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Droit administratif 4 BE 2/10/06 15:28 Page 1

Connaissance

Pierre Delvolvé
du droit
LE DROIT
ADMINISTRATIF
La réputation du droit administratif a pu être un temps compromise.
Elle doit être rétablie car il répond à son objet : le bon ordre de l’admi-
nistration et la protection des administrés. Pierre Delvolvé
L’organisation administrative est encadrée, l’action administrative est
délimitée, la justice administrative est rendue. La légalité administrative
s’est enrichie, la responsabilité administrative s’est étendue, le conten- LE DROIT

LE DROIT ADMINISTRATIF
tieux administratif s’est renforcé.
Des réformes récentes ont notamment accru les pouvoirs de la juridic-
tion administrative et l’efficacité de son intervention, notamment en
ADMINISTRATIF
urgence. L’amélioration des relations entre administration et adminis-
trés est constamment recherchée tant par le juge que par le législateur.
Le droit administratif ne constitue pas cependant un tout explosif.
Le droit constitutionnel, le droit international, le droit communautaire,
le droit européen contribuent à son évolution, voire à son enrichisse- 4e édition
ment. Si la jurisprudence administrative est peut-être moins qu’autre-
fois la source principale du droit administratif, elle continue à l’enrichir.
Dans son contenu, le droit administratif peut comporter des insuffi-
sances. Il n’en garde pas moins sa spécificité et sa valeur.
Ce petit livre essaie, en le présentant, d’en mesurer les vertus et les
Couv. : conception graphique Sevan D. / Photo : D.R.

progrès.

Pierre Delvolvé est professeur à l’Université Panthéon-Assas


(Paris II).

ISBN 2 247 07079 5

http://www.dalloz.fr 10,50 €
Le droit administratif
Connaissance du droit

collection fondée par

Jean-Luc Aubert
agrégé des Facultés de droit

dirigée par

Philippe Jestaz
professeur émérite de l’Université Paris Val-de-Marne (Paris XII)
Le droit administratif
4 e édition
2006

Pierre Delvolvé
professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
Le pictogramme qui figure ci-contre
mérite une explication. Son objet est d’aler-
ter le lecteur sur la menace que représente
pour l’avenir de l’écrit, particulièrement
dans le domaine de l’édition technique et
universitaire, le développement massif du
photocopillage.
Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expres-
sément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette
pratique s’est généralisée dans les établissements d’enseignement supérieur, provo-
quant une baisse brutale des achats de livres et de revues, au point que la possibilité
même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correcte-
ment est aujourd’hui menacée.
Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente
publication est interdite sans autorisation de l’auteur, de son éditeur ou du Centre
français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins,
75006 Paris).

31-35, rue Froidevaux, 75685 Paris cedex 14

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article


L. 122-5, 2° et 3° a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réser-
vées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre
part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration,
« toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consente-
ment de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, consti-
tuerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code
de la propriété intellectuelle.

© ÉDITIONS DALLOZ – 2006


Abréviations

AJDA Actualité juridique – Droit administratif


Cass. Cour de cassation
CC Conseil constitutionnel
CE Conseil d’État
CEDH Cour européenne des droits de l’homme
CJA Code de justice administrative
CJCE Cour de justice des Communautés européennes
Concl. Conclusions
D. Recueil Dalloz
GP Gazette du palais
RD publ. Revue du droit public
RFD adm. Revue française de droit administratif
S. Recueil Sirey
TC Tribunal des conflits

Les arrêts cités sont tous reproduits dans le recueil annuel


de la juridiction qui les a rendus, ainsi que par Légifrance, où
ils peuvent être facilement retrouvés. Un astérisque désigne ceux
qui figurent dans Les grands arrêts de la jurisprudence adminis-
trative de M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé et B. Gene-
vois (Dalloz, 15e éd., 2005) ou dans Les grandes décisions du Conseil
constitutionnel de L. Favoreu et L. Philip (Dalloz, 13e éd., 2005).
À la mémoire de mon père

Introduction

Le droit administratif se décante.


Après avoir été présenté comme une sorte de miracle (P. Weil),
ayant assujetti l’administration au respect de la règle de droit
et après avoir été porté au pinacle comme modèle de dévelop-
pement progressif, voire progressiste, tenant compte à la fois de
l’intérêt général et des libertés des citoyens, il a paru en crise et
a suscité la méfiance.
De la juridiction administrative, à laquelle il est étroitement
lié, la compétence était devenue trop incertaine et l’efficacité
trop limitée ; sa lenteur a été dénoncée ; son contrôle est apparu
tantôt raffiné, tantôt trop sommaire dans ses méthodes, souvent
trop frustre dans ses résultats ; il en serait devenu presque inutile.
Pour le Conseil d’État en particulier, on est passé du sacre au
massacre (F. Burdeau).
Quant au fond, le droit administratif a été affecté par un
double mouvement. En lui-même, il serait devenu inadapté aux
besoins de la société, ou même seulement de l’administration,
attentatoire aux droits des particuliers, étranger aux préoccu-
pations des entreprises. La modernité se serait trouvée désor-
mais dans d’autres branches du droit : le droit constitutionnel,
le droit communautaire, le droit européen. Ils auraient envahi
le droit administratif à un point tel qu’il n’en aurait plus été
qu’un succédané.
Ces reproches sont aujourd’hui dépassés – si tant est qu’ils
aient été un moment justifiés. La juridiction administrative se
Introduction

2 trouve aujourd’hui renforcée dans sa compétence et dans ses


pouvoirs. La délimitation d’un noyau en principe irréductible
d’attributions lui appartenant, s’agissant de l’annulation et de la
réformation des actes administratifs (CC 23 janv. 1987*), empêche
le dépeçage auquel les contempteurs du juge administratif ten-
taient de procéder : le fondement de sa compétence a été retrouvé
et même son essence a été déterminée. Le pouvoir d’injonction
qui lui a été attribué par la loi du 8 février 1995 et qu’il utilise
pleinement, la procédure de référé qui a été aménagée par la
loi du 30 juin 2000 et qu’il a mise en œuvre sans restriction per-
mettent d’assurer l’effectivité de ses décisions et l’efficacité de
ses interventions, notamment en urgence. Il module si néces-
saire les effets dans le temps de ses décisions d’annulation
(CE 11 mai 2004, Association AC !*).
L’amélioration des relations entre l’administration et les
administrés a été assurée par plusieurs dispositions réglemen-
taires et législatives, notamment la loi du 12 avril 2000, et par
la jurisprudence elle-même. De celle-ci on peut citer en parti-
culier les arrêts transformant le régime du retrait des actes admi-
nistratifs (CE 26 oct. 2001, Ternon*), limitant l’exigence de la
faute lourde dans la responsabilité administrative (CE 10 avr.
1992, Époux V.*), reconnaissant expressément le principe de
sécurité juridique (CE 24 mars 2006, Société KPMG). Les rap-
ports entre le droit administratif d’une part, le droit pénal
(CE 6 déc. 1996, Société Lambda*), le droit de la concurrence
(CE 3 nov. 1997, Société Million et Marais*), le droit de la consom-
mation (CE 11 juill. 2001, Société des eaux du Nord) d’autre part
ont donné lieu à des précisions qui non seulement ont levé les
ambiguïtés mais ont enrichi la légalité.
Si on peut dire, le droit administratif est épuré de ses sco-
ries ; il a retrouvé ses qualités.
Son passé est gage de sa pérennité. Il n’est pas né du hasard.
On ne peut rien y comprendre si l’on ne remonte à ses racines.
Il est essentiellement lié à la formation de l’État en France, bien
avant que la Révolution ait contribué à lui donner un nouvel
essor. L’Ancien Régime connaissait un droit administratif
Introduction

(J.-L. Mestre), où les notions, voire les expressions de puissance 3


publique et de service public tenaient déjà une place : on en
trouve des manifestations dans les institutions féodales, puis dans
des corps tels ceux des villes et des communautés, dans les
conseils du roi et les intendants, dans les fonctions de police, y
compris celle de l’économie, dans les secours aux habitants, les
travaux (routes, canaux), l’urbanisme, que facilitaient les droits
du roi sur le sol, dans l’interdiction aux Parlements de connaître
des affaires concernant l’État, son administration, son gouver-
nement (édit de Saint-Germain, 1641), dans le développement
d’un contentieux administratif confié à des juridictions spécia-
lisées. La Révolution, si elle a tout renversé, a commencé à tout
reconstruire, en établissant de nouvelles structures administra-
tives, en affirmant le règne de la loi, en confirmant par des
textes toujours en vigueur (loi des 16-24 août 1790, décret du
16 fructidor an III), la séparation des fonctions judiciaires et des
fonctions administratives, l’interdiction aux juges de troubler, de
quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs,
de citer les administrateurs pour raison de leurs fonctions, de connaître
des actes d’administration, de quelque espèce qu’ils soient. Le Consu-
lat et l’Empire, en instituant le Conseil d’État, les préfets, ont
créé les deux institutions capitales de l’administration française,
que les transformations qu’elle a connues n’ont pas remises en
cause. Mais, s’ils ont doté de codes la « société civile », ils n’ont
pas donné à l’administration un texte équivalent.
Il fallait pourtant juger l’administration : mais par quel juge ?
selon quel droit ? À la première question, le Conseil d’État a
donné la solution (v. p. 83) : il lui est revenu de trancher les
litiges d’ordre administratif. À la seconde question, le Tribunal
des conflits a fourni la réponse dans l’arrêt Blanco* du 8 février
1873 : en considérant que la responsabilité qui peut incomber à l’État
pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes
qu’il emploie dans le service public, ne peut être régie par les prin-
cipes qui sont établis dans le code civil, pour les rapports de parti-
culier à particulier, … qu’elle a ses règles spéciales qui varient sui-
vant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de
Introduction

4 l’État avec les droits privés, que, dès lors, aux termes des lois ci-des-
sus visées, l’autorité administrative est seule compétente pour en
connaître, il a établi, au-delà du droit de la responsabilité admi-
nistrative, un lien entre le droit administratif et la compétence
de la juridiction administrative en général. Le Conseil d’État a
ainsi développé tout un corps de règles applicables à l’adminis-
tration, en dehors et au-delà des textes, au fur et à mesure d’es-
pèces qui étaient des occasions (des prétextes ?) pour les établir –
le juge administratif tenant ainsi du législateur et de l’admi-
nistrateur autant que du juge.
Aujourd’hui les textes ont « rattrapé » l’administration et
sa juridiction. Ils s’additionnent dans l’ordre interne (au niveau
constitutionnel, législatif, réglementaire) et dans l’ordre inter-
national (spécialement communautaire, Convention européenne
des droits de l’homme). L’économie donne lieu à une « régu-
lation » dont les procédés ne sont pas toujours ceux du droit
administratif.
Le droit administratif a connu une mutation (J. Chevallier,
T. Larzul). Il présente aujourd’hui un foisonnement, où les fac-
teurs de déstructuration conduisent à une déstabilisation
(J.-B. Auby). Trois tentations en sont résultées.
La première a été de nier la spécificité d’un droit adminis-
tratif dont la source ne serait plus aujourd’hui la jurisprudence
administrative. L’importance des arrêts du Conseil d’État dans
l’élaboration du droit administratif a conduit à l’équation droit
administratif = droit dégagé par le juge administratif. Dès lors
que ce n’est plus le juge administratif qui établit une règle, celle-
ci ne relèverait plus du droit administratif ; ou, en tout cas, le
statut du droit administratif ne serait plus le même qu’autre-
fois (F. Melleray).
C’est confondre les sources du droit et le contenu du droit.
Le droit civil est déterminé par un code adopté et modifié par
le législateur : la source législative n’empêche que ce droit ait
un objet et des caractères propres qui en font une discipline
juridique particulière. De la même manière, si la jurisprudence
administrative n’est plus la source quasi exclusive des règles
Introduction

applicables à l’administration, l’origine constitutionnelle, inter- 5


nationale et notamment communautaire, législative, de solutions
nouvelles n’entraîne ni la disparition du droit administratif en
tant que discipline ayant, comme d’autres branches du droit, un
objet et des caractères propres, ni celle du juge administratif en
tant qu’interprète et donc créateur du droit administratif
(O. Jouanjan, P. Gonod).
Une deuxième tentation a été de ne plus laisser l’adminis-
tration à « son » juge, mais de la soumettre à n’importe quel
juge, comme n’importe quel justiciable. Elle se nourrit de deux
considérations. L’une est que l’existence d’une juridiction admi-
nistrative est un privilège pour l’administration et conduit à lui
accorder des avantages injustifiés. L’autre est que, le droit admi-
nistratif émanant moins qu’autrefois du juge administratif, il
n’y aurait plus de raison de maintenir une juridiction dont
l’œuvre est désormais achevée : les juridictions ordinaires seraient
aussi capables qu’une juridiction administrative d’appliquer un
droit administratif dont l’élaboration échapperait désormais au
juge.
On retrouve ici un débat qui n’est pas nouveau : tout au long
du XIXe siècle, il a opposé tenants et adversaires de la juridic-
tion administrative.
Il est vrai que l’existence d’une juridiction administrative en
France tient à des raisons historiques qui ont profondément
marqué notre système juridictionnel autant que notre système
administratif et qui peuvent ne plus être suffisantes pour justi-
fier cette existence. Il lui faut une assise logique. Elle peut se
trouver dans la liaison de la compétence et du fond : c’est parce
qu’il existe un droit administratif – et quelle que soit la source
de celui-ci – qu’une juridiction administrative doit être insti-
tuée pour le mettre en œuvre. Et l’existence d’un droit admi-
nistratif trouve sa raison d’être dans les particularités du statut
et du rôle de l’administration.
C’est précisément une troisième tentation : l’existence même
d’un droit administratif a été mise en cause. Comme droit de
privilège pour l’administration, il n’aurait plus de justification ;
Introduction

6 comme droit de protection des administrés, il pourrait être


ramené au droit commun. Devant l’ampleur des sources qui
l’irriguent, il aurait perdu son autonomie.
C’est confondre transformation et disparition, autonomie et
indépendance. Les changements qui affectent le droit adminis-
tratif, comme d’autres branches du droit, l’ont, non pas condamné,
mais rénové (J.-B. Auby). Il n’a jamais constitué un ordre juri-
dique séparé de l’ordre étatique (G. Vedel) ; il n’est pas éton-
nant qu’il évolue avec lui.
Mais il reste marqué par les caractéristiques de l’objet auquel
il se rapporte : l’administration, qui est elle-même, au sein de
l’État, un aspect de l’exécutif, duquel elle tient ses pouvoirs et
ses devoirs.
Les premiers lui donnent une puissance – la puissance publi-
que – lui permettant d’imposer sa volonté. Elle se caractérise
par un pouvoir de commandement dont seules sont détentrices
les autorités publiques, comportant l’édiction de mesures obli-
geant les destinataires (qu’elles leur interdisent une activité, leur
en prescrivent une autre, leur soustraient un bien, les contrai-
gnent à payer une somme) et éventuellement, en cas de résis-
tance, le recours à la force physique pour obtenir exécution. Elle
doit être encadrée par des règles strictes et être contrôlée selon
des mécanismes rigoureux pour garantir les droits des admi-
nistrés. Le droit communautaire, s’il conduit à la cantonner, en
reconnaît l’existence et les exigences (C. Denizeau).
Elle se justifie par la poursuite d’une mission particulière :
l’intérêt général. Pris en charge par l’administration dans des
conditions spécifiques, il révèle le service public. L’expression a
été développée, la notion systématisée, le régime précisé au point
que le service public a paru comme le seul fondement du droit
administratif et l’unique critère de son champ d’application. Il
a subi quelques avatars suscitant le doute sur sa valeur et sa
portée. Il se trouve concurrencé par les formules communau-
taires du service d’intérêt économique général et de service uni-
versel. Il n’en a pas moins survécu, avec la puissance publique,
comme l’une des données irréductibles du droit administratif.
Introduction

On ne peut nier la part d’approximation que comportent 7


l’un et l’autre : ni sur la puissance publique ni sur le service
public, on n’arrive à des définitions rigoureuses ; ils ne se dis-
tinguent pas exactement mais plutôt s’interpénètrent ; il existe
une puissance privée dont les manifestations peuvent rejoindre
celles de la puissance publique (J.-C. Vénézia) ; l’intérêt général
n’est pas le monopole de l’administration, des personnes privées
peuvent exercer des activités ressemblant à celles du service
public ; l’administration n’utilise pas toujours sa puissance et ne
remplit pas toujours un service. Il y a une part de mythe dans
l’intérêt général, la puissance publique, le service public (J. Che-
vallier, D. Lochak).
Mais les mythes conduisent les hommes, la puissance publique
et le service public animent l’administration. Quelles qu’en soient
les incertitudes, ils sont irremplaçables. Même si, à certains
égards, l’administration peut être soumise au droit privé, il sub-
siste nécessairement une part d’elle-même qui relève d’un droit
spécifique : c’est le droit administratif. L’annonce de son déclin
a pris son changement pour sa disparition. Elle n’a vu ni les
confirmations ni les imitations (B. Ferrari).
Les systèmes juridiques les plus réticents à son égard finis-
sent par y venir : un droit administratif s’est construit en Grande-
Bretagne parallèlement à celui de la France (S. Cassese) ; un
droit administratif européen s’est créé (Schwarze) ; tous les pays
développent le leur. Ils n’en sont pas tous au point d’avoir un
ordre de juridiction propre aux litiges administratifs, mais ils
constituent au moins certains organes de contrôle propres à l’ad-
ministration (G. Marcou).
La spécificité du droit administratif français se marque par
sa liaison étroite non seulement avec l’administration (première
partie) mais avec sa juridiction (seconde partie). Cette relation
l’a structuré. Elle doit conduire son étude.
Introduction

8 Lire aussi

- Braibant G. et Stirn B., Le droit administratif français,


PFNSP-Dalloz, 7e éd., 2005
- Chapus R., Droit administratif général, Montchrestien, t. 1, 15e éd.,
2001 ; t. 2, 15e éd., 2001
- Frier P.-L., Précis de droit administratif, Montchrestien, 3e éd., 2004
- Laubadère A. de et Gaudemet Y., Traité de droit administratif,
LGDJ, t. 1, 16e éd., 2001 ; t. 2, 12e éd., 2002 ; t. 3, 6e éd., 1997 ; t. 5,
12e éd., 2000
- Lombard M. et Dumont G., Droit administratif, Dalloz, 6e éd.,
2005
- Rivero J. et Waline J., Droit administratif, Dalloz, 21e éd., 2006
- Seiller B., Droit administratif, Flammarion, 2 vol., 2e éd., vol. 1,
2004 ; vol. 2, 2005
- Vedel G. et Delvolvé P., Droit administratif, 2 vol., PUF, 13e éd.,
1998
- Cassese S., La contruction d’un droit administratif. France, Grande-
Bretagne, Montchrestien, 2002
- Weil P. et Pouyaud D., Le droit administratif, PUF (Que sais-je ?),
21e éd., 2006
- Bigot G., Introduction historique au droit administratif français depuis
1789, PUF, 2002
- Burdeau F., Histoire du droit administratif, PUF, 1995
- Mestre J.-L., Introduction historique au droit administratif français,
PUF, 1985
- CURAP (Chevallier J., dir.), Le droit administratif en mutation,
PUF, 1993
- Larzul T., Les mutations des sources du droit administratif,
L’Hermès, 1994
- Denizeau C., L’idée de puissance publique à l’épreuve de l’Union
européenne, LGDJ, 2004
- du Marais B., Droit public de la régulation économique,
Dalloz-FNSP, 2004
- Melleray F. (dir.), L’exorbitance du droit administratif en question(s),
LGDJ, 2004
- Conseil d’État, « Réflexions sur l’intérêt général », EDCE, no 50,
1999, p. 237-422
- AJDA, no spécial juin 1995, « Le droit administratif…
bilan et perspectives d’un droit en mutation »
Introduction

- AJDA, no spécial juillet-août 1999 sur « Puissance publique 9


ou impuissance publique ? »
- Auby J.-B., « La bataille de San Remo. Réflexions sur les évolu-
tions récentes du droit administratif. » AJDA 2001.912
- Ferrari B., « Le déclin du droit administratif français : entre
chimère et réalité », AJDA, 2006.1021
- Marcou G., « Caractères généraux et évolution de la juridiction
administrative en Europe occidentale », RFD adm., 2006.84
Première partie
Droit administratif et administration

Il pourrait paraître simple d’identifier le droit administratif


comme étant le droit de l’administration. Mais cela ne serait en
réalité ni facile ni exact. D’une part, en renvoyant à l’adminis-
tration, on ne fait que déplacer le problème : il reste à préciser
en quoi elle consiste. D’autre part, l’assimilation du droit admi-
nistratif à celui de l’administration est, au moins en partie, fausse:
le droit administratif a évidemment un rapport avec l’adminis-
tration, mais il n’est pas tout le droit de l’administration ; des
aspects de l’administration sont régis par le droit privé.
Il faut donc déterminer non seulement ce qu’est l’adminis-
tration mais ce qui, en elle, relève du droit administratif.
Le mot administration est fréquemment utilisé, et pas tou-
jours en bons termes. Il n’est pas étranger aux personnes pri-
vées (conseil d’administration d’une société, administration d’une
fortune). Il est surtout employé à propos d’institutions et de
fonctions publiques. Il comporte deux sens, organique et maté-
riel. L’administration, c’est tout d’abord une organisation ; c’est
aussi toute une action.
Il faut déterminer dans quelle mesure le droit administra-
tif s’applique à l’une (chap. I) et à l’autre (chap. II).
Chapitre I
Droit administratif
et organisation administrative

Lorsqu’on pense à l’organisation administrative, on peut


voir simplement des bureaux installés dans les bâtiments d’un
ministère, d’une mairie, d’un centre de sécurité sociale, avec
des agents dont un chef de service dirige l’activité. Au-delà du
simple agencement des services, dont l’étude relève plus de la
science administrative que du droit administratif et l’amélio-
ration, plus de la science des organisations que de la science
administrative, c’est le statut juridique des institutions dans le
cadre desquelles ces différents organes sont aménagés qui doit
être considéré ici.
Or l’organisation administrative est tout entière marquée par
son attachement aux personnes publiques, qui elles-mêmes se
singularisent par rapport aux personnes morales de droit privé
par les missions qu’elles remplissent, les prérogatives qu’elles
détiennent, les règles auxquelles elles sont soumises. L’impor-
tance de la personnalité publique apparaît dans certaines solu-
tions du droit administratif. Par exemple un contrat ne peut en
principe être administratif que s’il est passé par une personne
publique ou au moins pour son compte (TC 8 juill. 1963, Entre-
prise Peyrot*) ; un contrat entre personnes publiques est même
a priori administratif (TC 21 mars 1983, UAP). Un bien ne peut
constituer une dépendance du domaine public que, si d’abord,
il est la propriété d’une personne publique (CE 8 mai 1970,
Nobel-Bozel). Un travail ne peut être considéré comme public
que s’il est accompli par ou pour le compte d’une personne
Droit administratif et administration

14 publique (CE 10 juin 1921, Monségur* ; TC 28 mars 1955, Effi-


mieff*). Il n’y a normalement d’agent public qu’employé par une
personne publique (CE 4 avr. 1962, Chevassier).
Il arrive cependant que des personnes privées accomplissent
les mêmes missions, soient soumises aux mêmes sujétions et
dotées des mêmes prérogatives que les personnes publiques : elles
doivent alors être envisagées au titre de l’organisation adminis-
trative.
L’État constitue la personne publique fondamentale ; les
autres personnes publiques n’en sont que des prolongements.
Cela justifie qu’on étudie le droit administratif d’abord par rap-
port à l’organisation administrative d’État (section 1), ensuite
par rapport à l’organisation administrative décentralisée (sec-
tion 2).

Section 1
Droit administratif et administration d’État

C’est d’abord du droit international et du droit constitution-


nel, que relève le statut de l’État : ils déterminent sa personna-
lité, son unité, sa souveraineté, ses compétences, ses organes, ses
pouvoirs, et parmi ces derniers, la distinction des pouvoirs légis-
latif, exécutif et judiciaire.
Dans cet ensemble, seul le pouvoir exécutif correspond à
l’administration. Mais l’administration n’est pas seulement le
pouvoir exécutif de l’État, puisqu’elle est également aménagée
dans des institutions qui ont une personnalité distincte de la
sienne. Le pouvoir exécutif n’est pas seulement l’administration
puisque le gouvernement n’est pas limité à elle et qu’il en « dis-
pose » (art. 20 de la Constitution).
Les liens étroits entre pouvoir exécutif, gouvernement et
administration suffisent à faire apparaître ceux qui existent entre
ces organes et le droit constitutionnel, au point qu’il paraît les
régir bien plus que le droit administratif.
Droit administratif et organisation administrative

Il est puéril de revendiquer l’appartenance d’une matière à 15


un droit plutôt qu’à un autre. Il n’y a ni frontière rigoureuse
entre disciplines juridiques ni domaine exclusif de chacune d’elles.
L’une peut servir de base à l’autre.
Ici les bases constitutionnelles du droit administratif (G. Vedel)
se vérifient particulièrement.
Elles n’empêchent pas de reconnaître le statut administratif
de l’administration d’État (I), même si ses aspects constitution-
nels doivent être soulignés (II).

I - Le statut administratif de l’administration d’État


On ne voit pas qu’une administration ne soit pas… admi-
nistrative. Cette tautologie n’en doit pas moins être soulignée
lorsqu’on considère certains organes situés au plus haut niveau
de l’État : ils peuvent paraître au-dessus de l’administration et
hors du droit administratif. On va voir qu’il n’en est rien : tous
les organes de l’État autres que législatifs et judiciaires sont
administratifs.
Leur nature administrative a été reconnue (A) ; leur sou-
mission au droit administratif en résulte (B).

A - La nature administrative de certains organes de l’État pou-


vait être considérée comme douteuse, compte tenu de leur niveau.
Elle n’en est pas moins explicitement admise (1). La solution
s’applique a fortiori à d’autres organes (2).

1 - Des organes de l’exécutif, entendus à la fois dans leur sens


strict (comme distincts du reste de l’administration) et dans un
sens large (comme englobant à la fois le Président de la Répu-
blique et le gouvernement), la nature administrative pouvait
soulever les plus sérieuses réticences : le chef de l’État n’est-il
pas au-dessus de l’administration, puisque l’administration n’est
qu’un élément de l’État ? Le gouvernement, qui « dispose de
l’administration », n’en est-il pas distinct ?
Droit administratif et administration

16 La réponse a été donnée par le Conseil d’État dans son arrêt


du 6 déc. 1907, Chemins de fer de l’Est* : Les actes du chef de
l’État… émanent d’une autorité administrative. La solution, ren-
due sous la IIIe République, vaut autant pour les républiques
suivantes. En particulier, sous la Ve, le rehaussement du statut
du Président de la République n’a pas remis en cause sa qua-
lité d’autorité administrative, avec les conséquences qui en résul-
tent pour les actes qu’il prend (CE 19 oct. 1962, Canal*).
Il en va a fortiori de même pour le chef du gouvernement,
que ce soit le président du Conseil des IIIe et IVe Républiques
ou le Premier ministre de la Ve. Eux aussi, parce qu’ils sont des
autorités administratives, adoptent des actes ayant une nature
administrative.
Pour le chef de l’État comme pour le chef du gouverne-
ment, il en est ainsi non seulement lorsqu’ils prennent des mesures
pour l’application de la loi mais aussi dans les hypothèses où,
en vertu de leurs pouvoirs propres, ils prennent des décisions
indépendamment d’une loi (CE 26 juin 1959, Ingénieurs conseils*).
Leur situation à la tête de l’administration a pu varier d’une
constitution à l’autre. La direction de l’administration est pas-
sée du Président de la République en 1875 au président du
Conseil en 1946, puis a été partagée en 1958 entre le Président
de la République et le Premier ministre. Ces variations n’ont
rien changé au statut de la tête puis des deux têtes de l’admi-
nistration : elles ne sont pas extérieures à l’administration, elles
font partie du corps administratif.
Les membres du gouvernement, c’est-à-dire les ministres,
n’ont pas de nature différente. Chargés, le plus souvent, d’un
département ministériel, ils ont à ce titre la qualité de « chef
de service » (CE 7 févr. 1936, Jamart*), tant à l’égard des
bureaux placés directement auprès d’eux, et que l’on qualifie
d’administration centrale parfois avec une spécificité qu’in-
dique l’appellation d’ « agence » (par. ex. l’Agence des parti-
cipations de l’État), que de ceux qui les prolongent dans les
différentes parties du territoire (naguère les services extérieurs,
aujourd’hui les services déconcentrés). Dans l’exercice collégial
Droit administratif et organisation administrative

des fonctions gouvernementales comme dans la direction propre 17


du ministère qui leur est confié, ils sont des organes adminis-
tratifs.

2 - Le problème de la nature administrative des autres parties


de l’administration d’État ne paraît même plus se poser tant la
réponse positive paraît évidente. Il n’y a matière à discussion ni
pour les organes placés directement sous l’autorité du Premier
ministre ou des ministres à l’échelon central ni pour ceux qui
les prolongent à l’échelon local.
Les subdivisions de cette administration ne peuvent être
qu’administratives : elles n’ont d’autre personnalité juridique que
celle de l’État ni d’autres attributions qu’administratives. Les
aménagements territoriaux qu’elles comportent (départements,
régions) sont exactement des circonscriptions administratives.
Les autorités situées aux différents niveaux de cette admi-
nistration (directeurs d’administration centrale, préfets) sont
encore évidemment administratives.
Cette qualification est devenue plus douteuse pour celles que
le législateur a instituées en les soustrayant à la structure ordi-
naire de l’administration et à toute subordination juridique à
l’égard du Président de la République et du gouvernement, au
point qu’on les a qualifiées d’indépendantes. Le Médiateur en a
été le premier exemple. Il a été suivi d’institutions multiples et
variées : Commission nationale de l’informatique et des libertés,
Conseil supérieur de l’audiovisuel, Conseil de la concurrence
par exemple.
Faut-il les qualifier d’administratives ? Pour la négative, on
a fait valoir notamment leur indépendance. Mais celle-ci n’a de
sens et de portée qu’en ce qui concerne l’absence de soumis-
sion au gouvernement. Elle n’exclut pas la nature administra-
tive de l’organe en lui-même. Or, d’une part, la plupart de ces
autorités n’ont pas de personnalité juridique propre, distincte
de celle de l’État : elles s’insèrent dans la structure étatique ;
d’autre part, elles n’ont un statut ni législatif ni juridictionnel :
Droit administratif et administration

18 elles s’insèrent dans l’exécutif ; comme lui, elles sont adminis-


tratives.
C’est ce qu’a reconnu le Conseil d’État à propos du Média-
teur (10 juill. 1981, Retail) ; les compléments apportés par le
législateur à son appellation (« médiateur de la République »,
« autorité indépendante »), ne changent rien à la solution.
Elle a été confirmée expressément par le Conseil constitu-
tionnel pour d’autres autorités, comme le Conseil de la concur-
rence (CC 86-224, 23 janv. 1987* : organisme administratif), l’Au-
torité de régulation des télécommunications (CC 96-378, 23 juill.
1996 : autorité administrative), l’ancienne Commission des opé-
rations de bourse (CC 89-260, 28 juill. 1989 : autorité adminis-
trative, organe administratif).
L’attribution de la personnalité juridique à certaines auto-
rités administratives indépendantes, comme l’Autorité des mar-
chés financiers, l’Agence française de lutte contre le dopage,
peut renforcer leur indépendance en les distinguant de l’État.
Si cette personnalité relevait du droit privé, leur caractère admi-
nistratif s’estomperait organiquement mais subsisterait maté-
riellement puisqu’elles exercent des fonctions administratives
comme d’autres organismes privés (v. p. 33).
Une autre singularité concerne l’administration des assem-
blées parlementaires : soustraite à l’autorité du gouvernement,
elle a été longtemps soustraite en conséquence au contrôle du
juge administratif et au champ d’application du droit adminis-
tratif. Par le biais de certains textes particuliers d’abord, puis
ouvertement ensuite, les organes des assemblées parlementaires,
dans la mesure où ils exercent des fonctions administratives (par
exemple pour la passation des marchés destinés à fournir des
moyens à ces assemblées), sont apparus eux-mêmes comme des
organes administratifs, soumis comme les autres organes admi-
nistratifs de l’État au droit administratif (CE 5 mars 1999, Pré-
sident de l’Assemblée nationale*).

B - La soumission des administrations d’État au droit adminis-


tratif n’est qu’un aspect de la soumission plus générale de l’État
Droit administratif et organisation administrative

au droit. Ce qu’il faut ici souligner, c’est en quoi ce droit est 19


administratif.
Il ne l’est pas nécessairement par sa source, puisque les règles
à observer sont, pour les plus importantes, d’origine constitu-
tionnelle ou législative – ce qui ne suffit à produire ni du droit
constitutionnel ni du droit législatif.
En réalité, le caractère administratif du droit auquel est sou-
mise l’administration d’État tient à la fois à son objet (1) et à
sa sanction (2).
1 - C’est par son objet que le droit applicable à l’administra-
tion d’État est administratif : dès lors que les organes de celui-
ci sont administratifs, le droit qui les régit est lui-même admi-
nistratif.
On peut trouver au raisonnement un aspect vicieux : parce
que des organes sont administratifs, ils sont soumis au droit
administratif ; parce qu’un droit s’applique à des organes admi-
nistratifs, il est lui-même administratif.
Toujours est-il que la relation entre le caractère adminis-
tratif d’un organe et sa soumission au droit administratif est
étroite : c’est précisément pour soumettre un organe à ce droit
qu’il a été reconnu comme administratif.
Le raisonnement est manifeste dans les deux arrêts déjà cités
(Chemins de fer de l’Est*, 6 déc. 1907 ; Canal*, 19 oct. 1962) rela-
tifs au Président de la République : c’est bien pour lui appliquer
ce droit qu’il a été identifié comme autorité administrative.
À partir de là, a pu être précisé le contenu de ce droit. Dans
certains cas, il l’a été à partir des textes constitutionnels, par
exemple pour déterminer l’existence et l’étendue du pouvoir
réglementaire du chef de l’État ou du chef du gouvernement
(CE 28 juin 1918, Heyriès* ; 8 août 1919, Labonne* ; 26 juin 1959,
Ingénieurs Conseils*), la répartition de ce pouvoir entre l’un et
l’autre (CE 10 sept. 1992, Meyet), le rôle des ministres dans son
exercice, notamment par les contreseings. Mais il a été déve-
loppé au-delà de ces textes (Labonne*) ou indépendamment des
textes, en particulier en vertu de principes généraux (v. p. 59).
Droit administratif et administration

20 C’est ainsi qu’ont été reconnus le pouvoir réglementaire du


ministre pour déterminer, dans certaines limites, l’organisation
et le fonctionnement de sa propre administration (CE 7 févr.
1936, Jamart*), le pouvoir d’un gouvernement démissionnaire
(CE 4 avr. 1952, Quotidiens d’Algérie).
Toutes ces précisions – et bien d’autres – n’ont pu être appor-
tées que parce que, d’abord, les organes exécutifs, même les plus
élevés, ont été reconnus comme administratifs.
De la même manière, la qualification administrative donnée
à d’autres autorités dont la nature a d’abord paru singulière
assure qu’elles resteront soumises à la légalité (v. p. 54, CC 86-217,
18 sept. 1986), à laquelle elles ne peuvent pas plus être sous-
traites que le gouvernement ou les autres organes de l’admi-
nistration d’État, à quelque niveau qu’ils soient.

2 - La sanction donnée à ce droit lorsqu’il est violé par les auto-


rités administratives en confirme le caractère. Elle appartient
normalement à la juridiction administrative (seconde partie).
Compétente pour statuer sur les actes des autorités admi-
nistratives et leur faire respecter le droit dont elles relèvent, elle
a reconnu les plus hauts organes de l’État, y compris dans cer-
tains cas des organes parlementaires, comme administratifs pour
pouvoir les contrôler et leur faire observer ce droit.
On en a une illustration particulière à propos du pouvoir
réglementaire gouvernemental : qu’il résulte d’une délégation
législative (Chemins de fer de l’Est*) ou référendaire (Canal*) ou
d’une habilitation constitutionnelle (Labonne*, Ingénieurs-conseils*),
il ne hisse jamais son titulaire au niveau législatif. Les règle-
ments pris dans son exercice restant administratifs, le juge admi-
nistratif peut vérifier s’ils ont respecté les limites dans lesquelles
ils peuvent intervenir et les principes généraux du droit aux-
quels ils restent soumis.
L’aspect vicieux du raisonnement évoqué plus haut se pro-
longe ici : parce que les organes sont administratifs, ils sont
contrôlés par le juge administratif ; parce qu’un droit est appli-
Droit administratif et organisation administrative

qué par le juge administratif à des organes administratifs, il est 21


lui-même administratif.
Toujours est-il qu’historiquement la relation entre le carac-
tère administratif des organes de l’État, leur contrôle par le juge
administratif et l’application du droit administratif s’est établie
étroitement.

II - Les aspects constitutionnels de l’administration d’État


On ne doit pas sous-estimer la part du droit constitutionnel
dans la détermination du statut de l’administration d’État. Elle
est prédominante pour les organes dirigeants de l’État (A). Elle
n’est pas négligeable pour les autres organes (B).

A - Toute une part du statut des organes gouvernementaux est


évidemment de niveau constitutionnel.
C’est la Constitution qui fixe le mode de désignation du Pré-
sident de la République, du Premier ministre et des ministres,
leurs compétences, leurs pouvoirs. Il suffit d’évoquer l’article 13,
sur les actes qui relèvent de la signature du Président, l’article 21,
sur ceux du Premier ministre, les articles 19 et 22, sur leur
contreseing, les articles 34 et 37, sur les domaines respectifs de
la loi et du règlement, l’article 38, sur les ordonnances – sans
que la liste soit limitative – pour voir immédiatement leurs
conséquences dans l’ordre administratif.
Le Conseil constitutionnel peut être amené à en déterminer
la portée et à en garantir le respect autant que le juge admi-
nistratif : à travers le contrôle des lois, il précise par exemple les
domaines respectifs de la loi et du règlement, l’étendue des pou-
voirs reconnus au gouvernement par une habilitation législative,
les normes qu’il devra respecter dans l’application d’une loi.
Les dispositions relatives à l’exécutif dépassent l’ordre admi-
nistratif. En chargeant le Président de la République de veiller
au respect de la Constitution, d’assurer le fonctionnement régu-
lier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État, en en
faisant le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du
Droit administratif et administration

22 territoire, du respect des traités, l’article 5 lui confie un rôle qui


ne relève plus de l’administration. Il se prolonge dans l’article 16.
Dépassant l’administration, ni la décision de recourir à l’ar-
ticle 16 ni les mesures qu’il permet au Président de prendre
comme législateur n’ont un caractère administratif et ne peu-
vent être déférées au juge administratif (CE 2 mars 1962, Rubin
de Servens*).
Le gouvernement lui-même, lorsque, selon l’article 20, il
détermine et conduit la politique de la Nation, ne se limite pas à
l’administration.
Dans cette mesure, certains de ses actes, pour émaner du
gouvernement, apparaissent comme de gouvernement, et non
pas comme administratifs : c’est ce qui justifie qu’ils échappent
à l’examen du juge administratif (v. p. 67, 116).
À certaines époques même, un véritable pouvoir législatif
est reconnu aux autorités gouvernementales : elles deviennent,
dans cette mesure, des organes législatifs dont les actes ne peu-
vent non plus être contrôlés par le juge administratif (ordon-
nances de l’ancien article 92 de la Constitution : CE 12 févr.
1960, Société Eky).

B - Pour les organes non gouvernementaux de l’État, les exigences


constitutionnelles, pour être moins nombreuses, ne sont pas négli-
geables.
La nomination aux emplois civils et militaires de l’État appar-
tient au Président de la République, qui décide, pour les plus
importants, en conseil des ministres (art. 13).
Dans les collectivités territoriales de la République, le représen-
tant de l’État, représentant de chacun des membres du gouverne-
ment a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif
et du respect des lois : l’article 72 donne ainsi au rôle des préfets
un fondement constitutionnel (CC 82-137 DC, 25 févr. 1982).
L’attribution, pour fixer… des normes permettant de mettre en
œuvre une loi, d’un pouvoir réglementaire à des autorités autres
que le Premier ministre, auquel l’article 21 le confie, ne peut
porter que sur un domaine déterminé et dans le cadre défini par
Droit administratif et organisation administrative

les lois et règlements ; il ne peut concerner que des mesures de por- 23


tée limitée tant dans leur champ d’application que par leur contenu
(CC 86-217, 18 sept. 1986 ; 88-248 17 janv. 1989*).
Ce sont autant de normes constitutionnelles qui enserrent le
statut administratif de l’administration d’État et qui peuvent se
retrouver pour l’administration décentralisée.

Section 2
Droit administratif et administration décentralisée
Le développement du droit administratif a conduit à recon-
naître dans des personnes morales distinctes de l’État des élé-
ments de l’organisation administrative. La plupart sont, comme
lui, des personnes publiques. Les unes correspondent à une cer-
taine partie du territoire : ce sont les collectivités territoriales (I).
Les autres sont chargés de certaines activités : ce sont des per-
sonnes publiques spécialisées (II). Des organismes qui ont une
personnalité de droit privé participent aussi à l’administration
et sont à ce titre régis par le droit administratif (III).

I - Droit administratif et collectivités territoriales


Les collectivités territoriales correspondent à une certaine
étendue de territoire sur laquelle se trouve une population (l’ap-
pellation pourrait valoir aussi pour l’État ; elle est aujourd’hui
utilisée pour désigner des collectivités qui ne sont que locales) ;
elles assurent l’administration des affaires correspondant à l’in-
térêt de l’un et de l’autre, grâce à des organes représentatifs dis-
posant de pouvoirs propres. Les communes et les départements
en ont pendant longtemps constitué les deux seules catégories.
Les régions y ont été ajoutées en 1982-1986. La loi constitu-
tionnelle du 28 mars 2003 a reconnu l’existence de « collectivi-
tés à statut particulier » (par ex. la Corse) et de « collectivités
d’outre-mer » ayant elles-mêmes « un statut qui tient compte
des intérêts propres de chacune d’elles » (art. 74 de la Consti-
tution, par exemple la Polynésie française). On doit aussi citer
Droit administratif et administration

24 les groupements de collectivités locales (syndicats de communes,


communautés urbaines, communautés de communes, commu-
nautés d’agglomération) qui, pour prendre le statut d’établisse-
ment public (v. p. 28), n’en sont pas moins, comme les collec-
tivités locales elles-mêmes, des éléments de l’administration
décentralisée du territoire.
Comme elles, ce sont des entités administratives (A) rele-
vant essentiellement du droit administratif (B).

A - Les collectivités locales sont des entités administratives, parce


que, si elles constituent des personnes publiques (1), elles sont
limitées à l’administration (2).

1 - La personnalité publique des collectivités locales ne s’est pas


imposée avec l’évidence de celle de l’État.
L’un des obstacles a pu être la coïncidence de leurs limites
géographiques avec celles des subdivisions de l’État. Il a fallu
accomplir un effort particulier pour concevoir qu’une même
étendue de territoire puisse être le support à la fois d’une admi-
nistration d’État et d’une administration distincte de l’État. Le
cas du département est le plus typique : il a été longtemps et
reste encore le cadre principal de l’administration étatique locale ;
la collectivité départementale ne s’en est pas distinguée facile-
ment. La région elle-même, apparue beaucoup plus tard dans
l’administration d’État (1964), n’a été dotée d’une personnalité
propre qu’en 1972.
On a pu considérer aussi un certain temps que des groupe-
ments d’habitants en un endroit donné constituaient de simples
entités de fait, sans personnalité juridique. Cela est apparu notam-
ment à propos de la responsabilité pour les dommages causés
au cours d’émeutes, et des revenus des biens communaux : dans
les deux cas, la répartition en était faite entre les habitants.
Cependant, la reconnaissance du droit de propriété des com-
munes (1837) et des départements (1838) sur leurs biens impli-
quait nécessairement leur personnalité.
Droit administratif et organisation administrative

Restait à admettre que cette personnalité est, à l’instar de 25


celle de l’État, publique. Le caractère local des intérêts gérés par
des personnes morales pouvait justifier de n’y voir qu’un carac-
tère privé.
Mais des intérêts, pour être limités dans l’espace, peuvent
n’en être pas moins publics. Corrélativement, les collectivités qui
s’en occupent doivent être considérées comme des personnes
publiques prolongeant l’État.
C’est bien pourquoi, dès le XIXe siècle, les textes et la juris-
prudence ont expressément traité comme telles les départements
et les communes. Il en a été de même pour les autres collecti-
vités créées depuis lors.
La personnalité publique des collectivités territoriales ne fait
plus l’objet d’aucun doute.
2 - Elles se limitent à l’ordre administratif. Alors que l’État exerce
des pouvoirs constituant, législatif et juridictionnel en même
temps qu’exécutif, elles relèvent exclusivement de l’exécutif et,
plus particulièrement, au sein de celui-ci, de l’administratif. Elles
ne peuvent ni se doter elles-mêmes de leur propre statut, ni
édicter de lois, ni rendre la justice ; elles n’ont évidemment pas
de rôle gouvernemental. Elles n’exercent qu’un rôle adminis-
tratif.
Cette précision est importante pour comprendre la portée
de la distinction au sein des collectivités locales entre organes
délibérants (conseil municipal, général ou régional) et organes
exécutifs (maire, président du conseil général ou du conseil régio-
nal). Ce sont tous des organes administratifs. Même lorsque les
premiers adoptent des délibérations qu’il revient aux seconds
d’exécuter, ils assurent l’administration de la collectivité dont ils
sont l’organe.
Même si une collectivité comme la Corse est dotée depuis
la loi du 13 mai 1991 d’une assemblée et d’un conseil exécutif
dont le statut peut faire penser, à certains égards, à des organes
législatifs ou gouvernementaux, cette organisation spécifique n’en
garde pas moins un caractère administratif compte tenu des limites
Droit administratif et administration

26 de leurs compétences et du maintien du rôle de l’État, notam-


ment pour les contrôler (CC 91-290, 9 mai 1991*). Les modifi-
cations résultant de la loi du 22 janvier 2002, si elles ont élargi
les compétences de la collectivité, n’ont pu lui en transférer qui
relèvent de l’ordre législatif (CC 17 janv. 2002). Si les collecti-
vités d’outre-mer peuvent avoir « un gouvernement » et une
assemblée dont le rôle ne se limite pas à la simple administra-
tion du territoire et lui permet d’adopter, sous le nom de « lois
de pays » des mesures relevant en métropole du domaine de la
loi, celles-ci n’en relèvent pas moins du contrôle du Conseil
d’État : elles restent donc des actes administratifs. En revanche,
la sortie de la Nouvelle-Calédonie de l’ordre administratif a été
caractérisée notamment par le pouvoir reconnu à son congrès
d’adopter des « lois du pays », soumises, elles, au contrôle du
Conseil constitutionnel (révision constitutionnelle du 20 juillet
1998 et loi organique du 19 mars 1999).

A - Les collectivités territoriales relèvent essentiellement du droit


administratif. Cette affirmation souligne l’importance de ce droit
pour elles (1). Elle préfigure aussi ses limites (2).
1 - La nature même d’entité administrative des collectivités
locales commande l’application du droit administratif. Bien plus,
une partie de ce droit leur est propre. Tout ce qui concerne leur
organisation et leur fonctionnement, la désignation de leurs
organes, le contenu et l’exercice de leurs attributions, le contrôle
de leurs actes est régi par des règles qui, par leur objet, non
seulement se distinguent de celles du droit privé, mais, au sein
du droit administratif, comportent une certaine singularité. Non
pas qu’elles soient dérogatoires au reste du droit administratif
autant qu’elles s’écartent des solutions de droit privé. Mais, parce
que les collectivités territoriales constituent une catégorie spéci-
fique au sein de l’administration, elles relèvent à ce seul titre
d’un certain particularisme juridique.
On le trouve dans les textes qui sont propres soit à chacune
d’entre elles (loi de 1884 pour les communes, loi de 1871 pour
Droit administratif et organisation administrative

les départements, lois de 1972-1982 pour les régions), soit à toutes 27


(lois de 1982, 1983 et 2004 relatives à leurs droits et libertés et
à leurs compétences). Ils sont aujourd’hui rassemblés dans le
Code général des collectivités territoriales.
C’est sans doute la partie du droit administratif dont l’exis-
tence prête le moins à contestation.
En même temps le contentieux auquel son application peut
donner lieu ne paraît pas pouvoir être autre qu’administratif.
Certes, à propos de leur action, il a fallu attendre le début du
siècle pour que la nature administrative de leurs litiges soit plei-
nement admise (CE 6 févr. 1903, Terrier* ; 29 févr. 1908, Feu-
try ; 4 mars 1910, Thérond*). Mais, pour leur organisation et leur
fonctionnement, il n’a jamais été considéré que puisse interve-
nir une juridiction autre qu’administrative. En revanche, pour
marquer le caractère extra-administratif de la Nouvelle-Calé-
donie, le contentieux des lois du pays a été confié au Conseil
constitutionnel.

2 - Le droit administratif ne s’applique pas seul aux collectivi-


tés locales.
Le droit privé régit, comme pour l’État, la partie de leur acti-
vité qui ne comporte ni service public ni puissance publique.
Le droit constitutionnel détermine aussi désormais les aspects
les plus importants de leur organisation. Déjà, après la Consti-
tution de 1946, celle de 1958 leur consacrait tout un titre. La loi
constitutionnelle du 28 mars 2003 l’a remanié après avoir affirmé
dès l’article 1er de la Constitution que l’administration de la
République est décentralisée. Elle confirme des solutions préexis-
tantes (« dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités
s’administrent librement par des conseils élus »), en consolide
d’autres (la possibilité d’une diversification des collectivités), lève
des ambiguïtés (au sujet de la reconnaissance d’un pouvoir régle-
mentaire des collectivités), ouvre des modalités nouvelles (l’ex-
périmentation, le référendum local), tend à élargir les compé-
tences et à garantir les ressources. Mais elle ne revient pas sur
Droit administratif et administration

28 l’indivisibilité de la République, l’unicité du peuple français, le


contrôle de l’État.
Les normes constitutionnelles ont rehaussé le statut des col-
lectivités locales. Elles s’imposent essentiellement au législateur
dans l’exercice de la compétence qui lui est reconnue par l’ar-
ticle 34 de la Constitution pour déterminer les principes fonda-
mentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de
leurs compétences et de leurs ressources. Elles doivent être aussi
bien respectées par les autorités administratives, et parmi elles
au premier chef par les collectivités locales elles-mêmes. Celles-
ci restent des entités administratives et des sujets de droit admi-
nistratif.

II - Droit administratif et personnes publiques spécialisées


Les personnes publiques spécialisées ont pendant longtemps
été seulement les établissements publics. La formule a été utili-
sée pour tant d’institutions ou au contraire été écartée pour tant
d’autres qui leur ressemblent que la notion d’établissement public
a connu une crise (R. Drago) telle qu’elle s’est désagrégée (J. Rivero).
Elle est doublée aujourd’hui par celle de personnes publiques
innomées comme les groupements d’intérêt public (TC 14 févr.
2000, GIP-HIS c. Mme Verdier*) ou la Banque de France
(CE 22 mars 2000, Syndicat national autonome du personnel de la
Banque de France).
L’hétérogénéité des personnes publiques spécialisées s’est
ainsi accrue. Elle n’en garde pas moins une unité tenant à ce
qu’elles sont toutes des entités administratives (A) relevant nor-
malement du droit administratif (B).

A - Entités administratives, les personnes publiques spécialisées le


sont essentiellement par leur personnalité (1). Leur insertion
dans l’organisation administrative est parfois relative (2).
1 - Les premières personnes publiques spécialisées sont les éta-
blissements publics. Selon un rapport du Conseil d’État, l’éta-
Droit administratif et organisation administrative

blissement public se définit comme une personne morale de droit 29


public assumant une mission spéciale et disposant pour cela d’une
certaine autonomie administrative et financière. Son identification
n’est pas toujours aisée.
Il a fallu d’abord le distinguer de l’établissement d’utilité
publique qui, en dépit de l’intérêt général qu’il poursuit et de
la reconnaissance officielle dont il fait l’objet, reste une personne
morale de droit privé (Cass. 5 mars 1856, Caisse d’épargne de
Caen), et aujourd’hui encore des organismes privés chargés d’une
mission de service public et dotés de prérogatives de puissance
publique, qui présentent bien des caractéristiques semblables, à
l’exception de la personnalité publique (v. p. 33).
On pouvait jadis le distinguer des collectivités publiques en
ce qu’elles correspondent à un territoire dont elles administrent
les affaires, alors qu’il n’a pas normalement de domaine géo-
graphique et qu’il est spécialisé dans une activité déterminée.
Mais d’un côté, certaines collectivités publiques ont elles-mêmes
des attributions spécialisées (les régions) et de l’autre, certains
établissements publics sont constitués pour l’administration d’une
certaine étendue de territoire (tous les établissements publics de
coopération intercommunale).
On pourrait le distinguer des entreprises publiques, dont les
attributions sont essentiellement de gestion industrielle et com-
merciale, mais certaines entreprises publiques sont constituées
en établissement public (naguère EDF, GDF, aujourd’hui encore
SNCF par ex.).
Il faut mettre en œuvre un faisceau de critères pour le recon-
naître : l’origine de l’institution, ses missions, ses pouvoirs, et
finalement, à travers ces différents indices, la volonté de l’au-
torité qui l’a créée.
C’est ce qui explique que la jurisprudence ait écarté la qua-
lification d’établissement public pour les groupements d’intérêt
public et la Banque de France, alors qu’ils auraient pu être ran-
gés sous une appellation dont la généralité est patente ; les dis-
positions législatives les régissant ne l’ont pas permis.
Droit administratif et administration

30 On trouve ici un des exemples de l’approximation des notions


du droit administratif et des incertitudes de ses solutions. La
seule certitude est qu’on reste en présence de personnes publiques.
2 - N’ayant évidemment pas un statut étatique, elles ne peu-
vent être qu’administratives, mais on peut douter parfois qu’elles
soient des éléments de l’organisation administrative.
Certes elles le sont lorsqu’elles individualisent, au sein d’une
collectivité publique, une activité présentant une certaine parti-
cularité, comme c’est le cas pour les hôpitaux et les universités.
On peut ainsi reconnaître, en fonction de la collectivité de rat-
tachement, des établissements publics nationaux, communaux,
départementaux, voire régionaux. La création d’établissements
publics sous forme d’ « agences » tend à souligner leur spécifi-
cité (par ex. l’Agence nationale pour la recherche) sans suppri-
mer leurs liens avec une collectivité publique (le plus souvent
l’État). Dans certains cas, c’est moins l’établissement public qui
est rattaché à une collectivité publique, que des collectivités
publiques qui sont regroupées dans un établissement public (éta-
blissements publics inter ou supra-communaux). Du moins, dans
toutes ces hypothèses, l’établissement public constitue une moda-
lité de l’organisation administrative des collectivités publiques.
Il n’en est plus de même lorsque les intérêts qu’il gère se dis-
tinguent de ceux des collectivités publiques, au point de ne plus
correspondre parfois à un service public (TC 9 déc. 1899, Canal
de Gignac*, à propos des associations syndicales de propriétaires).
Les chambres professionnelles (commerce et industrie, agricul-
ture, métiers) en sont le meilleur exemple. On parle parfois à leur
sujet d’établissements publics corporatifs. Leur insertion dans le
système administratif est si peu manifeste que leur rattachement
à une collectivité publique, en l’espèce l’État, n’a été admis qu’à
une époque récente (CE 4 juin 1976, Desforets).
Bien plus, les établissements publics industriels et commer-
ciaux correspondant à la notion d’entreprise publique n’ont plus
rien à voir, ni dans leur organisation ni dans leurs fonctions,
avec les autres personnes publiques : ils sont plus proches des
Droit administratif et organisation administrative

entreprises privées que des institutions publiques. La transfor- 31


mation des plus importants d’entre eux (EDF, GDF, Aéroports
de Paris) en sociétés commerciales, liée à une « privatisation »
de leur régime et d’au moins une partie de leur capital, pour-
rait aboutir à la disparition de la formule de l’établissement
public industriel et commercial elle-même (M. Lombard).
À l’inverse, se développent les groupements d’intérêt public,
qui associent une ou plusieurs personnes morales de droit public
ou de droit privé pour l’exercice en commun et momentané
d’activités non lucratives, constituant le cas échéant un service
public administratif (GIP-HIS c/ Mme Verdier*). À certains est
donné le nom d’agence (par ex. l’Agence française pour l’adop-
tion). Si la Banque de France exerce des missions qui « sont
pour l’essentiel de nature administrative », « elle revêt une nature
particulière et présente des caractéristiques propres » tenant pour
l’essentiel à son indépendance par rapport au gouvernement.

B - Cela se traduit par le droit applicable. Il comporte des élé-


ments étrangers au droit administratif (1). Mais celui-ci finit par
se retrouver (2).
1 - Deux disciplines juridiques distinctes du droit administra-
tif contribuent à déterminer le statut et le régime des personnes
publiques spécialisées.
La première est de nouveau le droit constitutionnel, au moins
à deux titres : l’article 34 de la Constitution réserve à la loi la
création de nouvelles catégories d’établissement public et la déter-
mination de leurs règles constitutives (CC 59-1, 27 nov. 1959*) ;
l’article 72 entraîne certaines conséquences sur l’aménagement
des établissements locaux pour respecter le principe de la libre
administration des collectivités territoriales.
En second lieu, le droit privé trouve dans certains établisse-
ments publics industriels et commerciaux un champ d’applica-
tion beaucoup plus étendu que celui qui lui est reconnu au titre
de la gestion privée des personnes publiques. Car pour eux, la
gestion privée est le principe, marqué par le législateur dans des
Droit administratif et administration

32 formules volontairement générales : « Ils suivent les règles en


usage dans les sociétés industrielles et commerciales. » Le droit
administratif paraît l’exception.

2 - On le retrouve pourtant, même dans ces établissements,


pour la raison que, quelle que soit leur ressemblance avec des
entreprises, ils restent des personnes publiques.
Ainsi le recours à l’arbitrage leur est en principe interdit
(CE 13 déc. 1957, Société nationale de vente des surplus), sauf
texte particulier (par ex. art. 2060 du Code civil et décret du
8 janv. 2002). Les voies d’exécution du droit commun ne peu-
vent être diligentées contre eux (Cass. 21 déc. 1987, BRGM*).
Ils ne peuvent être mis en faillite. Bien plus, ils peuvent déte-
nir un domaine public (CE 21 mars 1984, Mansuy), exécuter des
travaux publics, conclure des contrats administratifs (CE 19 févr.
1969, EDF-Entreprise Pignetta et Repetti). Si l’on peut contester
ces solutions, c’est moins en ce qu’elles découlent de la formule
de l’établissement public qu’en ce que cette formule a été appli-
quée à des entreprises plongées dans la vie industrielle et com-
merciale. Le reproche doit être alors, non d’avoir tiré les consé-
quences de droit administratif attachées à l’établissement public,
mais d’avoir institué des entreprises en établissement public.
Si, pour elles, le droit administratif trouve matière à s’ap-
pliquer, il constitue a fortiori le droit normalement applicable
aux établissements publics dont le statut se rapproche de celui
des collectivités publiques. On peut constater une corrélation
entre l’application du droit administratif aux établissements
publics et leur rapprochement avec les personnes publiques pures:
plus ils leur ressemblent, plus ce droit les régit : c’est qu’ils font
partie intégrante d’une organisation administrative dont le droit
administratif est indissociable.
Pour les groupements d’intérêt public et la Banque de France,
quelques aménagements sont prévus, mais le droit administra-
tif reste applicable pour l’essentiel (cf. avis du CE du 15 oct.
1985 et du 9 déc. 1999).
Droit administratif et organisation administrative

III - Droit administratif et organismes de droit privé 33

A priori, il ne devrait y avoir matière à traiter ni de droit


administratif ni d’organisation administrative à propos d’orga-
nismes de droit privé : l’expression à elle seule paraît exclusive
de l’un et de l’autre. Pourtant l’un des apports les plus origi-
naux de la jurisprudence administrative depuis une soixantaine
d’années a été de reconnaître qu’en dépit de leur statut de droit
privé, des organismes participent à l’administration (A) et relè-
vent dans cette mesure du droit administratif (B).

A - Leur participation à l’administration est à la fois organique et


fonctionnelle.
1 - Organiquement, ils sont certes distincts des personnes publiques
en ce qu’ils ont leur personnalité propre et en ce que cette per-
sonnalité est de droit privé.
Il faut à cet égard rejeter de cette catégorie les organismes
privés transparents qui ne sont qu’un aménagement de services
de collectivités publiques ; leur fausse personnalité privée ne
cachant pas la présence et le rôle direct de celles-ci, ils relèvent
du droit administratif au même titre qu’elles (CE 11 mai 1987,
Divier). De même il faut écarter ceux qui, pour être réels, agis-
sent dans l’intérêt exclusif de leurs membres et exercent une
discipline d’ordre purement interne (comités économiques notam-
ment : CE 21 mai 1976, GIE Brousse-Cardell).
En revanche doivent être considérés ceux qui, soit emprun-
tant une forme préexistante (association, société, syndicat) soit
sous une forme originale (ordres professionnels par ex.), béné-
ficient d’une véritable personnalité juridique de droit privé mais
se trouvent rattachés à l’administration de deux manières.
Leur constitution est étroitement encadrée par les pouvoirs
publics. Leur création est suscitée par eux. Leur organisation
doit répondre aux prescriptions qu’ils édictent.
Un contrôle est exercé sur eux, non pas de l’extérieur comme
cela arrive pour de simples personnes privées, mais à un degré
tel qu’il pénètre à l’intérieur même de l’organisme. Les moda-
Droit administratif et administration

34 lités peuvent en être multiples et diverses (agrément, approba-


tion, présence d’un commissaire de gouvernement, par ex.). Elles
sont renforcées lorsque des personnes publiques sont représen-
tées au sein de l’institution soit parce qu’elles y désignent cer-
tains organes soit même lorsqu’elles en sont de véritables membres.
Si ces organismes ne sont pas intégrés dans les structures
administratives ordinaires, ils en sont des prolongements.
2 - Fonctionnellement, ils participent à des tâches constituant
l’objet même de l’action administrative (v. p. 37).
Ils peuvent assurer la police d’une activité, en contrôlant les
personnes qui l’exercent, en édictant des règles pour cet exer-
cice (anciens comités d’organisation, ordres professionnels, fédé-
rations sportives, Autorité des marchés financiers par ex.).
Ils peuvent aussi dispenser des prestations répondant à un
besoin d’intérêt général (caisses de sécurité sociale, centres de
lutte contre le cancer par ex.).
Ainsi globalement ils font partie de l’administration.
Le droit communautaire ne s’y est pas trompé : voulant
atteindre des institutions rattachées aux pouvoirs publics pour
appliquer à toutes les mêmes règles, il ne se limite pas à celles
auxquelles les États membres donnent une personnalité publique
mais englobe aussi celles dont la personnalité de droit privé ne
cache pas les liens qui les unissent à eux. Ainsi les directives sur
les marchés publics placent dans les pouvoirs adjudicateurs, non
seulement l’État, les collectivités territoriales, mais les organismes
de droit public entendus comme dotés d’une personnalité juri-
dique, quelle qu’elle soit, créés pour satisfaire spécifiquement
des besoins d’intérêt général et contrôlés étroitement par l’État
ou les collectivités territoriales.
Leurs liens avec l’administration sont tels que l’équivoque
des formules jurisprudentielles a conduit certains auteurs à y
voir des personnes publiques d’un nouveau type (C. Eisenmann).
Il n’en est rien : pour le Conseil d’État, ce sont des personnes
de droit privé (CE 13 janv. 1961, Magnier ; 7 déc. 1984, Centre
d’études marines avancées).
Droit administratif et organisation administrative

35
B - Cela n’empêche qu’ils relèvent dans une large mesure du
droit administratif.
1 - Il n’en est pas seulement ainsi pour les décisions prises à
leur égard par les autorités administratives. Plus singulièrement,
celles qu’ils prennent pour l’accomplissement du service public
qui leur est confié et la mise en œuvre des prérogatives de puis-
sance publique dont ils disposent sont de véritables actes admi-
nistratifs (CE 31 juill. 1942, Monpeurt* ; 2 avr. 1943, Bouguen*).
C’est qu’eux-mêmes sont de véritables autorités administratives.
Ce n’est pas le droit administratif qui est venu artificiellement
se greffer sur eux, mais eux qui en ont, dès l’origine, intégré les
données.
Ce droit constitue à leur égard un avantage et une protec-
tion. Il leur permet d’exercer les fonctions qui leur sont impar-
ties ; il assure qu’ils respecteront les mêmes règles que celles qui
s’imposent à l’administration classique.
Ainsi, le régime du service public (v. p. 44), les exigences
de la légalité administrative (p. 54), les solutions de la respon-
sabilité administrative (p. 68) (CE 23 mars 1983, Bureau Véri-
tas) s’appliquent à eux dans toute la mesure du service public
qu’ils assurent et des prérogatives de puissance publique qu’ils
exercent.
2 - Mais dans cette mesure seulement.
Dès lors que le service public et la puissance publique ne
sont plus en cause, ces organismes retrouvent la sphère de droit
privé dans laquelle les place leur personnalité privée.
Leur fonctionnement interne (CE 28 juin 1946, Morand)
échappe au droit administratif.
Bien plus, parce qu’ils sont des personnes privées, leurs agents
(CE 4 avr. 1962, Chevassier) ne peuvent être des agents publics,
leurs contrats (TC 3 mars 1969, Interlait) ne peuvent être admi-
nistratifs alors même que les premiers sont affectés et les seconds
destinés à l’exécution du service public. Les biens leur apparte-
nant ne font pas partie du domaine public ; les travaux entre-
Droit administratif et administration

36 pris pour leur compte ou par eux ne sont pas des travaux publics.
Leur responsabilité n’est administrative que si l’exécution du
service public qu’ils assurent comporte la mise en œuvre de pré-
rogatives de puissance publique (CE 13 oct. 1978, ADASA du
Rhône).
On peut trouver dans ces solutions soit une inconséquence
par rapport au rôle réel de ces organismes soit la confirmation
que l’essentiel dans le droit administratif est moins le service
public qui est assuré que la puissance publique qui permet de
l’assurer.
C’est ce qu’il faut vérifier en examinant leur place dans l’ac-
tion administrative.

Lire aussi

- Guettier C., Institutions administratives, Dalloz, 3e éd., 2005


- Stirn B., Les sources constitutionnelles du droit administratif, LGDJ,
4e éd., 2004
- Vedel G., « Les bases constitutionnelles du droit administratif »,
EDCE, 1954, no 8, p. 21-53
Chapitre II
Droit administratif et action administrative

Si le droit de l’organisation administrative relève principa-


lement du droit administratif, cette relation s’impose-t-elle pour
l’action administrative ? Pour ce qu’entreprend l’administration,
est-il nécessaire d’écarter le droit privé au profit du droit admi-
nistratif ? Le droit constitutionnel n’a-t-il plus aucune part ? Le
droit communautaire, le droit européen ont-ils la leur ? Les
réponses doivent se trouver dans deux considérations. L’action
administrative porte sur certains objets (section 1) ; elle doit res-
pecter certaines limites (section 2). À ces deux titres, il faut exa-
miner si c’est bien un droit administratif qu’il faut mettre en
œuvre.

Section 1
Droit administratif et objet de l’action administrative
L’objet de l’action administrative est classiquement présenté
en distinguant la police et les services publics: la première consiste
à assurer le maintien de l’ordre essentiellement par voie de pres-
criptions, les seconds à fournir aux administrés des prestations
correspondant à leurs besoins. Pour exacte que soit cette dis-
tinction dans ses grandes lignes, elle n’en doit pas moins être
nuancée : car le maintien de l’ordre peut être assuré par des pres-
tations (l’éclairage des rues par exemple contribue à la sécurité)
et les services publics comportent des prescriptions (par exemple
la réglementation du ramassage des ordures ménagères). Bien
Droit administratif et administration

38 plus, la mission de maintien de l’ordre correspond elle-même à


un service public : la police est un service public. Il faut donc
être conscient de ces rapprochements lorsqu’on envisage suc-
cessivement la police (I) et les services publics (II) pour déter-
miner dans quelle mesure ils doivent relever d’un droit admi-
nistratif.

I - Droit administratif et police


Dans le langage courant, la police ce sont des hommes du
pouvoir, en uniforme ou en civil, qui surveillent, contrôlent,
empêchent, verbalisent, poursuivent, arrêtent. L’expression est
parfois péjorative. Juridiquement, elle désigne avant tout une
activité (A) entreprise par différents organes (B) selon certaines
modalités (C).

A - L’activité de police consiste à assurer le maintien de l’ordre


d’une part, à rechercher des infractions et ceux qui les ont com-
mises d’autre part. Cette double mission correspond à la dis-
tinction de la police administrative et de la police judiciaire. C’est
le but poursuivi qui sert de critère (CE 11 mai 1951, Baud).
L’une a un caractère préventif (empêcher les désordres) et cura-
tif (rétablir l’ordre), l’autre un caractère répressif (poursuivre les
délinquants). Elles peuvent être assurées par les mêmes agents.
Selon le type de police qu’ils exercent, se différencie le régime
juridique et contentieux applicable ; ce ne sont pas les mêmes
pouvoirs qui sont mis en œuvre ni le même juge qui est com-
pétent. La police judiciaire, étant l’auxiliaire des juridictions
judiciaires, est contrôlée par elles. Mais elles lui appliquent le
droit administratif (Cass. 23 nov. 1956, Dr Giry*) : c’est au moins
un signe que ce droit n’a rien d’artificiel pour la police en général.
1 - L’ordre public que doit assurer la police administrative
concerne les conditions essentielles de la vie sociale et notam-
ment la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques ; il est
matériel et extérieur (M. Hauriou).
Droit administratif et action administrative

S’il ne comporte pas en principe de considérations morales 39


et économiques, celles-ci peuvent jouer soit, dans une certaine
mesure, au titre de la police générale (CE 18 déc. 1959, Films
Lutétia* ; 27 oct. 1995, Morsang-sur-Orge*) soit dans le cadre de
polices spéciales.
La différence entre l’une et les autres tient pour partie à leur
domaine : la protection de la moralité est prévue par certaines
législations (spectacles ou publications destinées à la jeunesse par
exemple), celle de l’esthétique par d’autres (monuments histo-
riques) ; l’aménagement des relations économiques peut égale-
ment donner lieu à des dispositions propres (prix, concurrence).
Mais la sécurité, la tranquillité et la salubrité, qui relèvent de
la police générale, peuvent aussi bien faire l’objet de polices spé-
ciales, comme le montrent les exemples des établissements dan-
gereux, incommodes et insalubres et des édifices menaçant ruine.
La distinction réside alors moins dans l’objet des deux polices
que dans les textes qui les régissent, les pouvoirs qu’ils recon-
naissent aux autorités administratives, les mesures qu’ils leur
permettent de prendre.
2 - Dans tous les cas, on conçoit qu’un droit spécial s’applique
à de telles activités. Il n’est sans doute pas exclu que des parti-
culiers essaient d’empêcher des désordres, et même de trouver
des crimes et des criminels. Mais ce ne peut être qu’avec des
moyens ordinaires, sans contrainte de leur part sur autrui – sauf
à provoquer de nouveaux désordres. C’est l’apport essentiel de
l’État de s’être réservé le maintien de l’ordre et de ne l’avoir
confié qu’à des autorités spécialement habilitées.
Ce rôle ne relève pas exclusivement du domaine adminis-
tratif : la sauvegarde de l’ordre public… constitue un objectif de
valeur constitutionnelle (CC 93-325, 13 août 1993*) ; en particu-
lier la protection de la santé et de la sécurité des personnes et des
biens a le caractère d’un principe de valeur constitutionnelle
(CC 80-117, 22 juill. 1980).
Cela implique nécessairement des pouvoirs qui dépassent
ceux des particuliers. Interdire tel comportement, réglementer
Droit administratif et administration

40 telle activité, imposer telle attitude, c’est exercer une puissance


qui, ne pouvant appartenir qu’à l’État ou à ses prolongements,
est proprement publique.
C’est dans l’activité de police qu’elle se manifeste le plus. La
police est le domaine principal et ordinaire de son exercice. Cela
se traduit dans ses organes et ses modalités.

B - Les organes de police ne sont pas seulement les agents qui


participent à des opérations de maintien de l’ordre : ce sont
d’abord des autorités dont les forces de l’ordre ne font qu’exé-
cuter les décisions.
1 - On a déjà rencontré les autorités de police en évoquant l’or-
ganisation administrative. Elles relèvent d’un statut où le droit
constitutionnel a encore sa part. Ainsi par l’arrêt Labonne* (8 août
1919), le Conseil d’État a reconnu qu’il appartient au chef de l’État,
en dehors de toute délégation législative et en vertu de ses pouvoirs
propres, de déterminer celles des mesures de police qui doivent en
tout état de cause être appliquées dans l’ensemble du territoire.
Aujourd’hui, c’est au Premier ministre que revient princi-
palement cette fonction, sous réserve des mesures délibérées en
conseil des ministres, pour l’adoption desquelles le Président de
la République est compétent. L’article 34 de la Constitution ne
leur a pas retiré les attributions de police générale qu’ils exer-
çaient antérieurement, selon la jurisprudence concordante du
Conseil d’État et du Conseil constitutionnel – ce qui tend à révé-
ler le caractère spécifique de la police administrative et du droit
dont elle relève par rapport au droit constitutionnel.
C’est bien exclusivement du droit administratif que relève
l’attribution, depuis longtemps, d’un pouvoir de police générale
au préfet dans le département, au maire dans la commune et,
depuis 1982, au président du conseil général sur le domaine
départemental.
Les mêmes autorités peuvent, le cas échéant, se voir recon-
naître des pouvoirs de police spéciale (par ex. le Premier ministre
en matière de prix, le préfet, à l’égard des installations classées
Droit administratif et action administrative

pour la protection de l’environnement, le maire, pour les édi- 41


fices menaçant ruine). D’autres organes, qui n’ont pas de pou-
voirs de police générale, en reçoivent dans des domaines spé-
ciaux : le ministre de l’Intérieur à l’égard des étrangers, celui de
la culture en matière de cinéma, celui de l’agriculture pour la
chasse et la pêche, la Commission nationale de l’informatique
et des libertés, le Conseil supérieur de l’audiovisuel.
2 - Aux forces de police revient de faire respecter concrètement,
sur le terrain, l’ordre et la loi. Elles relèvent elles-mêmes d’une
organisation administrative à laquelle une certaine unification
en 1966 n’a pas fait perdre toute complexité. Elles comportent
essentiellement la police nationale, sous l’autorité du ministre
de l’Intérieur, et la gendarmerie, corps militaire dépendant du
ministre de la Défense mais placé en 2002 sous l’autorité du
ministre de l’Intérieur, et accessoirement, les polices munici-
pales, sous celle des maires, dont le renforcement est réclamé.
Leurs membres peuvent être reconnus sans difficulté comme
des agents publics, moins en ce qu’ils participent à l’exécution
d’un service public qu’en ce que leurs activités, comportant une
participation directe ou indirecte à l’exercice de la puissance publique,
ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’État ou des
autres collectivités publiques (CJCE 3 juin 1986, République fran-
çaise).
Ils n’ont pas que des fonctions de police administrative : ils
participent aussi à la police judiciaire, voire, certains, à la défense
nationale (gendarmerie). Ce sont essentiellement des règles admi-
nistratives qui déterminent les conditions de leur statut et de
leur emploi.

C - Les modalités de la police consistent d’abord dans l’adoption


de mesures et ensuite, éventuellement, dans des opérations, des-
tinées les unes et les autres à assurer l’ordre public.
1 - Les mesures de police ne peuvent être que des décisions uni-
latérales. Le maintien de l’ordre ne peut donner matière à des
Droit administratif et administration

42 contrats par lesquels les autorités s’entendraient avec les admi-


nistrés sur les dispositions à prendre. La puissance publique s’y
exerce dans toute sa plénitude.
Elle ne peut pourtant imposer n’importe quelle prescription.
La loi fixe elle-même les mesures qui peuvent être prises,
leurs motifs, leur dispositif, lorsqu’elle aménage spécialement
certains aspects de l’ordre public : par exemple au sujet de la
reconduite à la frontière et de l’expulsion des étrangers (Ord.
du 2 nov. 1945, maintes fois modifiée), des installations classées
(loi du 19 juill. 1976).
En matière de police générale, les textes ne donnent aucune
précision. On aurait pu en déduire une grande marge d’appré-
ciation pour les autorités compétentes, leur laissant le soin de
choisir les mesures convenables pour garantir l’ordre public.
C’est le contraire qui s’est produit. Tout l’effort de la jurispru-
dence administrative a été de cantonner les pouvoirs de police
dans un cadre rigoureux et de ne permettre leur mise en œuvre
qu’en fonction des besoins ; ils auraient pu être discrétionnaires,
voire arbitraires ; ils ont été réduits au nécessaire.
Ils sont guidés par le principe suivant : la liberté est la règle,
la restriction de police, l’exception.
Ils doivent tenir compte de deux ordres de considérations :
l’importance de la liberté dont bénéficie l’activité en cause, celles
des désordres à empêcher. Plus est garantie une liberté, moins
son exercice doit être entravé ; plus graves sont ou risquent d’être
des perturbations, plus il faut y remédier ou les éviter.
La valeur constitutionnelle des plus importantes libertés,
reconnue par le Conseil constitutionnel en vertu soit de la Décla-
ration de 1789, soit des principes fondamentaux reconnus par
les lois de la République, soit des principes particulièrement
nécessaires à notre temps proclamés en 1946, les garantit contre
les atteintes du législateur. Il n’a pas été nécessaire à la juris-
prudence administrative d’attendre celle du Conseil constitu-
tionnel pour les garantir contre les atteintes des autorités de
police : depuis longtemps, elle a établi les limites de leurs pou-
voirs face par exemple à la liberté de culte (CE 19 févr. 1909,
Droit administratif et action administrative

Abbé Olivier*), à la liberté de réunion (CE 19 mai 1933, Benja- 43


min*), à la liberté de la presse (TC 8 avr. 1935, Action française*)
et même à la liberté du commerce et de l’industrie (CE 22 juin
1951, Daudignac*).
L’importance des désordres auxquels doivent faire face les
autorités de police est évidemment une question de pur fait, qui
ne peut faire l’objet de catégories juridiques.
C’est néanmoins une question de droit que l’adaptation des
mesures de police aussi bien aux désordres qu’aux libertés en
cause. Elles doivent être proportionnées aux uns comme aux
autres. Par exemple, si les forces de police sont suffisantes pour
contenir les adversaires d’une réunion, il est exagéré, donc illé-
gal, de l’interdire (CE 19 mai 1933, Benjamin*). En revanche,
si une manifestation sur la voie publique risque de dégénérer
en émeute, elle peut être interdite ; une activité commerciale
gênant la circulation peut l’être en certaines rues et à certaines
heures (Daudignac*). Un contrôle juridictionnel approfondi per-
met de vérifier l’exacte adéquation des dispositions prises aux
circonstances (v. p. 143).
Ainsi le juge administratif a établi un système rigoureux
d’encadrement de l’action administrative dans le domaine où
elle est à la fois la plus nécessaire et la plus dangereuse. Le droit
qu’il a élaboré en la matière assure la protection des adminis-
trés et la sauvegarde de l’ordre public. Le Conseil constitution-
nel a reconnu que les garanties juridictionnelles de droit commun
dont sont assorties les mesures de police prises par les autorités
publiques en matière de police administrative contribuent au res-
pect des principes et règles de valeur constitutionnelle (CC 93-325,
13 août 1993*).
On n’en doit pas exagérer les vertus : la ligne de conduite
élaborée par la jurisprudence n’empêche pas certains écarts ; la
légalité de la mesure à prendre n’est pas facile à apprécier ; sa
sanction intervient parfois trop tard pour être utile (quelle est
l’utilité de l’annulation d’une interdiction trois ans après la date
de la réunion ou de la manifestation prévue ?). La critique porte
Droit administratif et administration

44 ici plus sur les modalités du contrôle juridictionnel que sur le


contenu du droit qu’il a permis d’établir.
2 - Elle peut valoir pour les opérations de police, c’est-à-dire
la mise en œuvre de la force publique pour assurer le main-
tien de l’ordre, dont les plus exemplaires sont constituées par
la dispersion des manifestations, et qui peuvent prendre la
forme plus banale de contrôles d’identité. Si c’est bien la juris-
prudence administrative qui a déterminé les conditions du
recours à la force pour assurer l’exécution des mesures de police,
aussi bien que de n’importe quel acte administratif (TC 2 déc.
1902, Société immobilière de Saint Just*), c’est plutôt la juris-
prudence constitutionnelle qui a précisé celles des contrôles
d’identité (CC 76-75, 12 janv. 1977* ; 80-127, 19-20 janv. 1981* ;
93-323, 5 août 1993).
À cet égard, la police, même administrative, ne relève pas
exclusivement du droit administratif.

II - Droit administratif et services publics


Si la notion de service public a constitué l’un des axes de
formation du droit administratif et joue aujourd’hui encore un
rôle important dans son explication, les services publics, consi-
dérés en eux-mêmes, sont un objet si étendu et si divers de l’ac-
tion administrative que leur identification n’est pas toujours
aisée (A) ; leurs modes de gestion sont variés (B), leur régime,
disparate (C). Paradoxalement, la notion qui devrait donner au
droit administratif son unité couvre des situations très hétéro-
gènes au point que la notion s’est diluée et le droit administra-
tif empêtré dans des complications.

A - L’identification des services publics soulève une première dif-


ficulté en raison de l’ambivalence de l’expression, qui peut recou-
vrir des organes (par ex. des services, c’est-à-dire les bureaux,
d’un ministère, d’une mairie) ou des fonctions (par exemple la
délivrance de documents officiels, l’entretien de la voirie, les
Droit administratif et action administrative

soins hospitaliers, les transports ferroviaires, la protection sociale). 45


Ce sont les fonctions que l’on considère ici.
Il ne suffit pas qu’une activité soit assurée par une personne
publique pour être un service public : la gestion du domaine
privé par exemple n’en est pas un. À l’inverse, un service public
peut être assuré par une personne privée (les fédérations spor-
tives, entre autres).

1 - La reconnaissance d’un service public se fait par l’addition


de trois critères : une activité d’intérêt général, prise en charge
par une personne publique, selon un régime spécial. Pour cha-
cun d’eux, on retrouve les approximations déjà relevées initia-
lement (v. p. 6).
De l’intérêt général, la conception peut être plus ou moins
large, selon les idéologies, les époques, les endroits. La protec-
tion de la santé, de la sécurité des personnes et des biens en fait
certainement partie (c’est d’ailleurs un domaine où s’exerce la
police), la recherche exclusive du profit, sûrement non. Mais
entre les deux extrêmes, on trouve matière à jugements diffé-
rents : au théâtre, M. Hauriou reprochait d’exalter l’imagination,
d’habituer les esprits à une vie factice et fictive, au détriment de la
vie sérieuse ; que dirait-il des arrêts voyant des services publics
dans l’exploitation d’un casino ou l’organisation d’un festival de
la bande dessinée ? L’exploitation d’une forêt domaniale n’est
pas un service public, sa protection en est un.
La prise en charge d’une activité par une personne publique
marque sa volonté de la considérer comme d’intérêt général :
elle l’aménage en conséquence. Mais ici encore, rien n’est absolu.
Il ne suffit pas qu’une collectivité publique s’occupe, même très
directement, d’une activité pour en faire un service public ; et
elle peut s’en occuper à titre de service public tout en la confiant
à une personne privée. L’essentiel est qu’elle intervienne dans
des conditions d’organisation et de fonctionnement qui, si diver-
sifiées soient-elles, fassent apparaître sa décision d’ériger cette
activité en service public.
Droit administratif et administration

46 Par là même, elle la soumet à un régime spécial, mais avec


de nouvelles ambiguïtés. Car ce régime est autant la conséquence
que la condition de l’existence d’un service public. Et il peut
n’être qu’en partie spécial, le droit commun pouvant régir soit
à l’occasion soit par principe le fonctionnement du service.
Comment alors, devant tant d’approximations, reconnaître
un service public et justifier le droit administratif par le service
public ?
2 - Il reste dans le service public un élément irréductible qui
tient à la volonté des pouvoirs publics d’assurer ou faire assurer
une activité dans des conditions qui, pour partie au moins, ne
sont pas celles du droit commun – ce qui ramène à la puissance
publique d’une part et à un droit particulier d’autre part.
Le rôle de la volonté dans la détermination des services
publics exclut que l’on en reconnaisse certains par nature ou
virtuellement. Il permet d’en établir ou d’en supprimer en vertu
d’une appréciation dont le caractère discrétionnaire ne rencontre
que les limites, constitutionnelles et législatives, qui peuvent
imposer ou interdire à l’État ou aux collectivités locales d’en
aménager certains. Le droit administratif est relayé à ce sujet
par le droit constitutionnel puisque ce sont des principes de
celui-ci qui, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel,
soit cantonnent (liberté d’entreprendre : 81-132, 16 janv. 1982*)
soit commandent les interventions publiques (services publics
dont la nécessité… découle de principes ou de règles de valeur consti-
tutionnelle : 86-207, 25-26 juin 1986*).
On peut avoir une idée de la diversité des services publics
par une simple énumération, loin d’être complète, couvrant des
activités qui, les unes, se rattachent aux fonctions régaliennes de
l’État (défense, police, justice, fisc, réglementation, contrôle), les
autres s’en éloignent de plus en plus : transports, enseignement,
santé, protection sociale, eau, gaz, électricité, culture, loisirs,
sport, assurances, etc.
3 - Cette diversité même a conduit la jurisprudence à la dis-
tinction des services administratifs et des services industriels et
Droit administratif et action administrative

commerciaux (TC 22 janv. 1921, Société commerciale de l’Ouest 47


africain*), selon des critères qui ajoutent à la difficulté de recon-
naître un service public : si l’objet de l’activité peut donner une
indication, elle peut être contredite par les conditions d’organi-
sation et de fonctionnement fixées par l’autorité qui a créé le
service. La relativité de la distinction est accrue par le droit com-
munautaire qui s’attache plus, pour déterminer le régime appli-
cable au caractère marchand ou non du service qu’à son carac-
tère industriel et commercial ou administratif (B. Seiller).
Plus généralement, même s’il utilise parfois l’expression « ser-
vice public » (art. 73 du traité instituant la Communauté euro-
péenne) et s’il lui applique des dispositions particulières (par ex.
directives sur le transport aérien), il s’attache surtout aux ser-
vices d’intérêt économique général (art. 16, 86, § 2 du traité)
(qui apparaissent finalement comme des services publics à carac-
tère marchand) et au service universel, considéré comme un ser-
vice de base offert à tous à des conditions tarifaires abordables
et avec un niveau de qualité standard. Les services publics fran-
çais s’étendent à des services non marchands et dépassent le ser-
vice universel, qui peut n’en être qu’une composante (par ex.
art. L. 35 du Code des postes et des communications électro-
niques).

B - Les modes de gestion des services publics présentent eux-


mêmes une diversité qui prouve la plasticité du droit adminis-
tratif mais qui en confirme aussi la complexité.
La distinction des services administratifs et des services indus-
triels et commerciaux aurait pu correspondre à celle de types
de mode de gestion, les premiers faisant intervenir des personnes
publiques, les seconds, des personnes privées, selon ce qui aurait
pu apparaître comme la vocation propre des unes et des autres.
Il n’en est rien : des personnes publiques peuvent intervenir dans
des services industriels et commerciaux, des personnes privées,
dans des services administratifs. C’est donc fondamentalement
en considération de la nature publique (1) ou privée (2) de la
Droit administratif et administration

48 personne assurant un service public que les modes de gestion


peuvent être présentés.
1 - Les collectivités publiques peuvent exploiter elles-mêmes un
service public directement, sans intermédiaire, avec leurs agents,
leurs finances, leurs biens – c’est-à-dire en régie. Les services
publics correspondant aux fonctions régaliennes de l’État ne sont
pas les seuls à faire l’objet d’une telle solution. Mais on lui trouve
une rigidité qui conduit à préférer d’autres modalités.
Celle de l’établissement public constitue une forme de l’or-
ganisation administrative déjà évoquée et qui a principalement
été aménagée pour la gestion d’un service public : l’établissement
public, c’est d’abord un service public érigé en personne publique,
comme les universités, les hôpitaux, la SNCF le montrent. Il ne
faut pourtant pas assimiler établissement public et service public,
non seulement parce que le service public peut être assuré hors
de l’établissement public, mais encore parce que l’établissement
public n’assure pas nécessairement un service public. Il ne faut
pas assimiler non plus établissements publics industriels et com-
merciaux et services publics industriels et commerciaux, puisque
ces services peuvent être assurés hors de ces établissements et
que ces établissements, en dépit de leur qualification, n’assurent
pas toujours et parfois n’assurent pas du tout de tels services
(cas des offices d’intervention agricole). À terme, les « EPIC »
pourraient disparaître (M. Lombard), au moins lorsqu’ils cor-
respondent à de véritables entreprises. C’est une des illustrations
des changements du droit administratif.
2 - Les modalités du recours à des personnes privées pour gérer
des services publics révèlent au contraire son perfectionnement.
Dans tous les cas, une personne publique intervient : sans elle,
il n’y aurait pas de service public ; mais elle charge une per-
sonne privée de l’assurer.
Ce fut pendant longtemps par voie contractuelle qu’a été réa-
lisée la dévolution du service public à une personne privée. La
concession de service public en a été la première modalité. C’est
une convention par laquelle une personne publique charge d’un
Droit administratif et action administrative

service public une entreprise qui construit et finance les ouvrages 49


et assure l’exploitation moyennant une rémunération provenant
des redevances perçues sur les usagers.
Ce système a permis la construction des premiers réseaux
de chemins de fer, de distribution du gaz et de l’électricité. Il
était adapté à des activités présentant un caractère industriel et
commercial. Il paraissait réaliser une heureuse combinaison du
capitalisme et du service public. Il a connu des avatars, dus à
la défiance envers l’un, aux transformations de l’autre.
Il n’en a pas moins survécu, dans certains cas avec d’im-
portantes transformations, tenant notamment à l’attribution de
la concession, non plus à des sociétés à capitaux entièrement pri-
vés, mais à des sociétés d’économie mixte, à des sociétés publiques,
à des établissements publics (naguère EDF, GDF), et à son uti-
lisation pour des services publics administratifs (autoroutes par
ex.).
Il est englobé plus généralement aujourd’hui dans les conven-
tions de délégation de service public, selon l’expression reçue
par la loi (6 févr. 1992, 29 janv. 1993) : elles confient à une autre
personne, qui peut être le cas échéant de droit public, avec des
variantes (affermage, régie intéressée notamment), la gestion
d’un service public, avec une rémunération substantiellement liée
aux résultats de l’exploitation (CE 15 avr. 1996, Préfet des Bouches-
du-Rhône ; loi du 11 déc. 2001).
Dans tous les cas, il ne peut s’agir que de contrats adminis-
tratifs, en ce qu’ils chargent le cocontractant de l’exécution même
du service public (CE 20 avr. 1956, Bertin*).
Ils sont donc soumis à un régime exorbitant du droit com-
mun (où l’on retrouve la puissance publique) permettant à l’ad-
ministration contractante de modifier unilatéralement les condi-
tions d’exécution du contrat (CE 21 mars 1910, Tramways de
Marseille*) voire de le résilier (CE 2 févr. 1987, TV6), mais aussi
l’obligeant à indemniser le cocontractant non seulement du pré-
judice correspondant mais des charges extracontractuelles résul-
tant d’événements imprévisibles venant bouleverser l’économie
du contrat (CE 30 mars 1916, Gaz de Bordeaux*).
Droit administratif et administration

50 Ces solutions sont justifiées par la relation étroite qui unit


le cocontractant et le service public.
C’est elle aussi qui a justifié pendant longtemps le choix dis-
crétionnaire du cocontractant par la collectivité – à la différence
du système aménagé pour les marchés publics. Le droit com-
munautaire des marchés encadre désormais ce choix pour les
concessions de travaux et même pour les autres (CJCE 7 déc.
2000, Teleaustria). Il a incité le législateur français à le faire pour
toutes les conventions de délégation de service public (loi du
29 janv. 1993).
Cela n’atteint pas encore l’attribution d’une mission de ser-
vice public à des personnes privées en dehors du procédé contrac-
tuel. On retrouve les organismes privés chargés d’une mission
de service public et investis de prérogatives de puissance publique
(v. p. 33). Les solutions sont variées. Dans tous les cas, il faut,
non un simple agrément des pouvoirs publics, mais la dévolu-
tion d’une mission et de prérogatives publiques, selon les règles
du droit administratif.

C - Celles-ci ne gouvernent pas entièrement cependant le régime du


service public. Il y a là un paradoxe : alors que le droit admi-
nistratif est lié au service public, au point qu’il a été défini
comme le droit du service public, il ne s’applique pas entière-
ment aux services publics.

1 - Certes, s’agissant de la création et de l’organisation du ser-


vice public, il est prédominant, mais il doit céder le cas échéant
aux exigences du droit constitutionnel et du droit communau-
taire, qui, l’un, peut imposer l’existence d’un service public, l’un
et l’autre, la limiter.
Dans tous les cas, la décision créant ou organisant un ser-
vice public est un acte administratif réglementaire (TC 15 janv.
1968, Époux Barbier*).
Dans tous les cas aussi s’appliquent au fonctionnement du
service public les trois « lois » que L. Rolland a dégagées : l’éga-
Droit administratif et action administrative

lité devant le service public, la continuité du service public, 51


l’adaptation constante du service public.
La valeur des deux premières est désormais de niveau consti-
tutionnel. La jurisprudence administrative a reconnu le prin-
cipe d’égalité devant le service public (CE 9 mars 1951, Concerts
du Conservatoire*), la jurisprudence constitutionnelle l’a situé au
plus haut niveau de la hiérarchie des normes (CC 73-51, 27 déc.
1973*). C’est encore la jurisprudence administrative qui a exprimé
le principe de continuité (CE 7 juill. 1950, Dehaene*) ; il a été
repris par le Conseil constitutionnel avec le caractère d’un prin-
cipe de valeur constitutionnelle (29 juill. 1979*). Quant au prin-
cipe d’adaptation constante, il est une explication de différentes
solutions permettant d’imposer aux agents, aux usagers et délé-
gataires du service public des modifications : il n’a jamais été
reconnu en lui-même comme un principe de même nature ni
de même valeur que les précédents.
En revanche, il a une relativité comparable. Certes le prin-
cipe d’égalité et le principe de continuité s’imposent théorique-
ment avec la rigueur liée à leur valeur même, mais ils com-
portent des aménagements. Si le premier interdit des
discriminations entre des personnes qui sont placées dans la
même situation, il permet de traiter différemment celles qui
présentent des différences par rapport au service public ou qui
méritent d’être favorisées dans l’intérêt général (CE 10 mai 1974,
Denoyez et Chorques). Si le second commande un fonctionne-
ment minimum du service public, il n’exclut ni les interrup-
tions pouvant résulter de l’exercice du droit de grève des agents
ni les fermetures à certaines heures, voire à certains jours, ni les
cessations définitives du service.
Car son adaptation constante permet aux autorités qui l’ont
institué de le modifier voire de le supprimer pour tenir compte
de l’évolution ou de la disparition des besoins (CE 18 mars 1977,
Chambre de commerce de La Rochelle) : elle ne constitue pas une
exigence permettant juridiquement aux usagers de revendiquer
les aménagements qu’ils souhaitent ou de s’opposer à ceux qu’ils
Droit administratif et administration

52 ne veulent pas, à moins d’erreur manifeste (CE 19 juill. 1991,


Fédération d’usagers des transports).
2 - Pour le surplus, le fonctionnement des services publics n’est
pas entièrement régi par le droit administratif. Il faut distin-
guer selon qu’ils ont un caractère administratif ou un caractère
industriel et commercial, mais cette distinction n’est pas abso-
lue.
Pour les services publics administratifs, le principe est bien
l’application du droit administratif. On en trouve des manifes-
tations non seulement à propos de la légalité (p. 54) et de la res-
ponsabilité (p. 68) mais pour des questions plus limitées. Ainsi
les actes unilatéraux relatifs à l’exécution du service sont admi-
nistratifs, qu’ils soient réglementaires ou non (CE 31 juill. 1942,
Monpeurt*). Les personnels travaillant pour le compte d’un service
public à caractère administratif géré par une personne publique sont
des agents de droit public, quel que soit leur emploi (TC 25 mars
1996, Berkani). Il n’y a pas à distinguer selon l’importance ou
la nature de la fonction. Pourtant le droit communautaire intro-
duit une distinction quant au recrutement : pour répondre à ses
exigences, le législateur a dû admettre l’accès de ressortissants
des autres États membres de la Communauté européenne à des
corps, cadres et emplois dont les attributions soit sont séparables
de l’exercice de la souveraineté soit ne comportent aucune partici-
pation directe ou indirecte à l’exercice de prérogatives de puissance
publique de l’État ou des autres collectivités publiques (loi 26 juill.
1991) – ce qui ramène à l’autre notion fondamentale du droit
administratif.
Elle aussi réapparaît a contrario dans les contrats passés pour
les besoins d’un service administratif qui ne comportent pas de
clause exorbitante du droit commun : ils relèvent du droit privé
(CE 31 juill. 1912, Granits porphyroïdes des Vosges*) sauf dispo-
sition législative contraire (ainsi pour les marchés, loi du 11 déc.
2001). Ainsi se vérifie l’affirmation de Romieu au moment même
où, avec l’arrêt Terrier* (CE 6 févr. 1903), la notion de service
public s’établissait comme maîtresse du droit administratif : si,
Droit administratif et action administrative

dans bien des cas, on se trouve en présence d’un service public fonc- 53
tionnant avec ses règles propres et son caractère administratif, cer-
tains actes, tout en intéressant la communauté, empruntent la forme
de gestion privée et entendent se maintenir exclusivement sur le ter-
rain des rapports de particulier à particulier, dans les conditions de
droit privé.
Pour les services publics industriels et commerciaux, cette solu-
tion est devenue le principe depuis l’arrêt du Bac d’Eloka*
(TC 22 janv. 1921) : agissant dans les mêmes conditions que les
entreprises, ils sont soumis au même droit qu’elles. Cela est sys-
tématique pour leurs rapports avec leurs usagers (CE 13 oct.
1961, Campanon-Rey), et leurs agents (CE 8 mars 1957, Jalenques
de Labeau).
Mais ce n’est plus vrai pour d’autres aspects : le directeur du
service reste un agent public (même arrêt et CE 26 janv. 1923,
Robert Lafrégeyre*) ; les contrats autres que ceux conclus avec
les usagers sont administratifs dès lors qu’ils comportent des
clauses exorbitantes du droit commun (TC 14 nov. 1960, Coopé-
rative d’Ablis) ou qu’ils sont conclus selon un régime exorbitant
du droit commun (CE, 19 janv. 1973, Rivière du Sant), ce qui
ramène encore à la puissance publique.
Bien plus, il est des matières où la distinction des services
administratifs d’une part, industriels et commerciaux d’autre
part, est indifférente. Le droit administratif s’applique pour la
seule raison qu’on est en présence d’un service public. La qua-
lification de dépendance du domaine public n’est pas compro-
mise par le caractère industriel et commercial du service
(CE 21 mars 1984, Mansuy) mais seulement, le cas échéant, par
des dispositions législatives (CE 23 oct. 1998, EDF). Les critères
des travaux publics s’appliquent quel que soit le caractère, admi-
nistratif ou industriel et commercial, du service (cas des travaux
d’EDF ou de la SNCF par exemple).
Ainsi apparaît, au-delà de la diversité des activités et de la
diversification du régime applicable, qui sont à la fois un signe
de souplesse et une source de complication, une certaine unité de
règles liées à la nature même des services publics: si le droit admi-
Droit administratif et administration

54 nistratif ne les concerne pas en totalité et ne peut, à ce titre, être


défini comme le droit des services publics, le droit des services
publics n’est pas moins principalement le droit administratif.

Section 2
Droit administratif et limites de l’action administrative
Déjà, en étudiant l’organisation administrative et l’objet de
l’action administrative, on a relevé les données juridiques qui
les enserrent. Ici l’analyse s’élargit et devient plus systématique :
il s’agit d’envisager de manière générale les normes auxquelles
l’administration est soumise dans son action.
La seule affirmation qu’elle est soumise à des normes est en
soi considérable. Elle implique un assujettissement à la règle de
droit qui, pour nous paraître aujourd’hui évidente en France,
ne l’a pas toujours été, et ne l’est pas partout ailleurs.
Il se manifeste par deux principes, dont l’un, le principe de
légalité (I), est couramment exprimé, et l’autre, le principe de
responsabilité, encore peu formulé, doit être pourtant reconnu (II).

I - Droit administratif et légalité


Le principe de légalité est le plus important de notre droit
public, principe antérieur à la législation républicaine elle-même et
dont tout l’effort de la jurisprudence administrative a tendu à
imposer le respect à toutes les autorités administratives, si haut pla-
cées qu’elles fussent et quel que fût leur caractère… Il constitue la
garantie essentielle des citoyens et de la cité (J. Delvolvé, concl. sur
CE 17 févr. 1950, dame Lamotte*, RD publ., 1951.478).
Il est l’expression dans l’ordre administratif de l’État de droit.
La formule lie la légalité à la loi : la soumission au droit se
réduirait à la soumission à la loi. Il pouvait en être ainsi à
l’époque où la loi, expression de la volonté générale (Carré de Mal-
berg) pouvait être considérée comme la source exclusive du droit.
Pourtant, en matière administrative, elle était assez rare ; la juris-
prudence était la source principale du droit administratif. Le
Droit administratif et action administrative

principe de légalité était plutôt celui de la soumission de l’ad- 55


ministration à la jurisprudence.
Paradoxalement, le principe de légalité s’est développé à une
époque où la loi régnait, mais ne gouvernait guère l’adminis-
tration.
Désormais la loi n’est plus souveraine. Mais, d’une part, son
rôle s’est accru dans le domaine administratif, d’autre part, il
s’est accompagné de l’important développement d’autres sources
de droit, au niveau constitutionnel et international, qui a per-
mis de passer de l’État légal à l’État de droit (M. J. Redor). La
formule principe de légalité a pourtant été conservée. Il suffit de
savoir, pour la retenir, qu’elle ne signifie pas seulement la subor-
dination de l’administration à la loi, mais plus généralement au
droit.
Cette subordination est l’apport principal du droit adminis-
tratif, tel qu’il a été développé par la juridiction administrative,
et paraît constituer sa partie la plus incontestable.
Une nuance, voire un doute peuvent cependant être avan-
cés : s’il est désormais acquis que l’administration doit respecter
le droit, cette obligation est-elle radicalement différente de celle
qui s’impose aux particuliers ? Le principe de juridicité n’est pas
propre à l’administration, il vaut pour toute personne et toute
activité.
La particularité du droit administratif tient-elle alors à des
données propres au droit administratif : ses sources, son contenu,
sa portée ? On va voir que, sur chacun de ces aspects, la réponse
est relative.

A - Les sources de la légalité sont constituées par des textes dont


beaucoup dépassent le droit administratif. Ce sont surtout celles
que le Conseil d’État a découvertes au-delà des textes qui peu-
vent constituer la singularité du droit administratif.
1 - Les sources textuelles n’auraient guère mérité jadis qu’une
mention pour mémoire, à la fois parce que le droit adminis-
tratif dans son ensemble paraissait constitué en dehors des textes,
Droit administratif et administration

56 et parce que les seuls textes qui régissaient l’administration étaient


constitués par des lois, elles-mêmes limitées en importance et
en nombre.
Aujourd’hui les textes se sont accrus non seulement en nombre
mais en valeur.
Au premier rang, la Constitution formule des règles dont on
a pu rencontrer des manifestations à propos de l’organisation
administrative (v. p. 21). Elle influe directement la jurispru-
dence (par ex. CE 26 juin 1959, Ingénieurs-conseils*, 10 sept.
1992, Meyet).
L’importance de la Constitution comme source de la léga-
lité a grandi sous l’effet de deux facteurs : l’intégration de son
préambule dans le corpus juridique même, l’intervention du
Conseil constitutionnel dans la détermination du sens et de la
portée des textes constitutionnels. Ces deux éléments sont d’ailleurs
liés : le Conseil d’État a pu faire évoluer sa jurisprudence à par-
tir du préambule de la Constitution (par ex. à propos du droit
de grève dans les services publics : 7 juill. 1950, Dehaene*) ; le
Conseil constitutionnel, en affirmant l’autorité du Préambule de
la Constitution de 1958 (71-44, 16 juill. 1971*), fait produire
directement des effets à la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen de 1789, au Préambule de la Constitution de 1946
et, à travers celui-ci, aux principes fondamentaux reconnus par
les lois de la République et aux principes politiques, économiques
et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps.
Le Conseil constitutionnel ne l’a certes fait que pour appré-
cier la conformité de la loi à la Constitution alors que les juri-
dictions administratives n’apprécient que la légalité administra-
tive. Mais, même en dehors de l’hypothèse où l’autorité de la
chose jugée par le Conseil constitutionnel s’impose strictement,
il est difficile aux juridictions administratives d’ignorer ce qu’il
a reconnu.
Ainsi le Conseil d’État s’est rangé à la position du Conseil
constitutionnel, par exemple au sujet de principes tels que ceux
de l’indépendance des professeurs d’université (9 juill. 1997,
Picard).
Droit administratif et action administrative

Il a reconnu lui-même spontanément le contenu de prin- 57


cipes constitutionnels non seulement avant la création du Conseil
constitutionnel (ainsi pour la liberté d’association : CE 11 juill.
1956, Amicale des Annamites de Paris) mais même après (3 juill.
1996, Koné* : principe fondamental reconnu par les lois de la
République en matière d’extradition).
Du coup, la source constitutionnelle de la légalité s’est déve-
loppée par rapport aux autres. La légalité s’intègre dans la consti-
tutionnalité, non seulement en ce que la loi doit respecter la
Constitution, mais en ce que le droit administratif et la juri-
diction administrative dépendent désormais pour partie du droit
constitutionnel et de la jurisprudence constitutionnelle. La léga-
lité, ce n’est plus seulement la soumission de l’administration au
droit, c’est aussi la soumission du droit administratif au droit
constitutionnel.
C’est également sa soumission au droit international, et en
tout cas, aux traités internationaux. Ce n’est pas une nouveauté
de la jurisprudence Nicolo* (CE 20 oct. 1989). Depuis long-
temps déjà, le Conseil d’État a jugé non seulement que l’ad-
ministration devait respecter les conventions internationales mais
qu’il pouvait annuler un acte administratif les méconnaissant
(30 mai 1952, Dame Kirkwood). Mais, au cas où une loi inter-
venue postérieurement à un traité contredisait celle-ci, l’admi-
nistration devait se conformer non au traité mais à la loi (CE
1er mars 1968, Fabricants de semoules). La solution a été renver-
sée par l’arrêt Nicolo en vertu de l’article 55 de la Constitution :
désormais c’est le traité que doit appliquer l’administration même
s’il est contredit par une loi postérieure. Les sources internatio-
nales de la légalité s’en trouvent considérablement renforcées,
notamment au niveau communautaire (Traité de Rome et droit
dérivé : 24 sept. 1990, Boisdet ; 28 févr. 1992, Philip Moris) et
européen (Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme). L’obligation pour l’administration de respecter les
traités internationaux ne transforme évidemment pas le droit
administratif en droit international, non plus que l’origine consti-
Droit administratif et administration

58 tutionnelle non seulement de cette obligation (art. 55) mais


d’autres règles et principes ne le transforme en droit constitu-
tionnel.
Elle a pour effet de délier l’administration du respect de la
loi lorsque celle-ci est contraire à un traité. De même, doit être
écartée comme implicitement abrogée une loi antérieure à la
Constitution et inconciliable avec celle-ci (CE 16 déc. 2005,
Ministre des Affaires sociales, Syndicat national des huissiers de jus-
tice). En cela le principe de légalité, entendu au sens strict comme
soumettant l’administration à la loi, est moins rigoureux que
naguère. Il est maintenu dans tous les autres cas, y compris
lorsque la loi nouvelle est contraire à la Constitution et qu’elle
n’a pas été écartée par le Conseil constitutionnel. Tant que le
juge administratif continuera, comme le juge judiciaire, de refu-
ser de contrôler la constitutionnalité des lois (CE 6 nov. 1936,
Arrighi), l’administration sera tenue de les respecter autant dans
les cas où elles sont conformes que dans ceux où elles sont
contraires à la Constitution. Pour avoir perdu de son autorité,
voire de son universalité dans la légalité, la loi n’en reste pas
moins un de ses éléments essentiels.
Elle est relayée par le règlement – c’est-à-dire par un acte
qui, pour avoir une portée générale et impersonnelle, n’en est
pas moins administratif parce qu’il émane d’une autorité admi-
nistrative. En cela, la légalité tombe à un niveau inférieur à la
loi, que le règlement soit pris en application de la loi ou en l’ab-
sence de loi (règlements dits « autonomes »). Il est source de
légalité en ce qu’il doit être respecté non seulement par les auto-
rités administratives d’un niveau inférieur à celui de son auteur,
mais par son auteur dans son application, sauf à le modifier ou
l’abroger. Mais il est lui-même soumis à la légalité : il doit res-
pecter les autres normes, textuelles ou extra-textuelles (CE 26 juin
1959, Ingénieurs-conseils*).

2 - Les normes extra-textuelles sont un des apports les plus impor-


tants de la jurisprudence administrative et une des singularités
Droit administratif et action administrative

du droit administratif. Mais elles se trouvent aujourd’hui remises 59


en question.
Les principes généraux du droit ont pourtant été l’un des fleu-
rons de ce droit. Ils sont définis comme des normes qui s’im-
posent même sans texte à toute autorité administrative. Ils ont
été dégagés par le Conseil d’État à partir de textes comme la
Déclaration de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946,
à une époque où le Conseil constitutionnel n’en avait pas encore
reconnu la valeur positive, de textes moins solennels qui, à pro-
pos d’une solution précise, révèlent une norme plus large, et de
l’esprit même qui anime les institutions.
Ainsi ont été reconnus le principe d’égalité, notamment
devant le service public (CE 9 mars 1951, Concerts du conserva-
toire*), le principe des droits de la défense (CE 5 mai 1944,
Trompier Gravier*), le principe de non-rétroactivité des actes
administratifs (CE 25 juin 1948, Journal l’Aurore*), le principe
de continuité du service public (CE 7 juill. 1950, Dehaene*).
Leur généralité tient notamment à la largeur de leur champ
d’application.
De nouveaux principes ont été dégagés, avec un objet plus
précis et plus limité. Ils restent généraux en ce qu’ils sont non
écrits mais apparaissent spéciaux dans leur application: ainsi les
principes interdisant de licencier une femme enceinte (CE 8 juin
1973, Peynet), de verser à un salarié un salaire inférieur au SMIC
(CE 23 avr. 1982, Ville de Toulouse), le droit à une vie familiale
normale (CE 8 déc. 1978, GISTI*), les principes généraux du
droit applicables aux réfugiés (CE 1er avr. 1988, Bereciartua-Echarri*).
Leur découverte a compensé l’absence voire le déclin de la
loi : alors même que celle-ci ne régissait pas une matière, l’ad-
ministration devait les respecter (CE 26 juin 1959, Ingénieurs-
conseils*). Mais lorsque la loi les contredisait, ils s’effaçaient
devant elle. Cela faussait la question de savoir s’ils avaient une
valeur supra, infra ou seulement législative.
Elle s’est posée dans de nouveaux termes lorsque le Conseil
constitutionnel a considéré que la loi devait respecter non plus
exactement les principes généraux du droit mais les principes de
Droit administratif et administration

60 valeur constitutionnelle. La modification des termes comporte


une transsubstantiation de la notion. Car elle couvre non plus
des normes s’appliquant, indépendamment d’un texte, à toute
autorité administrative, mais des normes tirées du texte consti-
tutionnel, et spécialement de la Déclaration de 1789 et du Préam-
bule de 1946, et s’imposant à ce titre au législateur. Il arrive
certes que des principes à valeur constitutionnelle ne soient pas
exprimés dans la Constitution (par ex. le principe de continuité
du service public : CC 79-105, 25 juill. 1979*) et que des prin-
cipes généraux du droit soient évoqués par le Conseil constitu-
tionnel avec valeur législative (69-57, 24 oct. 1969 : non-rétro-
activité des actes administratifs ; 88-248, 17 janv. 1989* : principe
selon lequel le recours d’une personne contre une sanction ne
peut aggraver sa situation).
Mais les plus importants principes généraux du droit déga-
gés par le Conseil d’État ont été sublimés en principes à valeur
constitutionnelle par le Conseil constitutionnel.
Tel est le cas notamment du principe d’égalité, contenu dans
la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et solennellement réaf-
firmé par le Préambule de la Constitution (CC 73-51, 27 déc. 1973*),
du principe du respect des droits de la défense, principe fonda-
mental reconnu par les lois de la République (CC 76-70, 2 déc. 1976)
ou encore garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789
(CC 27 juill. 2006). Le Conseil d’État en a tiré les conséquences
en traitant certains des principes généraux du droit qu’il avait
dégagés en principes établis par la Constitution – en particulier,
le principe d’égalité d’accès aux emplois publics, expressément
fondé sur l’article 6 de la Déclaration de 1789 (CE 16 déc. 1988,
Bleton), le principe d’égalité entre les sexes, sur le préambule de
la Constitution de 1946 (CE 26 juin 1989, Syndicats généraux de
l’Éducation nationale) – et en appliquant certains principes déga-
gés par le Conseil constitutionnel sans passer par la théorie des
principes généraux du droit (v. p. 56).
Il en est résulté une double altération : et de nature (puisque
les principes en cause sont essentiellement d’origine écrite) et de
valeur (puisqu’elle est constitutionnelle).
Droit administratif et action administrative

Il en est résulté aussi une double tentation : dire que la théo- 61


rie des principes généraux du droit est dépassée et qu’elle n’ap-
partient plus désormais au droit administratif mais au droit
constitutionnel.
Quels que soient les changements apportés à la théorie des
principes généraux du droit par la jurisprudence constitution-
nelle (B. Jeanneau, D. Menna) et la double analyse dont elle
peut faire l’objet (G. Vedel), elle n’en comporte pas moins une
permanence et une autonomie, qu’on peut trouver dans deux
observations.
La première est que l’absorption de principes généraux du
droit par des principes à valeur constitutionnelle, si elle s’ac-
compagne d’un changement dans les termes, d’un rehaussement
de leur valeur et d’un renforcement de leur portée, ne change
peut-être pas toujours leur nature de normes non écrites. Certes
le Conseil constitutionnel lie le plus souvent ses principes à valeur
constitutionnelle à la Déclaration de 1789 et au préambule de
1946. Mais le Conseil d’État parlait déjà lui-même de principes
généraux du droit… résultant notamment du préambule de la Consti-
tution bien avant le Conseil constitutionnel (CE 26 juin 1959,
Ingénieurs-conseils*). Le rattachement de principes à un texte
n’empêche qu’ils aillent plus loin que lui. Il en est ainsi non
seulement pour les principes fondamentaux reconnus par les lois
de la République, qu’il a fallu inventer à partir d’une formule
sibylline et qui dépassent la lettre du texte constitutionnel, mais
pour d’autres principes à valeur constitutionnelle comme celui
de la continuité du service public, qui ne s’y trouvent pas expri-
més du tout. Si le Conseil constitutionnel ne parle que de prin-
cipes à valeur constitutionnelle, sans dire qu’ils sont généraux,
c’est peut-être plus par prudence vis-à-vis du législateur que par
négation de leur caractère général.
En second lieu, les principes généraux du droit subsistent
aussi bien dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel que
dans celle du Conseil d’État. L’une reconnaît expressément non
seulement, avec une valeur législative, certains d’entre eux (par
ex. le principe selon lequel le silence de l’administration vaut
Droit administratif et administration

62 rejet : CC 69-55, 26 juin 1969* ; 94-352, 18 janv. 1995), mais plus


largement, les principes généraux du droit comme normes enca-
drant l’action de l’administration et même celle du juge admi-
nistratif (CC 88-248, 17 janv. 1989*) – ce qui est un renvoi à la
jurisprudence du Conseil d’État. L’autre continue à découvrir
des principes généraux du droit : s’ils peuvent être de moins
grande ampleur que ceux qu’il avait jadis reconnus et qui ont
été transformés en principes à valeur constitutionnelle, ils n’en
constituent pas moins des normes non écrites, applicables sans
ou au-delà des textes (par exemple, outre les principes généraux
du droit applicables aux réfugiés, déjà cités, le principe interdi-
sant d’infliger des amendes ou autres sanctions pécuniaires aux
salariés – CE 1er juill. 1988, Billard et Volle, le principe interdi-
sant les mesures discriminatoires à l’encontre des grévistes –
CE 12 nov. 1990, Malher), ils peuvent aussi avoir encore une
grande portée, comme le principe de sécurité juridique (24 mars
2006, Société KPMG).
Les principes généraux du droit continuent ainsi, dans l’ordre
strictement administratif, à constituer un élément de la légalité.
Ils sont l’œuvre de la jurisprudence. Ils constituent la meilleure
illustration du rôle créateur du juge. Son importance comme
source extra-textuelle de la légalité est telle qu’on a pu la qua-
lifier d’abusive (O. Dupeyroux). C’est essentiellement à l’occa-
sion du contrôle des actes administratifs unilatéraux qu’elle a
déterminé le contenu et la portée de la légalité. Les décisions
du juge déterminent ainsi les solutions qui s’imposent, non seu-
lement dans les litiges au sujet desquels elles ont été rendues,
mais plus généralement comme une ligne de conduite de l’ad-
ministration, avec une autorité qui dépasse celle de la chose
jugée dans chaque affaire pour régir dans son ensemble l’action
administrative.

B - Le contenu de la légalité a longtemps été caractérisé par la


qualification « administrative » qui lui était donnée et consi-
déré comme spécifique du droit administratif.
Droit administratif et action administrative

Il est vrai que, le plus souvent l’administration est tenue de 63


respecter des règles qui lui sont propres : il n’est que de penser
à celles qui régissent son organisation et son fonctionnement
pour constater la spécificité des règles auxquelles elle est sou-
mise ; le juge administratif en paraît exclusivement le gardien
(autant que le gardien exclusif).
Cette considération apparaît excessive si l’on observe qu’en
réalité la légalité dépasse le droit administratif et l’administra-
tion.

1 - La légalité est constituée par l’ensemble des règles que doit


respecter l’administration dans l’exercice de son action : d’une
part, au sein du droit public, celles qui ne sont pas seulement
administratives ; d’autre part, aussi, celles du droit privé. Lorsque
le juge administratif vérifie leur respect par l’administration, il
est plus juge administratif de la légalité que juge de la légalité
administrative (J. Rivero).
Au sein du droit public, on a déjà eu l’occasion de rencon-
trer notamment l’application du droit constitutionnel pour la
détermination des domaines respectifs de la loi et du règlement,
des compétences du Président de la République et du Premier
ministre, de la supériorité des traités, et spécialement des trai-
tés communautaires et des textes qui en sont dérivés, sur la loi –
ce qui le conduit à appliquer le droit international public et le
droit communautaire.
Du droit privé, l’application par l’administration paraît incer-
taine puisque le droit de l’administration apparaît comme le
droit administratif, et le contrôle par le juge administratif impos-
sible puisque sa compétence serait liée au droit administratif
(Blanco*). Mais, outre que certaines branches considérées comme
du droit privé sont en réalité du droit public (le droit pénal et
même le droit de la concurrence), dès lors que les règles qu’il
appartient à l’administration de traiter puis au juge adminis-
tratif de vérifier relèvent du droit privé, l’une doit les appliquer,
l’autre en contrôler l’application.
Droit administratif et administration

64 Il en est ainsi pour le droit pénal (CE 6 déc. 1996, Lamba*),


le droit de la concurrence (CE 3 nov. 1997, Million et Marais*)
et le droit privé « pur », par exemple au sujet des donations
(19 nov. 2004, Ramond, Roche).
2 - Il y a certes une spécificité de la légalité administrative enten-
due au sens strict : les règles régissant l’administration sont par
leur objet même différentes de celles auxquelles doivent obéir
les particuliers. Par exemple la constitution de ses différentes
subdivisions (collectivités locales, établissements publics), la dési-
gnation de ses organes (par ex. ministres, préfets, maires), l’adop-
tion de ses actes, unilatéraux (décrets, arrêtés) ou contractuels
(par ex. les concessions et les marchés), le fonctionnement de ses
services, la mise en œuvre de la force publique relèvent de règles
sans équivalent en droit privé pour la seule raison que de telles
matières n’existent pas dans les institutions et les relations pri-
vées. Leur spécificité par rapport au droit privé résulte non d’une
différence avec lui mais de l’absence pour lui d’un objet équi-
valent. L’originalité du contenu de la légalité administrative appa-
raît alors, non pas par comparaison avec les solutions d’autres
branches du droit, mais tout simplement en raison de l’absence
d’éléments de comparaison. En ce sens il y a autant mais pas
plus d’autonomie entre les règles régissant la création d’un éta-
blissement public et celles qui s’appliquent à la création d’une
société commerciale qu’entre ces dernières et celles qui s’appli-
quent à la création d’une association, entre les règles régissant
l’adoption d’un acte administratif et celles qui gouvernent l’adop-
tion du règlement intérieur d’une entreprise qu’entre celles-ci et
celles qui doivent être observées pour l’octroi d’un legs, entre
celles régissant la passation d’un marché public et celles qui s’ap-
pliquent à une vente commerciale qu’entre celles-ci et celles aux-
quelles est soumise la vente d’un immeuble. L’originalité du
contenu de la légalité administrative se relativise.
Elle peut disparaître même dans certains cas, si l’on observe
l’identité des normes applicables. Ainsi, le principe de la liberté
individuelle interdit autant aux particuliers de procéder à des
Droit administratif et action administrative

séquestrations qu’à l’administration de procéder à des interne- 65


ments arbitraires ; le principe de la liberté d’entreprendre et, sa
variante, la liberté de concurrence, interdisent autant aux par-
ticuliers qu’à l’administration d’entraver l’activité des entreprises;
le principe d’égalité, qui interdit à l’administration de traiter de
manière différente des personnes qui sont dans une situation
semblable, interdit également aux particuliers des discrimina-
tions.
Il n’est pas jusqu’aux limites de la légalité administrative qui
ne trouvent leur correspondance en droit privé : au pouvoir dis-
crétionnaire, qui permet à l’administration de choisir librement
la décision lui paraissant convenable, fait pendant l’autonomie
de la volonté, en vertu de laquelle une personne privée peut se
déterminer librement. Le premier est certes plus restreint que
la seconde : mais à la fois dans leur manifestation et comme
limite à la portée des normes juridiques, ils sont équivalents.
Ainsi le principe de légalité, qui paraissait a priori comme
un des éléments les plus originaux du droit administratif, et qui
l’a effectivement été à sa belle époque, perd aujourd’hui de sa
spécificité.
Cela ne signifie pas qu’il n’ait plus son importance. Au
contraire, c’est l’extension même des règles auxquelles l’admi-
nistration est soumise qui a provoqué sa banalisation : plus elle
est soumise au droit, moins le droit qui la régit paraît original.
Mais ce droit gagne en richesse et en rigueur.

C - La portée de la légalité s’apprécie en fonction du degré d’obli-


gation que celle-ci fait peser sur l’administration ; elle est affec-
tée par les limites que la légalité comporte elle-même.
1 - Le degré de soumission de l’administration au droit est fonc-
tion de deux facteurs, tenant l’un au contenu de la règle de
droit, l’autre, à la sanction dont elle fait l’objet.
Le contenu de la norme peut comporter trois niveaux de
contrainte pour l’administration : tantôt elle interdit, tantôt elle
oblige, tantôt elle permet.
Droit administratif et administration

66 Dans le premier cas, la légalité est négative : elle empêche


l’administration d’adopter certaines mesures (par exemple de
s’opposer aux déplacements des administrés : CE 20 déc. 1995,
Mme Vedel et Jannot).
Dans le deuxième cas, l’administration est contrainte d’agir :
elle est tenue de prendre une mesure déterminée. Par exemple
l’importance du danger présenté par certaines activités ou cer-
taines situations oblige l’administration à prendre les disposi-
tions de nature à le pallier ; l’accomplissement de toutes les condi-
tions mises à l’octroi d’un permis de construire commande la
délivrance de celui-ci.
La troisième hypothèse fait disparaître toute contrainte, posi-
tive ou négative, pour l’administration : la règle applicable lui
permet d’agir ou de ne rien faire et, si elle agit, de choisir la
solution qu’elle veut. Elle peut par exemple décider de créer ou
de ne pas créer certains services publics et, si elle le fait, de leur
donner n’importe quelle organisation.
Il est évident que, selon les cas, le principe de légalité n’a ni
la même portée ni le même sens.
Bien plus, qu’elle interdise, impose, permette, la règle de droit
applicable à l’administration n’est pas nécessairement protectrice
des administrés. Elle peut se retourner contre eux, par exemple
en interdisant ou en limitant les subventions à certains organismes
(CE 6 avr. 1990, Département d’Ille-et-Vilaine), en imposant d’ex-
clure certaines personnes de diverses professions (ex. des lois du
gouvernement de Vichy), en permettant de procéder à des arres-
tations (loi de 1955 sur l’état d’urgence – v. CE 24 mars 2006,
Rolin), pour ne prendre que des hypothèses diverses, qui sont loin
d’être les seules.
Elles limitent d’autant la portée du principe de légalité : la
soumission de l’administration au droit se transforme en un ren-
forcement des droits de l’administration. Il ne faut pas se
méprendre sur le principe : il n’est une application de l’État de
droit que dans la mesure où le contenu des normes qu’il englobe
correspond à d’autres normes qui ne sont plus du domaine du
droit.
Droit administratif et action administrative

C’est le cas le plus fréquent : les développements du prin- 67


cipe de légalité ont certainement contribué à celui de l’État de
droit, lui-même conçu en fonction de conceptions antérieures et
supérieures au droit positif. Il ne faut pas celer les possibilités
de déviation que comporte le principe de légalité, entendu comme
une pure objectivisation du droit : il peut conduire autant à la
domination de l’administration qu’à sa soumission.
Même s’il implique normalement celle-ci, il n’a de réalité
que par le contrôle auquel il prête et de sens que si son respect
est garanti.
Il peut l’être par des procédures internes à l’administration
ou par des mécanismes faisant intervenir des organes qui lui
sont extérieurs.
Il doit l’être surtout par des solutions juridictionnelles : l’in-
tervention d’un juge est la garantie ultime de la légalité (CE 17 févr.
1950, Dame Lamotte*). Encore faut-il que ce juge dispose des
instruments nécessaires. Les développements du contrôle juri-
dictionnel par la voie du recours pour excès de pouvoir ont
assuré de manière considérable le progrès de la légalité (v. p. 114).
Ils n’en comportent pas moins encore des zones d’ombre, que
le juge refuse de faire prévaloir la Constitution sur une loi qui
vient la contredire (v. p. 58) ou plus radicalement de connaître
un acte, considéré comme acte de gouvernement (CE 2 mars,
1962, Rubin de Servens*). Alors la portée du principe de léga-
lité rencontre les limites qui sont celles du contrôle juridictionnel.
2 - Elles peuvent être rapprochées des limites que le principe
de légalité comporte en lui-même, de par son objet et dans cer-
taines circonstances.
Par définition, il ne régit que les situations dans lesquelles
se pose la question de la conformité à la règle de droit, non
celles pour lesquelles la règle n’est pas en cause. Cela ne signi-
fie pas qu’elles soient hors du droit : elles restent encadrées par
lui. Mais, dans les conditions et les limites qu’il détermine, cer-
taines questions ne relèvent que de l’opportunité, dans l’appré-
ciation de laquelle la légalité n’a plus sa part. On dit alors que
Droit administratif et administration

68 l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire, qui échappe


à l’emprise du droit autant qu’au contrôle du juge (v. p. 142).
On peut même dire que c’est parce qu’il échappe au second
qu’il n’est pas soumis au premier. La meilleure preuve en est
que le développement du contrôle juridictionnel déplace les fron-
tières de la légalité et de l’opportunité au profit de l’une et au
détriment de l’autre.
Cela souligne la relativité des notions de pouvoir discré-
tionnaire et d’opportunité et, en contrepoint, de légalité.
Il n’en reste pas moins qu’en soi, l’opportunité non seule-
ment se distingue de la légalité mais lui échappe par nature :
elle est une limite inhérente à sa structure.
Les circonstances exceptionnelles n’en sont qu’une limite conjonc-
turelle. Compte tenu du bouleversement que certains événe-
ments, comme la guerre ou des cataclysmes, introduisent dans
la vie administrative et sociale, l’administration peut, pour assu-
rer les missions essentielles dont elle est investie, prendre des
mesures qui normalement seraient illégales (CE 28 juin 1918,
Heyriès* ; 28 févr. 1919, Dol et Laurent*). Le principe de léga-
lité ne disparaît pas : il faut que les circonstances soient vrai-
ment exceptionnelles et que les mesures prises soient nécessaires ;
le juge contrôle l’existence des premières et l’adoption des
secondes.
La légalité n’en est pas moins assouplie puisque sont consi-
dérés comme légaux des actes qui ne le seraient pas en temps
ordinaire.
On peut considérer ces solutions de deux manières : soit elles
manifestent l’adaptation constante du droit administratif aux
besoins de l’action administrative ; soit elles révèlent l’approxi-
mation du principe de légalité, présenté pourtant comme l’exi-
gence première de ce droit.

II - Droit administratif et responsabilité


Il peut paraître surprenant d’affirmer qu’il existe un prin-
cipe de responsabilité propre à l’administration alors que le pre-
Droit administratif et action administrative

mier des grands arrêts de la jurisprudence administrative (TC 8 févr. 69


1873, Blanco*) dit le contraire (v. p. 3).
Il est aujourd’hui contredit dans ses deux affirmations.
D’une part, tout un pan de l’activité administrative relève
du régime de responsabilité établi par le Code civil, en vertu
soit de la jurisprudence, pour tout ce qui relève de la gestion
privée (v. p. 102), soit de la loi, précisément pour remédier aux
carences de la responsabilité administrative (la loi du 31 déc.
1957 sur les accidents de véhicules, v. p. 106). L’espèce Blanco
serait aujourd’hui jugée dans un sens contraire à celui de l’ar-
rêt de 1873, puisqu’elle concernait à la fois une activité indus-
trielle et commerciale et un accident de véhicule.
D’autre part, dans la sphère du droit administratif même,
toute l’évolution a conduit à une extension des domaines dans
lesquels la responsabilité de l’administration peut être engagée
et à un assouplissement des conditions auxquelles elle peut être
effectivement reconnue : l’œuvre créatrice de la jurisprudence
administrative s’est accomplie en ce domaine autant que dans
celui de la légalité. Elle ne laisse guère hors du champ de la
responsabilité administrative que les dommages résultant des
actes de gouvernement et ceux qui résultent plus de la vie sociale
que de l’activité administrative (par ex. les dommages de guerre).
Mais la réduction progressive des premiers par la jurisprudence
et la couverture étendue des seconds par la législation (répara-
tion des dommages de guerre, des dommages causés par les
attroupements et émeutes, par certains actes de violence notam-
ment) ne laissent plus guère de place à l’irresponsabilité et à
l’absence d’indemnisation.
Les solutions font apparaître désormais dans la responsabi-
lité administrative quatre fonctions (D. Lochak) : sanction, assu-
rance, prix à payer, couverture des risques sociaux.
Elles peuvent correspondre à des données constitutionnelles,
qui s’introduisent dans la responsabilité comme dans la légalité.
Le Conseil constitutionnel a souligné, d’une part, que le prin-
cipe d’égalité devant les charges publiques ne permet pas d’ex-
clure du droit à réparation un élément quelconque du préju-
Droit administratif et administration

70 dice résultant des travaux ou ouvrages publics (CC 85-198, 13 déc.


1985), d’autre part, que le principe d’égalité devant la loi empêche
de soustraire une personne à toute responsabilité pour faute
(82-144, 22 oct. 1982).
Bien plus, toute décision d’une autorité administrative qui
interviendrait en violation des dispositions législatives ou réglemen-
taires serait susceptible d’entraîner la mise en jeu de la responsabi-
lité de la puissance publique (CC 88-248, 17 janv. 1989*) ; si des
illégalités sont commises, il appartient aux autorités judiciaires et
administratives… de pourvoir éventuellement à la réparation de
leurs conséquences dommageables (CC 93-125, 13 août 1993*).
Le droit communautaire lui-même impose le principe selon
lequel les États membres sont obligés de réparer les dommages cau-
sés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui
leur sont imputables (CJCE, 19 nov. 1991, Francovitch), y com-
pris en cas de violation par une juridiction statuant en premier
et dernier ressort (CJCE, 30 sept. 2003, Köbler).
Cette évolution conduit à une réflexion parallèle à celles
qu’on a pu faire à propos de la légalité (v. p. 64) : l’autonomie
du droit de la responsabilité administrative se réduit à la fois
parce qu’il rejoint les solutions découlant du Code civil, parce
qu’il est désormais d’origine autant législative que jurispruden-
tielle et parce qu’il se trouve couvert par des principes consti-
tutionnels et communautaires.
Le résultat en est, comme pour la légalité, un accroissement
de la protection des administrés (A). Il ne doit pas cependant
être exagéré : il peut comporter encore des éléments de protec-
tion de l’administration (B).

A - Le droit de la responsabilité administrative, protecteur des admi-


nistrés. La réparation des dommages subis par les administrés
du fait de l’action administrative s’est accrue par suite de l’ex-
tension de deux types de responsabilité : la responsabilité pour
faute et la responsabilité sans faute.
1 - La responsabilité pour faute apparaît encore souvent comme
le cas normal de responsabilité, en droit administratif comme en
Droit administratif et action administrative

droit civil. Cette appréciation est exagérée car la responsabilité 71


sans faute est mise sur le même plan que la responsabilité pour
faute. Du moins est-ce à la faute que l’on pense d’abord pour
engager la responsabilité de l’administration. Or la responsabi-
lité pour faute s’est développée doublement : l’administration
doit répondre des fautes de ses agents ; elle doit répondre des
siennes propres.
L’obligation pour l’administration de répondre des fautes de
ses agents n’a rien de singulier lorsque, inséparables de l’exer-
cice de leurs fonctions, elles apparaissent, non comme leurs fautes
personnelles, mais comme des fautes de service. En revanche,
alors même que l’agent a commis une faute personnelle, c’est-
à-dire révélant l’homme avec ses faiblesses, ses passions, ses impru-
dences et alors… imputable au fonctionnaire, non à la fonction
(Laferrière), la jurisprudence a progressivement admis que l’ad-
ministration devait indemniser la victime : d’abord en considé-
rant que cette faute s’accompagnait d’une faute de service
(CE 3 févr. 1911, Anguet*), puis en admettant qu’elle pouvait
aussi bien révéler une faute de service (CE 26 juill. 1918, Lemon-
nier*), enfin en considérant qu’elle était commise à l’occasion
du service ou, plus simplement encore, qu’elle n’était pas dépour-
vue de tout lien avec le service (CE 18 nov. 1949, Mimeur) ; la
victime est ainsi assurée de trouver dans l’administration un
débiteur solvable. Il n’y a plus que pour les fautes commises par
un agent de manière totalement étrangère à son service qu’elle
est laissée seule en face de lui.
C’est contre l’administration seule qu’elle doit se retourner
pour les fautes propres à celle-ci. Encore faut-il admettre qu’elle
puisse en commettre et, si elle en commet une, qu’elle est suf-
fisante pour justifier une indemnisation. Sur ces deux points
encore, l’évolution a renforcé la protection des administrés.
Tout d’abord, dans des domaines où, pendant longtemps,
aucune faute ni même aucune responsabilité n’était admise, l’une
et l’autre ont été reconnues. Il en a été ainsi notamment en
matière de police : l’irresponsabilité que paraissait justifier la
fonction de souveraineté à laquelle elle est attachée a cédé la
Droit administratif et administration

72 place à la responsabilité pour faute en 1905 (CE 10 févr., Tomaso


Grecco*). Plus récemment, après avoir jugé que la violation du
Traité de Rome pour des motifs d’intérêt général ne constituait
pas une faute (CE 23 mars 1984, Alivar), le Conseil d’État a
admis la solution inverse sans avoir égard au rôle de la loi dans
la méconnaissance du droit communautaire (CE 28 févr. 1992,
Arizona Tobacco) – ce qui souligne la suprématie de celui-ci
autant sur le terrain de la responsabilité que sur celui de la léga-
lité.
En second lieu, des activités qui, pendant longtemps, ne pou-
vaient engager la responsabilité de l’administration que si sa
faute était lourde, sont désormais soumises au régime de la faute
simple : ainsi en est-il par exemple pour celles de la police et du
fisc qui ne présentent pas de difficultés particulières (CE 29 déc.
1997, Commune d’Arcueil), pour toutes les activités médicales et
chirurgicales (CE 10 avr. 1992, Époux V.*) et pour la mécon-
naissance du droit à un délai raisonnable de jugement par la
justice administrative (CE 28 juin 2002, Magiera).
Bien plus, alors même qu’une faute reste en principe néces-
saire, cette exigence se trouve atténuée par la présomption de
faute que fait apparaître la réalisation du dommage. La victime
n’a pas à prouver de faute. L’administration peut seulement
démontrer qu’elle n’en a pas commis. C’est ce que l’on trouve
dans certains cas de responsabilité médicale et dans la respon-
sabilité du fait des accidents de travaux publics subis par les
usagers. On n’est pas très loin d’un autre régime de responsa-
bilité.
2 - C’est celui de la responsabilité sans faute. Ni la victime n’a
à reprocher à l’administration son comportement ni celle-ci ne
peut se retrancher derrière l’exact accomplissement de ses fonc-
tions. Il suffit que le dommage soit la réalisation d’un risque ou
qu’il rompe l’égalité devant les charges publiques pour donner
lieu à réparation.
La responsabilité pour risque est loin d’être inconnue en droit
civil, mais il a fallu longtemps pour que la Cour de cassation
Droit administratif et action administrative

l’assoie sur l’article 1384, al. 1er, du Code civil et que le législa- 73
teur l’établisse là où elle ne l’avait pas encore reconnue. En droit
administratif, elle a été admise beaucoup plus tôt par la juris-
prudence.
D’un côté, les avantages que l’administration tire de l’acti-
vité d’autrui ou de ses propres activités ont justifié qu’en contre-
partie, elle indemnise ceux qui en sont les victimes. Ainsi ses
collaborateurs, d’abord permanents (CE 21 juin 1895, Cames*),
puis occasionnels (CE 22 nov. 1946, Saint Priest la Plaine*) ont
droit, lorsqu’ils ne bénéficient pas d’une pension, d’être couverts
de l’entier préjudice subi dans l’accomplissement de cette colla-
boration. Les tiers par rapport à des travaux ou ouvrages publics,
sont, eux aussi, indemnisés des conséquences dommageables des
accidents causés par les uns ou les autres.
D’un autre côté, les risques particuliers que l’administration
fait courir aux tiers du fait d’ouvrages dangereux (CE 28 mars
1919, Regnault-Desroziers*), d’armes dangereuses (CE 24 juin
1949, Lecomte*), d’activités dangereuses (CE 3 févr. 1956, Thou-
zellier) ouvrent encore droit, lorsqu’ils se réalisent, à l’indemni-
sation des victimes sans autre condition que la réalité du dom-
mage et son lien avec le risque en cause. La solution a été élargie,
d’une part, aux cas où la victime est elle-même usager d’un
ouvrage dangereux (CE 6 juill. 1973, Dalleau) ou d’une activité
présentant un risque dont la réalisation est exceptionnelle
(CE 3 nov. 1997, Hôpital Joseph-Imbert d’Arles), d’autre part, à
ceux où l’activité dangereuse fait intervenir un tiers à l’admi-
nistration (cas des mineurs confiés à un « gardien » : CE 11 févr.
2005, GIE Axa Courtage ; 1er févr. 2006, MAIF). Ces progrès s’ex-
pliquent par la recherche à la fois d’une meilleure protection
des victimes et d’une meilleure cohérence avec les positions de
la Cour de cassation dans des hypothèses semblables.
S’en différencient les cas de responsabilité pour rupture de
l’égalité devant les charges publiques, engagée si le dommage pré-
sente les conditions de spécialité et en outre d’anormalité qui
sont nécessaires pour caractériser cette rupture. Elle présente
une singularité à la fois par rapport au droit civil, qui ne la
Droit administratif et administration

74 connaît pas, et au sein du droit administratif. Elle peut être


admise pour les préjudices résultant de manière permanente de
la présence d’ouvrages publics, ou de mesures administratives,
telles que le refus, compte tenu des circonstances, d’assurer l’exé-
cution d’une décision de justice (CE 30 nov. 1923, Couitéas*),
l’adoption d’un règlement de police (CE 27 févr. 1963, Gavar-
nie) voire d’un acte individuel (CE 28 oct. 1947, Cap Janet). Elle
peut l’être encore pour les préjudices résultant de lois (CE 14 janv.
1938, La Fleurette*), ou de conventions internationales (CE 30 mars
1966, Compagnie générale d’énergie radioélectrique*). Le droit
administratif n’assure plus seulement ici la protection des admi-
nistrés contre l’administration, mais des citoyens contre la légis-
lation, interne et internationale.
Cela se confirme si l’on observe que la responsabilité du fait
des lois est engagée directement en vertu « des principes qui
gouvernent l’engagement de la responsabilité sans faute de l’État »
sans que le silence de la loi puisse « être interprété comme
excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que
son application est susceptible de provoquer » (CE 2 nov. 2005,
Coopérative agricole Ax’ion).
Le législateur peut lui-même aménager des systèmes de répa-
ration dans des domaines où les principes de la responsabilité
administrative, et même de la responsabilité tout court, sont
impuissants à justifier la condamnation de l’administration à
réparer des dommages dont elle n’est pas l’auteur. C’est au titre
de la garantie sociale qu’il la charge de réparer ceux qui résul-
tent des attroupements et émeutes, de certaines infractions, d’actes
de terrorisme, de transfusion sanguine. La mise en œuvre est
confiée tantôt aux tribunaux judiciaires tantôt aux juridictions
administratives, qui ont pu adopter des solutions libérales dans
l’appréciation du préjudice réparable (CE 6 avr. 1990, Cofiroute*).
Elles rejoignent celles qui, au titre du droit commun de la
responsabilité administrative, ont assoupli les règles d’évalua-
tion des dommages aux personnes et aux biens (CE 21 mars
1947, Veuve Aubry*, Compagnie générale des eaux*) et fini par
Droit administratif et action administrative

admettre la réparation du préjudice moral (CE 24 nov. 1961, 75


Letisserand*).
À ce stade, on en vient non seulement à constater que la
responsabilité de l’administration est générale mais à se deman-
der si elle obéit vraiment à des règles propres, tant les solutions
ressemblent à celles du droit privé (R. Chapus) et assurent la
protection des administrés.
Voire ! Elles peuvent aussi bien profiter à l’administration.

B - Le droit de la responsabilité administrative, protecteur de l’ad-


ministration ? On peut juger contradictoire de se demander si le
système de responsabilité administrative protège l’administra-
tion après avoir dit qu’il protège les administrés. Peut-être ! Mais
ce n’est pas pour les mêmes aspects. Ceux qu’on envisage ici
révèlent une certaine protection des agents et des services.
1 - La protection des agents est d’abord assurée contre l’adminis-
tration elle-même. La jurisprudence l’a assurée depuis longtemps
par le régime de responsabilité pour risque (supra, p. 73). La
législation l’a relayée en établissant un système de pensions. Mais
son caractère forfaitaire privait les agents des progrès de la juris-
prudence dans d’autres domaines. Celle-ci a admis la répara-
tion, au-delà de la pension, des préjudices non couverts par elle
(souffrances physiques et morales notamment) et même, à la
place de la pension, en cas de dommage imputable à une faute
de l’administration ou à l’état d’un ouvrage public, de l’inté-
gralité du préjudice (CE 4 juill. 2003, Mme Moya-Caville). C’est
une des meilleures illustrations de la combinaison du rôle du
juge et du législateur en droit administratif.
La protection de l’administration est également assurée contre
les administrés par la distinction de la faute de service et de la
faute personnelle.
Alors qu’a été supprimée en 1870 la garantie procédurale
résultant du maintien jusqu’à cette date de dispositions de la
Constitution de l’an VIII, la jurisprudence (TC 30 juill. 1873,
Pelletier*) lui a substitué une garantie de fond en n’admettant
Droit administratif et administration

76 la mise en cause de la responsabilité personnelle des agents


publics qu’en cas de faute personnelle, strictement entendue
(v. p. 71) : il faut, pour qu’elle soit reconnue dans le cadre du
service, avoir commis des brutalités inexcusables, fait preuve
d’une poltronnerie inadmissible, tenu des propos diffamatoires
ou blasphématoires. Ni une faute pénale (TC 14 janv. 1935, Thé-
paz*) ni une voie de fait (TC 8 avr., 1935, Action française*) ne
sont nécessairement des fautes personnelles. A fortiori des négli-
gences, des lenteurs, des omissions ne le sont pas. La faute de
service, largement entendue, fait écran entre l’agent et la vic-
time.
Bien plus, contre les instituteurs (loi du 5 avr. 1937) et les
magistrats (loi du 5 juill. 1972), le législateur a interdit toute
action des victimes, même en cas de faute personnelle.
L’admission de la responsabilité de l’administration pour
faute personnelle commise dans ou à l’occasion du service abou-
tit à une protection des agents : car elle conduit la victime à pré-
férer une action contre l’administration à une action contre eux.
Certes, renversant une solution injustifiable (CE 28 mars
1924, Poursines), le Conseil d’État a admis l’action récursoire de
l’administration contre l’agent lorsqu’elle a été condamnée à
réparer les conséquences dommageables de la faute personnelle
(28 juill. 1951, Laruelle*). Mais elle ne paraît guère exercée en
fait si l’on en juge par la rareté des espèces. Les agents, eux,
n’hésitent pas à engager une action récursoire contre l’adminis-
tration pour les fautes de service qui ont accompagné leurs fautes
personnelles (CE 28 juill. 1951, Delville* ; 12 avr. 2002, Papon).

2 - La protection des services ne doit pas être sous-estimée non


plus.
Quel que soit le déclin de la faute lourde, elle n’en reste pas
moins nécessaire pour engager la responsabilité de ceux dont
l’action est jugée difficile : le service du maintien de l’ordre, les
services pénitentiaires, les services de contrôle (CE 6 oct. 2000,
Commune de Saint-Florent ; 30 nov. 2001, Kechichian), dans cer-
Droit administratif et action administrative

tains cas les services fiscaux et le service de la justice adminis- 77


trative (CE 29 déc. 1978, Darmont).
Paradoxalement, même l’admission de la responsabilité sans
faute, apparemment favorable aux administrés, l’est autant pour
l’administration – pour deux raisons : elle évite de prononcer un
jugement de valeur sur son comportement, alors qu’il y aurait
beaucoup à dire sur les risques qu’elle prend et fait peser sur
les autres ou sur la légalité des mesures qu’elle adopte et sur-
tout qu’elle n’adopte pas ; les conditions de spécialité et d’anor-
malité exigées du préjudice sont appréciées rigoureusement, pour
éviter tout débordement.
Plus généralement, l’évaluation du préjudice n’est pas tou-
jours généreuse ; pour les dommages aux biens, la limitation de
l’indemnité au montant de la valeur vénale, l’abattement pour
vétusté peuvent faire douter du caractère intégral de la répara-
tion (J. Moreau). Parfois celle-ci résulte plus de l’affirmation de
la faute commise par l’administration que du montant de l’in-
demnité allouée, qui est symbolique.
Les éléments contradictoires du système de la responsabilité
administrative tiennent à ce qu’il peut jouer sur plusieurs registres,
utilisés selon les circonstances : c’est là sans doute que réside
essentiellement son originalité. On ne peut plus dire que la res-
ponsabilité des collectivités publiques n’est ni générale ni abso-
lue, ni même que ses fondements et ses conditions sont, sauf
sur certains points, radicalement différents de ceux du droit
civil. Mais on peut continuer à affirmer comme en 1873 qu’elle
varie suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les
droits de l’État avec les droits privés.
Cette variation, c’est essentiellement la juridiction adminis-
trative qui en a la maîtrise.
Droit administratif et administration

78 Lire aussi

- Braconnier S., Droit des services publics, PUF, coll. « Thémis »,


2003
- Guglielmi G. J., Koubi G., Droit du service public, Montchrestien,
2000
- Lachaume J.-F., Boiteau C., Pauliat H., Grands services publics,
Masson, 3e éd., 2004
- Mescheriakoff A.-S., Droit des services publics, PUF, 3e éd., 2000
- AJDA, no spécial juin 1997 sur « le service public »
- Redor M.-J., De l’État légal à l’État de droit, Economica, 1992
- Menna D., « La théorie des principes généraux du droit
à l’épreuve de la jurisprudence constitutionnelle », in Le droit
administratif en mutation, PUF, 1993, p. 201-209
- Jeanneau B., « La théorie des principes généraux du droit
à l’épreuve du temps », EDCE, 1981-1982, no 33, p. 36-47
- Deguergue M., « Le contentieux de la responsabilité :
politique jurisprudentielle et jurisprudence politique »,
AJDA no spécial juin 1995, p. 211
- Lochak D., « Réflexion sur les fonctions sociales
de la responsabilité administrative », in Le droit administratif
en mutation, op. cit., p. 275-316
Seconde partie
Droit administratif et juridiction

Le droit administratif est, avant tout, une création de la juri-


diction administrative. L’application du Code civil à l’adminis-
tration ayant été expressément écartée (CE 6 déc. 1855, Rotschild ;
TC 8 févr. 1873, Blanco*), il a fallu déterminer le droit qui lui
est applicable. C’est la juridiction administrative, et essentielle-
ment le Conseil d’État, qui l’a élaboré.
Corrélativement, lorsqu’un litige relève du droit adminis-
tratif, c’est à la juridiction administrative qu’il revient en prin-
cipe de le trancher. L’affirmation laisse apparaître des excep-
tions : des questions d’ordre administratif peuvent être tranchées
par les juridictions judiciaires, voire par la juridiction constitu-
tionnelle.
Dès lors, s’ouvre une question : celle de la compétence juri-
dictionnelle en matière administrative. Comment est-elle déter-
minée au regard du droit administratif ? C’est le premier pro-
blème à résoudre (chap. I).
La juridiction compétente étant identifiée, il faut examiner
comment elle tranche des litiges qui, comportant un contrôle
sur l’administration, présentent à ce titre des particularités et
des difficultés. Comment le droit administratif permet-il de les
surmonter ? C’est la seconde question à régler (chap. II).
Chapitre I
Droit administratif
et compétence juridictionnelle

Les problèmes de compétence juridictionnelle sont souvent


irritants : on ne comprend pas les difficultés à identifier le juge
habilité à statuer sur une affaire ; le justiciable y perd son temps,
la justice, son crédit.
Mais une juridiction ne peut connaître que les affaires pour
la solution desquelles elle a été instituée. Chargée de dire le
droit, elle doit d’abord avoir le droit de le dire. Le système juri-
dictionnel français comporte non seulement une dualité tradi-
tionnelle, parfois contestée, mais même, depuis 1958, une « tri-
nité » qui peut encore compliquer la situation.
Le droit administratif est au cœur de ces problèmes ; mais
ils ne sont pas toujours posés ni résolus par lui.
S’il contribue à l’établissement de la pluralité d’ordres de
juridiction (section 1) et à l’identification de la compétence de
chaque juridiction (section 2), il ne commande entièrement ni
l’un ni l’autre.

Section 1
Droit administratif et pluralité d’ordres de juridiction
La justice française comporte trois ordres de juridiction :
l’ordre constitutionnel, où l’on trouve exclusivement le Conseil
constitutionnel ; l’ordre administratif, à la tête duquel se trouve
le Conseil d’État ; l’ordre judiciaire, coiffé par la Cour de cas-
sation. Schématiquement, le premier statue sur les litiges d’ordre
Droit administratif et juridiction

82 constitutionnel mettant en cause la loi, le deuxième, sur les litiges


d’ordre administratif, entendus comme concernant l’adminis-
tration et relevant du droit administratif, le troisième sur les
procès privés, opposant des particuliers et résolus par le droit
privé. Cette distinction apparaît à la fois simple et logique. La
simplicité disparaît si l’on constate les difficultés à identifier ce
qui relève exactement de l’un ou de l’autre des ordres juridic-
tionnels, la logique, si l’on observe que, dans d’autres systèmes,
un seul ordre englobe tous les procès.
Il faut donc déterminer ce qui fonde en France la « trinité »
de juridictions : ce n’est pas exactement le droit administratif (I).
Il ne faut pas nier les inconvénients qu’elle présente, y compris
pour le droit administratif (II).

I - Droit administratif et fondements de la pluralité de juridictions


Paradoxalement, alors que les liens entre droit administra-
tif et juridiction administrative doivent être soulignés, ce n’est
pas le droit administratif qui fonde l’existence d’un ordre admi-
nistratif de juridiction distinct de l’ordre judiciaire et de l’ordre
constitutionnel. Le fondement est d’abord historique (A). Pour
être devenu juridique, il dépasse le droit administratif (B).

A - Historiquement, la « trinité » de juridictions est née de l’in-


terdiction faite aux juridictions de s’immiscer dans les fonctions
administratives et dans le contrôle de la loi.

1 - L’interdiction aux juridictions de s’immiscer dans les fonc-


tions administratives, déjà formulée sous l’Ancien Régime, a été
fermement exprimée par la Révolution (16-24 août 1790, 16 fruc-
tidor an III, v. p. 3). Le principe de séparation des autorités
administratives et judiciaires n’avait sans doute pas à l’origine
le sens qu’on lui a donné ultérieurement (J. Chevallier) : il inter-
disait seulement aux tribunaux de faire œuvre d’administration,
de se substituer à elle, non de la juger ; il les cantonnait dans la
Droit administratif et compétence juridictionnelle

solution des procès, il ne les empêchait pas de régler les procès 83


intéressant l’administration.
Le texte de 1790 a été pourtant plus qu’un prétexte ; sa por-
tée s’explique par un contexte (G. Vedel) dans lequel le prin-
cipe de séparation des pouvoirs lui-même a joué un rôle. Certes
celui-ci non plus ne commandait l’interdiction aux tribunaux
de connaître du contentieux de l’administration, mais seulement
la distinction de la fonction de juger et de celle d’administrer
(M. Troper), ni l’existence d’une juridiction administrative,
comme le prouvent d’expérience les systèmes les plus rigides de
séparation (tel celui des États-Unis). Mais la conception française
(CC 86-224, 23 janv. 1987*) l’a interprété en ce sens. Elle a
conduit à considérer que juger l’administration, c’est encore admi-
nistrer, donc à refuser aux tribunaux le pouvoir de juger l’ad-
ministration.
Il est pourtant apparu très vite qu’il fallait aménager un sys-
tème pour trancher les litiges opposant l’administration aux
administrés. Leur solution a d’abord (1790) été confiée au roi,
chef de l’administration générale.
L’avènement du Consulat (an VIII-1799) a permis la créa-
tion d’un organe spécialisé auprès du chef de l’État, le Conseil
d’État, chargé de préparer à la fois les textes de lois et de règle-
ments et les décisions à rendre sur les recours des administrés.
Progressivement la fonction juridictionnelle du Conseil d’État
s’est précisée. C’est une véritable juridiction administrative qui
s’est constituée et s’est maintenue parallèlement à la juridiction
judiciaire.
Elle s’en différenciait pourtant encore lorsqu’elle n’exerçait
qu’une justice retenue, c’est-à-dire de préparation d’une décision
qui théoriquement était rendue par le chef de l’État.
Avec le passage à la justice déléguée, rendue en propre par
le Conseil d’État, brièvement d’abord (1849-1851), définitive-
ment avec la loi du 24 mai 1872, et l’abandon de la théorie du
ministre-juge (CE 13 déc. 1889, Cadot*), la juridiction admi-
nistrative est devenue autant une juridiction que la judiciaire.
Droit administratif et juridiction

84 Ainsi la fonction a créé l’organe, les circonstances ont pro-


duit la juridiction administrative.
Ce n’est pas l’idée préconçue de la spécificité du droit admi-
nistratif et des litiges administratifs qui a conduit à instituer un
juge administratif à côté du juge judiciaire.
C’est beaucoup plus prosaïquement la méfiance à l’égard des
tribunaux qui leur a soustrait le contentieux administratif, et la
nécessité de le faire trancher par un juge qui a amené à en
constituer un qui soit administratif.
Et l’organe a exercé sa fonction en déterminant lui-même
les règles à appliquer.
Le droit administratif s’est développé par l’exercice de la jus-
tice administrative. Pour la rendre, le juge administratif a sécrété
le droit spécifiquement applicable à sa matière.
Ainsi, s’il y a bien un fondement historique de la dualité des
juridictions, administrative et judiciaire, le droit administratif
paraît plus la conséquence de cette dualité que son fondement.
2 - L’interdiction aux juridictions de contrôler la loi est liée à
son caractère souverain et incontestable.
La conception française de la séparation des pouvoirs s’est
manifestée dans la soustraction au juge autant de la loi que de
l’administration.
Elle se traduit expressément dans la loi des 16-24 août 1790,
interdisant aux tribunaux d’empêcher ou suspendre l’exécution
des lois et les obligeant à les transcrire (art. 10 et 11 du titre II).
Ici encore elle manifeste son originalité car, dans d’autres pays,
comme les États-Unis, la séparation des pouvoirs, pourtant stric-
tement entendue, n’a pas empêché les tribunaux de se reconnaître
le pouvoir de contrôler la loi par rapport à la Constitution.
Les juridictions françaises, tant administratives (CE 6 nov.
1936, Arrighi) que judiciaires, ont toujours refusé de le faire.
Comme l’interdiction aux juridictions judiciaires de tran-
cher les litiges administratifs a entraîné la création de juridic-
tions administratives, l’interdiction à toutes les juridictions de
trancher les litiges législatifs a fini par conduire à une juridic-
Droit administratif et compétence juridictionnelle

tion constitutionnelle. L’incompétence des juges ordinaires par 85


rapport au législateur a, en quelque sorte négativement, contri-
bué à la naissance du juge constitutionnel.
La défiance à l’égard du législateur qui a animé les consti-
tuants de 1958 les ont amenés à instituer un Conseil constitu-
tionnel spécialement chargé de le contrôler. Ils ont surtout pensé
à lui faire respecter ses compétences et ses procédures. Ils n’ont
sans doute pas prévu que le contrôle porterait aussi sur le fond
(CC 71-44, 16 juill. 1971*).
Le Conseil constitutionnel a construit toute une jurispru-
dence qui, pour assurer le respect de la Constitution, traite aussi
de questions d’ordre administratif.
Le droit administratif en a reçu certaines impulsions.

B - D’un strict point de vue juridique, il ne joue un rôle ni déci-


sif ni exclusif dans la détermination de la pluralité de juridictions.
1 - Il peut contribuer à expliquer la création d’une juridiction
administrative.
Il existe antérieurement et extérieurement à elle. Tout le
droit de l’organisation administrative, par sa source comme par
son objet, a une particularité. Le droit de l’action administra-
tive aussi a sa spécificité dans ses objets, ses limites, ses moyens.
Il n’avait certes pas tout le développement qu’on lui connaît
aujourd’hui lorsque a été établi le principe de séparation puis,
consécutivement, aménagée la dualité de juridictions. Mais le
droit administratif n’est pas le pur produit de la juridiction
administrative.
Il peut en justifier l’existence. Pour trancher des litiges rele-
vant d’un droit présentant une certaine spécificité, des juridic-
tions spéciales ont été créées : pour le droit commercial, les tri-
bunaux de commerce, pour le droit du travail, les conseils de
prud’hommes. Il doit en aller de même pour le droit adminis-
tratif: à ses particularités correspond la juridiction administrative.
L’analogie a ses limites : car les juridictions commerciales et
prud’homales ont été créées non pas à l’extérieur mais au sein
Droit administratif et juridiction

86 de l’ordre judiciaire. Elles ne remettent pas en cause l’unité juri-


dictionnelle.
Pour le droit administratif, la juridiction administrative
constitue un autre ordre de juridiction : est-il d’une autonomie
telle qu’il nécessite un juge entièrement distinct des tribunaux
judiciaires ?

2 - La réponse se trouve aujourd’hui dans le droit constitu-


tionnel. C’est lui qui fonde désormais l’existence d’une juridic-
tion administrative distincte de la juridiction judiciaire.
Certes les dispositions des articles 10 et 13 de la loi des 16 et
24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III qui ont posé dans
sa généralité le principe de séparation des autorités administratives
et judiciaires n’ont pas en elles-mêmes valeur constitutionnelle
(CC 86-224, 23 janv. 1987*).
Mais le fondement constitutionnel de la juridiction admi-
nistrative se trouve dans deux autres principes.
Le premier est celui de l’indépendance de la juridiction admi-
nistrative, qui, faisant partie des principes fondamentaux recon-
nus par les lois de la République, a valeur constitutionnelle et
s’impose au législateur (CC 80-119, 22 juill. 1980*).
Conformément à la conception française de la séparation des
pouvoirs, un second principe fondamental reconnu par les lois
de la République réserve à la juridiction administrative un mini-
mum de compétences (v. p. 94) (CC 86-224 23 janv. 1987*).
Pour les exercer, il faut évidemment qu’elle existe. Cette exis-
tence est constitutionnellement nécessaire.
Ainsi désormais la pluralité de juridictions a clairement un
fondement juridique : ce fondement se trouve non dans le droit
administratif mais dans le droit constitutionnel. C’est lui qui
fonde autant la juridiction administrative que la juridiction
constitutionnelle.
Il empêche de les remettre en cause sans une réforme consti-
tutionnelle, qui serait en même temps une révolution historique.
Il n’empêche pas d’en atténuer les inconvénients.
Droit administratif et compétence juridictionnelle

II - Droit administratif et inconvénients de la pluralité de juridictions 87

Les adversaires de la juridiction administrative invoquent


souvent les inconvénients de la pluralité de juridictions pour
réclamer sa disparition.
On ne peut les nier. Ils concernent l’aménagement des com-
pétences (A) et atteignent le fond même du droit (B).

A - S’agissant de l’aménagement des compétences, deux sortes d’in-


convénients se révèlent. Les premiers tiennent à la division des
compétences (1), les seconds, à l’identification des compétences (2).
1 - La division des compétences est logique lorsque des litiges
différents sont attribués à des juridictions différentes. A priori
la distinction d’une juridiction constitutionnelle, d’une juridic-
tion administrative et d’une juridiction judiciaire conduit à attri-
buer à chacune ce qui lui revient en propre. Cette cohérence
disparaît lorsque des litiges d’un même type se trouvent répar-
tis entre des juridictions différentes.
La mise en œuvre du droit communautaire des marchés
publics en donne une illustration. Ayant établi les procédures à
observer pour leur passation (directive sur les marchés de four-
nitures, de travaux, de services, directive sur les marchés de cer-
tains secteurs spéciaux), le législateur communautaire a voulu
en garantir le respect par l’aménagement de procédures parti-
culières (directives recours). Les marchés en cause étant, selon
les critères du droit français, tantôt des contrats administratifs
(à contentieux administratif), tantôt des contrats de droit privé
(à contentieux judiciaire), le législateur français a transposé ces
procédures en les répartissant selon les cas entre juridictions
administratives et juridictions judiciaires (lois du 4 janv. 1992
et du 29 déc. 1993).
Cette répartition d’un même type de contentieux, portant
sur les mêmes questions, comportant les mêmes contrôles et les
mêmes solutions, entre les deux types de juridiction révèle l’ar-
bitraire sinon de la dualité de ces juridictions, du moins de la
répartition de leurs compétences.
Droit administratif et juridiction

88 2 - Les difficultés de l’identification des compétences, en l’absence


d’un critère précis, cohérent et rigoureux (v. p. 93) conduisent
dans certains cas à une incertitude nuisible autant à la justice
qu’aux justiciables. Quand on ne sait pas qui doit rendre la jus-
tice, c’est la justice elle-même qui est compromise.
La difficulté de trouver le juge compétent n’est pas propre
à la pluralité des ordres juridictionnels. Elle naît de la pluralité
même des juridictions, nécessaire pour l’accès des justiciables à
la justice. Au sein du seul ordre judiciaire, il existe déjà des pro-
blèmes de compétence.
Ils s’accentuent avec l’existence de plusieurs ordres de juri-
diction. Car chacun constitue un bloc homogène, qui peut s’op-
poser à l’autre soit pour exercer soit pour refuser d’exercer une
compétence.
La solution des difficultés concernant l’ordre administratif
et l’ordre judiciaire a été trouvée dans la création, d’abord pro-
visoire (1849-1851) puis définitive (1872), d’un Tribunal des
conflits composé à parts égales de conseillers d’État et de conseillers
à la Cour de cassation, sous la présidence du garde des Sceaux
(qui n’intervient qu’en cas, rare, de partage des voix : 8 févr.
1873, Blanco* ; 12 mai 1997, Préfet de police).
Il est saisi dans des conditions qui ne sont pas toujours symé-
triques pour les deux ordres de juridiction.
La procédure de conflit positif en effet constitue exclusive-
ment un mécanisme de protection contre les empiétements des
tribunaux judiciaires. L’ordonnance de 1828 qui l’organise est
révélatrice, par sa date et son dispositif, de la volonté de sau-
vegarder contre eux l’autorité administrative. Le préfet, après
avoir décliné sans succès leur compétence, élève le conflit : le
Tribunal des conflits tranche la question et, le cas échéant,
confirme l’incompétence judiciaire. Au justiciable de s’adresser
alors aux juridictions administratives (à moins que, comme pour
les actes de gouvernement, aucun ordre de juridiction ne soit
compétent : TC 2 févr. 1950, Radiodiffusion française). Il n’existe
pas de procédure semblable permettant de porter au Tribunal
Droit administratif et compétence juridictionnelle

des conflits l’hypothèse de l’intervention du juge administratif 89


dans des affaires que revendiquerait l’autorité judiciaire.
La procédure de conflit négatif n’est donc pas l’inverse de la
précédente. Elle correspond au cas où, dans une même affaire,
les deux ordres de juridiction s’estiment également incompé-
tents au motif que c’est l’autre ordre qui doit statuer. Pendant
longtemps, il a fallu attendre que chacun ait rendu définitive-
ment sa décision d’incompétence pour que le justiciable s’adresse
au Tribunal des conflits. Désormais (décret du 25 juill. 1960),
lorsqu’une juridiction d’un ordre s’est déclarée incompétente,
celle de l’autre ordre qui s’estime également incompétente doit
renvoyer la solution de la question au Tribunal des conflits.
Bien plus, sans y être obligés, le Conseil d’État ou la Cour
de cassation peuvent lui soumettre la solution d’une question
de répartition des compétences entre juridictions administrative
et judiciaire présentant une difficulté sérieuse.
Ces procédures réduisent sensiblement les inconvénients de
la dualité des juridictions pour les problèmes de compétence.
Elles n’ont pas d’équivalent pour la solution de ceux qui
peuvent naître de la dualité des juridictions administrative et
constitutionnelle. Les difficultés sont certes moins grandes que
dans les cas précédents, la compétence du Conseil constitution-
nel étant définie avec précision. Elles ne sont pas totalement
exclues pourtant, par exemple à propos des actes liés au conten-
tieux électoral confié au Conseil constitutionnel. La jurispru-
dence des deux juridictions a réussi à les surmonter (v. p. 93).

B - Elle laisse subsister les questions de fond sur lesquelles peut


s’opposer chaque ordre de juridiction aux autres.
L’opposition des décisions est particulièrement scandaleuse
lorsque, dans une même affaire, chaque ordre, parfaitement
compétent pour connaître de l’aspect dont il est saisi, rend une
décision inconciliable avec celle qui est rendue par l’autre ordre
sur un autre aspect, comme l’affaire Rosay l’a montré. La loi du
20 avril 1932 a dû permettre au justiciable subissant ainsi un
véritable déni de justice par suite d’une contrariété de jugements
Droit administratif et juridiction

90 au fond de saisir le Tribunal des conflits pour la résoudre en


tranchant lui-même l’affaire.
Restent des oppositions de décisions qui ne prêtent pas à son
intervention et qui, sans aller jusqu’au déni de justice, consti-
tuent un dysfonctionnement imputable au pluralisme juridic-
tionnel.
Certes l’autorité absolue de la chose jugée au pénal en ce
qui concerne les faits s’impose au juge administratif ; l’autorité
absolue d’une annulation prononcée par le juge administratif
s’impose au juge judiciaire comme à l’administration et aux
administrés.
De même l’autorité absolue de la chose jugée s’attache aux
décisions du Conseil constitutionnel (article 62 de la Constitu-
tion) non seulement (quant) à leur dispositif mais aussi aux motifs
qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même
(CC 62-18, 16 janv. 1962*) : la solution rendue par le Conseil
constitutionnel sur une question est donc exactement appliquée
tant par le Conseil d’État (20 déc. 1985, Établissements Outters)
que par le Tribunal des conflits (12 janv. 1987, Cie des eaux et
de l’ozone).
Mais les cas d’autorité absolue s’arrêtent là.
Ainsi, pour une même affaire, la détermination de la res-
ponsabilité par le juge administratif ne dépend pas de l’appré-
ciation que le juge judiciaire a lui-même faite des responsabili-
tés encourues par des particuliers et des dommages subis. En
sens inverse, ce n’est pas parce que le juge administratif a admis
la faute de la victime ou d’un tiers qu’elle doit être retenue par
le juge judiciaire.
Bien plus, alors que la Cour de cassation a reconnu légal un
acte administratif, le Conseil d’État l’a jugé illégal (14 nov. et
22 nov. 1963, Pommery et Dalmas de Polignac) ; à l’inverse, la
première a tenu pour illégal ce que le second a estimé légal
(8 févr. et 21 mars 1985, Centres distributeurs Leclerc). La contra-
diction est autant inadmissible en théorie qu’incohérente en pra-
tique. Elle paralyse l’application d’un texte qui ne peut ni être
sanctionné pénalement puisque le juge judiciaire l’estime illé-
Droit administratif et compétence juridictionnelle

gal ni donner lieu à exécution forcée puisque le juge adminis- 91


tratif reconnaît l’existence d’une sanction pénale. L’indemnité
due en ce cas aux victimes est autant le prix de la confusion
juridictionnelle que la compensation du préjudice subi (CE 7 mai
1971, Sastre).
De telles contradictions résultent, au-delà de la dualité de
juridictions, de l’attribution au juge judiciaire d’une compétence
en matière administrative (v. p. 107). Elle entraîne elle-même
deux inconvénients.
Le premier concerne les fondements du dualisme juridic-
tionnel. L’existence d’une juridiction administrative se justifie
par le droit administratif. Si un litige de droit administratif peut
donner lieu à intervention du juge judiciaire, on ne peut plus
fonder l’existence d’une juridiction administrative sur la parti-
cularité du droit administratif : l’expérience elle-même démontre
que ce droit peut être mis en œuvre par les juridictions judi-
ciaires.
Elle fait apparaître un second inconvénient : au dualisme
juridictionnel peut s’ajouter un dualisme juridique (J.-M. Auby).
Dès lors que la juridiction judiciaire peut, comme la juridiction
administrative, statuer en droit administratif, deux droits admi-
nistratifs risquent de se développer : un droit administratif…
administratif (celui de la juridiction administrative), un droit
administratif judiciaire (celui de la juridiction judiciaire). On
vient d’en avoir une illustration sur le terrain de la légalité, un
même acte étant apprécié différemment par l’un ou par l’autre
ordre de juridiction. On peut en avoir d’autres sur celui de la
responsabilité depuis qu’avec l’arrêt Dr Giry* (23 nov. 1956), la
Cour de cassation a considéré que, pour un litige relatif à la
police judiciaire, la juridiction judiciaire, régulièrement saisie…
avait… le pouvoir et le devoir de se référer, en l’espèce, aux règles
du droit public. L’application de ces règles a causé quelques sur-
prises (P. Weil).
Une autre surprise peut résulter des divergences de juris-
prudence entre le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État.
Droit administratif et juridiction

92 Certes le Conseil constitutionnel a procédé pour l’essentiel


à une réception du droit administratif tantôt par confirmation,
tantôt par transposition, tantôt par partition : il a aussi procédé
à une reconnaissance sans réception (G. Vedel). On peut parler
à cet égard d’une réunification du droit public français (idem).
Mais on observe des contradictions. Certaines ont fini par
être levées soit par la jurisprudence elle-même, le Conseil consti-
tutionnel se ralliant à la solution du Conseil d’État (par exemple
à propos de l’incompétence du pouvoir réglementaire pour modi-
fier les dispositions assorties de peines correctionnelles: CE 3 févr.
1967, Vignerons du Midi ; CC 69-55, 26 juin 1969*), ou le Conseil
d’État adoptant la position du Conseil constitutionnel (par exemple
à propos de la supériorité du traité sur la loi : CC 15 janv. 1975*,
CE 20 oct. 1989, Nicolo*), soit par le législateur : en supprimant
les peines contraventionnelles privatives de liberté (nouveau Code
pénal), il a vidé l’opposition entre le Conseil constitutionnel,
n’admettant pas leur établissement par voie réglementaire (73-80,
28 nov. 1973) et le Conseil d’État, qui l’admettait (3 févr. 1978,
CFDT et CGT). Il n’en subsiste pas moins des oppositions (ainsi
pour la nature de la portée du silence de l’administration, jugée
législative par le Conseil constitutionnel, 26 juin 1969*, 18 janv.
1995, et réglementaire par le Conseil d’État, 27 févr. 1970, Com-
mune de Bozas), et potentiellement des risques d’opposition.
Ce n’est plus seulement l’unité de l’ordre juridique que
menace le pluralisme juridictionnel, c’est l’unité du droit admi-
nistratif que menacent les compétences judiciaire et constitu-
tionnelle en matière administrative.
Ce danger pourrait être pallié par une meilleure détermi-
nation de la compétence de chaque ordre de juridiction.

Section 2
Droit administratif et compétence de chaque ordre de juridiction
Le seul ordre de juridiction dont la compétence soit claire-
ment déterminée est le Conseil constitutionnel, grâce aux dis-
positions de la Constitution. Sa compétence n’interfère norma-
Droit administratif et compétence juridictionnelle

lement pas avec le contentieux administratif puisqu’elle porte 93


essentiellement sur le contrôle de la constitutionnalité des lois
(art. 61) et des traités (art. 54), des résultats des élections prési-
dentielle (art. 58), parlementaires (art. 59) et des référendums
(art. 60).
L’interférence peut cependant résulter de sa compétence pour
statuer sur le domaine de la loi (art. 37, al. 2) par rapport à celui
du règlement alors que la juridiction administrative, voire la
juridiction judiciaire (v. p. 107) statue sur le domaine du règle-
ment par rapport à celui de la loi.
En matière d’élections ou de référendum, le télescopage aurait
pu se produire au sujet des actes que le gouvernement adopte
pour les organiser. Il a été évité d’abord lorsque le Conseil d’État,
s’estimant incompétent pour en connaître, a conduit le Conseil
constitutionnel à les examiner non seulement en contrôlant les
résultats mais avant même que le vote ait lieu (CE 3 juin 1981,
Delmas ; CC 11 juin 1981) puis, après que le Conseil d’État eut
admis sa propre compétence (CE 12 mars 1993, Union nationale
écologiste), il a renoncé à l’exercer au motif du recours parallèle
existant devant le Conseil constitutionnel (CC 25 juill. 2000,
Hauchemaille ; CE 1er sept. 2000, Larrouturou).
Dans ce cas, le contrôle du Conseil constitutionnel relève
plus du droit administratif que du droit constitutionnel.
Or normalement la compétence du juge administratif est
liée au droit administratif (I).
Ce lien n’est pas exclusif puisque, à l’exception que vient de
faire apparaître le Conseil constitutionnel, s’en ajoutent d’autres
au profit du juge judiciaire (II).

I - Droit administratif et compétence de la juridiction administrative


La liaison du droit administratif et de la compétence de la
juridiction administrative, soulignée par l’arrêt Blanco*, devrait
suffire à reconnaître la compétence administrative chaque fois
qu’un litige relève du droit administratif.
Droit administratif et juridiction

94 Or le législateur veut transférer parfois aux juridictions judi-


ciaires des litiges d’ordre administratif, et l’on ne sait pas tou-
jours exactement si un litige est d’ordre administratif.
Dans le premier cas, le droit constitutionnel a déterminé le
minimum de compétence appartenant à la juridiction adminis-
trative (A). Dans le second cas, il a fallu préciser les critères per-
mettant de délimiter en même temps le champ d’application du
droit administratif et la compétence de la juridiction adminis-
trative (B).

A - Le minimum de compétence de la juridiction administrative


n’est pas déterminé par la Constitution expressément, mais les
dispositions qu’elle contient déterminent les solutions qu’il appar-
tient au législateur de prendre (1) ; elles lui laissent une large
marge de manœuvre (2).
1 - L’intervention du législateur dans la détermination de la
compétence administrative obéit à des règles établissant sa propre
compétence et à des principes de fond.
D’une part, par application des dispositions de l’article 34 de la
Constitution…, en vertu desquelles la loi fixe les règles concernant
les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice
des libertés publiques, c’est au législateur seul qu’il appartient de
fixer les limites de la compétence des juridictions de l’ordre admi-
nistratif et de l’ordre judiciaire (TC 2 mars 1970, Société Duvoir).
Comme on le verra (p. 108), les dispositions législatives sont en
réalité plutôt rares : elles laissent à la jurisprudence une marge
d’appréciation et d’interprétation qui en a fait la véritable source
des critères de la compétence administrative par rapport à la
compétence judiciaire. Pour revenir sur la répartition qu’elle a
ainsi déterminée, un règlement est insuffisant, une loi est néces-
saire. Ici ce n’est pas la jurisprudence qui prolonge la loi, c’est
la loi qui doit revenir sur la jurisprudence.
D’autre part, elle doit elle-même respecter les principes consti-
tutionnels. Parmi eux, conformément à la conception française de
la séparation des pouvoirs, figure au nombre des principes fonda-
Droit administratif et compétence juridictionnelle

mentaux reconnus par les lois de la République celui selon lequel, 95


à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire,
relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction admi-
nistrative l’annulation ou la réformation des décisions prises dans
l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités
exerçant le pouvoir exécutif, les collectivités territoriales de la Répu-
blique ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur
contrôle (CC 86-224, 23 janv. 1987*).
Ainsi, si les textes de 1790 et de l’an III qui sont à l’origine
de la séparation des autorités administratives et judiciaires n’ont
pas eux-mêmes valeur constitutionnelle (v. p. 86), c’est la sépa-
ration des pouvoirs, telle qu’elle est interprétée dans la tradi-
tion française, qui établit un minimum constitutionnel de com-
pétence au profit de la juridiction administrative et par là même
fonde son existence (v. p. 86).
Ce minimum ne couvre pas tout le contentieux administra-
tif tel qu’il a été aménagé par la jurisprudence. Il correspond à
trois limites.
Tout d’abord, il concerne le contentieux de l’annulation et
de la réformation (v. p. 114 et 121), non les autres (v. p. 127).
En deuxième lieu, organiquement, il couvre les autorités
exerçant le pouvoir exécutif, les collectivités territoriales, et les
organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle : la
formule englobe certainement les établissements publics ; elle
pourrait exclure les autorités administratives indépendantes (v. p. 17),
si celles-ci ne faisaient partie, au sein de l’État, des autorités
exerçant le pouvoir exécutif ; elle exclut les organismes privés,
alors même qu’ils exercent des prérogatives de puissance publique
(v. p. 33).
Or, en troisième lieu, ce sont les décisions prises dans l’exer-
cice des prérogatives de puissance publique qui constituent le
minimum matériel de la compétence administrative. Les contrats
administratifs n’en font pas nécessairement partie. Ce sont les
actes administratifs unilatéraux, définis par rapport non à la
notion de service public mais à celle de puissance publique, qui
constituent le cœur de la compétence des juridictions adminis-
Droit administratif et juridiction

96 tratives. Cela ne signifie pas que le service public ne soit pas


pris en compte par le droit constitutionnel, puisqu’il existe des
services publics correspondant à des exigences constitutionnelles
(v. p. 46) et que le principe de continuité du service public a
valeur constitutionnelle (v. p. 51). Mais, s’agissant de définir
constitutionnellement la compétence du juge administratif, c’est
la puissance publique qui compte, non le service public. Ainsi
se confirme non seulement le maintien de l’une dans le droit
administratif mais sa prédominance sur l’autre, alors qu’on a
voulu substituer le second à la première. Selon le juge consti-
tutionnel, c’est la puissance publique qui est l’essence de la com-
pétence administrative, donc du droit administratif.
Le législateur ne peut pas transférer le noyau dur de la com-
pétence administrative au juge judiciaire : il violerait la Consti-
tution, comme l’a confirmé la censure d’une disposition confiant
aux tribunaux judiciaires l’examen des recours contre les arrê-
tés préfectoraux ordonnant la reconduite à la frontière d’étran-
gers en situation irrégulière (CC 89-261, 22 juill. 1989).
2 - La rigueur constitutionnelle n’exclut pourtant pas les accom-
modements.
Les matières réservées par nature à l’autorité judiciaire relèvent
moins d’une exception à la compétence administrative que de
l’application de principes propres à la compétence judiciaire.
Plus prosaïquement, lorsque l’application d’une législation ou
d’une réglementation spécifique pourrait engendrer des contestations
contentieuses diverses qui se répartiraient, selon les règles habituelles
de compétence, entre la juridiction administrative et la juridiction
judiciaire, il est loisible au législateur, dans l’intérêt d’une bonne
administration de la justice, d’unifier les règles de compétence juri-
dictionnelle au sein de l’ordre juridictionnel principalement intéressé
(CC 23 janv. 1987*) et ainsi de faire passer dans la compétence
judiciaire ce qui relève en principe de la compétence adminis-
trative. C’est ce qui a été fait pour le contentieux des décisions
du Conseil de la concurrence (loi du 6 juill. 1987) et pour celui
d’institutions semblables (v. p. 18).
Droit administratif et compétence juridictionnelle

La possibilité de ces aménagements introduit certes une sou- 97


plesse qu’on peut souhaiter dans la répartition des compétences.
Mais elle fait perdre au principe initialement posé la fermeté
que devrait comporter sa valeur constitutionnelle, et céder la
constitutionnalité à des considérations dominées par l’opportu-
nité.

B - En dehors des cas délimités par le droit constitutionnel, la


compétence de la juridiction administrative est réglée sur le
champ d’application du droit administratif. En dépit des cri-
tiques dont il a fait l’objet (C. Eisenmann), le principe de la
liaison de la compétence et du fond demeure : dès lors qu’un
litige relève du droit administratif, il revient à la juridiction
administrative ; inversement lorsqu’un litige doit être tranché
par la juridiction administrative, c’est pour qu’elle lui applique
le droit administratif. La jurisprudence et le législateur le confir-
ment.
La première considère expressément que lorsqu’une action
contentieuse ne peut trouver sa solution que dans les principes du
droit public, la juridiction administrative a seule qualité pour en
connaître (TC 26 mai 1954, Moritz ; CE 15 juill. 1964, Hôpital-
hospice d’Aunay-sur-Odon).
Le second, quand il a attribué aux juridictions administra-
tives par exemple le contentieux des travaux publics (loi du 28
pluviôse an VIII) ou des contrats comportant occupation du
domaine public (décret-loi du 17 juin 1938), a voulu qu’il soit
tranché selon le droit administratif.
En reconnaissant le lien entre le fond et la compétence, on
ne règle pas pour autant toutes les difficultés. Outre les excep-
tions qui peuvent résulter d’autres principes ou d’autres textes
(v. p. 102), il reste à déterminer en quoi consiste le droit admi-
nistratif : si le critère de la compétence administrative est le droit
administratif, quel est le critère du droit administratif ? Le pro-
blème se déplace.
Sa solution a été longtemps mal assurée. On a utilisé des
arguments divers, parfois tirés de textes peu adéquats comme
Droit administratif et juridiction

98 ceux de 1790 sur l’État débiteur, s’affinant avec la distinction


des actes d’autorité et des actes de gestion, de la gestion publique
et de la gestion privée. Enfin le service public vint (TC 8 févr.
1873, Blanco* ; CE 6 févr. 1903, Terrier*), qui parut se substi-
tuer à tout autre critère pour asseoir exclusivement, totalement
et définitivement le droit administratif et donc la compétence
administrative. Il fallut déchanter rapidement, quand il appa-
rut que la puissance publique devait jouer encore (CE 31 juill.
1912, Granits porphyroïdes des Vosges*) et que des services publics,
parce que industriels et commerciaux (v. p. 46), devaient être
soustraits au droit administratif et à la compétence adminis-
trative (TC 22 janv. 1921, Société commerciale de l’Ouest afri-
cain*). Des solutions furent trouvées grâce à un empirisme qui
n’était guère organisateur. La résurrection (R. Latournerie) de
la notion de service public dans les années 50 (TC 28 mars
1955, Effimieff* ; CE 20 avr. 1956, Bertin*, Grimouard*) lui ren-
dit une place qui n’est jamais exclusive et pas toujours déter-
minante : la puissance publique aussi garde sa pérennité
(C. Lavialle).
1 - Aujourd’hui les deux notions contribuent à l’identification
de la compétence administrative.
Il n’y a à revenir ici ni sur leur contenu ni sur leur approxi-
mation (v. p. 6). Il suffit de rappeler les incertitudes qui les
entourent pour voir celles qu’elles peuvent entraîner sur la déter-
mination de la compétence administrative. Du moins, dès lors
qu’apparaît soit le service public soit la puissance publique, cette
compétence doit normalement s’exercer.
La thèse selon laquelle le droit administratif est le droit du
service public, et le contentieux administratif (donc la compé-
tence administrative), le contentieux de la puissance publique
(R. Chapus) a été contestée (P. Amselek), car le service public
peut suffire à déterminer la compétence administrative autant
que la puissance publique. Mais, même lorsqu’il est invoqué
seul, il reste teinté de puissance publique. Dans l’affaire Blanco*,
si l’arrêt ne considère que le service public, le commissaire du
Droit administratif et compétence juridictionnelle

gouvernement David a évoqué l’État puissance publique pour 99


identifier le service public. Laferrière écrivait peu après (1877)
que les actes prévus par les lois de 1790 et de l’an III sont seule-
ment les actes et les opérations qui se rattachent à l’exercice de la
puissance publique. Certes, dans l’affaire Terrier*, Romieu a sou-
ligné que le Conseil d’État avait l’habitude, depuis un certain
temps déjà, de réserver les mots de « puissance publique » pour les
actes d’autorité et de commandement : il nous paraît, avec cette
acception, bien difficile de faire intervenir l’idée de puissance publique
dans les rapports contractuels qui peuvent exister entre une com-
mune et un employé de bureau de la mairie. En effet !
Mais en affirmant que tout ce qui concerne l’organisation et
le fonctionnement des services publics proprement dits, généraux
ou locaux… constitue une opération administrative, qui est, par
sa nature, du domaine de la juridiction administrative, que toutes
les actions entre les personnes publiques et les tiers ou entre ces
personnes publiques elles-mêmes, et fondées sur l’exécution, l’in-
exécution ou la mauvaise exécution d’un service public, sont de la
compétence administrative, on risque un débordement que Romieu
lui-même entendait éviter en réservant les cas où les personnes
publiques agissent comme des personnes privées non seule-
ment pour leur domaine privé, mais dans l’intérêt d’un service
public proprement dit, sans invoquer leur situation de personne
publique. Quelle est cette situation sinon celle de la puissance
publique ?
L’idée reste sous-jacente même lorsque le critère du service
public est à lui seul retenu pour identifier la compétence de la
juridiction administrative.
Il peut être renforcé par des précisions supplémentaires.
Tantôt elles portent sur le caractère administratif du service
en cause : c’est lui qui détermine la compétence de la juridic-
tion administrative (par ex. CE 3 mars 1975, Courrière : carac-
tère administratif du service public de protection de la forêt).
Tantôt elles soulignent l’aspect qui est en cause dans le ser-
vice. Il peut s’agir soit de l’organisation du service public
(TC 15 janv. 1968, Époux Barbier*), à laquelle se rattache sa
Droit administratif et juridiction

100 dévolution (TC 6 juin 1989, Ville de Pamiers), soit de l’exécu-


tion du service public (CE 31 juill. 1942, Monpeurt*) ou de son
fonctionnement (CE 2 avr. 1943, Bouguen*) : dans tous les cas,
c’est l’étroite relation entre le litige et le service public qui déter-
mine la compétence de la juridiction administrative.
Elle s’accompagne dans certains cas d’une référence expli-
cite à la puissance publique, dans les conclusions (A. Ségalat
pour l’arrêt Monpeurt ; B. Stirn pour l’arrêt Ville de Pamiers) ou
mieux encore, dans les arrêts eux-mêmes (CE 23 mars 1983,
Bureau Veritas ; TC 13 janv. 1992, Girondins de Bordeaux).
La puissance publique enfin, à elle seule, détermine la com-
pétence administrative, indépendamment de la considération du
service public, comme le soulignent expressément des arrêts : le
contentieux général des actes et des opérations de puissance publique…
relève… de la juridiction administrative (TC 10 juill. 1956, Bour-
gogne-Bois ; CE 15 févr. 1961, Werquin).

2 - Est-ce à une trop large conception des critères du droit


administratif et corrélativement de la compétence administra-
tive qu’il faut imputer le développement du contentieux admi-
nistratif ?
L’inflation contentieuse n’est pas propre aux juridictions
administratives, elle atteint pareillement les juridictions judi-
ciaires. Elle résulte peut-être plus du mouvement du corps social,
de la conscience qu’ont prise les justiciables de leurs droits, de
l’ouverture de l’accès à la justice, que des critères du droit admi-
nistratif et de la compétence administrative.
Leur extension n’en a pas moins contribué à l’engorgement
des juridictions administratives. Celles-ci ont dû être réorgani-
sées pour faire face à l’afflux des requêtes.
Pendant plus d’un siècle et demi, le Conseil d’État a consti-
tué la juridiction administrative de droit commun, statuant en
premier et dernier ressort, et les conseils de préfecture, des juri-
dictions spécialisées notamment dans le contentieux des travaux
publics, avec appel au Conseil d’État.
Droit administratif et compétence juridictionnelle

La réforme des 30 sept.-28 nov. 1953 les a remplacés par 101


des tribunaux administratifs, désormais juges de droit commun
du contentieux administratif : le Conseil d’État devint norma-
lement juge d’appel de leurs décisions, sa compétence en pre-
mier et dernier ressort étant maintenue pour les affaires les plus
importantes.
Ce ne fut pas suffisant. La loi du 31 décembre 1987 a dû
instituer entre les tribunaux administratifs et le Conseil d’État
les cours administratives d’appel : celles-ci ne connaissent pour-
tant pas de tous les appels contre les jugements des tribunaux
administratifs ; certains d’entre eux doivent être portés au Conseil
d’État (jugements rendus dans le contentieux des élections muni-
cipales et cantonales et dans celui des questions préjudicielles
d’appréciation de la légalité ou d’interprétation d’actes admi-
nistratifs – mais, depuis 1995, les CAA ont reçu pleine compé-
tence en matière d’excès de pouvoir). Ainsi le Conseil d’État a
trois titres de compétence contentieuse : il est tantôt juge de pre-
mier et dernier ressort (pour certaines affaires), tantôt juge d’ap-
pel (de certains jugements des tribunaux administratifs), tantôt
juge de cassation (des arrêts des cours administratives d’appel
et de certaines juridictions spéciales, comme la commission de
recours des réfugiés) ; il peut même, par une procédure d’avis
engagée par un tribunal administratif ou une cour administra-
tive d’appel, trancher une question de droit nouvelle présentant
une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges
(6 avr. 1990, Cofiroute*).
Les textes épars qui déterminaient l’organisation et le fonc-
tionnement des juridictions administratives sont aujourd’hui ras-
semblés dans le Code de justice administrative (ord. et décr. du
4 mai 2000). Il ne couvre pas les juridictions administratives
autres que le Conseil d’État, les cours administratives d’appel
et les tribunaux administratifs. Il ne traite pas, et ne pouvait
traiter, des critères de compétence de l’ordre juridictionnel admi-
nistratif ni, conséquemment, de la compétence judiciaire en
matière administrative.
Droit administratif et juridiction

102 II - Droit administratif et compétence de la juridiction judiciaire

Si l’on appliquait exactement le principe de la liaison de la


compétence et du fond, il ne devrait pas être nécessaire d’envi-
sager la compétence judiciaire au regard du droit administra-
tif : l’une devrait être étrangère à l’autre et inversement. On
aurait seulement, pour avoir un tableau complet de la compé-
tence juridictionnelle à l’égard de l’administration, à évoquer
les cas où, la solution des litiges de l’administration relevant du
droit privé, la compétence judiciaire s’exerce logiquement. Cela
n’ajouterait rien à l’identification de la compétence juridiction-
nelle en matière de droit administratif. La simplicité d’une telle
solution s’évanouit si l’on observe que les juridictions judiciaires
connaissent du contentieux de l’administration lorsqu’il doit être
tranché en vertu non seulement du droit privé (A) mais encore
du droit administratif (B).

A - La compétence du juge judiciaire pour trancher des litiges


de droit privé touchant l’administration résulte d’abord de l’ap-
plication normale des règles dégagées par la jurisprudence (1) ;
elle a été également déterminée par la législation (2).
1 - La jurisprudence a reconnu qu’il revient aux juridictions
judiciaires de trancher certains litiges concernant l’administra-
tion parce qu’ils relèvent du droit privé. Deux séries d’hypo-
thèses se présentent.
Dans la première, c’est parce que l’administration elle-même
a eu recours au droit privé que la compétence judiciaire en
résulte.
Dans ses conclusions sur l’arrêt Terrier* (v. p. 98), Romieu
lui-même entendait réserver, pour les départements et les com-
munes, comme pour l’État, les circonstances où l’Administration doit
être réputée agir dans les mêmes conditions qu’un simple particu-
lier et se trouve soumise aux mêmes règles comme aux mêmes juri-
dictions : la gestion privée de l’administration, par opposition à
la gestion publique, entraîne la compétence judiciaire.
Droit administratif et compétence juridictionnelle

Tantôt la gestion privée et donc la compétence judiciaire 103


sont le principe, mais il comporte des exceptions.
La nature du service, disait encore Romieu, implique la ges-
tion privée. Il pensait à l’époque exclusivement à la gestion du
domaine privé. La jurisprudence en effet a toujours considéré,
malgré la démonstration inverse (J.-M. Auby), que la gestion
du domaine privé ne constitue pas un service public (TC 10 janv.
1983, Caule) et ne peut donner lieu qu’à un contentieux devant
les juridictions de l’ordre judiciaire (CE 28 nov. 1975, ONF
c/ Abamonte).
Elle n’en a pas moins admis que le domaine privé pouvait
être l’assiette d’un service public, ne serait-ce que celui de sa
protection, sa conservation et sa surveillance, et donner lieu à
ce titre à des actes administratifs unilatéraux (CE 3 mars 1975,
Courrière). Bien plus des contrats relatifs au domaine privé com-
portant des clauses exorbitantes du droit commun sont admi-
nistratifs (TC 17 nov. 1975, Leclert).
Ces exceptions au principe de l’application du droit privé et
de la compétence judiciaire ont toutes des justifications, mais
elles entament le principe à un point tel que la simplicité des
solutions et l’unité du régime juridique et contentieux qu’il
devrait entraîner disparaissent.
La même observation peut être faite pour les services publics
industriels et commerciaux (v. p. 46). Romieu n’y pensait pas en
1903. Leur nature n’a été découverte qu’en 1921 (TC 22 janv.
Bac d’Eloka*), avec les conséquences qu’elle entraîne pour l’ap-
plication du droit privé et la compétence judiciaire. Mais la solu-
tion n’est pas absolue (v. p. 53).
Tantôt c’est la gestion privée qui est une exception au prin-
cipe de l’application du droit administratif et de la compétence admi-
nistrative.
À ce sujet, Romieu disait encore : il peut se faire que l’admi-
nistration, tout en agissant, non comme personne privée, mais comme
personne publique, dans l’intérêt d’un service public proprement
dit, … se place volontairement dans les conditions d’un particulier,
en concluant des contrats de droit commun.
Droit administratif et juridiction

104 La jurisprudence ne devait pas tarder à confirmer cette ana-


lyse (CE 31 juill. 1912, Granits porphyroïdes des Vosges*). Elle
peut s’appliquer aux contrats d’un type nouveau qu’a mis au
point la législation civile, lorsqu’ils sont compatibles avec l’opé-
ration que les personnes publiques entreprennent (exemple du
bail à construction, de la vente en l’état futur d’achèvement : CE
8 février 1991, Région Midi-Pyrénées).
Il faut faire exception des contrats de vente d’immeubles du
domaine privé de l’État, dont le contentieux aurait dû être judi-
ciaire à la fois comme touchant au domaine privé et comme
d’un type nettement déterminé par le Code civil, mais dont la loi
du 28 pluviôse an VIII a attribué le contentieux aux juridictions
administratives pour garantir les acquéreurs de biens nationaux
contre les revendications des anciens propriétaires. Une remise
en ordre devrait supprimer cette anomalie.
Elle laisserait subsister la seconde série d’hypothèses, dans les-
quelles la compétence judiciaire est, non la résultante de l’utilisa-
tion du droit privé par l’administration, mais la sanction de son
comportement.
On y trouve d’abord la voie de fait : l’administration en est
dénaturée ; c’est pourquoi elle ne peut plus relever ni du droit
administratif ni de la juridiction administrative ; elle doit être
jugée par les juridictions judiciaires conformément au droit
privé, comme le serait un particulier.
Pourtant c’est l’exacerbation de la puissance publique qui
fait apparaître la voie de fait. Selon le Tribunal des conflits
(23 oct. 2000, Boussatar) elle se réalise dans les cas « où l’admi-
nistration soit a procédé à l’exécution forcée, dans des condi-
tions irrégulières, d’une décision même régulière, portant une
atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fonda-
mentale » (v. TC 2 déc. 1902, Société immobilière de Saint-Just*),
« soit a pris une décision ayant l’un ou l’autre de ces effets à
condition toutefois que cette dernière décision soit manifeste-
ment insusceptible d’être rattachée à un pouvoir de l’autorité
administrative ». Il en est ainsi pour la saisie d’un journal
(TC 8 avr. 1935, Action Française*), l’apposition de scellés sur
Droit administratif et compétence juridictionnelle

un appartement (TC 27 juin 1966, Guigon), la rétention d’un 105


passeport pendant une durée excessive (TC 19 nov. 2001,
Mlle Mohamed).
Dans tous ces cas, si la juridiction administrative peut
constater la voie de fait (Guigon), la juridiction judiciaire est
seule compétente pour, après l’avoir elle-même reconnue,
condamner l’administration à en réparer les conséquences dom-
mageables et lui ordonner de la faire cesser (TC 17 juin 1948,
Manufactures de velours et de peluches). Elle dispose ainsi à
l’égard de l’administration d’un pouvoir d’injonction que le
juge administratif a refusé de se reconnaître spontanément
(v. p. 144).
L’emprise irrégulière donne moins de pouvoirs au juge judi-
ciaire. Elle est réalisée lorsque l’administration prend possession
d’une propriété privée immobilière dans des conditions illégales
n’atteignant pas le degré de gravité de la voie de fait (TC 17 mars
1949, Hôtel du Vieux Beffroi, Rivoli Sébastopol). L’autorité judi-
ciaire est seule compétente pour statuer sur la réparation des
dommages qui en sont résultés. Elle ne peut cependant ni appré-
cier la légalité de l’emprise ni, si l’emprise est légale, statuer sur
l’indemnité (CE 15 févr. 1961, Werquin).
Cela souligne les limites de la compétence judiciaire en
matière d’emprise et de son rattachement aux textes l’ayant spé-
cialement reconnue.
2 - C’est en effet d’abord à propos d’atteintes à la propriété pri-
vée que la législation a confié aux tribunaux judiciaires le soin
de connaître des litiges opposant les particuliers à l’administra-
tion. La jurisprudence en a tiré le principe selon lequel la pro-
tection de la propriété privée rentre essentiellement dans les attri-
butions de l’autorité judiciaire (TC 11 juin 1940, Schneider). Bien
plus, selon le Conseil constitutionnel (89-256, 25 juill. 1989), il
fait partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de
la République.
Son origine se trouve dans la loi de 1810 sur l’expropriation,
qui a chargé les tribunaux judiciaires de fixer l’indemnité due
Droit administratif et juridiction

106 aux personnes expropriées. Depuis lors, la solution a été main-


tenue et étendue à l’indemnisation des atteintes à la propriété
privée résultant de réquisitions, de l’établissement de servitudes,
à l’exercice du droit de préemption (TC 8 déc. 1969, Arcival,
Époux Soyer).
La protection de la liberté individuelle par l’autorité judi-
ciaire est également traditionnelle. Elle est consacrée aujour-
d’hui par l’article 66 de la Constitution : nulle arrestation, déten-
tion, perquisition ne peut être entreprise sans contrôle judiciaire
(CC 83-164, 29 déc. 1983 ; 89-261, 28 juill. 1989 ; 92-306, 25 févr.
1992). Seules les juridictions judiciaires peuvent statuer sur les
actions en responsabilité dirigées contre l’administration et ses
agents en cas d’infractions consistant en des atteintes à la liberté
individuelle (art. 136 C. proc. pén.). Elles ne peuvent certes, sauf
le cas de voie de fait (v. p. 104), connaître des recours dirigés
contre les actes administratifs (TC 12 mai 1997, Préfet de police).
Mais elles ont pleine compétence à l’égard des demandes de
dommages-intérêts fondées sur leur illégalité.
Les questions d’état, de capacité et de nationalité des per-
sonnes sont également confiées aux tribunaux judiciaires comme
relevant essentiellement du droit privé : lorsqu’une juridiction
administrative les rencontre, elle doit surseoir à statuer jusqu’à
ce qu’ils les aient résolues.
La volonté du législateur d’attribuer un contentieux aux juri-
dictions judiciaires pour lui appliquer le droit privé s’est parti-
culièrement manifestée à propos des accidents de véhicules. La
loi du 31 décembre 1957, par dérogation à l’article 13 de la loi
des 16-24 août 1790, a rendu les tribunaux de l’ordre judiciaire…
seuls compétents pour statuer sur toute action en responsabilité ten-
dant à la réparation des dommages de toute nature causés par un
véhicule quelconque. La liaison entre la compétence et le fond
est soulignée : cette action sera jugée conformément aux règles du
droit civil.
L’unification du contentieux des accidents de véhicules sous
l’égide des tribunaux judiciaires et du droit privé a bénéficié
d’une interprétation extensive de la notion de véhicule. Elle n’a
Droit administratif et compétence juridictionnelle

empêché ni le maintien exclusif de la compétence administra- 107


tive pour les dommages causés au domaine public ou par les
travaux publics, ni les partages de compétence lorsque inter-
vient une question de droit public comme de savoir si l’agent
était dans l’exercice de ses fonctions, ou en cas de dommages
causés pour partie par le véhicule et pour partie par le chantier
auquel il servait.
Faut-il, pour éviter ces distorsions, que le législateur per-
mette au juge judiciaire de statuer aussi sur des questions de
droit administratif ?

B - C’est alors la distorsion de la compétence et du fond qui


serait réalisée, comme elle l’est déjà dans des contentieux où les
juridictions judiciaires appliquent le droit administratif. La solu-
tion a été admise par la jurisprudence (1). Elle a surtout été
aménagée par des textes (2).
1 - La jurisprudence a reconnu aux juridictions judiciaires le
pouvoir de trancher des questions de droit administratif tantôt
par voie d’exception tantôt par voie d’action.
Dans le premier cas, le juge judiciaire, saisi d’un litige rele-
vant normalement de sa compétence, rencontre un acte admi-
nistratif dont l’interprétation ou la légalité conditionne l’issue
du procès. Le principe de séparation des autorités administra-
tives et judiciaires, s’il était strictement appliqué, lui ordonne-
rait de surseoir à statuer jusqu’à ce que le juge administratif ait
donné la réponse.
D’autres principes ont conduit à un résultat nuancé et dif-
férencié. Le juge non répressif, qui a le pouvoir d’interpréter la
loi, peut a fortiori interpréter un règlement (TC 16 juin 1923,
Septfonds*), mais il ne peut ni interpréter un autre acte admi-
nistratif ni apprécier la légalité d’un acte administratif quel qu’il
soit – sauf l’exception de la voie de fait (v. p. 104). Le juge
répressif dispose d’une plénitude de juridiction qui a conduit la
jurisprudence à lui reconnaître le pouvoir non seulement d’in-
terpréter les actes réglementaires mais d’en apprécier la légalité
Droit administratif et juridiction

108 (TC 5 juill. 1951, Avranches et Desmarets). Le nouveau Code


pénal (art. 111-5) l’a étendu aux actes individuels.
Dans le second cas, le juge judiciaire est saisi directement,
par voie d’action, d’un litige de droit administratif, qui relève
entièrement et exclusivement de sa compétence comme portant
sur le fonctionnement du service judiciaire lui-même (celui des
tribunaux et de leurs auxiliaires, particulièrement la police judi-
ciaire : CE 11 mai 1951, Baud).
Pour être judiciaire, cette activité n’en constitue pas moins
un service public, mettant en cause… la puissance publique, dont
l’exercice du pouvoir judiciaire constitue, au premier chef une mani-
festation (Cass. 23 nov. 1956, Giry*).
Alors les juridictions judiciaires doivent appliquer le droit
administratif, notamment celui de la responsabilité (idem).
2 - Leur jurisprudence a été relayée par la loi, qui a aménagé
un régime spécial de responsabilité en cas de fonctionnement
défectueux du service de la justice (loi du 5 juill. 1972).
D’autres textes ont encore confié aux juridictions judiciaires
la mise en œuvre de systèmes spéciaux de responsabilité admi-
nistrative comme pour la réparation des dommages causés aux
ou par les élèves (loi du 5 avr. 1937) – sans compter ceux qui
imputent à l’État la réparation de dommages dont il n’est pas
l’auteur mais qu’il garantit au titre du risque social (v. p. 74).
En attribuant au juge judiciaire les recours en annulation
ou en réformation d’actes administratifs, le législateur le conduit
au cœur du contentieux administratif : il en fait un juge admi-
nistratif (R. Drago).
Ce bouleversement n’a pas été admis à propos des décisions
relatives à la liberté individuelle (v. p. 96).
Mais il a été accompli pour les décisions du directeur de
l’Institut national de la propriété industrielle relatives aux bre-
vets d’invention (loi du 2 janv. 1968), aux marques de fabrique,
de commerce ou de service, celles du Conseil de la concurrence
(loi du 6 juill. 1987), certaines de celles de l’ancienne Commis-
sion des opérations de bourse (2 août 1989), et de l’ancien Conseil
des marchés financiers (2 juill. 1996), puis de l’Autorité des mar-
Droit administratif et compétence juridictionnelle

chés financiers (1er août 2003), de l’Autorité de régulation des 109


communications électroniques et des postes (26 juill. 1996, 20 mai
2005), de la Commission de régulation de l’énergie (12 févr.
2000), qui sont autant d’actes administratifs adoptés par des auto-
rités administratives.
La singularité de la compétence judiciaire pour juger les
contestations dont ils font l’objet s’accroît si l’on observe qu’elle
s’exerce par dérogation non pas seulement aux principes de com-
pétence du juge administratif mais aux règles de répartition des
compétences au sein de l’ordre judiciaire : c’est exclusivement la
cour d’appel de Paris (et en matière de propriété industrielle
certaines autres cours d’appel) qui est compétente. Elle apparaît
comme une véritable juridiction administrative.
Car le contrôle qu’elle exerce est bien celui du juge admi-
nistratif.

Lire aussi

- Auby J.-M. et Drago R., Traité de contentieux administratif, LGDJ,


2 vol., 3e éd. 1984
- Odent R., Cours de contentieux administratif, Les Cours de droit,
6 fasc., 1977-1981
- Van Lang A., Juge judiciaire et droit administratif, LGDJ, 1996
- Chapus R., « Le service public et la puissance publique »,
RD publ. 1968, p. 235-282
- Amselek P., « Le service public et la puissance publique.
Réflexions autour d’une étude récente », AJDA 1968, p. 492-514
- AJDA 1988, no 2, « Réforme du contentieux administratif »,
p. 75-133
- AJDA 1990, no 9, « Juridiction administrative et juridiction
judiciaire 200 ans après la loi de 1790 », p. 579-600
- RFD adm. 1988, no 2, « La loi du 31 décembre 1987 portant
réforme du contentieux administratif », p. 163-267
- RFD adm. 1990, no 5, « La dualité de juridictions en France
et à l’étranger. Bicentenaire de la loi des 16-24 août 1790 »,
p. 687-898
- Sur le Code de justice administrative : Arrighi de Casanova J.,
AJDA 2000.639 ; Chapus R., RFD adm. 2000.929
Chapitre II
Droit administratif et contrôle juridictionnel

Le droit administratif s’est développé grâce au contrôle juri-


dictionnel de l’administration autant que le contrôle juridic-
tionnel grâce au droit administratif : ils se sont nourris l’un de
l’autre. S’il fallait chercher aujourd’hui encore une justification
de la justice administrative, elle se trouverait dans le constat
qu’elle a réussi à contrôler l’administration par des mécanismes
permettant de lui faire respecter le droit auquel elle est soumise.
Il ne faut certes pas en exagérer les mérites. Ses limites ont
plusieurs fois entraîné la condamnation de la France par la Cour
européenne des droits de l’homme. Le modèle présenté à l’ad-
miration du monde peut succomber sous les exigences d’autres
droits et le contrôle d’autres juridictions.
Cela doit conduire, non à le supprimer, mais à l’améliorer.
Tel qu’il est, il comporte bien des solutions permettant de
censurer effectivement l’administration.
Elles ne sont pas uniformes.
Elles s’inscrivent dans le cadre de plusieurs types de conten-
tieux (section 1). Elles comportent différents modes de contrôle
(section 2).

Section 1
Droit administratif et contentieux juridictionnel
Il existe un contentieux administratif hors des juridictions
(recours à une autorité administrative, par ex. hiérarchique) et
Droit administratif et juridiction

112 des activités juridictionnelles non contentieuses (comme celles


de la Cour des comptes), et même un contentieux administra-
tif relevant des juridictions judiciaires (v. p. 107), voire, dans
certains cas, de juridictions arbitrales. Mais, pour l’essentiel, le
contentieux administratif appartient aux juridictions adminis-
tratives.
Il comprend différentes branches. Leur présentation n’est
jamais entièrement satisfaisante. Est-ce parce que le droit admi-
nistratif n’est pas parvenu à leur donner une rationalité suffi-
sante ou parce qu’il comporte un raffinement tel qu’on ne peut
en rendre compte d’une manière évidente ?
La première systématisation a été entreprise par E. Lafer-
rière. Elle constitue aujourd’hui encore le point de départ de
toute analyse du contentieux. Elle est fondée sur les pouvoirs du
juge, qui n’ont pas la même nature et la même étendue dans toutes
les matières contentieuses. Ce sont, selon les cas : des pouvoirs de
pleine juridiction, comportant l’exercice d’un arbitrage complet, de
fait et de droit, sur le litige ; – ou des pouvoirs d’annulation limi-
tés au droit d’annuler les actes administratifs illégaux… ; ou des pou-
voirs d’interprétation, consistant uniquement à déterminer le sens
et la portée d’un acte administratif ou à apprécier sa valeur légale… –
ou enfin des pouvoirs de répression consistant à réprimer les infrac-
tions commises aux lois et règlements qui protègent le domaine public
et en assurent la destination légale.
La distinction garde sa valeur non seulement pour la clarté
de l’exposé mais pour le régime applicable : en particulier la dis-
tinction du contentieux de la pleine juridiction (ou plein conten-
tieux) et du contentieux de l’annulation (recours pour excès de
pouvoir) a des conséquences sur l’identification de la juridiction
compétente au sein de l’ordre administratif et sur la procédure
à suivre (délais de recours, ministère d’avocat).
Mais elle a ses limites. Fondée sur les pouvoirs du juge, elle
n’explique pas pourquoi dans tels cas, ces pouvoirs ne vont pas
plus loin que l’annulation d’un acte administratif et, dans tels
autres, ils vont au-delà et notamment permettent sa réforma-
tion. La pleine juridiction est à la fois ambiguë et pléthorique :
Droit administratif et contrôle juridictionnel

elle ne signifie pas que le juge peut exercer n’importe quel pou- 113
voir ; elle englobe des contentieux eux-mêmes très divers (conten-
tieux contractuel, indemnitaire, électoral, fiscal ; contentieux des
édifices menaçant ruine, des établissements classés, de certaines
décisions pécuniaires, des changements de nom). Elle n’est pas
homogène.
Elle n’est même plus essentiellement distincte des autres
contentieux depuis que le législateur permet aux juridictions
administratives d’assortir leurs décisions, notamment d’annula-
tion, de l’injonction de prendre les mesures qu’impose néces-
sairement leur exécution (v. p. 144) : ordonner de remplacer la
décision annulée par une autre, c’est passer du contentieux de
l’annulation à celui de la pleine juridiction (CE 4 juill. 1997,
Leveau, Bouzerak). La distinction n’est plus rigoureuse.
C’est pourquoi, une autre classification a été proposée
(L. Duguit, J.-M. Auby et R. Drago), fondée sur la nature de la
question posée au juge. Tantôt il doit apprécier la conformité
d’une mesure ou d’une situation à la règle de droit : il est alors
saisi d’un contentieux objectif. Tantôt il doit faire respecter les
droits propres du requérant : il s’agit d’un contentieux subjectif.
Du premier, le contentieux de l’excès de pouvoir est le meilleur
exemple, du second, les contentieux contractuel et indemnitaire.
La distinction pourrait être rénovée en se fondant non plus
seulement sur les droits propres du requérant mais aussi sur
ceux que fait naître la décision contestée au profit du bénéfi-
ciaire : serait objectif tout recours dans lequel la règle de droit
serait seule en cause, subjectif tout recours dans lequel les droits
acquis soit par le bénéficiaire soit par le contestataire seraient
affectés (Girardot et Raynaud, AJDA 1997.936).
Une autre distinction a été récemment proposée par F. Mel-
leray ; elle est fondée sur un critère finaliste ; elle oppose parmi
les actions en justice celles qui, destinées à favoriser prioritaire-
ment la collectivité, sont holistes, et celles qui, cherchant à favo-
riser surtout le requérant, sont individualistes ; toutes les muta-
tions du contentieux administratif se trouveraient ainsi expliquées
et ordonnées.
Droit administratif et juridiction

114 Ces tentatives marquent la nécessité d’une remise en ordre.


Celle-ci n’est pas encore achevée. Par touches successives, elle
finira par se réaliser. Il est encore trop tôt pour que puisse être
présenté un système parfaitement satisfaisant.
On se bornera ici à un exposé plus prosaïque et surtout didac-
tique. Il trouve au moins sa justification dans la décision du
Conseil constitutionnel du 23 janv. 1987* (v. p. 95) qui a réservé
à la juridiction administrative le contentieux de l’annulation et
de la réformation des actes administratifs unilatéraux : il consti-
tue le cœur du contentieux administratif. Cela justifie qu’on
l’isole (I) des autres contentieux administratifs (II).

I - Le contentieux des actes administratifs unilatéraux


On a déjà rencontré les actes administratifs unilatéraux
(v. p. 35, 52, 95).
Ce sont les effets qu’ils emportent sur les administrés, sans
leur consentement, qui justifient l’aménagement de contentieux
permettant de garantir le respect du principe de légalité (v. p. 54).
Au minimum, ils peuvent faire l’objet d’un recours en annu-
lation (A). Certains d’entre eux peuvent donner lieu à un conten-
tieux de la réformation (B). S’y ajoutent des contentieux de la
déclaration (C).

A - Le contentieux de l’annulation est essentiellement constitué


par le recours pour excès de pouvoir, recours qui est ouvert même
sans texte contre tout acte administratif, et qui a pour effet d’assu-
rer, conformément aux principes généraux du droit, le respect de la
légalité (CE, 17 févr. 1950, Dame Lamotte*).
La loi peut l’aménager. Ainsi celle du 2 mars 1982 a orga-
nisé un système de déféré électoral contre certains actes des col-
lectivités locales, dans lequel le Conseil d’État a reconnu expres-
sément le recours pour excès de pouvoir (CE 26 juill. 1991,
Commune de Sainte-Marie).
La loi ne peut être interprétée comme l’excluant si elle ne
le dit pas expressément (Dame Lamotte*).
Droit administratif et contrôle juridictionnel

Elle ne peut même plus l’exclure. Le recours pour excès de 115


pouvoir trouve contre elle l’appui du droit européen (art. 13 de
la Convention européenne des droits de l’homme, reconnaissant
le droit à un recours effectif en cas d’atteintes aux droits et liber-
tés y compris lorsqu’elles sont prises par des personnes agissant
dans l’exercice de leurs fonctions officielles ; art. 6, reconnaissant
le droit à un procès équitable), du droit communautaire (CJCE
15 mai 1986, Johnston) et du droit constitutionnel : conformé-
ment à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen, exigeant que la garantie des droits soit assurée, le
législateur ne saurait priver de tout droit au recours devant le
juge de l’excès de pouvoir la personne qui entend contester la
légalité d’un acte (CC 96-373, 9 avr. 1996). Ces droits se com-
binent pour limiter les lois de validation tendant à écarter les
recours (CEDH 28 oct. 1999, Zielenski ; CC 99-422, 21 déc. 1999).
Une fois de plus voilà une institution du droit administratif éle-
vée à un niveau supérieur.
1 - Les actes susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès
de pouvoir sont tous les actes administratifs unilatéraux mais
en principe seulement eux.
Toute décision prise par une autorité administrative et fai-
sant grief peut y donner lieu.
L’autorité qui l’a prise se trouve le plus souvent dans la struc-
ture administrative ordinaire (v. p. 15). Mais il peut s’agir aussi
d’autorités administratives indépendantes (v. p. 17), d’autorités
appartenant à l’institution judiciaire mais exerçant une fonction
administrative (CE 17 avr. 1953, Falco et Vidaillac), d’organes
parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions administratives
(CE 5 mars 1999, Président de l’Assemblée nationale), d’organismes
de droit privé dont les fonctions et les pouvoirs font de véri-
tables autorités administratives (v. p. 33 ; CE 31 juill. 1942, Mon-
peurt* ; 2 avr. 1943, Bouguen*).
Leurs décisions peuvent prendre des formes variées. Elles
sont le plus souvent écrites (décret, arrêté) ; elles peuvent être
éventuellement verbales et surtout implicites, comme résultant
Droit administratif et juridiction

116 du silence opposé pendant un certain temps par l’administra-


tion à la demande qui lui est présentée ou même d’un certain
comportement volontaire (CE 12 mars 1986, Mme Cusenier).
L’essentiel est qu’elles fassent grief. L’expression désigne les
effets qu’elles ont sur la situation juridique des administrés. Ils
peuvent être inégalement contraignants. Tantôt ils créent des
droits ou imposent des obligations : en ce sens, on parle de déci-
sion exécutoire (M. Hauriou ; CE 2 juill. 1982, Huglo). Tantôt,
sans transformer la situation antérieure, ils l’affectent en met-
tant en cause des droits ou obligations.
A contrario, un acte ne peut être déféré au juge de l’excès
de pouvoir lorsqu’il ne répond pas à l’une ou à l’autre des carac-
téristiques précédentes.
Tel est le cas lorsqu’il n’émane pas d’une autorité adminis-
trative. Il n’y a pas d’objection à soustraire au recours pour excès
de pouvoir les actes juridictionnels (y compris ceux des juridic-
tions administratives) et les actes législatifs. Plus discutable est
le cas des actes de gouvernement car ils émanent de l’exécutif,
dont les organes, et donc les actes, sont normalement considé-
rés comme administratifs (v. p. 15). Certes lorsqu’il s’agit de
décisions dans l’adoption desquelles intervient à la fois un organe
exécutif et un organe soit législatif soit étranger, l’incompétence
du juge administratif se justifie par la présence d’un organe
extérieur à l’administration ou à la France (M. Virally). Mais
lorsque les décisions émanent exclusivement d’une autorité exé-
cutive française, leur soustraction au recours pour excès de pou-
voir ne peut s’expliquer que soit, théoriquement, par leur adop-
tion dans l’exercice de fonctions qui, pour être exécutives, ne
sont pas administratives, soit, pratiquement, par le refus du juge
administratif de s’immiscer dans des matières trop sensibles car
touchant aux relations du gouvernement avec le Parlement
(CE 2 mars 1962, Rubin de Servens* ; 22 févr. 1989, Allain) ou
aux relations internationales (CE 13 juill. 1979, Coparex ; 18 déc.
1992, Mhamedi). Cette seconde explication se vérifie si l’on observe
qu’au fur et à mesure que s’est accrue l’autorité du Conseil
d’État, il a réduit la catégorie des actes de gouvernement en
Droit administratif et contrôle juridictionnel

admettant de contrôler des actes qu’il refusait d’examiner aupa- 117


ravant (CE 19 févr. 1875, Prince Napoléon* ; 28 mai 1937, Decerf ;
15 oct. 1993, Royaume-Uni et Colonie royale de Hong-Kong*).
Les bons esprits verront là une nouvelle illustration du carac-
tère fonctionnel des notions en droit administratif (G. Vedel),
les mauvais ou les beaux, celle de l’habillage, voire du camou-
flage, qui a pu recouvrir un moment le déni de justice.
Même incontestablement administratif, un acte ne peut faire
l’objet d’un recours pour excès de pouvoir que s’il est unilaté-
ral. Un contrat ne peut être attaqué par cette voie (CE 16 avr.,
1986, Compagnie luxembourgeoise de télévision). Le principe connaît
des exceptions et des aménagements.
La première exception est celle du déféré préfectoral, dont
le législateur a prévu l’exercice non seulement contre des actes
unilatéraux des collectivités locales mais aussi contre leurs conven-
tions relatives aux marchés et aux emprunts ainsi que les conven-
tions de concession ou d’affermage de services publics locaux à carac-
tère industriel ou commercial, et que la jurisprudence a étendue
à tous leurs contrats administratifs (CE 4 nov. 1994, Départe-
ment de la Sarthe). Une seconde exception porte sur les contrats
de recrutement d’agents publics, tellement proches des décisions
de nomination d’autres agents qu’il a été nécessaire de les sou-
mettre à un même recours (CE 30 oct. 1998, Ville de Lisieux).
Les aménagements consistent à distinguer des contrats les
actes unilatéraux qui en sont détachables (CE 4 août 1905, Mar-
tin*), formellement (délibération autorisant la conclusion du
contrat) ou matériellement (décision de conclure le contrat incluse
dans la signature de celui-ci : CE 9 nov. 1934, Chambre de com-
merce de Tamatave; clauses réglementaires du contrat: CE 10 juill.
1996, Cayzeele).
L’annulation d’un acte détachable du contrat n’a par elle-
même aucun effet direct sur ce contrat… (G. Braibant). Il a fallu
attendre 1993 pour savoir avec un peu de précision dans quelle
mesure le contrat doit être remis en cause (CE 1er oct. Yachting
Club de Bormes-les-Mimosas). Dans certains cas, la collectivité
contractante peut être obligée, sous astreinte (v. p. 145), de sai-
Droit administratif et juridiction

118 sir le juge du contrat d’une action en nullité (CE 7 oct. 1994,
Époux Lopez).
Parmi les mesures unilatérales ne peuvent être déférées au
juge de l’excès de pouvoir celles qui « ne font pas grief » : déci-
sions préparatoires ou confirmatives, circulaires non impératives
(CE 18 déc. 2002, Mme Duvignères*), directives (CE 11 déc. 1970,
Crédit foncier de France*), mesures d’ordre intérieur (notamment
dans les établissements scolaires, pénitentiaires, militaires – sans
qu’on puisse malicieusement les assimiler). Le contrôle de léga-
lité n’est pourtant pas exclu puisque l’acte préparé ou confirmé
pourra ou a pu lui-même être attaqué, que la légalité de la direc-
tive peut être examinée à l’occasion de sa mise en œuvre (CE 18 oct.
1991, Union nationale de la propriété immobilière), que des mesures,
telles l’interdiction du port de certains signes (CE 2 nov. 1992,
Kherouaa) ou certaines sanctions (CE 17 févr. 1995, Hardouin et
Marie*), ne sont plus d’ordre intérieur dès lors qu’elles mettent
en cause le statut des administrés.

2 - La subtilité du droit administratif dans l’analyse des actes


pouvant être déférés au juge de l’excès de pouvoir se retrouve
dans l’identification des personnes pouvant intenter le recours. Il
faut ouvrir aux administrés autant qu’il est possible l’accès (du) pré-
toire sans verser dans l’action populaire en permettant à n’importe
qui d’attaquer n’importe quoi, élargir le cercle des intérêts donnant
qualité pour agir, sans méconnaître pour autant la hiérarchie natu-
relle des intérêts lésés (Jacques Théry, concl. sur CE 28 mai 1971,
Damasio, Rec. 391).
L’intérêt nécessaire pour que le recours soit recevable peut
résulter d’abord d’une qualité permettant à elle seule de l’iden-
tifier : celle de contribuable local (CE 29 mars 1901, Casanova*),
d’usager d’un service public (CE 21 déc. 1906, Croix-de-Seguey-
Tivoli*), de membre d’un corps (CE 11 déc. 1903, Lot*), d’au-
torité administrative (CE 18 avr. 1902, Néris-les-Bains*; CC 86-217,
18 sept. 1986) – dans toute la mesure où l’acte attaqué a un rap-
port avec elle.
Droit administratif et contrôle juridictionnel

Au-delà, il faut examiner particulièrement si l’intérêt invo- 119


qué, d’ordre moral ou matériel, est suffisamment direct et cer-
tain pour justifier la recevabilité du recours. La largesse du
Conseil d’État s’est manifestée à l’égard du campeur attaquant
une réglementation du camping dans une commune où il envi-
sage de se rendre (CE 14 févr. 1958, Abisset), de l’hôtelier atta-
quant celle des vacances scolaires (CE 28 mai 1971, Damasio),
du journaliste judiciaire contestant celle de la publicité des débats
judiciaires (CE 4 oct. 1974, Dame David).
L’intérêt du requérant doit lui être propre. Cela peut être
vérifié assez facilement pour une personne physique, beaucoup
moins pour une personne morale. À ce sujet encore, la juris-
prudence est nuancée (depuis CE 28 déc. 1906, Patrons coiffeurs
de Limoges*) : elle veut permettre aux groupements (associations,
syndicats) de défendre utilement leurs intérêts et les intérêts
communs de leurs membres, non de se substituer à ces derniers.
Les nuances et les limites de l’intérêt pour agir n’empêchent
pas les excès des « requérants d’habitude » (F. Lemaire), dont cer-
tains sont atteints de quérulence (CE ord. 20 avr. 2006). Mais le
« libéralisme indéniable » de la jurisprudence à ce sujet est « lar-
gement en harmonie avec le caractère de recours d’utilité publique
qui est celui du recours pour excès de pouvoir » (R. Chapus).
3 - La portée de ce recours est ainsi mise en valeur. Elle pré-
sente deux aspects.
Recours objectif, il est destiné à garantir le respect de la léga-
lité. Le requérant peut en invoquer toutes les composantes
(v. p. 62). Bien plus, le recours pour excès de pouvoir a permis
au juge administratif de déterminer ces composantes mêmes.
Le recours ne peut être fondé sur des considérations autres
que la légalité, notamment sur l’opportunité, qui est extérieure
au droit (v. p. 67), et sur des droits subjectifs, par définition dis-
tincts du droit objectif.
Ainsi le requérant ne peut se prévaloir des clauses d’un
contrat, à moins que, comme dans la concession, elles présen-
tent un caractère réglementaire (CE 18 mars 1977, Chambre de
Droit administratif et juridiction

120 commerce de La Rochelle). La logique de l’exception a été pous-


sée jusqu’à admettre la recevabilité du recours pour excès de
pouvoir contre ces clauses (CE 10 juill. 1996, Cayzeele).
Un requérant ne peut s’engager à ne pas intenter de recours
pour excès de pouvoir, ni renoncer à l’annulation à la suite de
son recours (CE 13 juill. 1967, École de filles de Pradelles).
Car l’annulation n’est pas prononcée au bénéfice exclusif du
requérant : elle l’est au profit de la légalité. Bénéficiant de l’au-
torité absolue de la chose jugée, elle a un effet erga omnes. S’ap-
pliquant à un acte adopté à une date antérieure, elle a norma-
lement un effet rétroactif. Mais si cet effet emporte des conséquences
manifestement excessives, le juge peut, en tenant compte des
droits des parties et en faisant la balance des intérêts en pré-
sence, moduler dans le temps les effets de l’annulation (CE 11 mai
2004, Association AC !*).
Il appartient à l’administration d’en tirer les conséquences
(CE 26 déc. 1925, Rodière*). Celles-ci ne sont pas uniformes.
Tantôt l’annulation se suffit à elle-même, il n’y a rien à y
ajouter : ainsi, si elle porte sur une interdiction, l’activité illéga-
lement interdite peut être désormais exercée, sans qu’il y ait à
envisager d’autres mesures.
Tantôt l’annulation commande l’adoption d’un acte contraire:
ainsi, si un refus d’autorisation a été annulé parce que le deman-
deur avait droit à cette autorisation, celle-ci doit lui être accordée;
mais si l’annulation est fondée sur un motif autre que le droit à
autorisation, un nouveau refus peut être opposé au requérant.
Tantôt la décision attaquée et annulée avait été suivie par
d’autres décisions : leur sort ne suit pas automatiquement celui
de la décision initiale.
Dans certains cas, elles ont créé des droits au profit de leurs
bénéficiaires : faute d’avoir été elles-mêmes attaquées, elles ne
sont pas entraînées par l’annulation de cette décision (CE 10 oct.
1997, Soc. Strasbourg FM, Lugan).
Dans d’autres cas enfin, la décision méconnaissait un droit
du requérant dont le bénéfice a, par suite, été attribué à d’autres
personnes: alors son annulation oblige l’administration à remettre
Droit administratif et contrôle juridictionnel

en cause celles qui ont été prises par voie de conséquence, même 121
si elles n’ont pas été expressément attaquées (CE 27 mai 1949,
Véron-Réville).
La ligne directrice des solutions se situe entre l’autorité abso-
lue de l’annulation (qui conduit à en tirer toutes les consé-
quences) et la stabilité des situations acquises (qui conduit à évi-
ter de les remettre en cause).
Deux sortes de modalités peuvent contribuer à la faire obser-
ver.
D’une part, le pouvoir d’injonction reconnu au juge admi-
nistratif par la loi du 8 février 1995 (v. p. 145) lui permet d’or-
donner le cas échéant à l’administration de prendre les mesures
que commande nécessairement l’exécution du jugement ou de
l’arrêt d’annulation.
D’autre part, le législateur peut lui-même valider, sinon l’acte
annulé, du moins ceux qui ont été pris sur son fondement
(CC 80-617, 22 juill. 1980*), à des conditions résultant du droit
constitutionnel et du droit européen (il ne doit pas être porté
atteinte au principe du droit à un procès équitable, 5 déc. 1997,
OGEC de Saint-Sauveur, ou du droit au respect des biens, CE
11 juill. 2001, Ministre de la Défense c/ Préaud).

B - Le contentieux de la réformation permet au juge de substi-


tuer sa propre décision à celle de l’administration. C’est sa carac-
téristique principale (1). Il ne s’exerce que dans certaines
matières (2).

1 - Par la réformation d’un acte administratif, le juge pénètre


plus avant non seulement dans le contrôle mais dans l’action de
l’administration. Ce contentieux, tout en restant « objectif » en
ce qu’il ne concerne que la légalité, relève de la pleine juridic-
tion. Le Conseil constitutionnel y a vu une garantie d’ordre
constitutionnel (CC 88-248, 17 janv. 1989*) et la Cour euro-
péenne des droits de l’homme une autre, d’ordre « conven-
tionnel » (23 oct. 1995, Gradinger ; 18 févr. 1997, Mauer).
Droit administratif et juridiction

122 Il permet au juge non d’apprécier la légalité de la décision qui


lui est déférée au vu des seuls éléments dont pouvait disposer (son
auteur)…, mais de se prononcer (lui)-même sur le droit des inté-
ressés… d’après l’ensemble des circonstances de fait dont il est jus-
tifié par l’une et l’autre parties à la date de sa propre décision
(CE 8 janv. 1982, Aldana Barrena).
Il fait du juge un administrateur. Il écarte le principe de
séparation de la juridiction administrative et de l’administration
active (J. Chevallier).
2 - C’est pourquoi il est limité à certaines matières, où il est
soit établi expressément par la loi soit reconnu par la jurispru-
dence.
Pendant longtemps, on ne pouvait guère citer que le conten-
tieux des édifices menaçant ruine (aujourd’hui, art. L. 511-1 du
Code de la construction), dans lequel le juge peut modifier l’ar-
rêté de péril pris par le maire, en particulier ordonner la démo-
lition de l’immeuble, celui des établissements classés pour la pro-
tection de l’environnement (lois de 1917, puis de 1976, interprétées
comme donnant au juge le pouvoir de donner l’autorisation
requise ou de modifier les conditions qu’y a mises le préfet –
v. art. L. 514-6 du Code de l’environnement).
Aujourd’hui le législateur y a ajouté de nouveaux recours,
notamment contre des décisions des autorités administratives indé-
pendantes (v. p. 17) : par ex., sanctions du Conseil supérieur de
l’audiovisuel, de l’Autorité des marchés financiers, de la Com-
mission de contrôle des assurances, de la Commission de régu-
lation de l’énergie.
Certains d’entre eux relèvent de la compétence, non pas du
Conseil d’État mais de la Cour d’appel de Paris, statuant comme
une véritable juridiction administrative (v. p. 108) dans un
contentieux qui est celui de la pleine juridiction : recours contre
les décisions du Conseil de la concurrence, contre certaines de
celles de l’Autorité des marchés financiers, de la Commission
de régulation de l’énergie. Le transfert de ce contentieux à une
juridiction judiciaire fait exception non seulement au principe
Droit administratif et contrôle juridictionnel

de séparation des autorités administratives et judiciaires, mais, 123


au profit d’une juridiction judiciaire, au principe de séparation
de l’administration active et de la fonction juridictionnelle. On
est loin de la loi des 16-24 août 1790.
On doit mettre à part le contentieux des autorisations de plai-
der que des affaires ont contribué à réaménager depuis 1992. Il
s’agit du cas où, une collectivité locale négligeant d’agir ou de
se défendre en justice, un contribuable veut le faire à sa place.
Il doit obtenir l’autorisation du tribunal administratif, agissant
dans l’exercice d’une fonction non pas juridictionnelle mais admi-
nistrative, et dont la décision est désormais portée devant le
Conseil d’État par un recours de pleine juridiction (CE 26 juin
1992, Lepage-Jessua, Pezet et San Marco).
Il ne s’agit là que des principaux exemples de l’accroisse-
ment récent du contentieux de la réformation des actes admi-
nistratifs. Manifestement, il a la faveur du législateur.
Dans le doute sur ses intentions, le juge détermine lui-
même quel contentieux doit être retenu. Le critère principal
repose sur l’idée que le juge administratif, pour certaines catégo-
ries de litiges, dispose simplement du pouvoir d’annuler la déci-
sion administrative qui lui est déférée, alors que pour d’autres
litiges, il dispose de pouvoirs plus étendus (B. Genevois, concl.
sur CE 8 janv. 1982, Aldana-Barrena, Rec. 9). Mais encore ?
Qu’est-ce qui conduit cette idée ? C’est le juge lui-même qui
détermine quelle doit être l’étendue de ses pouvoirs. Le juge
appréhende les faits avec le souci d’apporter une solution pratique
et la psychologie du magistrat a son importance. La mission qui
lui est dévolue, ou qu’il estime lui être dévolue, mission plus ou
moins importante selon les matières, voilà ce qui est la clé des solu-
tions jurisprudentielles (A. Heilbronner).
Voilà aussi qui a le mérite de la franchise : le juge, sinon fait
ce qu’il veut, du moins « s’efforce de faire ce qu’a voulu le légis-
lateur » (M. Bernard). S’il n’y a pas de critère déterminant, il
essaie de trouver des indices.
Parfois, pour être conforme aux textes et se recommander d’ar-
guments non négligeables sur le plan de l’opportunité (B. Gene-
Droit administratif et juridiction

124 vois), le juge penche pour la réformation (par ex. à propos de


la reconnaissance de la qualité de réfugié). On a parfois sou-
tenu que le contrôle serait plus approfondi dans le plein conten-
tieux que dans celui de l’excès de pouvoir et qu’en conséquence,
il fallait retenir le premier dans les affaires où les garanties les
plus grandes doivent être reconnues aux justiciables. Cela est
exact si l’on considère le pouvoir du juge, se traduisant dans le
dispositif de sa décision (réformation et non pas seulement annu-
lation). Cela est faux si l’on considère le degré de contrôle
(v. p. 143), exprimé dans les motifs, qui peut être aussi appro-
fondi dans le contentieux de l’excès de pouvoir que dans celui
de la réformation.
C’est pourquoi, pour d’autres contestations, est maintenue
la qualification de recours pour excès de pouvoir.
Mais la distinction se relativise de plus en plus si l’on observe
les rapprochements entre les deux types de recours : ils sont l’un
et l’autre objectifs ; dans le recours pour excès de pouvoir, le
juge peut exercer le pouvoir d’injonction qui lui permet, sinon
de substituer sa décision à celle de l’administration, du moins
de lui prescrire celle qu’elle doit prendre ; il peut aussi annuler
une décision en tant qu’elle ne comporte pas une disposition,
c’est-à-dire en réalité y introduire celle-ci (CE 16 déc. 2005,
Groupement forestier des ventes de Nonant), substituer la base
légale adéquate (CE 3 déc. 2003, El Bahi) et même les bons
motifs (CE 6 févr. 2004, Hallal) à ceux qui avaient été retenus
par l’administration. Cela le conduit à refaire l’acte attaqué
presque comme dans le contentieux de la réformation.
Désormais la question de l’uniformisation du recours pour
excès de pouvoir et du recours en réformation des actes admi-
nistratifs unilatéraux est posée (R. Chapus). Elle pourrait être
résolue positivement par la reconnaissance d’un seul et même
nouveau recours contre les actes administratifs unilatéraux.

C - Les contentieux de la déclaration ne sont pas, eux non plus,


homogènes. Mais, au moins, ils se distinguent clairement des
précédents et les uns des autres. Dans tous les cas, ils aboutis-
Droit administratif et contrôle juridictionnel

sent à une décision qui n’est ni d’annulation ni, encore moins, 125
de réformation, mais de reconnaissance de la valeur (ou non-
valeur) ou du sens d’un acte.
Ils sont constitués, selon une sorte de decrescendo, par le
recours en déclaration d’inexistence (1) le recours en apprécia-
tion de la légalité (2), le recours en interprétation (3).
1 - Le recours en déclaration d’inexistence a justement été isolé
par R. Chapus du recours pour excès de pouvoir, même s’il en
apparaît d’abord comme une variante. Comme lui, c’est un
recours objectif, destiné à faire respecter la légalité ; il aboutit,
non pas à l’annulation de l’acte attaqué, mais à la déclaration
qu’il est nul et non avenu ou nul et de nul effet (CE 31 mai 1957,
Rosan Girard*).
La formule est plus sévère que celle de l’annulation car l’illé-
galité de l’acte est plus grave que celle de l’acte simplement illé-
gal.
En cela, il faut distinguer l’acte formellement inexistant (il
n’existe en fait aucun acte) de l’acte matériellement inexistant
(l’acte existe en fait, mais en droit aucune existence ne lui est
reconnue).
Le degré de l’illégalité de l’acte inexistant le rapproche de
la voie de fait dans certains cas (v. p. 104). Il ne lui est pas pour-
tant toujours assimilable (la voie de fait pouvant être une action
et non pas un acte, le degré d’illégalité faisant apparaître l’in-
existence pouvant ne pas atteindre celui de la voie de fait). Même
si l’acte inexistant constitue une voie de fait, il peut toujours
faire l’objet d’un recours en déclaration d’inexistence devant le
juge administratif (TC 27 juin 1966, Guignon).
L’intérêt d’identifier un tel recours, outre la vigueur de la
formule à laquelle il aboutit, est de permettre de l’intenter à
toute époque, sans condition de délai (v. p. 138).
C’est pourquoi l’inexistence juridique n’est reconnue que
dans des hypothèses particulièrement inadmissibles : empiéte-
ments de l’administration sur les attributions d’un juge (Rosan
Girard*), d’un organisme dépourvu d’existence légale sur celles
Droit administratif et juridiction

126 de l’organe compétent (CE 9 nov. 1983, Saerens) ; nominations


de fonctionnaires pour ordre (c’est-à-dire sans affectation réelle :
CE 30 juin 1950, Massonaud).
2 - Le recours en appréciation de la légalité est lié aux limites de
la compétence du juge judiciaire lorsque, à l’occasion d’une
affaire portée régulièrement devant lui, il rencontre une ques-
tion de légalité d’un acte administratif dont la solution com-
mande celle du litige au fond et qu’il ne peut lui-même résoudre
(v. p. 107) : il doit alors surseoir à statuer jusqu’à ce que la juri-
diction administrative, saisie par la partie la plus diligente, ait
donné la réponse.
Il s’agit encore d’un recours objectif, puisqu’il est exclusive-
ment destiné, comme le recours pour excès de pouvoir, à faire
juger que l’acte est illégal.
Mais il ne peut être intenté que par l’une des parties au litige
en cours devant la juridiction judiciaire.
Il peut porter sur un acte qui, comme une circulaire non
impérative, ne serait pas susceptible de faire l’objet d’un recours
pour excès de pouvoir (CE 19 juin 1981, Lesage).
Si l’illégalité est avérée, la décision du juge administratif est,
non pas d’annulation, mais seulement de déclaration de l’illé-
galité. Elle n’a pas, selon le Conseil d’État, l’autorité absolue de
chose jugée.
Mais cette position, qui peut être considérée comme d’au-
tant plus paradoxale qu’elle n’est pas celle de la Cour de cassa-
tion, pourrait évoluer.
L’acte déclaré illégal est au moins écarté dans le procès qui
a donné lieu au recours et atteint d’une fragilité dans les rap-
ports de l’administration avec les tiers, qui peuvent éventuelle-
ment en exiger l’abrogation (CE 3 févr. 1989, Alitalia*).
3 - Le recours en interprétation peut, comme le recours en appré-
ciation de légalité, être un recours incident consécutif au sursis
à statuer d’une juridiction judiciaire rencontrant une question
d’interprétation qu’elle n’est pas compétente pour trancher
(v. p. 107).
Droit administratif et contrôle juridictionnel

Il peut être également un recours principal lorsque l’inter- 127


prétation de l’acte donne lieu à un litige né et actuel dont elle
commande la solution.
Dans les deux cas, le juge se borne à donner le sens de l’acte
sans se prononcer sur sa légalité (mais le sens de l’acte peut être
commandé par sa légalité si l’acte n’est légal qu’en un certain sens).
Le recours en interprétation est considéré comme relevant
de la pleine juridiction, ce qui est abusif dans les termes et dans
le fond : le juge est loin d’exercer la plénitude de ses pouvoirs ;
il reste bien en deçà de ceux qu’il exerce dans tous les autres
recours relatifs aux actes administratifs unilatéraux.
Est-ce parce qu’il peut, comme le recours en appréciation
de la légalité, être exercé à propos d’autres contentieux admi-
nistratifs qu’il doit être rangé dans la même catégorie juridique
qu’eux ?
C’est méconnaître la spécificité que, par leur objet, présen-
tent les différents contentieux des actes administratifs unilaté-
raux et l’hétérogénéité des autres contentieux administratifs.

II - Les autres contentieux administratifs


On se tromperait en voyant dans l’intitulé des présents déve-
loppements un caractère résiduel. Il veut seulement mettre en
évidence l’autonomie du contentieux des actes administratifs
unilatéraux par rapport aux autres. Il ne signifie pas que les
autres soient tous secondaires.
C’est encore la considération de l’acte donnant lieu au litige
qui isole en premier lieu le contentieux contractuel (A). Ensuite,
l’objet pécuniaire du contentieux extracontractuel présente encore
une particularité (B). Des contentieux spéciaux de la réforma-
tion doivent être isolés (C). Enfin le contentieux de la répres-
sion se sépare nettement des autres (D).

A - Le contentieux contractuel oppose les parties à un contrat. Il


est essentiellement subjectif, portant sur les droits dont elles se
prévalent, et relève de la pleine juridiction.
Droit administratif et juridiction

128 Ce n’est pas parce qu’il appartient au plein contentieux que


le juge peut exercer tous ses pouvoirs. Ici encore l’expression est
trompeuse. Elle recouvre quatre hypothèses qu’il faut distinguer
en fonction des pouvoirs du juge.
1 - La première est celle de la déclaration. Elle se dédouble.
Dans un cas, elle porte sur l’interprétation du contrat.
Celle-ci peut être donnée par le juge à l’occasion de tous les
litiges contractuels.
Mais aussi, comme pour les actes administratifs unilatéraux
(v. p. 127), les recours en interprétation des contrats administra-
tifs peuvent être intentés par les parties au contrat, soit à titre
incident, à la suite d’une question préjudicielle posée par une
juridiction judiciaire, soit directement à propos d’un litige né et
actuel.
Dans un second cas, la déclaration porte sur la nullité du
contrat (D. Pouyaud). Elle peut elle-même être prononcée par
le juge du contrat sur renvoi du juge judiciaire.
Le juge du contrat peut aussi y procéder, éventuellement
d’office, à l’occasion d’un litige opposant les parties au sujet de
son exécution (par ex. CE 6 mai 1985, Eurolat Crédit foncier).
Les parties peuvent enfin intenter directement un recours en
déclaration de nullité du contrat qu’elles ont conclu, indépen-
damment de toute autre conclusion (CE 4 mai 1990, Compagnie
industrielle maritime). Le juge n’a pas le pouvoir d’annuler le
contrat, mais seulement d’en constater la nullité. La nuance s’ex-
plique-t-elle parce que l’annulation ne serait possible que dans
le cadre du recours pour excès de pouvoir, exclu en matière
contractuelle ? Cette explication est fausse si l’on observe qu’il
existe des cas d’annulation en dehors du recours pour excès de
pouvoir, et particulièrement en matière contractuelle.
2 - Le contentieux contractuel peut en effet porter sur l’annu-
lation, non du contrat, mais de certaines mesures prises par l’ad-
ministration à l’égard de son contractant.
En principe, le juge du contrat se refuse le pouvoir de les
annuler (elles ne peuvent justifier qu’une indemnité, v. 3). Est-
Droit administratif et contrôle juridictionnel

ce pour éviter le trouble que causerait cette annulation ? Celui 129


qu’entraîne l’annulation d’un acte unilatéral n’est pas moins
grand. Est-ce pour éviter de remettre les parties dans des rela-
tions dont l’administration ne veut plus ? Les exceptions admises
imposent précisément le rétablissement de ces relations. Est-ce
parce que l’annulation d’une décision ne pourrait être pronon-
cée qu’au titre du recours pour excès de pouvoir ? Il existe des
cas d’annulation en dehors de ce recours. On ne trouve en vérité
aucune explication satisfaisante.
Deux séries d’exceptions permettent au juge du contrat de
retrouver un pouvoir d’annulation.
L’une tient à la situation réglementaire à laquelle se rap-
porte le contrat. On en mesure l’importance, sinon avec le conten-
tieux des agents contractuels, qui relève, non du contentieux
contractuel mais de celui de l’excès de pouvoir (CE 25 mai 1979,
Rabut ; 30 oct. 1998, Ville de Lisieux, v. p. 117), mais avec les
contrats conclus entre personnes publiques et portant sur l’or-
ganisation du service public (CE 31 mars 1989, Département de
la Moselle).
L’autre exception concerne, pour les contrats de longue durée
ayant pour objet la réalisation et l’exploitation d’ouvrages nécessi-
tant des investissements importants dont l’amortissement doit être
effectué pendant toute la durée de l’exploitation et comportant pour
le cocontractant des garanties (CE 26 nov. 1971, SIMA), les déci-
sions ayant pour objet de mettre fin définitivement aux relations
contractuelles et seulement elles (CE 9 déc. 1983, SA d’étude, de
participation et de développement).
3 - Les autres mesures ne peuvent donner lieu qu’à un conten-
tieux de la réparation. Celui-ci apparaît comme le contentieux
contractuel de droit commun. C’est à des indemnités que se
réduisent le plus souvent les droits des parties les unes vis-à-vis
des autres et les condamnations prononcées par le juge du contrat.
Elles peuvent l’être à la demande du cocontractant de l’ad-
ministration pour sanctionner ses fautes, ou en contrepartie des
mesures de modification unilatérale ou de résiliation unilatérale
Droit administratif et juridiction

130 qu’elle a pu régulièrement prononcer, ou du déséquilibre pro-


voqué dans l’exécution du contrat par des événements impré-
visibles (v. p. 49).
Elles peuvent l’être à la demande de l’administration contre
son cocontractant lorsqu’elle renonce à son privilège du préa-
lable pour s’en remettre au juge (CE 5 nov. 1982, Propétrol).
4 - Elle ne peut pas y renoncer pour prononcer des sanctions
(CE 27 janv. 1933, Le Loir). Lorsqu’elle les prend, le juge du
contrat ne peut normalement les annuler (2) mais seulement en
réparer les conséquences (3). Il n’y a donc pas en principe de
contentieux de la répression en matière contractuelle.
Il apparaît cependant dans deux hypothèses.
La première provient de l’initiative de la personne privée
ayant conclu le contrat avec l’administration. Si les fautes de
l’administration sont telles qu’elles justifient, non seulement
réparation, mais résiliation du contrat, seul le juge du contrat
peut la prononcer.
La deuxième hypothèse concerne la résiliation, pour faute
du cocontractant, des contrats, comme les concessions de ser-
vice public ou de travaux publics, comportant de la part du
cocontractant des investissements importants: sauf clause contraire,
la déchéance ne peut être prononcée par l’administration elle-
même, mais à sa demande, par le juge du contrat (CE 20 janv.
1905, Compagnie départementale des eaux, Rec. 57, concl. Romieu).
Ainsi le contentieux contractuel comporte toute la palette
des pouvoirs du juge. En cela, c’est bien un plein contentieux.
Mais il ne faut pas s’y tromper : le juge ne peut pas exercer tous
ses pouvoirs dans n’importe quel contentieux contractuel. L’unité
de celui-ci tient au contrat qui en est l’objet. Elle laisse place à
une diversité de solutions selon le type de contrat. Pour l’exé-
cution du contrat, le contentieux contractuel est principalement
indemnitaire.

B - Il rejoint ainsi le contentieux pécuniaire extra-contractuel. Son


objet peut être assez facilement déterminé (1). Il permet de le
Droit administratif et contrôle juridictionnel

distinguer du recours pour excès de pouvoir en matière pécu- 131


niaire (2).
1 - Il s’agit exclusivement de réclamer ou contester le paiement
d’une somme d’argent.
Celle-ci peut être due en vertu des règles de la responsabi-
lité administrative (v. p. 68). La demande est évidemment fon-
dée sur les droits subjectifs du requérant et relève exclusive-
ment du plein contentieux (ce qui ne veut pas dire, une fois de
plus, que le juge puisse prendre une décision autre que pécu-
niaire). Si elle est liée à une imposition, elle doit être présentée
dans le cadre du contentieux fiscal (v. p. 133), non du conten-
tieux indemnitaire (CE 9 oct. 1996, Budget c/ Dangeville).
La somme réclamée peut être due en vertu d’un texte qui
en prévoit l’octroi lorsque certaines conditions sont réunies et,
à ce titre, établit un droit objectif. Si la demande adressée au
juge réclame ou conteste le paiement de la somme due, elle s’in-
sère encore dans la pleine juridiction. Si elle ne va pas jusque-
là, elle reste dans le cadre du recours pour excès de pouvoir.
2 - La jurisprudence en effet, pour faciliter la tâche des admi-
nistrés, leur permet d’exercer un recours pour excès de pouvoir
contre une décision en matière pécuniaire lorsqu’il ne tend qu’à
obtenir l’annulation d’un acte administratif unilatéral et qu’il
n’est fondé que sur la violation de la légalité.
Le Conseil d’État l’a admis pour la première fois à propos
du refus de payer à un officier les avantages prévus par les règle-
ments en vigueur (8 mars 1912, Lafage*). La solution bénéficie
principalement aux agents publics.
Elle peut jouer au profit d’autres requérants. Elle s’applique
non seulement à la décision refusant une somme à laquelle le
requérant prétend qu’un texte lui donne droit (CE 8 mars 1991,
Bodié) mais à celle lui imposant un versement qu’il soutient être
dépourvu de fondement légal (par ex. la disposition d’un per-
mis de construire mettant une contribution à la charge du béné-
ficiaire) ou lui en refusant le remboursement (CE 19 juin 1991,
Meyet).
Droit administratif et juridiction

132 Le requérant a donc le choix entre le recours de plein conten-


tieux (demande de condamnation à payer) et le recours pour
excès de pouvoir (demande d’annulation du refus de payer).
Ce sont les conclusions de la requête et les moyens présen-
tés qui déterminent si elle se situe dans un cadre ou dans l’autre.
Toutefois les risques de détournement du recours pour excès
de pouvoir et des règles de compétence et de procédure qu’il
comporte ont conduit le Conseil d’État à l’écarter dans des hypo-
thèses où il se substituerait indûment à un contentieux qui, essen-
tiellement pécuniaire, ne peut relever que du plein contentieux.
La loi du 31 décembre 1987 sur la réforme du contentieux admi-
nistratif a contribué à resserrer les solutions (D. Pouyaud).
D’une part, la contestation des ordres de recette, après comme
avant leur réforme par un décret du 31 déc. 1992, relève exclu-
sivement du plein contentieux (CE 27 avr. 1988, Mbakam ; 23 déc.
1988, Cadilhac).
D’autre part, lorsqu’un requérant demande à la fois l’an-
nulation de la décision refusant une somme et la condamnation
de l’administration à la payer, il donne à l’ensemble de sa requête
le caractère d’une demande de plein contentieux (CE 7 nov. 1990,
Mme Delfau). Cela n’implique pas que, lorsque le requérant
demande au juge à la fois l’annulation d’un refus de payer et,
en vertu de la loi du 8 février 1995 (v. p. 121 et p. 145), comme
mesure découlant nécessairement de cette annulation, une injonc-
tion à l’administration de prendre la décision de payer, la demande
relève dans son ensemble du plein contentieux, car, même si la
demande d’injonction appartient au plein contentieux, elle n’équi-
vaut pas à une demande au juge de prononcer lui-même la
condamnation à payer : le requérant doit prendre soin à la rédac-
tion de ses conclusions pour qu’elles ne l’entraînent pas entiè-
rement dans le plein contentieux pécuniaire. C’est peut-être un
peu trop subtil pour la moyenne des plaideurs.
Enfin, lorsqu’une décision explicite à objet exclusivement
pécuniaire n’a pas été attaquée dans le délai du recours pour
excès de pouvoir, elle ne peut plus donner lieu à un recours de
plein contentieux (CE 2 mai 1959, Lafon).
Droit administratif et contrôle juridictionnel

Les facilités offertes par la jurisprudence Lafage ne sont donc 133


pas extensibles.

C - Pour relever encore de la pleine juridiction et contester des


mesures qui ont le caractère d’actes administratifs unilatéraux,
d’autres contentieux constituent des contentieux de la réforma-
tion spéciaux par leur objet : le contentieux fiscal (1), le conten-
tieux électoral (2).
1 - Il n’est pas nécessaire de souligner la particularité du conten-
tieux fiscal. Il permet aux contribuables de contester les impôts
qui leur sont réclamés. Pour les impôts directs et les taxes sur
le chiffre d’affaires, il revient aux juridictions administratives
en tant que juges de droit commun des actes et opérations de
puissance publique, dont la fiscalité est une éclatante manifes-
tation. Pour les autres impôts indirects, il appartient aux juri-
dictions judiciaires en vertu de textes anciens.
La procédure contentieuse fiscale comporte un certain par-
ticularisme par rapport à la procédure contentieuse administra-
tive de droit commun.
Arrivée à son terme, elle permet au juge de l’impôt non seu-
lement d’annuler la décision contestée, mais de lui en substituer
une autre, en modifiant le montant de l’impôt réclamé par le
fisc au requérant: c’est par nature un plein contentieux (CE 29 juin
1962, Aciéries de Pompey). Mais il ne va pas plus loin que la
réformation.
C’est pourquoi, permettant seulement à un contribuable de
contester sa propre imposition, non de faire tomber les actes
administratifs qui s’en détachent, ces derniers peuvent être atta-
qués par la voie du recours pour excès de pouvoir (CE 28 févr.
1913, Breil). Cette possibilité est ouverte non seulement contre
les actes réglementaires (CE 16 mars 1956, Garrigou) mais contre
les actes individuels (CE 26 janv. 1968, Maison Genestal), même
si le contentieux de l’imposition proprement dite appartient aux
juridictions judiciaires (TC 17 oct. 1988, Cie méridionale de navi-
gation).
Droit administratif et juridiction

134 2 - Le contentieux électoral connaît semblables dédoublements.


Il n’est pas entièrement confié aux juridictions administra-
tives. Les juridictions judiciaires (en particulier au sujet de l’élec-
tion des représentants du personnel), le Conseil constitutionnel
(pour l’élection présidentielle, les élections parlementaires, le
référendum) ont le leur.
Le juge administratif statue notamment sur les contestations
relatives aux élections municipales, départementales (dites can-
tonales), régionales, européennes.
La procédure à suivre se différencie également de la procé-
dure contentieuse administrative de droit commun.
Elle aboutit le cas échéant, non seulement à l’annulation des
résultats qui ont été proclamés, mais à la proclamation de l’élec-
tion d’une ou plusieurs autres personnes. C’est bien encore du
plein contentieux. Mais il atteint sa limite avec l’inversion des
résultats.
Ici encore les actes administratifs unilatéraux qui s’en déta-
chent peuvent donner lieu à un recours pour excès de pouvoir
(CE 7 août 1903, Chabot), y compris lorsque le contentieux élec-
toral proprement dit appartient aux juridictions judiciaires
(TC 2 juill. 1979, CEA) ou au Conseil constitutionnel (CE 19 oct.
2001, Meyet). Chassé d’un côté, le recours pour excès de pou-
voir réapparaît de l’autre.

D - On va le retrouver encore à propos du contentieux de la


répression.
Pourtant celui-ci est singulier en ce qu’il est dirigé, non
contre l’administration, mais contre les administrés. Il ne sert
plus à la contrôler mais à la protéger.
Ici le juge administratif exerce une fonction analogue à celle
du juge pénal, d’autant plus que celui-ci peut être saisi du même
type de contentieux.
Il s’agit principalement de sanctionner les atteintes à l’inté-
grité ou à l’affectation du domaine public.
Au juge judiciaire est confié depuis 1926 tout le contentieux
des contraventions de voirie routière (art. L. 116 C. voirie rou-
Droit administratif et contrôle juridictionnel

tière). Au juge administratif appartient celui des contraventions 135


de grande voirie (atteintes au domaine public maritime, fluvial,
ferroviaire) dont la spécificité a été reconnue par le Conseil
constitutionnel (87-151, 23 sept. 1987).
Après constatation de l’infraction, le préfet saisit le tribunal
administratif, qui condamne le contrevenant à une amende et
à la réparation des dommages.
Le préfet est tenu d’engager les poursuites. S’il ne le fait pas,
son refus peut donner lieu à un recours pour excès de pouvoir
(CE 23 sept. 1979, Les Amis des chemins de ronde).
Une fois de plus, le recours pour excès de pouvoir peut se
greffer sur un autre contentieux.
En dépit du contournement dont il fait l’objet, voire d’un
certain dépassement, il reste la voie majeure du contentieux
administratif, celle qui conduit le plus généralement au contrôle
de l’administration.

Section 2
Droit administratif et modes de contrôle
Les différentes branches du contentieux administratif, quelles
que soient les décisions qu’elles permettent au juge de prendre,
doivent garantir un contrôle selon des modes appropriés à son
objet. Le droit administratif comporte à cet égard des solutions
contrastées qui, selon les cas, provoquent l’admiration ou l’irri-
tation. Elles ont parfois été condamnées, renforcées, prolongées.
Leurs forces et leurs faiblesses se partagent également dans
deux aspects des modes de contrôle : les procédures (I), la por-
tée du contrôle (II).

I - Droit administratif et procédures de contrôle


Les procédures de contrôle aménagées en droit administra-
tif sont aujourd’hui encadrées par le droit constitutionnel, le
droit communautaire, le droit européen. Elles ont longtemps été
caractérisées par une simplicité qui confinait au simplisme et
Droit administratif et juridiction

136 pouvait déboucher sur l’inefficacité. Les procédures d’urgence


ont dû être réformées (A) ; les autres aspects de la procédure
ont eux-mêmes dû être améliorés (B).

A - Les procédures d’urgence auraient pu constituer le talon


d’Achille du contentieux administratif
La principale d’entre elles, celle du sursis à exécution, allant
contre la règle fondamentale du droit public selon laquelle les déci-
sions administratives sont exécutoires (CE 2 juill. 1982, Huglo),
était trop restrictive. Elle ne pouvait être diligentée contre une
décision de rejet (CE 23 janv. 1970, Amoros) jusqu’à un rever-
sement de jurisprudence de dernière minute (CE 20 déc. 2000,
Ouatah). Elle ne pouvait prospérer qu’en cas de moyen sérieux
de la requête au fond et que si l’exécution devait entraîner des
conséquences difficilement réparables (CE 12 nov. 1938, Moteurs
d’avion).
Son insuffisance a été souvent dénoncée. Elle a conduit des
plaideurs vers les tribunaux judiciaires, qui, sous prétexte de
voie de fait (v. p. 104), ont admis leur compétence pour statuer
en référé sur des mesures administratives. Elle a été comblée
sous l’influence notamment du droit constitutionnel et du droit
administratif.
Le Conseil constitutionnel (23 janv. 1987*) considère le droit
pour le justiciable formant un recours contre une décision… de
demander et d’obtenir, le cas échéant, un sursis à l’exécution de la
décision attaquée comme une garantie essentielle des droits de la
défense.
Le droit communautaire impose aux juridictions nationales
saisies d’un litige le concernant d’écarter les règles nationales
s’opposant aux mesures provisoires (CJCE 19 juin 1990, Fac-
tortame). Mais aussi il ne permet le sursis à exécution d’un acte
national pris en vertu d’un règlement communautaire qu’en cas
de doute sérieux sur la validité de ce règlement, s’il y a urgence
et menace d’un préjudice grave et irréparable, et en prenant
dûment en compte l’intérêt de la Communauté (CJCE 21 févr.
1991, Zuckerfabrick). Il a imposé par des directives recours rela-
Droit administratif et contrôle juridictionnel

tives aux marchés publics l’aménagement de procédures de référé 137


précontractuel, que le législateur a étendues aux conventions de
délégation de service public (ex-art. L. 22 ; art. L. 551-1 et 2
CJA).
De lui-même le législateur a aménagé des procédures spé-
ciales notamment contre les actes des collectivités locales, en
matière d’urbanisme et d’environnement, de communication
audiovisuelle (v. par ex. CE ord. 13 déc. 2004, dans l’affaire Al
Manar).
Le système était ainsi devenu soit inefficace soit complexe.
À l’initiative du Conseil d’État une réforme importante a été
réalisée par la loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les
juridictions administratives, entrée en vigueur le 1er janvier 2001.
Elle ne supprime pas les référés spéciaux. Mais elle donne aux
référés de droit commun une réelle efficacité.
Celle-ci résulte déjà de la possibilité pour le juge des réfé-
rés, à chaque niveau de juridiction (tribunal administratif, cour
administrative d’appel, Conseil d’État selon les cas), de statuer
en juge unique et à l’obligation de statuer dans les meilleurs
délais. Elle tient surtout à l’aménagement de deux procédures
nouvelles.
La première est celle du référé-suspension (art. L. 521-1 CJA)
qui peut accompagner une demande d’annulation ou de réfor-
mation (supra p. 114 et p. 121) d’une décision administrative,
même de rejet. Lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état
d’un moyen propre à créer… un doute sérieux quant à la légalité
de la décision, peut être ordonnée la suspension de celle-ci ou de
certains de ses effets. L’ordonnance rendue à ce titre par un tri-
bunal administratif est rendue en dernier ressort et n’est donc
susceptible que d’un pourvoi en cassation devant le Conseil
d’État. À l’ancien sursis à exécution a été ainsi substitué un
mécanisme plus souple dans ses conditions et plus adapté dans
ses effets. La jurisprudence qui a été rendue à ce titre en est la
preuve (CE 5 mars 2001, Saez* ; 15 févr. 2006, Ban Amestos,
Greenpeace).
Droit administratif et juridiction

138 La seconde procédure, celle du référé-liberté (art. L. 521-2),


est entièrement nouvelle, si ce n’est qu’elle s’inspire à certains
égards du référé devant les juridictions judiciaires. Elle permet
de saisir le juge des référés de toute atteinte grave et manifes-
tement illégale à une liberté fondamentale par une personne
morale de droit public ou par un organisme privé chargé de la
gestion d’un service public (supra, p. 33), pour qu’il ordonne
toutes mesures nécessaires à sa sauvegarde. L’atteinte peut résulter
d’un comportement de fait autant que d’une décision ; la liberté
en cause peut être aussi bien une liberté collective, comme la
libre administration des collectivités locales (CE 18 janv. 2001,
Commune de Venelles*), la liberté de réunion (CE 19 août 2002,
Front national), la liberté de culte (CE 25 août 2005, Commune
de Massat), qu’une liberté individuelle, comme la liberté d’aller
et venir (CE 9 janv. 2001, Deperthes). Le juge peut être saisi
indépendamment de toute autre requête. Il peut non seulement
annuler une décision mais prescrire à l’administration un com-
portement. Il doit se prononcer dans les quarante-huit heures ;
sa décision est susceptible d’appel devant le Conseil d’État dans
les quinze jours.
Très vite après le début de son application, la réforme est
apparue comme une incontestable réussite. Elle est la preuve
des possibilités de rénovation du droit administratif. On peut
observer qu’elle est l’œuvre du législateur et non du juge alors
que traditionnellement le droit administratif est présenté comme
une création du juge. Mais c’est pourtant le Conseil d’État qui
est à l’origine de la loi et qui en a encadré la mise en œuvre. À
cet égard le rôle créateur du juge n’est pas démenti.

B - Il n’est pas exclu des autres aspects de la procédure, dont cer-


tains peuvent seulement être présentés ici : les délais (1) et l’ins-
truction (2).
1 - Les délais à considérer sont ceux des recours et des instances.
Les recours sont normalement enfermés dans les deux mois
suivant la publicité dont doit faire l’objet la décision contestée.
Droit administratif et contrôle juridictionnel

En l’absence de décision, l’intéressé doit en provoquer une par 139


une demande adressée à l’administration : son silence équivaut
en principe à une décision implicite de rejet à l’expiration d’un
délai que la loi du 12 avril 2000 a ramené de quatre à deux
mois ; il peut valoir acceptation dans certains cas (pour lesquels
le délai est parfois porté à quatre ou six mois). La complexité
des solutions a conduit à imposer à l’administration l’obligation
d’informer les intéressés des délais dans lesquels des décisions
se trouvent acquises, ainsi que des délais de recours (décret du
28 nov. 1983, loi du 12 avr. 2000).
Cette exigence devrait remédier à l’extrême complexité du
droit positif que la Cour européenne des droits de l’homme a
dénoncée dans une affaire où le requérant n’a pas bénéficié d’un
droit d’accès direct et effectif au Conseil d’État (16 déc. 1992,
Geouffre de la Pradelle). Voilà qui est vexant pour l’administra-
tion française, son droit, son juge !
Les délais de recours avaient des conséquences sur ceux du
retrait des actes administratifs. Tant que les premiers n’étaient
pas expirés, les seconds pouvaient en principe être retirés pour
illégalité (CE 3 nov. 1922, Dame Cachet). Les excès qu’une appli-
cation systématique du principe a fini par entraîner pour les
actes créateurs de droits a conduit à le remettre en cause, d’abord
partiellement (CE 24 oct. 1997, Mme de Laubier) puis entière-
ment par un découplage du délai de retrait et du délai de recours
(CE 26 oct. 2001, Ternon*) : le premier est de quatre mois à
compter de la décision, alors que le second est de deux mois à
compter de sa publicité. La solution nouvelle, comme la précé-
dente, est marquée par le souci d’assurer la stabilité juridique
et de préserver les droits acquis, tout en laissant la possibilité
de garantir la légalité à la fois par le retrait et par le recours.
Elle est une des manifestations contemporaines du rôle créateur
de la jurisprudence et des facultés d’adaptation du droit admi-
nistratif.
L’expiration du délai de recours n’empêche pas toujours de
remettre en cause un acte. L’exception d’illégalité peut être sou-
levée contre un acte réglementaire. Bien plus, malgré l’expira-
Droit administratif et juridiction

140 tion des délais, l’administration est tenue de faire droit à une
demande d’abrogation d’un acte réglementaire qui est illégal
depuis son origine ou qui l’est devenu par suite de circonstances
nouvelles (CE 3 févr. 1989, Alitalia*), et même d’un acte non
réglementaire non créateur de droits dont le changement de cir-
constances entraîne l’illégalité (CE 30 nov. 1990, Les Verts).
On a là un éclatant exemple de l’étroite relation entre le
fond du droit administratif (les actes) et le contentieux admi-
nistratif (les recours) : à la fois le contentieux a permis de pré-
ciser les règles de fond et les règles de fond se combinent avec
celles du contentieux.
Les délais de l’instance ne font malheureusement pas l’objet
d’une même rigueur ni ne peuvent faire l’objet d’une même
admiration. Les quelques textes qui en imposent au juge n’ont
pas de sanction juridique. La lenteur de la justice administra-
tive a souvent été dénoncée.
Elle l’a été par la Cour européenne des droits de l’homme
à plusieurs reprises, par exemple le 31 mars 1992, parce que, si
la procédure litigieuse n’a duré qu’un peu plus de dix-huit mois
devant le tribunal administratif, elle revêtait une importance
extrême pour le requérant eu égard au mal incurable qui le minait
et à son espérance de vie réduite (SIDA), une diligence exception-
nelle s’imposait en l’occurrence, le tribunal n’a pas utilisé ses pou-
voirs d’injonction pour presser la marche de l’instance.
Les réformes successives du contentieux administratif, la
création de nouvelles juridictions (TA, CAA), l’extension des
compétences du juge unique, l’accroissement des moyens et un
réel effort de « productivité » ont sensiblement raccourci les
délais de jugement. L’afflux des recours pourrait malheureuse-
ment inverser la tendance.
2 - L’instruction présente des particularités propres au droit
administratif. La procédure y est inquisitoire autant que contra-
dictoire.
Elle est sans doute à la fois une des meilleures illustrations
de la spécificité du droit administratif et une des meilleures jus-
Droit administratif et contrôle juridictionnel

tifications de l’existence de la justice administrative : le juge, 141


parce qu’il est lié à l’administration en tant qu’administratif et
qu’il s’en distingue en tant que juge, peut surmonter ses résis-
tances pour la juger.
Il détient non seulement les pouvoirs de direction de l’ins-
truction (CE 26 sept. 1986, Blankaert) mais des pouvoirs d’in-
jonction qu’il a refusé de se reconnaître au fond en l’absence de
loi (v. p. 144).
Il lui appartient d’exiger de l’administration compétente la pro-
duction de tous documents susceptibles d’établir (sa) conviction et
de permettre la vérification des allégations des requérants (CE 28 mai
1954, Barel*).
Bien plus, il peut lui demander les raisons de fait et de droit
qui ont motivé la décision contestée (CE 26 janv. 1968, Maison
Genestal).
Cela permet d’en approfondir le contrôle.

II - Droit administratif et portée du contrôle


Les instruments de contrôle que le droit administratif met
à la disposition du juge n’ont d’intérêt que s’ils permettent de
censurer efficacement l’administration. Or la portée du contrôle
n’est pas uniforme : le degré du contrôle est inégal (A), l’issue
du contrôle peut être difficile (B).

A - Le degré du contrôle n’est pas principalement fonction des


différentes branches du contentieux administratif. Celles-ci dis-
tinguent les pouvoirs du juge dans la décision qu’il prend, non
le degré du contrôle du juge pour prendre sa décision. Certes
c’est dans le recours pour excès de pouvoir qu’on le mesure plus
précisément. Mais on peut aussi bien l’identifier dans d’autres
contentieux.
Il faut examiner le degré de constance (1) et le degré de pro-
fondeur du contrôle (2).
Droit administratif et juridiction

142 1 - Le degré de constance identifie les éléments qui sont tou-


jours contrôlés et ceux qui le sont seulement dans certains cas.
Le juge administratif contrôle toujours le respect par l’ad-
ministration des règles de compétence, de forme, de procédure
et de fond qui s’imposent à elle, des buts qu’elle doit poursuivre,
l’exactitude matérielle des faits et les motifs de droit sur les-
quels elle se fonde.
En revanche d’autres contrôles ne sont pas constamment
exercés. Même l’erreur manifeste d’appréciation ne peut pas tou-
jours être examinée. A fortiori la qualification juridique des faits,
l’adéquation du contenu de la décision aux faits ne le sont pas
toujours non plus.
Ces limites s’expliquent par le pouvoir discrétionnaire de l’ad-
ministration (v. p. 68).
Il reste à justifier pourquoi et déterminer dans quels cas un
tel pouvoir lui est reconnu ou refusé.
Il n’existe pas de bonne réponse. On peut en trouver une
dans l’imprécision des textes, qui laisse toute latitude à l’admi-
nistration : mais certains textes précis n’empêchent pas le juge
d’admettre un pouvoir discrétionnaire, d’autres, vagues, d’exer-
cer un contrôle rigoureux. On peut considérer la technicité d’une
matière, dans laquelle le juge ne veut pas s’immiscer ; elle ne
l’empêche pas parfois de procéder à des investigations. On observe
que les atteintes aux libertés suscitent la vigilance du juge ; elles
peuvent le laisser sur la réserve.
L’absence de critère exact se confirme si l’on observe que
des domaines du pouvoir discrétionnaire ont pu passer dans
celui de la compétence liée et donc corrélativement basculer sous
le contrôle du juge (CE 2 nov. 1973, Librairie Maspéro ; 9 juill.
1997, Association EKIN*), notamment sous l’impulsion de la
CEDH (17 juill. 2001, Association EKIN).
La vérité est que le droit administratif révèle ici, comme
ailleurs (D. Lochak, P. WeiI), une politique jurisprudentielle
comportant toute une gamme subtile et nuancée de contrôles adap-
tés aux possibilités du juge et à ce qui lui paraît être les besoins du
moment (R. Odent).
Droit administratif et contrôle juridictionnel

Ce n’est pas très satisfaisant d’un point de vue théorique. 143


C’est très réaliste d’un point de vue pratique.
2 - Le degré de profondeur du contrôle juridictionnel peut appa-
raître aussi bien dans les contrôles constants que dans ceux qui
ne le sont pas.
Parmi les premiers, celui de l’erreur de fait doit être parti-
culièrement souligné (CE 14 janv. 1916, Camino*), car même si
l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire, elle ne
peut se fonder sur des faits inexacts (CE 20 janv. 1922, Trépont).
Celui du détournement de pouvoir est audacieux, car, même si
l’administration a le pouvoir, en soi, de prendre une décision,
celle-ci est viciée par le but qu’elle poursuit, étranger à l’intérêt
général ou même seulement à celui que la loi permettait de
poursuivre (CE 26 nov. 1875, Pariset*) : le juge exerce à ce sujet
un contrôle, non plus objectif, mais subjectif, portant sur les
intentions de l’administration (CE 24 juin 1960, Frampar*).
La profondeur du contrôle exercé dans d’autres cas explique
que le juge ne veuille pas toujours y procéder.
Il entreprend celui de la qualification juridique des faits qui
constituent les motifs de l’acte lorsque seule elle est de nature
à le justifier (CE 4 avr. 1914, Gomel*). Il l’a particulièrement
renforcé avec la théorie du bilan, grâce à laquelle il pèse les
avantages et les inconvénients d’une décision pour déterminer
si elle pouvait être légalement prise (CE 28 mai 1971, Ville Nou-
velle Est*).
Du contrôle des motifs il passe ainsi à celui du contenu de
la décision. En certaines matières (notamment la police, v. p. 43),
il vérifie si le dispositif est exactement adapté aux circonstances
de temps et de lieu. Le contentieux de la réformation comporte
un tel contrôle par lui-même puisqu’il permet le cas échéant au
juge de substituer sa propre décision à celle de l’administration.
Même lorsque le juge refuse en principe de contrôler la qua-
lification juridique des faits ou le contenu de la décision, il
réserve le plus souvent l’hypothèse de l’erreur manifeste d’ap-
préciation, commise tantôt dans les motifs (CE 2 nov. 1973,
Droit administratif et juridiction

144 Librairie Maspero) tantôt dans le dispositif (CE 9 juin 1978,


Lebon), et qu’il censure comme révélant, au-delà du pouvoir
discrétionnaire, l’arbitraire du pouvoir.
La gifle qu’il lui inflige alors peut constituer à elle seule une
sanction dont l’efficacité n’appelle pas d’autres mesures.

B - L’issue du contrôle ne trouve cependant pas toujours dans les


termes du jugement ou de l’arrêt une solution suffisante. Il faut
y ajouter d’autres dispositifs.
Ceux du droit commun ne peuvent jouer.
Les voies d’exécution ne peuvent être diligentées contre les
personnes publiques, y compris lorsqu’elles exercent une acti-
vité industrielle et commerciale (Cass. 21 déc. 1987, BRGM*).
Des mécanismes spéciaux ont dû être inventés : les uns sont
contentieux (1), les autres, non contentieux (2).
1 - Les mécanismes contentieux font intervenir le juge. Sa réserve
a dû être levée par le législateur.
Elle s’est constamment manifestée par le refus d’adresser des
injonctions à l’administration. Le juge judiciaire peut le faire en
cas de voie de fait (v. p. 104). Le juge administratif le fait dans
le cadre de l’instruction (v. p. 140), ainsi qu’à l’égard des par-
ties privées (CE 13 juill. 1956, HLM de la Seine). Mais il consi-
dérait classiquement qu’il n’a pas qualité pour adresser des
injonctions à une autorité administrative (CE 4 févr. 1976, Elis-
sonde), y compris quand elle a le statut de personne privée
(CE 4 nov. 1983, Noulard).
Cette attitude pouvait être rattachée au principe de sépara-
tion de la fonction juridictionnelle et de l’administration active
(v. p. 122). Elle résultait surtout d’une autolimitation du juge
administratif, qui ne voulait pas aller trop loin. Car, étrangère
au pouvoir du juge, l’injonction, pourquoi le serait-elle ? (J. Rivero,
F. Moderne). Déjà, on trouve des contentieux où, par la réfor-
mation (v. p. 121), le juge fait œuvre d’administration. L’in-
jonction prolonge la juridiction. Elle n’est pas acte d’adminis-
tration.
Droit administratif et contrôle juridictionnel

C’est la loi qui a permis aux juridictions administratives de 145


la prononcer. Elle l’a fait en deux étapes.
D’abord celle du 16 juillet 1980 a donné aux bénéficiaires
de leurs décisions, en cas d’inertie de l’administration pendant
un certain délai (aujourd’hui trois mois) ou, en cas d’urgence,
sans délai, la possibilité de saisir le Conseil d’État pour qu’il
prononce à l’encontre de cette administration une astreinte la
forçant à l’exécution. L’astreinte est prononcée par la Section
du contentieux si les démarches entreprises par la Section du
rapport et des études restent infructueuses. Elle l’a été effecti-
vement (CE 17 mai 1985, Mme Menneret*), y compris pour obli-
ger l’administration à saisir le juge judiciaire (CE 7 oct. 1994,
Ép. Lopez, v. p. 118).
La loi du 8 février 1995 a élargi la solution de deux manières :
elle étend le pouvoir d’injonction, assorti d’astreinte, aux tribu-
naux administratifs et aux cours administratives d’appel ; elle
permet de l’exercer dans la décision même qui statue sur le
recours, et non pas seulement à l’expiration d’un certain délai
après qu’elle a été rendue (art. L. 911-1 et s. CJA).
Cette révolution juridictionnelle a immédiatement produit
ses effets (CE 26 mai 1995, Etna). Son importance apparaît
avec l’exemple d’injonctions adressées au Premier ministre de
prendre un décret (CE 26 juill. 1996, Association lyonnaise de
protection des locataires). L’attribution du pouvoir d’injonction
au juge administratif a contribué à rénover la technique des
arrêts et à approfondir le contrôle juridictionnel. Sont ainsi
prononcées des annulations en tant qu’un acte comporte une
omission, formulées dans les motifs les obligations auxquelles
renvoie le dispositif (CE 29 juin 2001, Vassilikiotis ; 27 juill.
2001, Titran), déterminés les principes en application desquels
le gouvernement devra modifier des réglementations dans un
délai raisonnable (CE 28 juin 2002, Villemain), modulés dans
le temps les effets d’une annulation (CE 11 mai 2004, Associa-
tion AC !*) – v. supra, p. 120).
On ne peut plus dénoncer l’impuissance du juge adminis-
tratif.
Droit administratif et juridiction

146 2 - Certaines modalités extra-contentieuses qu’ont aménagées


d’autres textes paraissent aujourd’hui d’un moindre intérêt,
comme la saisine du Médiateur de la République pour qu’il
enjoigne lui-même à l’administration d’exécuter une décision de
justice passée en force de chose jugée (L. 3 janv. 1973).
Mais reste intacte l’efficacité du dispositif aménagé par la loi
du 16 juillet 1980 pour l’exécution des décisions passées en force
de chose jugée rendues par des juridictions aussi bien judiciaires
qu’administratives et condamnant une personne publique au
paiement d’une somme d’argent (art. L. 911-9 CJA) : passé un
délai de quatre mois, le bénéficiaire de la décision peut saisir
directement le comptable public d’une demande de paiement si
c’est l’État qui a été condamné, ou les autorités de contrôle ou
de tutelle si c’est une collectivité locale ou un établissement public
qui l’a été. L’unité de l’État se révèle particulièrement par ses
pouvoirs et ses devoirs à faire respecter par les collectivités locales
l’autorité de chose jugée (CE 18 nov. 2005, Société fermière de
Campoloro).
Ces procédures ne couvrent pas toutes les hypothèses. La
carence des autorités qu’elles font intervenir ne peut être exclue.
Elle peut être sanctionnée par de nouveaux recours, soulevant
encore des difficultés d’exécution : le contentieux peut nourrir
le contentieux.
De telles extrémités sont pourtant improbables.
Normalement, l’administration finit par se soumettre aux
juridictions.
Droit administratif et contrôle juridictionnel

Lire aussi 147

- Auby J.-M. et Drago R., Traité des recours en matière administrative,


Litec, 1992
- Laferrière E., Traité de la juridiction administrative, 1re éd., 2 vol.,
1887-1888, Réimpr. LGDJ, 1989
- Chapus R., Droit du contentieux administratif, Montchrestien,
12e éd., 2006
- Daël S., Contentieux administratif, PUF, coll. « Themis », 2006
- Pacteau B., Contentieux administratif, PUF, coll. « Droit
fondamental », 7e éd., 2005
- Bailleul D., L’efficacité comparée des recours pour excès de pouvoir
et de plein contentieux objectif en droit public français, LGDJ, 2002
- Melleray F., Essai sur la structure du contentieux administratif français,
LGDJ, 2001
- Heilbronner A., « Recours pour excès de pouvoir et recours
de plein contentieux », D., 1953, chron. 183
- Rivero J., « Le Huron au Palais-Royal, ou réflexions naïves
sur le recours pour excès de pouvoir », D., 1962, chron. 37
Conclusion

La réputation du droit administratif a pu être un temps com-


promise. Elle doit être rétablie. Ce n’est pas seulement pour le
jeu intellectuel auquel il prête, car il n’est pas fait pour le plai-
sir des rhéteurs, mais pour le bon ordre de l’administration et
la protection des administrés. L’essentiel est qu’il réponde aux
besoins des personnes, tant publiques que privées, pour lesquels
il a été conçu. Or tel est bien le cas aujourd’hui.
L’organisation administrative est encadrée, l’action admi-
nistrative est délimitée, la justice administrative est rendue. La
légalité administrative s’est enrichie, la responsabilité adminis-
trative s’est étendue, le contentieux administratif s’est renforcé.
Ce n’est pas dire que tout soit satisfaisant. Des améliorations
sont toujours possibles, voire nécessaires.
L’une doit porter sur l’accès au droit administratif.
Le Conseil constitutionnel (16 déc. 1999) a fait de l’acces-
sibilité et de l’intelligibilité de la loi un objectif de valeur consti-
tutionnelle et donné ainsi son appui à l’œuvre de codification.
Cela vaut pour le droit en général et pour le droit adminis-
tratif en particulier. La codification en matière administrative
s’est illustrée particulièrement pour la justice administrative
(2000) et à propos du domaine, qu’elle traite désormais essen-
tiellement comme un objet de propriété (Code général de la
propriété des personnes publiques, 2006). Elle n’a pas encore
englobé l’administration dans son ensemble ni même pour sa
procédure non contentieuse : l’entreprise se heurte à des diffi-
Conclusion

150 cultés et des résistances (P. Gonod) ; car le développement du


droit administratif a conduit à un perfectionnement dont les
meilleurs ouvrages (R. Chapus) rendent compte dans toutes
ses subtilités, mais ces subtilités mêmes peuvent conduire au
découragement. Elles ne sont pas dues seulement à la juris-
prudence, le législateur y a sa part. Lorsque ses textes sont
codifiés, la facilité de leur consultation n’exclut pas la compli-
cation, comme le montre en particulier le Code général des
collectivités territoriales. Le relais de la jurisprudence par la
loi et de la loi par le code n’est pas nécessairement facteur de
simplification. Ce n’est pas le contenant mais le contenu qui
compte. Il appartient au législateur autant qu’au juge de le
clarifier.
Il appartient aux professeurs aussi de le faire : à ceux qui
en font leur domaine en ne s’enfermant pas dans des abstrac-
tions incompréhensibles ; aux autres en n’incitant pas à une
indifférence voire à une hostilité qui ne sont que le reflet de
leur ignorance. Le droit des affaires est aujourd’hui l’objet
d’une attirance à laquelle nombre d’étudiants succombent. C’est
les tromper que de le leur enseigner sans leur parler de droit
administratif : le droit des contrats administratifs, le droit du
domaine public, le droit des travaux publics, pour ne retenir
que des matières spéciales, sont autant du droit des affaires
que le droit des sociétés ou le droit de la concurrence, et le
droit de la concurrence est lui-même intégré au droit admi-
nistratif.
D’autres progrès concernent le contenu du droit adminis-
tratif.
L’esprit de domination qui l’a animé pendant longtemps a
reculé devant celui de protection. C’est bon pour les libertés, ce
ne l’est pas nécessairement pour la cité. L’accumulation des
garanties peut conduire à l’inertie, la multiplication des procé-
dures accroît les risques d’illégalité. Trop d’entraves conduisent
au blocage. Or l’administration doit agir, non pas pour elle-
même, mais pour autrui. Bridée à l’excès, elle ne peut plus agir :
ce n’est pas tant elle-même que ses destinataires qui finissent
Conclusion

par en souffrir. Il faut chercher un équilibre entre ce qui est 151


nécessaire à elle autant qu’aux autres.
Faut-il aussi modifier la justice administrative ? Elle a beau-
coup changé au cours des dernières années : la création de cours
administratives d’appel, l’attribution du pouvoir d’injonction au
juge administratif, la réforme des procédures d’urgence ont com-
blé des insuffisances dont ses membres avaient eux-mêmes
conscience. La Cour européenne des droits de l’homme conduit
à revenir sur certains aspects, parfois exagérément comme pour
le commissaire du gouvernement, dont la place dans la juridic-
tion administrative a contribué aux progrès de la jurisprudence
administrative (7 juin 2001, Kress* ; 12 avr. 2006, Martinie).
Certaines juridictions administratives restent surchargées et
n’arrivent pas à combler leur retard, au risque de nouvelles
condamnations de l’État par la Cour européenne voire par le
juge administratif lui-même (CE 28 juin 2002, Magiera). Le phé-
nomène n’est pas propre à l’ordre administratif. La Cour de cas-
sation le déplore autant pour l’ordre judiciaire que le Conseil
d’État pour le sien. Comme l’on dit, c’est un phénomène de
société, qui tient autant au développement du droit, mais ni spé-
cialement ni seulement du droit administratif, qu’à celui de la
volonté du chacun de défendre ses droits.
La solution est liée au statut de la justice en général. Les
tâtonnements successifs ne permettent pas de faire l’économie
d’une réflexion d’ensemble, au sein de laquelle la justice admi-
nistrative doit garder toute sa place. Ce n’est certainement pas
en la déchargeant au profit de la justice judiciaire que le sys-
tème pourra être sauvé : on perdrait de la première son adap-
tation à l’administration, on accroîtrait l’encombrement de la
seconde. Mieux vaut concevoir, soit pour de petits litiges soit
même pour de grands, des mécanismes (qu’il n’est pas néces-
saire, en massacrant la langue française, de qualifier d’ « alter-
natifs ») fonctionnant dans un premier temps hors de la juri-
diction administrative tout en lui laissant ensuite une indispensable
possibilité de contrôle.
Conclusion

152 La « crise » du droit administratif est dépassée. S’il existe


une crise aujourd’hui, ce n’est pas celle de ce droit, mais plus
généralement de la société, dont le droit est l’expression. Le droit
administratif peut contribuer à la résoudre.

Malause, août 2006


Index alphabétique
A Bilan (contrôle du) > 143.
Branches du contentieux > 112 et s.
Abrogation > 140.
Acte administratif > 50, 95, 114 et s. C
Acte de gouvernement > 22, 67, 69, 116.
Acte détachable > 117. Chambres professionnelles > 30.
Acte faisant grief > 116. Chef de l’État > 16, 19, 40.
Action administrative > 37 et s. Chef de service > 16.
Adaptation constante > 51. Chef du gouvernement > 16, 19.
Administration > 5, 11 et s. Chose jugée, v. Autorité de –.
Administration décentralisée > 23. Circonscription administrative > 17.
Administration d’État > 14 et s. Circonstances exceptionnelles > 68.
Agence > 16, 18, 30, 31. Circulaires > 118.
Agent public > 14, 35, 52, 53. Clauses exorbitantes du droit commun
Annulation > 2, 114 et s., 128. > 52.
Appréciation de la légalité > 107, 126. Code civil > 3, 69, 70, 79.
Arbitrage > 32. Code de justice administrative > 101.
Assemblées parlementaires > 18. Code pénal > 92, 108.
Autorisation de plaider > 123. Collectivités d’outre-mer > 23, 26.
Autorité administrative > 16, 35. Collectivités territoriales > 23 et s.
Autorité administrative indépendante Commission des opérations de bourse
> 17, 122. > 18, 108.
Autorité de chose jugée > 90, 120, 121. Commission de régulation de l’énergie
Autorité de régulation > 109.
des communications électroniques Communes > 23 et s.
> 18, 109. Compétence juridictionnelle > 81 et s.
Autorité judiciaire > 96. Concession de service public > 49.
Autorité des marchés financiers > 18, 109. Concurrence > 63, 64.
Astreinte > 117, 145. Conflit positif et négatif > 88 et s.
Conseil constitutionnel > 56, 90, 92.
Conseil de la concurrence > 17.
B Conseil d’État > 3, 81, 83, 100.
Banque de France > 28, 29, 31, 32. Conseil général > 25.
Bases constitutionnelles > 15. Conseil municipal > 25.
Index alphabétique

154
Conseil régional > 25. Déclaration de 1789 > 56, 60.
Conseil supérieur de l’audiovisuel > 17, Déféré préfectoral > 114, 117.
122. Degré de contrôle > 141 et s.
Conseils de préfecture > 100. Délais de l’instance et de recours
Consommation > 2. > 138 et s.
Constitution > 21, 56. Délégation de service public > 49.
Contentieux administratif > 111 et s. Déni de justice > 89.
Contentieux contractuel > 127. Départements > 23 et s.
Contentieux électoral > 134. Détournement de pouvoir > 143.
Contentieux fiscal > 133. Directive > 118.
Contentieux objectif > 113, 119, 121. Domaine privé > 103.
Contentieux pécuniaire > 130 et s. Domaine public > 13, 32, 35, 53, 134.
Contentieux subjectif > 113. Droit civil > 4.
Continuité du service public > 51. Droit communautaire > 4, 34, 47, 52,
Contrat administratif > 13, 32, 35, 49.
70, 87, 136.
Contrat de droit privé > 35, 87, 103-104.
Droit constitutionnel > 14, 27, 31, 37,
Contravention > 92.
40, 46.
Contravention de voirie, de grande voirie
Droit européen > 1, 115, 121.
> 134-135.
Droit international > 14.
Contreseing > 19, 21.
Droit pénal > 2, 63, 64.
Contrôle juridictionnel > 67, 111 et s.
Droit privé > 27, 31, 35, 63, 64, 102.
Convention européenne des droits
de l’homme > 115. Droits de la défense > 59, 60.
Conventions de délégation de service
public > 49. E
Conventions internationales, v. Traités
Égalité > 59, 60.
internationaux.
Égalité devant le service public > 50-51,
Corse > 23, 25.
59.
Cour d’appel de Paris > 109, 122.
Égalité devant les charges publiques
Cour de cassation > 81, 91.
> 69, 73.
Cour des comptes > 112.
Élèves > 108.
Cours administratives d’appel > 101.
Élections > 93.
Emprise > 105.
D Entreprises publiques > 29.
Décentralisation > 23 et s. Erreur de fait > 143.
Décision exécutoire > 136. Erreur manifeste > 142, 143.
Déclaration (contentieux de la) > 124 et s., Établissement d’utilité publique > 29.
128. Établissements publics > 28 et s., 48.
Index alphabétique

155
État > 14 et s. Intérêt pour agir > 118 et s.
État débiteur > 98. Interprétation > 107, 126.
État de droit > 54.
Exception d’illégalité > 107, 126, 139. J
Excès de pouvoir, v. Recours pour excès
de pouvoir. Juridiction administrative > 5, 79 et s.
Exécutif > 6, 14, 15. Juridiction judiciaire > 102 et s.
Exécution des décisions de justice > 74, Jurisprudence > 4, 62.
114. Justice déléguée > 83.
Exécution forcée > 104. Justice retenue > 83.
Expropriation > 105.
L
F
Légalité > 54 et s.
Faute > 2, 70. Liaison de la compétence et du fond
Faute de service > 71. > 93, 106.
Faute personnelle > 71, 76. Liberté individuelle > 64, 106.
Fisc > 72, 77. Libertés > 42.
Loi > 58.
G Loi de pays > 26.
Garantie sociale > 74. Loi du pays > 26.
Gestion privée > 31, 102.
Gestion publique > 102. M
Gouvernement > 14, 15, 16, 22.
Maire > 25.
Gouvernement démissionnaire > 20.
Marchés publics > 34, 87.
Grève > 51, 56.
Groupements de collectivités locales > 24. Médiateur > 17.
Groupements d’intérêt public > 28, 31, 32. Mesure d’ordre intérieur > 118.
Ministre-juge > 83.
Ministres > 16, 19, 21.
I
Modulation > 120, 145.
Imprévision > 49. Motifs de droit > 142.
Indépendance de la juridiction
administrative > 86. N
Inexistence > 125.
Injonction > 2, 144 et s. Non-rétroactivité > 59.
Instruction > 140 et s. Nouvelle-Calédonie > 26.
Intérêt général > 7, 45. Nullité (du contrat) > 128.
Index alphabétique

156
O Principes du droit public > 97.
Principes fondamentaux reconnus
Opportunité > 67, 119. par les lois de la République > 42,
Ordre public > 38 et s. 56, 94-95.
Ordres de juridiction > 81 et s. Principes généraux du droit > 19, 59
Ordres professionnels > 34. et s.
Organes délibérants > 25. Principes particulièrement nécessaires
Organisation administrative > 13 et s. à notre temps > 42, 56.
Organisation du service public > 50, 99. Privilèges de l’administration > 5.
Organismes privés > 33 et s., 50. Procédure contentieuse > 135 et s.
Propriété (atteinte à la) > 105.
P Puissance publique > 3, 6, 35, 95, 98-99,
100.
Parlement > 18, 115.
Personnes privées > 33 et s., 48. Q
Personnes publiques > 24, 28 et s.
Plein contentieux > 112, 132. Qualification juridique des faits > 143.
Pleine juridiction > 112-113. Qualité pour agir > 118.
Police > 34, 38 et s., 72, 143.
Police administrative > 38. R
Police judiciaire > 38.
Recours pour excès de pouvoir > 114 et s.,
Polynésie > 23.
131, 133, 134, 135.
Poursuites > 38, 135. Référé > 2, 137 et s.
Pouvoir discrétionnaire > 65, 68, 142. Régie > 48.
Pouvoirs adjudicateurs > 34. Région > 23.
Pouvoir du juge > 112 et s. Règlement > 20, 58.
Pouvoir exécutif > 14, 15. Régulation > 4.
Pouvoir législatif > 22. Référendum > 93.
Pouvoir réglementaire > 19, 20. Réformation > 2, 121, 133.
Préambule de la Constitution > 56. Réparation > 129.
Préfets > 3, 17. Répression > 130, 134.
Premier ministre > 21, 40. Responsabilité > 68 et s.
Prérogatives de puissance publique, Responsabilité pour faute > 70.
v. Puissance publique. Responsabilité sans faute > 72.
Président de la République > 19, 21. Retrait > 2, 139.
Président du Conseil > 16. Rétroactivité > 120.
Principes de valeur constitutionnelle Révolution > 3.
> 59 et s. Risque > 72.
Index alphabétique

157
S Substitution de base légale, de motifs
> 124.
Sécurité juridique > 2, 62. Sursis à exécution > 136.
Séparation de la juridiction
administrative et de l’administration T
active > 122. Traités internationaux > 57.
Séparation des autorités administratives Travail public > 13, 35.
et judiciaires > 3, 82, 86, 95. Tribunal des conflits > 3, 88.
Séparation des pouvoirs > 83, 84, 86. Tribunaux administratifs > 101.
Service public > 3, 6, 30, 35, 44 et s.,
96, 98. U
Service public de la justice > 108. Urgence (procédures d’–) > 136 et s.
Services déconcentrés > 16. Usagers > 53, 118.
Services extérieurs > 16.
Services publics administratifs > 46 et s., V
52. Validation > 115, 121.
Services publics industriels Véhicules (accidents de) > 69, 106.
et commerciaux > 46 et s., 53, 103. Voie de fait > 104.
Silence de l’administration > 139. Voies d’exécution > 32, 144.
Table des matières
Abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

Première partie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Droit administratif et administration
Chapitre I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Droit administratif et organisation administrative
- Section 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
Droit administratif et administration d’État
— I. Le statut administratif de l’administration d’État . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
— II. Les aspects constitutionnels de l’administration d’État . . . . . . . . . . 21
- Section 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Droit administratif et administration décentralisée
— I. Droit administratif et collectivités territoriales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
— II. Droit administratif et personnes publiques spécialisées . . . . . . . . . 28
— III. Droit administratif et organismes de droit privé . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

Chapitre II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
Droit administratif et action administrative
- Section 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
Droit administratif et objet de l’action administrative
— I. Droit administratif et police . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
— II. Droit administratif et services publics . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
- Section 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
Droit administratif et limites de l’action administrative
— I. Droit administratif et légalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
— II. Droit administratif et responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
Table des matières

160 Seconde partie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

Droit administratif et juridiction


Chapitre I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Droit administratif et compétence juridictionnelle
- Section 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Droit administratif et pluralité d’ordres de juridiction
— I. Droit administratif et fondements
de la pluralité de juridictions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
— II. Droit administratif et inconvénients
de la pluralité de juridictions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
- Section 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
Droit administratif et compétence de chaque ordre de juridiction
— I. Droit administratif et compétence
de la juridiction administrative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
— II. Droit administratif et compétence
de la juridiction judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
Chapitre II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
Droit administratif et contrôle juridictionnel
- Section 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
Droit administratif et contentieux juridictionnel
— I. Le contentieux des actes administratifs unilatéraux . . . . . . . . . . . . . . . 114
— II. Les autres contentieux administratifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
- Section 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Droit administratif et modes de contrôle
— I. Droit administratif et procédures de contrôle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
— II. Droit administratif et portée du contrôle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149

Index alphabétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153


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La common law, A. J. Bullier
La commune, J.-C. Douence
Le Conseil constitutionnel, H. Roussillon
Le Conseil d’État, D. Latournerie
Le contentieux administratif, J. Viguier
Le contrat. Droit des obligations, J.-L. Aubert
Le contrat de vente, P. le Tourneau
Les conventions et accords collectifs, P.-H. Antonmattei
La Cour de cassation, Y. Chartier
La Cour européenne des droits de l’homme, J.-P. Marguénaud
La Cour de justice des Communautés européennes, J. Boudant
La déontologie de l’avocat, J.-J. Taisne
La déontologie des magistrats, G. Canivet, J. Joly-Hurard
La directive européenne, D. Simon
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Le droit, P. Jestaz
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Le droit des cultes, J. Volff
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Le droit européen des affaires, J. Vogel, L. Vogel
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Le droit de la langue française, J.-M. Pontier
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Le droit des organisations internationales, D. Dormoy
Le droit pénal, M.-L. Rassat
Le droit des personnes, T. Garé
Le droit du travail, P.-Y. Verkindt
Les droits de l’enfant, F. Gisserot
Les droits de l’homme, P. Wachsmann
L’égalité des sexes, F. Dekeuwer-Défossez
L’État, J. Chevallier
La filiation, J. Hauser
Les finances publiques, M. Lascombe, X. Vandendriessche
La fonction publique, J.-F. Lachaume
Histoire du droit, J. Bart
L’impôt, C. Schmidt
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Introduction au droit douanier, C. J. Berr, H. Trémeau
Introduction au droit fiscal, P. Serlooten
La laïcité, C. Durand-Prinborgne
Les libertés de communication, J. Georgel
La loi, B. Mathieu
Le mariage, J.-J. Lemouland
Le permis de construire, J. Morand-Deviller
Philosophie du droit, B. Frydman, G. Haarscher
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Les principes de l’urbanisme, H. Charles
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La protection des libertés en France, P. Rolland
Les régimes matrimoniaux, D. Martin
La région, M. Verpeaux
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Le service public, P. Esplugas
Les sources du droit, P. Jestaz
Le système politique des relations internationales, M. Gounelle
Le terrorisme, Y. Mayaud
Théorie générale du droit, É. Millard
Conception graphique : Atelier 33
6, rue Béranger
92240 Malakoff

PHOTOCOMPOSITION : SARL SAINT-CYR COMPO - CAHORS (LOT)


Droit administratif 4 BE 2/10/06 15:28 Page 1

Connaissance

Pierre Delvolvé
du droit
LE DROIT
ADMINISTRATIF
La réputation du droit administratif a pu être un temps compromise.
Elle doit être rétablie car il répond à son objet : le bon ordre de l’admi-
nistration et la protection des administrés. Pierre Delvolvé
L’organisation administrative est encadrée, l’action administrative est
délimitée, la justice administrative est rendue. La légalité administrative
s’est enrichie, la responsabilité administrative s’est étendue, le conten- LE DROIT

LE DROIT ADMINISTRATIF
tieux administratif s’est renforcé.
Des réformes récentes ont notamment accru les pouvoirs de la juridic-
tion administrative et l’efficacité de son intervention, notamment en
ADMINISTRATIF
urgence. L’amélioration des relations entre administration et adminis-
trés est constamment recherchée tant par le juge que par le législateur.
Le droit administratif ne constitue pas cependant un tout explosif.
Le droit constitutionnel, le droit international, le droit communautaire,
le droit européen contribuent à son évolution, voire à son enrichisse- 4e édition
ment. Si la jurisprudence administrative est peut-être moins qu’autre-
fois la source principale du droit administratif, elle continue à l’enrichir.
Dans son contenu, le droit administratif peut comporter des insuffi-
sances. Il n’en garde pas moins sa spécificité et sa valeur.
Ce petit livre essaie, en le présentant, d’en mesurer les vertus et les
Couv. : conception graphique Sevan D. / Photo : D.R.

progrès.

Pierre Delvolvé est professeur à l’Université Panthéon-Assas


(Paris II).

ISBN 2 247 07079 5

http://www.dalloz.fr 10,50 €

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