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Pédiatrie médico-légale: Mineurs en

danger : du dépistage à l'expertise pour


parcours spécialisé protégé Sfpml
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age-a-lexpertise-pour-parcours-specialise-protege-sfpml/
Pédiatrie médico-légale
Mineurs en danger : du dépistage à l'expertise pour
un parcours spécialisé protégé
Chez le même éditeur

Dans la collection Pεdia

Cardiologie de l’enfant, par R. Henaine et J.-B. Thambo, 2020, à paraître.


Néphrologie de l’enfant, par J. Bacchetta et O. Boyer, 2020, 504 pages.
Diabétologie de l’enfant, par M. Nicolo et R. Coutant, 2019, 344 pages.
Hépatologie de l’enfant, par A. Lachaux et F. Lacaille, 2018, 288 pages.
Les enfants DYS, par P. Fourneret, D. Da Fonseca, 2018, 296 pages.
Cancérologie de l'enfant, par Y. Pérel et D. Plantaz, 2017, 448 pages.
Troubles des conduites alimentaires chez l'enfant et l'adolescent, par N. Peretti et A. Bargiacchi,
2017, 282 pages.
Pathologie orthopédique de l'enfant, par G. Penneçot et D. Mouliès, 2017, 324 pages.

Autres ouvrages :

Pédiatrie, 8e édition, par le Collège National Des Pédiatres Universitaires et le CNHUCP, 2020,
à paraître.
Pédiatrie-Pédopsychiatrie, par F. Perreaux, F. Hazane, S. Fossé et A. Graveleau, 2020, à paraître.
Pédiatrie, 7e édition, par A. Bourrillon, G. Benoist, C. Delacourt, le Collège National Des Pédiatres
Universitaires et le CNHUCP, 2020, 928 pages.
Neuropédiatrie et ostéopathie du nouveau-né et du jeune enfant, par E. Soyez-Papiernik, 2020,
128 pages.
Pédiatrie pour le praticien, 7e édition, par A. Bourrillon, G. Benoist, B. Chabrol, G. Chéron et
E. Grimprel, 2020, 824 pages.
Homéopathie en pédiatrie, par J. Lamothe, 2019, 520 pages.
Ostéopathie pédiatrique, par N. Sergueef, 2019, 424 pages.
Urgences pédiatriques, 4e édition, par G. Chéron, 2018, 992 pages.
Guide pratique de la consultation en pédiatrie, 11e édition, par J. Valleteau de Moulliac,
B. Chevallier et J.-P. Gallet, 2018, 552 pages.
Alimentation de l'enfant de 0 à 3 ans, 3e édition, par P. Tounian, 2017, 224 pages.
Le développement de l'enfant, Du normal aux principaux troubles du développement, par A. de
Broca, 2017, 272 pages.
Avec le soutien de la Société française de pédiatrie
médico-légale
PÉDIATRIE

SOCIÉTÉ
FRANCAISE
MÉDICO-
LÉGALE

Pédiatrie
médico-légale
Mineurs en danger : du dépistage
à l'expertise pour un parcours
spécialisé protégé

coordonné par

Martine Balençon
Préfaces de Geneviève Avenard, Défenseure des enfants
et adjointe du Défenseur des droits, de Christophe Delacourt,
de Christèle Gras-Leguen et de Valéry Hédouin
Elsevier Masson SAS, 65, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex, France

Pédiatrie médico-légale, Mineurs en danger : du dépistage à l'expertise pour un parcours spécialisé protégé, 1e édition,
de M. Balençon.
© 2020, Elsevier Masson SAS
ISBN : 978-2-294-76474-5
e-ISBN : 978-2-294-76511-7
Tous droits réservés.
Les praticiens et chercheurs doivent toujours se baser sur leur propre expérience et connaissances pour évaluer
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incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle).
Liste des auteurs

Catherine Adamsbaum, professeur des univer- Eliane Corbet, docteur en psychopédagogie, cher-
sités-praticien hospitalier, radiologue, Service de cheuse indépendante, anciennement directrice
radiologie pédiatrique, CHU Kremlin-Bicêtre déléguée CREAI Rhône-Alpes, experte auprès de
APHP, Le Kremlin-Bicêtre. la CNAPE, Paris.
ANCReMIN, Association nationale des Centres Béatrice Costard, infirmière puéricultrice, Cel-
de référence de la mort inattendue du nourrisson, lule d'accueil spécialisé de l'enfance en danger -
Montpellier. CHU de Rennes, Rennes.
Martine Balençon, pédiatre-médecin légiste, Cel- Mireille Cyr, docteur en psychologie professeur
lule d'accueil spécialisé de l'enfance en danger - titulaire, directrice du CRIPCAS, co-titulaire
CHU Rennes - UMJ Mineurs, AP-HP Hôtel-Dieu de la chaire interuniversitaire Marie-Vincent,
Paris, expert près la cour d'appel de Rennes. Montréal.
Flora Blangis, équipe de recherche épidémiologie Jacques Dayan, pédopsychiatre, professeur de
périnatale, obstétricale et pédiatrique, Centre de pédopsychiatrie, Pôle hospitalo-universitaire de
recherche en épidémiologie et statistique de Sor- psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, CHGR,
bonne-Paris-Cité (CRESS) UMR 1153, Maternité Rennes 1, INSERM U1077-EPHE Neuropsycho-
de Port-Royal, Paris. logie et imagerie de la mémoire humaine, Caen.
Emmanuelle Bosdure, praticien hospitalier, Cécile de Oliveira, avocat au barreau de Nantes,
pédiatre, Unité de médecine infantile, CHU La ASKE, Nantes.
Timone APHM, Marseille. Marie Derain, ex-défenseure des enfants, ex-
Violaine Bresson, praticien hospitalier, pédiatre, secrétaire générale du Conseil national de la
Service d'accueil des urgences pédiatriques, CHU protection de l'enfance, inspectrice de la justice,
La Timone APHM, Marseille. Paris.
Jocelyn Brown, Professor of Pediatrics, Child Mélanie Dupont, psychologue, docteur en psy-
Abuse Pediatrician, Division of Child and Ado- chologie, Unité médico-judiciaire, Hôtel Dieu,
lescent Health, Columbia University Irving Medi- Paris ; présidente de l'association Centre de victi-
cal Center, Vagelos College of Physicians & Sur- mologie pour mineurs (www.cvm-mineurs.org)
geons, New York, NY. et de l'association des psychologues de médecine
Bertrand Bruneau, praticien hospitalier, radio- légale.
logue, CHU de Rennes, Rennes. Philippe Duverger, professeur des universités-
Julien Burel, docteur en droit privé et sciences cri- praticien hospitalier, pédopsychiatre chef de ser-
minelles, Université de Bretagne Occidentale, Lab- vice, Service de psychiatrie de l'enfant et de l'ado-
LEX Laboratoire de recherche en droit (EA 7480), lescent, CHU d'Angers, Angers.
Université de Bretagne Occidentale Brest, Brest. Catherine Echelard, puéricultrice coordinatrice,
Stéphane Cantéro, magistrat, substitut du procu- Unité d'accueil des enfants en danger, CHU de
reur général, cour d'appel de Rennes, Rennes. Nantes.
Renaud Clément, maître de conférences des Cécilie Favreau, infirmière puéricultrice, Cellule
universités, praticien hospitalier, chef de service d'accueil spécialisé de l'enfance en danger - CHU
et expert près la cour d'appel de Rennes, méde- de Rennes, Rennes.
cin légiste, Service de médecine légale, CHU de Juliette Fleury, pédiatre-médecin légiste, Unité
Nantes, Nantes. d'accueil des enfants en danger, CHU de Nantes.

V
Liste des auteurs

Emmanuelle Fouré, psychologue, coordinatrice Solène Loschi, praticien hospitalier, pédiatre-


de parcours, Citad'elles, Nantes. médecin légiste, Service d'accueil urgences pédia-
Céline Garnier-Jardin, praticien hospitalier, triques, Hôpital Armand-Trousseau AP-HP, Paris.
pédiatre-médecin légiste, Service de médecine Alexandra Merille, infirmière puéricultrice, Cel-
légale et droit de la santé, CHU de Caen, expert lule d'accueil spécialisé de l'enfance en danger-
près la cour d'appel de Caen, Caen. CHU de Rennes, Rennes.
Agnès Gindt-Ducros, médecin de santé publique, Anne-Pascale Michard-Lenoir, praticien hospi-
docteure en sociologie, directrice de l'Observa- talier, pédiatre référent CASED et CRMIN Cellule
toire national de la protection de l'enfance, Paris. d'accueil spécialisé de l'enfance en danger - CHU
Odile Goens, pédiatre médecin, service de PMI Grenoble-Alpes, Grenoble.
métropole Grand Lyon et référent du service Bertrand Morillon, praticien hospitalier, pédos-
adoption. Maison de la métropole (MDM), Saint- pychiatre, chef du Pôle de pédopsychiatrie et
Priest. médecin responsable de l'Unité d'accueil médico-
Charlotte Gorgiard, praticien hospitalier, méde- judiciaire du Centre hospitalier de Saint-Malo,
cin légiste, Unité médico-judiciaire, Hôtel-Dieu, expert près la cour d'appel de Rennes, CH de
AP-HP, Paris. Saint-Malo, Saint-Malo.
Christele Gras-Leguen, professeur des universi- Cécile Oriol, pédopsychiatre, praticien hospita-
tés, praticien hospitalier, pédiatre, Centre de réfé- lier, Pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie de
rence « Mort inattendue du nourrisson », CHU de l'enfant et de l'adolescent (PHUPEA), Centre hos-
Nantes, Nantes. pitalier Guillaume Régnier (CHGR).
Sylvie Grunvald, maître de conférences HDR, Hugues Patural, pédiatre réanimateur, profes-
enseignante chercheuse, Laboratoire droit et seur des universités-praticien hospitalier, Service
changement social (UMR-CNRS 6297), Univer- de réanimation pédiatrique, Centre de référence
sité de Nantes, Nantes. « Mort inattendue du nourrisson », CHU de Saint-
Étienne, Saint-Étienne.
Christele Guinais, infirmière puéricultrice, Cel-
lule d'accueil spécialisé de l'enfance en danger - François Paysant, praticien hospitalier, médecin
CHU de Rennes, Rennes. légiste, maître de conférences des universités,
expert près la cour d'appel de Grenoble, médecin
Inge Harrewijn, Service de réanimation néona-
légiste, Service de médecine légale, CHU Gre-
tale, Centre de référence « Mort inattendue du
noble-Alpes, Grenoble.
nourrisson, CHU de Montpellier, Montpellier.
Romain Juston Morival, docteur en sociologie, Gaëlle Pendezec, médecin généraliste, méde-
maître de conférences en sociologie, Laboratoire cin référent protection de l'enfance, Direction
DySoLab-IRIHS, Université de Rouen Normandie, Enfance Familles, Conseil départemental 44,
Mont-Saint-Aignan. Nantes.
Jean Labbé, professeur émérite, pédiatre, Dépar- Cécile Peronnet, maréchale des logis-cheffe,
tement de pédiatrie, Université Laval, Québec, enquêtrice à la BPF (Brigade de protection des
Canada. familles), groupement de gendarmerie départe-
mentale d'Ille-et-Vilaine, Rennes.
Élise Launay, professeure des universités-pra-
ticien hospitalier, pédiatre, Service de pédiatrie Claire Pian, magistrate, vice-présidente, Tribunal
générale, CHU de Nantes, Nantes. judicaire de La Roche-sur-Yon, La Roche-sur-Yon.
Margaux Lemesle, pédiatre-médecin légiste, Georges Picherot, pédiatre, ancien chef de service
Unité d'accueil des enfants en danger, CHU de de pédiatrie, CHU de Nantes, Nantes.
Nantes, Nantes. Marjolaine Prieto, praticien hospitalier, pédiatre,
Karine Levieux, praticien hospitalier, pédiatre, Ser- Unité de médecine pour adolescents, Centre
vice des urgences pédiatriques, Centre de référence hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-
« Mort inattendue du nourrisson », coordonnateur Germain-en-Laye, Boulogne-Billancourt.
scientifique de l'Observatoire des morts inatten- Maia Proisy, praticien hospitalier universitaire,
dues du nourrisson (OMIN), CHU Nantes, Nantes. radiologue, CHU de Rennes, Rennes.

VI
Liste des auteurs

Brigitte Ragel, responsable de formations en tra- Virginie Scolan, médecin légiste, professeur des
vail social, ASKORIA, Rennes. universités-praticien hospitalier, responsable de
Caroline Rambaud, maître de conférences des Service de médecine légale et sociale du CHU de
universités, praticien hospitalier, pathologiste Grenoble, CHU Grenoble Alpes, Grenoble.
pédiatrique et médecin légiste, Service d'anato- Barbara Tisseron, praticien hospitalier, expert
mie-pathologique et médecine légale, Hôpital près la cour d'appel d'Orléans, pédiatre médecin
Raymond-Poincaré, Garches. légiste, Unité médico-judiciaire mineurs d'Or-
Jean-Sebastien Raul, médecin légiste, professeur léans, CHR d'Orléans, Orléans.
des universités-praticien hospitalier, expert près Sylvie Tordjman, professeur en pédopsychiatrie,
de la cour d'appel de Colmar, agréé par la Cour chef du Pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie
de cassation, Institut de médecine légale, équipe de l'enfant et de l'adolescent (PHUPEA), Univer-
biomécanique, Laboratoire des sciences de l'ingé- sité de Rennes 1 et Centre hospitalier Guillaume-
nieur, de l'informatique et de l'imagerie, Univer- Regnier, Rennes, Laboratoire de psychologie de
sité de Strasbourg et CNRS-UMR 7357, Stras- la perception (LPP), Université de Paris, CNRS
bourg. UMR 8242.
Caroline Rey-Salmon, pédiatre des hôpitaux,
Renaud de Tournemire, praticien hospitalier,
médecin légiste, expert près la cour d'appel
pédiatre, Unité de médecine pour adolescents,
de Paris, agréé par la cour de cassation, Unité
CHU Ambroise-Paré, AP-HP, Boulogne-Billan-
médico-judiciaire, Hôtel Dieu AP-HP, Paris.
court.
Élise Riquin, praticien hospitalier, pédopsy-
chiatre, Service de psychiatrie de l'enfant et de Catherine Treguier, praticien hospitalier, radio-
l'adolescent, CHU d'Angers, Angers. logue, CHU de Rennes, Rennes.
Michel Roussey, professeur honoraire de pédia- Nathalie Vabres, pédiatre coordinatrice, Unité
trie, expert près la cour d'appel de Rennes, d'accueil des enfants en danger, CHU de Nantes.
pédiatre, Cellule d'accueil spécialisé de l'enfance Patricia Vasseur, infirmière puéricultrice, Unité
en danger - CHU de Rennes, Rennes. médico-judiciaire, Hôtel-Dieu-AP-HP, Paris.

Les membres du Conseil d'administration fondateur de la SFPML :


Martine Balençon, Céline Garnier-Jardin, Margaux Lemesle, Anne Pascale Michard Lenoir, François
Paysant, Caroline Rambaud, Caroline Rey-Salmon, Virginie Scolan, Barbara Tisseron et Nathalie Vabres
remercient
- l'ensemble des contributeurs de cet ouvrage,
- les membres d'honneur de la SFPML,
- Simon Barreault, pédiatre, webmaster du site SFPML http://www.sfpediatriemedicolegale.fr et
- Claire Morival, graphiste.

VII
Préface

La publication de ce remarquable ouvrage de pédiatrie médico-légale inter-


vient alors que nous célébrons cette année le trentième anniversaire de la rati-
fication par la France de la Convention internationale des Droits de l'enfant
(CIDE), adoptée un an avant, le 20 novembre 1989 par l'Assemblée générale
des Nations Unies, au terme d'un long et rude processus engagé après la Pre-
mière Guerre mondiale par la Société des nations.
Portée par des praticiens de l'enfance, au premier rang desquels le médecin
polonais Janus Korszack, la CIDE venait reconnaître l'enfant comme un être
humain à part entière, dont la dignité et l'intégrité physique et psychique
doivent être respectées.
Un être humain de même valeur que les adultes mais avec des caractéristiques
propres, tout à la fois plus vulnérable et nécessitant à ce titre une protection et
des soins spéciaux, et doté dès le plus jeune âge d'un potentiel extraordinaire
d'évolution, ainsi que de compétences et de capacités de compréhension de son
environnement et de communication : un être social, et un membre actif de sa
famille et de la société.
Un sujet de droits propres, universels et indissociables, pour la réalisation des-
quels il doit être soutenu, accompagné et encouragé par les adultes respon-
sables, articulés autour de quatre principes généraux et transversaux visant le
bien-être et l'épanouissement de chaque enfant, dont trois qui nous intéressent
plus précisément ici :
– Le droit à la vie, à la survie et au développement (article 6), interdépendant
du droit à être protégé contre toute forme de violences (article 19) et du droit
de jouir du meilleur état de santé possible (article 24).
– Le droit à exprimer librement son opinion dans toute question qui le
concerne (et que cette opinion soit dûment prise en compte), en particulier
dans les procédures administratives ou judiciaires (article 12).
– Enfin l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit constituer une considération
primordiale dans les décisions des institutions publiques et privées (article 3).
Je voudrais insister sur la notion d'intérêt supérieur de l'enfant, particulière­
ment centrale et structurante pour la bonne compréhension et la mise en
œuvre de la convention, en ce qu'elle est un droit, une règle de procédure et un
principe interprétatif de l'ensemble des autres droits.
Selon le Comité des droits de l'enfant de l'ONU, l'intérêt supérieur de l'enfant
peut être défini « tant comme la réalisation complète et effective de tous les
droits de l'enfant que son développement global », ce dernier « embrassant le
développement physique, mental, moral, spirituel, psychologique et social ainsi
que son bien-être, et englobant la satisfaction de ses besoins matériels, éducatifs,
affectifs et de sécurité » : une définition que la récente démarche de consen-
sus sur les besoins fondamentaux des enfants en protection de l'enfance a très
utile­ment permis de rappeler.

VIII
Préface

La détermination de l'intérêt supérieur de l'enfant impose une évaluation au


cas par cas de chaque situation, en fonction de l'enfant lui-même pris dans sa
globalité, de sa famille et de son environnement : il s'agit donc d'une approche
dynamique et obligatoirement partagée entre les différents intervenants ou
acteurs.
Or, trente ans après l'adoption de la CIDE, mais aussi trente ans après le vote
en France de la loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traite-
ments à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance, les violences subies
par les enfants restent une douloureuse réalité.
Et le Comité de l'enfant de l'ONU, dans ses observations finales adressées à
la France, note avec préoccupation que l'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas
suffisamment intégré en pratique et n'est pas toujours convenablement appré-
cié ni défini dans toutes les actions et décisions des pouvoirs publics.
Les travaux du Défenseur des droits, autorité administrative indépendante
chargée de défendre et promouvoir l'intérêt supérieur et les droits de l'enfant,
montrent ainsi, année après année, que l'absence de connaissance réciproque
des acteurs, le manque de coordination de leurs actions, mais aussi le manque
de formation des acteurs aux droits des enfants, contreviennent directement à
l'intérêt supérieur de ceux-ci, et pire, de manière intrinsèque, peuvent créer ou
renforcer les violences à leur encontre.
Et c'est bien là toute la finalité, et toute la force de cet ouvrage collectif, qui
permet de croiser les regards et dépasser les cloisonnements, voire les clivages
entre institutions et champs professionnels, au service du meilleur intérêt des
enfants.
C'est un grand honneur pour moi que de le préfacer, et une belle occasion de
saluer l'extraordinaire qualité des travaux de la toute jeune Société française
de pédiatrie médico-légale, dont la présidente, Martine Balençon, a coordonné
avec talent les différentes contributions.
Une belle occasion aussi pour moi, à quelques mois de la fin de mon mandat
de défenseure des enfants, d'exprimer ma profonde gratitude et ma sincère
admiration, pour le professionnalisme, la compétence et l'engagement magni-
fiques de toutes celles et de tous ceux qui œuvrent au quotidien pour accueillir,
écouter, réconforter, soigner, accompagner nos enfants victimes de violences.
Geneviève Avenard
Défenseure des enfants,
adjointe du Défenseur des droits
mars 2020

IX
Préface

En février 2016, à l'initiative d'une dizaine de pédiatres, médecins légistes et


médecins titulaires de cette double qualification, la Société française de pédia-
trie médico-légale est née.
La préoccupation des praticiens engagés dès la première heure était de mettre
les enfants et les adolescents en danger au cœur de leur pratique en leur appor-
tant leurs compétences de façon synergique, coordonnée et éthique.
La Société française de pédiatrie et la Société française de médecine légale ont
soutenu ce projet dès sa création.
La volonté d'améliorer le parcours médical et judiciaire de ces enfants et de
ces adolescents victimes ainsi que le souhait de prévenir les éventuelles consé-
quences graves sur leur santé globale, a permis la mobilisation de ce jeune
collectif.
La connaissance du développement psycho-affectif et de la croissance de l'en-
fant comme celle de l'expression pédiatrique de la clinique des violences sont
essentielles à cette pratique. Une très bonne connaissance de la procédure et
le respect du formalisme sont les seuls moyens de faire valoir le droit de ces
mineurs par une prise en compte du danger et des violences qu'ils subissent.
La mise en commun des savoirs favorise l'accès des mineurs au repérage, aux
soins gradués, adaptés et fléchés, à une protection proportionnée et, le cas
échéant, à une juste réparation.
Les textes de cet ouvrage ont été rédigés par de nombreux spécialistes français
et nord-américains avec la volonté de répondre avant tout aux besoins en santé
et aux droits des mineurs victimes dans un souci permanent d'articulation et
d'interaction.
Ce livre décrit des éléments de contexte historique essentiels. Il décline ensuite
l'existant toujours en mouvement, sous le prisme de la pédiatrie médico-légale.
Des axes de travail de terrain, de recherche, d'enseignement sont proposés.
Ils allient ces différents savoirs pour faire culture commune entre acteurs de
santé, de la protection de l'enfance et de la justice.
Cet ouvrage, destiné aux professions de santé et aux professionnels intéressés
et engagés sur le sujet des mineurs en danger et travaillant auprès d'eux, offre
au lecteur une opportunité de formation et aussi de réflexion sur ce sujet de
santé publique qui concerne 10 % des enfants et des adolescents. Ces textes,
écrits de façon interprofessionnelle, offrent des bases solides pour appréhender
de façon pragmatique ce sujet si difficile au croisement des enjeux sanitaires
et juridiques.

X
Préface

Ces textes représentent le corpus de connaissance commun de cette spécia-


lité transversale qu'est la pédiatrie médico-légale. Il est en tout cas l'expression
conjointe d'une volonté forte d'alliance synergique au service de l'enfant, de sa
santé et de sa protection.
Paris, le 30 janvier 2020
Professeur Christophe Delacourt
Président de la Société française de pédiatrie
Professeur Christèle Gras-Leguen
Secrétaire générale de la Société française de pédiatrie
Professeur Valéry Hédouin
Président de la Société française de médecine légale
Docteur Martine Balençon
Présidente fondatrice de la Société française de pédiatrie médico-légale

XI
Abréviations

AEMO assistance éducative en milieu ouvert HAD hospitalisation à domicile


AGBF aide à la gestion du budget familial HAS Haute autorité de santé
ASE Aide Sociale à l'Enfance HSD hématome sous-dural
C. cass.
Cour de cassation IGAS Inspection générale des affaires sociales
C. civ.Code civil IGSJ Inspection générale des services
CAC Child Advocacy Centers judiciaires
CASED cellule d'accueil spécialisé enfant en IML Institut médico-légal
danger ITT incapacité totale de travail
CASF Code de l'action sociale et des familles JE juge des enfants
CCI commission de conciliation et MDPH maison départementale des personnes
d'indemnisation des accidents médicaux handicapées
CNPE Conseil national de protection de MEF modèle éléments finis
l'enfance MJIE mesure judiciaire d'investigation
CD Conseil départemental éducative
CD-CP Child Development-Community Policing MIN mort inattendue du nourrisson
CECANF Eliminate Child Abuse and Neglect MRPE médecin référent protection de l'enfance
Fatalities NICHD National Institute of Child Health and
CIDE Convention internationale des droits Human Development
de l'enfant OCT tomographie par cohérence optique
CMP centre médico-psychologique OFPRA Office français de protection des réfugiés
CNPE Conseil national de la protection et des apatrides
de l'enfance OMS Organisation mondiale de la santé
CP Code pénal ONPE Observatoire national de la protection de
CPP Code de procédure pénale l'enfance
CREAI Centre régional d'études, d'actions et OPDE Observatoire départemental de la
d'informations protection de l'enfance
CRIP cellule de recueil des informations OPJ officier de police judiciaire
préoccupantes OPP ordonnance de placement provisoire
CVM centre de victimologie pour mineurs OR odds ratio
DES diplôme d'études spécialisées PHUPEA Pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie
DESNOS troubles de stress extrêmes non autrement de l'enfant et de l'adolescent
spécifiés PIBIS Pittsburgh Infant Brain Injury score
DGCS Direction générale de la cohésion sociale PJJ protection judiciaire de la jeunesse
EBM evidence-based medicine PMI protection maternelle et infantile
ED enfant en danger PPE projet pour l'enfant
EM équipe mobile PR procureur de la République
EMEA équipe mobile pour enfant et adolescent RCP réunion de concertation
EMUP équipe mobile aux urgences pédiatriques pluridisciplinaire
ENVEFF enquête nationale sur les violences envers SBS syndrome du bébé secoué
les femmes en France SFIPP Société francophone d'imagerie
EPRVFE équipe pédiatrique référente sur les pédiatrique et prénatale
violences faites aux enfants SFML Société française de médecine légale
ETF échographie transfontanellaire SFP Société française de pédiatrie
GAMS Groupe pour l'abolition des mutilations SFPML Société française de pédiatrie médico-
sexuelles et des mariages forcés et autres légale
pratiques traditionnelles néfastes à la SNATED Service national d'accueil téléphonique de
santé des femmes et des enfants l'enfance en danger

XVI
Abréviations

SO scintigraphie osseuse TS travailleur social


TA tribunal administratif UAPED unité d'accueil pédiatrique enfance en danger
TC traumatisme crânien UMJ unité médico-judiciaire
TCI traumatisme crânien infligé UMJM unité médico-judiciaire mineurs
TISF technicien d'intervention sociale et UMSAD unité mobile de soins à domicile
familiale VCo violences conjugales
TJ tribunal judiciaire VIF violences intrafamiliales

XVII
Historique Chapitre 1
J. Labbé

Points clés
▶ Les violences et les négligences sur
mineurs ont existé de tout temps.
▶ Leur identification a toujours été complexe

en raison des difficultés que leur diagnostic


génère dans les équipes de soins.
▶ L'apport de la pédiatrie, de la médecine

légale et de la radiologie a été essentiel à leur


reconnaissance.
▶ Seul le travail collaboratif entre diffé-

rentes professions permet de répondre à un


meilleur repérage et assure un diagnostic,
des soins et une expertise de qualité.

Que des enfants soient victimes de diverses


formes de maltraitance, même au sein de leur
famille, n'est pas un phénomène particulier à
notre époque, bien au contraire. Ce qui est nou-
veau, c'est la reconnaissance qu'il s'agit là d'un
problème de santé publique majeur, en raison
de sa grande fréquence et de ses conséquences
délétères chez bon nombre de victimes. Cette Figure 1.1. Auguste Ambroise Tardieu.
Source : © agefotostock / Alamy Stock Photo
sensibilisation de la société occidentale à une réa-
lité qu'elle préférait ignorer ne s'est pas faite sans
difficulté, puisqu'il a fallu plus d'un siècle pour soit déjà qu'un long martyre, que des supplices, que
la concrétiser. Des médecins de part et d'autre de des tortures, devant lesquels l'imagination recule,
l'Atlantique ont joué un rôle prépondérant dans usent leur corps, éteignent les premières lueurs de
cette entreprise qui a mis en lumière la complé- leur raison et abrègent leur existence, enfin, chose
mentarité des spécialités. Ce texte vise à souligner plus incroyable, que leurs bourreaux soient souvent
leurs contributions. ceux mêmes qui leur ont donné le jour, il y a là un des
Il convient de débuter en France ce retour dans plus effrayants problèmes qui puissent agiter l'âme
le passé puisque le tout premier à décrire le concept d'un moraliste et la conscience d'un juge. »
de l'enfant battu est un médecin légiste français, Plusieurs de ses observations sont encore
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

­Auguste Ambroise Tardieu (figure 1.1) [1]. Il en est valides aujourd'hui. Il s'attarde à la physionomie
bien conscient puisqu'il souligne que son étude, particulière des victimes, avec leur air à la fois
publiée en 1860, est « la première qui ait été tentée triste et craintif, leurs yeux éteints, notant l'amé-
sur le sujet auquel les auteurs de médecine légale lioration rapide de leur affect après le retrait de
n'ont pas accordé même une simple mention [2]. » leur milieu pathogène. Il attire l'attention sur des
Indigné par ses constatations faites sur 32 victimes signes cutanés caractéristiques de sévices, comme
Pédiatrie médico-légale

de violences physiques, dont 18 étaient décédées, il la présence d'empreintes de doigts ou d'instru-


écrit : « Que de l'âge le plus tendre de pauvres êtres ments ayant servi à les violenter, la multiplicité
sans défense soient voués chaque jour et presque à et la variété de couleur des ecchymoses, ainsi que
chaque heure aux plus cruels sévices, soumis aux plus leurs localisations, différentes de celles causées par
dures privations, que leur vie à peine commencée ne des blessures accidentelles. Il fait ressortir que

3
Partie 1. Éléments de contexte

les très jeunes victimes écopent des conséquences se basant sur 302 observations. Il est le premier
les plus sévères. On lui doit d'ailleurs les premières à signaler des attentats aux mœurs perpétrés par
descriptions du traumatisme cérébral non acci- des femmes.
dentel chez des bébés décédés, soit des fractures Malheureusement, l'impact des travaux de
du crâne et des hématomes sous-duraux. Il met en Tardieu est très limité à son époque. Il en fait lui-
évidence l'élément clé pour le diagnostic de la vio- même la constatation et tente un ultime effort
lence physique infligée, soit la discordance entre pour alerter ses collègues envers les sévices phy-
les lésions constatées et les explications apportées siques infligés aux enfants en reproduisant son
par les responsables. Il insiste sur le fait que la article de 1860 dans un livre publié l'année même
sévérité des blessures est incompatible avec le droit de son décès [6]. Dans les années qui suivent, il y
de correction invoqué par les parents en cause. a peu d'intérêt sur ce thème dans le milieu médi-
Ce médecin visionnaire s'intéresse à d'autres cal, bien qu'il soit choisi pour une thèse de doc-
formes de mauvais traitements envers les enfants. torat en médecine en 1885 par Antonin Delcasse,
Il fait l'analyse de 555 cas d'infanticide, phénomène un élève du médecin légiste Paul Brouardel [7].
touchant presque exclusivement des nouveau-nés Dans ce texte, on perçoit nettement l'influence
et constituant un véritable fléau au XIXe siècle [3]. du maître qui insiste sur le risque de diagnostics
Sans grande surprise, les responsables sont surtout erronés par conclusion hâtive devant un tableau
de jeunes femmes célibataires, réduites à cette extré- clinique suggestif de maltraitance et sur l'impor-
mité pour éviter le déshonneur et le rejet social. tance d'un diagnostic différentiel. Dans certains
Il dénonce l'exploitation au travail de jeunes exemples apportés, on se rend compte de leur
enfants dans les manufactures et les mines, consi- réticence à accepter certaines manifestations de
dérant qu'il s'agit d'un esclavage cruel et d'une violence physique. Delcasse cite notamment le
honte pour l'humanité1 [4]. Il relève des consé- cas d'un bébé décédé à l'âge de 11 jours, rejeté par
quences sur leur santé physique et mentale telles sa mère célibataire qui le traitait de « chameau ».
que retard de croissance et de puberté, déforma- Brouardel établit que la cause de sa mort est une
tions corporelles, intoxications aux métaux, acci- « syncope », éliminant l'homicide en invoquant
dents, perte importante de repères éducatifs et comme unique raison : « Une mère ne tue pas son
moraux. Il constate que la proximité des adultes enfant le 11e jour. C'est sans exemple. »
et des enfants sur les lieux de travail augmente le Cette crainte de diagnostics erronés de mal-
risque de sévices sexuels envers ces derniers. traitance se manifeste particulièrement dans le
Sur ce thème justement, il fait œuvre de pion- domaine des sévices sexuels. Nombre de méde-
nier en analysant 632 cas d'attentats aux mœurs cins légistes du XIXe siècle, dont Alphonse Toul­
chez des victimes de sexe féminin, dont 70 % ont mouche, Paul Brouardel, Alexandre Lacassagne
moins de 13 ans [5]. Il attire l'attention sur le fait et Léon-Henri Thoinot, observent la rareté de
que plusieurs enfants en sont victimes au sein de signes physiques chez les jeunes victimes. Le dia-
leur propre famille. Il dénonce plusieurs mythes gnostic doit donc reposer essentiellement sur leur
dont celui de l'absence congénitale d'hymen et témoignage. Mais peut-on s'y fier ? Certainement
également la croyance que des relations sexuelles pas, selon plusieurs médecins influents dont
avec de jeunes vierges permettent de guérir de Louis Pénard, Claude-Étienne Bourdin, Jean-
maladies vénériennes. Il décrit des signes de Alfred Fournier et Ernest Dupré. Ce dernier, un
violences sexuelles envers de jeunes garçons en psychiatre médico-légal, énonce en 1905 sa théo-
rie de la mythomanie selon laquelle les enfants
1
Il n'est pas le premier cependant à dénoncer cet état de mentent « normalement » en raison de leur imma-
fait. Un autre médecin, Louis-René Villermé, avait turité cérébrale [8]. La méfiance à l'égard de la
déjà décrit le triste sort des enfants au travail dans les parole de l'enfant obtient le soutien d'un neuro-
manufactures, ce qui conduisit à des lois de protec- logue autrichien illustre, dont l'influence va dépas-
tion à leur égard (Villermé, L.-R., Tableau de l'état ser les frontières : Sigmund Freud.
physique et moral des ouvriers employés dans les
manufactures de coton, de laine et de soie. Textes choi-
Freud identifie d'abord l'agression sexuelle
sis et présentés par Yves Tyl, Paris, Union générales dans l'enfance comme étant une cause majeure
d'Éditions, 1971 [1re édition, 1840]). de l'hystérie à l'âge adulte [9]. Mais, lorsqu'il

4
Chapitre 1. Historique

expose cette « théorie de la séduction » devant la par des « monstres ». En 1929, un médecin légiste,
Société des Psychiatres de Vienne le 21 avril 1896, Pierre Parisot, et un pédiatre, Louis Caussade,
son hypothèse est très mal reçue, provoquant tentent d'alerter leurs collègues sur l'importance
son isolement. Dès l'année suivante, il avise son des sévices physiques, en publiant leurs observa-
ami Wilhem Fliess qu'il a fait une « erreur » en tions sur pas moins de 1 937 jeunes victimes [10],
croyant les témoignages de patientes obtenus mais c'est peine perdue. Il faudra attendre encore
par psychanalyse et il élabore sa théorie du com- quelques décennies pour que des signaux d'alarme
plexe d'Œdipe. Freud estime dorénavant que en provenance de l'Amérique permettent de
les histoires d'agression sexuelle dans l'enfance, vaincre enfin la résistance des médecins français.
racontées par des femmes névrotiques, ne cor- Aux États-Unis également, la reconnaissance
respondent pas à la réalité, et ne sont que des des mauvais traitements connaîtra une période
fantasmes qu'elles se sont forgés, en raison du de mise en lumière suivie d'une longue éclipse.
désir sexuel inconscient ressenti envers leur père. Tout commence par un procès retentissant à
Cette interprétation, largement acceptée dans les New York en 1874, celui de Mary Connolly, la
milieux psychiatriques occidentaux, va rendre mère d'accueil de la petite Mary Ellen Wilson.
très difficile le diagnostic d'agression sexuelle La fillette était enfermée dans le logis, battue
chez les enfants et empêcher la détection de l'ori- quotidiennement, astreinte à de lourdes tâches
gine réelle des problèmes de santé mentale de ménagères, mal vêtue et contrainte de dormir sur
milliers de femmes pendant des décennies. un tapis [11]. Ses cris et ses pleurs attirent l'atten-
Vers la fin du XIXe siècle toutefois, il se produit tion du voisinage, si bien qu'une missionnaire de
en France une conscientisation envers la réalité de l'église méthodiste St-Luke, Etta Angel Wheeler,
certaines formes de maltraitance à l'encontre des est informée de sa situation. Cette dernière se
enfants, favorisée notamment par la diffusion par rend chez les Connolly sous prétexte de deman-
la presse de nombreuses histoires d'« enfants mar- der leur aide pour une voisine malade et constate
tyrs », ainsi que par l'exploitation de ce thème par elle-même la condition pitoyable de l'enfant. Dans
de grands écrivains comme Émile Zola. Le public l'espoir de la retirer de son milieu, elle s'adresse à
s'inquiète aussi des répercussions de la négligence la police puis à des organismes charitables pri-
parentale sur le devenir d'enfants laissés à eux- vés, mais en vain, car ils n'ont pas ce pouvoir. Sa
mêmes dans les rues des grandes villes, contraints nièce lui conseille de contacter Henry Bergh, le
à se livrer à la criminalité pour survivre. Malgré président de la Société protectrice des animaux 2,
la création de diverses sociétés philanthropiques avec l'argument que la fillette est certainement
destinées à venir en aide aux enfants en danger, « un petit animal ».
il devient évident que l'État, qui avait résisté Bergh confie l'affaire à l'avocat de la société,
jusqu'alors à s'ingérer dans le cercle familial, doit Elbridge T. Gerry, qui envoie un détective faire
aussi intervenir. C'est un médecin et homme poli- enquête. Une pétition est ensuite soumise à
tique, Théophile Roussel, qui est à l'origine de la la Cour suprême de New York, soutenant que
loi du 24 juillet 1889 sur la protection des enfants Mary Ellen est détenue illégalement par les
maltraités ou moralement abandonnés, permet- Connolly et qu'elle est maltraitée. Lors du procès,
tant pour la première fois la déchéance paternelle plusieurs témoins sont entendus dont l'enfant elle-
à certaines conditions. On lui devait déjà une loi même, et Mary Connolly est condamnée à un an
votée en 1874 qui avait mis fin aux abus du sys- de travaux forcés. Quant à la fillette, elle est placée
tème d'allaitement mercenaire. La loi de 1889 est dans la famille de madame Wheeler. L'affaire fait
complétée par une autre en 1898 qui redéfinit les grand bruit, car Henry Bergh avait invité plu-
peines encourues pour les crimes commis sur et sieurs journalistes au procès. Quelques mois plus
par des enfants. tard, l'avocat Gerry se joint à une dizaine d'autres
Après le début du XXe siècle, la maltraitance est
reléguée dans l'ombre. Bien sûr, on en retrouve 2
Henry Bergh avait fondé l'American Society for the
encore des exemples dans les faits divers des Prevention of Cruelty to Animals en 1866. La pre-
journaux, mais ces violences sont considérées mière société du genre avait été créée en Angleterre
comme des phénomènes marginaux perpétrés en 1824.

5
Partie 1. Éléments de contexte

philanthropes pour créer la New York Society for et ses collègues en 1962 qui aura le plus d'impact
the Prevention of Cruelty to Children. pour secouer la torpeur du milieu médical et
La nouvelle société se révèle très performante de l'ensemble de la société envers la réalité de
pour l'identification et la protection des enfants la maltraitance (figure 1.2). Ce texte décrit les
victimes de plusieurs types de maltraitance. Elle caractéristiques retrouvées chez 302 victimes de
contribue également à l'adoption de lois de pro- sévices physiques, recensées dans 71 hôpitaux
tection dans des domaines comme le travail des américains pendant un an, et chez 447 cas addi-
enfants, la pratique du baby farming3 et le sys- tionnels, obtenus par des communications avec
tème padrone4. Des sociétés similaires sont créées des procureurs [14]. Le titre, choisi expressément
un peu partout aux États-Unis et le modèle est pour attirer l'attention, atteint son but car les
exporté en Angleterre. Toutefois, après le début du médias s'emparent de ce thème, contribuant ainsi
XXe siècle, l'intérêt envers les mauvais traitements largement à la sensibilisation du public. Kempe
à l'encontre des enfants s'émousse considérable- est convoqué par le Children's Bureau en vue de
ment jusqu'à sa « redécouverte » par des médecins. préparer une loi modèle visant à protéger les vic-
Le premier médecin de l'ère moderne à soup- times de mauvais traitements. Dès 1965, 47 états
çonner l'importance du problème est le radio- américains ont leur loi obligeant le signalement
logiste John Caffey. En 1946, il rapporte les cas des présumées victimes aux services de protection
de six nourrissons présentant une association de l'enfance. Dans les années suivantes, l'intérêt
d'hématomes sous-duraux et de fractures des os se portera progressivement sur les autres types de
longs [12]. Il envisage une origine traumatique de maltraitance : violences sexuelles, mauvais traite-
ces lésions, malgré les dénégations des parents, ments psychologiques et négligence. Les mauvais
d'autant plus que, dans deux cas, il y a récidive traitements deviennent un sujet de recherche
de fractures après le retour à domicile. Dans l'une important, menant à l'identification de formes
des situations, l'enfant était clairement non désiré, particulières comme les syndromes du bébé
ce qui amène l'auteur à suggérer la possibilité de secoué5 et de Munchausen par procuration.
mauvais traitements, mais sans aller plus loin, Sous l'influence des études américaines, des
ne pouvant le prouver et craignant d'éventuelles médecins de plusieurs pays entreprennent de
poursuites. D'autres radiologistes s'intéressent briser le déni entourant la maltraitance. En
alors au phénomène des fractures « spontanées » France, les lanceurs d'alerte sont les pédiatres
chez de jeunes enfants sans maladie osseuse sous- Nathan Neimann et Michel Manciaux, ainsi que
jacente. Parmi eux, Frederic Noah Silverman Pierre Straus, fondateur de l'Association fran-
soutient en 1953 qu'elles surviennent à la suite de çaise d'information et de recherche sur l'enfance
traumas non reconnus, soit parce que les parents maltraitée (AFIREM). On voit apparaître pro-
les ignorent, soient parce qu'ils les nient [13]. gressivement des équipes médicales hospitalières
C'est toutefois la publication sur le battered spécialisées dans cette problématique un peu
child cyndrome par le pédiatre C. Henry Kempe partout sur le territoire français. L'État s'implique
dans la protection des enfants en danger notam-
ment par des lois votées en 1989, 2007 et 2016. Une
3
Le baby farming consiste dans le placement d'enfants autre étape importante est franchie en février 2016
dont les parents ne peuvent s'occuper dans des
lors de la création de la Société française de pédia-
familles d'accueil contre rémunération. Le placement
peut être temporaire ou définitif. Ce système est res- trie médico-légale, sous l'instigation de pédiatres
ponsable de multiples abus, surtout en cas de place- et de médecins légistes, soucieux de mettre en
ment définitif, des baby farmers n'hésitant pas à commun leur expertise afin d'assurer de meilleurs
favoriser la mort d'enfants pour s'enrichir à leurs services aux enfants victimes de violences et de
dépens. négligence. La pertinence d'une semblable organi-
4
Des petits enfants italiens sont amenés en Amérique
par des rabatteurs sous prétexte de leur offrir un
sation est d'autant plus grande qu'il persiste mal-
meilleur sort. Dans la réalité, les enfants sont envoyés heureusement un déni chez certains membres de
mendier dans les rues des grandes villes comme
chanteurs, musiciens, saltimbanques et doivent rap-
porter un montant minimum à leur padrone chaque 5
Dont l'appellation fut changée par la suite pour le
jour sous peine d'être battus ou privés de nourriture. « traumatisme cérébral non accidentel ».

6
Chapitre 1. Historique

Figure 1.2. C. Henry Kempe.

la profession médicale envers cette problématique. [6] Tardieu A. Étude médico-légale sur les blessures.
Il suffit pour s'en convaincre de regarder du côté Paris : Librairie JB Baillière et fils ; 1879.
[7] Delcasse A. Étude médico-légale sur les sévices de
des tribunaux où régulièrement des « experts »
l'enfance. Paris : Librairie Ollier-Henry ; 1885.
prétendent expliquer des lésions d'origine trauma- [8] Dupré E. La mythomanie. Paris : Imprimerie typo-
tique par des maladies rares non démontrées. graphique Jean Gainche ; 1905.
[9] Freud S. L'hérédité et l'étiologie des névroses. Rev
Références Neurol 1896;4(6):161–9.
[10] Parisot P, Caussade L. Les sévices envers les
[1] Labbé J. Ambroise Tardieu : The Man and his Work enfants. Annales de Médecine Légale 1929 ; vol. 9 :
on Child Maltreatment One Century Before Kempe. 398–426.
Child Abuse & Neglect, 2005:29(4):311–24. [11] Shelman EA, Lazoritz S. Out of the Darkness – The
[2] Tardieu A. Étude médico-légale sur les sévices et Story of Mary Ellen Wilson. Bel Air: Dolphin Moon
mauvais traitements exercés sur des enfants. Annales Publishing; 1999.
d'Hygiène Publique et de Médecine Légale 1860 ; vol. [12] Caffey J. Multiple Fractures in the Long Bones of
13:361–98. Infants Suffering from Chronic Subdural Hematoma
[3] Tardieu A. Étude médico-légale sur l'infanticide. Am J Roentgenol Radium Ther Nucl Med 1946;
2e édition Paris : J.B. Baillière et fils ; 1880. 56(2):163–73.
[4] Tardieu A. Mines, mineurs et Travail des enfants [13] Silverman FN. The Roentgen Manifestations
In : Dictionnaire d'hygiène publique et de salubrité. of Uncognized Skeletal Trauma in Infants Am
2e édition. Tome troisième. Paris : JB Baillière et fils ; J Roentgenol Radium Ther Nucl Med 1953;69(3):
1862. p. 35 et 258. 413–27.
[5] Tardieu A. Étude médico-légale sur les attentats aux [14] Kempe CH, Silverman FN, Steele BF, et al. The
mœurs. Paris : Librairie JB Baillière et fils ; 1857. Battered-Child Syndrome JAMA 1962;181(1):17–24.

7
La politique publique Chapitre 2
de protection de l'enfance
en France : actualité,
enjeux et perspectives
A. Gindt-Ducros

PLAN D U C H A P IT RE
Quelques éléments d'évolution de la politique publique
Quelques éléments d'évolution
de protection de l'enfance de la politique publique
La politique publique de protection de l'enfance actuelle
en France de protection de l'enfance
Une politique publique partagée
Les textes de référence actuels La protection de l'enfance a certes varié selon les
La cellule chargée du recueil, du traitement et de
l'évaluation des informations préoccupantes (CRIP) périodes politiques, mais c'est surtout le statut de
Observatoire départemental de la protection de l'enfant qui a vécu de profondes mutations à tra-
l'enfance (ODPE)
L'enfant au cœur du dispositif
vers les siècles [1]. D'abord infans, être sans parole,
De réels changements de paradigmes pour les pratiques
irresponsable et sans droit, complètement soumis à
professionnelles la puissance paternelle, l'enfant est devenu progres-
sivement objet puis sujet de droit, avec au milieu
du XIXe siècle l'élaboration de diverses réglemen-
tations pour le protéger, en matière de travail, de
Points clés justice ou d'éducation. Au cours du XXe siècle, il est
▶ Le dispositif de protection de l'enfance finalement devenu un sujet à part entière jusqu'à
s'est construit autour d'une double protec- l'adoption le 20 novembre 1989 par l'Organisation
tion : judiciaire et sociale. des Nations Unies, de la Convention internationale
▶ Les conseils départementaux sont les
des droits de l'enfant (CIDE), ratifiée par la France
chefs de file de la protection de l'enfance
dans un régime de co-responsablilité avec
le 7 août 1990. Parallèlement, c'est la figure pater-
des services de l'État : justice, santé, éduca- nelle qui évolue de la puissance du pater familias à
tion, intérieur et le secteur associatif. la figure du père aimant, protecteur et garant de la
▶ La protection de l'enfance vise à garantir
bonne moralité familiale, mais toujours centrée sur
les besoins fondamentaux de l'enfant dans la puissance paternelle. Celle-ci décline finalement
le respect de ses droits dans une approche
globale et écosystémique du développe-
par la réforme de l'autorité parentale du 4 juin 1970,
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

ment humain. faisant valoir le droit des mères et constituant ainsi


▶ Agir en protection de l'enfance se base un rééquilibrage des deux figures parentales [1].
sur le principe de cohérence et de conti- C'est ce rééquilibrage qui aura notamment pour
nuité des parcours de l'enfant. effet de faire émerger la notion de parentalité qui
▶ Les démarches partenariales, intersecto-

rielles associant les enfants et les familles


occupe depuis une part importante de l'action
sont à développer dans l'intérêt et le res- publique.
pect des droits de l'enfant. Dès le XIXe siècle, la médecine a alerté sur
Pédiatrie médico-légale

les conditions de vie et les mauvais traitements

9
Partie 1. Éléments de contexte

envers les enfants. Mais il faut attendre les Les textes de référence actuels
années 1950 et 1960 aux États-Unis pour que cela
devienne une question médicale, passant par la Dès 1984, la France inscrit dans la loi n° 84-422
description de tableaux cliniques particuliers. du 6 juin 1984 relative « aux droits des familles
Puis, ce sont des professionnels du social et des dans leurs rapports avec les services chargés de
associations qui s'emparent du problème des mau- la protection de la famille et de l'enfance, et au
vais traitements à enfants, en en faisant une cause statut des pupilles de l'État » sa préoccupation des
politique permettant ainsi aux mauvais traite- droits des enfants et des familles, l'importance
ments physiques d'être considérés comme un d'associer l'enfant aux décisions qui le concerne
problème de santé publique [2]. En découlera la et le nécessaire accompagnement des familles
reconnaissance des maltraitances sexuelles, psy- qui en ont besoin. Puis, d'autres textes sont venus
chologiques, des négligences et plus récemment construire la protection de l'enfance : 1989 avec
celle des maltraitances des enfants exposés aux la CIDE ; 2002 avec la loi du 4 mars 2002 relative
violences domestiques. En France, le même mou- à l'autorité parentale ; 2007 avec la loi du 5 mars
vement a eu lieu juste un peu décalé dans le temps, 2007 réformant la protection de l'enfance ; 2016
le néologisme de maltraitance étant quant à lui avec la loi du 14 mars 2016 relative à la protection
introduit dans les politiques de santé publique de l'enfant.
dans les années 1990 [2]. La loi de 2007 définissait la protection de
l'enfance comme ayant « pour but de prévenir
les difficultés auxquelles les parents peuvent être
confrontés dans l'exercice de leurs responsabilités
La politique publique éducatives, d'accompagner les familles et d'assu-
rer, le cas échéant, selon des modalités adaptées
de protection de l'enfance à leurs besoins, une prise en charge partielle ou
actuelle en France totale des mineur ». Et pour la première fois,
des dispositions de la CIDE sont introduites en
Une politique publique partagée posant, dès l'article 1er, que les priorités de la
protection de l'enfance résident dans « l'intérêt
En France, le dispositif de protection de l'enfance
de l'enfant, la prise en compte de ses besoins et
s'est construit autour d'une dualité constituée par
le respect de ses droits [qui] doivent guider toute
deux autorités protectrices : la protection judi-
décision le concernant ». Enfin, cette loi instaure
ciaire et la protection sociale. Jusqu'en 1982, la
divers éléments clés du dispositif de protection
protection de l'enfance constituait une politique
de l'enfance concernant l'organisation des ser-
régalienne de l'État et c'est l'acte I de la décen-
vices, les partenariats et la prise en compte des
tralisation (lois de 1982 et 1983) qui transfère au
intérêts, des besoins fondamentaux et des droits
département la responsabilité de l'aide sociale.
de l'enfant.
L'acte II en fait le chef de file de l'action sociale
(loi du 13 août 2004) et enfin, la loi NOTRe du
7 août 2015 désigne le département comme garant La cellule chargée
« des solidarités territoriales et humaines » [3]. Les du recueil, du traitement et
conseils départementaux (CD) sont donc les chefs
de file de la protection de l'enfance. Pour autant,
de l'évaluation des informations
si les services et missions de l'aide sociale à l'en- préoccupantes (CRIP)
fance, de la protection maternelle et infantile et de Dans chaque département, est créée une CRIP
l'action sociale ont été confiés aux CD, le transfert relative aux mineurs en danger ou qui risquent de
de compétences n'a pas été total, l'État conservant l'être qui a pour objectif de clarifier l'entrée dans
notamment la santé, la psychiatrie infantile, l'inté- le dispositif de protection de l'enfance et d'éviter
rieur, la justice des mineurs, l'éducation dont le l'engorgement des Parquets. La loi réserve doréna-
service social scolaire et la santé scolaire. La pro- vant le terme de signalement à la saisine du procu-
tection de l'enfance est ainsi située dans un régime reur de la République. Le recueil des informations
de coresponsabilité [4]. préoccupantes est centralisé et organisé sous la

10
Chapitre 2. La politique publique de protection de l'enfance en France : actualité, enjeux et perspectives

forme d'un circuit unique, facilement repérable navant être précédées d'une évaluation de la situation
par l'ensemble des acteurs et des protocoles sont prenant en compte trois éléments : l'état du mineur,
élaborés par le CD avec les autres institutions. la situation de la famille et les ressources mobili-
Pour autant, aviser directement le procureur de sables dans son environnement. Cette démarche doit
la République pour les professionnels, les ser- conduire à établir un document dénommé projet
vices publics, les établissements privés ou publics pour l'enfant (PPE), qui a été revu par la loi de 2016
susceptibles de connaître des mineurs en danger en le recentrant encore plus sur les besoins fonda-
reste possible mais doit être réservé aux situations mentaux de l'enfant. Le texte de loi prévoit aussi que
les plus graves. le juge fixe la nature et la fréquence des droits de
L'évaluation des situations individuelles et fami- visite et d'hébergement et qu'il peut décider que leurs
liales est réalisée par les services départementaux conditions d'exercice soient déterminées conjointe-
qui sont chargés de lui donner un caractère pluri- ment entre les titulaires de l'autorité parentale et la
disciplinaire et pluri-institutionnel. Pour ce faire, le personne, le service ou l'établissement à qui l'enfant
partage d'informations à caractère secret est orga- est confié. Enfin, les visites médiatisées en protection
nisé dans le but de mieux protéger les profession- de l'enfance sont légalisées.
nels sous la forme d'un « secret partagé » possible Bien que la notion des besoins fondamentaux de
« qu'entre personnes soumises au secret profession- l'enfant soit inscrite dans la loi de 2007, celle-ci a été
nel qui mettent en œuvre la politique de protection soumise aux critiques, jugée par trop « familiariste »,
de l'enfance ou qui lui apportent leur concours » [5]. voire « parentaliste » car centrée d'abord sur les dif-
ficultés parentales [6]. Il s'est alors ensuivi la loi du
Observatoire départemental de la 14 mars 2016 portant sur la protection de l'enfant.
protection de l'enfance (ODPE) Restant dans la continuité de nombreux principes
posés en 2007, son article 1er apporte cependant
Dans l'idée de parachever la construction d'un
une nouvelle définition de la protection de l'en-
dispositif d'observation en protection de l'enfance
fance comme visant à « garantir la prise en compte
destiné à « mieux connaître pour mieux prévenir
des besoins fondamentaux de l'enfant, à soutenir
et mieux traiter », démarré en 2004 par la création
son développement physique, affectif, intellectuel et
de l'Observatoire national de l'enfance en danger
social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa mora-
(ONED) [5] devenu Observatoire national de la pro-
lité et son éducation, dans le respect de ses droits ».
tection de l'enfance (ONPE) en 2016, la loi de 2007
L'enfant y a donc une place centrale et la nécessaire
créé dans chaque département un ODPE placé sous
évaluation des besoins de l'enfant dans un souci de
l'autorité du président du CD. De composition pluri
sécurisation de son parcours en matière de cohé-
institutionnelle précisée par décret, il rassemble
rence et de continuité est renforcée. Elle tend aussi
l'ensemble des acteurs notamment des CD, de
à faciliter l'évolution du statut de l'enfant par la
l'État, et du secteur associatif œuvrant en protection
création de commissions d'examen des situations
de l'enfance aussi bien en prévention qu'en prise en
et du statut des enfants confiés. Enfin, il est prévu
charge. Chaque ODPE constitue ainsi un important
que soit désigné dans chaque département, au sein
outil d'animation de la politique publique départe-
de l'Aide sociale à l'enfance, un médecin référent
mentale de protection de l'enfance.
en protection de l'enfance chargé d'organiser les
modalités de travail et les coordinations néces-
L'enfant au cœur du dispositif saires entre les services départementaux, dont la
Se référant à la CIDE, la loi du 5 mars 2007 pose la CRIP, et les médecins libéraux, hospitaliers et de
considération du développement physique, affectif, santé scolaire. Ce texte pose le principe que toutes
intellectuel et social de l'enfant comme devant être les décisions de protection doivent être « adaptées
protégé lorsqu'il est compromis, au même titre que à chaque situation et objectivées par des visites
ses conditions d'éducation. Une considération par- impératives au sein des lieux de vie de l'enfant et
ticulière est apportée à la continuité des liens qui en sa présence et s'appuyer sur les ressources de
s'établissent pour un enfant et à l'importance de cette la famille et de l'environnement de l'enfant. Elles
continuité pour sa construction [5]. Les réponses impliquent la prise en compte des difficultés aux-
apportées aux enfants et à leur famille doivent doré- quelles les parents peuvent être ­confrontés dans

11
Partie 1. Éléments de contexte

l'exercice de leurs responsabilités éducatives et la et dans son intérêt en interrogeant les modalités
mise en œuvre d'actions de soutien adaptées en d'exercice de la parentalité et l'environnement de
assurant, le cas échéant, une prise en charge par- l'enfant conduit inévitablement à ce que les pro-
tielle ou totale de l'enfant ». Cette loi conduit donc à fessionnels de la protection de l'enfance abordent
un rééquilibrage entre droits de l'enfant et autorité autrement les situations professionnelles. C'est
parentale et va au-delà de la seule prise en compte pourquoi la loi de 2016 a été suivie d'une démarche
des besoins fondamentaux de l'enfant, puisqu'il de consensus portant sur les besoins fondamen-
s'agit maintenant de les garantir et de s'appuyer sur taux de l'enfant [7], aboutissant à la construction
les ressources familiales et sur l'environnement de d'une cartographie de sept besoins fondamen-
l'enfant. taux de l'enfant nécessaires à son développement
(figure 2.1 et [8]), constituant un socle possible
De réels changements pour une action en protection de l'enfance eu égard
aux adversités rencontrées donnant un caractère
de paradigmes pour les spécifique aux besoins fondamentaux des enfants
pratiques professionnelles de la protection de l'enfance auxquels il s'agit d'ap-
porter des réponses tout aussi spécifiques.
Affirmer les principes de garantie des besoins L'enjeu est de penser la protection de l'enfant
fondamentaux de l'enfant au regard de ses droits en considérant l'ensemble des besoins de l'enfant

Besoin
d'experiences et
d'exploration du
monde

esoin : SÉCUR
ta b ITÉ

Besoin affectif et
relationnel

Besoin de protection
Besoin d'estime Besoin d'un
de soi et de cadre de règles
valorisation de soi et de limites

Besoins
physiologiques
et de santé

Besoin
d'identité

Figure 2.1. Carte des besoins fondamentaux universels de l'enfant.


Extrait de Martin-Blachais M.P. Démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant en protection de
l'enfance. Rapport remis à Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, en février 2017.

12
Chapitre 2. La politique publique de protection de l'enfance en France : actualité, enjeux et perspectives

et de façon globale selon le modèle écologique du de l'enfant, de travailler de façon plus globale en
développement humain [8] permettant de tenir tenant compte de tous les besoins et de tous les
compte de l'influence réciproque de multiples environnements de l'enfant et par conséquent de
systèmes, des plus proches de l'enfant (micro- travailler de manière plus intersectorielle, plus
systèmes) au plus éloignés (macrosystèmes), partenariale, plus participative, plus prospective
composant tous ensemble son environnement et donc infiniment plus complexe.
écologique.
Fonder l'action en protection de l'enfance sur
ces concepts conduit les professionnels à les inté- Références
grer dans leurs pratiques et leurs interventions,
[1] Becquemin M, Chauviere M. L'enfance en danger:
dans une approche dynamique s'inscrivant dans genèse et évolution d'une politique de protection.
des parcours de vie. Ainsi les réponses à appor- Enfances & Psy 2013;3(60):16–27.
ter doivent aller au-delà d'une seule protection [2] Fassin D. Faire de la santé publique. Rennes: Presses
de l'enfant face à des risques et des dangers, et de l'EHESP ; 2008.
l'enjeu est bien de créer aussi des conditions favo- [3] Terrier E, Halifax J. Approche territoriale de la pro-
tection de l'enfance. Quelles spécificités des espaces
rables pour son avenir et son accès à l'autono- urbains, ruraux, périurbains ? Le Sociographe 2017/5
mie. Ainsi, agir en protection de l'enfance selon (N° Hors série 10):61–82.
les besoins fondamentaux offre de nombreuses [4] Rosenczveig JP. La loi n° 2016-297 du 14 mars 2016
perspectives d'action dans toutes les compo- relative à la protection de l'enfant Journal du Droit
santes de la vie d'un enfant : sa famille, son mode des Jeunes 2016; 353:16–36.
de garde, son école, ses loisirs, ses services de [5] ONED. Les 7 enjeux de la loi du 5 mars 2007 réfor-
mant la protection de l'enfance. 2005.
santé, son logement, etc., qui participent toutes [6] ONPE. Protection de l'enfant : les nouvelles dispo-
à son développement et à sa socialisation [9]. Il sitions issues de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016
est donc nécessaire dans la pratique quotidienne, relative à la protection de l'enfant. 2016.
de chercher dans le même temps, d'une part à [7] Martin-Blachais MP. Démarche de consensus sur
réduire et à lutter contre des facteurs de vulné- les besoins fondamentaux de l'enfant en protection
de l'enfance. [Rapport] remis à Laurence Rossignol,
rabilité pathogènes générant de la mauvaise santé
ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des
et faisant donc une part importante aux soins, et femmes, Paris : Direction générale de la cohésion
d'autre part à développer les facteurs de protec- sociale. 28 février 2017.
tion et de résilience salutogènes [10], dans le sens [8] Bronfenbrenner U. The ecology of human develop-
où ils vont générer de la bonne santé. Il en découle ment : experiments by nature and design. Cambridge,
la nécessité pour les mineurs et jeunes majeurs MA: Harvard University Press ; 1979.
[9] Gindt-Ducros A. Développer pour tous une culture
relevant de la protection de l'enfance de faire évo- commune autour des besoins fondamentaux univer-
luer la conception de la protection de l'enfance sels de l'enfant, La Santé en Action 2019;447:8–9.
au-delà des prestations et des mesures de protec- [10] Antonovsky A. Health, Stress and Coping. San
tion et d'y intégrer ce qui fait la vie quotidienne Francisco : Jossey-Bass Publishers ; 1979.

13
Le trauma complexe Chapitre 3
chez l'enfant
et l'adolescent
J. Dayan

PLAN D U C H A P IT RE Certains traumas pérennes ou répétés, mais aussi


Découverte et diagnostic du trauma psychique certains traumas sexuels uniques et les traumas
de l'enfant
très précoces, sont susceptibles de provoquer des
Le trouble de stress post-traumatique chez l'enfant
Les études princeps: le TSPT « simple » chez l'enfant
troubles complexes associant une altération mar-
Le trauma avant 6 ans, des liens privilégiés avec le quée de la personnalité et des effets somatiques
trauma complexe évoluant de concert avec le développement. Ces
Le TSPT « complexe » troubles sont regroupés sous l'appellation trauma
Mise en évidence
Aspects développementaux
complexe ou trauma développemental. Des débats
Les traitements persistent sur l'autonomie du syndrome car la
majorité des patients avec une symptomato­logie
traumatique complexe présente aussi un trouble
de stress post-traumatique (TSPT) simple, com-
plet ou partiel.
Points clés
▶ Les violences répétées dans l'enfance
peuvent entraîner des troubles post-trau-
matiques spécifiques. Découverte et diagnostic
▶ Ces troubles ont été désignés par les

vocables de trauma complexe, développe-


du trauma psychique de l'enfant
mental, de type II et DESNOS.
▶ Ils associent troubles de la personnalité
Trois temps de la connaissance du trauma psy-
avec phénomènes dissociatifs et troubles chique chez l'enfant peuvent être différenciés.
d'expression somatique. Le premier s'étend de Tardieu, médecin légiste
▶ Les traumas sexuels et les traumas très
vers 1850, à Freud et ses successeurs. Tardieu,
précoces présentent un risque majoré contre l'incrédulité de ses confrères, diagnos-
d'évolution vers le TSPT complexe.
▶ L'évolution après un trauma complexe
tique l'ampleur de la violence intrafamiliale,
vers des pathologies identifiées de l'enfant surtout traumas sexuels, coups et homicides.
et de l'adulte tend à être considérée comme La psychanalyse avec Freud en découvre les
un phénomène développemental. conséquences possibles chez l'adulte : névroses
© 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

▶ Le cœur de la pathologie consisterait en


diverses (dont « l'hystérie »), anorexies et troubles
des troubles de la régulation émotionnelle.
▶ Les thérapies sont encore mal codifiées,
du comportement, somatisations, etc. Le deu-
mais il existe un consensus pour un traite- xième temps débute avec Kempe vers 1960,
ment par étapes. pédiatre aux États-Unis, qui (re)découvre la
▶ Ces notions doivent être bien connues
fréquence des violences intrafamiliales surtout
des pédiatres qui exercent en pédiatrie physiques et décrit avec Silverman le « syn-
médico-légale afin qu'une analyse sémio-
drome de Tardieu », plus connu aujourd'hui
Pédiatrie médico-légale

logique fine des situations puisse être faite


et que des soins en pédopsychiatrie adaptés sous l'intitulé « syndrome de Silverman », des-
et fléchés puissent être sollicités. cription radiologique des fractures multiples
cicatrisées des enfants battus [1]. Durant les

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vaakalinnusta
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Title: Laulu vaakalinnusta


Runoja

Author: Martti Haavio

Release date: November 29, 2023 [eBook #72259]

Language: Finnish

Original publication: Porvoo: WSOY, 1927

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LAULU


VAAKALINNUSTA ***
LAULU VAAKALINNUSTA

Runoja

Kirj.

P. MUSTAPÄÄ [Martti Haavio]

Porvoossa, Werner Söderström Osakeyhtiö, 1927.

SISÄLLYS:
I

Laulu vaakalinnusta
Ruissalo
Kuuvannokassa
Tapaaminen
Haapsalun valkea nainen
Punaista ja kultaa
Viimeisestä illasta

II
Atlantis
Piilipuitten alla
Luuranko metsässä puhuu
Vainaja

III

Kaunas 1.
2. (Hämärä metsä)
Tivoli
Fürstenhof
Wintergarten

IV

Tripolis
1. Miss Annabel
2. Fatiman kuolo
Lasisesta silmästä
Yxi walitettava wirsi
Suomalainen ryijy
Puer natus in Betlehem
Vaatimattomasta hautauksesta
Legenda väsyneistä naisista
Sotamiehen hautauksesta
Mikko Puhtisesta

Dominus Krabbe
1. Pappilan nuorenherran kertomus
2. Piika Amandan kertomus
3. Renki Epramin kertomus
4. Kirkonvartija Optaatuksen kertomus
5. Pappilan neitien kertomus
6. Vanhan haudankaivajan kertomus

VI

Laulu esi-isilleni, laukunkantajille


Daidalos ja Ikaros
1. Ikaros
2. Daidalos ja Ikaros
Suvinen ilta
1. Laulu esi-isille
2. Työn laulu
3. Suvivirsi
4. Laulu isänmaasta
5. Kuoleman laulu

I
Se on eriskummallinen lintu, joka
ei ole kokonaan lintu. Mutta se
istuu kaukaisessa viheriäisessä
metsässä kaukaisen vaskivuoren
takana ja vartioitsee aarteita.
Sinä et voi nähdä sitä, oi
Duryodhana, mutta sen äänen
kuulet hiljaisina iltoina. Mutta
kun vaakalinnun äänen kuulet,
vyötä silloin kupeesi, oi
Duryodhana, ja kätkeydy, sillä
onni on saita.

Intialainen satu.
LAULU VAAKALINNUSTA

Vanhanaikainen runo

Ruissalo

Armas, sun kiharoissasi liehtoi suvinen tuuli, kun sinut


tapasin viileessä toukokuussa vuokkojen kukkimisaikaan,
sunnuntaina auringonläikkeessä Ruissalon rantatiellä.

Armas, näin, miten korvies pienet helmet


mustien hiustesi varjoon piiloittuivat,
sitten näin sinun silmäs, ja niitten kaivoon
upposi äkkiä sieluni jääden sinne.

Tammien alla me kuljimme iltaan asti.


Kuulimme peipposlintujen suloisen laulun.
Nousimme vuorille. Toukomettisen huilu
helähti laaksosta, miltei jalkaimme alta.

Poimimme alhosta vuokkoja silloin tällöin


ujoina, arkoina toistemme silmiä etsein.
Olimme hartaita. Turusta kuljetti tuuli
tuomiokirkosta suurien kellojen pauhun.

Itkimme melkein. Olimme onnellisia.


Silloin me kuulimme metsästä tumman soinnun:
kaukana jossain, oksien holviston alla
outo lintu valitti kummallisesti…

Kuuvannokassa

Katso me pakenimme, ja Kuuvannokkaan,


kiville, joita vaaleat laineet huuhtoo,
päädyimme viimein. Kahden, onnellisina
seisoimme katsoen
kauaksi Airistolle.

Näimme harmaitten lokkien kiirivän yllä


vaahtoharjaisten. Näimme hanhien aurat,
näimme jahtien myötätuulessa-lennon
ohitse aution
Viitakarin ja Kuuvan.

Meidän selkämme takana, hongistossa


Japhyx-tuuli helkytti kanteletta.
Kuuntelimme, kun Juhana herttua ajoi
raudikko-orhilla
ylitse samettiketoin.

Kauriitten hengitys kuului arkana silloin


mättäitten takaa ja saksanpeurojen laumat
kavahti säikkyen pähkinäpensaikosta
hurjien koirien
innosta läähättäessä.

Nihdit ja huovit syöksivät koirien jälkeen.


Katariina! Ja ehtoossa kellastuvassa
kutsui Juhana herttuatarta ja sitten
suutelivat he
hellästi mäntyjen alla.

Mutta rannalla syöksivät mustat laineet


jalkoihis asti, armas. Ja kuule, kuule!
Hongan latvassa valitti outo lintu.
Miten se huusi
ehtoossa himmentyvässä.

Tapaaminen

Odotin vanhan majurin haudan luona, heisipensaan


katveessa kirkkomaalla. Naakat hymyili kirkon harjalla, jota
puolipäivän kiihkeä aurinko paahtoi.

Alhaalla suitsusi kasteheinissä tuuli.


Jumala saarnasi kirkossa syntisille
milloin tuomiten heitä, milloin armoa jakain,
vihdoin keräten kaikki helmainsa turviin.

Urut syttyivät. Lukkarin ankara basso


nosti taivaitten luojalle ylistysvirren.
Sitten vaikeni kaikki, kun rahvas vaipui
siunaten itsensä syvälle penkkien ylle.

Isännät tulivat ensiksi kankein jaloin


suuresta ovesta, sitten emännät myöskin
hitaasti, jutellen, liinoja tiukalle solmein,
jollakin poskella vielä kyynelen uurto…

Ja kun ma nousin, näin sinun tulevan sieltä.


Silloin äkkiä kirkon perustus järkkyi.
Tanner hypähti. Vihreä valkeus syttyi.
Tornin huipussa veisasi viirikukko.

Haapsalun valkea nainen.

Me tulemme Ristin metsistä lävitse Läänemaan.


Me istumme Haapsalun valleille hetkeksi huoahtamaan.
Me kuulemme äänien sorinaa. Me näemme yllämme kuun,
joka sarvilyhdyllä vilkuttaa vanhaan Haapsaluun.

Ja pienet neidit vaeltavat teitä puistikon,


joka rauniolinnan ympärillä syyssuven-vehmas on.
Ja kun me nostamme katseemme, me näemme hämmästyen
linnan tuuliviirin päässä oudon linnun sen…

Oi, kuule, nuori neiti, luen selvästi kohtalos:


tulet onnelliseks, jos kuolet, ja onnettomaks, jos
elät rinnallani, sillä olen Poika Onneton!
Minun sydämessäni kaipuu tuntematon on.
Ja me lähdemme ääneti valleilta ja liitymme vaeltaviin.
Minä tunnen käsivarrestasi, että nyyhkytät niin
kuin elämäs olisit kadottanut. — Nainen valkoinen
on noussut kappelin ikkunaan armoa rukoillen.

Ja laaksossa huilu valittaa. Niin yksin se valittaa


ja kertoo Haapsalun valkean naisen kauhutarinaa.
Hän rakasti munkki-ritaria. Hänet kiinni muurattiin
ihan säälimättä linnankirkon Maarian-kappeliin.

Punaista ja kultaa

Tulipunainen aurinko vavahti äkkiä palamaan. Minä


unestani havahduin enkä noussut kumminkaan.

Minun ikkunani edessä


oli koivu kultainen.
Sen oksalta kuulin linnun
alakuloisen.

Minä uneksin hetken vielä:


näin prinsessan kumartuvan
ja suovan kerjuripojalle
jäähyväissuudelman.

Minun herätyskelloni soitti.


Minun oli mentävä nyt.
Tätä syksyaamua ajatellen
olin monesti värissyt.
Viimeisestä illasta

Istuimme kahden tanssilavan luona.


Ja sinä olit kalpea ja kaunis.
Ja hehkui pihlajissa lyhdyt tanssilavan luona.
Ja viulu yksin soitti, viulu soitti:
Olet kaunis, Marguerita.

Istuimme kahden tanssilavan luona.


Elämä katsoi meitä silmin hämmentävin
ja puhui meille rakkaudesta tanssilavan luona.
Ja viulu yksin soitti, viulu soitti:
Olet kaunis, Marguerita.

Istuimme kahden tanssilavan luona.


Yö takanamme oli niinkuin Suuri Murhe
ja itki meitä molempia tanssilavan luona.
Ja viulu yksin soitti, viulu soitti:
Olet kaunis, Marguerita.

Istuimme kahden tanssilavan luona.


Me emme voineet auttaa toisiamme.
Me nousimme ja vaelsimme tanssilavan luota
ja viulu yksin soitti, viulu soitti:
Olet kaunis, Marguerita.
II
ATLANTIS

Tule, anna kätesi mulle, tule, älä vapise niin. Minä olen sua
kauan odottanut. Saariin onnellisiin tänä päivänä lähtee
laivani. Jos tahdot mukaan, on sinun varalles hankittu piletti ja
hytti maksuton.

Ja jos sinä pelkäät, katso, miten väkevä olen ma.


Minä olen niin monta kertaa seilannut. Kuolema
on minusta ollut hupsu ja naurettava mies,
kun se on keikkunut märssykorissa. Ja, voi, sen, Herra ties,

olen monta kertaa nähnyt, kun se on tarrannut tyyrihin ja


ajanut laivan karille. Ja katso, kumminkin tänä päivänä seisoo
edessäsi kippari Peloton, joka viidestä laivarikosta pelastunut
on.

Niin lienee Luojan tarkoitus, että sinäkin nähdä saat,


mitä näkivät vuosisatoja sitten miehet onnekkaat:
meren takana, tyrskyjen takana saaren Atlantiin.
Se on viiniä täynnä ja hunajaa. Oi, älä vapise niin.

Miks vedät nuoren kätes pois mun karkeesta kourastain?


Minä lienen kyllä raaka mies ja kippariksi vain
mua sanovat merimieheni. Vaan kippari Peloton
kai hiukan toista sentään on kuin kippari Pelkuri on.

Sinä olet nuori ja kiharapää ja suloinenkin oot minun


mielestäni. Ja kernaasti nuo toiset sanokoot, ett' olet
liikkuvaluontoinen ja sydämet miehien olet tottunut leikkien
murskaamaan. Vaan, kuulehan, minä en

ole oppinut merta pelkäämään. Miks naista pelkäisin siis?


Olen yhdeksän merta kokenut ja laivarikkoa viis…
PIILIPUITTEN ALLA

(William Butler Yeatsin mukaan.)

Ma piilipuitten alta löysin sydänystäväin.


Hän kulki piilipuitten alla lumiliinapäin.
Hän halas, ett' ois rakkautemme kevyt lehti vain.
Vaan olin lapsellinen enkä käsittänyt lain.

Ja kun me virran kaltaalla taas käytiin kahdestaan,


hän koski lumikädellään mua olkaan kumaraan.
Hän halas, ett' ois elämämme kevyt kukkanen.
Vaan olin lapsellinen, kuljin sydän itkien.
LUURANKO METSÄSSÄ PUHUU

Oi kuule, Jumalan kasvot ovat meitä tähyilleet molemmin


silmin terävin ja kauaskantavin. Ne näkivät minut tylyksi ja
sinut lempeäks: ja kumminkin sinä et rakastanut, vaan minä
rakastin.

Oi kuule, Jumalan kädet ovat meihin tarttuneet:


ne kuljetti sinut kauas keskelle erämaan
ja minut aarniometsään, jossa oli kamalaa.
Ja sitten hän käski meitä luo toistemme vaeltamaan.

Oi kuule, Jumalan sanat ovat meidät tavoittaneet:


ne olivat hirvittävät, kun ne kiisivät maailmaan:
Te luulitte elämän helpoksi. Vaan kaikki on vaikeaa.
Joka askel tuo joko itkun tai kuoleman mukanaan.

Oi kuule, minä olin tyly ja kivisydäminen.


Minä lähdin ja eksyin ja kaaduin ja tässä olen nyt.
Ylt'ympärillä on metsä ja yö ja huuhkajat.
Minä olen kai kuollut ja yksin. Olen hyvin hämmästynyt.

Oi kuule, Jumala vaikeni ja istui synkistyen.


Hän näki minut. Ja sinut. Hän näki molemmat.
Minä toivoin, että hän tietäis, että olin väsynyt.
Ja kun hän sen tietäis, hän salleis, että tänne vaellat.

Oi, kuule, muttei hän sallinut, vaikka hän on hyvä mies,


mun kohtaavan sua milloinkaan silmin näkevin.
Hän huomas näet minut tylyks. Vaan sinut lempeäks.
Ja kumminkin sinä et rakastanut. Vaan minä rakastin.

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