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Relations industrielles
Industrial Relations

Nature juridique et développement historique du droit du


travail
René H. Mankiewicz

Volume 5, Number 9, June 1950

URI: https://id.erudit.org/iderudit/1023390ar
DOI: https://doi.org/10.7202/1023390ar

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Département des relations industrielles de l’Université Laval

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Mankiewicz, R. H. (1950). Nature juridique et développement historique du
droit du travail. Relations industrielles / Industrial Relations, 5(9), 83–87.
https://doi.org/10.7202/1023390ar

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juin 1950 BuUetin des relations industrielles 83

Les comités paritaires et les commissions d'ap- , Améliorer le langage de la profession n'est
prentissage, tout comme les gouvernements, les qu'une bien faible partie de la tâche qui incombe
pouvoirs publics, les professions libérales et au- aux comités paritaires et aux commissions d'appren-
tres, ne sont pas parfaits. Mais si nous considérons tissage; mais, à mon point de vue, ce travail est
le travail qu'ils ont accompli en si peu de temps, si important, si nécessaire et si urgent, que si les
et sans causes sérieuses de critique, il n'y a pas de comités et les commissions n'avaient fait que cela,
doute qu'ils peuvent soutenir la comparaison avec ils auraient déjà prouvé leur raison d'être et bien
les institutions les plus efficaces et les plus méritan- davantage.
tes.

NATURE JURIDIQUE ET DEVELOPPEMENT HISTORIQUE


DU DROIT DU TRAVAIL
RENÉ H. MANKIEWICZ

Définition Le droit du travail les « assimile » aux travailleurs


dépendants à raison précisément de ce manque
Le droit du travail peut être défini comme d'indépendance et de liberté de mouvement éco-
étant « l'ensemble des règles qui, dérogeant au nomique.
droit commun ou le complétant, régissent les
droits et les devoirs des personnes fournissant ou Il y a, d'autre part, des personnes au service
acceptant un travail dépendant ». Peu importe d'autrui qui gardent dans une large mesure leur
qu'il y ait un contrat de travail valide: les droits autonomie et leur liberté d'action, restant en fait
et obligations résultent du fait de la prestation ou maîtresses de leur activité et de l'emploi de leur
de l'acceptation d'un travail fourni sous la direc- temps. C'est plus particulièrement le cas des admi-
tion d'autrui. Ainsi il a été admis par certains tri- nistrateurs et directeurs de sociétés. Ils sont subor-
bunaux que le salaire prévu par la convention col- donnés à la société, personne morale, représentée
lective ou par tout autre règlement est dû, même en par l'assemblée générale ou tout autre organe qua-
cas de nullité du contrat de travail, par exemple, lifié. Mais ces organes ne peuvent les diriger et
lorsqu'un mineur a loué ses services sans avoir eu surveiller à tout moment. Aussi les directeurs, ad-
la capacité juridique de le faire. De même la nul- ministrateurs et autres représentants légaux de per-
lité du contrat ne s'oppose pas, dans la plupart des sonnes juridiques jouent-ils normalement le rôle,
législations, à l'exercice des droits que le travail- non pas de travailleurs, mais d'employeurs, exer-
leur peut avoir contre une assurance sociale, etc. çant à la place de la personne morale les droits et
les devoirs imposés par le droit du travail à celui
C'est par la dépendance où il se trouve à qui accepte un travail dépendant. Cette dernière
l'égard de son employeur que le travailleur au sens règle n'est pas toutefois sans exceptions: leur nom-
du droit du travail se distingue de tout autre in- bre et leur étendue varient avec les rapports réels
dividu fournissant une oeuvre à autrui. Cette dé- qui existent entre le directeur et la société, ainsi
pendance se comprend dans un sens purement que selon les différentes législations nationales.
matériel: elle signifie une subordination réelle du Sur toutes ces questions, on trouve des décisions
travailleur à l'entrepreneur, et trouve son judiciaires très instructives dans les douze volu-
expression la plus nette dans le « droit de di- mes du Recueil international de jurisprudence de
rection » qui permet à celui-ci de prescrire au travail, édité par le B.I.T. De 1925 à 1938/39 ce
travailleur la nature de son ouvrage, les condi- Recueil analysait les arrêts les plus importants
tions, les heures, etc. de son exécution. rendus en matière de droit du travail par les cours
Il y a cependant des personnes qui, sans être de justice françaises, allemandes, américaines, an-
soumises à une subordination et tout en restant glaises et italiennes. On ne peut que regretter
maîtresses de leur activité et de son aménagement que le B.I.T. n'ait pu reprendre cette publication
matériel, se trouvent néanmoins dans une très après la guerre.
forte dépendance économique vis-à-vis de leur
commettant: travailleurs à domicile, coiffeurs lo- Les normes du droit du travail, établies par
cataires de leur fauteuil, chauffeurs de taxis, e t c . . . la loi, les ordonnances administratives, les arrêts
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de jurisprudence et les conventions collectives, ne Le droit du travail comme compartiment


se bornent pas à réglementer les relations entre le autonome du droit («.droit institutionnel»)
travailleur et son employeur. Puisqu'elles créent
des droits et des devoirs particuliers à raison de la Compris dans le sens large que lui donne la
prestation ou de l'acceptation d'un travail dépen­ science moderne, le droit du travail forme un
dant, elles visent non seulement ceux qui le four­ « compartiment juridique autonome ». Il s'affran­
nissent ou l'acceptent, mais aussi parfois les mem­ chit, en effet, de la distinction classique entre droit
bres de leur famille, et même les personnes à leur privé et droit public. Cette « summa divisio »,
charge, et leurs ayants­cause. Il est intéressant de héritée du droit romain, était valable jusqu'au dé­
noter que la législation et la jurisprudence en ma­ but du XXe siècle. Depuis lors — on l'a souvent
tière sociale font de plus en plus abstraction du remarqué 2 — ses frontières s'estompent. Aujour­
lien de parenté et lui substituent le critère écono­ d'hui elle ne correspond plus guère à la réalité
mique de personne « à la charge du travailleur ». juridique. L'envahissement du droit public par le
Dans bien des cas — allocations familiales, pres­ droit privé — phénomène courant au dernier siè­
tations des assurances sociales, insaisissabilité du cle — a fait place à l'empiétement du droit pu­
salaire, etc. —■ cette personne possède un droit blic sur le domaine du droit privé. Comme le
subjectif qui ne s'explique par aucun rapport de droit économique 3, et bien avant lui, le droit du
droit entre elle et le travailleur: il naît de cette travail a été atteint par ce mouvement. Il s'est
situation de fait particulière que l'intéressé émancipé des distinctions traditionnelles et ses!
vit aux dépens du travailleur. Notons à ce sujet alimenté de règles prises indistinctement dans le
aussi une particularité du droit de la famille ou­ corps du droit public et dans le champ du droit
vrière: au lieu de comprendre tous les enfants mi­ privé: règles de droit public proprement dit (tri­
neurs, la famille ouvrière ne comprend souvent, bunaux spéciaux du travail, conseils consultatifs
aux yeux de la loi, que les enfants qui n'ont pas auprès des gouvernements, etc.), règles de droit
encore atteint l'âge légal pour l'admission au tra­ administratif (inspection du travail, sécurité du
vail (par exemple pour le calcul de certaines allo­ travail, statut des syndicats professionnels, etc.),
cations); mais, en revanche, elle peut compren­ pénal (délit de coalition, violation du repos domi­
dre la femme divorcée ou l'enfant recueilli lors­ nical ou hebdomadaire, délit de paiement des sa­
que, en fait, le travailleur s'est chargé de leur laires en monnaie n'ayant pas cours légal, d'em­
entretien. bauchage illicite de travailleurs étrangers, etc.),
fiscal (perception de l'impôt sur les salaires, etc.),
procédural (procédure devant les tribunaux du
Le terme de « législation industrielle », tradi­
travail, conciliation et arbitrage, saisie des salai­
tionnellement employé en France pour désigner
res, etc.); règles du droit de famille (capacité de
cette branche du droit connue ailleurs comme
la femme mariée travaillant pour autrui, droit de
« Labour Law », « Social Legislation », « Arbeits­
disposition du mineur sur le produit de son tra­
recht », « Diritto del Lavoro », etc., ne vise en
vail, etc.), de la propriété (habitations à bon mar­
réalité que l'ensemble des règles de police por­
ché, prorogation des baux au profit des chômeurs.
tant uniquement sur les conditions d'aménagement
etc.), de la propriété industrielle et commerciale
et d'exploitation des établissements industriels et
(reprise des travailleurs par l'acquéreur d'un
commerciaux et tendant à protéger les travailleurs
fonds de commerce, inventions faites par des em­
contre l'arbitraire des patrons, les accidents et ma­
ployés, etc. ), du commerce ( statut des commis, des
ladies du travail, etc. Il ne rend plus compte, com­
voyageurs de commerce, etc.), de la presse (sta­
me le font ses « équivalents » anglais, allemand et
italien, de l'étendue considérable qu'ont prise à
l'heure actuelle les dispositions édictées pour amé­
liorer, avec les conditions matérielles du travail, le
standard de vie et la sécurité sociale des travail­ (2) Cf. M ANKIEWICZ, René H., Le travail en équipes in­
ternationales, Lyon, Institut de droit comparé, 1938,
leurs de toutes classes et de toutes catégories. Les p. 138 ss. ainsi que les articles groupés dans le Re­
expressions « droit du travail » ou « droit social » cueil Lambert, Introduction à Vétude du droit com­
paré, tome HI, chap. V, notamment ceux de
semblent donc préférables et sont, en fait, de plus RlEZLER, M ORELLET et JoSSERAND. Aussi: JoSSERAND,
en plus employées. ' L'Essor moderne du concept contractuel, dans Re­
cueil d'études sur les sources du droit en l'honneur
de François Gény, tome II, p. 347; ROUAST, L e con­
trat dirigé, dans M élanges juridiques dédiés à Sugi­
jama, p. 317.
(1) Cf. le titre de la revue « Droit social » dirigée par (3) Cf. D E KIRALY, Le Droit économique, branche indé­
M. P. Durand, professeur à la Faculté de Droit de pendante de la science juridique, dans Recueil Gény,
Nancy. Tome III, p. 111.
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tut des journalistes, statut des journaux syndicaux, Le droit du travail


etc.), des assurances (assurance-accident, assuran- avant l'époque contemporaine
ces sociales, etc.).
Ces règles dépareillées, provenant un peu de On considère à tort le droit du travail comme
toutes les branches et subdivisions classiques du une discipline toute jeune du droit. Dès qu'il y
droit, se groupent autour d'un même phénomène eut des personnes travaillant sous la dépendance
social: la prestation et l'acceptation d'un travail d'autrui sans appartenir à la famille de leur mai-
dépendant. Leur réunion est déterminée non plus tre, il y eut des normes juridiques régissant ce rap-
par leur nature juridique, mais par l'identité de la port de droit.
situation sociale qu'elles visent. Cette donnée so- Il est vrai que celui-ci n'a pas toujours été
ciale est leur raison d'être et, dès lors, leur lien gouverné par des règles de droit privé, ni toujours
commun. 4 Or, du moment où elle les a assem- sur la base d'une parfaite égalité des droits du
blées pour constituer un compartiment autonome travailleur et de son patron. Il en était ainsi dans
du droit, elle en engendre d'autres et façonne leur l'antiquité où le travail était fourni par les escla-
interprétation. Chaque compartiment juridique, ves, objets de propriété de leurs maîtres, ainsi
en effet, dégage un esprit qui lui est propre, qu'il qu'au Moyen-Age lorsque les paysans devaient des
insuffle à l'application de ses normes. Il crée des corvées à leurs seigneurs à raison de leur situation
règles nouvelles et marque à son coin celles qu'il sociale, réglementée par le droit public de la féo-
a puisées ailleurs. C'est ainsi qu'est né le droit dalité.
administratif français, construit par le Conseil
Certains auteurs font valoir que, s'il est exact
d'Etat autour des phénomènes sociaux que pro-
qu'il ne peut y avoir des relations de travail sans
duit une administration publique. 5 Pour em-
normes juridiques régissant ce rapport, le droit du
ployer le terme lancé par M. Renard 6, ces com-
travail ancien n'a pas participé au caractère ori-
partiments juridiques autonomes sont des « droits
ginal du droit du travail moderne, envisagé com-
institutionnels », créant et modelant les normes
me un corps de règles destinées à protéger ceux
législatives, judiciaires et corporatives destinées à
qui fournissent un travail au service d'autrui. Mais
gouverner l'institution sociale qui est le germe vi-
le désir du maître d'abuser de sa « situation de
vant de ce compartiment du droit.
puissance » ne date pas d'aujourd'hui: en Grèce
Le droit du travail est, lui aussi, un de ces comme à Rome, on rencontre des lois tendant à
compartiments du droit ou « droit institutionnel », garantir les travailleurs-esclaves contre les excè-
possédant une vie autonome et un esprit particu- de leurs maîtres. Au Moyen-Age on trouve au
lier. Le législateur moderne s'en est si bien rendu surplus une réglementation détaillée du travail dé-
compte qu'il a créé pour son administration des pendant. Celle-ci, toutefois, n'était que rarement
juridictions spéciales (tribunaux ou magistratures l'oeuvre des autorités gouvernementales, provin-
du travail) où les représentants des travailleurs et ciales ou municipales. Elle était élaborée par les
des entrepreneurs sans formation juridique pren- corporations de métier.
nent le pas sur le magistrat de carrière qui y pré- Les corporations, ou « guildes », en vertu du
side.7 Il l'a fait dans l'idée — d'ailleurs fort juste — pouvoir réglementaire qu'elles possédaient à l'é-
que les hommes constamment en contact avec gard de leurs membres, édictaient des normes très
la donnée sociale « travail » sont, bien davantage strictes sur le recrutement, la formation, la rému-
que les juristes, ouverts aux suggestions de « l'es- nération, le traitement, etc. des travailleurs (ap-
prit des lois » dégagé par ce compartiment juridi- prentis, compagnons, etc.) de leurs adhérents. Ce-
que qu'est le droit du travail. 8 pendant, tout comme les rares ordonnances admi-
nistratives réglementant l'exploitation de certains
(4) Cf. Le travail en équipes internationales, p. 142.
(5) HAURIOU, Précis de droit administratif, p. 48.
(6) RENARD, Théorie de l'institution. JOSSERAND, Configuration du droit de propriété dans
(7) Les tribunaux du travail, publication du B.I.T., 1935. l'ordre juridique nouveau, dans Mélanges juridiques
BINET, La juridiction du travail dans les différents dédiés à Sugijama, p. 95. « Comme à l'époque féo-
pays, dans Recueil Lambert, tome II, p. 536 ss. dale, sinon davantage, la géographie juridique du
(8) Sur la question générale du compartimentage du pays menace de devenir une mosaïque aux cents
droit autour de diverses données sociales et écono- reflets divers; ainsi que le droit commun en général,
miques cf. RIPERT, Ebauche d'un droit civil profes- le droit commun de la propriété se dissocie et se
sionnel, dans Recueil Capitant, p. 677, et, du même fractionne en une multitude de droits particuliers,
auteur, Le régime démocratique et le droit civil mo- aménagés à la mesure de la profession ou de la
derne, ainsi que L'ordre économique et la liberté classe: en dépit des efforts déployés pour en modi-
contractuelle, dans Recueil Gény, tome II, p. 347. fier le cours, l'histoire recommence sans cesse, cha-
ROUAST, Le risque professionnel et la jurisprudence que catégorie sociale aspirant à avoir son droit pro-
française, dans Recueil Gény, tome III, p. 228. pre, bien à elle. >
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métiers et étabUssements, ces statuts corporatifs briser le monopole des corporations et instaurer le
n'étaient pas établis dans le seul intérêt des tra- régime de la « liberté du travail et de l'industrie »,
vailleurs. Ils avaient essentiellement pour but de ces lois avaient pour effet d'empêcher les travail-
limiter la concurrence entre les patrons et d'assu- leurs de se coaliser afin d'obtenir, par la voie d'ac-
rer la prospérité du métier, de la ville et du pays. tions collectives, des conditions de travail meil-
Dès cette époque, en effet, on s'était rendu compte leures que celles accordées par les entrepreneurs
de « l'effet de cartel » produit par la réglementa- traitant individuellement avec chaque travailleur
tion uniforme des conditions générales de travail cherchant embauche.
et de l'exploitation des entreprises. Dès cette épo- Dans bien des pays, ces mesures restaient inef-
que on avait aussi compris qu'une protection con- ficaces à l'égard des employeurs qui réussissaient
venable des travailleurs était la meilleure assu- assez facilement à se grouper pour la défense com-
rance contre les troubles sociaux et les crises éco- mune de leurs intérêts. La législation française a
nomiques, déclenchés par des salariés inéquitable- même été jusqu'à employer deux mesures dans la
ment rémunérés et des chômeurs devenus trop répression d'associations illicites: la loi réagit plus
nombreux. sévèrement contre les travailleurs que vis-à-vis des
-En fait, le statut des apprentis et compagnons entrepreneurs; cf. l'article 291 du Code pénal du
était particulièrement favorable à l'apogée du Premier Empire, et la loi du 10 avril 1834 qui ac-
Moyen-Age. La fixation de leur rémunération centuait l'inégalité établie par cet article du Code
s'inspirait de l'idée scolastique du « juste salaire ». pénal. )
Le travail de nuit était interdit — mesure adoptée Toutefois, devant leur exploitation de plus en
il est vrai parce que la surveillance que les concur- plus rigoureuse par les employeurs (sweating-
rents exerçaient sur la production était difficile à system), les travailleurs reconstituaient, sous des
réaliser après la tombée du jour et parce qu'on formes diverses, les amicales, mutualités, confré-
voulait empêcher les maîtres-artisans de doubler ries, etc. qu'ils avaient formées au Moyen-Age à
leur production en faisant ouvrer la nuit. Les ins- l'intérieur des corporations. Dans tous les pays, °
titutions charitables entretenues par la corporation l'histoire du droit du travail au cours du XIXème
subvenaient aux besoins des travailleurs malades et siècle et au début du XXème siècle est caractérisée
aidaient leurs familles en cas de décès du soutien. par la lutte qu'ont engagée les travailleurs pour
L'observation scrupuleuse des jours fériés du ca- obtenir la double liberté de coalition: liberté po-
lendrier religieux tenait lieu de congés payés. sitive de créer des associations professionnelles de
La tradition nous a habitués à ne voir des leur choix, liberté négative de ne pas adhérer à
corporations que leurs derniers excès, et on oublie une association professionnelle. Entreprise au
facilement tout le bien qu'elles ont fait pendant nom de la liberté individuelle et de la liberté d'as-
des siècles. Il a fallu aux travailleurs des luttes sociation, cette lutte finit dans tous les pays par
souvent sanglantes et mortelles pendant plusieurs être gagnée et, après la victoire, par porter atteinte
siècles pour s'assurer un statut juridique, écono- aux principes mêmes qui lui avaient servi de cri
mique et social comparable à celui des compagnons de ralliement.
du Moyen-Age. Et dans bien des pays, ils n'y sont La plupart des progrès du droit du travail ont
point encore parvenus. été obtenus sur l'initiative des syndicats et, par-
fois aussi, à la suite de la pression exercée par eux
Puissance et rôle du syndicalisme sur les entrepreneurs et les gouvernements. La
puissance économique des syndicats librement for-
La France a été le premier pays européen à més par les travailleurs ou entrepreneurs s'est subs-
supprimer les corporations. Abusant de leur si- tituée à la faiblesse économique des individus,
tuation de monopoleurs sur le marché du travail, pour obtenir les avantages pécuniaires et sociaux
les corporations avaient fini par ne considérer que que l'individu isolé n'aurait guère pu se faire ac-
leur propre intérêt et par négliger ceux des travail- corder. Parfois cette puissance a pesé sur le gou-
leurs cherchant emploi. Au surplus, elles jouis- vernement du pays, le forçant d'adopter des mesu-
saient de privilèges considérés comme incompati- res de classes qui n'ont pas toujours été conformes
bles avec le nouvel ordre qui devait reposer sur au bien commun de la nation. Il est même arrivé
l'égaUté des citoyens devant la loi. La loi Le Cha- que les syndicats des travailleurs ou des entrepre-
peUer des 14 et 17 juin 1791 interdisait toute asso-
ciation entre personnes exerçant un même métier.
(9) Cf. pour la France: LEVASSEUR, Histoire de la classe
Au cours du XIXème siècle, d'autres pays euro- ouvrière en france, et DOLLEANS, Histoire du mou-
péens édictaient des lois analogues. Entendant vement ouvrier en France; pour l'Angleterre, W E B B ,
History of Trade Unionism.
juin 1950 BuUetin des relations industrieUes 87

neurs ont exercé une forte pression sur leurs adhé- sont pas les mêmes dans toutes les régions du pays.
rents et ceux de leur classe qui ne s'étaient pas La législation, nécessairement uniforme, est dès
« syndiqués ». Enfin, les concessions obtenues de lors inapte à y porter remède et l'importance d'un
part et d'autre ne le sont souvent qu'à la fin de corps législatif s oppose à l'élaboration des régle-
luttes, parfois sanglantes, au moyen de grèves ou mentations de détails trop variées." Dans ces con-
de lock-outs ( « contre-grèves » ) qui troublent la ditions, l'Etat a recouru aux organisations syndi-
vie économique du pays au profit de quelques-uns. cales, librement formées par les intéressés, pour
les charger d'établir ces règlements par la voie des
Toujours est-il que, dans la plupart des pays,
contrats collectifs.
travailleurs et entrepreneurs sont maintenant li-
bres d'adhérer aux organisation de leur choix ou
Le problème de l'heure présente
encore de ne s'affilier à aucune association de dé-
fense professionnelle. Si la liberté des conventions
La situation actuelle est caractérisée par le
individuelles a été sensiblement limitée par les lois
triomphe définitif de la réglementation, gouverne-
et les accords collectifs, la liberté d'association est
mentale ou collective, sur la liberté des contrats
sauvegardée en droit, sinon toujours en fait.10
négociés individuellement par le travailleur et son
D'autre part, les organisations syndicales sont employeur. Pour rompre le féodaUsme de l'ar-
un rouage indispensable pour l'élaboration des con- gent, l'Etat accorde aux travailleurs une sollicitude
ditions du travail, si l'on veut éviter que celles-ci particulière et reconnaît aux organisations profes-
soient imposées unilatéralement par les entrepre- sionnelles des droits d'ordre public. Mais il y a
neurs. Le législateur national, en effet, n'est ni danger que cette sollicitude ne tourne en un régime
outillé, ni apte à intervenir pour réglementer con- rendant le travailleur esclave de l'Etat ou de ses
venablement les relations juridiques entre travail- propres syndicats.
leurs et entrepreneurs. Il ne possède pas, des con-
Ce qui prouve, une fois de plus, que le choix
ditions d'exploitation des entreprises individuelles,
est entre protection et liberté et que l'étabUsse-
cette connaissance intime qui est indispensable
ment de l'équilibre entre l'une et l'autre, différem-
pour édicter des règles appropriées aussi bien aux
ment appréciées aux différentes époques de l'hu-
besoins de l'exploitation qu'aux revendications légi-
manité, reste la tâche toujours nouvelle d'une
times des travailleurs. Non seulement le cadre
société civilisée.
général du travail varie d'une entreprise à l'autre:
les conditions de la vie des travailleurs ne ( 1 1 ) Sur les difficultés q u e les parlements rencontrent
constamment à cause de la « technicité » des lois
( 1 0 ) Cf. à ce sujet les enquêtes récentes faites à la de- qu'on leur demande d'adopter cf. notre étude « L e
m a n d e des syndicats par le B.I.T. et l'O.N.U. travail en équipes internationales », p. 79 et ss.

JURISPRUDENCE DU TRAVAIL

Pouvoir* d e la C o m m i n i o n du salaire minimum une des ordonnances de la Commission établissant q u e le


surtemps est payable à raison de temps et demi est légale,
même si le salaire d e base est plus élevé que le minimum
Treize employés d e la Compagnie défenderesse font
fixé par la Commission (cf. Ordonnance N o 2, s. 3, Qué-
application à la Commission du salaire minimum pour
b e c ) . L a Commission a aussi le pouvoir de prévoir q u ' u n e
se plaindre de n'avoir pas été payés temps et demi pour
indemnité sera payée si le contrat d e louage de service est
du surtemps. La Commission prend action contre la
rompu (cf. Ordonnance N o 3, s. 13, Q u é b e c ) . L e pre-
Compagnie.
mier cas est couvert directement p a r l'art 14a d e la Loi
et le dernier par l'interprétation de l'art 14 de la Loi
Jugement: L a Cour décide de maintenir l'action au sujet puisque la Commission a le droit d'établir le paiement de
de douze de ces employés. La Loi du salaire minimum a salaires sur d'autres bases que la base horaire. On a
pour but de protéger les travailleurs salariés. Bien que aussi discuté dans l'ordonnance No 4 l'article 12 établis-
cette loi doive être interprétée strictement dans la mesure sant les semaines régulières de travail et l'article 60 éta-
où elle déroge au droit commun de la province, encore blissant des taux de surtemps.
faut-il que ses dispositions soient interprétées de manière
à assurer l'accomplissement de son objet. Or la Com- (Commission du salaire minimum vs Duke E q u i p -
mission a le pouvoir non seulement de fixer des minima m e n t Co. Limited, 1949; C.S. 319, C.S. Montréal,
de salaire mais encore de prévoir le paiement de mon- 26-8-49; Juge Salvas; C.L.L.R. 31,125 N o 35,154.)
tants additionnels pour surtemps. Une disposition dans

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