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Penser l’acte et le devenir des formes.

Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα.


Métaphysiques, Θ, 6, 1048a30.

Eléments préparatoires :
Division de l’acte dans les dix prédicaments : In Métaph., n. 897 & 1171 & 1895.

Sur l’intelligible : Ibid., n. 1805 & 1806.

Sur le processus : In Phys., n. 924 ; et note p. 377.

Sur l’acte : ST, I, 75, 5, ad 3 ; ST, I, 75, 1, ad 1 ; ST, 14, 2, ad 3 ; ST, 77, 1, ad 1 ; SG, II, 54-56.

Sur l’esse : « Ipsum esse est actus formae subsistentis », Quest. De anima, art. 6, resp. ; ST, I, 8, 1,
ad 4 ; De potentia, 4 & 7, resp.

Contre ces points : Suarez, DM 13, sect. 5, n. 7 & DM 31, sect. 3, n. 23 ; Leibniz, Lettre à Fardella &
Théodicée, §87 & Système nouveau de la nature et de la communication des substances & De rerum
originatione radicati ; François-Antoine de Brindisi, Scotus dilucidatus in II Sent., Naples, 1607, p. 215,
cité par Gilson, p. 138, n. 1 ; Wolff, Ontologia, §174 ; Spinoza, Ethique, III, prop. 7.

Gilson, L’Être et l’essence, Vrin, p. 104 : « Ainsi, l'acte qui fait que la substance existe peut et même
doit s'ajouter à l'acte de la forme qui cause la substance. »

Ibid., p. 108 : « la composition constitutive de la substance corporelle est celle de l'acte de la forme
avec la puissance de la matière, au lieu que la composition constitutive de l'être existant est celle de
l'acte de l'esse avec la substance même, prise comme déjà constituée ainsi qu'il vient d'être dit, mais
encore en puissance à l'égard de l'exister. » Il renvoie à SG, II, 54 : « Nec est autem ejusdem rationis
compositio ex materia et forma et ex substantia et esse, quamvis utraque sit ex potentia et actu. »

Ibid., p. 109 : « même si la forme n'est pas l'acte ontologique ultime, elle est, comme acte propre
de l'être substantiel, le récepteur et le transmetteur obligé de l'acte d'exister. » Il renvoie toujours au
même texte, SG, II, 54 : « Per hoc enim in compositis ex materia et forma, dicitur forma esse principium
essendi, quia est complementum substantiae, cujus actus est ipsum esse ; sicut diaphanum est aeri
principium lucendi, quia f acit eum proprium subjectum lucis »

Ibid., p. 110 : « …on nous demande de concevoir une potentialité qui ne soit aucunement celle de
la matière, puisque c'est celle d'un acte. »

Ibid., p. 111 : « Le rapport de l'exister à l'essence se présente donc comme celui d'un acte qui n'est
pas une forme, à une potentialité qui n'est pas une matière, c'est-à-dire à une certaine sorte de
potentialité. »

Ibid., p. 113 : « si l'ontologie thomiste comporte en outre un effort pour dépasser celle d'Aristote,
en situant au-delà de l'essence un acte de l'essence même, elle oblige à reconnaître l'actualité propre
d'un esse qui, parce qu'il transcende l'essence, transcende aussi le concept. »

Ibid., p. 114 : « L'esse pur n'est donc pas seulement illimité dans l'ordre de l'existence proprement
dite, il l'est aussi dans l'ordre de l'essence, parce qu'il précède cet ordre et que par conséquent aucune
détermination essentielle ne s'applique à lui. »
Invocation des causes réciproques (In Metaph., lib. 5, lect. 2, n. 2.) et aménagement d’une
distinction aliud et aliud, possiblement a parte rei, pp. 114 & 117. La suite du texte n’est qu’une forme
d’ontologisme.

Ibid., p. 116 : « Comment se fait-il donc que les êtres, au contraire, soient multiples ? Pour le
comprendre, il faut admettre 11ne différence radicale entre ce qui est l'exister même, et ce qui l'a. »

Ibid., p. 122 : « Pourtant, quand tout est dit, la métaphysique thomiste est animée d'une inspiration
différente de celle d'Aristote, parce que l'être sur lequel elle porte communique avec des profondeurs
au seuil desquelles la pensée grecque s'était toujours arrêtée. »

Ibid., p. 130 : « Ce que saint Thomas gardera de la doctrine d'Avicenne, c'est son point de départ,
c'est-à-dire cette remarque, d'importance en effet capitale, que la définition de l'essence n'inclut pas
son existence. »

Ibid., p. 150 : « Ainsi, Suarez commence par se représenter tout être fini donné comme une essence
pleinement actualisée en tant que telle et, ceci fait, il se demande avec surprise ce que pourrait bien
ajouter à une essence ainsi conçue l'existence qu'on veut encore lui attribuer. On se le demande
d'ailleurs avec lui… » -> le problème n’est-il pas à l’intérieur de la disparition de la notion de puissance
relativement au possible d’une puissance active (efficiente) ? DM, 31, sect. 3, n. 3 & n. 7.

Ibid., p. 151 : « Pour une telle ontologie, […] il est légitime et utile, de démontrer que l'existence ne
peut pas s'ajouter à l'essence réelle comme une actualité d'un autre ordre dont celle-ci aurait encore
besoin pour s'actualiser. »

Ibid., p. 152 : « …un être en acte et un être existant… »

Ibid., p. 153 : « La notion thomiste d'un acte d'exister qui, du cœur le plus intime de l'essence,
l'actualisant pour ainsi dire en permanence par son énergie propre, assure l'unité de la substance et
des accidents, en fait un être d'une seule coulée et s'épanouit au dehors dans le dynamisme des
opérations immanentes de cet être »

Ibid., p. 156 : « L'acte ultime de l'être ne saurait être simultanément l'essentia et l'esse, et s'il est
l'esse, comme saint Thomas n'a cessé de l'affirmer, il faut bien que le terme ultime de la métaphysique
elle-même, dont l'objet est l'être, soit d'atteindre, par-delà l'essence, l'existence qui en est l'acte. »

Martin Heidegger, Nietzsche II, Gallimard, 1971, pp. 322-323 : « Pour la détermination qui délimite
l'existentia, un appui est désormais fourni par l’essentia. La réalité est distinguée par la possibilité. »

Ibid., p. 323 : « Si cependant cette recherche de ce qu’il y a de plus général donne dans le vide, faut-
il alors que la quiddité soit comprise comme un mode de la quoddité ou inversement celle-ci comme
une dérivation de celle-là ? Y réussirait-on qu’il resterait toujours la question de savoir l’origine de la
distinction. Vient-elle de l’Être même ? Qu’est-ce que l’Être ? »

Ibid., p. 324 : « Comment l’Être peut-il se partager dans cette distinction ? »

Ibid., p. 326 : « L’ἐνέργεια est l’οὐσία (présence) du τόδε τι, de ce qui à chaque fois est ceci, à chaque
fois cela. […] Si le εἶναι (être) a de la sorte déterminée pour soi le mode suprême de son essence en
tant qu’ἐνέργεια, il faut alors que l’οὐσία, ainsi déterminée, manifeste, et cela de son propre fond, la
façon dont elle peut se partager dans la distinction de la quiddité et de la quoddité et doit
nécessairement se partager du fait de la prédominance caractérisée de l’Être en tant qu’ἐνέργεια. »
Ibid. : « La présence dans le sens éminent et principiel du terme, c’est le demeurer de ce qui à
chaque fois demeure par soi-même, de ce qui se trouve donné de soi-même, le demeurer […] de ce
qui est à chaque fois ceci, le singulier. »

Ibid., p. 327 : « La quoddité et la quiddité se dévoilent en tant que modes de la présence dont le
trait fondamental est l’ἐνέργεια. […] L’ὅτι ἔστιν et le τί ἐστιν dénomment des modes du fait d’être-
présent pour autant que, selon ces modes, ce qui est présent se présencifie dans le demeurer de ce
qui s’offre à chaque moment ou au contraire ne subsiste que dans la simple manifestation de l’aspect.
La distinction entre la quiddité et la quoddité procède de l’Être même (présence). »

Ibid., p. 328 : « Pour Aristote l’Être réside dans l’ἐνέργεια du τόδε τι. A partir de l’ἐνέργεια l’εἶδος
peut se concevoir en tant qu’un mode de l’être-présent. En revanche à partir de l’ἰδέα, le τόδε τι, ce
qui à chaque fois existe, demeure incompréhensible dans sa propriété d’être. (Le τόδε τι est un μὴ ὄν
– et tout de même un ὄν). »

Ibid., p. 329 : « Entre l’ἐνέργεια et l’initiale essence de l’Être (l’ἀλήθεια – φύσις) se tient l’ἰδέα. […]
Être est présence en tant que le se-montrer de l’aspect. Être est le demeurer de ce qui est à chaque
moment sous semblable aspect. Cette double présence consiste en l’être-présent et de ce fait
s’essencifie en tant que consistance : se mettre à durer, demeurer. »

Ibid., p. 330 : « …l’essence unitaire d’Être, l’Être en tant qu’unité de la quiddité et de la quoddité… »

Ibid., p. 331 : « Au début de la métaphysique l’étant est en tant qu’ἔργον ce qui se présencifie dans
sa propre composition. Désormais l’ἔργον devient l’opus de l’operari, le factum du facere, l’actus du
agere. L’ἔργον n’est ce qui est laissé libre dans l’ouvert de la présence mais ce qui est effectué par
l’efficacité réalisé par le faire. L’essence de l’« œuvre » n’est plus l’« œuvréité » (Werkheit) au sens de
l’insigne être-présent dans le libre espace, mais la « réalité » (efficace) d’un réel qui domine par son
agir et qui se voit inclus dans le procédé de l’agir. L’Être, au sortir de l’essence initiale de l’ἐνέργεια, est
devenu l’actualitas. »

Ibid., p. 332 : « La prédominance de la détermination de l’Être en tant que réalité, désormais


immédiatement intelligible à chacun se consolide de telle sorte que bientôt l’ἐνέργεια se conçoit
inversement à partir de l’actualitas […]. »

Ibid., pp. 332-333 : « Esse, à la différence d’essentia est esse actu. L’actualitas cependant est
causalitas. […] L’action efficace est ici la consistance, s’essencifiant à partir d’elle-même, du subsistant
pour soi. Cet étant (ens) n’est pas seulement ce qu’il est (sua essentia), mais il est en ce qu’il est
également la consistance de ceci (est suum esse non participans alio). C’est pourquoi Dieu,
métaphysiquement pensé, se nomme le summum ens. Le suprême de son être cependant consiste en
ce qu’il est le summum bonum. Car le bonum est causa, notamment, en tant que finis, la causa
causarum. De là que, précisément eu égard à la causalitas (c’est-à-dire actualitas) le bonum est ce qui
donne la consistance à tout ce qui est consistant et que pour cette raison il est même prius quam ens :
causalitas causae finalis est prima. » -> cite ST, I, q. 1-23, en ce sens Heidegger assimile la démarche
inductive-inventive aristotélicienne, c’est-à-dire la détermination absolue de toute la démarche
théologique thomasienne autour de la démonstration de l’existence de Dieu selon qu’une telle
démonstration achève la métaphysique, autour d’une problématique suarézienne.

Ibid., p. 334, la source de l’existence en Metaph., E, 4, 1027b17 & K, 8, 1065a21 comme en-dehors et
déterminé par la perception ?
Résumé :
§4-5, exposition de la position thomiste classique, l’être et l’essence sont unis in natura rei, mais
distincts a parte rei, en tant que l’acte dresse l’essence sans répondre pour autant d’aucune qualité
propre à l’essence, l’acte lui survient donc comme un accident, sans être un accident.

§6, 2 objections, 1 – l’existence signifie la subsistance, donc une distinction de raison, 2 – composition
de raison, car l’essence sans l’acte n’est rien.

§7, Distinction de la subsistance et de l’existence, relativement à l’exercice de la forme, l’existence fait


être la forme qui subsiste alors. La subsistance est donc le mode d’exercice propre de la forme en tant
qu’elle est en acte, être pour la forme c’est subsister, l’exister n’est donc pas le subsister. Pour la
différence chez S. Thomas : In I Sent., dist. 23, q. 1, a. 1, resp. & ad 2 ; ST, I, 29, 2, resp. ; 44, 1, resp.,
Sententia Metaphysicae, lib. 10 l. 3 n. 19 [1979], etc.

Pour le deuxième point la référence incertaine pose des problèmes interne à la théorie thomiste de la
personne ou hypostase.

§8, Argument complexe, la composition n’est pas entre la puissance et l’acte, car l’acte chasse la
puissance (ainsi l’acte ne compose avec rien), mais bien plutôt du point de vue de la forme qui se
réalise en acte, cette érection accidentelle hors du néant constitue une composition pour l’essence.
Cela est défendu dans le cas des anges -> non en puissance au non-être, car en acte, et seul l’être en
puissance est en puissance au non-être, donc la composition donc il est question concerne un rapport
essentielle structurant l’être en acte.

§9, de ces points de doctrines acquis, détermination des principes qui en assure le maintien : 1 – La
raison de la distinction réelle a parte rei, 2 – la clarification de l’être qui s’adjoint et qui réalise le sujet
auquel il s’adjoint.

§10, Disjonction entre deux termes composant l’un avec l’autre, qui suppose une adjonction réelle et
non de raison : problème, sive sit modus sive sit res, l’acte, comme la puissance, peuvent s’entendre
comme distinct a parte rei, telle des modes de la forme.

Reprise autours des problèmes de la distinction formelle entre des raisons formelles différentes
(querelle scotisto-thomiste).

§11, l’accidentalité de l’acte assure la non-intégration de l’existence dans la quiddité de l’essence.

§12, 3 objections.

§13, L’accidentalité de l’existence se vérifie de la chose en acte, qui n’est pas nécessairement.

§14, reprise de la réfutation des arguments précédents.

§15, dénomination intrinsèque de l’actualité de la chose en acte.

§16, réfutation du dernier argument -> la distinction a parte rei se trouve suffisamment appuyée.

§19, sur la distinction a parte rei, et la composition modale.


Jean de Saint-Thomas, Philosophia naturalis, I, q. 7, a. 4 :
[1] Cette controverse est célèbre depuis les temps anciens, dans laquelle les auteurs sont fortement
en désaccord. En effet, Durand1 estime que l'existence est distinguée de l'essence uniquement par la
raison, une opinion suivie par des auteurs plus récents tels que P. Suarez2, Vazquez3, Arrubal4, et
d'autres.

[2] Cependant, Scot5 pense que l'existence actuelle est distinguée de l'essence depuis la nature de
la chose (ex natura rei), par une distinction formelle, et non réelle. Ce qu'est précisément cette
distinction formelle ex natura rei, Scot l'a expliqué ailleurs6.

[3] La position commune des Thomistes, ainsi que de nombreux autres, soutient que l'existence
actuelle est distinguée de l'essence à part de la chose (a parte rei). On peut trouver cette opinion chez
Cajetan7, chez Sylvestre de Ferrare8, chez Capréolus9 et généralement chez tous les commentateurs de
saint Thomas (commentant I p., q. 3, et III p., q. 17, a. 2). De plus, cette opinion est suivie par les
Conimbres10, par Rubio11 et par Molina12, ainsi que par de nombreux autres.

[4] Cependant, il semble que l'origine de toute la controverse réside dans le fait que les éléments
liés à l'existence sont considérés de différentes manières.

En effet, d'un côté [pour la distinction de raison], l'existence est considérée comme ayant pour effet
formel de placer la chose hors des causes, et hors du néant, c’est-à-dire de la transférer (transferre) de
l'état possible à l'état actuel. Ainsi, si l'on distingue l'existence de l'essence, il ne reste rien à l'essence,
et par conséquent, il n'y a pas de réalité ultime sans existence à partir de laquelle elle est réellement
distinguée.

D'un autre côté [pour la distinction formelle], lorsque l'existence convient à l'essence, elle lui
convient de manière accidentelle, de telle sorte qu'elle est un prédicat en dehors du concept de tous
les prédicats essentiels. C'est pourquoi Scot soutient que l'existence doit être distinguée de l'essence
par une distinction formelle, dans la mesure où une chose n'est pas dans le concept de l’autre.

En outre, d'autres fondent la distinction a parte rei, car de cette manière, l'existence est en dehors
du concept de la nature, elle n'est pas un prédicat essentiel de celle-ci, et elle ne convient pas
essentiellement à quoi que ce soit en termes de composition. Au contraire, elle établit un certain état
qui convient accidentellement et contingemment à toute nature créée, même après qu'elle ait été

1
In I Sent., dist. 8, q. 2.
2
Disputationes metaphysicae, 31, sect. 4, sq.
3
Commentarium et disputationum in Summam S. Thomæ, III p., q. 17, a. 2, disp. 72, dernier chapitre.
4
Commentariorum ac Disputationum in Divi Thomae, I p., q. 3, disp. 10, cap. 1.
5
Ordinatio, III, dist. 6, q. 1.
6
Référence incertaine, in Logica, q. 3.
7
De ente et essentia, q. 11.
8
Commentaria in libros quatuor Contra gentiles sancti Thomae de Aquino, lib. II, cap. 52.
9
Defensiones, II, dist. 13, q. 1, concl. 3.
10
Commentarii Collegii Conimbricensis in octo libros Physicorum, lib. II, cap. 3, q. 3, a. 1.
11
Commentarii in octo libros Aristotelis de Phisico auditu, lib. I, tract. De materia, q. 2.
12
Commentaria in primam partem divi Thomae, q. 3, a. 4, disp. 2.
produite. En effet, il s'agit d'une proposition accidentelle : « Pierre existe », donc une telle existence
est quelque chose de distinct a parte rei de la chose elle-même, qui existe. Ainsi, lorsque la rosée est
produite, l'entité elle-même sort nécessairement avec un mode ou une réalité surajoutée (necessario
exit ipsa entitas cum modo vel realitate superaddita), qui est l’existence ; tout comme la substance sort
avec un mode ou une réalité surajoutée, qui est la subsistance. Cependant, sans la subsistance, la
substance elle-même n'est rien (sine subsistentia substantia ipsa nihil est), mais reste dans l'état de
possibilité. Presque tous les arguments contre la distinction de l'existence [et de l’essence] sont
également valables pour la distinction entre la subsistance et la nature, bien que nous déduisions cette
distinction de la foi, tout comme pour la distinction entre la matière et la forme, qui est également
reconnue comme étant distincte a parte rei, bien que l’une ne puisse pas exister sans l'autre in natura
rei.

[5] Ainsi, la conclusion est donc la suivante : Selon la doctrine de saint Thomas, la véritable existence
dans les choses créées est distincte a parte rei de l'essence. Il ne semble y avoir aucun doute à cet
égard concernant la pensée de saint Thomas lui-même, car il affirme clairement la réalité de cette
distinction dans ses œuvres. Ainsi il déclare13 : « L’être de l'essence et l’être actuelle sont réellement
différents, comme deux choses distinctes. » De plus, il affirme14 : « En tout, en dehors du premier
(praeter primum), il y a une puissance réceptive de cet acte, qui est l’être. » Et il ajoute par la suite15 :
« Par conséquent, on trouve dans la substance composée de matière et de forme un double ordre :
l'un concerne la matière elle-même par rapport à la forme, et l'autre concerne la chose déjà composée
par rapport à l’être participée. En effet [l’être de la chose] n'est ni son être, ni sa forme, ni sa matière,
mais quelque chose qui advient à la chose par la forme. »

De plus, chaque fois que saint Thomas traite de l’être de Dieu et des créatures, il montre que chez
Dieu, il n'y a pas de distinction entre l’être et l'essence, tandis que chez les anges et toutes les créatures,
il y a une distinction entre l’être et l'essence16. Il explique également qu’il s’agit d’une composition de
l’être lui-même et de l’essence, comme pour la puissance et l'acte. Il est clair que la puissance qui reçoit
et compose avec quelque chose ne peut pas être une puissance objective ou une possibilité de la chose
dans un état de possibilité, car elle n'accepte ni ne compose avec l'acte, mais elle est éliminée par
l'acte. Ainsi, saint Thomas affirme cela en parlant des anges et d'autres créatures17, il conclut18 : « La
nature ou la substance de l'ange est différente de son être. » Il exprime également cette idée ailleurs19.

[6] Cependant, les auteurs qui s'opposent à cette position font deux objections.

13
Inconnu, Summa totius Logicae Aristotelis, tract. 2, cap. 2.
14
De substantiis separatis, cap. 8, resp., Léonine (1968) donne : « Tout ce qui est, cependant, possède l’être. Par
conséquent, il y a en tout, en dehors du premier, l’être lui-même, en tant qu'acte, et la substance de la chose
ayant l’être, en tant que potentialité réceptive à cet acte, qui est l’être/Omne autem quod est, esse habet. Est
igitur in quocumque, praeter primum, et ipsum esse, tanquam actus ; et substantia rei habens esse, tanquam
potentia receptiva huius actus quod est esse. »
15
Ibid.
16
ST, I, q. 3, a. 4 ; SG, II, cap. 25 ; De potentia, q. 7, a. 2 ; etc.
17
ST, I, q. 50, a. 2, ad 3 & 4 ; q. 54, a. 3, resp. ; In II Sent., dist. 3, q. 1, a. 1 ; etc.
18
In II Sent., dist. 3, q. 1, a. 1, resp., Parme (1856) donne : « La quiddité de l’ange est ce par quoi son être subsiste,
lequel est au-delà de sa quiddité/…quidditas Angeli est quo subsistit etiam ipsum suum esse, quod est praeter
suam quidditatem. »
19
De ente et essentia, cap. 5 & 6 ; SG, II, 52 & 53 ; Quodl., 2, q. 2, a. 1 & 2 ; etc.
Premièrement, ils soutiennent que saint Thomas utilise le terme existence pour signifier la
subsistance lorsqu'il la distingue de la nature [§7].

Deuxièmement, ils disent que saint Thomas parle d'une composition de raison, et non d'une
composition réelle. Ils considèrent cette composition comme se produisant entre l’étant possible et
l'existence (inter ens possibile et existentiam), avant que la possibilité ne soit réduite* (reducitur) à
l'acte [§8].

[7] Cependant, ces deux solutions sont éloignées de la pensée de saint Thomas.

La première solution ne tient pas suffisamment compte de la précision et de la formalité du langage


de saint Thomas. En effet, comment peut-on comprendre que, dans de nombreux endroits où saint
Thomas traite de manière constante de l'existence et de l'essence, il utilise toujours le terme existence
pour signifier la subsistance et ainsi, il ne nous éclaire en rien sur la difficulté que nous recherchions, à
savoir celle de l'existence, en s'écartant de ce qu'il ne recherche pas, à savoir la subsistance ? De plus,
saint Thomas parle de manière générale de toutes les créatures, qu'elles soient subsistantes ou non.
Cependant, cette solution ne peut pas s'appliquer à la nature qui n'est pas subsistante. De plus, saint
Thomas propose et résout comme des difficultés distinctes la distinction entre la subsistance et la
nature, et la distinction entre l'existence et [la subsistance], comme on peut le voir lorsqu'il traite de
Dieu et des anges20. Par conséquent, il n'est pas correct de dire que saint Thomas utilise les termes
subsistance et existence de manière interchangeable, car il propose ces distinctions comme des
difficultés distinctes dans des articles distincts.

De plus, saint Thomas affirme à maintes reprises que la forme subsistante reçoit l’être et est en
puissance par rapport à l’existence. Par conséquent, il n'utilise pas le terme existence pour signifier la
subsistance, sinon cela impliquerait que la forme subsistante serait en puissance par rapport à la
subsistance (forma subsistens esset in potentia ad subsistentiam), et la recevrait, ce qui serait une
tautologie. Par exemple, il déclare21 : « En supposant que la matière soit retirée et que la forme subsiste
dans la nature, il reste encore la relation de la forme à l’être, comme de la puissance à l'acte, et une
telle composition doit être comprise chez les anges. » De même, il dit22 : « La forme subsistante n'est
pas un non-étant, mais un acte, qui est la forme participative de l’acte ultime, qui est l’être. » Enfin, il
déclare23 : « L’être appartient à la nature et à l'hypostase, ou subsistance, et il convient à la nature
d'être ce dont il s'agit et à l'hypostase ou la subsistance d'être ce par quoi il s'agit. » Par conséquent, il
est incorrect d'affirmer que le terme existence ou être (existentiae seu esse) signifie la subsistance dans

* Je me permets cette petite préciosité de la traduction, afin de sauvegarder la richesse d’un champ lexical
souvent oublié, revenant à la dialectique de l’acte et de la puissance (ainsi à la morphogénèse elle-même), à
savoir l’usage de la racine duco (deductio, reductio, eductio, inductio, etc.). Ici réduire s’entend en direction
d’éduire ; voir chez S. Thomas, In Metaph., lib. 7, lect. 7, n. 7 [1423] : « En effet, on dit par exemple que la forme
est dans la matière, bien que la forme ne soit pas [en elle-même], mais le composé par la forme [est], ainsi
encore la manière appropriée de parler est de dire que le composé est engendré à partir d’une matière dans
une forme qui est telle. En effet, les formes à proprement parler ne sont pas engendrées, mais elles sont
éduites de la puissance de la matière dans la mesure où la matière qui est en puissance à la forme devient en
acte sous la forme, et c’est là ce qu’on appelle produire un composé. »
20
ST, I, q. 3, a. 3 & 4 ; SG, II, cap. 52-53 & 55 ; Quodl., 2, q. 2, a. 1 & 2 ; In II Sent., dist. 3, q. 1, a. 1 & 2 ; etc.
21
ST, I, q. 50, a. 2, ad 3.
22
De substantiis separatis, cap. 8, resp.
23
ST, III, q. 17, a. 2, resp., Léonine (1903) donne : « L’être appartient à l'hypostase et à la nature, à l'hypostase en
tant que ce qui possède l’être/Esse autem pertinet ad hypostasim et ad naturam, ad hypostasim quidem sicut ad
id quod habet esse. » ; cf. aussi Quodl., 9, q. 2, a. 1 & 2.
l'œuvre de saint Thomas, sinon cela signifierait que la subsistance convient à la subsistance, ou à
l’hypostase en tant que quiddité (hypostasi ut quod), ce qui serait absurde.

[8] La deuxième solution est également contestée. On soutient en premier lieu que cette
composition entre la chose possible et l'existence (inter rem possibilem et existentiam) n'est pas une
composition dans l’être réalisé (in facto esse), mais seulement dans la réalisation (in fieri), en tant que
transition de l’être possible à l’être actuel. En effet, il est bien établi que dans l’être réalisé, l’étant ne
reste pas dans un état de possibilité, mais hors de celui-ci. Par conséquent, si cette composition se
produisait dans [l’être] réalisé, elle ne serait plus une composition à partir de l’étant possible, mais à
partir de l’étant posé en dehors de cet état. Cet état est éliminé lorsque la chose est sous l'existence
(quando res est sub existentia). Ainsi, saint Thomas affirme que dans le cas des anges, il y a une
composition entre la nature ou la forme subsistante et l'existence ou l'être24 (ex natura seu forma
subsistente, et existentia seu esse). Cette composition chez les anges se produit dans l’être réalisé, car
dans l’être réalisé, la nature de l'ange n'est pas son être, ni son existence (natura Angeli non sit suum
esse, nec sua existentia). Par conséquent, il ne s'agit pas seulement d'une composition entre l’étant
possible et l'existence.

De plus, saint Thomas déclare25 : « C'est pourquoi, chez l'ange, il n'y a pas de potentialité au non-
être, car la substance complète est le réceptacle de son être propre (quia substantia completa est
proprium susceptivum ipsius esse), et le réceptacle propre d'un acte est de telle manière disposé en
potentialité à cet acte qu'il ne peut en aucun cas être en potentialité pour son opposé, comme le feu
n'est pas en potentialité pour le froid, mais pour la chaleur, et dans les composés, il n'y a pas de
potentialité au non-être, sauf en ce qui concerne la matière. » Cela constitue un argument évident, car
la substance de l'ange considérée dans un état de possibilité ne peut pas être dite seulement en
puissance pour l'existence, comme son propre réceptacle, mais elle doit également être en puissance
pour le non-être, car dans cet état, elle est indifférente à l'existence et au non-être, et elle est de fait
sous le non-être. Au contraire, saint Thomas dit maintenant qu'il n'y a pas de puissance pour le non-
être dans la substance de l'ange. Par conséquent, ce qu'il compose avec l'existence, selon S. Thomas,
n'est pas la nature elle-même sous l’état de possibilité, car cela serait indifférent à l’être et au non-être,
et en puissance par rapport au non-être.

[9] Ainsi, si l'on suppose que c'est là l'intention de saint Thomas, ses fondements ne se réduisent
qu'à deux points.

Le premier est d'expliquer a priori la racine ou la cause pour laquelle certaines choses sont dites
être distinctes a parte rei [§10-16].

Le deuxième est tiré de la résolution de la difficulté opposée, montrant comment l'existence, même
si elle est distincte de l'essence, peut néanmoins réaliser (effectum) sa forme et constituer quelque
chose hors des causes ou hors du néant [§17-27].

[10] En ce qui concerne premier point, à savoir sur la racine et le fondement de la distinction a parte
rei, lorsque la distinction ne nous est pas clairement révélé par la séparation des extrêmes, qui est le

24
ST, I, q. 50, a. 2, ad 3 ; SG, II, cap. 55.
25
SG, II, cap. 55, n. 55.
signe le plus manifeste de la distinction des choses, il reste alors à enquêter et à prouver cette
distinction à partir de l'exclusion même d'un concept par rapport à un autre, de telle manière que
quelque chose soit entièrement hors du concept et de la quiddité de l'une, tout en lui convenant et en
lui étant ajouté réellement (realiter illi conveniat et adjungatur). Cela peut s'expliquer de la manière
suivante : Chaque fois qu'un prédicat réel et positif convient à quelque chose d'une manière telle qu'il
ne soit ni essentiel à cette chose, ni n'entre en elle en tant qu'élément constitutif de son essence, ni ne
provienne de la même forme, mais provienne entièrement d'un principe externe, il est impossible que
cela ne fonde pas une distinction a parte rei par rapport à ce à quoi il convient de cette manière. C'est
ainsi que l'existence se comporte par rapport à l'essence, donc elle est distincte de celle-ci a parte rei.

La majeur est prouvé, car ces choses qui se comportent ainsi manquent de tout principe
d'identification réelle [entre elles], elles ne pourront pas être énoncées dans un prédicat réel et positif
qui serait identique à un autre, sans être inclus dans le concept de celui-ci, ou dans le concept et la
quiddité d'un troisième, ou provenant de la même forme et non d'un principe extrinsèque, à moins
qu'elles ne soient identifiées avec autre chose comme un mode, qui cependant est distingué comme
un mode, et a parte rei, mais nous entendons ici uniquement distinguer l'existence au-delà de la simple
notion de l'essence, que ce soit comme mode ou comme chose (sive sit modus sive res). En effet,
l'argument généralement avancé à propos du prédicat générique et différentiel, par exemple
« animal » et « rationnel », selon lequel « rationnel » survient (accidit) à « animal » et est en dehors de
son concept, mais ils s'identifient a parte rei, ne constitue pas une objection, car « rationnel » et
« animal », bien que l'un ne soit pas inclus dans le concept de l'autre, sont tous deux inclus dans le
concept d'un troisième qu'ils constituent, à savoir « homme », et ils proviennent de la même forme, à
savoir l'âme.

Comme l'a très bien noté saint Thomas26, quelque chose survient à une autre de deux manières :
d'une part, comme déterminatif de quelque principe essentiel (determinativum alicujus principii
essentialis), bien qu'il ne tombe pas dans la définition de celui-ci, comme « rationnel » survient à
« animal » ; d'autre part, parce qu'il n'est ni inclus dans la définition de l'autre, ni déterminatif d'un
principe essentiel, comme « blanc » survient à « homme », et de cette manière [S. Thomas] dit que
l’être survient à la chose (esse accidit rei), parce qu’il est en dehors de la raison de l'espèce avec tous
les prédicats quidditatifs. Par conséquent, l'objection selon laquelle l'action et la passion sont
identifiées au mouvement, bien qu'elles ne soient pas incluses dans le concept l'une de l'autre, ne tient
pas non plus, car elles sont identifiées parce qu'elles proviennent de la même forme, à savoir le
mouvement, ou de la chose en réalisation et en vue de sa fin (in tendentia). De plus, bien que l'action
et la passion soient identifiées dans la même réalité, elles sont toutefois distinguées a parte rei en tant
que deux modes. Par conséquent, de cette objection, on ne peut pas conclure que l'existence n'est pas
distincte a parte rei de l'essence, du moins en tant que mode.

[11] Il reste donc à prouver la mineure, à savoir que l'existence par rapport à l'essence est un
prédicat réel, dépourvu de tout principe d'identification avec l'essence. Que l'existence soit un prédicat
réel, et qu'elle convienne concrètement (conveniens physice) à la chose elle-même, est manifeste, car
son effet formel est que la chose soit hors du néant et hors des causes (quia ejus effectus formalis est
rem esse extra nihil et extra causas), ce qui est avant tout quelque chose de réel et qui convient
concrètement, car les choses sont concrètement posées hors des causes et produites par elles. Quant
au fait que l’existence manque de tout principe d'identification avec l'essence, cela découle du fait
qu'elle est toujours un prédicat logiquement accidentel (accidentale praedicatum physice) et dans la

26
Quodl., 2, q. 2, a. 2, ad 1.
chose, et qu'elle ne peut pas convenir à une chose comme prédicat essentiel, ni découler
nécessairement de l'essence elle-même, ni constituer essentiellement un troisième auquel elle
appartient. Sinon, l'existence serait nécessairement attribuée à toute chose créée et produite, comme
un prédicat de vérité éternelle, alors que cette prédication, « Pierre existe », ne pourrait jamais être
vérifiée de toute éternité. Par conséquent, l'existence ne convient qu'à une chose par la participation
de l'agent lui-même, et ainsi elle n'a pas de principe d'identification, car elle ne convient pas à la chose
en raison d'un principe intrinsèque, mais par quelque [principe] extrinsèque, en raison de la production
même de l'agent. En effet, l'existence est la production elle-même dans l’être réalisé, c'est-à-dire la
mise hors des causes. Par conséquent, dans la chose même qui est produite, il faut qu'il y ait une entité
à laquelle l'existence convient, ainsi que la formalité de l'existence (formalitas existentiae) en tant que
prédicat accidentel, et l’élément constitutif essentielle extrinsèque.

[12] Mais vous pourriez dire : ce prédicat accidentel ne s'identifie pas avec l'entité, comme possible,
et sous l'état de possibilité, il ne se distingue pas d'elle comme étant et non étant. Cependant, dans le
cas de la chose produite et placée hors des causes, l'existence en tant que prédicat externe ne peut pas
convenir, car elle implique la connaissance de la chose produite, et non son acte hors des causes. Tout
ce qui est surajouté (superaddi) ainsi trouve déjà la chose existante [§13].

On fait valoir cette conséquence : quelque chose convient accidentellement à quelque chose, donc
elle est distinguée de cette chose a parte rei, que ce soit dans le prédicat de différence par rapport au
genre, comme il en est du rationnel qui convient accidentellement à l'animal mais ne se distingue pas
réellement de lui, ou dans la prédication telle que « le vase est en bois » ou « en or », ce qui est un
prédicat accidentel ou du cinquième prédicament [le lieu], mais qui ne se distingue pas réellement du
sujet, car la substance du vase ne se distingue pas réellement de l'or ou du bois. Par conséquent, de la
même manière, l'essence et l'existence ne se distinguent pas réellement. Aussi parce que sans l'ajout
d'une nouvelle réalité, c'est seulement par le fait que la chose est soumise à l'agent et à sa production
qu'elle est dite existante [§14-15].

Enfin, si notre raisonnement prouve quelque chose, il prouve aussi que l'existence est un
prédicament accidentel par rapport à la substance, puisqu'elle survient (superveniat) à celle-ci comme
une forme distincte. Cependant, cela est impossible, car un accident présuppose un sujet auquel il
convient d’être existant (esse existens) [§16].

[13] Cependant, en opposition à la première objection, l'argument est renforcé, car une chose qui
passe de l'état possible à l'état d'existence, ou du non-être à l'être, non seulement reçoit un prédicat
accidentel et extrinsèque par rapport à l'état de possibilité ou à l’étant lui-même, en tant qu'il passe
du non-être à l'être, mais aussi par rapport à la chose elle-même déjà produite, de sorte que l'existence
est vérifiée dans l’être réalisé comme un prédicat non essentiel et non lié par soi (per se connexum). La
raison en est manifeste, car ce qu’est l’exister dans l’être réalisé, se vérifie comme accidentel ou non
essentiel à partir de quelque sujet, et non de la chose elle-même en tant qu'elle est sous l'état de
possibilité, car dans cet état, l'existence dans l’être réalisé est un prédicat opposé. En effet, dans le cas
de la chose à l'intérieur des causes et dans un état potentiel, il n'est pas vérifié qu'elle est hors des
causes ou qu'elle existe. Donc, ce prédicat, c'est-à-dire l'existence, est vérifié uniquement en ce qui
concerne la chose considérée et posée en dehors de la possibilité, et pourtant, dans le cas d'une telle
chose, il est vérifié de manière accidentelle et non comme un prédicat à elle par soi.
Par conséquent, il est incorrect de dire que l'existence dans l’être réalisé est un prédicat accidentel
et distinct ou extrinsèque par rapport à la chose qui peut être productible ou possible, mais pas par
rapport à la chose produite elle-même. On ne peut pas faire valoir l'objection qu'il en va de même pour
le prédicat « mort », qui convient aussi accidentellement à un sujet et non à un être vivant, car cela lui
est contraire, donc cela s'applique au cadavre et pourtant il s'identifie avec lui. Cette objection est
incorrecte, car « mort » comme mort dans l’être réalisé n'est pas un prédicat accidentel comme exister
dans l’être réalisé, car « mort » s'oppose à la vie essentielle, la supprime, et est donc essentiel au
cadavre, tandis que « exister » ne constitue pas la nature, ne la supprime pas, mais la place précisément
en dehors des causes.

[14] Cependant, en ce qui concerne la deuxième objection, la conséquence est clairement réfutée.
En ce qui concerne l'exemple de l'animal et du rationnel, il a déjà été expliqué que bien que le rationnel
survienne à l'animal parce qu'un animal peut exister sans lui, ils ne sont identifiés que lorsque l'on les
trouve dans un troisième élément qu'ils constituent essentiellement, de telle sorte qu'ils proviennent
de la même forme. Cependant, l'existence ne peut pas convenir essentiellement, ni à l'entité de
l'essence elle-même, ni à un troisième élément qui la constituerait essentiellement, car l'existence ne
convient essentiellement à aucune chose créée, ni ne provient de la même forme, car la forme ne suffit
pas à conférer l'existence par elle seule (forma non sufficiat dare existentiam se sola), mais seulement
par l'intermédiaire de la production de l'agent, qui produit la forme de telle manière qu'il surajoute
également l'existence comme quelque chose de distinct. Cependant, l'exemple de la prédication « le
vase est en bois » est plus en notre faveur, car le vase ne dit pas seulement le bois. En effet, le bois
serait mal prédiqué du vase, car il est en bois, mais il dit le bois avec la forme artificielle, qui est
réellement distincte, et ainsi, en raison de cela, la prédication devient accidentelle. De même, si l’être
existant est un prédicat accidentel, cela suppose une forme distincte, en raison de laquelle il devient
accidentel.

[15] Le troisième exemple n'est pas pertinent, car une chose subjectée à un agent, et être produit
dans l'être réalisé n'est pas une dénomination extrinsèque mais intrinsèque dans la chose produite. En
effet, ce qui est dit existant ou produit dans l'être réalisé, n'est rien d'autre que ce qui est en soi, comme
une dénomination intrinsèque, comme l'être vu, car c’est en soi qu’existe tout ce qui existe. Et cela ne
résulte pas seulement de la relation de dépendance à l'agent, car le fait d'exister pour la chose ne
relève pas d'une relation formelle relative, mais absolue (non est effectus formalis relativus, sed
absolutus). De plus, cette relation ne convient pas à l'égard de (ut ad), mais dans (ut in). Par conséquent,
le fait d’être produit, ou existant, n'est pas simplement une subjection extrinsèque à l'égard de l'agent,
mais quelque chose qui est intrinsèquement dénommé, par lequel on dit que la chose produite en soi
est en acte (in se actu esse).

[16] En ce qui concerne la dernière objection, qui prétend que l'existence n'est pas un accident
prédicamental, contrairement à ce que pensait Molina27, il est suffisamment prouvé que ce n'est pas
un accident inhérent par l'argument opposé. Par conséquent, nous disons que l'existence est le terme
ou la formalité réductive qui se rapporte à l'entité qui existe (formalitas reductive pertinens ad

27
Voir note 12.
entitatem quae existit), de la même manière que la subsistance n'est pas un accident, mais le terme ou
le mode substantiel distinct de la substance, tout comme l'union dans l'opinion de plusieurs.

[17] Le deuxième fondement réside dans l'explication de cette distinction entre l'existence et
l'essence, car il est en effet nécessaire que lorsque quelque chose est produite avec quelque chose de
surajoutée, ce soit l'existence, mais cela est expliqué de manière plus précise dans la résolution des
arguments.

[18] Le premier argument est le suivant : parce qu'il est impossible que l'existence soit réellement
reçue dans l'essence elle-même, il est donc impossible que l'existence soit réellement distinguée de
l'essence. La conséquence est prouvée car si elle est réellement distinguée et qu'elle rend pourtant
l'essence existante, il est nécessaire qu'elle soit incluse dans l'essence, comme la forme dans le sujet ;
donc si elle ne peut pas être incluse, elle ne peut pas être distinguée. L’antécédent est établi parce que
l'essence, lorsqu'elle est distincte de l'existence, n’est rien et n’est pas hors des causes, car c'est par
l'existence qu'elle est posée hors des causes ; elle ne peut donc pas vraiment contenir quelque chose
de distinct de soi. Il ne convient pas de dire que pour recevoir quelque chose, l'existence n'est pas
nécessaire dans le récepteur, mais qu'elle est suffisante pour que rien ne puisse être donné sans elle :
cela se vérifie dans le cas présent car l'essence dans la chose a toujours l'existence ajoutée, bien qu'elle
soit distincte d’elle, de la même manière que la matière reçoit la forme comme distincte d'elle, et
pourtant sans la forme elle n'existe pas.

En revanche, on peut dire contre, que pour cette priorité selon laquelle l'essence reçoit l'existence,
et la matière reçoit la forme, l'essence et la matière sont des causes réelles, causant réellement, car ce
qui est reçu dépend effectivement d'elles. Par conséquent, pour cette priorité et cette antériorité de
causalité réelle, elles doivent réellement exister et par conséquent, en dehors des causes. Ceci est
confirmé car bien que l'essence existe accidentellement, cela ne signifie pas nécessairement qu'elle est
distincte de l'existence. En effet, si l'existence était distincte de l'essence, elle devrait aussi exister
accidentellement, car elle est créée. Par conséquent, elle aurait besoin d'une existence additionnelle,
et cela conduirait à un processus infini.

[19] La réponse selon saint Thomas est que c'est indubitable : il n'est pas nécessaire que le récepteur
présuppose l'existence, mais il suffit qu'il ne soit jamais trouvé in re sans l'existence, et ainsi il n'est pas
inconvenant que l'existence soit rendue par quelque chose qui la reçoit ; en fait, saint Thomas distingue
la matière et le sujet à cet égard, car le sujet n'a pas son être de la forme qui lui arrive, mais il préexiste
en lui comme existant, tandis que la matière est ce qui a son être par ce qui lui arrive, comme la matière
devient existante par la forme28.

Il est certain que la relation de dépendance à l'égard de Dieu est quelque chose qui est réellement
reçu dans la créature (realiter receptum in creatura), car cette relation est distinguée a parte rei du
sujet, au moins en tant que mode (saltem ut modus), et pourtant le sujet avant cette dépendance
actuelle envers Dieu n'est rien, donc il est tout à fait justifié de recevoir quelque chose sans quoi le
sujet n’est pas quelque chose de réelle (sine quo subjectum ipsum non est aliquid reale). Il en va de
même pour la matière par rapport à la forme substantielle, en fait, de nombreuses substances, sans
les accidents, ne peuvent exister ni être conservées, comme la substance corporelle sans quantité et

28
Apocryphe, De natura materiae, opusc. 31 ; In Metaph., VIII, lect. 4.
dispositions. Cependant, la substance les reçoit non pas comme quelque chose existant en soi avant
elle, mais comme existant dépendamment d’elle. De même, donc, l'essence peut recevoir l'existence,
et la matière peut recevoir la forme sans qu'elles existent avant elles, mais plutôt en dépendant d'elles
ou par elles (dependenter ab illis seu per illa). Donc, pour recevoir, [l'essence] n'est pas formellement
un étant en acte, mais il suffit qu'elle soit un étant en puissance, car l'actualité n'est pas la raison de la
réception, mais chaque chose reçoit en tant qu'elle est en puissance, bien qu'elle doive devenir en acte
in re, simultanément avec la réception de l’être en acte. Il suffit donc qu'elle soit rendue existante par
ce qu'elle reçoit, et non avant de le recevoir.

[20] En réponse à l'objection concernant la réalité de la cause et de la dépendance pour une telle
première cause, qui est quelque chose causant matériellement, on peut répondre que cette priorité,
étant simplement une priorité du point de départ (a quo), et non du point de destination (in quo), il
n'est pas nécessaire d'expliquer l'existence de la cause pour cette priorité, mais il suffit d'expliquer sa
potentialité, car c'est précisément la raison qui conduit à la cause matérielle, ou à la réception, et
formellement parlant, ce n'est pas l'actualité, mais la potentialité, qui conduit à la réception. Par
conséquent, l'existence de la cause matérielle n'est pas expliquée pour cette priorité, bien qu'elle existe
en réalité, mais cela se fait par l'existence reçue, car celle-ci est reçue au même instant.

[Cet argument doit également être résolu dans le cas des causes qui sont mutuellement causes les
unes des autres, comme nous le dirons dans la question X. En effet, pour ce point de départ par lequel
une cause quelconque cause, on ne comprend pas encore que cette cause soit causée par une autre
cause, et par conséquent, elle n'est pas encore complètement existante, car pour que des causes
causent mutuellement, il suffit qu'elles existent toujours dans la réalité ; cependant, elles n'expliquent
pas l'ensemble de la priorité et de l'explication de la causalité. De plus, pour causer matériellement, il
suffit qu'une chose soit un être réel potentiellement, et non un être réel actuellement. Or, un être
potentiel est aussi un être réel en tant qu'être potentiel, et non simplement rien, sinon il s'opposerait
de manière contradictoire à l'acte lui-même et ne le recevrait pas.]

[21] En ce qui concerne la confirmation, on peut répondre que l'existence existe essentiellement en
tant que en quoi (ut quo), c'est-à-dire que son essence réside dans le fait d'être la raison de l'existence.
Cependant, elle existe accidentellement en tant que ce qui (ut quod), dans la mesure où, lorsque le
tout existe, l'existence existe également avec lui. Or, tout ce qui est dans le tout existe
accidentellement.

[24] Troisièmement, vous objecterez : Sans surajout d'un mode ou d'une entité, l'essence est hors
des causes, du seul fait qu'elle procède de l'agent ; donc l'existence n'est pas distincte de l'essence par
un fondement quelconque. La conséquence est évidente, car l'existence n'est posée que pour signifier
que la chose est hors des causes. La preuve de l'antécédent réside dans le fait qu'une pierre peut être
conçu comme produit, en éliminant ou en ne considérant aucun autre mode ; donc soit il est conçu
comme existant en acte, soit en puissance ; ce n'est pas en puissance, car il est produit ; donc en acte,
donc existant, car ce qui est hors des causes et de la puissance est appelé existant.

Cette preuve est confirmée par le fait que si l'existence est un mode, elle doit découler de la chose
dont elle est le mode, mais elle ne peut pas émaner de l'essence à l'intérieur des causes, car il n'y a
rien là-bas, et si l'essence se plaçait elle-même en dehors des causes, si ce mode en question émanait
formellement de l'essence, alors il découlerait de l'essence en acte et en dehors des causes, c'est-à-
dire qu'il serait existant. Ainsi, l'existence découlerait de l'existence, et comme pour ce premier mode
par lequel il cause, on n'aurait pas encore compris qu'il le possède, par conséquent, il serait existant
avant d'avoir l'existence.

[25] On répond que l'on ne peut pas concevoir une pierre en tant que produit sans concevoir
également son existence, car l'existence est la forme par laquelle on dit que la chose est placée hors
des causes et hors du néant. Ainsi, si l'on conçoit une chose comme étant produite dans l’être réalisé,
cela signifie qu'elle est hors des causes, et donc elle est conçue avec l'existence. Cependant, dans ce
cas, on ne la conçoit pas seulement en termes d'essence quidditative seule, mais aussi avec quelque
chose d'accidentel, à savoir cette existence, ou cette production passive, par laquelle elle existe
effectivement en dehors des causes, et cela lui est attribué de manière accidentelle. Si vous interrogez
sur la quiddité elle-même, qui est dite capable de recevoir l'existence, elle peut être conçue comme
soumise à l'agent, bien qu'elle ne soit pas encore soumise passivement à l'existence elle-même. Dans
ce cas, elle sera donc conçue en dehors de l'état de possibilité, en tant que soumise à l'agent, mais sans
l'ajout d'une existence supplémentaire. On répond que l'entité ainsi conçue n'est pas comprise comme
existant formellement, ni même seulement comme possible objectivement, mais comme le sujet de
l'existence, de la manière dont elle réceptionne du côté du sujet, et non pas comme une information
de la part de l'existence, qui est la forme constituante en dehors des causes. Ainsi, dans la chose elle-
même, on peut distinguer ce qui appartient au sujet dans la réception sans prendre en compte ce qui
appartient à l'existence dans la formation. Dans ce cas, sans l'existence, on ne la comprend pas comme
existant formellement, mais comme recevant l'existence, de la même manière que le corps, en
recevant la blancheur sans prendre en compte l'information de la blancheur, n'est pas compris comme
blanc, mais comme tendant matériellement à devenir blanc.

[26] Pour confirmer cela, on répond que ce mode d'existence (s'il est un mode) ne découle pas de
l'essence en raison d'une connexion intrinsèque des prédicats, mais il est communiqué par l'agent lui-
même. Et quand Saint Thomas dit29 que l'existence convient à la forme en elle-même, de la même
manière que la rondeur est comprise dans le cercle, cela signifie que pour les formes considérées du
point de vue physique, c'est-à-dire lorsqu'elles sont soumises au mouvement et à l'action, l'existence
leur convient par elles-mêmes, c'est-à-dire non par l'intermédiaire d'autre chose, mais directement, à
la différence de la matière à laquelle l'existence ne convient que par l'intermédiaire de la forme. Ainsi,
les modes qui conviennent de manière contingente et qui n'entrent pas dans la constitution de la chose
ne doivent pas nécessairement découler de l'essence par une connexion nécessaire, comme les
passions proprement dites, mais ils doivent être laissés par l'agent lui-même dans l'essence, car ils
conviennent par l'action même de l'agent, de la même manière que d'autres modes conviennent au
sujet sans découler de l'essence, comme la position, et d'autres semblables.

29
ST, I, q. 5, a. 5.

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