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Nous sommes dans les années 1960, pendant la période des Trente Glorieuses, où la

France connaît une importante croissance économique, les usines tournent à plein
régime et l’emploi croît grandement, notamment dans les usines, car il est
relativement simple d’y entrer. Cependant, la situation des ouvriers présente dans les
usines était aggravante. Georges Friedmann écrit dans un ouvrage intitulé « le travail
en miette » expose, en parlant du travail « que lorsqu'il est effectué dans certaines
conditions qui le dégradent et le vident de toute substance, le travail est, à l'égard de
qui le subit, comme s'il était la privation de travail. » Ce passage de son ouvrage
dénonce une certaine aliénation du travail, un travail qui s’effrite, qui est monotone
avec des tâches répétitives à effectuer chaque jour. La « substance » dont laquelle il
parle est en fait l’âme de l’ouvrier qui disparaît par son travail laborieux. Aujourd’hui
on peut donc se poser la question suivante : Est-ce que cette affirmation est toujours
pertinente aujourd’hui ? Nous discuterons de cette affirmation à travers trois parties :
Dans cette première partie nous évoquerons l’aspect du travail dégradant pour
l’ouvrier qui ne lui apporte que tristesse et malheur, ensuite nous verrons un aspect
du travail engendrant une certaine satisfaction à la réalisation d’une tâche ardue, et
enfin nous traiterons l’aspect des conséquences d’un travail difficile et pourquoi la
joie et la complaisance sont nécessaires dans le travail. Nous traiterons ces trois
parties à travers les trois œuvres du programme : « Les Géorgiques » de Virgile, « La
Condition Ouvrière » de Weil et « Par-dessus-bord » de Michel Vinaver.

Nous sommes donc dans les années 50 et Simone Weil publie, à cette période un
ouvrage décrivant la situation des ouvriers de l’époque intitulé « La Condition
Ouvrière ». Professeur agrégé, Simone Weil décide de faire une immersion dans les
usines de l’époque afin de savoir ce qui s’y passe réellement et d’en faire un compte
rendu. Elle va donc découvrir l’horrible réalité de ce qui se passe dans les usines, les
conditions dans lesquelles les ouvriers y travaillent. Elle va se rendre compte d’à quel
point ces conditions sont déshumanisantes et dégradantes pour l’ouvrier. Elle va
d’ailleurs en être pleinement consciente car elle y est elle-même confrontée en tant
qu’ouvrière, toutes ces tâches monotones et éprouvantes physiquement, amplifiées
avec un sentiment de ne pas exister au sein de l’usine et de n’être qu’une machine
aux yeux des cadres et des chefs d’entreprises. Car l’ouvrier n’est qu’un robot, qui
n'est pas autorisé à parler pour exprimer un quelconque mécontentement ou de
quelconques idées pour faire avancer l’usine. Tout cela pour un salaire misérable où
l’ouvrier peine à nourrir sa famille, qui, en rentrant dans son foyer ne peut que se
reposer pendant un court temps de son travail à l’usine, et doit repartir dès l’aube
levée pour subir un autre jour où maltraitance et monotonie seront là comme à
chaque jour. Cette situation provoque chez l’ouvrier un sentiment de
dépersonnalisation et il se voit peu à peu se vider de son humanité et de sa dignité
restante. On voit d’ailleurs très bien dans l’œuvre de Weil l’ouvrier aussi bien épuisé
physiquement que mentalement par ce système capitaliste que Weil dénonce. Par
exemple quand Simone demande aux ouvriers d’écrire un compte rendu de leurs
journées, ils sont tellement épuisés de leurs journées qu’ils n’ont même plus la force
de rédiger sous forme de mots leur horrible quotidien, tout cela mêlé par la peur de
se faire virer si les cadres apprenaient l’identité de ceux qui avaient rédigé ces lettres.
Simone Weil peine donc à montrer le mécontentement des ouvriers aux chefs
d’usines car les ouvriers ont trop peur et sont trop fatigués pour protester. On voit
donc bien ici un travail en miette, qui dégrade et déshumanise l’ouvrier. Cette
dégradation du travail est d’ailleurs aussi présente dans « Par-dessus-bord » écrite
par Michel Vinaver, ancien patron de Gillette France qui décida de raconter à travers
un récit les conditions de travail dans les années 70, à la fin des Trente Glorieuses, où
la France entre dans l’âge d’or du capitalisme et des échanges internationaux. On
entre alors dans une société de consommation, avec un besoin toujours plus fort de
créer des nouveaux produits. Dans l’œuvre de Vinaver, on suit donc l’histoire d’une
entreprise, Ravoire et Dehaze, qui entre dans une concurrence directe avec une
entreprise américaine souhaitant se développer sur le marché français. On est donc
dans une guerre d’entreprises, et pour gagner cette guerre, les employés de Ravoire
et Dehaze doivent trouver de nouvelles techniques commerciales et doivent innover,
ce qui peut donc créer une dégradation du travail chez les employés. On parle
d’automatisation du travail, ayant évolué au fil du temps, il devient de plus en plus
moderne, avec des problèmes qui deviennent donc aussi différents, par exemple dans
cet ouvrage, l’objectif de cette entreprise est de se renouveler dans les méthodes de
marketing afin d’attirer plus de clients. On a donc un conflit pouvant entraîner des
épuisements qui sont ici plus mentaux que physiques, à l’inverse des « Géorgiques »
de Virgile où l’on est plus sur un épuisement physique avec des tâches éprouvantes
physiquement mais sans réel surmenage mental.

Les Géorgiques de Virgile, qui est un ouvrage paru avant J-C décrit les méthodes
utilisées à l’époque par les laboureurs afin de labourer leurs champs, ou encore des
éleveurs et de leur gestion du troupeau. Dans ce livre, Virgile décrit le travail des
cultivateurs comme pouvant être une source de dureté et de tristesse, mais aussi de
satisfaction et de joie. A l’époque la technologie n’était pas aussi développée que
maintenant et donc les évènements naturels telles que les tempêtes, les fortes pluies
ou les inondations posaient d’énormes problèmes pour les laboureurs ou les
cultivateurs. Pour l’éleveur par exemple, la faune sauvage tel que les reptiles menaçait
la vie des animaux d’élevage et les maladies tel que les virus aggravaient cette
situation. Ces phénomènes naturels dont le laboureur ne pouvait le pressentir
présentaient donc un problème dans le travail du laboureur et cela accentuait son
temps et sa charge de travail. Pour autant, chaque fois qu’il accomplissait une tâche, il
en éprouvait une certaine satisfaction. En dépit de la nature souvent impitoyable,
l’agriculteur trouvait néanmoins une source de réconfort et de fierté dans son travail,
qui leur permettait de nourrir leur famille et de subvenir à leurs besoins. Dans cette
œuvre donc, on évoque les conditions difficiles du travail sur le plan physique, mais il
est évoqué aussi les bons aspects du travail dans l’achèvement de tâches ardues,
dans l’accomplissement d’une besogne. Ce sentiment d’accomplissement est
d’ailleurs aussi présent dans « Par-dessus-bord », quand l’entreprise française
parvient à dépasser le concurrent américain avec de nouvelles techniques
commerciales, les salariés de l’entreprise sont très satisfaits et très fier d’avoir gagné
cette bataille, qui ne s’annonçait pas aisée.

Toutes ces tâches laborieuses engendrent donc des conséquences sur le travailleur,
qui peuvent aussi bien être mentales que physiques. Par exemple dans « La Condition
Ouvrière » de Weil, l’ouvrier est pris de douloureuses courbatures incessantes qui ne
peuvent être soulagées car il est sans arrêt en train de travailler ardemment, tout cela
sans parler des conséquences mentales sur l’individu qui ne parvient pas à se
personnifier dans son travail, avec un sentiment de n’être qu’une machine
remplaçable. On a donc un sentiment de dépersonnalisation qui est fréquent et une
déshumanisation souvent présente. Michel Vinaver aborde ce problème d’une autre
manière car, étant donné la situation qui est différente, ce ne sont plus des ouvriers
qui ne participent à aucun choix dans la vie de l’usine, mais ce sont des salariés dans
une entreprise qui doit innover et que donc l’esprit du salarié est nécessaire pour
pouvoir faire évoluer cette société. L’employé doit donc sans cesse réfléchir à de
nouvelles idées et cela peut amener à des conséquences sur le plan mental.

Nous avons donc vu à travers les trois œuvres que Georges Friedmann décrit
parfaitement la situation de l’époque et que, peu importe l’époque à laquelle on est,
cette privation de travail a toujours été présente, et est même encore présente
aujourd’hui. Car, même si la situation a évolué, avec la mise en place de congés payés
ou encore une féminisation du travail, des manifestations envers les conditions de
travail sont encore présentes, nous pouvons alors nous demander pourquoi, alors
que la situation a grandement changé entre 1960 et 2023, des protestations sont
encore présentes ?

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