pour former des officiers marocains destinés à encadrer la troupe maro-
caine au sein de l’armée française, et à exercer ensuite des postes makhzé-
niens administratifs, tels que pachas, caïds ou khalifas dans les différentes
régions du pays.

1. LE PROJET DE LYAUTEY DE CRÉATION DE L’ÉCOLE

En juin 1918, cinq mois avant la fin des hostilités en Europe, Lyautey
propose au ministre de la Guerre son projet de création d’une école mili-
taire à Meknès, qu’il expose dans un rapport volumineux, détaillé et pré-
cis qui englobe plusieurs articles et annexes2. Dans ce rapport, le résident
général définit les buts et objectifs du nouvel établissement, son organisa-
tion, son fonctionnement, le personnel d’encadrement, le mode de recru-
tement des élèves officiers et les crédits nécessaires aux travaux d’aména-
gement. Le haut commandement français, les officiers coloniaux

1. Respectivement commandants, capitaines et lieutenants dans la hiérarchie militaire chéri-


fienne.
2. Ministère français des Affaires étrangères, Nantes (ci-après MAE-N), dossier no 144, Affaires
militaires marocaines, rapport no 844 TM, du 27 juin 1918.
Guerres mondiales et conflits contemporains, no 230/2008
52 Mohamed Bekraoui

notamment, dont le souvenir de la mutinerie des Askris à Fès, en


avril 1912, est encore présent à l’esprit, accueillent d’abord la proposition
de Lyautey avec réserve et méfiance. La plupart des Marocains se mon-
trent également réticents au projet. Le résident général doit alors insister,
expliquer pour convaincre et faire accepter son idée. Le ministre de la
Guerre finit par s’incliner et accepter finalement le principe de la création
de l’école, mais exige, au préalable, que les crédits demandés soient dimi-
nués avant de soumettre le projet au Parlement. Une décision ministé-
rielle, datée du 3 septembre 1918, autorise ainsi la création de l’École, qui
ne commence à fonctionner qu’en juillet 19193. En plus de l’accord du
gouvernement français, Lyautey doit obtenir l’aval de Moulay Youssef.
Dans ce but, il adresse au souverain, le 18 janvier 19194, une lettre, par
l’intermédiaire de Marc, secrétaire général du gouvernement chérifien,
qu’il charge de le convaincre de l’utilité de cette institution moderne :
« J’attache un très grand intérêt à cette création dont mieux que personne,
vous pouvez apprécier l’intérêt politique et l’importance militaire. Je vous
demande de bien faire comprendre à S.M. la portée de cette innovation
dont on ne trouve aucun équivalent en Algérie, ni en Tunisie »5, souligne
Lyautey dans cette lettre à Marc, qui accompagne celle adressée à
My Youssef. Dans cette dernière, Lyautey sait se montrer persuasif ; il
insiste tout particulièrement sur le respect des « usages et des traditions
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[des élèves...], la plus grande latitude leur sera laissée pour l’exercice du
culte musulman. Des permissions leur seront accordées dans une large
mesure à l’occasion de toutes les fêtes religieuses et notamment pendant
tout le Ramadan qu’ils pourront passer dans leurs familles »6.
Il nomme comme directeur de l’École, le commandant Quétin, que le
Souverain connaît bien, car il a déjà eu l’occasion de commander la Garde
noire, et qui aura comme adjoint, le chérif Moulay Abderrahmane ben
Zidâne. Naqib des chorfas alaouites de Meknès et de Moulay Idriss Zer-
houn. Historiographe de la dynastie alaouite et de la ville de Meknès, Ben
Zidâne7 est un homme de haute et vaste culture, auteur de nombreux
ouvrages d’histoire, de littérature arabe, de poésie..., dont un grand
nombre demeure manuscrit. Ses fonctions lui permirent de rassembler
une masse impressionnante de documents inédits : lettres, correspon-

3. Askri, « L’École militaire d’élèves officiers marocains de Meknès », BCAF (Bulletin du comité
de l’Afrique française), 1921, p. 109.
4. MAE-N, dossier no 144, cité, Lyautey à Sa Majesté le Sultan, a/s de la création d’une École
d’élèves officiers marocains, Rabat, le 18 janvier 1919.
5. Ibid., Lyautey à Marc, Rabat, le 18 janvier 1919. Dans cette lettre Lyautey précise : « Mon
intention est double en ouvrant à la jeunesse marocaine la carrière d’officier : j’applique, une fois de
plus, la formule de collaboration qui me paraît si juste et si féconde ; je rends hommage aux qualités
guerrières et au dévouement dont les Marocains nous ont, depuis 1912, donné tant d’admirables
exemples. »
6. Ibid., lettre de Lyautey à Moulay Youssef, citée.
7. Sur le personnage et son œuvre, cf. notamment Mustapha Châbbi, An-Noukhbâ al-Makhza-
nyâ fi Mâghrib al-qarn 19 (L’élite makhzenienne dans le Maroc du XIXe siècle), Publ. de la Faculté des
lettres et des sciences humaines de Rabat, 1995, p. 11 et s. ; ainsi que Mohamed al-Mânouni,
« Mouârikh Maknâss, Ibn Zidâne », Dâoulât al-hâq, 1966, no 1, p. 93 et s.
La création de l’École militaire des élèves officiers marocains 53

dances diverses, cartes, photographies, notices bibliographiques sur les sul-


tans alaouites et les différents personnages du Makhzen..., qui constituent,
indéniablement, des références historiques incontournables sur l’histoire
du Maroc à l’époque moderne et contemporaine. Il légua une œuvre très
riche, variée et précieuse, qui fut transférée à la bibliothèque et aux archi-
ves royales à Rabat.
Lyautey fixa deux objectifs principaux à la nouvelle École : le premier
est militaire : « Pourvoir à un besoin urgent d’officiers pour l’encadrement
des troupes marocaines (infanterie et cavalerie) [...], de même race et de
même religion que la troupe », affirme-t-il. Il considère, en effet, que les
gradés marocains qui encadrent les TAM, sont d’anciens officiers, sortis des
rangs, âgés, fatigués, qui n’avaient « reçu aucune instruction préalable,
avaient la plupart du temps une origine modeste et, pour cette double rai-
son, n’avaient sur la troupe qu’un très faible prestige »8. Le second objectif
est essentiellement politique car, en attirant les fils des grandes familles
marocaines urbaines et rurales dans l’armée, il visait à obtenir leur appui et
leur adhésion à l’action du Protectorat, à un moment où la conquête
militaire venait juste de commencer et le recrutement des contingents
marocains ne cessait d’augmenter. Lyautey était, d’ailleurs, persuadé que
« rien ne détourne davantage de la revendication que l’exercice du
commandement »9.
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2. ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DE L’ÉCOLE

Le résident général choisit d’installer le nouvel établissement dans l’an-


cien palais de Dar el-Beïda, édifié au XVIIIe siècle par le sultan Sidi Moha-
med ben Abdallah (1757-1790). C’est un fort, imposant et spacieux, aux
toits pyramidaux couverts de tuiles vertes, situé dans la banlieue de Mek-
nès, dans un site calme et agréable, au milieu de jardins d’oliviers. Lyautey
est d’emblée séduit par son site privilégié, son climat sain et son architec-
ture typiquement marocaine : zelliges, mosaïques... Ce palais a déjà servi
de relais logistique aux troupes chérifiennes durant la bataille d’Isly
en 1844, puis il fut utilisé comme centre de formation des soldats maro-
cains (harrabas) formés par la Mission militaire française vers 188010. À la
fin du XIXe et au début du XXe siècle, le palais souffrit beaucoup de l’aban-
don, des attaques des tribus... En 1912, les troupes d’occupation le choi-
sissent comme infirmerie militaire où étaient soignés les blessés de la
guerre de conquête, puis l’utilisent comme dépôt pour les spahis en 1914.

8. MAE-N, dossier no 144, rapport de Lyautey au ministre de la Guerre, du 27 juin 1918,


cité. MMM
9. Cité par C. André Julien, Le Maroc face aux impérialismes (1415-1956), éd. J. A. Paris, p. 148.
10. Colonel Mostapha Zrhibi, « L’École Dar el-Beïda, 1918-1956 dans Maroc-France », Histoire
militaire et témoignages, Actes du colloque des 17, 18 et 19 juin 1999, Montpellier, France, 2001, p. 51.
Nous n’avons, malheureusement, pas réussi à consulter la thèse du colonel Zrhibi sur Dar el-Beïda, en
dépit de nos nombreuses tentatives.
54 Mohamed Bekraoui

Le Génie militaire est alors chargé de le restaurer et de l’aménager, en res-


pectant fidèlement son architecture originale, les décorations intérieures et
extérieures. Les chambres des élèves sont décorées et meublées dans un
style marocain ; on aménage une mosquée, un bain maure, une biblio-
thèque, des terrains d’exercices et de sport spacieux, ainsi qu’une chambre
des hôtes, destinée à accueillir les visiteurs étrangers et les parents d’élèves
désireux de rendre visite à leurs fils et qui peuvent même séjourner auprès
d’eux. Cette initiative vise, en réalité, un double objectif : répandre une
propagande favorable, en faveur de l’École et démentir les bruits tendan-
cieux et « fâcheux sur l’École de Meknès »11.
L’École relève, par ailleurs, du résident général pour tout ce qui
concerne l’organisation, le recrutement et le statut des élèves, l’instruction
militaire, l’administration du personnel militaire et civil... Elle dépend
également du commandant de la Région de Meknès pour la discipline, la
police, l’hygiène et l’ordre public. Elle est commandée par un officier
supérieur provenant, en principe, du Service des affaires indigènes du
Maroc, assisté d’un adjoint marocain, en l’occurrence Moulay Abderrah-
mane ben Zidâne, et d’un petit état-major qui comprend des capitaines,
des officiers instructeurs (pour l’infanterie et la cavalerie), secondés par des
sous-officiers et des troupiers, tous arabisants. Le personnel comprend
également des professeurs civils, triés sur le volet, chargés de former les fils
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de bonnes familles.

3. NATURE DES ÉTUDES ET DE LA FORMATION

La politique suivie en matière d’éducation par le Protectorat, élitiste,


malthusienne, et conservatrice est parfaitement illustrée dans l’École mili-
taire de Dar el-Beïda.
Le recrutement des élèves officiers est fait exclusivement dans l’élite de
la société marocaine : « Classes dirigeantes et grandes familles, caïds,
pachas et toutes autres notabilités »12, souligne Lyautey. Il devait donc
répondre à ses « aspirations aristocratiques »13. La sélection et le tri des élè-
ves sont, en effet, très sévères. Le choix des candidats est confié aux auto-
rités de contrôle : officiers des affaires indigènes et contrôleurs civils qui
connaissent bien les tribus et les familles dépendant de leurs circonscrip-
tions respectives. Ils arrêtent une première liste qui est adressée avec les
dossiers à la direction de l’École, qui procède à une deuxième sélection.
La liste des candidats retenus est enfin soumise à la Résidence générale,
qui se prononce sur le choix final.

11. MAE-N, dossier no 144, cité, le général De la Bruyère, cdt la Région de Marrakech, au com-
missaire résident général, a/s de la plainte du pacha Hadj Thami Glaoui contre le chérif Mézouar
Moulay M’hammed, Marrakech, le 26 août 1921. Ce chérif critiquait ouvertement et publiquement
l’École de Dar el-Beïda, l’enseignement qui y était dispensé...
12. Ibid., lettre de Lyautey à Moulay Youssef, citée.
13. C. André Julien, op. cit., p. 145.
La création de l’École militaire des élèves officiers marocains 55

En plus du critère d’appartenance sociale, le candidat doit remplir les


conditions d’admission suivantes : être âgé entre 18 et 20 ans, apte physi-
quement, être titulaire du certificat d’études primaires et maîtriser le fran-
çais permettant la poursuite des études secondaires, présenter des garanties
morales.
Lyautey prévoit un effectif de 10 élèves officiers seulement par an, qui
entreront à l’École avec le grade d’aspirant-officier, et en sortiront
sous-lieutenants, après deux années d’études14. Les élèves officiers sont
astreints au régime et à la discipline militaires, avec internat. Ils reçoivent
la solde correspondant au grade d’aspirant, portent un uniforme en gabar-
dine kaki, avec un pantalon ample (saroual), une chéchia rouge, deux
burnous, blanc et bleu foncé, et le sabre15.
L’instruction dure deux années ; les programmes sont très chargés. Au
cours de la première année, les élèves reçoivent une formation générale de
base, qui comporte l’enseignement de la langue française, le calcul, l’his-
toire et la géographie du Maroc, de la France et de ses colonies. La
deuxième année est consacrée à l’instruction militaire générale : manœu-
vres, tirs, tactiques, exercices intensifs, équestres et à pied. Les instructeurs
et les professeurs chargés de l’encadrement militaire et de la formation
théorique des élèves officiers sont choisis avec un grand soin, parmi lesquels
figure Ben Zidâne qui enseigne la grammaire et la littérature arabes, l’ins-
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truction islamique, les règles du savoir-vivre et de bonne tenue. Cepen-
dant, des insuffisances et des faiblesses ont été constatées au niveau de
« l’instruction aussi bien générale (française et arabe) que militaire »16, ce qui
poussa le résident général à décider, en 1921, de porter la durée de la forma-
tion de deux à trois années, et ce, dans le but d’améliorer le niveau général.
Pour compléter la formation théorique des élèves officiers, atténuer
leur solitude morale, leur tristesse et la monotonie de la vie d’internat, on
tenait à les sortir souvent, à les « ouvrir à la vie »17, en leur organisant des
visites et des voyages d’études fréquents à l’intérieur même du Maroc et
en France. On leur faisait découvrir les principaux monuments et sites
historiques de Marrakech, Fès, Volubilis..., les grandes réalisations du Pro-
tectorat comme le port de Casablanca. Le 1er mars 1920, par exemple,
sous la conduite du directeur de l’École, du capitaine adjoint et de
My Abderrahmane ben Zidâne, les élèves se rendent à Fès pour visiter ses
« curiosités au point de vue historique, artistique [...], ses industries indi-
gènes [...], ses musées »18. En compagnie de Ben Zidâne, ils effectuent une
« ziâra » (visite) au sanctuaire de Moulay Idriss, à Sidi Ahmed Tijani, la
Karaouiyine, la Bou Anânia, le musée du Batha, la médina... Les élèves

14. MAE-N, dossier no 144, lettre de Lyautey à Moulay Youssef, citée.


15. Askri, BCAF, 1921, cité, p. 108.
16. P. Lyautey, Lyautey l’Africain (1912-1925), t. 4, Paris, Plon, 1953-1957, note a/s, de l’École
Dar el-Beïda à Meknès, Rabat, le 11 décembre 1921, p. 133 ; de même, Rapport mensuel du Protec-
torat, janvier 1920, p. 11.
17. As-Sâada, numéros du 8 mai 1920 et 16 octobre 1920.
18. Rapport mensuel d’ensemble, mars 1920, p. 10 ; ainsi que As-Sâada, du 1er mars 1920.
56 Mohamed Bekraoui

sont bien accueillis par les notables de la ville, qui les reçoivent chez eux :
Si Al-Mamoun, frère du sultan, et le pacha Bouchta Al-Baghdadi. Du 12
au 27 avril, un autre voyage d’études est organisé à Marrakech et à Moga-
dor (Essaouïra), au cours duquel les élèves officiers sont reçus en « grand
apparat »19 par le pacha Thami Glaoui et El M’Tougui.
L’intérêt et la portée politiques de ces visites d’études se reflètent mieux
dans les voyages qui sont organisés en France au profit des élèves officiers
admis aux examens de sortie de l’École. Ainsi, au cours de l’été 1921, les
autorités du Protectorat envoient en visite, en France les 11 lauréats de la
première promotion, sortie de Dar el-Beïda fin juin 1921. Le voyage dure
du 12 juillet au 6 août20, soit vingt-cinq jours, sous la conduite du directeur
de l’École, le commandant Quétin. Le programme, très chargé de ce
périple, a été soigneusement préparé et exécuté par les soins de Lyautey,
dont nous pouvons suivre l’itinéraire au jour le jour. Après le débarque-
ment à Bordeaux le 11 juillet, il débute par de nombreuses réceptions chez
le président de la République, puis chez le ministre de la Guerre, le colonel
Auroux, l’Office du Maroc à Paris, Qaddour ben Ghabrit... Les élèves visi-
tent ensuite les lieux historiques et culturels renommés de Paris (tour Eiffel,
musée du Louvre), les châteaux de Versailles, de Fontainebleau, etc. Tou-
tefois, au cours de ce premier voyage, on insiste surtout sur les monuments
et les lieux à caractère militaire, comme le Panthéon, les Invalides, la tombe
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du soldat inconnu, les Écoles militaires de Saint-Cyr et de Joinville, le
bataillon de chasseurs à Metz, le cantonnement du 63e Marocain à
Mayence. On leur fait découvrir aussi d’autres villes provinciales comme
Belfort, Strasbourg, Mayence, Metz, Nancy et Marseille... Des excursions
par bateau à Saint-Germain et à Fontainebleau, permettent aux élèves de
souffler et de se détendre. Le programme prévoit la visite de deux usines
seulement : Renault et la cartoucherie de Vincennes, ainsi que l’aéroport
du Bourget et les magasins des Galeries Lafayette. Le but de ce voyage est,
bien entendu, « avant tout une mesure politique et non pas un voyage
pédagogique »21, reconnaît Lyautey. Il s’agit d’agir sur cette future élite
militaire marocaine, l’impressionner par la richesse économique, sociale et
culturelle, la diversité et la grandeur de la civilisation française. Le voyage
fut un « succès complet », selon ses organisateurs.

4. QUEL BILAN PEUT-ON DRESSER EN 1921 ?

Il est sûr que la création d’une École militaire, destinée à former des
officiers marocains, unique en son genre en Afrique du Nord et subsaha-

19. Rapport mensuel d’ensemble, du mois d’avril 1920, p. 12 ; de même As-Sâada, du


8 mai 1920.
20. MAE-N, dossier no 144, cité, lettre no 332 du commandant Quétin, directeur de l’École Dar
el-Beïda à Marc, secrétaire général du gouvernement chérifien, Meknès, le 23 juin 1921 ; de même
France-Maroc, « La visite des élèves officiers marocains en France », no 57, 1921, p. 140-141.
21. Service historique de la Défense - Terre, 3H 297, note de Lyautey, no 159 GL, Voyage des
jeunes musulmans, Rabat, le 24 mai 1922.
La création de l’École militaire des élèves officiers marocains 57

rienne, est une initiative louable en soi, en dépit des buts politiques
recherchés. Selon Lyautey, le nouvel établissement a atteint tous les
objectifs qui lui ont été assignés. En 1921, il dresse le premier bilan sui-
vant : « L’École a dès maintenant atteint son but, au point de vue de la
formation morale, de la tenue et de l’éducation des élèves officiers, au
point de vue de la répercussion favorable à en attendre dans la haute
société indigène et du relèvement aux yeux de l’élite du métier d’officier
précédemment si discrédité chez elle. »22
Cette institution a, en effet, contribué à former de jeunes cadres mili-
taires marocains, compétents, qui seront utilisés, non seulement à l’inté-
rieur même du pays, dans les campagnes dites de « pacification », mais
également sur de nombreux théâtres d’opérations extérieurs, dans les
conflits que l’armée française eut à mener en Europe, en Afrique, dans le
Sud-Est asiatique.
Plus qu’un établissement militaire, l’École de Dar el-Beïda s’est
affirmée comme un « puissant moyen politique indigène »23, car elle
contribua à « attirer à nous et à utiliser la classe dirigeante indigène »24,
reconnaît Lyautey, qui se réjouit des résultats obtenus : « L’École a pris
dans les classes les plus élevées avec un succès que je n’osais prévoir... »25
Lyautey affecta les 11 sous-lieutenants lauréats de la première promo-
tion, baptisée « Promotion du Maréchal » à des postes prestigieux afin de
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rehausser la réputation de l’École26, ainsi :
1 / El-Mekki ben Mohamed (fils du caïd Med ben Larbi des Mdakra, à
Boucheron (El-Gara), à la Garde noire du Sultan ;
2 / Salah ben Mohamed Ould Farjia, au cabinet militaire de Lyautey ;
3 / Abdeslam ben Omar Daoudi, à la direction du Service des rensei-
gnements à Rabat auprès du lieutenant-colonel Huot ;
4 / Mokhtar ben Jillali, à l’état-major du général Poeymirau, à Meknès ;
5 / Ahmed ben Abderrahmane Agouram, comme officier instructeur à
l’École Dar el-Beïda ;
6 / M’Hamed ben Jilali, au 1er escadron de Spahis marocains à Fès ;
7 / Med ben Mokhtar Seban, et 8 / Ahmed ben Abbès au 62e régiment
de Tirailleurs marocains à Marrakech ;
9 / Moulay Hassan ben Ali, au tabor de police à Tanger ;
10 / Brahim ben Lahsen, aux goums de Sefrou,
11 / et Sidi Ben Nasser, aux goums du Tadla, à Béni Mellal.

22. Lyautey l’Africain, t. 4, p. 132-133.


23. La voix de Meknès-Fès, du 8 au 14 avril 1919. La revue France-Maroc, note pour sa part :
« Une pépinière d’agents de pénétration ont été formés à nos idées et à nos méthodes » (no 6,
juin 1920, p. 129).
24. Cité par C. André Julien, op. cit., p. 148.
25. Ibid.
26. MAE-N, lettre no 332, du commandant Quétin à Marc, précédemment citée, Meknès, le
23 juin 1921 ; de même, direction des Archives royales, Rabat, dossier 1337-1343, 16 Chouâl 1339 ;
et Lyautey l’Africain, t. 4, note a/s de l’École Dar el-Beïda à Meknès, Fès, le 20 mai 1921, p. 129 ;
ainsi que As-Sâada, « Les nouveaux officiers marocains », no 2247, du 21 juin 1921.
58 Mohamed Bekraoui

L’effectif très restreint d’officiers marocains formés par l’École fit d’elle
« l’établissement scolaire du Maroc le plus fermé »27, jusqu’à l’indépen-
dance du pays. La première promotion (1919-1921), par exemple, n’a
recruté que 11 candidats sur les 42 demandes reçues. Lors de la constitu-
tion de la deuxième promotion en 1920, sur un total de 35 demandes,
10 élèves seulement ont été retenus, parmi lesquels figurent un fils de
Madani Glaoui, un beau-frère du pacha de Marrakech, Thami Glaoui,
deux neveux du caïd de la tribu des Rehamna, El Ayyadi, le frère du
pacha d’Azemmour28. En 1934, après quinze ans d’existence, l’École
n’avait formé que 62 officiers, parmi lesquels 42 étaient en activité dans
l’armée et 10 occupaient des fonctions makhzeéniennes29. Quatre ans plus
tard, en 1938, leur nombre était de 78 officiers30, dont 54 en activité dans
l’armée et 12 dans des fonctions makhzéniennes.
Au 1er janvier 1953, l’École n’a formé seulement que 200 officiers31,
chiffre très dérisoire, si on tient compte des nombreux cadres militaires et
civils employés, les instructeurs, les professeurs recrutés et les dépenses
énormes allouées au fonctionnement, à la formation... Le nombre très
limité d’élèves admis à Dar el-Beïda poussa les familles à recourir à tous les
moyens possibles, dans l’espoir de faire admettre leurs fils dans cet établis-
sement militaire moderne dont la réputation et le prestige ne cessaient de
grandir et qui offrait des débouchés prestigieux.
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L’École de Dar el-Beïda connaîtra plusieurs réformes visant à aug-
menter le nombre d’années de formation, à améliorer le niveau des élèves
et à ouvrir d’autres débouchés qui ne mènent pas uniquement aux carriè-
res militaires, mais donnent accès à d’autres fonctions administratives,
libérales et agricoles. Un cours de perfectionnement pour gradés maro-
cains est ainsi créé à l’École en 1928. De même que l’établissement
s’ouvre progressivement aux fils des familles modestes, les plus méritants :
petits fonctionnaires, commerçants, anciens combattants...
À l’indépendance du pays, Dar el-Beïda devient l’Académie royale
militaire, qui poursuit sa mission de formation d’un plus grand nombre
d’officiers dans les différentes armes et s’ouvre davantage sur son environ-
nement national, africain et international.
Mohamed BEKRAOUI,
Université de Fès, Maroc.

27. C. A. Julien, op. cit., p. 148.


28. Prosper Ricard, « Dar el-Beïda », dans France-Maroc, no 57, 1921, p. 139 ; de même
As-Sâada, no 2144, du 16 octobre 1920.
29. SHD-Terre, 3H158, rapports mensuels ou de quinzaine, 1931-1938 ; période du 1er au
15 mai 1935, note sur l’École des élèves officiers de Meknès.
30. La voix de Meknès-Fès, no 13, du 1er au 7 avril 1939.
31. Bulletin économique et social du Maroc, « Note sur l’école militaire des élèves officiers marocains
de Dar el-Beïda », vol. XVI, no 57, 1953, p. 327.

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